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Escale à Thor.

L’ennui n’était, en général, pas vraiment une compagne bien avisée. Elle avait pour vocation de pousser certains hommes à des gestes inconsidérés, futiles, parfois dangereux. Dans le cas de Joseph Snake, elle avait mis un certain temps à le travailler, à le remodeler. Au final, elle n’avait sans doute pas pu en faire ce qu’elle en avait espéré, n’arrivant pas à supplanter dans son esprit la place que la paranoïa avait acquis. Il faut dire que lorsque l’on se croit pourchassé, et qu’on n’en a pas l’habitude, on a tendance à faire les mauvais choix. A les enchaîne. En cascade. Sauf en étant très prudent, ce que le Serpent était. De ce fait, l’ennui n’avait que peu d’emprise sur le déserteur. Parfois, lors de certaines escales de son infinie fuite en avant, elle arrivait à le pousser à boire un verre dans certains bars peu recommandables. D’autres fois, elle le forçait à tendre l’oreille et écouter les rumeurs dans ces dits bars. Fâcheusement, ces racontars avaient tendance à l’ennuyer d’avantage. Qu’avait-il à faire des coucheries du boucher ou des manipulations du policier ? Peu, pour être honnête… Mais certaines fois, l’ennui arrivait à ses fins, et poussait l’ancien sous-officier à trahir sa couverture, ou presque, en le faisant boire plus que de raison, et en déliant sa langue. C’était lors de ce genre de soirées qu’il était le plus en danger.

« La Marine, tu dis ? » Marmonnait le faux-borgne, prostré sur un tabouret sale et branlant. « J’t’en donnerai moi d’la Marine. Un beau ramassis de. » Continua-t-il lentement avant de s’arrêter, voyant l’air médusé de son interlocuteur. Il s’agissait d’un pauvre garçon, qui devait tout juste être majeur, et qui l’avait hélé alors qu’il venait de s’assoir. Sur un tabouret sale et branlant donc. A une paillotte de plage. Oui, parce qu’on n’avait pas toujours le loisir de trouver des bars peu recommandables, n’est-ce pas ?

L’adolescent – car il était plus proche des farces et des gamineries que des combats sanglants sur l’océan – avait cru reconnaître en l’arme qu’il portait à la ceinture, un sabre de marin. Et forcément, il lui avait demandé s’il en avait fait partie. Suprême insulte que celle-ci aux oreilles de l’ancien Lieutenant-Colonel, mais à cet instant, les quelques litres d’alcool qu’il avait pu ingurgiter dans les autres paillottes n’avaient pas forcément fait entièrement effet. Car oui, vous vous doutez bien qu’il ne s’était pas contenté d’une chopine, comme un déserteur bien éduqué. Oh non. Il avait enchaîné les bouis-bouis, n’ayant pour seule compagne que cet ennui si motivant. Le Serpent réajusta son cache-œil factice et posa l’index sur son verre, le repoussant vers le barman tout en posant une piécette pour régler sa choppe. « J’crois qu’il faut qu’j’arrête là, mon vieux. » Prenant appui sur le bar, aussi sale et branlant que son tabouret, il s’éloigna de ce dernier, et décida qu’il était temps de prendre l’air.

Il était tout au plus dix-huit heures, et la nuit allait surement être longue. Poussant la porte typée saloon du rade, il marcha quelques pas, avant de manquer de s’étaler. Quelqu’un venait de le frapper dans le dos. Qui pouvait bien s’en prendre à un type ivre sans vergogne de la sorte ? Le Serpent se retourna, bien décidé à en découdre, et … personne. Il ne le saurait sans doute jamais, mais il s’agissait de la porte qui, poussée avec fureur, lui avait fracassé l’arrière-train, bien peu glorieusement. Maugréant, le Serpent, s’assit sur les marches du porche du bâtiment, et, posant son dos sur une colonne en bois, décida de regarder les passant. Peut-être que quelques minutes de répit pourraient calmer son mal de postérieur.

« J’aurais mieux fait de rester à bord. » Siffla-t-il en sortant une cigarette de sa poche. Il avait payé un passage en bateau avec quelques sous pour rejoindre Manshon. L’escale à Luvnel n’était pas vraiment prévue. Et s’il ne faisait pas un peu attention, elle risquait de devenir son terminus.
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Luvneel… C’est bien l’un des seuls lieux sur cette mer bleue où je ne voulais pas aller. J’y suis en tant qu’infiltré déjà, seulement accompagné de Daniel, c’est pour dire la connerie du truc. Ils n’ont rien trouvé d’autre à faire que d’envoyer un commodore faire ce genre de besognes pour enfant. Sous prétexte que je suis le plus qualifié, à proximité, pour réaliser cette tâche. Je peux vous assurer qu’un membre de l’amirauté aurait été davantage respecté et n’aurait pas été obligé de le faire. Vivement ma promotion.

On a voyagé sur un navire commercial, dans lequel on a heureusement rien eu à faire, et ce grâce à une importante somme lâchée pour être peinard. Daniel et moi, comme habituellement, sommes vêtus de nos costumes gris assez élégant et neutre à la fois. Notre couverture sera probablement de se faire passer pour des hommes d’affaire. On en a légèrement rien à foutre, donc bon. Là, on traine non loin du port où nous a laissé, comme deux abrutis qui fument leur cigare.

« - Est-ce qu’on irait pas se prendre une bonne mousse ? demandé-je avec un léger sourire.
- Aurais-tu dore et déjà oublié la mission ? rétorque-t-il en tournant doucement ses yeux vers moi.
- Honnêtement ? Je n’en ai strictement rien à foutre.
- Hum ?
- Je respecte toutes les règles, j’accomplis chaque mission que l’on me donne sans broncher… En guise de remerciement, on m’envoie dans un trou de merde, apparemment le plus grand royaume des mers blues et j’en ai rien à foutre. Personne pour surveiller ce que je fais. Mon rapport sera naturellement falsifié.
- Le voici maintenant en pleine crise d’adolescence. marmonne Daniel, fumant son cigare et pointant son regard vers le ciel.
- On n’a aucune chance d’obtenir des informations. La marine n’est pas la bienvenue ici, on doit trouver un moyen d’entrer dans la révolution, et rien que cette phrase prend énormément de temps. Daniel, franchement, c’est pas pour moi.
- Et que fait-on ?
- On se la coule douce et on retourne rejoindre les autres, on dira qu’on a absolument rien vu d’anormal. Soit la révo est absente, soit elle est extrêmement prudente, à tel point que nous n’ayons rien aperçu.
- Et tu penses avoir ta promotion avec ça ?
- On se tire sur Grand Line d’ici peu, alors bon. »

J’entends bien les doutes de Daniel, mais je suis sûr de ce que je fais sur ce coup. Le gouvernement n’a quasiment aucun pouvoir ici, ils m’envoient ici dans l’espoir de débusquer quelque chose, sauf qu’ils savent pertinemment que je ne trouverais probablement rien. L’amirale en chef elle-même, après sa récente discussion avec Salem, sait que je ne suis pas le genre à me faire avoir aussi facilement. Alors je passerais simplement du bon temps ici.

« Tiens, ce bar peu accueillant semble cacher un fort potentiel. dis-je en pointant du doigt cet établissement. »

Toujours aussi stoïque, Daniel me suit sans dire le moindre mot. J’aimerais qu’il me dise le fond de sa pensée plus souvent. Son cerveau, c’est une mine d’or. Il est certainement… Non. Il est bien plus performant que le mien. Il doit être aux alentours de dix-huit heures, l’heure où tous les ivrognes se donnent rendez-vous. Sur les marches menant aux portes de l’établissement, se tient un homme tranquillement assis.

« Bien le bonsoir, monsieur. d’une voix dynamique, le cigare à la main. Cette taverne offre-t-elle des bières d’exceptions ? C’est-à-dire que nous avons longtemps voyagé et que nous aimerions profiter. »

Le début de ma soirée dépend probablement de ce type.




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Posant l’arrière de sa tête sur la colonne en bois à laquelle il était adossé, le Serpent réfléchissait. Légèrement éméché – ou peut-être un peu plus, admettons – il scrutait le chemin en sable qui logeait la plage. Si cette dernière s’étendait à perte de vue, ou presque, le chemin lui, se perdait assez rapidement entre deux maisons. L’ancien marin ferma les yeux quelques secondes, et, alors qu’il manquait de peu de s’assoupir, fut tiré de sa torpeur éthylique par une voix. Ils étaient deux, et il ne les avait pas entendu arriver.

C’était d’ailleurs assez rare. En général, il avait tendance à vouloir tout contrôler, mais l’alcool l’avait déstabilisé. De fait, ces deux hommes d’affaires en apparence semblaient être sortis de nulle part. Ce n’était évidemment pas le cas. Le Serpent réalisait qu’il avait dû perdre la notion du temps et qu’il avait raté leur arrivée via le petit chemin. Un rapide coup d’œil à leurs chaussures suffit à confirmer cette théorie, puisqu’elles étaient recouvertes d’une légère couche de poussière. L’odeur du cigare vint à ses narines avant même qu’il ne s’attèle à répondre. En réaction, il sortit doucement de la poche interne de sa veste un paquet de cigarettes de mauvaise qualité, et s’en alluma une à l’aide d’une allumette, qu’il souffla et lança au loin.

« Des bières d’exception. » Se contenta-t-il de répéter, avant de tirer une longue latte de sa cigarette. « Non, pas vraiment. » Répondit-il, avant de lancer un coup d’œil au duo. Jusqu’alors il s’était contenté de fixer leurs chaussures. Quelque chose le gênait, mais il n’avait pas la moindre idée de quoi. Le jeune était … plutôt jeune. Selon l’analyse du déserteur, il ne devait pas arriver à la trentaine. S’il avait réussi dans les affaires, c’était soit un mec plutôt doué, soit un héritier. Dans tous les cas, il portait plutôt bien le costume. Joseph n’arrivait cependant pas à avoir une bonne vision du deuxième. Il était resté dans l’ombre d’un peuplier qui était proche du rade, et les derniers rayons de soleil n’étaient de toutes façons pas suffisants pour qu’il ne se fasse une claire idée de son fasciés. Il semblait plus âgé, cependant.

« Du moins rien qui ne puisse aller à deux … hum … » S’arrêta-t-il en cherchant ses mots. Ne trouvant pas une manière correcte de les dépeindre, il s’en passa tout simplement, retournant par la même occasion à la conversation.

« A moins que vous ne cherchiez à vous encanailler, je vous déconseille ce rade. C’est tout juste si leur whisky est buvable. Quant à la bière, vous devriez aller boire directement de la mer. » Ajouta-t-il en pointant cette dernière du doigt. « L’eau en a le même goût et me semble plus agréable au palais. » Si le ton était péremptoire c’était principalement parce que c’était son estomac qui s’exprimait. Ce dernier semblait tout au plus tolérer les litres du liquide ambré qu’il avait ingurgité ces dernières heures. « Par contre il me semble qu’il existe un boui-boui pas trop dégueulasse dans le coin. Où est-ce que c’était déjà ? »

La veille il avait pris un verre de gnole plutôt acceptable à un jet de pierre de là où ils se trouvaient. Mais il avait un peu de mal à se souvenir du lieu en question. Le symbole de la taverne était une pieuvre a trois yeux, dans ses souvenirs, mais le nom lui échappait autant que l’adresse exacte. Etait-ce dans la rue d’à côté ? Dans la suivante ?
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Des questions pourtant simples, ce type met un temps considérable à nous répondre. Et au-delà du fait qu’il soit peut-être légèrement alcoolisé, je pense plutôt qu’il nous analyse de la tête aux pieds. Nous ne sommes pas tombés sur le dernier des abrutis, j’en suis maintenant persuadé. Et comme inspiré par Daniel et moi, ce dernier allume un cigare qu’il fume - et que je n’aurais probablement jamais fumé - avant de nous répondre.

« Je comprends. T’es fauché et tu détruis le crâne, le cerveau et le foie dans un taudis où on te sert de la merde. dis-je en levant la tête, essayant de comprendre le nom illisible de la taverne. »

Alors que j’inhale sans le vouloir la fumée, l’odeur, qui s’échappe de son cigare, mes doutes se confirment concernant la qualité de celui-ci. Sans pour autant juger ou critique les moyens des uns et des autres, je réalise malgré tout que j’ai beaucoup de chance d’avoir les moyens que j’ai actuellement. J’ai au moins le mérite de boire et fumer des produits de qualité. Enfin. C’est pas tout, mais il me faut chercher une solution. Un passant, totalement banal passe naturellement devant nous, c’est alors que je le saisis par le col.

« - Pardonnez mes manières, je suis assez pressé. Pouvez-vous simplement m’indiquer la direction à prendre pour se rendre au bar proposant les meilleurs breuvages ?
- Euh !… dit-il étonné en s’apercevant de mon regard froid complètement contradictoire avec ma voix cordiale. B-Bien sûr ! Cinq-cent mètres plus loin, le long du port, vous tomberez sur un bar qui se nomme « Chupitos ». On y boit essentiellement des shots, car leurs prix sont avantages en plus d’être les meilleurs en terme de qualité. Mais si vous le souhaitez, ils servent également des verres tout à fait normaux et de biens meilleurs goûts que les autres.
- Le peuple vous remercie. rétorqué-je en lâchant son col. »

Je reviens vers Daniel et notre bel inconnu. Je leur fais signe, à tous les deux, de me suivre. Je pense que notre bel inconnu doit être surpris, mais étant donné son état, probablement une situation financière pas exceptionnelle, je préfère me dire que je suis un cadeau divin pour ce dernier. Autant se le dire, je suis là pour passer du bon temps un petit moment, puis je me tire de ce trou pourri. Un trou qui n’est autre que le plus grand royaume des blues.

Chupitos.

Je crois que nous y sommes. Et c’est lisible cette fois-ci. Nul besoin d’attendre davantage et regarder la porte de celle-ci pendant des heures. C’est d’ailleurs sans un mot que, Daniel et son physique relativement impressionnant, entre le premier en me doublant le plus naturellement possible, son fusil à la main. Par politesse, je fais signe à notre invité d’entrer également, pis je ferme la file.

L’ambiance est de suite plus festive, des types un peu plus chics et les âges varient totalement. Jeunes, travailleurs, retraités, femmes, mères, on a de tout. Ça picole à fond. Daniel est déjà installé au comptoir, une lignée de shots en face de lui, c’est alors qu’il nous invite à nous asseoir à côté de lui. Aussi vite qu’un gosse assoiffé, je m’installe sur le tabouret à côté, faisant signe à notre nouvel acolyte de nous rejoindre.

« Assieds-toi et prends-toi un shot, le premier d’une longue série. Et avant de trinquer, présente-toi, camarade ! dis-je le sourire aux lèvres, assez jovial.  »

Daniel me dévisage, toujours silencieusement. Je ne sais pas ce qu’il me prend. Probablement que je suis sous tension ces derniers et que le besoin de me lâcher s’impose.


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Lorsque que le plus jeune de ses deux interlocuteurs attrapa un passant par le col, le Serpent plissa les yeux, dubitatif. Pour un homme d’affaire, il avait des drôles de manières. Le deuxième gars, lui, ne semblait pas lui en tenir rigueur. De son attitude – et de sa carrure – l’ancien marin supposa qu’il devait jouer le rôle de gros bras, ou de garde du corps, malgré son impeccable costume. Il ne pouvait pas mettre sa main à couper, mais il se doutait qu’il y avait une sorte de relation hiérarchique entre les deux hères, le jeune payant sans doute le plus vieux pour être à ses ordres, ou quelque chose comme ça. Dans tous les cas, ce dernier n’esquissa pas le moindre geste lorsque le premier secoua un pauvre passant comme un prunier. C’était une manière peu orthodoxe d’obtenir des informations, mais ô combien efficace. Lui-même avait tendance à utiliser ce genre de méthodes lorsqu’il s’y sentait obligé. Même si, entre nous, il ne l’avait jamais employée pour trouver un rade. Mais il y avait un début à tout après tout !

Chupitos donc. Pour boire des shots. Serpiente était tiraillé. D’un côté, il n’avait pas la moindre envie de suivre ce duo, il ne les connaissait pas, et il n’aimait pas trop boire en groupe. D’un autre côté, il semblait bien qu’on venait de l’inviter. De plus, il était assez rare qu’avec ses moyens il ne puisse se permettre de boire autre chose que des tord-boyaux rendant à moitié aveugle. Ceci dit, s’il perdait la vue, son cache-œil pourrait avoir un semblant d’utilité… Haussant les épaules, et cédant – sans trop savoir pourquoi – à sa soif, il se leva lentement de son perron en bois. L’homme qui venait d’être interrogé lui, n’avait pas attendu pour déguerpir, ne s’attendant probablement pas à se faire interroger sans autre forme de procès. Grand bien lui fasse, ils avaient beau être à Luvneel, le monde restait dur et cruel pour les faibles. Il s’agissait là de l’une de ses réflexions hautement philosophiques qu’il lui arrivait d’avoir lorsqu’il dépassait les deux grammes d’alcool dans le sang.

Ils avaient marché à peine quelques mètres, en silence, que le quartier semblait s’être transformé. Les jardins et les grandes maisons avaient remplacé les vieilles bicoques qui entouraient la plage. Même les pavés de la route semblaient de meilleure facture. Joseph s’alluma une sèche, jetant l’allumette tout juste éteinte dans le caniveau, et inhala un bon souffle de fumée. Alors que le grand gaillard poussait la porte sous l’enseigne lumineuse qui annonçait à tous le nom du bar, le déserteur s’arrêta une seconde pour regarder la rue, presque déserte malgré l’heure peu avancée, puis il s’engouffra dans la taverne, s’asseyant à côté du jeune homme, sans un bruit.

Ce dernier lui proposait, comme si de rien n’était, un shot d’une couleur violacée des plus surprenante. De son œil valide, il fixa le verre, puis regarda l’homme. « Vous pouvez m’appeler Serpiente. Et vous êtes ? » Dans le tumulte du bar, il dut élever un peu la voix. Donner son vrai nom ne lui avait même pas traversé l’esprit. De toute façon, Joseph Snake était mort lors de son départ de la marine, et il ne comptait pas le ressusciter. Encore moins dans une ville et auprès de personnes qu’il ne connaissait ni d’Adam, ni d’Eve.

« Et vous êtes … ? » se permit-il de répondre, alors qu’il prenait un verre du bout des doigts et en regardait la couleur par transparence. Il était bien d’un violet improbable. Une expérience qui promettait. Et puis, il était prêt à toute éventualité, surtout si la situation dégénérait. Les combats de bar étaient l’une de ses spécialités, après tout, et tant qu’il avait son épée à sa ceinture, il ne risquait pas grand-chose. Ou du moins c’est ce que son esprit enivré lui murmurait à l’oreille, sans doute inutilement.
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Serpiente ? En voilà un drôle de nom. J’imagine que c’est un nom de scène ? À mon tour, j’avale l’un de ces petits verres d’une seule traite. C’est donc à notre tour de nous présenter. Nous sommes censés être en mission top-secrète, alors j’imagine que décliner mon identité n’est pas une bonne idée, d’autant plus que mon nom se répand. Pas seulement en tant que commodore de la marine, mais aussi en tant qu’héritier d’une richissime famille de pourris.

« François. François Vermillon. en regardant le dénommé Serpiente. »

Daniel se met alors à boire deux culs-sec, comme pour se retenir de rire. Il reste stoïque et ne laisse aucun signe s’échapper. François, c’était le nom d’un voisin avec lequel on jouait autrefois, tué au cours d’une mission, ou peut-être Jamal qui ne pouvait pas le blairer. Oui, Jamal, mon immonde frère jumeau. C’est probablement le pire criminel que je connaisse, et devinez pour qui il bosse… Le gouvernement.

Sur ces pensées, je me remets un cul-sec dans le gosier, qui réchauffe toutes mes cordes vocales. Je bosse pour des criminels pour arrêter d’autres criminels. Qui est le plus gros criminel dans l’histoire ? J’en sais foutrement rien. Je ne préfère pas trop y penser pour ne pas replonger dans mes songes obscurs. D’un regard, j’insiste sur la présentation de mon fidèle ami, qui ne s’est toujours pas présenté auprès de notre invité.

« Hem… lâche-t-il embarrassé. Michael-Ange. Seulement Michael-Ange. »

Alors que j’étais en train de boire, je me vois cracher tout ce que j’avais avalé. Merde. Je me retiens d’exploser. Des larmes s’échappent de mes yeux sans que je puisse contrôler quoique ce soit, les mains devant ma bouche pour empêcher un quelconque son de sortir. Le regard droit devant moi, je n’ose pas me tourner vers Serpiente, encore moins vers Daniel avec lequel je risque de pleurer de rire.

« Pardonnez-moi… C’est plus fort que moi. Mickey !… »

Et là, ça part. Je pleurs de rire. Je rigole comme un gros connard, sous les regards impuissants de mes deux compagnons. Allez, pour me faire oublier, je paye ma tournée. C’est alors qu’un type venu de nulle part, me tapote l’épaule pour me défier à un jeu de fléchettes. Paraît-il que ce dernier cherche un adversaire digne de sa personne. Il a défié bon nombre de personnes ici, mais aucun n’a su le faire suer.

C’est alors qu’une idée me vient.

« Serpiente ! Malgré ton handicap, je suis certain que tu disposes d’une vue exceptionnelle. Détruis-moi ce type à son jeu et je te paye une tournée de ce que tu veux. La soirée ne fait que commencer et j’ai de l’argent à foutre en l’air. »

Daniel, dos à la situation, reste silencieux et continue de boire accoudé au comptoir. Il ne souhaite pas prendre parti, il esquisse simplement un sourire, amusé par la situation. Il devrait arrêter la picole. Tel que je le connais, en continuant ainsi, il risque d’atteindre un degré d’alcoolémie élevé et regrettera probablement ses actes. Il n’était pas le roi de la bringue pour rien sur Saint-Uréa.

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Le Serpent plissa son seul œil visible, et pinça un peu les lèvres. Depuis le début, il sentait que quelque chose clochait, mais son évidente ébriété et la cocasserie de la situation ne lui permettaient pas de mettre le doigt sur quoi. Que des hommes d’affaires se retrouvent à boire des verres avec un homme de classe basse passait encore, après tout, certains hurluberlus pleins d’argent avaient pour vocation d’améliorer le présent de leurs congénères. Qu’ils choisissent un bar un peu plus guindé, de surcroit, allait de pair avec cette hypothèse. Mais il n’y avait pas que cela.

Ces petits regards complices trahissaient une situation hors du commun, et bien plus que de boire des verres avec un inconnu, aussi borgne celui-ci fusse-t-il. Mais encore une fois, l’ambiance de fête et les verres qui se succédaient (et qui s’était déjà succédé) n’aidaient pas le déserteur à réfléchir. Oh non. Au contraire. Et lorsqu’il pensait tenir quelque chose, ses pensées s’enfumaient, autant à cause de l’alcool que de la discussion qui animait le trio. Allons bon, il n’avait qu’à plus y penser. Si c’était important, alors, il comprendrait. Sinon c’est que ça n’avait pas tant d’importance. Après tout, quelles étaient les chances que ces deux bonhommes soient derrière lui ? Ou pire, qu’ils soient de la marine ? Quasiment aucune !

La réaction du plus menu, lorsque le grand gaillard donna son nom, le sortit de sa torpeur, ceci dit. Déjà que le premier nom ne ressemblait à rien … « Seulement Mickey L’An.. » commençait à répondre le Serpent lorsque le troisième homme éclata de rire, à sa grande surprise. Pourtant, ce n’était pas si drôle, Mickey L’Ange. Ceci dit, s’il s’agissait d’un surnom il semblait plutôt étrange. Il n’avait pas grand-chose d’un Ange, le bonhomme. A moins que les anges ne fussent des grands gaillards de la sorte. Mais d’un autre côté, peut-être que telle était la façon dont ils les voyaient sur leur île d’origine ? C’était une discussion intéressante qu’il aurait pu lancer, si un inconnu n’avait pas débarqué de nulle part. Alors qu’il entamait la discussion, le Serpent se rendit compte que machinalement il avait mis sa main sur le pommeau de son épée, trahissant par la même occasion qu’elle n’était pas là uniquement en décoration.

« Vieux réflexe. » Marmonna-t-il alors que François lui proposait … une partie de fléchettes. A un borgne. Son visage se figea d’étonnement. Décidément c’était la soirée pour les surprises. Normalement les gens qui n’avaient qu’un œil n’avaient pas de problème d’axes, mais plutôt de profondeur. « Je peux essayer, mais bon, j’suis pas sûr que … » essaya-t-il vainement de se dédouaner à l’avance. Déjà, parce que cette situation le mettait dans une situation inconfortable. Il n’était pas plus borgne que vous et moi. S’il portait ce bandeau c’était principalement parce qu’il s’agissait du seul déguisement qu’il avait trouvé de facile. De plus, il lui permettait de se fondre dans la masse plus facilement. Du coup, s’il était trop bon, ils allaient se douter de quelque chose. D’un autre côté… s’il était trop mauvais aussi !

C’était donc un Serpent tiraillé qui se présenta face à la cible, une fléchette à la main. Il lança, essayant de viser le cercle extérieur de la cible. De la sorte, il ne passait ni pour un as de la fléchette, ni pour un gros nullard. Manque de pot, l’arrière de la flèche était légèrement abimé, et ce fut en plein centre de la cible qu’elle finit sa course. « Mer… heu… super. Je crois. Je ne connais pas trop les règles. » maugréa-t-il alors que son adversaire prenait place à son tour au niveau de la ligne du sol. « Coup de bol, on dirait ! Ahah ! La chance du débutant ! » Le spécialiste lança sa fléchette, mais ne put réussir un meilleur résultat que l’ancien marin. Au tour suivant, pour ne pas le vexer, le Serpent décida de tirer plein centre. Comme les fléchettes étaient plutôt de mauvaise facture, il était probable que sa trajectoire soit déviée et que du coup … du coup rien du tout. Il avait touché de nouveau la cible en plein cœur. Son adversaire cette fois-ci fronça du sourcil. Comme il s’agissait de leur première visite des lieux, aucun membre du déluré trio ne pouvait savoir que ce joueur invétéré n’aimait pas perdre, mais alors pas du tout. Ronchon, il lança à son tour et fit mouche, puis il pointa du doigt le borgne en le défiant de faire mieux.

La dernière fléchette était arrivée, et c’était celle-ci qui allait déterminer la victoire ou la défaite. Ce dont il ne pouvait se douter, c’est qu’en périphérie de ce petit défi, certains avaient profité pour lancer quelques paris. Et pas à base de quelques piécettes non, on était dans un bar de la haute, après tout. Ça pariait en milliers de berries, comme si de rien n’était. Alors qu’il allait s’élancer, un bonhomme à l’air louche bouscula le Serpent, qui laissa tomber son projectile de la main. Son adversaire arbora un sourire narquois une seconde, le temps de se rendre compte que la fléchette venait de se planter dans son pied. Ne portant qu’une vulgaire paire de tongs, elle se figea dans la chair dans un petit bruit sourd. Ce dernier fut suivi d’un cri de pucelle, qui manqua d’arracher les tympans du faux borgne.

Ça dérapait un peu là.
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Un élément intéressant s’est produit alors que le type aux fléchettes est venue nous interrompre. Notre borgne préféré a instantanément posé la main sur son arme, prêt à dégainer au moindre faux pas. C’est naturellement un élément qui n’a pas échappé à nos regards attentifs. Daniel, lui, a simplement tourné la tête le temps d’un instant, avant de se retourner à nouveau vers la serveuse avec laquelle il discute.

La partie commence assez. Serpiente touche le centre de la cible, j’en profite aussitôt pour miser gros sur lui. Je savais que ce mec cachait un potentiel incroyable. J’aurais pu jouer à sa place mais il m’aurait été impossible de parier à ce moment. Là, l’occasion de se faire du fric est trop grande. Non pas que j’ai besoin d’argent, mais retirer la seule satisfaction de gagner me réchauffe le coeur. Puis je comptais filer le blé au borgne.

Mais c’est ainsi que lors d’une dernier lancé, ce dernier interpelle mes sens à l’aide d’un cri des plus efféminés. Daniel se retourne à nouveau, cette fois-ci en écarquillant un oeil au son dégagé par cet homme, avant de boire un énième shot cul-sec. Pour ma part, j’affichais fièrement les prouesses de Serpiente, mais je perds instantanément tout crédibilité à cause de ce cri de lopette. Ce n’est qu’une fléchette, merde !

« Oy !… Reprends la fléchette et termine ce trou du cul. Ce n’est quand même pas ça qui t’arrêtera. Allez, gagne-moi ça qu’on se paye des coups à boire ! dis-je accoudé au comptoir, le regard sereinement posé sur mon gagne-pain. »

Et c’est là que des types s’approchent fièrement de moi.

« - Gamin, c’est mort. La fléchette est tombée. La seule chose qu’il a visé, c’est son pied. Gwahahaah ! postillonne et rigole un homme aux traits ignobles.
- Il a raison. Un lancer c’est un lancer. La règle est la même pour tout le monde. reprend un autre plus sérieusement.
- Tirez-vous de là, gros lards. Il a été bousculé et a lâché sa flèche à ce moment. Je le sais, vous le savez. rétorqué-je froidement, le regard glacial.
- Surveille ton langage, sale gosse ! Tu n’sais pas qui on est, et crois-moi, ça vaut mieux pour toi !
- J’en ai rien à cirer de savoir qui tu es, gros lard. Si tu tentes de me la mettre à l’envers, je te plombe. Si tu m’adresses la parole de manière irrespectueuse, je te plombe également. Et si tu tentes de m’agresser, je te plombe.
- On va t’refaire ton éducation ! »

Les deux gros lards s’élancent vers moi, les poings armés vers l’arrière. Nous sommes dans ce fameux gros cliché des combats dans les bars. Ils sont si lents. Je les vois s’approcher de ma position aussi lentement qu’un escargot. Ils avancent si peu vite que j’en ai la flemme de bouger le moindre de doigts. Ma flemme s’exprime tellement que, finalement, c’est une balle frôlant le nez de l’un, qui stop leur course avant de s’écraser au centre de la cible des fléchettes.

Les gros dindons se retournent vers l’auteur de ce tir, le grand Daniel et son fusil qui fume encore.

« La prochaine fois, messieurs, ce seront vos petits nez qui feront offices de cible. affirme Daniel d’un air lassé. Maintenant, si vous le permettez, j’aimerais bien boire en approfondissant ma conversation avec cette charmante demoiselle. »

Le gros lourd… Je pensais qu’il avait fait ça pour me protéger, mais c’était seulement pour impressionner la serveuse. Ma déception est quelque peu profonde. Cependant, on ne me laisse pas le temps de panser mes plaies, puisque le joueur de fléchettes tente de s’échapper du bar. Quel espèce de lache… En voyant ses chances de succès s’éloigner encore plus vite que lui, il décide de s’échapper.

« Oy !… La partie n’est pas encore terminée. Un pas de plus et c’est avec une balle dans le fion que tu ressortiras d’ici. »

Un sursaut plus tard, le type s’arrête et revient la tête baissée. La partie peut enfin reprendre. En un instant, le bar est devenu notre. Bizarrement, personne n’est venu nous reprendre après le tir de Daniel. Soit c’est régulier et banal, soit tout le monde estimait cet acte juste, soit des choses pas très sympathiques nous attendent. En effet, il y a des types au fond du bar qui semblent occupés par des choses plus importantes. Je sens que si leurs regards se posent sur nous, on va pouvoir s’amuser.
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Le Serpent, comme extérieur à la scène, soupira puis croisa les bras. D’un côté des truands, de bas étage. Il leur ressemblait étrangement, au final, après ces années passées en cavale, et il n’était pas dupe, il ne le savait que trop bien. De l’autre côté, des truands, mais en costume. Ou pas loin – d’être des truands, pas d’être en costume. Il ne leur ressemblait pas du tout, ou plutôt, pas du tout en apparence – en somme, je reparle du costume là, si vous avez bien suivi. Et malgré ces ressemblances, il se retrouvait pour la première fois – ou presque – du côté des puissants, des riches, voire des dirigeants. Et, s’il n’était pas sûr d’aimer ceci, ce n’était pas tant parce qu’il venait de s’inventer une conscience politique, loin de là, c’était plutôt… En réalité il n’était pas vraiment sur de ce qui le dérangeait, mais dans tous les cas, l’attitude des glandus du rade l’aidait à ne pas trop y faire attention. Quelques énergumènes avaient donc décrété que son ‘lancer’ – car selon eux il s’agissait bien d’un lancer – était valide, donc nul. Ce qui était une manière comme une autre de le faire perdre. Il avait commencé par hausser les épaules, avant de laisser son compère prendre la main, avec pour principale réussite de provoquer une petite échauffourée.

Aucun vent de panique ne vint perturber le trio, cependant. Le Serpent, un peu ailleurs, avait gardé les bras croisés, alors que le plus jeune, Francois Verre-mi-long, ne semblait pas plus concerné que lui par la situation. Le grand Michel, par contre, s’était muni d’un fusil à la vitesse de la lumière. D’où avait-il sorti sa pétoire d’ailleurs ? Etait-il possible qu’il l’eut porté sous son costume cintré ? Ca n’avait pas dû être facile de l’y camoufler, à moins qu’il n’eut préparé le coup à l’avance… Dans tous les cas, le déserteur plissa les yeux et regarda la cible. Elle avait pris un bon coup sur le bout du pif, la pauvre. La cible changée, il était donc l’heure du du du du du du-el.

Pourtant loin d’être possédé par une entité cosmique égyptienne, le Serpent se résolu à gagner la manche, contrairement à ce qu’il avait prévu à l’origine. Il avait eu l’occasion, lors des premiers lancers, de tout rater et de lâcher l’affaire, mais désormais, il s’agissait d’une question d’honneur. D’HONNEUR ! Ces saltimbanques avaient tenté de le rouler, et il n’aimait pas trop ça. Il était à deux doigts de serrer le poing, et de menacer la lune avec, tel un fou qui se sentirait menacé, mais il prévu autre chose. Il attrapa son bandeau, et le repositionna, cachant cette fois son autre œil. Derrière lui le tumulte. Les cotes avaient changé, et les paris s’enchainaient comme les clients dans un hôtel de passes.

Son œil gauche, légèrement plus clair, voyait aussi bien que le droit, mais ça, le reste de l’assistance ne le savait pas. Ce n’était pas son problème. Il attrapa la fléchette comme un couteau de lancer, et la jeta sans même regarder la cible. Evidemment, elle avait fini sa course folle en plein centre de la cible. L’espace d’une seconde, le bar était devenu aussi bruyant qu’un cimetière, avant de reprendre dans un brouhaha constant. Le faux borgne se tourna alors vers la table, ou plutôt, vers les verres d’alcool qui y étaient posés, et silencieusement, presque religieusement, il avala le contenu de l’un d’entre eux.

« Je crois que j’ai gagné, là. » Dit-il, laconique.

Oui. Il avait gagné, et ce n’était pas le seul ! Certains parieurs se dirigeaient vers d'autres, réclamant leur somme. Et les perdants ne semblaient pas très motivés pour lacher le pactole...
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Comme prévu, monsieur Serpent détruit, explose, humilie aisément son adversaire. Forcément satisfait, je me dirige vers les parieurs qui, décidément, ne sont pas décidés à vouloir me respecter. En effet, refusant de me filer l’argent qu’ils me doivent, ils semblent dans un premier temps gentiment me pousser vers la sortie. Refusant dans un second temps, ils se lèvent face à moi pour tenter de m’intimider.

« - Messieurs, messieurs… Auriez-vous oublié mon ami à la gâchette facile ? dis-je d’un air arrogant, le sourire en coin?
- Tu nous prends pour les p’tits rigolos de tout à l’heure ? s’interroge l’un d’entre eux.
- Nous avons également des amis aux tendances assez obscures. reprend l’un d’eux, assit derrière, les jambes croisées avec un cigare coincé entre ses lèvres. »

En y prêtant un peu plus d’attention, ces types sont aussi élégant que moi, plus calmes que les autres guignols, et probablement plus dangereux. Que dois-je faire ? Je suis ici seulement pour inspecter le royaume, analyser les travaux de la révolution, et non pour me retrouver au milieu d’une guerre face à des mafieux dont j’ignore la puissance. En même temps, c’est ma fierté d’homme qui est en jeu dans cette affaire.

[•••]

Non loin de la position du commodore.

Daniel toujours assit face aux prestations de Serpent, boit tranquillement ses verres le temps que ce dernier finisse. Victorieux, le borgne s’approche de du marin pour se saisir d’un verre, mais ce dernier le lui refuse l’accès en le regard d’un air de mort. Enfin, me diriez-vous, c’est probablement son regard habituel. Son regard persiste au niveau de l’oeil de son invité.

« Dis, Serpent, à quoi te sert de jouer le borgne ? demande Daniel, lentement et calmement. »

En espérant que ce dernier n’ai pas prévu de jouer au plus malin avec lui, un corps disparu dans les fonds marins, ça ne serait pas la première fois. Daniel est un peu comme les inspecteurs à l’ancienne, prêt à tout pour obtenir la vérité. Faire disparaitre des cadavres est monnaie courante chez lui. Les techniques de tortures, de dissuasions, de manipulations… Ce type est tout bonnement plus dangereux que moi. Heureusement qu’il est mon ami d’enfance.

[•••]

« - Je ne saisis pas réellement la portée de vos actes. Vous avez pariés, vous avez perdus, à quoi bon rendre votre défaite encore plus lourde ?
- N’insiste pas gamin.
- Gamin ?… dis-je en serrant les deux quelques instants. Que diriez-vous si j’acceptais de partir mais… que je m’amusais en contre-partie à ternir votre image ?
- Alors le corps d’un gamin serait amené à disparaître.
- Appelle-moi gamin encore une fois, et c’est une bonne partie de tes dents que tu devrais ramasser en me suppliant de ne pas t’enlever celles qui te restent. d’un ton cette fois-ci moins amical, plus froid.
- Pour la dernière fois, tire-toi avant que l’on te tire dessus, gamin. »

Encore un qui ne veut définitivement pas comprendre. Il y a des priorités dans la vie, des choses que l’on ne peut pas réellement contrôler. Le « gamin », c’est vraiment le truc qui me met hors de moi. Je ne suis peut-être pas très grand de taille mais j’ai passé l’âge de raison. Puis je commodore, merde ! Déjà qu’ils osent me traiter comme un moins que rien, si en plus on me crache ouvertement à la gueule, c’est mort.

La tête baissée, j’entends tous ses hommes se moquer de moi. Pourquoi hésiter ? Ma conscience professionnelle me pousse à garder mon sang-froid. Mais la vérité est que je n’y parviens pas. Alors sans même qu’il puisse le remarquer, le type qui m’a insulté voit ma tête à deux centimètres de lui. Son visage se décompose. Ses collègues sont assez surpris également.

« Je tiens toujours à respecter ma parole. dis-je presque solennellement. »

L’instant suivant, mon poing frappe sa bouche avec force, le faisant valser au loin. Au sol, en plus de son sang, on peut observer quelques dents. Je relève fièrement ma tête vers les autres, leurs visages effrayés. Il reste toujours ce mec assit, toujours en train de fumer, bien trop serein à mon goût. Probablement le chef accompagné de ces associés, ce ne sont pas des combattants.

« Et maintenant, vous payez ou je continue le massacre ? »

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Fier comme un paon, le Serpent replaça son cache-oeil, sous l’air médusé de certains clients. Il avait atteint le plein centre de la cible, de son mauvais œil ? Mais … c’était un miracle. Ou alors peut-être trichait-il depuis le début ? Si quelqu’un avait envie de lui poser la question, il ne s’était pas avancé pour autant, probablement parce que, à quelques mètres d’eux, se déroulait une autre scène, ma foi plutôt cocasse. Quelqu’un osait déranger Il Capo.

Tous les paris du quartier passaient par sa validation, et c’était donc tout à fait intentionnellement qu’il avait lancé ce petit défi. S’il n’avait pas la moindre idée qu’il s’adressait à un membre de la marine – et encore moins à un Commodore – il n’en restait pas moins convaincu que son interlocuteur n’était pas un quidam quelconque. Loin d’être bête, le maffieux du coin se doutait qu’il pouvait essayer de tirer parti de la situation. Certains de ses hommes de main – pas lui, loin de là – avaient donc parié une somme rondelette contre Francois et avaient perdu. Lui-même avait été tenté d’en faire de même avant de se douter qu’il y avait anguille sous roche. Il avait donc demandé à certains de ses laquais de se disperser dans la salle, et de se préparer. Ils ne tarderaient pas à intervenir. En attendant, il suffisait d’énerver assez leur nouvelle cible pour qu’il déclenche les hostilités, ce dont Ethan – pardon, François se chargea sans aucun problème. Le but du « patron » du coin était assez évident. Il allait détrousser ce gosse. Et l’autre vieux aussi. Et le mec louche tant qu’à faire – même s’il doutait de l’utilité de la chose. Les jambes croisées il cendra à même le sol avant de reprendre une bonne bouffée de fumée de son gros cigare. Puis il claqua des doigts. Les choses sérieuses allaient commencer.

Pendant ce temps, le Serpent se retrouvait nez à nez avec Mickey l’Ange. Ce dernier semblait réellement dérangé par le petit tour de passe-passe de l’ancien marin. Ce dernier, pas décontenancé pour autant, s’assit à la table, et posa ses bottes sur un tabouret inutilisé. Pourquoi se faisait-il passer pour un borgne ? Parce qu’il ne l’était pas, pardi. « Lorsque des hommes dangereux sont à la poursuite d’un homme des plus banals, ils ne s’arrêtent que peu de temps à suivre la piste d’un borgne, tout simplement. » Lança-t-il calmement. Et c’était vrai. Si les hommes de son ancien patron lui courraient toujours derrière, il avait gagné pas mal de temps grâce à ce subterfuge. « Pourquoi cette ques… » Essaya-t-il de continuer, avant d’être interrompu par un bruit des plus singuliers qui déchira le tumulte du bar. Il reconnut sans le moindre mal ce son, comme la plupart de la clientèle. Quelqu’un venait de tirer un coup de feu. Et pas un petit coup de feu de rien du tout non. Au contraire. Un bon vieux coup de fusil, ou une arme assimilée. Le Serpent sursauta de sa chaise et manqua d’en tomber, puis porta sa main à la garde de son arme. Lorsqu’il se retourna, il ne comprit pas la scène qu’il observait : L’homme au cigare avait levé un pistolet d’une taille démesurée et avait explosé le plafond, en tirant à travers.

Juste au-dessus d’Ethan, qui plus est.
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Tandis que le Serpent sursaute au point de presque tomber de sa chaise, Daniel, lui, se contente de légèrement et calmement tourner sa tête vers le coup de feu. Lorsqu’il aperçoit Ethan en face du tireur, il se retourne vers son interlocuteur : le Serpent. Tant que c’est Ethan, tout va bien. Il s’en sort toujours. Bien que parfois impulsif, le commodore n’en reste pas moins quelqu’un d’extrêmement réfléchi d’intelligent. Daniel en a vu des seconds devoir nettoyer les conneries de leur capitaine, mais cela n’a jamais été son cas.

« Ne t’égare pas, brave Serpent. Reprenons notre discussion, veux-tu ? demande Daniel, toujours de cette voix calme et rassurante. »

Daniel n’aura jamais la prétention de croire qu’il a flairé quelque chez cet homme, mais disons qu’il est assez curieux de nature. Ce dernier a toujours voulu être détective, sauf qu’il a fini cuisinier. La vie ne prend pas toujours les chemins que l’on désir. Contrairement à Ethan, Daniel vivait dans des conditions assez modestes, il prit alors le premier job qui lui permettait de subvenir aux besoins de sa famille. Grâce au commodore, ami d’enfance, son salaire compte plus de zéro qu’il n’en jamais amassé dans toute sa vie.

« Qui sont ces méchantes personnes qui te poursuivent ? Nous pouvons peut-être t’aider si cette affaire nous intéresse. »

Et voilà qu’il joue le rôle du chasseur de prime à la recherche d’un emploi. Pourquoi pas. Il ne laisse vraiment rien paraître, mais on pourrait presque croire qu’il ressent l’once d’une excitation à l’idée d’avoir un rôle différent de celui d’ordinaire, aussi intéressant et trépident soit-il. Avant que son invité prenne la parole, l’officier saisit le dernier verre encore rempli et le boit d’une seule traite. Il lève ensuite la main pour appeler le barman, accoudé au comptoir, pour prendre une nouvelle commande.

« Une autre tournée, s’il vous plaît. »

Une sacrée descente.


[•••]


« Si jeune et déjà aux portes de la mort. Quelle tristesse. dit l’homme assit sur sa chaise. Je ne te ferais pas l’affront de t’insulter contrairement à l’autre idiot. Néanmoins, si tu ne déguerpis pas d’ici immédiatement, je crains de devoir mettre mes menaces à exécution. »

Un discours plus crédible. Je dirais que ce type est le chef de la meute, nul besoin d’être un savant pour le deviner. Je ne suis plus le petit lieutenant qui pouvait agir imprudemment malgré les remarques de ses supérieurs. Le vice-amiral Fenyang, ce grand connard, n’est même plus là pour observer mes moindres faits et gestes, c’est pour vous dire. J’ai maintenant bien plus d’indépendances, certes, mais également bien plus de responsabilités.

« Très bien. Force est de constater que je ne fais pas le poids face à vous. Alors je vais suive votre conseil des plus avisé. »

Je me retourne et me dirige vers l’endroit d’où je viens. Puis je m’arrête un instant.

« Laissez-moi tout de même vous dire que vos actes n’ont d’égales que votre lâcheté. Vous asseyez votre pouvoir grâce à votre fortune et vos nombreux hommes de main, mais soyons clair, vous ne valez pas le moindre sous à mes yeux. Je ne divulguerais pas mon identité à des êtres aussi misérables, sachez seulement que les moyens de ma famille sont infinis et presque autant de privilèges. Et non. Dieu merci, je ne suis pas un dragon célestes, leur bêtise me répugne. À mon sens, je vaux bien plus que ces types dépourvus de classe. Peu importe après tout. Revoyez vos manières, je ne serais pas aussi docile la prochaine fois. »

Je reprends ma route. Un message fort mais quasiment véritable. Je n’agirais pas car on me l’interdit. J’ai nullement d’attirer la foudre de mes supérieurs, cela serait assez problématique. Rester dans ce bar n’est probablement plus une bonne idée non plus, c’est même pas dit qu’ils nous laissent partir après mon discours. Un homme fier ne laisserait pas passer une telle chose. S’il m’attaque, l’avantage est que je pourrais riposter. C’est de la légitime défense et je pourrais ainsi l’inscrire sereinement dans mon rapport.

« Où comptes-tu aller comme ça, gamin ? m’interrompt une voix familière. »

Qu’est-ce que je disais ? Tellement prévisible.

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Alors qu’il menait son verre à la bouche, le Serpent fut - presque – pris de court par la proposition de son interlocuteur, et arrêta son mouvement. L’autre grand gaillard n’avait apparemment aucune envie de laisser couler. Pire, il insistait fortement, probablement avec une idée derrière la tête. « Les méchantes… » Commença-t-il avant de s’arrêter. Etait-il en train de se moquer de lui ? C’était possible, cette voix doucereuse laissait planer le doute après tout. Comment devait-il réagir ? Ce n’était pas bien clair, mais dans tous les cas il préférait éviter la pique, sans même être sûr s’il s’agissait de ça. « Cela ne me semble pas être une grande idée. » Continua-t-il en secouant la tête, alors qu’il reposait le verre lentement, et prenait une longue inspiration en écoutant le reste de la phrase. Il venait d’aborder le sujet comme s’il s’agissait d’une affaire. Peut-être était-il entré en relation – sans le savoir – avec des chasseurs de primes ? Ils étaient bien trop bien sapés pour un tel emploi, la plupart des chasseurs de primes étant à ses yeux soit des flambeurs qui mettaient en avant leurs petits jouets ( à savoir des armes) soit des clodos qui rataient tout ce qu’ils entreprenaient (à savoir comme lui).

« Après tout je tente avant tout de rester discret et… » Essaya-t-il de s’expliquer avant de s’arrêter. Après tout, s’il passait une excellente soirée, il ne devait pas perdre de vue qu’il ne connaissait le duo ni d’Adam ni d’Eve. Il était assez compréhensible que le Serpent n’était pas très jouasse à l’idée de raconter son histoire à ces inconnus, aussi sympathiques ces derniers fussent-ils.

L’autre gars, le plus jeune, semblait revenir vers eux. Pendant quelques instants, l’ancien marin avait perdu le fil de sa conversation avec le gros monsieur à cigare. S’il revenait vers eux c’était sans aucun doute pour reprendre un verre et pour passer à autre chose non ? Et bien figurez-vous que pas du tout, le bon Ethan s’était retourné encore une fois, pour lancer une tirade qui ne laissait place que peu de loisir à l’imagination. Pêle-mêle, il insultait les gens présents, les dragons divins, les riches et les hommes de mains. Bref, il dressait un tableau peu glorieux de l’assistance, en somme, et qui ne tarda pas provoquer une réaction.

Et quelle réaction.

La plupart des gros bras de la salle pointèrent les armes qu’ils avaient sinon en main, au moins à la ceinture. Le chef de la bande, sorte de baron du coin, n’avait pas apprécié plus que de rigueur les compliments du jeune homme, et ce n’était pas bien difficile de le voir. De rage, il avait serré les dents si fort qu’il en avait coupé son cigare. Son teint, déjà rougeaud à la base, venait de passer à un rouge vif des plus inattendus. Il ouvrit un première fois la bouche pour cracher le bout de cigare qu’il avait presque avalé et une deuxième pour vomir des ordres, enchaînés si vite qu’on avait l’impression qu’il était possédé et invoquait un démon. « Putaindemerdedégommezmoicepetitconnardetsespotesaussietfoutezmoiçaenpiècesetjetezlezalamer. » Ou quelque chose comme ça.

« Woputain. » réagit le Serpent, alors que l’assistance commençait à tirer. Dans un geste de survie improbable d’un mec ayant autant picolé, il frappa la table à laquelle ils étaient assis depuis quelque temps, la renversant elle et tous les verres qu’y s’y logeaient. Puis il se jeta derrière, essayant d’échapper à la mitraille qui venait d’assombrir la pièce. Sans attendre de voir ce que faisait ses deux compagnons d’infortune, il dégaina son sabre, prêt à vendre chèrement sa peau.
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L’étonnement est probablement la seule chose que je ressens à cet instant. Ils ne sont pas réellement en train de me tirer dessus, si ? Et si. Quelle bande de crétins finis à la pisse. C’est tout ce que je peux dire d’eux. Sans attendre, à l’instar de Daniel, je saute par-dessus le comptoir et me protège des balles derrière celui-ci. Il n’y a que le barman, Daniel et moi. Tirer comme si de rien était alors qu’il y a tant de civils…

« - Et monsieur Serpent ? demandé-je.
- Je l’ai vu se planquer derrière une table qu’il a renversé.
- Il est pas mal le vieux !
- Un peu trop à mon goût… Mais ce n’est pas le sujet le plus préoccupant actuellement. »

Le miroir en face de nous, devant lequel étaient placées les bouteille est maintenant totalement explosé. Je saisis un bout au sol que je passe légèrement au-dessus du comptoir pour y voir ce qu’il s’y trame. Neuf. Dix hommes qui se rapprochent du comptoir, fusils en main. D’un simple regard, on se comprend. Daniel se lève et se met à tirer avec cet ancêtre de fusil, autrefois appartenu à son défunt père, avec lequel il parvient à mettre deux hommes à terre avant qu’ils ne reprennent les tirs de masse.

Ils manquent cruellement d’entraînement. Ils tirent puis rechargent. C’est pendant leur temps de chargement qu’ils sont à notre merci et ne comptent visiblement pas changer de stratégie. Les mafieux, du moins les hommes de main, ne sont pas réputés pour leur génie. Non. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont tout en bas de l’échelle. Ce ne sont rien de plus que des gros bras obéissant aux ordres d’un type pleins blindés un peu plus malin qu’eux… C’est ma vision de la mafia.

Leurs chargeurs vidés, Daniel termine le travail. Il a normalement éliminés que j’avais vu. Je me relève à mon tour pour observer les dégâts, Serpent sort à son tour de sa tanière, seul le barman reste encore couché derrière le comptoir, apeuré. C’est pour moi la réaction naturelle d’une personne lambda, mais mon acolyte flair une anomalie. Selon lui, cela ne devrait pas être la première fois que ce type est confronté à ce genre de massacre.

« - Quelque chose ne va pas, monsieur le barman ? demande poliment Daniel.
- V… Vous… Vous n’réalisez pas la portée de votre erreur ! Vous allez mourir !
- Du calme. Personne ne va mourir ici. Tu insinues que d’autres vont arriver ?
- J-Je vous conseille de boire quelques verres et d’accepter votre sort. Ils sont probablement déjà devant prêts à raser l’établissement.
- Et que font les forces de l’ordre ? Il y a eu un peu de grabuge, ils ne devraient pas tarder.
- Vous n’saisissez pas à qui vous avez affaire…
- Ethan. dit Daniel en regardant en direction de la seule porte du bar. »

C’est à se demander qui est le plus gradé de nous deux. Entre nous, pas de hiérarchie, c’est mon ami d’enfance. Le frère que je n’ai jamais eu puisque je ne compte pas vraiment Jamal comme ma famille. Je me rends à la porte, puis en me baissant, je me rends à l’une des fenêtres qui longe le mur pour y entrevoir une armée d’hommes en costume, chargés comme des buffles. Ça craint pas mal. Ces types ont réellement l’intention de raser ce lieu. Exceptés les quelques civils morts à cause des balles perdues, l’ensemble des types ont pu prendre la fuite.

« - Vous n’avez pas d’issue de secours à l’arrière ? demande Daniel au tavernier.
- Si… Naturellement. Mais pensez-vous réellement qu’ils n’y ont pas pensé ?
- Effectivement. »
Il va tout de même vérifier. Sa curiosité a toujours été plus forte que tout. Nul besoin de dire au tavernier de rester à couvert, il le fait déjà. Quant à monsieur Serpent, aussi habile que mystérieux, je pressens qu’il peut nous être utile. D’autant plus qu’au retour du grand mastodonte, je comprends que nous sommes complètement cernés. Tandis que la situation semble désespérée, Daniel et moi esquissons des sourires.

« - Comme à l’ancienne ? dis-je avec un sourire diabolique.
- Comme à l’ancienne. rétorque-t-il en s’allumant un cigare. »

Toute la rue est vidée des passants, à présent remplie de mafieux. Je m’excite à l’idée de massacrer de la vermine. Je saisis le faux-aveugle par l’épaule - car oui, je l’ai également remarqué - et lui propose, l’impose de faire le leurre. Les gros demandent à ce qu’on sorte les mains en l’air, alors j’imagine qu’ils ne tireront pas. Un coup de pied au cul pour le pousser vers la sortie. Il sort les mains en l’air, une mine peu rassurée.

L’instant suivant, je réapparais comme par magie au-dessus de la foule. Je balance une lame de vent dans le tas, puis après l’impact, j’apparais dans la foule et c’est le début du massacre. Je tranche absolument tout ce qui n’est pas civil. Suite à mon intervention, Daniel sort en marchant, puis descend les marches en tirant également sur tout ce qui bouge. Le spécialiste des « headshot » est enfin de retour.

Serpent va-t-il participer à ce carnage ? Il faut dire que depuis le début, il se retrouve dans des situations assez cocasses. Pauvre homme.

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C’était quand même un beau bordel, fallait avouer. Serpiente, s’il n’avait pas eu sa vie à sauver, aurait pu apprécier le spectacle. Au fond de lui, et malgré sa tendance à se fondre dans la masse et par ce fait éviter de se faire remarquer, il adorait quand ça castagnait. Déjà parce qu’il n’avait jamais appris à faire grand’ chose d’autre. Lorsqu’on l’avait foutu à la marine, il avait compris que son créneau à lui c’était les armes, et rapidement, il s’était débrouillé pour se trouver à un poste où il pouvait en manipuler régulièrement, contrairement à pas mal de bleusailles plutôt chiffes-molles qui avaient tendance à se cacher quand l’action se présentait. Après, c’était aussi parce qu’il était plutôt correct un fusil ou un sabre à la main. Malheureusement, il préférait quand il choisissait de se battre, plutôt que de subir les aléas d’une rencontre qui dégénérait.

Lorsqu’il avait retourné la table, sa main s’était portée à sa ceinture, sauf que manque de pot, cela faisait bien longtemps que ses pistolets en étaient absents. Il n’avait que ce bon vieux sabre, plutôt utile en cas de combat au corps à corps, mais assez difficile à utiliser face à des armes à feu. Le Serpent avait alors regardé autour de lui, et avait pu se dégoter un fusil de piètre facture assez rapidement, le retirant des mains du corps encore chaud d’un homme de main du vil faquin d’en face. Regardant le chargeur, il s’était rapidement rendu compte que cette arme ne serait que temporaire, mais elle ferait l’affaire au moins pour la rixe à l’intérieur de l’établissement.

Se redressant subitement pour sortir le torse au dessus de sa table, il remarqua qu’il n’y avait pas grand monde « d’important » dans la pièce, plus que des péons sacrifiables et remplaçables. Les gros bonnets du coin semblaient avoir pris leurs jambes à leur coup. Cela ne l’empêcha pas d’armer et d’aligner un ou deux glandus qui n’avaient pas compris qu’ils n’avaient aucune chance. Le duo d’hommes-d’affaires-qui-étaient-en-fait-des-chasseurs-de-primes-pour-lui avait fait le gros du travail, mais il n’avait pas chômé. Un taré manqua de lui sauter dessus d’ailleurs, armé d’un … pic à glace ? Il lui éclata la mâchoire d’un coup de crosse, et le finit une fois à terre du talon de sa botte. Lorsqu’il se retourna, il ne restait plus personne à par eux et un gars au tablier plutôt crado.

« Ethan hein… » marmonna le Serpent, prenant pour acquis qu’on venait de l’inviter à boire un coup gratuitement. Il sauta par-dessus le comptoir et attrapa la bouteille du meilleur whisky qu’il connaissait, ainsi que deux autres bouteilles de bien piètre facture. Il déboucha celle de qualité et servit plusieurs verres, et pendant que le grand gaillard disparaissait pour vérifier la porte de derrière, il les avala cul sec. Quitte à crever, autant le faire alcoolisé. Puis, le déserteur attrapa un linge à peu près sec, et le déchira. A l’aide des deux bouteilles de mauvaise gnôle, il avait pour objectif de se fabriquer quelques Molotovs maison. Avec du whisky tourbé de surcroit, c’était d’autant plus drôle, il collerait. Il les attachait dans son dos alors que le faux François lui balançait son plan. Il allait servir d’appât, c’était … Peu recommandable en fait, mais avait-il seulement le choix de lui dire qu’il pouvait bien aller se faire foutre ?

Pas vraiment, vu que ce dernier ne lui laissa aucunement le choix. Il leva les bras et, alors qu’il passait la porte, une cigarette à la bouche, le carnage commença. « Ah putain… » baragouina-t-il voyant Ethan réapparaitre au dessus de la populace et balançant foule de projectiles. Il était sur le cul, aussi bien littéralement que métaphoriquement, vu qu’il venait de glisser. Se relevant d’un bond, il remarqua que le mec aux gros bras était lui aussi sorti du bar, ou plutôt, de ce qu’il en restait. Il n’avait pas plus l’air de rigoler que le premier lascar, et dégommait tout ce qui se présentait devant lui. Expéditif.

Quand à lui ? Et bien, soupirant un bon coup, il courut se mettre à couvert alors qu’un mec à qui il manquait plusieurs dents le prenait pour cible. « Ah ouais ? » Marmonna l’ancien marin, qui attrapa ses deux molotovs et les alluma à l’aide de sa sèche. Il était hors de question de se faire descendre par un mec aussi laid. Il lança ses projectiles par-dessus la rambarde derrière laquelle il s’était caché, et au deuxième bruit de verre cassé, il entendit, non pas un mec crier, mais toute une ribambelle. Dans son jet à l’aveugle – ce qui est pas mal pour un faux-borgne – il venait de foutre le feu à tout un bataillon de mecs habillés en kevlar. Et comble du bonheur, il s’agissait de la bouteille de tourbé. Pas peu fier de lui il se releva pour jeter un coup d’œil à son œuvre, mais il se rassit immédiatement. Ce bruit métallique. Ces crissements. Ces cliquetis. Quelque chose ne tournait pas rond. Ooooh non. Ne me dites pas que …

« ILS ONT UN PUTAIN DE TANK. » hurla-t-il en direction des deux lascars qui continuaient leur entreprise de destruction. « Un tank.. Bien sur qu’ils ont un tank. Pourquoi ils n’en auraient pas un après tout, ce n’est qu’un PUTAIN DE TANK… » répéta-t-il pour lui-même. « C’est vraiment, vraiment, vraiment pas ma journée… » ajouta-t-il alors qu’il attrapait une arme à même le sol.l

Si ça avait bardé jusqu’à maintenant surtout à sens unique, il y avait moyen que les glandus d’en face aient enfin un peu de répondant.
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Alors que tout se passait pour le mieux, la situation vire au cauchemar. Un tank… Un putain de tank ! Ici ! En plein milieu de la rue ! Heureusement que la rue s’est vidée suite à nos affrontements. Mais malgré cela, cet engin peut réduire à néant les habitations et ceux qui y résident. Que suis-je censé faire ? Mon visage se crispe, mes poings se resserrent, je n’aime guère être dos au mur. Daniel, lui, reste impassible et observe calmement la situation.

Comment diable ont-ils pu obtenir ce monstre ? Quoique venant de la mafia, tout est possible en soit. Ils sont tellement riches qu’ils peuvent se permettre toutes les folies du monde en terme d’armement. Mais utiliser un tank en plein milieu d’une rue commerçante, au niveau du port, dans ce foutu royaume… C’est totalement dingue. Si j’étais là en tant que commodore, j’aurais applaudi et fait arrêter tous ces connards. Mais là… Et puis, les forces de l’ordre ne sont toujours pas présentes.

Boom !

Premier tir. Je me déporte vers la gauche et projette une lame de vent qui dégage le boulet de canon vers la mer. Ça va pour cette fois, je n’aurais peut-être pas autant de chance la prochaine fois. Mais comme la situation était visiblement trop simple, un bruit mécanique s’approche à mon dos. Un… Un second tank… Un putain de second tank ! Je tape violemment du pied en m’arrachant les cheveux. C’est quoi ce bordel ? Tout ça pour trois gugusses ? Sérieusement les gars, vous ne savez pas jauger vos actes ?

Daniel reste immobile entre les deux engins de la mort. Il se retourne précipitamment vers la portée d’entrée du bar, défoncée, puis une idée vient lui allumer la lanterne. Il se retourne aussitôt vers moi, me faisant signe de la tête pour courir le plus rapidement possible à l’intérieur. Serpent étant à proximité, il comprendra en nous voyant arriver. Idée suicidaire ? Peut-être. Mais nous n’avons que ça pour l’instant.

Tous les deux commençons à courir comme deux abrutis en gesticulant des bras pour avertir monsieur Serpent. Les canons des tanks se tournent vers notre direction, à savoir le bar, qui sera totalement détruit d’un instant à l’autre. On entre en vitesse, on dégage les tables de notre passage, on se dirige vers l’issue de secours à l’arrière de l’établissement comme des animaux. J’entends des tirs et le bâtiment explose de toute part. Je dénombre trois tirs de chaque engin au total.

Les flammes de l’enfer nous rattrapent. Je défonce la porte d’un coup de pied accompagné d’un saut. C’est bien la sortie, mais malgré tout, nous sommes violemment projetés par le souffle de l’explosion. Ça tousse de tous les côtés, la chaleur, la poussière, la fumée, on a du mal avec tout ça… Puis le boucan que ça a causé m’a détruit les tympans le temps de quelques instants. En relevant la tête, le paysage est flouté, j’aperçois seulement Daniel neutraliser deux types armés, au confins de cette ruelle.

Je reprends aussitôt mes esprits. Tout va si vite. Les tanks sont donc derrière et les rues de Luvneel sont si étroites qu’il leur sera difficile de nous rattraper à présent. Cependant, les hommes à pieds vont probablement nous traquer. C’est une véritable chasse à l’homme. Derrière nous, des flammes, alors notre seule solution se trouve devant nous. Le temps nous est compté, alors nous partons aussitôt. En quittant la ruelle, sur notre gauche, des hommes en costards nous trouvent, nous partons à droite.

« Serpent ! C’est chez toi ici, on n’y connaît rien, nous ! Trouve-nous une issue ! dis-je avec beaucoup d’espoir. »

C’est peut-être notre seul espoir pour souffler un peu et réfléchir calmement à la situation.


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Bien entendu que ça ne pouvait pas s’arrêter là. Pourquoi d’ailleurs, après tout, n’avaient-ils pas mis le pied dans le piège ? Autant que ce dernier ne soit onctueusement badigeonné de poison ! Si la soirée avait déjà été pourrie par l’arrivée du premier char d’assaut - un modèle Tigre MK8 ou pas loin aux yeux du Serpent – la présence de son frère jumeau mécanisé en était le point d’orgue. La cerise sur le gâteau. Le bouquet final. Dans un premier temps, Ethan réussit à découper, ou dévier pour être plus précis, le premier obus. Mais ils savaient tous les trois qu’ils n’allaient pas en rester là. A quoi bon d’ailleurs. Pour une fois qu’il pouvait sortir ses nouveaux joujoux, le boss n’allait pas se priver. Oh, il devrait graisser la patte à un ou deux officiels, mais ce ne serait ni la première ni la dernière fois. Et ces trois cons en valaient le coup, après tout, ils n’auraient eu qu’à payer…

Tout ça pour dire que non, la sortie du tonnerre mécanique n’était pas un coup de bluff, et le premier coup n’était pas un tir de sommation. Loin de là. C’était une tentative de les transformer en carpaccio sanguinolent. Alors que les deux loustics lui faisaient des signes, l’ancien déserteur se demandait s’il n’allait pas simplement disparaître entre les bicoques. Finalement non, déjà parce que le premier couvert était bien à quinze mètres de lui, alors que la porte du bar était juste à côté. Et puis un peu aussi parce qu’il était dans la mouise jusqu’au coup, et que sans l’aide du duo de choc, il risquait de difficilement réussir à quitter l’île.

Emboîtant le pas du duo, il traversèrent le bar délabré avant de s’en extraire, dans une explosion des plus beaux films d’action, par la porte arrière. Bien évidemment, [url= https://www.youtube.com/watch?v=Sqz5dbs5zmo]ils ne se retournèrent pas.[/url] Alors que de puissantes acouphènes s’attaquaient à ses oreilles, il eu le temps d’apercevoir que le comité de bienvenue était prêt … jusqu’à l’explosion de la baraque derrière eux. Ils étaient sans aucun doute aussi surpris qu’eux du phénomène. En profitant, il sauta sur l’un des hommes de main qui les attendait, en le mettant au sol d’une bonne corde à linge.

Se tournant tout d’abord vers la gauche, ils optèrent évidemment pour le choix inverse, comte tenu de la ruelle qui était inhabitée, à l’inverse de l’autre où se trouvait le reste des troupes. « Que quoi ? » répondit-il interloqué, avant de se tourner vers une ruelle plutôt escarpée qui semblait grimper vers l’intérieur de la ville. Alors que le bruit des chenilles se faisait de plus en plus fort, signalant que le duo mécanique n’en avait pas fini avec eux, il pointa du doigt la voie face à eux, complètement au pif. « Mais j’y connais rien à ce bled moi, j’y ai débarqué y’a deux jours, et je les ai passé à picoler ! Et puis merde, par là, ça a l’air bien ! »

A pleine vitesse, ils battaient le pavé, entendant une foule qui, si ne les poursuivait pas, fouillait les bâtiments de façon bien trop coordonnée. Comment une mafia avait-elle bien pu mettre la main sur deux tanks et autant d’hommes sans que le gouvernement mondial ne soit mis au parfum ? Et comment avaient-ils mis la main sur un hélicoptère ?

Comment ça un hélicoptère ?

Ben oui, un hélicoptère. En tout cas, le bruit caractéristique des hélices ne laissait que peu de place à l’imagination sur ce qui les poursuivait. Non contents d’avoir sorti l’artillerie lourde, le caïd du coin avait décidé de balancer toute la sauce, et avait sans aucun doute fait appel à la totalité de ses troupes et de son équipement. Et par là, un petit modèle d’hélicoptère de combat, bien entendu incapable de voyager d’île en île, mais bien suffisant pour traquer trois fuyards dans une ville qu’ils ne connaissaient pas.

Alors que la bête volante s’approchait de leur position, le Serpent pointa un porche du doigt. Là bas au moins ils pourraient se protéger de l’œil inquisiteur de ce faucon métallique.

« He bhé! » haleta-t-il. « On est pas dans la merde. » compléta-t-il avant de contenir un petit haut le coeur. Il n'en pouvait plus. Se battre après autant de verres ... quelle idée !
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Sur tous les mecs, il a fallu que l’on tombe sur le seul qui est arrivé sur l’île depuis peu et qui n’a fait que se mettre des murges. Avec Daniel, naturellement nos regards se croisent, puis se décroisent dépités. Et qu’est-ce que l’on fait maintenant ? C’est bien beau de courir et fuir l’ennemi, mais quand il a un putain d’hélicoptère, qu’est-ce qu’on est censé faire ? Je dois admettre que ça m’emmerde un peu de courir.

« - Je peux tenter d’atteindre le pilote si vous me couvrez convenablement ? propose Daniel.
- Sans éclairage, avec une cible mobile et à une certaine hauteur ? Puis on ne sait pas où peut crasher l’appareil.
- Tu doutes de mes compétences de tireur, minus ?... rétorque le gaillard d’un ton glacial.
- Non, mec, c’est bon. dis-je pour calmer le bonhomme.
- Cependant, pour la sécurité des civils, ce n’est effectivement pas la meilleure des idées. »

Je finis alors par cesser ma course.

« Je vous rejoins. Je m’occupe de l’engin volant, puis on voit pour la suite. »

Daniel poursuit sa course. Serpent semble un peu plus hésitant, mais le grand gaillard le tire par le col pour qu’il n’interrompt pas sa course. En effet, il connaît parfaitement mes capacités et sait pertinemment que ces joujous ne peuvent m’inquiéter. Un commodore ne peut pas reculer face à de telles méthodes. La question de l’acquisition de ces technologies prend quand même une énorme place dans ma tête.

D’une puissante impulsion, je décolle de quelques bons mètres, puis d’autres encore dans les airs pour enfin atteindre mon adversaire mécanique. J’arrive à gauche de ce dernier, l’épée dégainée, surprenant l’ennemi qui met instantanément en joue. Effectuer une lame d’air pour repousser les tirs ennemis risque également de perturber l’équilibre de l’engin. Il n’a pas l’air très stable en toute honnêteté.

S’il ne s’agissait que d’un revolver ou un pistolet à silex comme le mien, je pourrais aisément avancer vers eux, sauf qu’il s’agit d’armes projetant plusieurs balles à la seconde. L’idéal serait encore de les attirer vers le port où je pourrais les couler sans la moindre difficulté. J’atterris tranquillement au toit d’un immeuble, puis j’attends d’être certain qu’ils me prennent pour cible. Et c’est le cas. Là, c’est le moment pour de feinter ma fuite et me laisser poursuivre par ce monstre volant.

La course-poursuite commence. Je cours comme un petit voleur, sautant d’immeubles immeubles, dont le réel objectif est d’emmener l’adversaire dans sa tombe. Et il me suit gentiment le con. Bien sûr, je me fais tirer dessus comme une pauvre proie. Mais ça va bien plus vite de sauter, j’atteins rapidement le port et j’ai une vue d’ensemble bien plus importante que précédemment. Juste une dernière maison et je m’envol un peu plus dans la mer. Assez éloigné des habitations du port et des navires stationnés, je suis face à l’engin volant.

« Rends-toi, petit homme ! dit l’un des hommes à l’aide d’un mégaphone. »

Mon visage commence à se crisper. S’il y a bien une chose - juste une seule – à ne pas faire, c’est bien de parler de mon aspect physique. Je deviens rouge, les veines ressortent, mes poings se ferment… L’hélico’ avance tout doucement de moi, innocemment. Il n’est plus qu’à un petit mètre de moi. Je prends un appui dans les airs pour avancer, je pose le pied sur le bout du nez de l’appareil, puis je disparais de leur champ de vision. En réalité, je me retrouve juste au-dessus grâce au soru, d’où je lance une lame de vent qui enfonce les hommes et leur technologie dans les fonds marins… Non. Seulement à l’eau.

Je retourne sur les toits des immeubles pour observer la situation. Mais c’est encore trop flou. Je prends de la hauteur à l’aide du geppou pour observer les directions empruntées par tous les acteurs présents. Je prends une photo dans ma tête. Ça s’annonce mauvais pour nous. Le denden sortit de la poche de ma veste, j’appelle mon cher Daniel.

« Économise ta salive. Je t’appelle seulement pour t’avertir que vous vous dirigez actuellement vers le centre de la ville, tandis que les troupes se séparent tout autour. En continuant ainsi, vous risquez de vous retrouver encerclés par l’ennemi et ses engins. Je peux éventuellement vous ouvrir une brèche, mais l’utilisation excessive du soru et du geppou m’ont épuisé, ça prendra un peu plus de temps. »

Effectivement. Mes muscles fatiguent rapidement. Le rokushiki c’est cool, mais c’est épuisant. L’idée est simple, Serpent et Daniel doivent impérativement tenir jusqu’à mon intervention, voire trouver une issue d’eux-mêmes. Mon ami d’enfance est très rusé, notre nouveau compagnon semble l’être également. On aurait pu tomber sur un duo bien plus dégueulasse.





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Bon, il faut dire que là, ça commençait clairement à le dépasser, le Serpent. Déjà, à la rigueur, une rixe dans une taverne, un peu trop alcoolisé, il pouvait gérer, c’était son quotidien. Que ça dégénère en pugilat violent à en fourbir les armes, admettons, c’était les risques du métier, si vous me permettez l’expression. Qu’on en arrive à lui tirer dessus, déjà, c’était terriblement rare. Mais alors qu’on sorte les chars d’assaut et les hélicoptères c’était vraiment n’importe quoi. Et qu’un mec soit capable de les éliminer, c’était clairement parce qu’il devait rêver.

D’ailleurs le Serpent se pinça le bras. Dormait-il ? Peut-être avait-il trop bu, et par la même occasion était-il tombé dans une sorte de sommeil alcoolique qui le faisait délirer ? Peut-être même était-il dans le coma éthylique, au bord de la route, à vomir ses boyaux ? Malheureusement ce n’était aucunement le cas, vous vous en doutez bien. Le moins mastoc des deux arrêtait sa course alors que le Serpent arrêtait de se pincer. Non, c’était bel et bien réel. Flute.

Le duo, faisant fi de sa présence, discutait de la meilleure façon de faire tomber un hélicoptère, sans heurter le public. Quelque chose n’allait pas. Les chasseurs de primes n’avaient, en général, pas grand-chose à faire de la population. Ils étaient là pour le flouze, et pas plus que ça. Les pirates, souvent pareil. Donc déjà, il pouvait barrer les deux zouaves de ces types d’emplois. Par contre, il était tout à fait possible que, sous leurs airs d’hommes d’affaires, ils ne fussent rien d’autre que des agents du gouvernement. Peut-être même faisaient-ils partie de la tristement fameuse agence Cipher Pol ? Ou Cyber Poll ? Ou un truc comme ça quoi ! Enfin, il était enfin aussi possible qu’ils ne fussent à la solde des fameux révolutionnaire qui voulaient faire tomber le gouvernement mondial (des gens bien, quoi). Argh.

« Dans tous les cas c’est trop pour ma gueule. » marmonna-t-il alors que Daniel se retournait vers lui interrogatif. « Non rien, je parlais pour moi, héhé. » S’excusa-t-il, alors que l’autre plissait les yeux, d’un air circonspect. Il fallait qu’il se tire de là, et vite, avant de se faire ratatiner par un tir de char d’assaut, ou par un bazooka. Franchement, il n’avait que peu envie de finir en tartare humain, et pour ce faire, il fallait sans doute jouer les filles de l’air. En disparaissant, par exemple via la porte arrière d’une bicoque quelconque, il pourrait s’extirper de ce mauvais pas, et peut-être même éviter de finir embroché par le chef du coin. C’était peu probable, mais de l’ordre du possible. Alors qu’il trainassait quelques pas derrière l’autre colosse au fusil fumant, il remarqua que ce dernier parlait tout seul. C’était terminé, le pauvre hère devait avoir perdu la raison… Ou alors il répondait au téléphone, d’accord. C’était le bon moment pour disparaître ! Il posa la main sur la poignée de porte d’une entrée secondaire du grand bâtiment qu’ils longeaient depuis quelques secondes. Évidemment, elle était fermée.

« Bon, on doit se dépêcher. On sera bientôt submergés. Il faudrait trouver un chemin … Que faites-vous, monsieur Serpent ? » Pris la main dans le sac, ou plutôt sur la poignée de porte. « Bah, heu … je cherche un endroit où nous cacher quoi. J’vais pas attendre de me faire canonner par un autre tank sorti de je ne sais où, ou un avion, ou pourquoi pas un robot géant de six mètres qui a des rayons lasers à la place des yeux. » Argumenta-t-il alors qu’il forçait la porte d’un coup de pied. Si le bâtiment était aussi grand, c’était qu’il s’agissait d’un hangar, qui, s’il était vide de personnel en ce moment, était loin d’être désaffecté. L’espace était rempli de formes bâchées. Le Serpent, soupçonneux, s’approcha de l’une d’entre elles, et la souleva d’un mouvement sec, avant de se retourner vers Daniel, les yeux plein d’étoiles.

C’était un Side-car.
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Daniel continue presque désespérément de courir. En plus de l’attitude louche du serpent auquel il n’a pas du tout confiance, l’appel d’Ethan semble l’avoir légèrement agacé. L’appel prend fin et le gaillard se retourne pour voir ce que fiche son acolyte du jour et, bien sûr, il tente de forcer une porte. Pas étonnant qu’un type pareil veuille prendre la fuite étant donné l’ampleur que vient de prendre la situation. En même temps, c’est un civil et le marin ne tient pas particulièrement à le mettre en situation de danger.

Mais alors qu’il relativisait, ce même mec semble avoir trouvé une perle : un side-car. Le civil inutile ne l’est peut-être pas, pense probablement Daniel. Rentrant dans le hangar, il découvre les tas d’engins ou autres choses camouflés par les draps, avant de se concentrer sur la machine qui va probablement les sauver. Ou pas. D’apparence vieille et usée, le marin ne semble pas avoir confiance en celle-ci, mais c’est leur meilleure solution.

« Cette ville regorge d’étrangetés… dit-il en poussant l’engin vers l’extérieur.  Monsieur serpent, surveillez mes arrières quelques instants, s’il vous plait. »

Il lui faut un peu de temps pour manipuler les câbles et démarrer le véhicule. En effet, les clefs ne sont pas fournies, alors il faut se débrouiller sans. En même temps, nous ne sommes censés avoir trouvé ce cadeau. Il ne faut que quelques instants à l’officier pour défaire le boitier, connecter le fil contacteur à celui de la batterie et le tour est joué. Ça démarre. VROOM !

« Allez, grimpe sur le siège passager ! »

À peine monté, le bad-boy appuie sur le champignon et démarre comme un fou furieux. Pas spécialement pour impressionner son passager, mais surtout parce qu’il est amateur de sensations fortes. On ne dirait pas comme ça, mais le petit Danny est un véritable enfant lorsqu’il s’agit de se provoquer des sensations. Sans casque ni lunettes, autant vous dire que le serpent n’est pas le plus rassuré.

Quelques kilomètres plus loin, avalées rapidement pas le vieux bolide en forme, les deux protagonistes se retrouvent au plein milieu d’une grande place avec, au centre de celle-ci, une belle église. Daniel comprend rapidement qu’il s’agit du centre de la ville et esquisse un sourire malicieux. Alors il effectue simplement le tour de l’église à plusieurs reprises. Et c’est après le troisième tour que des hommes armés arrivent de toutes les rues débouchant sur cette église, puis que les chars d’attaque apparaissent.

« Monsieur Serpent, préparez-vous à l’aventure la plus trépident de votre vie. dit Daniel avec ce ton toujours aussi rassurant. Je vais avoir besoin de vous. L’idée est simple : je vais me rapprocher de l’un des chars et voulez en prendre possession. C’est une arme pour les combats à longue distance, en me rapprochant on ne craint rien. Il vous faudra neutraliser les hommes à l’intérieur, mais j’ose espérer ne pas me tromper sur votre personne et que vous n’êtes ce faiblard que j’imagine. »

Et puis de toute manière, Daniel en a strictement rien à cirer de l’avis de son collègue. Il va faire ce qu’on lui demande et point barre. La moto braque, change de direction d’un seul coup et fonce sur le tas.

« Tiens le guidon. envoie-t-il »

Daniel dégaine son fusil et tire sur tout ce qui bouge pour déblayer le passage. Une tête, deux têtes, trois têtes… Pas le genre à faire dans le social celui-là. Un soldat, un vrai. Il agit et c’est tout. Sauf que lorsqu’il voit le museau des chars se diriger vers eux, il reprend les commandes. Boom ! Un boulet s’approche à toute vitesse, un coup de frein, on tourne le guidon, ça dérape, on réaccélère et on esquive cette merde qui explose un peu plus loin.

La manœuvre est réalisée deux ou trois fois avant, nous sommes maintenant hors de portée des engins puisque nous sommes aux pieds d’un d’entre eux. Le souci, ce sont les hommes qui les canardent également. Pour la sécurité du civil, le marin saisit son acolyte et le jette au-dessus de l’engin. Le bolide est la cible de tous. Il accélère de nouveau pour quitter la zone en sachant pertinemment que c’est davantage dangereux.

Les tirs fusent et caressent le visage de Daniel, qui sent la situation plus dangereuse que jamais.

« Seigneur, qui que vous soyez, faites qu’un miracle apparaisse. »

Ce sont ses dernières paroles avant d’être entièrement concentré sur sa conduite.

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