L’ennui n’était, en général, pas vraiment une compagne bien avisée. Elle avait pour vocation de pousser certains hommes à des gestes inconsidérés, futiles, parfois dangereux. Dans le cas de Joseph Snake, elle avait mis un certain temps à le travailler, à le remodeler. Au final, elle n’avait sans doute pas pu en faire ce qu’elle en avait espéré, n’arrivant pas à supplanter dans son esprit la place que la paranoïa avait acquis. Il faut dire que lorsque l’on se croit pourchassé, et qu’on n’en a pas l’habitude, on a tendance à faire les mauvais choix. A les enchaîne. En cascade. Sauf en étant très prudent, ce que le Serpent était. De ce fait, l’ennui n’avait que peu d’emprise sur le déserteur. Parfois, lors de certaines escales de son infinie fuite en avant, elle arrivait à le pousser à boire un verre dans certains bars peu recommandables. D’autres fois, elle le forçait à tendre l’oreille et écouter les rumeurs dans ces dits bars. Fâcheusement, ces racontars avaient tendance à l’ennuyer d’avantage. Qu’avait-il à faire des coucheries du boucher ou des manipulations du policier ? Peu, pour être honnête… Mais certaines fois, l’ennui arrivait à ses fins, et poussait l’ancien sous-officier à trahir sa couverture, ou presque, en le faisant boire plus que de raison, et en déliant sa langue. C’était lors de ce genre de soirées qu’il était le plus en danger.
« La Marine, tu dis ? » Marmonnait le faux-borgne, prostré sur un tabouret sale et branlant. « J’t’en donnerai moi d’la Marine. Un beau ramassis de. » Continua-t-il lentement avant de s’arrêter, voyant l’air médusé de son interlocuteur. Il s’agissait d’un pauvre garçon, qui devait tout juste être majeur, et qui l’avait hélé alors qu’il venait de s’assoir. Sur un tabouret sale et branlant donc. A une paillotte de plage. Oui, parce qu’on n’avait pas toujours le loisir de trouver des bars peu recommandables, n’est-ce pas ?
L’adolescent – car il était plus proche des farces et des gamineries que des combats sanglants sur l’océan – avait cru reconnaître en l’arme qu’il portait à la ceinture, un sabre de marin. Et forcément, il lui avait demandé s’il en avait fait partie. Suprême insulte que celle-ci aux oreilles de l’ancien Lieutenant-Colonel, mais à cet instant, les quelques litres d’alcool qu’il avait pu ingurgiter dans les autres paillottes n’avaient pas forcément fait entièrement effet. Car oui, vous vous doutez bien qu’il ne s’était pas contenté d’une chopine, comme un déserteur bien éduqué. Oh non. Il avait enchaîné les bouis-bouis, n’ayant pour seule compagne que cet ennui si motivant. Le Serpent réajusta son cache-œil factice et posa l’index sur son verre, le repoussant vers le barman tout en posant une piécette pour régler sa choppe. « J’crois qu’il faut qu’j’arrête là, mon vieux. » Prenant appui sur le bar, aussi sale et branlant que son tabouret, il s’éloigna de ce dernier, et décida qu’il était temps de prendre l’air.
Il était tout au plus dix-huit heures, et la nuit allait surement être longue. Poussant la porte typée saloon du rade, il marcha quelques pas, avant de manquer de s’étaler. Quelqu’un venait de le frapper dans le dos. Qui pouvait bien s’en prendre à un type ivre sans vergogne de la sorte ? Le Serpent se retourna, bien décidé à en découdre, et … personne. Il ne le saurait sans doute jamais, mais il s’agissait de la porte qui, poussée avec fureur, lui avait fracassé l’arrière-train, bien peu glorieusement. Maugréant, le Serpent, s’assit sur les marches du porche du bâtiment, et, posant son dos sur une colonne en bois, décida de regarder les passant. Peut-être que quelques minutes de répit pourraient calmer son mal de postérieur.
« J’aurais mieux fait de rester à bord. » Siffla-t-il en sortant une cigarette de sa poche. Il avait payé un passage en bateau avec quelques sous pour rejoindre Manshon. L’escale à Luvnel n’était pas vraiment prévue. Et s’il ne faisait pas un peu attention, elle risquait de devenir son terminus.
« La Marine, tu dis ? » Marmonnait le faux-borgne, prostré sur un tabouret sale et branlant. « J’t’en donnerai moi d’la Marine. Un beau ramassis de. » Continua-t-il lentement avant de s’arrêter, voyant l’air médusé de son interlocuteur. Il s’agissait d’un pauvre garçon, qui devait tout juste être majeur, et qui l’avait hélé alors qu’il venait de s’assoir. Sur un tabouret sale et branlant donc. A une paillotte de plage. Oui, parce qu’on n’avait pas toujours le loisir de trouver des bars peu recommandables, n’est-ce pas ?
L’adolescent – car il était plus proche des farces et des gamineries que des combats sanglants sur l’océan – avait cru reconnaître en l’arme qu’il portait à la ceinture, un sabre de marin. Et forcément, il lui avait demandé s’il en avait fait partie. Suprême insulte que celle-ci aux oreilles de l’ancien Lieutenant-Colonel, mais à cet instant, les quelques litres d’alcool qu’il avait pu ingurgiter dans les autres paillottes n’avaient pas forcément fait entièrement effet. Car oui, vous vous doutez bien qu’il ne s’était pas contenté d’une chopine, comme un déserteur bien éduqué. Oh non. Il avait enchaîné les bouis-bouis, n’ayant pour seule compagne que cet ennui si motivant. Le Serpent réajusta son cache-œil factice et posa l’index sur son verre, le repoussant vers le barman tout en posant une piécette pour régler sa choppe. « J’crois qu’il faut qu’j’arrête là, mon vieux. » Prenant appui sur le bar, aussi sale et branlant que son tabouret, il s’éloigna de ce dernier, et décida qu’il était temps de prendre l’air.
Il était tout au plus dix-huit heures, et la nuit allait surement être longue. Poussant la porte typée saloon du rade, il marcha quelques pas, avant de manquer de s’étaler. Quelqu’un venait de le frapper dans le dos. Qui pouvait bien s’en prendre à un type ivre sans vergogne de la sorte ? Le Serpent se retourna, bien décidé à en découdre, et … personne. Il ne le saurait sans doute jamais, mais il s’agissait de la porte qui, poussée avec fureur, lui avait fracassé l’arrière-train, bien peu glorieusement. Maugréant, le Serpent, s’assit sur les marches du porche du bâtiment, et, posant son dos sur une colonne en bois, décida de regarder les passant. Peut-être que quelques minutes de répit pourraient calmer son mal de postérieur.
« J’aurais mieux fait de rester à bord. » Siffla-t-il en sortant une cigarette de sa poche. Il avait payé un passage en bateau avec quelques sous pour rejoindre Manshon. L’escale à Luvnel n’était pas vraiment prévue. Et s’il ne faisait pas un peu attention, elle risquait de devenir son terminus.