Et de six!
Qu'il laisse tomber, joyeusement, tout en saucissonnant son dernier paquetage. Son intonation est enjouée, joviale. La voix est basse mais chantante. Le temps merveilleux de ce matin n'est pas étranger à sa bonne humeur. Ciel dégagé, soleil puissant mais bercé d'une brise marine rafraîchissante, les conditions sont idéales. Cela et ce délicieux cigare qui fume à ses lèvres. Hopper est content, serein. La journée commence bien.
Le Sergent d'élite se relève et promène le regard autours de lui. Le pont supérieur de cette goélette où il se tient n'a pas fière allure. Le rafiot est dans un sale état et semble l'avoir toujours été. Le combat qui a eu lieu plus tôt n'a rien arrangé, certes, mais la goélette n'aurait de toute façon jamais tenu jusqu'à Logue Town. Un bruit à ses pieds le tire de ses pensées. Un de ses paquetages se remue. Sans froncer, Hopper lui décoche un coup de pied aussi violent que nonchalant. Le paquetage, et l'homme qu'il contient, s'immobilise tandis qu'Hopper rallume son cigare.
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Oui c'est un temps super. Le temps parfait pour une bière!
Pas mécontente de sa rime, Rebecca Buck allie le geste à la parole et vide d'un trait sa pinte. Qu'il soit 10 heure du matin ne l'inquiète pas le moins du monde. En fin de compte, il faut vraiment aimer la servitude pour devenir esclave de l'horloge, se dit-elle en rotant. Bien que n’étant pas seule attablée sur la terrasse de ce troquet en plein cœur du port de Logue Town, personne ne relève son doux chant. On ne la connaît que trop bien.
Rebecca Buck est un prototype personnel de la nature, un déséquilibre étrange mais très réussi entre vulgarité assumée, intelligence brute, puissante violence et charme sauvage.
Quand elle veut bien, elle travaille comme docker sur les quais de Logue Town. Il lui arrive aussi d’œuvrer comme chasseuse de prime, pour rembourser les amendes qu’on lui colle sur la tronche régulièrement (pour des histoires d’alcool et de passage à tabac). Enfin, et c’est là son occupation principale, Rebecca tapote fort bien quand il s’agit de mécanique, plus particulièrement quand ladite mécanique implique de la poudre, des shrapnels et de tubes en acier. Miss Buck est pleine de ressources. Et elle a soif.
Elle s’apprête à crier très fort pour commander septième chope mais ses iris focalisent au loin sur une forme indistincte, en pleine mer. Elle sourit à pleine dent.
C’est ton jour de chance l’aubergiste ! Aujourd’hui, je règle mon ardoise.
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Alors qu’il essore méthodiquement son uniforme, Hopper voit apparaître la jolie silhouette de Rebecca, sur le ponton du quai 69, le plus reculé du port de Logue Town. Il ne se détourne pourtant pas de son activité et entreprend d’amarrer le radeau qu’il a si durement traîner derrière lui, à la force des bras et en crawl s'il vous plait.
Quand je t’ai vu tracter ton rade la première fois, j’dois bien avouer que j’en étais toute chose. Plus mouillée qu'toi qui sortais de l’eau. Comme une gamine.
Lâche Rebecca, tout en s’asseyant sur le rebord du ponton. Hopper sourit tout en nouant solidement sa remorque nautique de fortune et commence à décharger ses six gros paquets. Un brin joueur, et narcissique, il fait ostensiblement jouer ses muscles.
C’était avant que je pige que t’étais une petite lopette de marine imbu de lui-même.
Ah ! Je t’aime Reb’.
Bien sûr que tu m’aimes Hop’. C’sont qui ?
Tout en montrant le chargement du Sergent, elle sort une gourde qu’elle vide d’un trait. L'odeur qui imbibe l'air dans les secondes qui suivent indique que ce n'était pas de la grenadine, dans cette gourde.
Des pirates quelconques. Si je ne leurs étais pas tombé dessus, la mer s’en serait chargé. Des amateurs. Mais le gros est primé je crois.
Rebecca émet un renvoi sonore. Attirés par ce qui ressemble à leur chant nuptial, un banc de lions de mer fait surface puis s’en retourne, déçu.
Le primé contre un repas aux chandelles avec moi. Tu paies la bouffe mais ça te fait une chance de me sauter quand je serai ivre.
Flegmatique, Hopper sort un cigare de la poche étanche en cuir noir qui lui a coûté une petite fortune. Il l’allume et prend le temps d’apprécier la fumée au goût poivré et plein de caractère d’un authentique Toji de 1624. Puis seulement, il pose son regard sur Rebecca, ses grands yeux et sa bouille de mignonne petite casseuse.
Prends en deux plus le gros. Ça me fera moins à porter, on sera quitte.
Parfois tu m’ferais presque chialer Hop’.
Sans douceur aucune, Hopper fait valser trois des pirates ligotés par-dessus son épaule gauche. Il garde le bras droit libre, pour son cigare. Il fait un petit signe de tête à Rebecca Buck, puis s’éloigne. Elle, elle reste là encore un moment. Elle pense un peu à lui, à Hopper Jo. « Jo on the lose » comme on l’appelle aussi. Jo, le sergent d’Élite, mis sur une voie de garage depuis trop longtemps et qui continue malgré tout à faire son boulot. Plus ou moins. Alors que plus personne lui demande rien. Plus ou moins. Qui en plus lui refile ses plus grosses prises, comme ça, contre rien. Plus ou moins. Quel con ce Jo. Elle l’aime bien.