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Les Deux Tours

Et maintenant, j'ai toujours l'air d'avoir peur ?

Pas le moins du monde, même s'il devrait. Deux jours , trois ans que j'attends ce moment. Mais on y est, c'est l'affrontement final. On se fixe, à la fois admiratifs et dérangés par notre reflet. Je suis quand même plus en colère que lui, parce qu'il porte mon armure, monte mon cheval et dirige mon armée. Je veux bien être sport, mais faut pas pousser. Cela dit, mon pagne de tarzan et mes peintures de guerre me donnent autant de charisme que lui. Je devrais faire du mannequinat pour slibar un jour. Derrière l'Usurpateur, mon armée se tient à carreau sur ce qu'il reste du bastion. Les rondins ont volé un peu partout et la plage n'est plus qu'un amas de cratères et d'arbres morts. Y a même un géant dans les vapes. Pauvre Braff, vaut peut-être mieux qu'il ne voit pas ça. Deux jumeaux qui se battent parce qu'il ne doit en rester qu'un, trop compliqué pour ses circuits. C'est un coup à nous le butter.

Je te félicite pour ta démonstration face à Ducon. Depuis la mort de Sergueï, plus aucun habitant de l'île n'était en mesure de lui faire mordre la poussière.

Sergueï n'est pas mort.

Que je coupe. Je connais ma gueule quand je tique sur un truc, et là ça le travaille. Il se garde de demander plus de précisions, parce que ça donnerait trop de force à ma parole. Il est malin. Comme moi. Au final, ce sont nos objectifs qui diffèrent. Je reconnais que le fou de cette île a fait un super boulot de clonage. C'est épatant.

J'ai quelques questions à ton sujet. La première est simple. Qui es-tu ? Qu'es-tu vraiment ?

Bonne question. Légitime. J'imagine qu'on ne coupera pas aux pourparlers avant de se mettre sur la gueule. A sa place, je voudrais aussi des réponses, quitte à ne pas les aimer. Alors voilà...

Minos, je suis Minos. La vraie question, c'est qui penses-tu être ? Je vais te le dire.

Il y a trois ans, j'ai découvert le trésor de l'île du Capitaine John, qui deviendra pas la suite Union John. Une expédition au coeur de la terre qui m'aura maudit, puisque j'y ai contracté une maladie. Un genre de parasite qui aspirait peu à peu mes forces vitales. J'étais déjà affaibli quand je suis arrivé ici. Je flottais dans mon armure. Sergueï lui-même pensait que j'allais y passer et demandait à Kyoshi de me sauver. Je niais, mais je savais qu'ils avait raison. J'étais mourant.

Alors, j'ai installé la Légion pour préparer un navire, une fusion entre le Bardaff et le Mégazorque. Un projet suffisamment long pour les tenir occupés et moi chercher une solution à mon mal. Manger ne me renforçait plus, j'ai erré loin des miens pour ne pas leur infliger le spectacle de ma décrépitude. C'est là...

Qu'est-ce que je fais ? Je lui parle du labo ? Du médecin ? Je révèle le secret de l'île devant tout le monde ?

C'est là que j'ai trouvé un dieu.

Un dieu. Tu te fous de moi ?

Dans un rêve. J'ai médité longtemps. Si tu es comme moi, tu pries les dieux depuis ta plus tendre enfance. Il faut bien qu'ils répondent de temps en temps. Un pacte a été signé. Je le laissais prélever des parties de mon esprit et de mon savoir. En échange, il rendait à la Légion son Roi. C'est là qu'il m'a fait un joli coup de pute en m'emprisonnant dans le monde de l'esprit tandis qu'il façonnait un double à mon image pour gouverner la Légion. J'imagine qu'il pensait que tu allais finir le navire et te barrer. Il s'est trompé. Tu as détruit son sanctuaire. Faut croire que laisser le libre arbitre à ses créations n'est pas toujours la super idée.

J'ai fini par guérir. Ça aura pris trois ans, mais je me suis débarrassé de mon mal et me suis refait une santé. C'est là que j'ai vu les dégâts de mon rejeton. Je ne te jette pas le rocher, tu as fait ce que tu pensais logique et as régné du mieux que tu pouvais, mais tu es un enfant sans modèle. Je suis ton père, Minos. Et tu es ma créature. Voilà qui nous sommes.

Curieusement, mon reflet ne se moque pas de moi, pas plus qu'il ne rejette mes dires d'un bon gros rire gras et sonore. A la place, il gamberge et me lance, d'un ton mineur, comme s'il pensait tout haut.

Ce que tu dis est troublant, je le reconnais. Est-ce que ton dieu est un oeil entouré de tentacules ?

Cette fois, c'est moi suis troublé. En effet.

En effet.

Ducon, que tu as assommé, s'est réveillé plusieurs fois parce qu'il avait fait un cauchemar. Il y parlait d'un gros oeil avec des cils en pattes de poulpe. Par la suite, d'autres ont reçu cette "visite". Les messages qu'ils recevaient n'avaient pas de mots, c'était juste une sensation. Ils voulaient quitter l'île. Par la suite, les rêves se sont tus. Mais maintenant que j'entends ta version, et que je constate ton existence, je me demande s'ils n'ont pas juste arrêté de m'emmerder avec leurs enfantillages quand j'en ai broyé un pour que les autres arrêtent de saper le moral du groupe.

De toi à moi, c'est probable.

Ouais. Bha, quand bien même ils auraient dit vrai, on ne transmet pas sa peur aux autres; ça ne se fait pas. Cette pathologie-là aussi est difficile à soigner. Revenons à ton histoire, ta mauvaise santé. J'ai peu de souvenirs de cette maladie, en réalité.

Pas étonnant.

Ne me coupe plus la parole. Je me rappelle avoir fait une retraite pour guérir. Mais je n'ai pas rencontré de dieu, j'ai arrêté de manger jusqu'à ce que le parasite qui se nourrissait de ma bouffe crève de faim. Un vrai petit ascète, le Minos. Sitôt son cas réglé, j'ai pu reprendre des forces. J'ai effectivement été absent de mon armée quelques semaines, mais rien de bien mystique. Qu'un duel d'endurance entre moi et une saloperie intestinale, probablement développée en bouffant les champignons des grottes là où j'ai effectivement trouvé le trésor. Tout ça n'explique en rien la présence de deux Minos. J'imagine que ton dieu existe et qu'il t'a créé pour tenter de m'arrêter. Tu n'es pas le premier. Le dernier en date, c'était Loui, un cloporte.

Un Roi.

Ouais, j'imagine que même eux ont droit à leur hiérarchie. Mais il était plus cloporte que Roi. On en a essuyé quelques unes, des tentatives d'insurrection de cette île. Je dois dire que cette fois, z'ont fait fort.

Je t'ai observé. Tu bouges comme moi. Et tu sembles aussi fort. Je ne connais aucun humain qui possède ma force brute. On dirait que l'île a enfanté d'un démon pour en combattre un autre. Ils ont enfin compris que j'étais un adversaire sérieux. Mais toute copie conforme que tu sois, tu ne me vaincras pas. Comme tu le dis, je prie les dieux. Mais pas pour qu'ils m'accordent des faveurs, ça m'emmerderait de devoir mes victoires à quelqu'un d'autre. Je les prie pour la sagesse, pour qu'ils me conseillent quand je dois faire des choix. C'est facile de tuer quelqu'un. Ça l'est moins d'être certain qu'il faut le faire. C'est pourquoi, je te le propose une seule et unique fois : joins tes forces aux miennes. Deviens ma doublure. La Légion sera plus puissante encore si nous avons un être comme toi dans ses rangs. Et si je meurs avant toi, je te cède même la Régence. Tant que tu conduis mon armée chez les Ensevelis.


Je lui souris, d'un fin sourire translucide qui lui indique déjà ma réponse.

Moi aussi, je prie les dieux pour dissiper mes erreurs. Je ne suis pas Roi parce que j'ai tué mon père, je le suis parce que je suis né Prince. J'ai un devoir envers la couronne. Ton marché, je te le retournerais volontiers s'il avait une once de chance d'être accepté. Mais tu es comme moi, tu refuseras de n'être que la copie. Il n'y a qu'un fauteuil pour deux, nos lois au pays ont des règles pour résoudre ce genre de conflit.

Hmm, alors c'est ta quête ? Tu penses pouvoir me vaincre ?

Pas tout à fait. J'ai l'intension de t'envoyer en enfer.

Fin des pourparlers. Au moins, chacun a exposé son point de vue. Body Double soupire en descendant de cheval. Je me demande ce qu'il fout. Puis, je commence à comprendre, quand je le vois ôter une à une ses pièces d'armure.

Ce n'est pas tous les jours qu'on s'affronte soi-même. Hors de question que ma victoire soit due à un avantage matériel, nous combattrons à armes égales. D'ailleurs, si tu estimes devoir dormir, être soigné ou te reposer, je t'accorderai toutes les faveurs. Je te veux en pleine forme pour notre combat.

Ça ira. Tu devrais plutôt t'échauffer, moi je me suis bien décrassé les muscles là. Que toi, t'es de la viande froide.

On verra ça.

Il finit de sangler Némésis sur Nob'. Puis, j'ai juste le temps de croiser les bras devant le torse quand il charge pour m'asséner un violent coup de pied frontal. Ok, c'est parti! Je ravale les quelques mètres que son attaque m'a fait perdre et balance le genou de bas en haut qu'il pare à son tour. Envoyé dans les airs, je le rejoins. Nouvelle ruade, j'accueille son tibia du coude quand il m'offre le balayage. Impact sec, je rebondis du dos sur le sol et me relève d'un cumulet arrière alors qu'il atterrit sur sa jambe préservée. Charge partagée, Je frappe le premier d'un uppercut en plein abdomen. Minos est lourd, mais mes frappes aussi. Ça le soulève. Je ne peux pas en profiter, son poing finit sa course pour me dévier la mâchoire et me faire quitter le contact. Une micro-seconde, je déconnecte en ayant l'impression d'avoir voulu faire la bise à un translinéen. Merde, alors c'est ça que ça fait quand je file un gnon ? Ha ha, ça fait un mal de chien. Lui finit sa voûte pour rattraper sa phase homo erectus. Un petit toc suivi de grains frottés les uns aux autres termine le premier assaut. Silence, puis acclamations. Les soldats se régalent. L'autre Minos m'offre un sourire satisfait, un poil complice même. Il aime ça autant que moi.

Je suis échauffé, là.

J'acquiesce, du même enthousiasme.


Dernière édition par Minos le Dim 25 Mar 2018 - 5:01, édité 1 fois
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C'est un truc qui m'avait manqué, d'affronter un mec à ma mesure. Au sens propre, un mec de ma dimension quoi. Les surfaciens culminent à ma taille. Ma taille, ma taille, pas ma taille totale. C'est moi ou on a du mal à se comprendre aujourd'hui ? Enfin, ce que je veux dire, c'est que quelques rares cas les poussent à mes épaules. Mais ce sont des anomalies. Du gigantisme. La seule race qui me dépasse, c'est celle des géants et là le problème est inversé. J'affronte rarement un zig de mon format. Ça fait un bien fou. On se comprend, tous les deux. La main n'encercle pas tout le tronc, elle doit choisir un bras. Et encore, sa zone la plus fine. Pas besoin de se baisser pour balancer son poing, chacun a la même lucarne que l'autre pour avoiner. Et comme en prime on fait le même poids, personne ne joue la masse. S'il n'y avait pas les petits humains et le gros géant autour de nous, je nous croirais dans la norme.

Mister Copy m'encrasse une nouvelle fois les talons de sable quand je trace un sillon suite à son dernier coup. Ça l'éclate tellement de taper dans un sac bien lourd qu'il y met la gomme. Moi aussi, comme quand je le force à se tenir sur une guibole d'un sale fouetté à la cuisse pour enchaîner d'un marteau écrasant qui le convie à finir trois pattes contre terre. Il se relève épaule la première, pour me slamer sans les mains. En plein air, j'enroule le bras sous sa crinière et verrouille en rejoignant les mimines. Je veux bien m'étaler au sol si c'est pour lui placer une bonne vieille guillotine . On peut tous renforcer ses muscles, mais personne ne peut renforcer ses articulations. Si je verrouille bien et que je tire sur la nuque, elle pétera.

La tête emprisonnée sous mon bras, je profite qu'on tombe pour bien lui mouler la tronche sur le sable. Les guiboles se verrouillent des chevilles contre ses reins. Vas-y connard, sors-toi de là qu'on rigole!

Le sablier s'écoule, la bête se débat en veillant à ne pas empirer sa situation. Moi, je serre tout en gérant l'acide lactique. Parce que ouais, quand t'es un lutteur habitué à le subir, figure-toi que ton corps finit par apprendre à s'en débarrasser pour te permettre un effort prolongé. Tenir une prise comme si tu devais maîtriser un ours, ça demande beaucoup d'efforts. Mais lui aussi en brûle des calories, pour tenter de se dégager. Et je l'entends presque supplier ses cervicales de tenir la torsion. Je préfère gérer le brûlant de mes biceps que la douleur de son cou. Le sort et sa victime s'acharnent toujours. Courageux, mais vain. Il aura beau essayer de déverrouiller mes chevilles, ou de s'agiter, je suis pas résolu à le laisser esquiver la fatalité. Ce Minos était doué, mais il lui manque un truc que j'ai et pas - ou plus - lui. La rage. Ce mec s'est tellement dit Roi qu'il a fini par s'autocaricaturer. Il s'est embourgeoisé, tandis que moi je continuais à téter la vraie vie dans ce qu'elle a de plus sale et d'intransigeant. Goûte à la réalité du terrain, une erreur suffit face à moi. Tu aurais dû le savoir.

C'en devient facile de tirer de plus en plus fort. Fin de l'orgueil, il a abandonné le forcing. Ou peut-être que ma façon d'encercler son cou le prive aussi de sang dans la tête et qu'il est en passe de perdre connaissance. Tant mieux, il me restera à finir le boulot. Dans ses dernières secondes de lucidité, sa main cherche à l'aveuglette mon visage. On vire pathétique là! Je resserre plus la prise pour sévir la tentative. C'est là qu'il m'enfourne du sable dans les naseaux et me comprime le museau. Petite merde! J'essaye de me moucher fissa, mais pas moyen, il me bloque les voies respiratoires. Et les grains remontent en douleur vive dans le pif, j'ai l'impression qu'on y a balancé du poivre. Je relâche mon emprise pour échapper à sa main et éternue comme un possédé en agitant le talon. Il le percute deux fois avant de mouliner dans le vide, mais j'ignore ce que j'ai touché. Pas grave, j'essuie en hâte mes larmes en me mouchant bien comme il faut et guette cet enfoiré. J'en vois surtout le talon s'abattre sur mon front. Un coup hasardeux, qui sent le mec groggy. Mais il tente quand même de me bousiller le crâne. Ça tape à côté quand je bouge la caboche, tout en lui chopant l'autre guibole. Au prix d'un second coup de talon dans la gueule, je lui fauche l'appui et m'enlève le sable du visage. Balle au centre, on s'aménage une petite pause en se relevant, le temps de faire un rapide bilan des dégâts.

Koff koff! petite merde...

Koff Koff! ben quoi ? Les Rois, ça n'aime pas les châteaux de sable ?

Bonne vanne. Il se masse la nuque pendant que je vire les derniers grains de mes narines. Même pas essoufflé, le gars. Je l'ai privé d'oxygène une bonne minute, pendant laquelle je l'ai contraint à l'effort. Et rien. A part la transpiration, il ressemble à un mec qui sort du lit. Encore que t'en as qui suent comme des gorets en dormant, je dis pas. Mais c'est pas notre cas.

Check up terminé. Contusions légères, mal un peu partout, on est prêts pour y retourner. Je commence à comprendre qu'à moins d'un lucky punch ou d'une technique qui ne se s'esquive pas d'un coup bas, ça va durer longtemps cette confrontation. Je le comparais à un ours, j'avais raison. Faudra pas vendre sa peau avant de l'avoir tué. Au figuré cette fois, je compte pas le dépecer. Par contre, je vais le rendre à la terre dans tous les sens du terme. C'est pas vraiment un spoil. Ou alors, dire que Luke meurt à la fin est aussi du spoil, mais là...


Dernière édition par Minos le Lun 26 Mar 2018 - 2:01, édité 5 fois
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Les braseros se déplacent autour de nous. La nuit est à pleine puissance, l'oeil lunaire bien rond au-dessus de l'île. Là où les flammes ne contrastent pas la gamme, tout a viré au bleu. Quelques soldats déplacent le ring d'un demi kilomètre de diamètre. Leurs ombres dansent avec les flammes sur la plage comme des diablotins désarticulés. Au centre de la piste, deux colosses jouent le tambour de la chair. Tout n'est que percussions effrénées, les peaux claquent dans la valse à mille temps comme les batteurs dans le plus enragé des solos de leur vie. Parfois, la musique s'interrompt. Pas d'entracte, l'un d'eux a simplement été projeté trop loin pour poursuivre la symphonie bestiale. Puis elle reprend. Le raclement des tonneaux de métal accompagne le tonnerre et le choeur. Le public continue d'applaudir ou de siffler, quand le chant de bataille s'apaise.

Mon poing tonne sur la pommette de la réplique. Elle n'explose toujours pas. Cuir solide, mais il ne bloque pas la douleur. Depuis quelques assauts, je mène. Mimenos est mon fier miroir, il ne manque pas de confiance. Cependant, il doit cogiter sévère en voyant que je prends peu à peu l'ascendant. Je peux sentir ses pensées comme si elles émettaient une odeur. Parfois, j'ai l'impression de ressentir le mal que je lui fais. Il faut dire que c'est un peu le cas.

Son  genou claque contre ma cuisse, mon coude contre sa joue, entre ses rangées de dents desserrées. Il se récupère en reculant, encore une fois. Coup à la tempe, l'autre pommette, le bras qui bloque, les côtes sous le bras, je le harcèle. Une bouffée d'orgueil interrompt mon envolée punitive et les avant-bras se remettent à chauffer. De nouveaux coups me balancent même la tête d'un côté et de l'autre. L'orage passe bien vite. Ouverture, sévisse, je casse son élan d'un direct au plexus et reprends la danse. Mes directs pleuvent sans plus trouver grande résistance.

Il tombe, pour la première fois. Satisfait ? Absolument pas. Moi, ça me dérange de voir mon sosie les quatre membres au sol. Non, c'est même au-delà. C'est vif, insupportable. Ça me ronge comme un acide. De colère, je le relève d'un coup de pied an flanc. Détaché du sol, je le frappe comme une enclume des mains jointes, doigts entrecroisés. Nouvelle déconfiture, comme si le voir humilié une fois n'avait pas suffi. C'est insupportable!

Debout!

Il essaye. Il est en passe d'y arriver quand je l'élève d'un nouveau coup pour le virer de la portée de ma fureur d'un crochet pas franchement charlie. Son corps rebondit sur la plage et soulève un nuage de sable sur sa route. Je laisse la poussière se dissiper, puis avance vers lui. Il est déjà debout, c'est bien. On a encore un peu d'amour-propre.

Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

De quoi tu parles ?

T'es plus dans le combat, là! Je veux bien que tu perdes, mais je t'interdis d'abandonner. Si tu veux tant que ça être moi, sois-en digne jusqu'au bout, bordel!

J'écrase dans ma main son poing élancé vers moi sans y penser et lui enfonce le mien dans l'abdomen. Quand il se penche sous l'impact, je lui assène un coup de boule. Ses dents raclent si fort les unes contre les autres que je les entends. Nouvelle perte d'équilibre, mais il parvient tout de même à me faire mal en ripostant de la jambe contre mon tronc. Je la bloque sous mon bras, son poing toujours dans ma paume, et le fais tournoyer. Il m'a vu balancer le casque de Braff avant notre duel. Et s'il me connait si bien, il sait que je suis assez fort pour projeter des géants. Alors un quart de géant, ça s'envoie loin. Je vise le campement où peu d'hommes sont restés, répandus qu'ils sont derrière les torches comme les phalènes fascinées par ce qui va les tuer. Le corps de mon ennemi ne fait aucune escale avant de briser plusieurs troncs ficelés en guise de remparts. Sa course finit bien au-delà, quand les vagues rabattues par les geysers l'avalent presque entièrement. A nouveau, il se relève, blessé à la tête. C'est bien joli d'encaisser comme ça, mais j'attendais mieux de lui.

C'est tout ? C'est avec ça qu'on m'a remplacé ? On pense que le Roi Minos se résume à un corps parfait, de la force et de l'endurance ? Regarde-toi, tocard! T'es qu'un gros paquet de muscles inutiles là!

Et toi, une grande gueule! qu'il me fait en quittant le rivage pour rejoindre le ring.

Evidemment que je l'ouvre! Comment veux-tu que je reste muet devant ce que t'affiches là ? Tu m'as vendu du rêve, avec ta théorie du moi. C'était crédible, j'étais honoré d'un tel boulot. Quelque part, je voulais même y croire. Mais on dirait que, en cours de baston, t'as perdu ta fierté. Tu veux que je te dise ? Tu me combats pour de mauvaises raisons et c'est ça qui te rend tout mou.

Arrête de te la péter, doppelgänger. Tu crois vraiment être en mesure de faire la leçon à ton modèle ?

Ben voilà, c'est de ça que je parle. Tu n'affrontes pas ton égal, tu affrontes un ersatz. Et ton prétendu ersatz, il te considère comme un truc sérieux. Tu ne t'oublies pas assez, Minos.

Moi, quand je me bats contre toi, je ne le fais pas par orgueil, ni par devoir. J'oublie tout, jusqu'à qui je suis et qui tu prétends être. En fait, je considère même que dès l'instant où nous nous départageons, nous admettons tous les deux que l'autre peut-être le véritable Minos. Nous acceptons de remettre notre légitimité en jeu. Délaissé du poids matériel et des craintes immatérielles, comme mes peurs primales, je me transcende et me bats à plein régime. Toi, t'es ankylosé. Tu rumines, tu parais. T'es ralenti par le regard des légionnaires, le refus de considérer qu'il y a bien un autre toi , ici et maintenant, et que tu vas mourir si tu ne te sors pas les doigts tout seul. T'es dans le déni de défaite et c'est ce qui nous distingue. Contrairement à toi, je sais ce que ça fait de perdre.

J'étais probablement comme toi au moment de ta création. Mais tandis que tu te contentais de bâtir ton armée, de te focaliser sur les choses superfétatoires, moi j'explorais ce qui n'a ni valeur, ni quantification. Je me suis enrichi de choses qu'on ne peut attraper autrement que par la sagesse. La vacuité est forme, Minos, et la forme est vacuité. C'est ce que m'a appris mon temps de méditation. J'ai dormi pendant trois ans, mais c'était pour m'éveiller.

Toi, tu somnoles toujours. Tu restes un Roi dérisoire aux objectifs simplistes. Gros bateau, grosse armée, grosse teub. Bravo mon con, t'es comme tous les clampins qui passent leur temps à faire de la gonflette et à être tout fous de mesurer la prise de millimètres de leur tour de biceps. Pourtant, tu le sais comme moi, Minos n'est pas Minos parce qu'il veut dépasser les autres. Tu te contentes de faire de ton mieux, conscient des dons que tu as. Tu crois en l'humain, mais tu as la certitude de ses vices.

Ton peuple peut mourir, comme toi. Tu te bats pour une idéologie, un idéal qui existait avant toi et survivra après. Seulement, cet idéal ne  prend de l'ampleur que quand des gens s'alourdissent avec. Et qui d'autre que toi, hein ? Au moins, tu te sais fiable, intègre. Tu peux faire de grandes choses et tu saisis l'opportunité. C'est ça, être Minos. Un despote éclairé. Pas le démon peureux qui me fait face parce qu'il a les jetons de se prendre son ultime branlée. Tu veux un grand combat ? Commence par être un grand homme. Mérite-moi.

Il n'attaque pas. Au contraire, il se détend et cogite à ce que je viens de lui balancer. Tant mieux, j'ai horreur de discourir pour du haché. Ça percute sûrement dans un coin de sa tête, parce qu'il reprend un peu de tonus dans l'expression. Je le découvre même tout sourire, puis en franc rire que je n'interromps pas. C'est chouette de me voir rire comme un gosse.

Dis donc, heureusement que t'es pas une gonzesse. Qu'est-ce que tu causes. Mais j'admets, t'as raison. Je t'affronte comme un mec qui a des trucs à perdre, pas comme un égal qui me force à me prouver ma propre valeur.

Tu me rappelles un peu un Colonel que j'ai affronté aux abords de Shell Town, y a quelques années. Je l'appelais Teubby, mais 'siblement c'était Fenyang son patronyme. Une saleté, j'ai manqué de solutions face à lui. Et pourtant, j'en ai défoncé des gars solides, certains même plus dangereux que moi.

Ça m'a fait chier de devoir battre en retraite face à lui et ses saloperies de lames. T'es un peu comme lui, je trouve pas comment t'avoir. Et j'ai pas trois ans à consacrer au goût de la défaite comme toi. Alors bon, tu m'en veux pas de chercher ma propre voie ? Au final, peu importe ton entraînement ou tes avantages. Je te briserai.


Je....je sais pas quoi dire. C'est par réflexes que je lève les bras et pare les premiers coups. Seulement les premiers. C'est pas lui. C'est pas son "je te briserai". Pendant son discours, j'ai eu cette montée de sueur froide dans le haut du dos pour finir en étreinte glacée sur mon cervelet en même temps que l'envie de vomir. Le poison ressenti aux thermes revient, mais en pire. La peur, elle est là. J'ai beau tenter de la chasser, une phrase se grave dans ma concentration au marteau piqueur et trouble tout. Le Colonel Fenyang, je n'ai aucune idée de qui il peut être.


Dernière édition par Minos le Lun 26 Mar 2018 - 2:35, édité 2 fois
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Je rassemble les souvenirs que j'ai. Tout ce qui concerne ma venue ici est clair. J'ai aussi plein d'autres bribes de souvenirs. Flous, bien sûr, mais ils le sont toujours. La mémoire, ce n'est pas un livre bien trié sur des événements, c'est un ensemble de couleurs qui fusionnent pour recomposer un tableau. Donc, que des choses soient floues, c'est normal. C'est le cas pour tout le monde. Je dois remonter plus loin. Si ma mémoire est programmée, on m'a juste donné ce qui pouvait faire illusion. il y a forcément une limite. Je remonte, aussi loin que je peux.

Le plus vieux souvenir, c'est moi qui me relève à la jetée d'une île, près d'un bois. Des loups finissent par m'attaquer, j'en épargne un, une femelle enceinte me semble. On partage un de ses compagnons qui a eu moins de chance. Et avant ça ? J'ai un royaume, un père que j'ai tué, un peuple sorti de terre. Mais aucun souvenir précis, c'est comme si je l'avais entendu de quelqu'un d'autre. Est-ce que ça fait de moi la copie de ne pas savoir ? Suis-je le faux ?

Minos interrompt ma réflexion d'un coup au foie. Cette fois, c'est le présent qui se brouille. Je barricade mon visage de mes bras et me sens tanguer, la tête partie dans plusieurs directions à la fois. Des chocs sourds m'arrachent le bouclier. Il me pilonne sans relâche et je ne pare plus. J'ai l'impression d'avoir le son de la mer dans les oreilles sans savoir si je suis dans la flotte ou si c'est mon sang qui baigne mes tympans. Parce que je saigne, ça c'est sûr. J'en reconnais le goût. Allongé sur le sol, l'oeil vide, le cerveau paralysé, tout semble lointain. Mon double se relève et me fixe comme un mort. Il cause, mais j'entends rien. Je suis juste content que les chocs s'arrêtent. Au-dessus, y a la lune, toujours aussi belle. Elle pivote. Je lévite au bout du bras du Roi qui ne comprend pas pourquoi je ne fais plus rien, mais je pourrais pas miser sur si ça l'arrange ou l'incommode. Je tournoie très vite. Ah, il va me balancer quelque part.

C'est marrant, dans les fictions qu'on raconte aux autres, balancer quelqu'un, c'est le truc gentil. Un homme ne frappe pas une femme, il la lance dans le décor, par exemple. Parce qu'une femme ne doit pas être frappée, si elle heurte un mur, c'est moins grave. Et quand un type en affronte un bien plus fort, mais qu'il doit perdre sans risquer de mourir, on l'envoie juste valdinguer quelques mètres plus loin, avec un joli lobe. En fait, se faire projeter est pire que se prendre un coup. Dans une bagarre de rue, c'est pas le coup de poing dans la gueule qui tue, c'est la chute du gars qui percute le sol de sa tête. Balancer quelqu'un dans un décor, c'est pire qu'une patate en pleine poire.

Soudain, le sol s'éloigne. Ha ha ha, les airs, vraiment ? Pourquoi pas, après tout. Au moins, il n'aura pas à marcher pour me retrouver. Je vais m'écraser, pas trop loin. Sûrement mourir de la chute. Les braseros rétrécissent, je peux tous les voir maintenant. C'est beau, cette plage de nuit. Autour de l'iris de feu, je suis trop loin pour distinguer les traces de pas, les lubies du vent. Mais je vois encore les cratères, perlés de boulets pour la plupart. Même dos au ciel, la lune est là. Ça serait bien si je pouvais heurter celle du ciel avant de retomber. Le lancer parfait, la technique ultime. Manquerait plus qu'elle tremblotte sous le choc avec un joli son de cloche de cité. Mais si je percutais la lune, je ne reviendrais pas. J'ai appris ça pendant mon rêve, quand j'étais une planète. Assez ironique, de me faire comprendre l'espace avec lequel je me suis toujours plus ou moins torché, mais de ne pas m'offrir une vision de mon passé pourtant essentiel à mon individualité.

Un nuage passe, un des seuls de la nuit. Il y fait froid et mes poils s'empoissent de rosée. De toute façon, de là où je suis, je ne vois plus rien. Le feu n'est qu'incandescence de cigarette qui ne doit probablement plus être qu'un spectre sur ma rétine. J'en sais rien en fait, je ne suis plus là déjà. C'est comme les vieux qui fond leur lit, sauf que moi mon marchand de sable il ne passera qu'une fois et le soir-même.

Le rêve de l'espace me revient comme si j'y étais encore. Ces souvenirs là sont les plus fiables. De la première poignée de terre à la dernière explosion, tout est encore là. J'ai rêvé un univers entier, pourquoi ? La trace du pied dans la lune, c'était ça que Chtulobah voulait me faire voir ? Ses questions me semblaient connes, à l'époque. Ton nom? ta quête? qu'es-tu ? Et le sacrifice. Il m'a parlé d'un sacrifice, même si je trouvais les bonnes réponses. J'ai pensé qu'il s'agissait de Six que j'ai dû butter à mon réveil. Un test pour me valider en candidat à ma mission future. Tout comme j'ai pensé que j'étais Minos. Il me programmait à ça. Je ne donnais pas les bonnes réponses, je donnais celles qu'il espérait me faire formuler. Tout n'a été que tests. Me faire triompher de la porte noire, me faire me rappeler à tout prix qui je devais être, pourquoi je devais le rester. La bête pour tester ma force, le laboratoire pour mon obéissance. Les cornus, ma fidélité. Loui, me montrer le sort réservé à ceux qui échouent. Il ne s'était pas trouvé sur ma route par hasard. Il n'y a jamais eu de hasard. Les dieux aiment le hasard, pas les scientifiques.

Chtulobah n'a pas joué à être Dieu, il était véritablement le mien. Parce que j'ai été créé par lui, de toute pièce. Je ne suis là que pour le débarrasser de la maladie de l'île. Soit je tuais Minos et me barrais après avoir rééduqué par ses soins, soit je mourrais et, et quoi ? Y a un truc qui manque là-dedans. Il a investi énormément de ressources pour que ce combat ait lieu. Il sait que Minos peut me vaincre. Pourtant, il agit toujours comme s'il avait la parade à tout. Alors, c'est quoi sa solution si je meurs ? Est-ce que ça aussi ça fait partie de ses plans ? Cette impression qu'un autre a déterminé ta vie et que tu n'as pas d'autre choix qu'obéir ou ne rien comprendre, ce n'est pas naturel. C'est terrifiant et génial à la fois. Je ne suis qu'un pantin.

Tiens, on a cessé de monter. Tant mieux. Il fait si froid ici.

Et si j'étais bien le vrai Minos ? C'est possible, après tout. Tu as cru pendant des millions d'années que tu étais une planète pour te rendre compte que non. Alors, si au final le message n'était pas en ce sens ? Tu as tout du double, comme tu avais tout de a terre quand tu devais deviner que tu étais humain. Tu peux vaincre l'autre toi, c'est techniquement possible. Et si, même reprogrammé sans les bons souvenirs, ça restait toi le vrai Roi ? Si tu devrais te fier à ta réflexion plutôt qu'aux évidences ? L'expérience de la porte noire t'a bien apporté un truc: celui de tout remettre en question, de n'avoir aucune certitude. Peut-être que le sacrifice, c'est tuer le Minos factice. Peut-être qu'il a ma mémoire, comme les cornus parlent d'un Roi qui doit mourir pour renaître à nouveau. Peut-être que je devais ignorer les failles du vrai Minos que je suis, ou que j'ai juste été préparé à agir malgré tout si j'en avais conscience.

Ou bien, je ne suis qu'une copie qui cherche désespérément un moyen de justifier sa survie. Dans ce cas, ai-je raison ? Une âme légitime vaut-elle tant plus qu'une autre ? Est-ce qu'il faut mieux n'être qu'une ombre qui agit bien, ou un être complet qui se trompe ? Est-ce que je dois tuer pour une bonne raison, ou me laisser mourir pour une autre bonne raison ? Comment on répond à ça sans divinité ? Sans savoir ce qui nous définit véritablement en tant qu'être ? Et est-ce qu'on est supposés chercher une réponse à ces questions ? C'est sans fin. T'as plus trois ans, t'as une minute.

Etre Roi, ça a toujours été s'arroger un pouvoir trop important pour soi, mais essentiel aux autres. C'est un sacrifice, un crime l'hubris de naissance. Je ne crois pas qu'un seul Roi ait un jour été digne de son importance. Nous ne faisons qu'exercer nos talents de comédiens pour donner le change et la vérité des autres nous adoube. Mais c'est de la foutaise, aucun être humain ne peut commander à un autre, pas sans lui avoir donné le choix, pas sans l'avoir eu lui-même. Je passe ma vie à tricher, pour ordonner. Rappelle-toi, combien de fois tu as dû masquer ton inconfort quand on te portait aux nues. T'as commis plus de crimes et d'atrocités que pas mal de gens sur ce monde, et des gamins à qui on avait dit que t'étais un espoir avaient des étoiles plein les yeux en te voyant. Le sacrifice, il est quotidien. Tu es né pour servir de symbole et tu mourras pour la même raison. Entre ton rôle de Roi que t'as pas choisi et celui de créature qui t'est tout autant imposé, qu'est-ce que tu préfères au final ? C'est un peu pareil, dans les deux cas t'es baisé. Aucun des deux Minos n'est libre et ne le sera jamais. Celui qui tuera l'autre lui rendra peut-être un fier service. Allez, ça marche. Je vais faire comme si Minos était le Roi et lui offrir une mort digne de lui. J'accepte mon rôle d'ombre. J'accepte de n'être qu'un jouet prédéterminé. De toute façon, on a beau contester la gravité, on tombe quand même.

La plage revient, avec son joli petit cercle balisé. J'écarte les bras et prends l'air. Ça bourdonne à mort dans les esgourdes, mais on dirait que les sens reviennent avec l'esprit. S'agit de pas se louper, alors je dirige comme je peux pour rejoindre directement Minos. Quand la trajectoire se stabilise, je pique vers lui. Il prépare ses appuis. On se comprend je crois. Une joie immense m'envahit, je me sens libre. Poing en avant, je fonds en super man avec un plus joli slip et un plus chouette tatouage sur le pec. L'ex-lutteur prépare aussi un bon punch à dérouler au moment opportun. Ça va être le check de l'année je pense.

Check !


Dernière édition par Minos le Mar 3 Avr 2018 - 4:04, édité 5 fois
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Ha ha ha, j'adore ce mec! La plupart des vecks n'auraient pas joué le jeu, ils se seraient écartés pour me laisser plesker sur la plage. Mais pas lui, pas mon droogie. Au contraire, il s'est élancé dans les derniers mètres de ma chute pour smasher d'un direct dans le lunar express. Tous les os du bras entier ont dû se morceler façon puzzle, parce qu'on a tous les deux critché à l'impact. Résultat, deux bras en vrac et autant de titans d'orgueil qui se sont mis à tournicoter au gré des caprices pour atterrir en albatros hors du ring. C'est le noga total, la meilleure soirée de ma vie.

En gentlemen, on réintègre l'arène. J'ai pensé à ramener un chibreux d'arbre tenu dans mon fibreux encore valide, tout comme lui. Faudra ça ou on finira nous-mêmes homme-troncs. Parce que ouais, on a bien le bras pété, tout qui brimbale au-delà du coude. Puis y a un bout d'os qui ressort avec sa sauce krowi, aussi. Suis pas médecin, mais je le prends pour un symptôme. Bha, ça en valait la peine. Il semble heureux de me voir si heureux. Ça y est mon bratti, j'ai le mozg ozouché comme des charrières de dévotchka. Et tuer le Roi des humains nous convient tout pareil. Par contre, maintenant qu'on est sûrs tous les deux, qu'on s'engage ensemble, faut passer à l'étape supérieure. Finies les doudouces de collégiennes, on va s'offrir une bitva d'ultraviolence.

Si c'est un slow, il est motion. A peine Mimi bande son arbre qu'il veut déjà me foutre en cloche. Moi, ni une ni deux - c'pour crever de réciter ses maths - j'y fais le planté du bâton que je maintiens comme une guibole de tente. Avec un E, j'insiste. Sbam! Le choc est tel que mon arme joue la scie musicale un moment. Mais pour l'autre fiâsse, c'est le fiasco. Tient pas bon la barre et tient pas bon le vent. Hissé trop haut, le mât de misères, v'là ti pas qu'il patine comme un jongleur d'assiettes au courant qu'il court au tour qui tourne court. C'est ce qu'on appelle le retour du bâton. Je me marre en dégondant mon gourdin pour mettre le Roi échec et batte. Sbam, homerun!  J'ai déjà dit sbam, pour le bois contre bois. On va trouver autre chose pour le rois de bois, roi de fer, si je le manque, j'vais m'en faire. Baboom qu'on va dire. Quand je touche, ça fait baboom.

Baboom! donc. Ouais c'est mieux.

Tu te rappelles quand je te parlais du mal de te prendre un décor ? Si pas, remonte plus haut, je l'ai fait moi. Ben quand c'est le décor qui vient à toi, c'est pas mal aussi. Puis quand les lumberjack du tronc s'y mettent, ça fait des trucs pas beaux, des joujous extras qui font crac boom hue.

Baboom! Ah non, Sbam, il a contré. Il me pète mon ambiance. Pas le choix, je sors ma botte secrète.

Who, Minocel! Tu la connais celle-là ? C'est trois mecs, il sont sur une île déserte. Sbam! Et ils s'emmerdent. Alors forcément, Sbam! ils décident de se faire un billard.Sbam! Sbam! Jolie celle-là. Et donc, ils décident de se faire un billard. Le premier dit "ça tombe bien, j'ai la queue". Le second: "ça tombe bien, j'ai les boules". Le troisième il regarde les deux autres et fait "moi...je ne joue pas".

Il s'arrête un instant en tirant volets sur les glazes, comme si j'avais gueulé timber comme un timbré. Ça risque pas, personne ici n'a envie que timber tonne. Le droug me regarde et puis kopate la vanne. D'abord il pouffe, la radostie encore timide. Puis, l'éclat de rire à rote étirée, claqueuse vissée façon piège-à-ours. Nous partageons ce moment de comme union. Hélas, Minos n'est pas comme moi, conscient de sa mort prochaine. Quelque blagatelle plus tard, le voilà déjà prêt à se taper des barres en brandissant une nouvelle grisboiserie qui tond tout ce qui dépasse les quatre mètres dans ma zone. Rien quoi, c'est une plage et j'avais joué au saut à la perche. Toujours dans les airs, je fais rouler mon coton-tige sur l'épaule pour le replanter où avant il y avait un mec comme moi. Spouf! Dans la poudre. Il me laisse néanmoins récupérer mon arme. Sympa jusqu'au bout, je kiffe ce mec.

Je peux te poser une question ?


C'est une blague, genre devinette ?

Nop.


Ah....bon c'est pas grave, dis toujours.

Qu'est-ce qui fait que tu souris tout le temps comme un benêt ? On dirait qu'en t'envoyant dans les cieux on t'y a promis LXXII vierges. T'es joyeux comme un dirigeable sous hélium.

 Aaaah, ha! ha! Les vierges, souvent de mauvaises baiseuses. Nan, j'ai pas vu tout ça. En fait, pendant que tu me congédiais assez grassieusement. Gracieusement ou grassieusement ?

J'en sais rien, t'as dit la même chose deux fois.

 C'pas faux. Bon, en bref, avant de revenir ici, j'ai croisé mes amis cornus de la forêt sur le chemin. D'abord y avait Igor le castor, et Armand l'éléphant, et Géraldine le cygne, et Capucine la capucine. ♫

Okay, t'es devenu siphonné du petit-gris, passons...


 Non non, attends, c'est pas fini! Parce qu'en chemin, il y a d'autres animaux cornus qui se sont joints à moi pour te botter le cul. Et y avait Léon le lion, et Nimar le busard, et Robb Lochon, le cochon, et Ragnar le renard, et Daemon l'anémone, et Alma la lama, et Mantle le rattel, et Anna la poné. Et ensemble ils croisent encore d'autres amis. Y'avait Sengoku le hibou, et Hotaru l'otarie, Karuma le puma et William le Saurien. Et tout en se rendant ici, ils ont trouvé d'autres amis, quel hasard! Y avait Leeroy le Pingouin, Rowena le poisson clown, Percy Gal le Servale, ...

Et Gaston le bâton ♫
qu'il golosse à tue-voix-de-tête.

Sbam!


Ouah ha ! T'es un malade toi ? J'ai même pas pu te dire le meilleur. Avec y avait Arnaud le blaireau, et Shavette le chevrette, et Gibson le gibbon et Camille le gorille Sbam!

Et là ça fait baboom, mais dans mon coin. Le tronc me plaque le bras débranché contre l'encoche. J'interromps ma chanson d'un grognement que seule la pudeur m'empêche de dire qu'il est en fait un gémissement de douleur. Sérieux, j'ai l'impression qu'on m'a mal fixé l'échafaudage et que le chantier devient un vrai bordel. Les pronos affirment que ça va mettre plus de temps à se remettre qu'un palais de justice bruxellaire cette histoire. Vais devenir le bandit manchot, c'ui qui fout les jetons quand tu lui prends la pogne.

Heureusement, faut du temps pour préparer le coup suivant. Sont longs et bien rudes, mais assez encombrants. Comme quoi c'est pas la taille qui compte. Puisque je douille vivement du flanc, et que Minos et moi n'avons qu'un bras utilisable, j'en conclus que le sien est gelé tandis qu'il poursuit son attaque. Mes petons s'enfouissent sous le sable pour ne pas me laisser tomber. Je dois rester debout, plier sans rompre. Et tant pis pour la douleur, les os que je sens rouler en freelance entre les muscles et m'en couper la langue si je la laisse trainer du côté des gnapeuses.

L'inertie se calme. Je ne tomberai pas, ouf. Sans avoir le temps de reprendre mon calme, je cale mon arbre en javelot sur ma main. On va voir s'il trouve sagaie. Epaule en avant, bras souple, on laisse le trait tracer sa route. Il a ses quintaux et tous mes encouragements pour y arriver. Autre Moi est surpris. A un seul bras, il ne peut pas parer. Dans ma blague des trois mecs sur l'île déserte, il fait les boules. Et j'ai salement cassé le jeu. Il valdingue sans trop pouvoir se reprendre. J'en sais quelque chose, tomber sur son bras pété, c'est atroce. J'entends pas ses gémissements, mais je vois. Il douille à mort. Bien fait pour ta gueule!

Puisqu'il récupère mon gourdin, je m'accapare le sien. Ou alors c'est lui qui m'imite. A ce stade, on s'en fout un peu. C'lui qui m'copie! On enfonce bien nos doigts dans le bois qui commence à marquer ses limites. Heureusement qu'il y en a plein le râtelier du hokuto boken, parce qu'on est autant mauvais l'un que l'autre au combat à l'arme blanche. Ha ha, on est même à chier, mais c'est pas grave non plus. Au moins, on se marre.


Dernière édition par Minos le Mar 3 Avr 2018 - 4:10, édité 1 fois
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Les Deux Tours Miny11

J'en peux plus. Des heures qu'on s'escrime et châtimente au shlaga modèle géant. C'est facile au début. Tu te dis que c'est lourd, mais suffit de pousser plus loin ton carburateur. L'autre fait la même et ça devient un test de résistance à la douleur. Mais voilà, même un tronc, ça pèse au bout d'un moment. D'autant que les coups se sont faits moins maladroits, on a mieux géré le recul, accéléré le rythme. C'est comme le saut à la corde en crescendo, tu passes de la petite fille au pur boxeur.

Les blessures n'aident pas. Le bras hors service qui jute, c'est une chose. Tu sens ta force qui se fait la malle d'une poignée de minutes à l'autre. Les chocs répétés ont déchiré la peau un peu partout. Où que tu regardes, y a le krowi en grande évasion. La plage a eu son averse rouge, les dieux sont honorés cette nuit. Mon corps est lourd, la peau une énorme plaie qui lance. Et je tremble, harassé.

Lui aussi est exténué. Je n'ai pas moins bien géré le combat que Minos, on a eu chacun nos fulgurances et nos bourdes. Petit-à-petit, j'ai arrêté les vannes, pour ouvrir celles des cages à éponges. On en a conscience, c'est la fin du combat, le dernier round.

Il bouge le premier. Je préfère quand ça vient de moi. Bond, coup direct à la spartiate. Je brise un peu plus la distance, dévie sa lance sans fer de la mienne, pivote pour donner de l'élan à mon coup et lui colle un revers sur un trapèze qui lui fais regagner le sablé des palourdes. J'enchaîne, désireux d'en finir. Direct du bâton dans la bidasse, en plein abdoloris. Le check en bois ne l'empêche pas d'armer son prochain coup. Je lâche l'arme pour reculer. Faut pas s'accrocher à son arbre quand il menace de tomber. La riposte tape dans la plage avec un choc qui meurt à mes pieds. Un saut de cabri sur sa bûche, je bouge sans embûche pour lui détartrer la bouche d'un péno qui avait un truc d'un coup-franc. Carton plein, le diable rouge sort de sa boîte à syllabes pour taguer la plage. Minos se cramponne à son arme comme une moule à son rocher, mais tombe à la renverse. Moi, j'ai poursuivi ma course, pour trébucher sur une mini dune. Un genre de dunette arrière quoi. Je récupère l'équilibre sur quelques pas de course approximative. Le bras mort lance comme une nécrose. C'est surtout qu'il est tuméfié et que les os n'ont plus aucun souvenir de leur place d'origine. J'espère qu'il ne faudra pas le couper. Je me suis souvent cassé des trucs dans ma jeunesse, mais là y a record. Mes côtes fêlées qui me coupent le souffle quand je cours, l'épaule que j'ai dû remboîter y a pas une heure, la main la plus intacte brisée dont je commence à ne plus ressentir la douleur, je gère. Mais ce bras, c'est un appendice de chair percé de dagues. J'aurais préféré une colonie de fourmis rouges dans la raie plutôt que devoir bouger avec cette merde qui ballote comme une couille de vieux, avec autant d'utilité en plus. Et ce sang qui gicle. Si je survis, je me fais une transfusion sur le jumeau.

Un choc sans bruit me vrille la tête, comme si on m'avait fait avaler un marteau-piqueur. Le tronc dérape le long de mon cuir chevelu en me donnant l'illusion d'emporter le scalp au passage. C'est juste une douleur vive, puis le sang qui se mêle aux tifs. Le corps étudie la cause du désagrément, mais moi je sais.

Je tombe à genoux. Penché en avant, ça me rassure presque de ne pas voir de cervelle couler avec le sang bavé depuis ma nouvelle ouverture. Je me courbe, parce que je sais en ne sentant plus l'écorce me rapper la peau qu'un nouveau coup se prépare. Cette fois, je le sens. Ma colonne aussi. Ça me fait presque du bien de me laisser choir, de laisser au sol la gestion de ma masse sur tout le long. Le seul problème, c'est que je vais crever si je me laisse tenter par une pause. Alors, je me retourne, attends le prochain choc avec le dernier bras en ultime rempart. Une heure sonne, puis deux. Le claironneur, il est prêt à nous amener au petit matin avec son gong. Et je l'entends chanter, avec un humour qui ne fait plus rire aussi sincèrement.

Le fromage est battu! Le fromage est battu! Oh hé oh hé, au bord de l'eau, le fromage est battu!

Et baboom. Il tape comme un acharné, mais est aussi à bout de forces. Quand il a fini de lever son gourdin, il le laisse retomber, faute de mieux. Malgré la violence, le bras tient. Surtout, je le laisse s'épuiser, tandis que je récupère un peu; au prix d'une douleur lancinante que je néglige du mieux que je peux. Dans cette position, ma tête fendue pisse sa vie vers l'arrière. S'il y a un truc à éviter au vu des circonstances, c'est d'être aveuglé par son propre sang. Le moment que j'attendais arrive. Mon bras se tend vers le ciel pour empaler le pilier de bois sur mon poing. Une décharge me rappelle qu'il y a de la casse dedans. Toutefois, l'arme se brise où le coup porte. La tête de l'homme de bois qui me retombe sur le torse est vite récupérée. Je lance un peu mollement vers mes pieds, donne un coup de talon dedans et laisse le projectile se planter échardes les premières dans la cuisse du connard. Il grogne de rage, à l'instar du tigre qui pose la patte sur son premier porc-épic. Le temps qu'il retire le shuriboken et constate les quelques trous qu'il laisse derrière-lui, j'ai trouvé l'impulsion pour me relever, braver le sang qui bat dans ma tête, armer mon bras et lui balancer le crochet retentissant de la soirée. Je le vois, déconnecté, pencher en tour de Pise, puis s'effondrer comme un onze septembre. C'est le dos-Minos day. Y aurait un arbitre, il m'aurait séparé sur ce KO technique. Mais y a pas d'arbitre.

Je ramasse le morceau de bois aux pointes encore acérées, perlées de sa sève. Un coup, quelques uns au pire, et c'est fini. J'affermis ma prise sur le casse-gueule improvisé. Il est conscient, mais incapable de bouger. Son cerveau ne suit plus. Haletant, tel l'éreinté que j'ai mérité d'être, j'abats mon arme sur le visage de Minos dans un choc sec et glaçant. Puis, silence. Ma main relâche le moignon de tronc, mes muscles toute leur tension. Après un laps de temps probablement infime, je m'effondre enfin, le corps glacé, les lèvres sèches, le feu dans les poumons. Aux cieux, les étoiles disparaissent. La lune n'est plus qu'un pâle orbe que les lueurs du jour chassent. Les vagues baignent tout le bas de ma tête, mais sans bruit, parce qu'il n'y a pas d'eau ici. Le seul bruit que j'entends est celui de ma respiration, rogue, gorgée de sang que j'expectore comme un asthmatique. Quand j'expire, j'entends une autre respiration, moins encrassée que la mienne. Il est là, prêt à se relever. Il est vivant. Vivant.

A son tour, il tient le shuriboken, comme moi avant lui. Et comme moi, il ne s'en sert pas pour m'empaler le visage sur sa série de piques. Il le laisse tomber, à côté de ma tête, une forme de douceur dans le regard. Ouais, tu as gagné.

C'est un mec, il a un pote assez ouvert sur la discussion cul. Alors, il lui parle d'un gros problème qu'il a à la maison. "Dis, vieux, j'aime ma femme tu sais. Elle est super sur tout, on a une super maison, des super enfants. Mais y a rien à faire, elle refuse de me faire des fellations. Elle dit que le goût la bloque.
- Ah, classique, qu'il fait, l'autre. Pour que ta gonzesse te suce, c'est simple, tu te mets du choco sur la bite. Elles adorent ça, alors tu verras, ça passera.
- Ah ? Ouais, merci vieux. Je vais essayer."

Le lendemain, ils se retrouvent. Le type à l'aise avec le sexe, il est curieux, alors il demande:
" Dis donc, t'as essayé comme je t'ai dit ? Ça a marché ?
- Tu parles, qu'il fait l'autre, elle a râlé autant que d'habitude! Par contre, les enfants adorent."


Ah....ha ha ha ha ha ! Ah merde, les côtes. Enfoiré! Je me marre, entre douleur et conscience que c'est mon dernier fou-rire. Alors, je libère tout. Lui aussi rigole, sans doute un peu plus tristement. Son regard se balade sur les pointes de sang, quand il ne dessine pas des pupilles mon auréole écarlate que la plage peine à boire.

La créature était incapable de tuer son modèle, hein ? Si tu avais porté ton dernier coup, tu aurais gagné. Tu étais destiné à mourir par ma main.

Mhaaaaa, tente pas les blagues improvisées, c'est mon talent ça. Si je frappais un nullos comme toi...si je te frappais pour de vrai, tu mourrais.

Il ne comprend pas si je plaisante ou pas. La vérité, c'est qu'il a raison, je devais perdre. Pas parce que Chtulobah le veut, pas parce qu'il est le vrai Minos. Simplement parce que c'est ma seule façon de le sauver. Je préfère tenter de le bonifier en lui sacrifiant ma vie plutôt que m'avilir en remportant la victoire. Je suis une copie parfaite. Si j'ai pu apprendre la miséricorde, sûrement le peut-il aussi. La vérité, c'est que j'ai goûté à sa vie et développé la mienne en parallèle, plus libre qu'il ne l'a jamais été. Je n'ai jamais été aussi heureux que débarrassé du fardeau d'être lui. Change, Minos. Je plains sincèrement le triste sir que tu es. Moi, mon boulot s'achève. Chtulobah, j'ai accompli ma mission. Si elle ne te convient pas, tu peux aller te faire foutre. Fallait mieux bosser ta copie. Moi, je porte le voile sur mes sens en toute quiétude. Je me suis libéré.

...


Dernière édition par Minos le Jeu 5 Avr 2018 - 6:50, édité 1 fois
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Il nous a tous libérés. Je demeure apathique face à ce corps sans vie dont je n'ai plus aucune idée de qui il est. A sa mort, la créature m'a rendu mes souvenirs volés, en plus de tous ceux qui ne m'appartenaient pas. Ça fait comme quand tu te rappelles subitement un rêve. Je vois le néant, son épreuve, Six, Chtulobah et le reste. Je vois même chaque moment où nous nous sommes battus. Pire, j'ai en mémoire chacune de ses pensées, sa vision de moi, une autre version d'un même événement vécu par un être différent et à la fois identique en tout point. Autant dire que je vais pas la fanfaronner en vérité véritable aux tavernes les soirées histoires de pirates. C'est un bordel qu'il faut avoir vécu, il ne se raconte pas.

Au moins, j'ai appris des choses sur Minos. Surtout, je me sens complet. Le toubib de l'île m'avait bien prélevé des souvenirs comme on chipe un bout de foie pour sauver un zig de sa famille, ou une merde du genre. En mourant, j'ai les idées à peu près remises en place. Certaines versions se superposent, des fractions qui ne devraient pas manquer manquent toujours. J'imagine qu'on peut appeler ça des séquelles médicales. Ou l'impénétrable volonté des dieux, selon la couleur de la pilule. Toutes ces questions n'ont plus grande importance maintenant que ma voie s'est dégagée. Je n'ai plus aucune raison d'attendre sur cette île. Peu importe sa forme, au prochain éveil de la lune, nous serons loin.

Les pas des légionnaires crounchent aux alentours. La Sonde et les quelques gars formés aux soins m'inspectent de loin. Bras fichu, je sais. Perte de sang, je sais aussi. Mais c'est pas le moment de me recoudre comme une épaule d'agneau ou de m'expliquer ce que j'ai déjà constaté de tout mon système nerveux pendant c'te nuit. Je parle, avec la voix lasse, mais soulagée d'être de ce corps.

Que chacun se découvre, ainsi que le veut l'usage lorsque nous sommes en présence d'un sang royal. Un Roi est mort ce soir. Vive le Roi.

Et ils ne furent plus que deux hein ? Loui et la Créature retirés du set, restent Sabri et moi. Je n'ai pas pu oublier où est le Roi des cornus, pas plus que je ne serai surpris de le découvrir là où je l'ai laissé. Mon corps pivote vers le bâtiment à la panse de bois bien enfoncée dans son pantalon d'océan. Ce n'est pas un moment que j'aimerai, mais il est temps d'en finir définitivement avec les expériences ratées, les échecs et le désordre.

Toubib, prépare de quoi me soigner et donne moi dix minutes. Les autres, enveloppez le corps et préparez les canons pour une cérémonie à même la plage. Je dors une paire d'heures et on pourra rendre hommage à un digne adversaire. Personne n'est autorisé à toucher son corps. Quiconque défiera cet ordre subira un châtiment exemplaire. Exécution!

La discipline revient bien vite. La procédure de la cérémonie est connue, c'est pas de l'inédit. On a laissé des morts ici. Cette fois, ce sera la dernière.

Le pas lourd, je monte sur le quai, partiellement détruit par le combat, où le dernier étage mène au pont du navire. J'avance à l'instar d'un zombie, épuisé, mu par un objectif simple qui ne tient qu'en un mot: tuer. Dans l'antre de la folie, surtout des grandeurs, je traverse des pièces encore vides où s'amasseront les troupes quand nous prendrons la mer. Là où seront les geôles, il n'y a aucune cage pour l'instant, mais un unique prisonnier. Sabri le cabri est tel que dans mon souvenir, avec son poil blanc tacheté de brun, ses cornes sur ses cornes, son oeil rond et pourtant animé d'une intelligence remarquable. Son collier de métal en demi-cerceau qui lui plante la tête au sol, sans même lui permettre de la relever. Son absence de pattes, toutes remplacées par des cicatrices aussi atroces qu'anciennes. La première, c'était pour punir sa tentative d'évasion. La seconde, par faim et colère. Quant aux deux dernières, pure cruauté. Je me remémore très bien avoir été jusqu'à les préparer à la dégustation devant lui. Ce souvenir de moi me dégoûte comme si c'était l'autre qui avait gagné. C'est une évidence à présent, j'étais fou, complètement déséquilibré.

Sabri lève ce qu'il peut vers moi. Faute de temps, je lui avais au moins laissé la langue et les deux yeux. Mais ça fait des semaines qu'il ne prononce plus un mot. C'est un cornu, un herbivore, un pacifiste convaincu. Son rôle a toujours été de protéger et instruire les créatures de l'île. Quand je l'ai compris, j'en ai fait mon animal de compagnie et me suis diverti de sa sagesse, la folie d'une foi envers un univers sans violence. Au fil des ans, je lui ai enseigné la douleur, l'amertume et l'horreur de l'envahisseur. J'ai fait de lui une créature aliénée, mutilée et infectée par la haine. Et s'il a toujours sa langue pour me maudire, je lui ai retiré ses dents pour le dissuader d'en faire son instrument de suicide. Tout comme je le force à prendre sa ration d'herbe prémâchée tous les jours. Je le voulais en vie, pour trouver plus captif que moi. Soyez témoins, que je faisais. Mais c'est terminé, définitivement. Bientôt, je vais enfin mettre fin à son calvaire.

Je ne te ferai pas l'affront de te demander de me pardonner, Roi Sabri. Je ne viens que t'accorder le droit d'enfin mourir pour honorer la mémoire du Roi Loui. Avant de te libérer, as-tu une dernière parole ?  

Il ne dit rien. Il se contente de me fixer de l'écran panoramique. Il ne me croit pas, pense que j'ai inventé une nouvelle tourmente pour m'amuser. Il faut admettre que ça aurait bien été mon genre. Sans insister sur un regard croisé avec lui, j'évite soigneusement de lui donner une raison supplémentaire de douter de moi en dévissant sa menotte du sol. Même s'il ne peut plus se tenir sur ses pattes, il peut au moins me faire face la tête haute.

La petite créature bouge lentement, sclérosée dans une position ignoble des mois durant. Tout est effort terrible, néanmoins elle le fournit, non sans bravoure. Moi, je lui laisse le temps de se positionner, de réaliser que ce n'est pas une blague. Comme pour me justifier, ou ne pas laisser penser que la mort sera lente et sadique, j'explique, la honte enfouie sous la froideur.

Je te porterai un coup à la base de la nuque. Ta mort sera instantanée. Quand ce sera fini, je te rendrai aux tiens. Personne ne te mangera.

La belle affaire, hein ? T'as détruit tout ce que ce roi chérissait et ton lot de consolation, c'est qu'une fois mort, tu ne le boufferas même pas comme le l'aurait fait un non-cornu ou tout autre prédateur naturel ? Pas sûr que l'attention le touche beaucoup. En même temps, tu ne peux pas réparer ce que t'as bousillé, y a des fois c'est trop tard, c'est comme ça. Toi-même, t'auras besoin de temps pour digérer ce que tu as été, ces toi saint homme de foi comme démon imprégné de nihilisme. Désormais, tu es leur fusion, leur "juste" milieu. Te voilà soigné du corps comme de l'esprit. La convalescence s'achève avec, pour la route, quelques ordinations du médecin.

Comme prédit, je contourne le supplicié et le cale des flancs entre mes genoux lorsque je m'assieds sur lui, en veillant bien à ne pas l'écraser de mon poids. D'ici, sa nuque est facile à atteindre. Je chasse de ma perception les tremblements qui lui font vibrer tout le corps. Peur ou séquelles physiques, je n'en saurai jamais rien. Je pose délicatement ma main sur sa fourrure pour lui indiquer comment immobiliser sa tête sur le plancher. Il ne bronche pas et s'exécute, en attendant que je le fasse. Sa bouche sans dent articule du mieux qu'elle peut quelque chose que je comprends parfaitement.

"Va aux abîmes, démon!"

Je réponds, d'un ton mineur.

Ton souhait a déjà été exhaussé, Roi Sabri. J'en suis revenu.

Poing final.
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