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Les rats des tunnels

Le navire brisait l'écume à mesure qu'il progressait sous le ciel couvert qui planait au dessus de l'océan. Un silence serein régnait sur les flots, tandis que la bise poussait calmement les deux associés vers leur destination. William se trouvait sur le pont, s'assurant de l'état des cordages. Ces quelques jours de navigation lui avaient permis d'apprendre tout ce qu'il pouvait savoir sur la manœuvre. Son associée s'était improvisée professeur pendant le trajet, lui déléguant des tâches pour simplifier son propre travail. Il jeta un œil vers la barre, tenue fermement entre les délicates mains de Sariah. Elle fixait l'horizon sans jamais dévier de sa trajectoire. Il ne put s'empêcher de se demander ce à quoi elle pouvait bien penser. Il n'avait jamais été du genre à rêver au-delà de son quotidien. Il s'était jeté sur les mers avec pour seule ambition de nourrir ses parents en gagnant sa vie d'une quelconque manière. Il tourna la tête vers le sud, là où se trouvait sans doute aucun Koneashima. Il était parti depuis bien longtemps et n'avait donné aucun signe de vie depuis, n'avait pas envoyé d'argent non plus. Le jeune artilleur se convainquait que ses parents tenaient le coup ; il ne pouvait cependant pas s'en assurer. Pris par ses songes, il n'entendit pas les ordres que lui donnait la navigatrice. Elle s'approcha doucement de lui et lui tapa doucement sur l'épaule, n'osant pas le tirer brusquement de son égarement. Il se retourna surpris et la fixa alors qu'elle lui donnait un regard suspicieux. Un sourire narquois aux lèvres, elle prit la parole.

« Tu réfléchirais pas à un moyen de me faire faux-bond par hasard, toi ? »

William sourit en secouant la tête, levant volontairement les yeux au ciel. Il détailla ensuite le visage de son interlocutrice avant de lui donner une réponse. Il ne pouvait s'empêcher d'être troublé par la beauté innocente, presque candide, de Sariah.

« Non, je pensais juste à là d'où je viens. A ce que peuvent bien faire ceux que j'ai laissés derrière moi. »

Elle haussa les épaules et se détourna, feignant l'indifférence. Le jeune artilleur resta perplexe mais décida d'ignorer la réaction de la jeune femme. Ils avaient partagé le navire pendant les quelques jours qui avaient passés mais ils n'avaient pas encore partagé d'informations personnelles. Ils apprenaient tout juste à se connaître et William préférait presque mettre de la distance avec elle. Car s'ils venaient à s'engager sur un chemin périlleux, il serait plus simple de perdre quelqu'un d'étranger qu'un proche. Mais les relations ne se contrôlent pas et il sentait bien de l'affection naître à l'encontre de la jeune femme. Il continua d'inspecter les cordages et descendit ensuite dans la cale, où se trouvait l'armement de Sariah. Cachées sous une bâche, les armes ne manquaient pas à bord. Une demi-douzaine de sabres d'abordage tenaient compagnie à trois mousquets et un tromblon. Selon l'aventurière, c'était des souvenirs que ses compagnons lui avaient laissé avant de partir sur d'autres mers. Le sous-entendu était clair et cela faisait frissonner le jeune homme chaque fois qu'il posait son regard sur les armes. Il attrapa les fusils et s'assura de leur bon fonctionnement. La dernière chose qu'on pouvait vouloir en cas d'abordage, c'était que l'arme entre nos mains s'enraye. Ils étaient dans un état impeccable, l'artilleur ne pouvait pas dire le contraire. Il s'assura que la poudre était bien à l'abri de l'humidité. C'était essentiel pour mettre en fonction le peu d'artillerie que possédait le bateau. Un simple canon en proue, épaulé par deux canonnières au niveau du bastingage de poupe. Un armement efficace pour neutraliser des barques ou ce genre d'embarcations, mais totalement inefficace contre un navire plus épais. Néanmoins, le jeune homme savait qu'il ne suffisait parfois que d'un coup pour abattre un bâtiment qu'on pouvait juger insubmersible. Il allait remonter quand la voix de Sariah l'appela.

« Will, viens voir ! »

Décelant l'urgence dans la voix de la jeune femme, il monta rapidement les escaliers pour se retrouver dans la pénombre qui régnait à présent sur le pont. Il lui suffit de lever les yeux pour apercevoir l'incroyable masse du continent qui s'étendait droit devant. Comment avaient-ils pu l'atteindre en si peu de temps ? Les courants maritimes, accordés avec les vents puissants qui régnaient dans les parages pouvaient l'expliquer. Les yeux écarquillés, il resta figé devant le gigantisme qui s'ouvrait devant lui. Une falaise rouge, escarpée, qui s'étendait à perte de vue là où l'horizon avait pu prendre place quelques heures plus tôt. Une bourrade lui fit reprendre ses esprits alors que le frêle navire commençait à dériver de son cap.

« Tu ferais mieux de commencer à manœuvrer le rafiot avec moi, si tu veux pas emporter la belle image au fond de l'eau ! »

Sariah peinait à maintenir la barre dans la direction que le navire devait emprunter. L’a-pic était criblé de trous de gruyères dans lesquels s'engouffrait l'eau avec une vigueur démesurée. Être pris entre deux courants n’augurait rien d'autre que le trépas. William se jeta sur les cordages et orienta les voiles de manière à saisir le vent par l'arrière. Le bateau reçut une sorte d'impulsion et commença à se décaler vers bâbord, tandis que la fenêtre disponible pour entrer dans les tunnels commençait à se refermer. Il était arrivé dans le feu de l'action et peinait à maintenir ses efforts. La vitesse de leur embarcation était démesurément augmentée par la puissance des flots. Alors que tout semblait rentrer dans l'ordre, un coup de vent fit pression sur la voilure. La corde que l'artilleur tenait entre ses mains se tendit au-delà de ce qu'elle pouvait bien supporter. Elle se déchira, ouvrant la paume droite du jeune homme. L'instinct prit le dessus alors que le bateau allait soudainement changer son cap pour la falaise. Il attrapa le bout de corde qui tenait toujours à la voile et tira de toutes ses forces pour la redresser. Une vive douleur traversa son épaule et il ferma les yeux. Quelques secondes plus tard, un cri de joie lui indiqua qu'ils avaient réussi. Soulagé, il relâcha sa prise alors que le navire commençait à perdre de la vitesse, guidé par le courant au milieu de la pénombre relative. La jeune capitaine se pencha par dessus la barre et lui fit un clin d’œil en lançant avec entrain :

« Nous voici arrivés à la première étape de notre chemin ! La Flaque ! »


Dernière édition par William Burgh le Lun 26 Mar 2018 - 12:25, édité 1 fois
    La roche se perdait en circonvolutions partout où se posait le regard. Des flammeroles éclairaient les tunnels pour faciliter la progression des navires. Les courants se chargeaient de les convoyer dans la direction qu'ils empruntaient eux-mêmes. William restait béat devant la fresque minérale qui défilait devant ses yeux : il n'aurait pu concevoir l'existence de si bel ouvrage sans l'avoir vu de ses yeux propres. Il ne pouvait s'empêcher de penser qu'aucun architecte n'aurait su donner de si belles formes à ces voies. Il s'accouda contre le bastingage et continua d'observer le décor qui ne perdait pas de sa superbe. Il fut tiré de sa contemplation par son associée, qui se posa à côté de lui. Il lui jeta un coup d’œil satisfait tandis qu'elle l'ignorait pour prendre sa main. Il posa alors ses yeux sur la blessure béante qui courait au travers de sa paume. La corde avait brûlé l'épiderme et plongé profondément dans la peau sous l'effet de la détente. Sariah observa rapidement la coupure et plongea sa main dans le revers de sa redingote pour y attraper une vieille bouteille d'alcool qu'elle vida sur la main du jeune homme sans préavis. Il retint un cri de douleur alors qu'elle arrachait un bout de sa chemise pour la lui nouer autour de la main.

    « Garde moi ça propre, tu voudrais pas que ça s'infecte... »

    « Merci, Sariah. »

    Elle retrouva soudain le sourire et lui posa sa main sur la joue avant de se détourner pour se placer derrière la barre à nouveau. Le navire amorça un virage qu'elle accompagna souplement pendant que le jeune homme finissait de consolider le bandage qui entourait sa main. Il s'approcha d'elle et se plaça en retrait tandis qu'elle continuait de manœuvrer. Il se racla la gorge et prit la parole.

    « Qu'est-ce qui nous attends devant ? »

    « L'odeur de l'argent et de la gloire, Willy ! Sois un peu patient et tu comprendras ! »

    Cette réponse était loin de le satisfaire. Plus il partageait la vie de la jeune femme, plus il trouvait ses motivations surfaites, presque superficielles. Il y avait comme deux personnages qu'elle incarnait : la Sariah intrépide, joyeuse et sans-peur, presque dérangée, toujours à la recherche du frisson et provocatrice au possible ; et celle qui ne revêtait que cet aspect sérieux, froid et presque calculateur, semblant toutefois bourré d'empathie. Il regarda ses cheveux et la forme de sa redingote. Elle l'intriguait, il ne pouvait le nier. Il y avait même une certaine attirance, peut-être mutuelle, qui les retenait l'un à l'autre ? De son côté, il pouvait l'affirmer. Il détourna le regard, comme honteux que ses pensées aient divergées dans ce sens. Il descendit du château et marcha sur le pont, jusqu'à la figure de proue. Alors qu'il fixait la semi-pénombre qui s'étendait pour seul horizon, il distingua une lumière, clignotant irrégulièrement, qui semblait s'approcher dans l'autre sens. C'était irréaliste, dans la mesure où le courant ne pouvait pas soudainement faire demi-tour. Il plissa les yeux mais la luminosité augmenta au point de l'éblouir. Il se couvrit les yeux alors qu'ils entraient dans ce qui semblait être un gigantesque lac souterrain. Il eut à peine le temps de le confirmer que les lumières prirent sens. Le vent qui s'engouffrait dans les tunnels avait maintenu les détonations à distance jusqu'alors mais deux navires s'affrontaient bel et bien à quelques centaines de mètres de la sortie du tunnel. William lança un regard à Sariah, qui ne semblait pas moins concentrée qu'à l'accoutumée. Elle vira rapidement de cap tandis que l'artilleur changeait la corde qui avait cédé à l'extérieur. Être pris dans un combat maritime était la dernière chose que leur navire pouvait supporter. Il en eut pour moins longtemps qu'il l'avait supposé et il en profita pour se poster derrière le canon de proue. La jeune femme le questionna à ce sujet alors que les coups de feu envahissaient la cavité de leurs échos.

    « Qu'est-ce que tu fous derrière ce canon ?! »

    « S'ils décident de nous attaquer je pourrai répliquer au quart de tour. »

    Comme pour lui donner raison, un boulet traversa la voilure de sa cible et vint heurter la surface de l'eau à quelques dizaines de centimètres seulement de la poupe de leur navire. Sariah hocha la tête et jeta un coup d’œil vers ses jambes avant de bifurquer sur tribord, se rapprochant dangereusement du combat qui prenait place dans la caverne.

    « On va se faire tuer, qu'est-ce que tu fous ?! »

    William était trempé de sueur alors que leur bateau fendait l'eau marine dans la direction des deux bricks qui s'affrontaient. Il pouvait clairement distinguer leurs fanions, arborant des têtes de mort presque stéréotypées. Les pirates occupaient une certaine partie du réseau souterrain. Le jeune artilleur ne pensait cependant pas que son associée l'aurait emmenée au travers de ces chemins-là. Ils étaient mal cartographiés, et plus d'un marin aguerri avaient perdu la vie en les sillonnant. Le Réseau Marijoan aurait dû leur permettre de rallier North Blue sans problème. Mais Sariah n'en avait fait qu'à sa tête. Le jeune homme plaça une munition dans la bouche de la pièce d'artillerie, non sans y avoir préalablement inséré une charge de poudre, et se prépara à faire feu. Il tint fermement l'arrière du canon, l'orientant de manière à toujours garder l'un des deux navires de flibuste dans sa ligne de mire. L'étroitesse de leur propre navire devait suffire à les dissimuler de ces véritables bâtiments de guerre mais il ne se sentait pas de compter sur la logique pure.

    « On va filer droit derrière eux pour rejoindre la section qui nous intéresse, Will ! Prépare toi à nous défendre si ça tourne mal ! »

    Il répondit dans sa barbe, se promettant de transmettre ses objections s'ils sortaient de là vivant. C'était pure inconscience que de se jeter dans des tunnels aussi dangereux, mais c'était aussi totalement fou de s'approcher de navires en plein combat.

    « Comme si je pouvais faire quoi que ce soit avec notre équipement... »

    Une gerbe d'eau salée vint frapper le visage de William alors qu'un boulet s'écrasait juste quelques centimètres à l'avant du bateau, une fois de plus. Il tourna rapidement son regard pour voir la bordée adverse orienter ses canons dans leur direction. Dans la seconde qui suivit, il lâcha son arme et courut dans la direction de Sariah. Une seconde plus tard, ils plongeaient tout les deux dans les eaux froides de la Flaque, tandis que les boulets réduisaient leur embarcation en charpie. La jeune femme tenta de remonter mais il l'en empêcha. Elle lui montra sa bouche et lui fit comprendre qu'elle n'aurait pas assez d'air pour être emportée dans le tunnel par le courant. Il lui ouvrit la bouche et plaqua la sienne pour la bloquer. Il vit ses yeux se clore et il se décida à la remonter, usant de son corps pour la protéger de quelconques projectiles. Ils émergèrent pour la trouver inconsciente, mais sauve. Le courant semblait les attirer là où ils l'avaient voulu tandis que l'un des deux navires prenait l'avantage. L'artilleur repéra une sorte de rebord et il nagea jusque là, tenant fermement la jeune femme dans ses bras. Une fois qu'ils furent extirpés de l'eau, il s'affaissa près d'elle, inconscient à son tour. Ils avaient frôlé la mort.


    Dernière édition par William Burgh le Lun 26 Mar 2018 - 12:30, édité 1 fois
      Non, les situations de ce genre ne pouvaient jamais cesser de s'aggraver. Le deuxième coup de pied qui finit par tirer William de son état d'inconscience lui imprima cette constatation sur les côtes. Au troisième, il crachait du sang par la bouche, et plus encore quand le quatrième vint lui comprimer le thorax. Ses yeux couraient en tout sens, cherchant à se fixer sur une vision en particulier tandis qu'il tendait la main dans la direction où s'était trouvé Sariah quelques secondes avant qu'il ne s'évanouisse. Le jeune homme ne pouvait contrôler la panique qui l'envahissait. N'importe quoi pouvait lui arriver dans pareil endroit. Il chercha à protéger son visage des coups quand il remarqua qu'ils s'étaient interrompus. Ses paupières s'ouvrirent lentement tandis qu'il écartait ses bras pour discerner ses attaquants. Un talon lui écrasa le nez, le renvoyant dans les ténèbres pour quelques instants. Il se sentit être soulevé du sol, tandis que les contusions que l'agression lui avait léguées commençaient à nimber son corps d'une chaleur douloureuse. Engourdi par toute cette souffrance, il n'arrivait pas à concentrer son esprit sur ce qui pouvait bien être en train de lui arriver ; il sentit la paroi de roche le percuter à plusieurs occasions mais ne sut déterminer combien de temps il fut tracté de la sorte. Il ne pouvait pas vraiment ressentir une quelconque émotion tant son attention était accaparé par le supplice que lui faisaient vivres ses nouvelles blessures. Il lui sembla même s'assoupir au bout d'un moment, mais un coup supplémentaire le ramena dans la torpeur qui l'empêchait d'être un poids mort pour ses ravisseurs. Enfin, le contact avec le sol lui permit de s'extirper de l'engourdissement qui avait gagné l'ensemble de son corps comme de son esprit. Il se trouvait dans une cavité pas plus grande qu'une remise étroite. Les parois étaient humides, dégoulinaient d'une eau noirâtre qui dissuada l'artilleur de s'en abreuver. Il n'y avait comme source lumineuse que les raies de lumières qui traversaient les planches abîmées de la porte. Cette dernière était bouclée par un épais cadenas qui traversait la pierre avant de cercler le panneau de bois. Alors qu'il s'approchait de la seule sortie qui lui apparaissait, il constata que le sol était couvert d'une paille épaisse, comme enduite d'un liquide poisseux. Presque dégoûté et certainement méfiant, il préféra s'arrêter et se colla contre le mur qui faisait face à son dos. Tout était allé si vite qu'il était incapable de penser correctement. La situation était beaucoup trop absurde. Qui les avaient attaqués ? Pour quelle raison ? Et pourquoi ne les avaient-ils pas tués avant de prendre le peu de possessions qu'il avait pu leur rester ? Ses questions ne trouvaient pas de réponse. Il ne put s'empêcher de jurer, y laissant presque un poumon alors qu'une violente quinte de toux le prenait au moment où il ouvrit la bouche.

      « Bor... del. »

      Le destin ne semblait pas vouloir se montrer clément avec le jeune artificier. Il ne put s'empêcher de laisser couler ses larmes, sans qu'aucun sanglot ne les accompagne. Il avait été ballotté d'une situation catastrophique à une autre, sans jamais pouvoir influer sur le cours des choses. Sa vie d'aventure ressemblait de plus en plus à un cauchemar ininterrompu. Il resta ainsi pendant un temps incalculable. Ses vêtements trempés glacèrent sa peau tandis qu'il tremblait, prostré au fond de sa cellule. Il avait voulu faire confiance à une inconnue et il se retrouvait à présent dans de telles circonstances. Il n'en pouvait plus de frôler la mort à chaque détour. Le monde ne lui avait jamais semblé si dangereux depuis son atelier tranquille ou son lit confortable. Mais aujourd'hui sa naïveté vivait ses derniers instants. Un bruit sourd résonna contre les parois de pierre, se répétant à un rythme régulier. William n'avait trouvé le sommeil pendant les heures qui avaient pu passer, ses yeux desséchés par des pleurs ininterrompus. Son esprit consistait en un chaos de pensées qui s'entrechoquaient les unes avec les autres: une envie de rentrer au pays se disputait avec l'envie de disparaître au fond de ce trou; un désespoir profond l'empêchait d'espérer une issue et une rage puissante voulait le pousser à massacrer ceux qui l'avaient placé là. La folie semblait l'envahir au même rythme que la fièvre. Et ce bruit répétitif finit par le tirer de sa paralysie. Curieux mais sans espoirs, il se rapprocha de la porte. Des interstices dans le bois lui permirent d'essayer de percer les ténèbres qui régnaient de l'autre côté. Il lui semblait pourtant apercevoir, au fond de ce qui semblait être un couloir, la lueur de flammes se reflétant sur la paroi. Des murmures et des cris émanaient de cet endroit. Il resta là, à fixer ce mur lointain, pendant des minutes qui ne s'arrêtaient plus de défiler.

      "Trois-cent soixante dix-huit."

      C'était une voix grave, profonde et caverneuse. On y sentait une résignation au-delà de toute mesure. William ouvrit les yeux comme si on lui avait présenté une montagne d'or. Il voulut parler mais se ravisa. Il ne savait pas quelles oreilles indiscrètes pouvaient traîner derrière la porte. Et pourtant la nécessité de communiquer avec quelqu'un commençait à le dévorer. Il soupira et voulut se lancer. Mais d'un timbre toujours aussi profond, la voix reprit de nouveau.

      "Trois-cent soixante dix huit repas m'ont été apportés. Mais plus rien depuis une semaine. Je ne vais pas tarder à y aller moi aussi... Mais pour toi ce sera différent."

      William crut comprendre que la voix s'adressait à lui. L'atmosphère s’appesantit, devenant aussi oppressante que solennelle. L'enfermement faisait étouffer le jeune artificier qui cherchait à happer le plus d'oxygène possible.

      "Toi, tu deviendras l'un de ces rats. Je l'ai compris quand ils t'ont emmenés. Tu as l'étoffe des ombres et la prégnance du désespoir..."

      Le jeune prisonnier haussa les sourcils et se détourna tandis que l'homme continuait de divaguer. Il se trouva bête d'avoir porté attention à cette voix. Alors qu'il rejoignait la paroi du fond, des bruits de pas l'amenèrent à se placer contre la porte de nouveau. Des torches éclairaient les murs, portées par des individus dont le corps comme le visage étaient camouflés par des tenues de jute. Ils avançaient lentement, d'un pas synchrone, déterminés. Il s'arrêtèrent à quelques mètres de la cellule de William. Celui qui marchait en tête du cortège tira une lourde clé de sa poche et l'engonça dans la serrure d'une porte qui se trouvait à sa gauche. Le loquet céda et s'affaissa lourdement contre le sol, entraînant la chaîne qu'il maintenait avec lui. Deux des six geôliers entrèrent dans l'anfractuosité et en extirpèrent un vieillard décharné, au regard vide. Il fallut quelques instant au jeune artificier pour comprendre qu'il s'agissait de son interlocuteur. Ses entrailles se nouèrent. Le vieil homme plantait son regard droit dans sa direction. Il ouvrit la bouche alors que les hommes encapuchonnés l'emportait. William se repentit d'être capable de déchiffrer les mots d'une personne au mouvement de ses lèvres. Il voulut reculer quand il remarqua qu'un des hommes s'approchait de sa propre cellule.  Il se retrouva tétanisé alors que les mots du prisonnier fou continuaient de résonner dans sa tête. Ils se répétèrent encore quand la porte s'ouvrit et qu'il fut tiré dehors et gentiment menotté. Ils résonnèrent une fois de plus quand il fut remonté le long du corridor. Il les prononça enfin, d'un ton craintif, quand il entra dans la caverne illuminée.

      "Les crocs du rat se refermeront et tu seras l'un d'eux..."


      Dernière édition par William Burgh le Lun 26 Mar 2018 - 13:01, édité 1 fois
        La pierre avait été creusée par le passage d'un courant qui ne consistait aujourd'hui en rien de plus qu'un petit torrent qui serpentait au milieu de la cavité. Partout où se posait le regard, des échafaudages tapissaient les murs, accueillant habitations comme remises. Au centre, un énorme foyer alimenté de débris de naufrages constituaient la principale source de lumière de l'énorme pièce. William plissa les yeux pour ne pas être ébloui. Sur ce qui constituait le mur le plus éloigné de l'entrée qu'ils venaient d'emprunter, une grande tête de rat avait été peinte d'un liquide rouge que le jeune garçon préféra ne pas identifier. Ses yeux se déplacèrent le long de la paroi pour trouver à son pied une construction circulaire d'où semblait émaner une puissante clameur. Une main se posa contre son dos pour lui intimer l'ordre d'avancer. Déglutissant, il s’exécuta. Le pétrin dans lequel il se retrouvait prenait des proportions inimaginables. Il n'était plus seulement le prisonnier d'une bande mais le prisonnier d'une ville toute entière. En certains endroits, des personnes pouvaient être reconnus comme des miliciens montant la garde, leurs armures maladroitement assemblées les distinguant des autres encapuchonnés. Ils portaient de long gourdins couverts de pointes, dont certains semblaient couvert de la même couleur que le rat sur le mur. Tout les passants arboraient cette même tunique alors qu'ils vaquaient à des occupations plus que normales. Il n'y avait pas de badauds: tout le monde semblait être à sa place, en train d'effectuer la tâche qui lui incombait. Le silence dans les rues choqua le jeune homme plus que tout. Ils s'avancèrent entres des maisons de bois miteuses, dont les entrées étaient tout juste couvertures de voiles arrachées à des épaves. Personne ne semblait se mouvoir dans ces habitations. Comme si le monde avait cessé de vivre et que ses derniers occupants n'attendaient que leur fin. Personne ne sembla s'intéresser au jeune homme convoyé au travers de la ville. N'aurait-il pas existé que rien n'aurait changé. Pas une tête ne se tournait, pas une personne ne ralentissait le pas à son passage. Il effectua quelques détours au hasard de rues qui se ressemblaient cruellement. Son ravisseur n'avait pas besoin de le menacer pour qu'il continue d'avancer: l'atmosphère de la ville lui intimait de se tenir à sa place. N'importe lequel de ces passants pourrait lui sauter à la gorge et le mettre en pièce s'il venait à essayer de s'échapper. Il regarda plus loin devant lui alors qu'ils sortaient d'une autre de ces ruelles étroites pour déboucher sur un genre de place. Il aperçut alors le vieillard, qui se trouvait être escorté en direction de la construction ronde qu'il avait remarqué plus tôt. Il pensa qu'il prendrait cette direction aussi mais son escorte en décida autrement, l'attrapant par le bras pour le guider en direction d'une rampe de bois qui tournait autour de la cavité avant de s'engouffrer dans un bâtiment imposant, des murs duquel pendaient des oriflammes ornés de la même tête de rat qui parait la grotte.

        "Allons voir le maître."

        Un frisson glacial parcourut l'échine du jeune homme quand il reconnut la voix cristalline de Sariah. Il s'avança sans pouvoir empêcher son cœur de battre à bâtons rompus. Si elle avait quitté ses pensées depuis qu'il avait été enlevé, elle venait d'y reprendre place à grands coups de pied. Il ne pouvait s'empêcher de retomber sur la même conjecture alors qu'il cherchait une explication à la situation. Elle l'avait emmené ici délibérément. Il n'y avait jamais eu d'aventure ou quoi que ce soit d'ailleurs. Il avait été choisi comme proie parce que les courants avaient emmenés son embarcation sur le chemin de celui de la jeune femme. Il commença à monter le long de la plateforme, retenant sa langue de cracher des mots acerbes. La colère commençait à gronder au cœur de ses entrailles. Il avait tout quitté pour subvenir aux besoins de ses parents et il se retrouvait à des centaines de lieues de son île natale, captifs de cintrés encapuchonnés. La situation était ridiculement désespérante. Ce n'était pas le genre de choses qui arrivaient au premier passant. Il en venait presque à se demander s'il n'était pas encore sur son radeau de fortune, à délirer du fait de la faim et de la soif. Il arriva au bout de la rampe, devant une lourde porte ouvragée, sur laquelle semblait se dessiner une histoire. Mais il n'eut pas le loisir de l'observer très longtemps, alors que la jeune femme le poussait, une fois de plus vers l'intérieur de la construction. C'était une longue salle, au travers de laquelle passaient les chevrons qui soutenaient l'édifice. Des chandelles éclairaient le bois de la charpente comme les meubles qui habillaient la pièce. Des hommes et des femmes se tenaient là, leurs capuches abaissées sur leurs épaules. Ils formaient une haie au milieu de laquelle le jeune homme fut invité à s'avancer. Cette fois-ci, les regards austères ne le quittaient plus. Il marcha doucement tandis que Sariah relevait sa capuche pour se placer avec ses homologues. L'angoisse cisaillait le ventre du jeune homme. Son cœur menaçait d'échapper de sa poitrine tandis qu'il avait l'impression de se noyer tant il faisait rentrer de l'air dans ses poumons. Son visage laissait transparaître sa peur, ses traits semblant implorer la pitié. Une fois de plus, toute sa volonté s'était effacée au devant du danger. Il n'était pas lâche, il était réaliste. Il ne pouvait pas se tirer d'une telle situation en solitaire. Il releva enfin ses yeux dans la direction du trône qui se trouvait en bout de pièce. C'était un agglomérat de métal fondu, sur lequel des coussins miteux avaient été rajoutés pour conforter l'assise. Personne ne l'occupait mais il s'en dégageait néanmoins une impression de puissance calme. L'un des occupants de l'endroit le força à plier les genoux et maintint sa tête orientée vers le sol. Quelques instants passèrent avant qu'une voix ne brise le silence qui régnait jusque là.

        "On dirait qu'on a fait bonne pêche durant notre dernière sortie."

        C'était une voix douce, frôlant le mielleux mais conservant une grâce et un charisme époustouflant. Une voix grave et craquelée. Un frisson parcouru l'échine du jeune homme pour la deuxième fois: il n'avait jamais été si impressionné par le seul son de quelqu'un s'adressant à lui. Jamais depuis qu'il avait quitté l'enfance. Ses envies de rébellions semblèrent s'effacer et il se secoua doucement pour garder la tête froide. La main qui faisait pression sur son crâne se retira et il put enfin porter ses yeux sur l'homme qui lui avait adressé la parole. Mince et élancé, il avait un visage sur la longueur, aux traits angulaires. Des cheveux venaient coiffer son chef, faisant se démarquer son regard. Il avait des yeux d'un marron qui tendait à tirer vers l'or. Une couleur peu orthodoxe, qui se retrouvait presque envoûtante sur tel visage. Il n'était ni beau ni laid ; mais il dégageait un charme qui ne pouvait laisser de marbre. Il prit la parole une fois de plus, tandis qu'il se baissait à la hauteur du jeune homme et plantait ses yeux dans l'âme de l'artificier.

        "Alors William, on pense à ses vieux parents? Ça doit être difficile pour eux de surmonter la mort de leur fils... D'autant qu'ils n'ont plus aucun moyen de subvenir à leurs besoins, n'est-ce pas?"

        William resta là à le fixer, incapable de comprendre comment cet homme pouvait savoir tant de choses sur lui et les siens. Il n'avait jamais rien dévoilé de tel à Sariah durant les quelques jours qu'ils avaient pensé ensemble. Ses yeux restèrent écarquillaient tandis que le Roi des Rats s'asseyait sur son trône, une moue amusée sur son visage.

        Spoiler:
          "Il n'y a rien que je ne puisse savoir. Tu as dormi trois jours selon mon informatrice. Ton nom m'a suffi pour te faire identifier par mes sources. William Burgh, l'enfant du bagnard. Un artificier accompli selon ses parents, même un fils idéal dans une certaine mesure."

          Il s'arrêta de parler pendant quelques instants, trop occupé à dépoussiérer son manteau richement orné pour continuer. Il sembla se rendre compte que son assistance pendait à ses lèvres et il reprit enfin, un sourire ravi dessiné sur ses lèvres.

          "Mais tu n'es qu'une poussière dans ma main. Un rat dans une cale de navire, à la recherche d'un peu de nourriture pour passer la traversée. C'est ce que nous sommes tous, ici-bas. Des rats qui se nourrissent des cadavres de ceux qui ont le malheur de croiser notre route. Et tu aimerais que ce ne soit qu'une image!"

          Il ne put s'empêcher de rire, de même que ses subordonnés. Tous à l'exception de la jeune femme, qui se contenta de sourire par complaisance. William ne pouvait le voir mais elle ne semblait pas à sa place, comme dans ces moments où elle se déconnectait du monde qui l'entourait, en affichant une expression gauche pour garder la face. William, de son côté, ne savait plus où donner de la tête. Tout semblait si irréel, tout était trop mauvais pour qu'il puisse croire que c'était autre chose qu'un mauvais rêve. Mais il avait beau s'entailler la main sur les liens qui les enserraient, il ne parvenait pas à se réveiller. Le regard de son interlocuteur vint chercher le sien une fois de plus. Il se pétrifia à nouveau, complètement livré à la merci du monarque. Ce dernier se leva de son trône et s'approcha de lui, une fois de plus.

          "Mais la vérité, c'est que j'ai besoin d'hommes avec moi. De gens dévoués comme toi. Ne vas pas croire que tu étais ciblé depuis le début et que ce n'était qu'une grande machination. On t'as récupéré en train de crever, on a fait deux trois vérifications et on t'as amené ici. Parce que tu as des compétences qui pourraient nous être utiles."

          Le silence régna une fois de plus. Que pouvait-il bien répondre? La conversation n'était d'ailleurs qu'un monologue puant d'amour propre et de démagogie. Mais le jeune artilleur ne pouvait juger de ça dans son état émotionnel.

          "Marquez-le et emmenez-le dans le dépôt, qu'il se mette au travail."

          Deux encapuchonnés qui s'étaient respectueusement tenus dans l'ombre s'approchèrent rapidement et saisirent l'artilleur par les bras. Il se laissa porter, bouleversé par l’invraisemblance de la situation. Soudain, il eut une espèce de déclic alors qu'il passait devant Sariah. La rage remonta soudainement et sa position de faiblesse de même que sa cohérence d'esprit vola en éclat. Il lança son coude dans le visage d'un des encapuchonnés avant de frapper l'autre d'un coup de tête. Des épées sortirent de leurs fourreaux alors qu'il agrippait la jeune femme par le col de sa tunique. Il plongea son regard dans le sien et ne put s'empêcher d'y voir autre chose que de la peur. Mais après quelques fractions de secondes, il comprit qu'elle ne posait pas ses yeux sur lui. Les lames couraient sous sa gorge mais William se retourna quand même vers l'homme qui se tenait derrière lui.

          "Tu fais preuve d'une insubordination particulièrement idiote."

          Le jeune artificier n'eut pas le temps de lever son poing que deux coups de pommeau le placèrent sur ses genoux. Il fixa son adversaire avec un regard de braise, qui n'avait pas plus de sens que l'état de résignation dans lequel il s'était trouvé. D'aucuns auraient pu dire qu'il avait perdu la raison après toutes ces épreuves : ils n'auraient pas été si loin de la vérité. Il se retrouva empoigné de nouveau tandis que le chef de tout ces malheureux s'approchait d'un brasero duquel il tira un tison. La peur n'envahit le jeune homme que quelque instants avant que le métal chauffé à blanc ne brûle la peau de sa nuque. Il hurla de douleur et essaya de se libérer de l'emprise de ses gardes, en vain.

          "Jetez le dans son cachot. Il me sera utile quand il aura compris qu'il n'est rien d'autre qu'un rat parmi tant d'autres."

          William ne put s'empêcher de penser que la folie était contagieuse au sein de ces cavernes. On e tira vers l'avant tandis qu'il était pris d'une soudaine fatigue. La blessure qui ceignait sa hanche n'avait pas disparue, et la brûlure qu'on venait de lui infliger le parasitait par sa douleur incessante. Ce fut comme si on l'avait porté une fois de plus jusqu'à sa cellule dans un état d'inconscience. Il se réveilla plus tard, toujours attaqué par la douleur. La rage lui monta presque aussi rapidement que plus tôt. Il se jeta contre la porte, n'ayant en tête que l'envie de traverser le cadre pour égorger tout les chiens qui se trouvaient derrière. Il n'avait jamais été aussi déstabilisé que dans ce moment. La situation était totalement incompréhensible et il ne souhaitait pas même la comprendre. En fait, il était même incapable de penser à ce moment là. Il abattait son poing machinalement contre le panneau de bois, usant parfois des liens qui entravaient ses poignets pour donner plus de force à ses coups. Des éclats de bois volaient et l'entaillaient, criblaient ses phalanges d'échardes. Petit à petit, il parvint à casser un pan du battant. Il agrippa et tira en arrière alors qu'il pouvait apercevoir distinctement des formes courant le long du couloir en relevant les tenues de jute qui entravaient leurs mouvements. Il se releva le long de la paroi et frappa du pied contre la porte pour faire illusion. Ils ouvrirent le loquet et le premier voulut s'engouffrer dans la pièce en renversant l'artilleur qu'ils croyaient collé à la porte. Un hurlement de rage déchira le silence tandis que le bout de vois que William tenait s'enfonçait dans la gorge du sbire qui écarquilla les yeux avant de s'effondrer. Les autres dressèrent leurs gourdins mais le jeune n'était rien d'autre qu'une bête sauvage. Il se jeta sur l'un de ses ravisseurs et le cloua au sol, lui assénant de puissants coups jusqu'à ce que les massues ne le stoppe. Roulant sur le côté, il recula dans sa cellule pour éviter la rosse. Il cracha au sol et traça une ligne au sol, un regard n'étant plus animé que la par la haine. Les personnes les plus gentilles, poussées dans leurs derniers retranchements, pouvaient devenir de véritables armes de guerre. Les deux rats qu'il avait attaqué demeuraient au sol, gisant dans leurs sangs entremêlés. Les trois derniers osèrent à peine refermer la porte.

          "JE VOUS CRÈVERAI TOUS !"

          Le silence revint, mais ne dura pas. Des torches ne tardèrent pas à illuminer les parois de pierre à nouveau. William continua de se tenir droit, pertinemment conscient que la troupe arrivait pour s'occuper de son cas. Des cliquetis lui indiquèrent que l'on avait fait venir ces gardes qu'il avait vu plus tôt. La porte s'ouvrit une dernière fois et six hommes d'armes se jetèrent sur lui pour le maîtriser. Il essaya de se défendre mais c'était illusoire pour lui de croire qu'il pouvait faire quoi que ce soit. On le traîna, une fois de plus, jusqu'à une nouvelle destination. On le jeta à travers un portillon à deux battants dans une salle regorgeant d'hommes et d'armes. Il serait l'un des rats du cirque.