« Île en vue ! Nous approchons de Rhétalia ! hurle la vigie.»
Après de longues journées de navigation, nous approchons enfin d’une île. À bord d’un navire commerçant parti d’Endaur où il a récolté ce bois magnifique, nous traversons tout South Blue pour vendre le produit de qualité. Jusqu’à présent, aucune île ne m’a séduit. Il faut avouer que la plupart de nos arrêts se sont effectuer dans des petits villages côtiers pour se reposer. Rien de bien extravagant. Cependant, je ne perds pas espoir et compte bien trouver ma voie.
« - Oy ! Tu risques de finir par bosser avec nous à cette allure me dit un bucheron.
- Oh ça, non ! Jamais. Sérieusement, vous n’avez pas mieux à faire que traverser sans arrêt South Blue pour vendre du bois ? J’aspire à d’autres choses plus amusantes.
- T’es pas drôle, gamin…
- En même temps, il a pas tord le p’tit. On n’voit plus nos familles. On coupe le bois, on le stock, on voyage, on le vend et on y retourne.
- Disons que c’est légèrement mieux qu’une vie d’esclave. dis-je en projetant mon regard vers l’horizon. »
En effet, le navigateur m’a rapidement parlé de Rhétalia. Une île où se trouvent des richissimes familles et tous leurs excès. On parle d’une religion. Il n’a pas su me donner son nom mais je compte bien en apprendre davantage sur place. Des esclaves qui croient que les humains libres sont des dieux… Rien de plus ridicule. En même temps, si l’on m’avait dit ça dès ma naissance, va savoir ce que j’en aurais pensé. La notion de liberté est essentielle à mon sens.
« - T’as envie de lutter contre l’esclavage ?
- Ça ira. Si je crois comprendre, le groupe que l’on appelle « révolutionnaire » s’en charge déjà. Seule ma liberté compte pour le moment.
- Héhé. T’as bien rien p’tit gars, occupe-toi de toi-même. La vie est déjà bien difficile tout seul, alors si faut faire du social à côté…
- Non. Je suis simplement un égoïste. Hahaha. dis-je avant de partir dans un fou rire. C’est bien que des types veuillent rétablir une certaine justice sociale. J’admire l’effort. Seulement, j’ai d’autres projets plus personnels. »
Le temps d’arriver, je m’accoude sur le bord du navire d’où j’observe notre avancée. Paraît-il que le port dans lequel nous nous rendons, Nova Rhodésia, n’est pas le port dans lequel les bucherons déposaient leur bois. De ce que j’ai compris, une histoire avec le Royaume Bliss, l’un des nombreux royaumes dont j’ai parfois entendu parler dans ma campagne.
« - Mais l’« ancien » port est toujours ouvert, non ? Plus personne n’y va ?
- C’plus délicat que ça. Disons que les esclavagistes peuvent être condamnés à mort maintenant. Leurs affaires ne sont plus tolérées là-bas.
- Enfin des gens intelligents. dis-je en esquissant un sourire, le regard porté vers l’avenir. »
Le gentil bucheron s’approche de moi, probablement pour profiter ce temps calme avec quelqu’un.
« - Tu ne repartiras pas avec nous, j’me trompe ?
- Seule l’avenir nous le dira. C’est probablement malgré tout, je sens quelque chose m’attirer ici.
- Ça doit être les pyramides, ça attire.
- Sans déconner... Les plaines d’Endaur sont nettement plus belles. »
Ouais, je suis du genre à penser que rien n’est plus beau que là d’où je viens. Cruelle désillusion bien entendu, mais qui s’en préoccupe ? Bref. Nous pénétrons enfin le port, on s’approche des quais, et l’envie de commencer à visiter les lieux me pousse à sauter par-dessus bord. Je saisis mon léger sac à dos, sous le regard attentif des membres de l’équipage.
« Bon, allez, c’est l’heure des adieux. Merci pour tout, hein ! Je serais probablement encore dans ma belle cambrousse sans vous… Prenez soin de vous. Quoi ? Ne me regardez pas comme ça, vous êtes parfois un peu trop immatures, sérieux. C’est une gonzesse qu’il faudrait à bord ! »
Les types s’approchent en craquant leurs doigts, les regards sombres. Aurais-je dépassé les limites ? Ouais, peut-être bien. Je me retourne et cours en direction de la sortie, ma sortie, à savoir la rue piétonne que nous longeons actuellement. Avec ma détente, ça devrait le faire. Une prise d’élan, un appui sur la rambarde et… une glissade. Un enculé a nettoyé celle-ci dans la matinée, ça a échappé à ma réflexion. Pas de prise d’appui, nada, une chute dans l’eau uniquement.
« - Haha ! L’eau est bonne ?
- Ça t’apprendra. P’tit con !
- Tu mettras autre chose que tes vieilles geta à l’avenir ! »
Et s’en suit des tas de réflexions du genre. On peut dire que mon arrivée sur l’île est des plus réussie. Remarquable. Riche en rebondissements… ou en glissades. Oui, j’anticipe et imagine qu’il n’y en aura d’autres. Quand tout va bien, ma vie est ennuyante de toute manière, alors disons que c’est bon signe.
Là-bas, des marches qui mènent à la rue piétonne. Je nage quelques mètres en crawl pour atteindre ces marches, puis montent celles-ci pour enfin fouler la terre ferme, fouler Rhétalia. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça ne manque pas d’animation. Par contre, les quelques regards rivés sur moi me rappellent que je suis bel et bien trempé, tout comme mes affaires de rechange dans mon sac.
Vie de merde.
Des débuts en douceur
Heureusement que le soleil tape un peu dans cette région du sud, j’ai peut-être une chance de voir sécher mes vêtements. Je ne m’en préoccupe pas vraiment, je continue ma marche le long de ce bon vieux port. Beaucoup de commerces sont ouverts, de manières exceptionnelles dirons-nous étant donné les étables et les tentes. Il y a également énormément de navires, mais pas assez encore pour surcharger le port, qui semble capable d’en supporter au moins le double. C’est impressionnant.
Curieux, j’interpelle un passant.
« - Excusez-moi, brave monsieur, pouvez-vous me dire ce qu’il se passe ici ?
- Oh ? Un touriste pour poser cette question !
- Quelle perspicacité… dis-je en souriant timidement, gêné par l’intervention du type.
- Héhé. Ma femme me l’dit souvent. Il s’agit d’une partie de la flotte rhodésienne qui jette l’ancre quelques semaines pour nous ramener des biens rares de leurs expéditions.
- Ça… Juste une partie ? rétorqué-je étonné par le nombre déjà important de navires.
- Eh oui mon p’tit gars, notre flotte est exceptionnelle.
- Impressionnant… réellement impressionné ce coup-ci. »
Je n’ai pas intérêt de faire le mariole ici, ça sent pas bon. Enfin, à priori, je ne crains pas grand-chose en visitant les lieux. Le seul bémol est que je n’ai pas un rond, je suis trempé, il va me falloir voler pour me refaire. Au moins pour manger, les fringues sècheront. Je remercie le vieil homme d’un geste de la main et continue tranquillement mon exploration. C’est vraiment un événement particulier étant le monde qui peuple les différentes rues perpendiculaires au port.
Des navires se déchargent, d’autres se chargent, ce sont des allers et retours incessants et en continus. Je reste néanmoins scotché quand l’un des navires décharge sa marchandise. Ce ne sont ni des barils, ni containers ou des caisses… Non. Ce sont biens des êtres-humains que je vois attachés les uns aux autres par des cordes aux poignets. J’ai seulement les yeux grands ouverts, j’observe sans rien dire. Du moins jusqu’à ce que je baisse mon bob pour camoufler mon visage enragé.
« Liberté ». Ce mot que je chéris tant et qui perd toute sa valeur en un instant. Nous menons une drôle d’existence tout de même. Entre ceux qui bossent comme des chiens pour nourrir leur bouche et celles de leur famille, puis ceux que l’on rabaisse au rang d’esclave simplement parce que leur existence n’a pas de sens aux yeux des plus puissants… Je maintiens ce que je dis et je ne défendrais pas cette cause. Ceci n’est pas mon combat.
Résolu par cette idée, j’ignore cet horrible spectacle et continue ma progression. Je poursuis ma marche un peu dubitative, la tête baissée et le regard encore plus bas, et forcément, ça amène un choc frontal avec une personne. Dieu merci, c’est une belle femme ! Elle m’a l’air davantage surprise par le choc que par mes habits humides et ma dégaine d’enterré.
« - Milles excuses ! Je n’espère ne pas vous avoir fait mal ! Quelle idiote je fais ! dit-elle désolée.
- Hem… C’est plutôt à moi de vous poser la question… marmonné-je dans ma barbe inexistante.
- Et vos vêtements ! Ils sont tout trempés, bon dieu ! Venez, je vais les faire sécher pour me faire pardonner !
- Hein ? Qu’est-ce que…
- J’insiste ! N’en dites pas plus ! »
C’est quoi cette histoire encore ? À peine arrivé, je me fais embarquer par une femme, qui plus est tout à fait mon genre, dans ce qui semblerait être son domicile. En traversant les rues, je constate avoir raison concernant leur constitution. Imaginons un carré, qui lui est découpé en une multitude de carrés. Ça vous fait plusieurs dans un seul carré. Je n’ai pas une vue du ciel, mais je dirais que c’est l’image que l’on pourrait se faire des rues de ce port.
Ah ! Nous voilà chez la demoiselle. Deuxième étage d’un modeste immeuble, un vieux plancher qui grince mais ça fait l’affaire quand on vit seul avec peu de moyens.
« - Pardonne-moi pour la modeste demeure.
- Pardon ? T’es réellement en train de t’excuser ?
- Ben… C’pas très accueillant.
- Je n’ai aucun domicile. Je suis arrivé il y a peut-être une heure en tombant à l’eau, puis je suis tombé sur toi. Alors crois-moi, ton appartement est plus accueillant que tout ce que j’ai vu jusqu’à présent.
- Ah ? Un voyageur ?
- Je viens d’Endaur, ouais.
- Un bucheron !
- Hélas, non. Je vivais chez mon père adoptif, puis j’ai décidé de voyager. Une banale histoire, haha. dis-je en rigolant bêtement. »
Serait-ce sa beauté qui me rend si bête ?
« - Tu n’as pas connu tes parents ? demande-t-elle tristement.
- Non. »
Elle tire une tronche dépitée.
« Oh mais ça ne m’a jamais attristé, tu sais ! Mon père adoptif est un type formidable qui a toujours pris soin de moi. J’ai mené une merveilleuse enfance et tous vont me manquer, alors qu’importe qui sont mes vrais parents, j’ai eu un homme qui a fait de son mieux pour m’élever et je ne pourrais jamais le remercier pour tout ce qu’il a fait. »
Et là, elle tombe en sanglots. Abruti ! Ce n’était pas l’effet recherché.
« - Je t’assure que ça va ! Ne pleure pas, s’il te plaît ! dis-je en battant des bras, paniqué.
- C’est si beau ! On ne m’a jamais raconté quelque chose d’aussi beau ! Ici, les gens se vantent de leur vie oisive…
- J’ai cru comprendre… Et toi, de la famille ?
- Mes parents sont d’anciens esclaves, maintenant à Libertalia, ville qui est là pour « accueillir » les nouveaux Hommes libres. Enfin, tu parles…
- Hum. J’ai assisté à cette horrible kermesse d’esclave tout à l’heure, c’est pour ça que je ne t’ai pas vu arriver…
- Dieu merci, j’ai été épargné par l’instruction donnée aux enfants d’esclaves. C’est une abomination. T’encrer dans le crâne que les Hommes riches sont des dieux. Quelle honte ! Et quand tu as ce foutu privilège d’être enfin libre, à l’instar de mes parents, ta vie est également foutue. Tu es marqué par tes années de loyaux services, catégorisé comme esclave, personne ne t’embauche. Voilà ta liberté. »
Cruel monde.
« Et voilà que je bosse pour permettre à mes parents de vivre dans un coin un peu plus décent. Ils parlent d’un projet soutenu par le royaume de Bliss pour réaménager le quartier, tu parles. Trop de discours politiques pour rien. »
La demoiselle en vouloir à ce système. Puis elle m’a l’air assez bien éduqué pour une enfant d’esclave. Je m’en veux de penser une telle chose, mais il ne faut pas non plus fermer les yeux.
« Je comprends tes mots, pas tes sentiments malheureusement. Je partage totalement ton point de vue, la seule différence réside dans le fait que je n’ai jamais été esclave, mon père non plus… »
En regardant son salon, j’aperçois une bibliothèque remplie de livres. Pas pour tous, mais au moins la plupart, ces livres ne m’étaient pas inconnus.
« - Je constate néanmoins que nous partageons quelques points en communs. dis-je en scrutant certains ouvrages.
- Un passionné de lecture dans le bar où je bosse, qui m’a appris à lire durant mes pauses, puis filé quelques livres pour garnir cette bibliothèque.
- « Les rêves de monsieur Bertold », j’ai tout simplement adoré. C’est peut-être ce livre qui allumé la flamme en moi.
- Toi aussi, hein. »
Puis elle cherche quelque chose sur sa table basse.
« Quelle heure est-il ? Merde ! Je dois retourner bosser ! Attends-moi ici, je reviens à l’heure du souper ! Va dans ma chambre te prendre un tee-shirt et mets tes fringues à sécher dehors ! »
Puis elle s’en va sans rien ajouter de plus.
« Deux secondes Alma… T’es chez une fille dont tu ne connais même pas le nom, qui te plaît suffisamment au point d’en avoir des pensées obscènes et qui partage certains centres d’intérêt identiques aux tiens. C’est quoi cette mauvaise blague encore ? ... »
L’heure du souper, hein ? Invitation à lui faire à manger ? Je me dirige vers ce qui semble être sa cuisine où se trouvent fruits et légumes, puis un petit balcon dans lequel sont suspendus de la bonne viande. J’ai déjà l’idée du repas de ce soir, un véritable festin. Si avec ça elle ne m’envisage pas dans sa vie, je change de bord. Qu’est-ce qu’il me prend à vouloir la séduire ? Je dois reprendre mon calme, merde. Je ne la connais même pas.
Au fourneau ! Enfin, avant ça, faut me déshabiller.
Je visite un peu les lieux pendant que ça cuit, je fais comme chez moi. Le moins que l’on puisse dire est que l’on se sent bien enfermé ici. Le balcon donne sur la rue, le soleil caché par l’immeuble juste en face, tandis que sa chambre donne directement sur le voisin d’en-face. Très charmant. Cette femme ne mérite pas une vie si misérable. Elle n’a pas l’air malheureuse non plus, probablement qu’elle s’estime chanceuse de bosser dans un bar et qu’il y prend du plaisir.
Néanmoins, ce n’est pas la vie dont elle rêve. Il n’est pas possible qu’elle ait lu ces ouvrages et qu’elle souhaite continuer de croupir dans ce taudis. Taudis que je respecte naturellement. Taudis sans lequel je serais actuellement dans la rue, alors que les commerçant ferment et débarrassent le plancher, que les rues se vident… Se vider est un gros mot, puisque les restaurants et tavernes, eux, restent ouverts semblent bien plus animés qu’en journée.
Avant que la douce demoiselle ne revienne, j’installe convenablement la table. Si j’avais des roses, je les aurais naturellement mises mais non. Merde ! Je recommence. Une clef rentre dans la serrure, c’est elle. Je saisis aussitôt les deux assiettes chaudes, remplies d’un arc-en-ciel de légumes prêts à être dégustés. Mais que serait un repas sans de belles tranches d’agneau ? Un festin. Je me languis d’avance et mon ventre me le rappelle à chaque inhalation.
La porte s’ouvre. La femme reste bouche-bée, les yeux larmoyants et grands ouverts en voyant cette belle table.
« La… La table n’a jamais… Jamais été aussi belle que ce soir. dit-elle en bafouillant légèrement ses mots. En quel honneur ? »
Qu’est-ce que je suis censé répondre maintenant ? Parce que je veux la séduire, bougre d’ignare !... Non.
« - Tu m’as accueilli chez toi et permis de sécher mes affaires mouillées.
- Je t’ai bousculé.
- Théoriquement, c’est moi qui t’ai bousculé. »
Et je vois qu’elle se retient de rire.
« - Un problème ?
- C’est juste que de tous mes tee-shirts… Tu as choisi le plus petit !
- J’ai pris du ventre…
- Oh non ! Je dirais au contraire que tu t’entretiens bien ! »
Je me tue à la tâche, ouais… Voyager dans ce monde de brutes en étant faible, non merci.
« Bon, sérieusement, laisse-moi te trouver des choses convenables pour la nuit. »
Pour la nuit ? Elle a prévu de me loger cette nuit ? Oy…
« - M-Mangeons d’abord !
- Hum ?
- Mangeons tant que c’est encore chaud. dis-je en détournant mon regard du sien.
- Bonne idée ! »
Je suis dans tous mes états. Je suis obligé de manger, n’étant qu’en caleçon, si je pense trop… Vous savez ce qu’il se passe dans ces moments-là. Là, j’ai au moins la chance d’être camouflé par la table et de penser à d’autres choses. Par exemple, elle me raconte sa journée, chose totalement normale qui me permet de calmer mes ardeurs. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ses journées sont loin d’être faciles. En plus d’enchaîner les heures de travail définies dans les termes de son contrat, elle effectue des heures supplémentaires.
Sa vie n’est faite que de travail. Comment s’enrichir sans bosser ?
« Et toi ? Que comptes-tu faire ? »
Terrible question.
« - Je n’en ai pas la moindre idée. Visiter l’île dans un premier temps, peut-être que j’y trouverais une vocation.
- C’est mon jour de repos demain ! On pourra se promener si tu veux !
- V-Volontiers ! »
Je ne parviens même plus à m’exprimer convenablement. Puis je pense avoir besoin de sommeil. La demoiselle également… La demoiselle ? Je ne connais pas encore son prénom ! Sérieusement, c’est quoi cette histoire !?
« - Serait-il possible de connaître ton nom avant de nous coucher ?
- J’en avais oublié de me présenter, pardonne-moi !
- J’avais aussi oublié de mon côté… dis-je en marmonnant. »
- Je m’appelle Eärendil. »
Quel merveilleux prénom ! Aussi magnifique que son visage.
« - Et toi ? me demande-t-elle en me coupant de mes songes.
- Alma.
- Enchanté, Alma. Pour ce qui est du couchage, je te propose mon lit ou le canapé. Je t’avoue que tu es mon premier invité, donc j’ai pas trop préparé de couchage supplémentaire. »
Elle me propose son lit si innocemment…
« Le canapé fera l’affaire… Merci beaucoup. »
Un drap, un oreiller, je suis un homme heureux. Ce qui m’excite le plus, c’est d’en découvrir davantage sur ce royaume, qui plus est aux côtés d’Eärendil, mon ange gardien. Puis qu’elle cesse d’être maladroite avec moi, je risque de perdre mon self-contrôle. Je ne suis qu’un homme après tout, pas une machine résistant aux charmes de cette femme. Il ne faut pas trop m’en demander non plus. Et sur ces pensées, je m’endors peu à peu, rêveur comme à mon habitude.
« - Allons, Alma, tu t’lèves ? s’exclame la jolie blonde, me réveillant.
- Magnifique… Même au réveil… marmonne-t-il.
- Hum ? Tu as dit quelque chose ?
- Ah ! N-Non ! Je te remercie seulement de m’avoir réveillé ! rétorqué-je paniqué en me rattrapant. »
- Haha. Pas d’quoi ! Tes vêtements sont secs maintenant. Habille-toi, prends-toi quelques fruits et on part à l’aaaaaaventuuuure ! »
Le pire dans tout ça, c’est que je suis à peu près sûr qu’elle entend tout ce que je dis à voix basse. Vous savez, elle me regarde avec ses petits yeux verts et attendrissant, l’air de me dire que je suis trop mignon mais qu’elle préfère éviter ces moments gênants. Et bien entendu, elle a brillamment changé de sujet en parlant de notre activité du jour. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle est extrêmement motivée à explorer son île, peut-être plus que moi encore. Tant de positivisme, c’est agréable.
Je me lève aussitôt du canapé dans lequel j’ai passé une bonne nuit, puis je plie le drap que l’on m’a gentiment prêté. Direction le balcon où sont toujours étendues mes affaires, que j’enfile dans la foulée. Quelque chose de léger étant donné la température dans la région. Ma petite chemise blanche, mon pantalon noir en toile, puis mes petites getas adorées. Sans oublier mon bob, par dieu ! Une pomme, une banane, et nous sommes bons !
Je passe devant, elle ferme la porte, on déboule les escaliers et voilà l’air libre. Où allons-nous ? D’après ma guide, il vaudrait mieux éviter d’aller sur Valoonia car peu à peu envahie par les colons Blissois, mais aussi Édénia car ils n’aiment pas tout ce qui n’est pas riche. C’est compliqué ces histoires. Et selon elle, Blasphémia ne m’intéressera pas. Les pyramides ne sont que des tas de pierres pour appâter les touristes. Elle a donc décrété que je n’étais pas un touriste…
Il ne reste plus grand chose si je compte bien.
« Direction Libertaliaaaaaaa ! s’exclame-t-elle joyeusement. »
Libertalia… Ce n’est pas là que ses parents vivent ?... Beau-papa, belle-maman, seulement moins de 24h après notre rencontre ? Eärendil, sérieusement, c’est quoi ton foutu problème ? Et puis merde. Qu’est-ce que je raconte ? Elle souhaite seulement me faire visiter l’une des seules villes accessibles et intéressantes. Et là-bas au moins, pas de touriste. Elle m’attrape la main et me tire en courant, comme une petite folle, comme une personne heureuse. Alors à mon tour, je rigole bêtement.
Et c’est qu’elle court la jolie blonde. Une foule digne des plus grands sprinteurs, une endurance bien nettement supérieure à celle d’un golfeur, on est loin de la jolie princesse toute fragile. Non. Là, nous avons une femme qui a vécue durement, qui s’est battue, qui a survécu. Une femme qui en veut, en somme. Pas de mauvaise interprétation je vous prie, je reste sérieux sur ce coup.
Mais un élément l’arrête net. La télévision d’un bar autour duquel se trouve un bon nombre d’individus. Apparemment, il s’agit de petits bandits barricadés dans un salon de coiffure. Rien de bien intéressant à priori. Enfin telle que la situation est décrite, je vois difficilement comment ils pourraient s’en sortir. L’un d’eux, visiblement leur chef, sort et prend la parole. C’est assez courageux d’agir ainsi. Quelle bravoure ! À moins qu’il soit stupide.
« Bonjour à tous. Ravissant chapeau, madame. A-hem ! Il y a à l'intérieur un Den-Den que nous libèrerons dans quinze minutes précises pour ouvrir les discussions avec vous. On n'est pas exactement partis du bon pied, mais sachez que nous aimerions éviter toute violence inutile. Pas besoin de vous rappeler ce dont nous sommes capables, pas vrai ? Je vous demande donc de ne rien tenter d'inconscient d'ici là ! Merci de votre attention. dit le suspect à la télé. »
Puis je me retourne vers Eärendil.
« - Un problème ? Tu les connais ?
- Non. C’est juste le salon de coiffure dans lequel j’ai l’habitude d’aller. J’espère qu’il ne fermera pas.
- Il n’y a pas de raison. Le type dit vouloir ouvrir les discussions, c’est bon signe, non ?
- Ici, les autorités ne rigolent pas avec les étrangers qui viennent perturber leurs affaires. Ce type va finir au Doomsdom, comme tous les autres… me reprend-t-elle attristé.
- Doomsdom ? C’est quoi cette connerie ?
- L’arène où sont exécutés les esclaves capturés, puis les criminels ou les personnes jugées dangereuses pour Rhétalia, selon nos hauts dirigeants. »
Doomsdom, hein ? C’est enregistré dans ma tête. Allez, cette tronche qu’elle tire, bien qu’elle soit mignonne, je n’aime pas. Son sourire éclatant… Il n’y a que ça pour me rendre invincible et plus heureux que jamais.
« - Rien ne semble être fixé pour l’heure. Où est-ce qu’on va déjà ? demandé-je comme pour le remobiliser.
- Ah oui ! Direction Libertaliaaaa ! Nous y serons dans quelques minutes, allez ! »
Elle m’arrache une nouvelle fois le bras pour mon plus grand bonheur. Quelle folle aventure !
C’est comme elle l’a dit, quelques minutes de courses aux allures irrégulières causées par les pentes et descentes, puis nous étions arrivés à la fameuse ville de Libertalia. Honnêtement, ce n’est pas glorieux. J’en viens même à resserrer les poings. Ils se foutent de la gueule de qui dans ce pays de merde ?... Ça ressemble plus à bidon ville qu’autre chose. De notre position, nous surplombons le lieux, caressés par une légère brise. Je retire mon bob pour laisser mes cheveux s’envoler au sens du vent et observer les horizons.
Donc en gros, les esclaves libérés sont marqués, envoyés dans des restes de ruines et de bâtisses, « merci pour vos loyaux services et démerdez-vous », et encore, je ne suis même pas certain qu’ils les remercient. Juste de l’autre côté, non loin d’ici, on peut voir Valoonia, ancien port principal de Rhétalia. Il appartient désormais au royaume de Bliss. C’est-à-dire que juste à côté de ce putain de bidonville vivent des putains de riches… Foutus dirigeants de merde.
Eärendil saisit mon poing fermé de rage, puis avec toute la douceur qu’elle possède, dessert celui-ci pour y mettre sa main. En face me tenant les deux mains, je n’ai d’autre choix que de plonger dans ses yeux, bercés par toute la bonté qui s’y dégage.
« Regarde donc par là-bas. dit-elle en tendant le bras vers ma gauche.. »
Il y a en effet des constructions.
« Un projet de modernisation et d’urbanisation est en cours… Descendons, je pense que d’autres choses de te ronger de l’intérieur. »
Cette douceur à l’aura pur vient de basculer en quelque chose de plus froid. Au cœur de Libertalia, des enfants courent, se pourchassent, jouent librement. À leurs habits sales, on comprend aisément que leurs conditions de vie ne sont pas ce qu’elles devraient être, mais du moment qu’ils sont heureux… Il y a pas mal de commerces de fruits et légumes, de restaurations rapides, des étables d’habits, des couturiers, etc… L’essentiel y est.
« D’autres encore travaillent à l’extérieur de la cité, dans les villes avoisinantes, pour les mêmes employeurs mais cette fois-ci en échange de rémunération… »
Encore heureux. C’est le début d’un bon consensus.
« … Mais ! »
Parce qu’il y a toujours un ”mais”.
« Des types biens plus malins que les autres, dénués de sentiments ou de la même race que les dirigeants, ont mieux réussi leur vie que les autres. Veux-tu savoir comment ? »
Pas le temps de répondre.
« Suis-moi. »
Quoi ? C’est déjà terminé. Et ses parents ?
« Tu ne rends pas visite à tes parents ? »
Elle s’arrête. Les enfants qui courraient autour s’arrêtent en reconnaissant Eärendil lui sautent tous dessus. C’est bel et bien une enfant de la cité, reconnue de tous pour sa bonté. En se retournant vers moi, moitié de face, j’aperçois une larme s’échapper de son œil.
« Ils sont morts. »
J’en lâche mon bob. Elle se retourne vers les mômes et je reste immobile à la contempler avec désarroi. J’en viens même à m’en vouloir d’un crime que je n’ai pas commis. Alors tout ce qu’elle m’a raconté… Il est évident qu’elle économise le peu d’argent qu’elle gagne pour le donner aux siens. Je suis si ému par ce dévouement que mes jambes tremblent. J’ai presque envie de finir sur les rotules, mais la fierté me retient encore débout. Quelle force ! Quel amour ! Quelle femme formidable…
Debout, en appui sur ma canne, j’observe silencieusement ces retrouvailles entre les passants et Eärendil. J’allais m’étonner qu’elle soit appréciée, mais si elle leur file du fric c’est pas étonnant… J’ose espérer qu’il ne s’agisse pas que de ça. En deux jours, cette femme m’a déjà bien changé. Ressentir de la compassion pour ces gens et de la haine contre les hauts dignitaires. J’ai clairement pris mon parti mais il n’est pas question pour autant que j’agisse.
Et alors perdu dans mes songes, une main, sa main, me saisit et m’embarque une nouvelle fois. Et une fois encore, je me laisse emporter dans une folle aventure. On traverse la pauvre cité à toute vitesse. Je tente d’y observer le plus de choses possible, mais pas grand chose à regarder. Le souci c’est que l’on se redirige vers la ville portuaire. Pourquoi ? La visite est d’ores et déjà terminée ? Puis je me souviens qu’elle disait vouloir me montrer comment d’anciens esclaves ont réussi.
Puis on s’arrête.
« - Tu vois cet établissement ? me demande Eärendil en pointant du doigt un établissement.
- L’entreprise de transport ?
- Absolument. Regarde attentivement.
- Euh ouais. Des types entrent et ressortent avec des esclaves qui les tirent sur des charriots quatre étoiles, ou seulement sur un siège individuel qu’ils portent à deux si le client est seul… Esclaves humains, long-bras, hommes-poissons, ou animaux, ces types n’ont aucune limite dans marchandise.
- Et tu veux savoir qui tient ce commerce ?
- Pas sûr que ça me dise grand chose, mais dis toujours.
- Un ancien esclave.
- Hein ? Puahahaha. Allez, arrête tes conneries !
Elle ne rigole pas.
- Donc tu vas me faire croire qu’un type ayant vécu tout ça, reproduis exactement le même schéma avec ces anciens frères ? Quel genre d’individu sans âme peut faire ça ? Un ancien esclave qui maltraite les siens ! Pouahahaha ! »
Je rigole jaune. La rage monte en moi. Des idées se mélangent dans ma tête, elles partent et reviennent comme des boomerangs. Je transpire. J’ai chaud. Je fatigue. Ce n’est certainement pas à cause de la température de l’île, je ne me sens pas bien. Si c’est pour voir ce genre de saloperies, ramenez-moi à Endaur. À l’heure qu’il est, le navire des bucherons est certainement déjà parti… Putain de merde. Je m’arrache les cheveux. Cette image m’est insupportable.
« Eärendil… Rentrons… »
Désolée, elle me prend la main et m’emmène. Sauf qu’un événement me freine. Des coups de fouet, des cris d’enfants… Pas ça. Par pitié, pas ça. Je me retourne. Deux enfants tirant péniblement le char sur lequel se tient un homme de forte corpulence, au visage aussi pourri que son âme. Un homme impitoyable qui fouette ces pauvres enfants qui avancent trop lentement à son goût. Le hurlement de ces enfants me détruisent de l’intérieur. Je retire ma main de celle de ma douce et prend le chemin inverse, les poings fermés et le regard déterminé.
« ALMAAAAAAA ! hurle Eärendil en tentant de me rattraper. »
Sa voix est masquée, ma vision floutée, me laissant uniquement l’abominable scène en images claires. La démarche peu élégante, déterminée, saccadée, robotique, j’avance rapidement de ma cible. Il arme son bras une nouvelle et abat son fouet sur ces êtres purs. C’est ici et simplement que j’interviens, en saisissant le fouet d’une main, avant que ce dernier ne détruise le dos d’un pauvre enfant.
« Hé… Qu’est-ce que tu m’fais là ? Dégage d’ici ! dit le gros, mécontent. »
Je tire la corde, expulsant le monsieur de son char, soulageant les deux enfants du poids de l’individu. Il se ramasse comme une merde au sol, blessé, en colère, sous le choc de ce qu’il venait de se passer. Alors qu’il se relève, fou de rage, je lui colle mon genou juste en-dessous de son menton, le projetant vers l’arrière. Je le saisis ensuite par le col, le regard rouge et le visage fermé, puis lui colle une multitude de coups de poing sur le visage. Des cris de scandalisés, effrayés, joyeux retentissent de toute part.
Puis une douce main bloque mon bras armé vers l’arrière, m’empêchant de donner le coup suivant.
« - Alma… Par pitié, cesse ! Partons avant que Les Dresseurs n’arrivent !
- Et les gosses !?
- On ne peut rien pour eux ! Retrouve ta clairvoyance ou nous sommes foutus !
- Merde… Merde ! »
Je crache sur le gros détritus et m’enfuis avec ma belle.
« - Qu’est-ce qu’il t’arrive, Alma !?
- Quoi !? Tu n’as pas vu la même chose que moi !? dis-je d’un ton agacé.
- Et puis quoi !?? Tu aurais buté ce gros porc et tu aurais été envoyé à l’arène !?
- …
- D’une part, tu n’aurais sauvé absolument personne dans cette histoire. Et d’autre part, tu serais mort en vain.
- Ouais, c’est bon. Pardonne-moi. m’excusé-je en détournant le regard à l’opposé du sien.
- Avec un peu de chance, ça ne restera qu’à la simple bagarre de rue. C’est probablement un touriste, pas un homme excessivement riche… Non. C’est pas bon. Putain ! T’es abruti ma parole ! Je suis complice de tes conneries en plus… termine-t-elle d’une voix désemparée. »
Elle s’assied sur un tonneau dans un coin de rue, à l’abri des regards où elle se tient la tête. Quel crétin ! À aucun moment je n’ai pris la peine de penser à elle. Intérieurement, je suis heureux de vivre quelque chose d’aussi excitant, sauf que ça implique cette merveilleuse demoiselle qui a été si gentille avec moi. Elle doit bien regretter maintenant. Foutu connard que je suis…
« T’as pensé à une solution, j’espère ? »
Euh… Pas vraiment.
« - On se tire. dis-je innocemment.
- Tu te moques de moi ?... Alma. J’ai l’air de rigoler là ?
- Je suis sérieux. Je ne sais ni ou ni comment, mais on va devoir se tirer d’ici.
- C’est dingue comme ça m’enchante... L’avantage ici c’est que je gagne de l’argent, que je peux me permettre certaines choses de temps en temps. À quoi bon partir pour devenir clocharde ?
- Laisse-moi trouver une solution. Retourne chez toi tranquillement, c’est même pas sûr que l’on te soupçonne. Des blondes, y en a pas mal ici.
- Des blonds aussi.
- Sauf que le gros machin n’a pas eu le temps de te voir. Et même si je lui en ai foutu des bonnes, il a eu le temps de voir ma gueule en long, en large et en travers. Surtout en travers.
- Cesse les blagues.
- Je ne rigole pas. Rentre chez toi et oublie-moi.
- Ceci n’est pas une blague ?...
- Absolument pas. »
Et juste après ces mots, je reprends la marche, seul. Mais la petite ne démord pas.
« Tu te fous vraiment de ma gueule, espèce de sombre merde ! Tu profites de mon hospitalité, tu me promets une vie de rêve, puis tu te barres ! Connard ! Lâche ! »
Waow. Première fois que je l’entends employer des mots aussi vulgaires. Elle a décidé de ne plus jouer à la fille noble. Et ce n’est pas pour me déplaire. Malheureusement, je dois lui éviter des problèmes. J’aurais tendance à dire que je m’en moque, sauf que j’ai pas mauvais fond et qu’elle m’a plutôt bien tapé dans l’œil. Ses paroles sont dures à encaisser, mais je dois m’en défaire pour son bien. Ça attire bien trop l’attention et la foule se retourne vers moi avec des regards remplis de jugements.
C’est alors que la situation se complique quand les Dresseurs arrivent. La foule qui commençaient à s’agiter quelques instants plus tôt, se calme et reprend sa marche. Je me dissimule à travers les différents passants, naturellement, jusqu’à être certain de ne plus être dans leur champ de vision et pouvoir accélérer le pas. La marche est soutenue, je profite de la densité de la population pour zigzaguer et voler des pommes, du pain, des clémentines…
Et puis retour à la case départ, me voici au port où je suis arrivé. Posé au quais, les pieds dans le vide, comme mon regard, je mange sans vraiment y prendre plaisir. Je m’interroge sur ce que je vais bien pouvoir devenir. Mon brave équipage de bucherons est déjà parti. Je pourrais à la limite attendre qu’il repasse ici, mais c’est pas demain la veille qu’ils vont repasser dans le coin. Je ne sais même pas si je suis réellement recherché par les autorités de la ville, sauf que je suis contraint d’être parano pour ne pas me retrouver dans cette foutue arène.
« Je savais que je te trouverais ici, dit une voix très familière. »
Je me retourne immédiatement, à la fois heureux et surpris de retrouver ce magnifique bout de femme. La chevelure blonde virevoltante est la première chose qui frappe mes petits yeux verts. J’esquisse un énorme sourire. On s’était quitté sur une dispute, cela me tiraillait le coeur de devoir se séparer ainsi de ce petit bout de femme que j’avais appris à apprécier en si peu de temps. Mais à aucun moment, à aucun moment, je ne regrettais mes paroles. De mauvais souvenirs remontent à la surface.
« - Eärendil…
- La ferme. Je commence, tu écoutes. Si je suis là, c’est uniquement parce que je l’ai décidé. Je rêve depuis longtemps de quitter cette vie, même si celle qui m’attend est pire, mais je serais au moins libre de faire ce qu’il me plaît. Tu me proposes une issue, on s’entend bien, alors c’était pour moi une bénédiction.
- Je ne suis donc plus qu’un moyen de t’échapper de cette île… Dire que j’en espérais davantage, dit-je en baissant la tête. Tu sais, tu me rappelles une personne qui te ressemblait comme deux gouttes d’eau, au Royaume de Bliss. On s’était très bien entendu, on devait se revoir, elle a été assassinée avant que ça n’arrive. Tu trouveras ça débile mais j’ai pas spécialement envie de revivre le même scénario.
- Une telle chose ne m’arrivera pas puisqu’on ne va pas se séparer et que tu n’auras donc pas à me revoir, répond-t-elle en esquissant un sourire maléfique.
- T’as réponse à tout, hein, dis-je cette fois-ci en relevant le regard vers cette dernière. »
Elle n’a cependant pas tout à fait tord. Soit. Dans l’ordre, on doit évaluer la situation actuelle dans laquelle nous sommes. Eärendil pourrait reprendre sa vie paisiblement, sauf qu’elle préfère me suivre alors que je suis recherché… Mais à ce sujet, j’aimerais être certain que l’on me recherche vraiment. Avec un peu de chance, cet échange de coups en restera là, une simple bagarre entre deux hommes. Et encore, ça dépend aussi des loins dans cette cité, puis de la place des ces foutus touristes.
« Juste une chose. Si l’on me poursuit ou que je me fais prendre, tu t’éloignes. Compris ? »
Elle râle. Elle me dévisage. Elle me balance des injures. Puis elle finit par accepter en voyant que je ne réagis absolument pas à ses diverses réactions. Nous décidions dans un premier temps de retourner chez elle, loin de tous ces bruits, afin de réfléchir à un plan de fuite. Cependant, des bruits de foule attirent notre attention. On décide tranquillement de voir ce qu’il se trame. Rapidement, on constate que c’est la jungle. Des types volent de toits en toits, poursuivis par les défenseurs de la ville.
Pour une raison que j’ignore, je suis du côté des types poursuivis. Je ne connais par leurs méfaits, mais ça ressemble à une sacrée aventure, ça me fait frissonner. Une bande de camarades qui décident de prendre des risques ensembles, c’est beau. En tournant la tête, j’aperçois les yeux d’Eärendil qui pétillent. Elle est définitivement irrécupérable. Mais sous ce moment d’émerveillement se cache un regard qui n’a pas cessé de m’épier depuis quelques instant. Lorsque je vois la vieille caboche et le vide sortant de ce gros lard, rencontré quelques temps plus tôt, je comprends que la situation est mal engagée.
Parallèlement, deux gosses passent en courant, voire trois, un homme-poisson, une blonde, puis je sais pas. Ça va bien trop vite pour mes petits yeux.
« Gaaaaaardes ! C’est luiiiii ! »
L’enculé… Il a la rancune tenace. Je suis complètement encerclé. Ma seule issue se trouve être justement ce gros porc, qui ne m’empêchera pas de passer, je vous le dis. La jolie souhaite réagir, mais je suis déjà parti, avalant les quelques mètres entre ma cible et moi. À deux mètres de distances l’un et l’autre, je bondis le genou en avant, qui finit par se foutre sur la tronche de ce vieux dégueulasse. Autant dire qu’il s’écroule sur le coup, m’offrant l’opportunité de prendre la fuite.
Je bouscule les passants, je tente de frayer un chemin mais l’entreprise n’est pas évidente. Les Dresseurs me poursuivent toujours, je continue mon avancée. Ne pouvant apercevoir ce qu’il y a en face de moi, je m’enfonce sans le savoir dans un véritable piège. En effet, j’entre dans une zone de sécurité, juste en face d’un salon de coiffure. En face de moi, pleins de Dresseurs, neutralisant un homme au sol. Tiens, ce n’était pas le voltigeur de tout à l’heure ?
Je tente de reprendre la course, c’est trop tard. Je suis définitivement encerclé. Je ne tiens pas particulièrement à me faire tabasser, le nombre de soldats est bien trop importante. Alors je me mets à genou, les bras derrières la tête, attendant que l’on vienne me neutraliser sans trop de difficulté. Je suis face à cet homme, probablement avec lequel je risque de passer quelques moments sympathiques avant notre mort. Car oui, rappelons-le, c’est la mort qui nous attend.