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Les rats de l'arène

William pouvait distinguer la peur dans les yeux de ceux qui l'entouraient. Quand on se figurait les arènes et leurs combats, on se représentait des hommes forts, capable de regarder la mort dans les yeux sans jamais détourner le regard. Pourtant, il ne pouvaient pas même regarder leur pied sans tenter de s'enfoncer six pieds sous terre. Il fallait dire que la plupart d'entre eux ne semblaient pas prédestinés au combat : des femmes et des enfants croupissaient aussi là, dans l'attente d'une mort inévitable. Les sanglots se faisaient légions et ceux qui ne semblaient pas ému par la situation plantaient néanmoins leur regard dans le vide. Le jeune artificier tempéra ses ardeurs meurtrières et commença à tourner en rond, fixant les gardes qui surveillaient tout ce beau monde. Il ne rêvait que de se jeter à leur gorge et il caressa les diverses lames qui lui passaient à portée de main. Des heures entières passèrent sans qu'il ne quitte le râtelier. Certains s'étaient endormis dans la salle mais ceux qui semblaient avoir survécu à plusieurs spectacles, ceux-là même qui fixaient le vide, commencèrent à être saisis d'agitation. L'occasion d'en découdre ne tarderait pas pour le jeune homme. Alors qu'il avait ces pensées en tête, la grille qui séparait la pièce de la pierre de l'arène se souleva dans un fracas incroyable tandis que des miliciens faisaient irruption, menaçant les occupants du vestiaire. Se saisissant d'une ancienne hache de marine, William s'avança le regard planté sur la tête de rat ensanglantée qui ornait le mur de la caverne. Il comprenait d'où ils tiraient leur peinture pour maintenir l’œuvre en état. Il allait leur donner de la besogne à revendre. Il toucha sa blessure, qu s'était rouverte fréquemment durant ces derniers jours. C'était son talon d’Achille, combiné à son inexpérience relative du combat. Il émergea de la structure en bois alors que la clameur commençait à rugir, provoquée par les cris du public qui s'entassait dans les gradins. C'était peut-être la seule fois où les encapuchonnés prononçaient un quelconque son. Il les défia du regard, s’imagina les tuer tous. Il n'y avait plus aucun sens de la mesure dans l'esprit du jeune homme. Il souhaitait juste se tirer de cette situation, qu'importe les sacrifices que cela exigerait.

« IGNOBLES RATS ! VOTRE ROI VOUS PARLE ! »

La voix avait résonné dans tout le stade avec une puissance assez incroyable. Une sorte de dispositif que le jeune homme n'arrivait pas à identifier semblait à l'origine de l'amplification du son. Un des hommes qui s'étaient tenus dans la salle du trône avait prononcé ces quelques mots, avant de laisser place au monarque qui s'avança devant l'appareil et garda le silence quelque temps, écoutant la clameur qui pouvait monter de l'arène. Il aimait décidément les bains de foules.

« Chers rats. Vous savez à quel point je tiens à vous offrir ce spectacle aussi souvent que possible. Et les divers naufrages qui ont eu lieu ces derniers jours m'ont permis de vous gâter ! »

Il s'arrêta tandis que la foule l'applaudissait avec une vigueur inouïe. Dans l'arène, les autre combattants semblaient terriblement effrayés. Les femmes et les enfants tenaient gauchement les armes qu'ils avaient choisis. Certaines étaient impossible à manier au vu des carrures de leurs porteurs et n'avaient été choisis que pour leur aspect destructeur. D'autres étaient ridiculement inefficaces dans une mêlée comme celle qui semblait s'annoncer. Certains pleuraient encore, tandis que d'autre avaient déjà épuisé toutes les larmes de leur corps et gardaient un regard hagard. D'autres encore restaient figé devant les piques sur lesquelles avaient été plantées les têtes des malheureux exécutées pendant les spectacles précédents. William put reconnaître le visage du vieillard de la prison, une expression de folie figée sur son visage.

« Aujourd'hui encore, je vous offre ce délicieux spectacle ! Aujourd'hui encore le sang coulera ! Et je vais même mettre du piquant dans ces jeux... Ceux qui sortiront vivant de cette arène seront reconduit vers l'extérieur ! Libre comme l'air, ils pourront retourner à leur vie d'antan, comme s'ils n'avaient jamais eu la chance de croiser notre chemin ! »

Les yeux des participants s'illuminèrent presque tous au même instant. Seul William et les rares vétérans ne bronchèrent pas. Personne ne sortirait de là aussi facilement, encore moins libéré par des ravisseurs qui auraient tout intérêt à ne pas voir la Marine débarquer jusque là. Pourtant, les autres ne pouvaient que s'enthousiasmer d'une telle proposition. Perdus dans leur désespoir, il ne pouvait voir le traquenard qui se tendait derrière la proposition : leur manque de cynisme les empêchait de comprendre qu'ils étaient manipulés pour les rendre aussi dangereux que possible. Le Roi des Rats acheva son discours.

« Aussi j'enjoins nos compagnons dans l'arène à faire montre de leur talent. QUE LA MÊLEE PRENNE PLACE ! »

Une femme qui se trouvait à quelques mètres du jeune artificier s'élança dans sa direction dans un hurlement fou. Il se retourna prestement, plaça sa hache dans une garde relative, fixant l'attaquant droit dans les yeux. Il avait cessé de penser depuis un bon moment et c'est ce qui lui permettait d'envisager de la tuer. Mais il n'arrivait pas à se mouvoir et l'observait passivement. Elle n'était pas son ennemi, il n'avait aucune raison de briser son existence. Il n'en avait pas le droit. Il se prépara au choc quand un homme entre deux âges se jeta sur elle, lui assénant un puissant coup de masse qui ne laissa aucune illusion sur l'état de la pauvre dame. Il se tourna vers l'artificier qu'il avait vu faiblir quelques instants plus tôt. La hache du jeune homme commença à ouvrir son crâne au niveau de ses yeux. Il s'effondra, tué net, tandis que le jeune homme se concentrait sur le reste de la mêlée. Les femmes et les enfants s'étaient tous faits massacrer, et seuls subsistaient les vétérans, ligués ensemble contre les nouveaux arrivés. William constituait une sorte de tierce partie. Dix personnes prêtes à en découdre, à détruire leurs concurrents pour échapper eux-même à la mort qu'ils infligeraient aux autres. L'artificier porta son regard sur les vétérans. Ils tenaient leurs armes comme s'ils avaient toujours su s'en servir. Au milieu des six hommes, il y en avait un qui semblait mener la danse, donnant des ordres aux autres. Après un rapide examen, le jeune homme comprit ce qui liait ces hommes ensemble. Il remarqua le tatouage de mouette qui paraît le biceps de leur chef.

« Qu'attendez-vous donc ? La grâce viendra pour six d'entre vous ! Vous ne voudriez pas que je lâche mes rats dévorer vos entrailles ? »

Le roi s'était levé de son trône et William avait fait l'erreur d'orienter son regard dans cette direction. Il eut la chance d'entendre le mugissement de l'adversaire qui le chargeait. Il para in extremis la lame courbe qui s'abattait sur lui avant de rouler sur le sol, déséquilibré par la puissance du coup. En arrière-fond, la mêlée avait repris son cours. L'homme qui l'avait chargé provenait du groupe de pirates qui avaient dû être emportés par le courant. De nombreux tatouages couvraient son torse nu et plusieurs d'entre eux étaient caractéristiques de ceux que les forbans aimaient arborer. Il leva son cimeterre en se jetant sur l'artificier au sol mais ce dernier n'avait pas dit son dernier mot. Son arme avait été éjectée par le premier coup aussi il attrapa une pierre de bonne taille et frappa de toutes ses forces dans le côtes de l’assaillant, qui eut le souffle coupé. Il tomba sur le côté à son tour, lâchant son arme au passage. William en profita pour se relever, constatant au passage que sa blessure s'était rouverte. Il ramassa l'épée ouvragée juste à temps pour engager le combat avec un deuxième flibustier, qui s'était débarrassé d'un des marins. L'artificier ne le laissa pas prendre l'initiative.
    Saisissant son arme d'une poignée ferme, il lança de puissants coups destinés à déstabiliser la garde du forban. Son bras fatigua vite mais son adversaire était heureusement exposé au même problème. Sa lance commença à s’abaisser sous les impacts répétés qu'elle subissait et il suffit d'un pas en arrière pour que l'artilleur prenne l'avantage. S'emmêlant les pieds alors qu'il craignait la fureur dans le regard de son adversaire, il faillit basculer en arrière mais retrouva son équilibre... pour voir le cimeterre mordre sa chair en profondeur, au niveau du flanc. Il lâcha son arme pour tenir sa blessure et l'épée traversa alors sa poitrine. Les yeux écarquillés, il s'effondra au sol alors que William se retournait pour achever le pirate qu'il avait cloué au sol plus tôt. Il avait coupé tout les sentiments qui pouvaient l'animer, une fois de plus. D'autant que la pensée d'occire des criminels ne lui faisait pas froid aux yeux. Il planta sa lame dans ce qu'il supposait être le cœur du pirate, qui s'étouffait depuis quelques minutes déjà, et la laissa plantée là, préférant récupérer sa hache pour la suite. Il se tourna vers ce qui restait des dix combattants. Six cadavres ponctuaient le sol, l'un des soldats ayant été férocement exécuté par le pirate dont le jeune homme s'était chargé ensuite. Il dévisagea les mouettes qui brandissaient leurs armes, gardant leur formation pourtant réduite de deux membres déjà. Il n'avait aucune chance de vaincre quatre guerriers entraînés et rodés aux techniques de combat. Il se planta sur ses appuis, prêt à combattre jusqu'à la mort. Il n'y avait aucun autre échappatoire qui se présentait à lui de toute manière.

    « LES JEUX SONT FAITS ! »

    La voix du monarque avait résonné à travers toute l'arène, en faisant presque trembler les murs. Les mouettes baissèrent leur arme et William hésita à en faire de même. Rien ne lui garantissait qu'il était sauf. Ils s'avancèrent vers lui et le dépassèrent sans même lui jeter un coup d’œil. Seul le soldat tatoué lui porta attention, frappant amicalement son épaule pour lui faire signe de le suivre. Désemparé par la situation, le jeune homme observa les gradins qui se vidaient progressivement de leurs habitants. Il tenait toujours sa hache fermement, prêt à frapper quiconque l'approcherait de manière hostile. Son regard se porta sur la loge royale, où il croisa les yeux de Sariah. La jeune femme l'avait attiré dans un traquenard et elle portait tout le blâme de sa situation. Mais il décelait chez elle une profonde tristesse qu'il ne savait expliquer. Englué dans ce temps qui ne semblait plus passer, un coup porté derrière son genou le ramena à la réalité. Quelques secondes plus tard, il avisait les deux gardes qui se tenaient face à lui. Son sang ne fit qu'un tour et il voulut se jeter sur eux. Mais ils anticipèrent son mouvement et tandis que l'un paraît la lame de sa hache de son gourdin, l'autre plaquait l'artificier au sol. Quelques coups de poing le ramenèrent à la réalité et il se laissa traîner, docile, jusqu'aux cellules qui étaient réservées aux combattants. Plus spacieuse que la grotte dans laquelle il avait séjourné jusqu'alors, il disposait même d'une paillasse inconfortable en guise de couche. Des barreaux l'isolaient du couloir qui traversait le bloc entier. Il fut jeté à même le sol et n'essaya même pas de forcer une sortie. C'était inutile pour lui de tenter des évasions à tout bout de champ : il risquait de perdre sa vie plus rapidement de cette manière. En face de lui se trouvaient les marins, regroupés dans la même cage. Il les détailla rapidement, observant chacun de leurs visages éclairés par la faible lueur de la lampe à huile avec minutie. Ils avaient un air pitoyable, mais toujours aussi martial. Comme des lions acculés au bord de la falaise, patientant calmement jusqu'au moment de bondir au cou de la mort, quitte à se faire rompre le leur. William fixa leur meneur. Les traits saillants, marqués de nombreuses cicatrices, il fixait le vide depuis qu'il s'était assis au fond de leur cellule. Les flammes dansantes se reflétaient sur son crâne nu, accentuant son expression pleine de gravité. Il faisait tourner un petit morceau de bois entre ses doigts, que l'artificier identifia comme une petite sculpture, trop grossièrement ouvragée pour avoir été faite par quelqu'un d'autre qu'un enfant. Le marin releva ses yeux pour croiser le regard du jeune artilleur qui frissonna.

    « Qu'est-ce que tu regardes comme ça, toi ? »

    Un ton acerbe, tranchant. C'était le jeune soldat qui se tenait à côté de son chef qui avait fait montre de telle agressivité. William tourna son regard vers lui, soutenant la colère froide qui occupait les yeux de la mouette. Ils se fixèrent quelques secondes, avant que le meneur ne tempère la situation d'un geste de la main, accompagné de quelques mots.

    « Du calme Fliherty, où veux-tu qu'il regarde de toute manière ? »

    Le jeune homme n'osa donner de réponse à son supérieur. L'artificier ne savait expliquer la réaction du soldat autrement que par la frustration et la peur. Y avait-il autre chose qui pouvait exister entre ces barreaux ? Il commençait presque à se le demander, envahi qu'il était par une certaine lassitude. Tout ces instants passés aux mains des rats lui permettaient de remettre en cause son parcours : il avait été ballotté d'une catastrophe à l'autre par sa naïveté et sa sympathie. Les océans se montraient cruels et leurs occupants étaient bien souvent impitoyables.

    « C'est quoi ton nom, jeune homme? »

    William hésita quelques secondes avant de répondre : peut-être devait-il commencer à garder ce genre d'informations pour lui, aussi honnête ses interlocuteur pouvaient sembler. Il s'inventa rapidement une réponse, faisant passer l'attente pour un manque de confiance.

    « Flint Corxer. »

    « Bien. Je suis, ou du moins j'étais, le lieutenant Pledge. Comment tu t'es débrouillé pour atterrir ici ? »

    Il joua la carte de la sincérité, ne risquant rien à dire que ses mésaventures l'avaient mené jusque dans cette cellule. De plus, il tenait étrangement à comprendre l'intérêt que lui portait soudain l'officier : ils ne pouvaient que s’entre-tuer dans l'arène et tisser des liens ne semblait donc pas nécessaire.

    « J'ai suivi la mauvaise personne. Je dérivais sur l'océan, à moitié mort après un naufrage, et j'ai saisi la main qui m'étais tendue. Une semaine plus tard, j'étais de nouveau jeté à la mer et les rats m'attrapaient le long d'un de ces foutus tunnels. »

    Le lieutenant hocha silencieusement la tête et se pencha vers ses hommes, leur murmurant quelques mots que William ne put saisir. Ils semblèrent se concerter avant que Pledge ne se retourne à nouveau pour lui parler.

    « Tu veux sortir d'ici, Corxer ? »

    La demande était soudaine, inattendue. Presque improbable en fait. Les questions qu'il avait posé ne lui donnaient aucune information fiable sur le jeune homme. L’embringuer dans un plan d'évasion se révélait plus dangereux que malin. Mais William n'en fit rien, bien conscient qu'il aurait de moins en moins de chances de s'en tirer à mesure que le temps défilerait. Il acquiesça silencieusement.

    « Je te préviens, on ne te fais pas confiance. Question de sécurité et j'imagine que c'est réciproque. On s'en fout de ce que tu faisais sur les mers avant d'arriver là : t'es qu'un outil d'évasion qui pourrait éventuellement réussir à se faire la malle avec nous. »

    Fliherty avait le don d'exprimer les choses avec franchise. Le jeune artilleur se fendit d'un sourire pour faire comprendre que cela ne le dérangeait pas le moins du monde. Une pointe d'arrogance et d'excitation dans la voix, il posa la question qui le démangeait.

    « C'est quoi mon rôle dans cette histoire ? »
      Des bruits de pas mirent fin à la conversation. Il fallut quelques dizaines de secondes avant que ne se découvrent trois silhouette devant les deux cellules. Deux encapuchonnés escortaient Sariah. William la regarda froidement, sa colère s'étant dissipée depuis son passage dans l'arène. Il n'en gardait pas moins un ressentiment certain envers la jeune femme. Elle montra sa cellule aux deux rats, qui s'empressèrent de l'ouvrir. La rate elle-même entra calmement tandis que les deux gardes se plaçaient devant la cage des marins, leur cachant la vue comme la possibilité d'entendre ce qui se passait en face. Elle s'avança près de William et s'assit sur le bord de sa couche, ce même regard empli de tristesse dans les yeux. Le jeune homme ne baissa pas sa garde pour autant. La fois dernière, il lui en avait grandement coûté. Elle le regarda et ouvrit la bouche, avant de se raviser. Elle porta alors son regard sur le sol, incapable de dire un seul mot.

      « Tu vas même pas me sortir une explication... De toute manière, j'étais juste un bon pigeon sur ta route, non ? »

      « Oui. Mais ça m'empêche pas de me sentir mal. »

      La réponse désarçonna le jeune homme. Sariah semblait cruellement honnête, bien qu'il ne put déchiffrer ses réels sentiments. Elle croisa le regard du jeune homme avec timidité. Ils auraient pu rester là à se regarder pendant des heures tellement la situation restait confuse. William ne savait pas quoi penser du comportement de la jeune femme mais ne pouvait plus lui accorder sa confiance. Elle l'avait trahi au-delà de toute mesure. Il attendit qu'elle parle enfin.

      « Je n'ai pas le choix, je ne suis pas plus libre que toi ici. »

      Il se leva vivement, sortant de ses gonds en un seul instant. Il ne voulait pas entendre de complaintes de la part de celle qui n'avait pas à pourrir dans une cellule avant d'être jeté dans l'arène avec un maigre espoir de survie, seulement pour retrouver à nouveau le trou. Il ne put s'empêcher de crier :

      « Tu te fous de ma gueule ?! C'est moi qui risque ma peau dans cette foutue arène, qui n'ai aucune chance de sortir vivant de ce putain de gruyère ! Et toi, tu te ramènes avec ta prétendue tristesse et ton manque de liberté ?! Tu me nargues et tu prends ton pied en le faisant, c'est ça ?! »

      En l'espace d'un instant, la jeune femme s'était levé et l'avait giflé avec une violence peu commune. Il porta sa main à sa joue, qui le brûlait vivement. La colère monta en lui mais les larmes qui coulaient sur les joues de la jeune femme lui firent l'effet d'une douche froide. Un rictus de tristesse déformait son visage. William se rassit et soupira. La jeune femme resta droite et essuya ses larmes avant de s'asseoir à nouveau.

      « Tu vois les deux rats qui m'ont accompagnés ?  Ils sont arrivés là en même temps que moi, il y a deux ans. On était sur le même bateau, en direction d'East Blue. Comme ils avaient un passé militaire, ils ont été épargnés pour servir de garde. Mais on les a brisé psychologiquement, torturé jusqu'à ce qu'ils chérissent l'idée de la mort. Moi j'y ai échappé pour une seule raison. »

      Elle tira un vieux médaillon cabossé de sa poche. On pouvait voir de fins ouvrages sur la coque en métal, qui suggéraient que l'objet avait eu une valeur certaine. Elle le lui tendit mais le jeune homme n'osa pas le prendre. Elle prit alors sa main et lui posa le bijou dans le creux de la paume.

      « Elle s'appelle Eléonore. Chaque jour, j'ai le droit de la voir cinq minutes pour m'assurer qu'elle est toujours vivante. Quand je sors de la Flaque, je reçois régulièrement des photos. Je ne peux pas partir en la laissant derrière. »

      William avait ouvert le pendentif pour découvrir le cliché abîmé d'une fillette. Elle avait les mêmes traits que Sariah, et le jeune artilleur ne savait dire s'il s'agissait de sa fille ou de sa sœur. Pour autant, il réalisait que le piège qui s'était tendu tout autour de lui pouvait avoir englobé d'autres personnes. Ils étaient tous captifs de ce monarque auto-proclamé. Il garda néanmoins à l'esprit l'idée qu'il pouvait s'agir là encore d'un piège, et il orienta sa réponse de la sorte.

      « Qu'est-ce que ça peut t'apporter de me raconter ça, Sariah ? »

      La jeune femme resta perplexe, presque hésitante à donner une réponse. Comme si elle n'avait pas réfléchi à ce qu'elle allait dire et qu'elle se retrouvait dans une posture embarrassante.

      « C'est moi qui m'occupes de la prison, ici-bas. C'est pour ça que j'étais en mer, pour repérer de nouveaux navires à guider dans la Flaque. Naturellement, les murs ont des oreilles, qui remontent jusqu'à moi. C'est comme ça que j'ai appris pour le plan d'évasion des marins de la cellule en face. »

      William se figea. Il n'avait pas envisagé une seule seconde que les marins aient pu faire preuve d'indiscrétion au sujet de quelque chose d'aussi crucial qu'un plan pour sortir. Il déglutit alors, incapable de voir la tournure qu'allaient prendre les événements.

      « Qu'est-ce que... »

      « Je veux que tu nous fasses sortir toutes les deux, j'ai les moyens d'y parvenir. Il n'y a qu'une seule chose qui retient tout ces gens ici, Will. »

      Elle s'interrompit et lui tendit un objet qui ressemblait cruellement à une arme à feu. Il ignorait d'où elle pouvait provenir mais il ne comptait pas laisser passer l'occasion d'avoir une telle arme à sa ceinture. Il regarda la jeune femme se lever et lui lancer un dernier regard, accompagnés de quelques consignes.

      « Demain, tu commenceras à travailler pour le navire. On viendra te chercher dans ta cellule et je ferai le point avec toi dans la soirée. »

      Elle fit volte-face et il l'arrêta en lui attrapant le bras. Il était loin de lui faire confiance, mais il lui fallait se montrer audacieux s'il voulait quitter les entrailles du continent en vie. Il désigna les deux rats qui monopolisaient toujours l'attention des marins. Elle sourit et tira la langue en mimant un ciseau la découpant. Le jeune homme fut surpris de ne pas frissonner. Il avait loupé un tel traitement de peu et il ne comprenait d'ailleurs pas ce qui pouvait motiver ce traitement de faveur. Sariah s'éloigna enfin, suivie de près par les sbires sous ses ordres. Il se retrouva de nouveau en face des soldats, qui l'observaient avec attention.

      « T'as le droit à des visites de la Première Dame, toi ? J'en connais un qui risque pas grand chose dans le coin... »

      Fliherty ne pouvait s'empêcher de faire des remarques acides. William haussa les épaules et se rapprocha de la grille, s'assurant qu'aucun garde ne circulait dans les couloirs. Il se demanda par quel stratagèmes ils pouvaient bien être entendus. Il se décida enfin à parler.

      « Elle sait pour l'évasion. Si elle est honnête, elle peut nous aider à nous tirer. Sinon, ce que je viens de dire vient de sceller notre destin. »

      Si la jeune femme avait prêché le vrai pour obtenir le faux, ils étaient effectivement sûrs de voir les gardes débarquer dans l'instant qui suivrait. Mais rien de la sorte n'arriva. Pledge prit alors la parole, après quelques minutes de silence.

      « Y a un seul moyen de faire tomber le château de cartes : frapper à la base. Si on descend celui qui a tout construit ici, on retrouve le bonheur de goûter à l'air libre. C'est ça ton rôle, Corxer. Tu vas engager un duel avec ce fils de pute et on va en profiter pour se faire la malle en foutant le bordel dans la ville. Les passants n'oseront pas nous toucher. »
        Le plan n'avait d'autres bases concrètes que celles que les marins avaient posées. Hommes d'action, ils comptaient improviser pour se frayer un chemin en sûreté, avant de revenir en force avec des troupes, pour libérer l'endroit. Mais William ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était risqué de se reposer sur des inconnues qui pouvaient tout bouleverser au dernier moment. Il décida d'accorder l'idée des soldats avec les propositions de Sariah. Il n'avait rien à perdre, le reste du monde pensant déjà qu'il avait perdu la vie au cours d'un naufrage. Aussi, la sincérité de la jeune femme lui importait peu, au final. Il passa la nuit à se retourner sur sa paillasse, qui demeurait tout de même plus agréable que le sol nu sur lequel il avait dormi ces derniers jours. Ses pensées s'étaient rationalisées, gagnant en efficacité et en pragmatisme. Il travaillerait le lendemain sur « le navire. » Quelle que fut sa tâche, il s’arrangerait pour étudier les alentours. Ça pourrait toujours lui servir, le moment venu de prendre la tangente. Finalement, il tomba dans un sommeil agité. Il ne rêva pas concrètement : comme si les idées qui traversaient sa tête l'imprégnaient totalement. Il se réveilla dans un sursaut, quelques heures plus tard. Une poignée de minutes seulement passa avant que des pas ne résonnent dans le couloir. Les encapuchonnés ouvrirent la cellule de l'artificier et lui firent signe de le suivre. Incapable de déterminer à qui il avait affaire, il s'empressa de les suivre. Ils traversèrent des corridors de pierre qui se ressemblaient tous les uns aux autres. Sans guide, il n'avait aucun moyen de retrouver son chemin dans un tel dédale. Après avoir marché sur ce qu'il estimait être un bon kilomètre, sans croiser la grande salle dans laquelle la ville avait été aménagée, ils débarquèrent au bord d'un étang d'une taille modeste. Mais il était assez étendu pour que le navire gigantesque qui l'occupait donne une impression de puissance phénoménale. William n'était pas sûr d'avoir jamais vu un bâtiment de guerre aussi impressionnant. De nombreux ouvriers s'affairaient tout autour du chantier, certains continuant de poser les charpentes tandis que d'autre fignolaient les détails dans les parties où le gros œuvre avait été achevé.

        « Putain de merde... »

        L'artificier avisa les innombrables rangées de canons qui s'alignaient le long de la bordée babord. Il pouvait en compter au moins une bonne cinquantaine et ce nombre pouvait facilement être doublé au vu de la hauteur que les rats cherchaient à juger de l'ossature déjà bâtie. Une telle puissance entre de mauvaises mains ne pouvaient que présager de mauvais augures. Il déglutit et continua de coller aux talons de ses geôliers. Ils le menèrent de plus en plus près du navire. Des dizaines de gardes surveillaient l'endroit, s'assurant que les ouvriers ne faisaient rien en dehors de leur tâche. Ils dévisagèrent les passants sans les empêcher de pénétrer sur le chantier. Ils s'approchèrent du navire en arpentant les digues artificielles qui l'enfermaient dans une sorte de cale sèche. Des torches par centaines éclairaient le monstre de bois. Ils empruntèrent une rampe qui grimpait le long de la coque et le jeune homme caressa les planches qui défilaient à côté de lui. Elles étaient toute vieilles et avaient été rénovées avec plus ou moins de talent. Ils avaient bâti un navire à partir de centaines d'épaves, récupérant ce qui pouvait l'être pour constituer ce bateau là.

        « Therick, on t'emmène Burgh. Le boss veut qu'il jette un coup d’œil aux canons. »

        Les deux encapuchonnés s'étaient adressé à ce qui semblait être un contremaître. Étant le seul qui n'était pas recouvert de l'habituelle robe à capuche, il ne pouvait être manqué dans le paysage. Il mesurait trois têtes de plus que le jeune homme et pesait facilement deux fois son poids. Il tenait dans ses mains une large feuille usée par l'âge. Il tourna les yeux dans la direction du trio et haussa les épaules avant de traverser le pont jusqu'à eux. Il semblait totalement dénué d'une quelconque volonté, laissant traîner ses pieds en conservant un regard hagard. Pas le genre, en dehors de sa corpulence, à donner l'impression d'être le bon gueulard que devait être tout bon contremaître. Il s'arrêta à quelques centimètres de l'artificier et le dévisagea, l'inspectant en n'hésitant pas à rapprocher son visage disgracieux du sien. C'est là que William put constater l'affreux strabisme qui affligeait le regard du bonhomme.

        « C'est lui l'artilleur qui va réparer toute notre quincaillerie ? »

        Les deux hommes qui avaient escorté le jeune homme jusqu'ici hochèrent respectueusement la tête et se retirèrent. Therick soupira avant d'attraper le bras de l'artificier pour le tirer avec lui vers ce qui semblait être un escalier gigantesque. Il relâcha rapidement sa prise et ne douta pas un seul instant que son nouvel ouvrier le suivait. William ne lui donna pas tort. Il descendirent dans les entrailles du mastodonte et se rapprochèrent des bordées, où les canons s'amassaient par dizaines. Le colosse s'arrêta devant les armes de guerre et les pointa du doigt à l'artilleur.

        « Je te laisse t'occuper de ça. C'est les seuls qu'on a pas réussi à réparer. Mais on peut pas se permettre de les gâcher. »

        Il lui donna une bourrade amicale et se détourna, laissant virtuellement le jeune homme seul. Ce dernier regarda d'un air étonné le contremaître. Son comportement était d'une bizarrerie qu'il ne savait expliquer. Il hésita pendant quelques minutes devant les pièces d'artillerie. Il lui semblait n'être surveillé par personne. Il aurait pu filer sans être repéré et goûter à la liberté. Il s'avança vers le bastingage, encore ouvert à cette hauteur. De ce côté-ci, les gardes étaient moins présents et un simple plongeon l'emmènerait droit dans l'eau. Il posa un pied sur la planche qui bordait le vide. L'espace d'un instant il s'apprêta à s'élancer. Puis il se ravisa et s'approcha d'un canon, posant ses deux mains à plat sur le fût.

        « Merde. »

        Il ne comprenait pas pourquoi le courage venait à lui manquer à cet instant précis. Quelques secondes passèrent et il envisagea tout les scénarios qui auraient pu se dérouler s'il n'avait pas abandonné l'idée du saut. Considérant la hauteur du navire et son ignorance du tirant d'eau, il aurait pu se briser en morceaux sur la surface du lac. S'il avait survécu sans encombres, le bruit de son entrée dans l'eau aurait alerté tout les gardes, qui l'auraient certainement criblé de balles avant même qu'il n'ait le temps de faire trois mouvements de nage. Et s'il avait réussi à échapper à ses bourreaux, il aurait été entraîné dans les méandres de la Flaque, incapable de se guider au milieu des courants qui l'auraient finalement mené à sa perte. Il se concentra alors sur la tâche qui lui avait été donnée, avant qu'une idée ne lui traverse le crâne. Il pouvait toujours bricoler un piège. Il lui suffisait de réparer les canons de sorte à ce qu'ils paraissent en état de marche, tout en s'assurant que même une utilisation modérée les mène à l'explosion. Il se mit à l'ouvrage, s'attelant à « réparer » les vingt-sept canons qui traînaient là. Il ne permettrait pas que son savoir-faire tombe entre si viles mains. Il disposait de nombreux outils qui avaient été laissés là par les ouvriers qu'on avait assigné à la maintenance en premier lieu. Il n'eut qu'à piocher et organisa son travail en inspectant toutes les pièces sous sa charge, commençant par isoler les avaries et classer les problèmes à résoudre.
          Comme William travaillait à présent sur le chantier, une routine s'installa inévitablement. On le tirait du lit au petit matin, pour le guide jusqu'au navire où il s'occupait de l'artillerie défaillante pendant toute sa journée. Au bout du compte, on le ramenait dans sa cellule où il ne tardait pas à dormir. Les marins aussi étaient employés comme main d’œuvre, mais leurs horaires ne leur permettait plus de discuter avec le jeune homme. Ce dernier commença à se faire du soucis pour le plan d'évasion, qui ne semblait plus aussi concret qu'il avait pu l'être. Il fallut que Sariah le visite une fois de plus pour que les spéculations reprennent forme. Elle arriva devant sa cage alors qu'il allait s'endormir. Il était incapable de déterminer l'heure qu'il était, mais l'agitation était moins grande sur le chantier quand il l'avait quitté. Elle entra et s'assit une fois de plus sur la paillasse, pendant que les deux gardes bloquaient le couloir. Elle ne tarda pas à se lancer dans des explications.

          « Rostand m'a fait suivre après ma visite dans ta cellule. J'ai joué la comédie mais je ne fais sûrement plus illusion. Tu as toujours ce que je t'ai donné sur toi ? »

          Il tira le revolver de sous sa paillasse. La journée, il l'emportait avec lui dans la doublure de son pantalon et personne ne s'en était rendu compte avec la faible luminosité qui régnait dans le complexe. La jeune femme eut un sourire satisfait et tira quelques balles de ses poches.

          « On n'a plus le temps de se préoccuper d'avoir un plan. Tout va commencer la prochaine fois qu'on viendra te chercher dans ta cellule. J'ai mis des mois à réunir des partisans qui ne demandent qu'une chose : sortir d'ici. Rostand pense avoir la main-mise sur son royaume, mais il se trompe. On peut le diviser en trois tiers : ceux qui le suivraient jusqu'à la mort, nos adversaires en somme ; ceux qui sont trop brisés pour faire quoi que ce soit ; et ceux qui veulent s'enfuir. On va devoir jouer là-dessus pour s'enfuir. »

          « Et qu'est-ce que je vais être supposé faire ? »

          « La première partie du plan, pas la moins complexe : faire exploser La Ratelière. »

          William déglutit. Il pouvait bien allumer un incendie pour espérer détruire le navire. Mais de là à le faire totalement exploser, il lui faudrait une quantité phénoménale de poudre. Et trouver le bon endroit pour provoquer l'explosion. Il lui fallait, à minima, réussir à couper le navire en deux. Et s'il connaissait les points faibles des navires que l'on croisait le plus fréquemment sur les mers bleus, il n'avait aucune idée de ce qui pouvait envoyer par le fond un tel bâtiment de guerre. Il lui faudrait donc s'approprier les plans du navire, trouver une cachette pour les étudier, rassembler assez de poudre au bon endroit, s'assurer que la détonation porte jusqu'à l'explosif et trouver un moyen de ne pas se faire souffler. Un bel emploi du temps, rempli de risques à chaque étape. Mais il concédait qu'un tel revers dans les plans de Rostand, qu'il avait compris être le Roi des Rats, occuperait forcément ses laquais. Le laissant vulnérable à la lame des fugitifs. S'ils le laissaient mort, il aurait la porte ouverte vers l'extérieur. Ses sujets se débanderaient et fuiraient en tout sens dans les couloirs de la Flaque. Seuls resteraient les plus assujettis, ceux qui tenteraient d'avoir leur peau.

          « Je suis tenté, mais je risque d'y laisser ma peau. Pourquoi je ferai-ça, alors que je pourrais essayer de sauter depuis le pont, en jouant avec la hauteur éviter la digue et tomber dans l'eau. Puis nager jusqu'à la sortie. Pourquoi je ne ferai pas plutôt ça ? »

          Sariah le dévisagea comme si elle n'avait jamais douté un instant de sa participation à son plan. Comme si ne elle réalisait que maintenant qu'il pouvait avoir perdu confiance en elle. Elle se secoua et tenta de lui répondre, mais les mots lui manquaient. Il ne la laissa pas dans cette position longtemps, il tenait juste à lui faire comprendre qu'elle ne pouvait exiger de lui des choses de la même manière que par le passé.

          « C'est moi qui tient les rênes dès le moment où on sort de cet enfer. Et jusqu'à ce que je retrouve confiance en toi, tu resteras à distance de vue. C'est peut-être extrême mais tu m'as.. »

          Il ne put finir sa phrase, les lèvres de la jeune femme s'étant subitement collées sur les siennes. Était-elle en train d'essayer de l'influencer ? Le jeune homme ne voyait pas en quoi ça aurait pu changer quoi que ce soit à son état d'esprit. Il se laissa aller en sentant la douceur du baiser, se couchant sur sa paillasse. Elle lui laissa un instant de répit et il demanda, subitement. Sur un ton qui ne relevait que de la curiosité, sans aucun reproche.

          « Qu'est-ce qui te prends ? »

          La jeune femme se figea et fut prise de ce qui semblait être un sourire. Elle se posa contre la poitrine du jeune homme et parla d'une voix douce, presque hypnotique.

          « J'arrive pas à croire que tu le fais pour moi. On t'as vu te pencher au-dessus du bastingage, hésiter à sauter. C'est peut-être la raison qui t'as retenu mais j'ai pas pu m'empêcher de penser que c'est pour m'aider que tu es resté. Tu as bon cœur William, je l'ai su dès l'instant où je t'ai rencontré. Je souffre d'avoir dû te tirer dans ce traquenard. Et je veux te sortir de là comme je veux sortir Eléonore. Je veux qu'on parte ensemble. Je ne peux plus vivre ici, enfermée et privée de ma fille, William. »

          Les larmes qui coulaient sur les joues de la jeune femme ne pouvaient être que sincère. Son comportement était impulsif et le jeune artificier ne comprenait pas comment elle pouvait se montrer si changeante. Mais il ne pouvait s'empêcher de lui faire confiance, malgré la boule de stress qui comprimait son estomac. Rationnellement, il savait également que c'était à la fois un gros risque à prendre et une opportunité qui ne se présenterait plus. Il devait jouer cartes sur table et espérer rafler la mise. Il n'avait aucune marge de manœuvre en étant simple prisonnier. Il devait s'adapter au cadre pour s'en échapper.

          « Je vais vous sortir de là, ne t'inquiète pas. »

          Une promesse qu'il ne pouvait s'assurer de tenir. Mais c'est ce qu'elle voulait entendre et elle le lui fit comprendre. Leurs bouches se trouvèrent à nouveau et la nuit fut des plus agréables pour le jeune homme. Au réveil, il était seul mais persuadé qu'il ne tarderait pas à retrouver celle qui avait partagé sa couche. Les mêmes encapuchonnés le tirèrent de leur lits et le guidèrent au travers des couloirs qu'il avait maintenant mémorisé. Il toucha, nerveux, le revolver qui traînait dans ses guêtres. Il lui faudrait se frotter au contremaître et il préférait être armé pour le faire. Le courage était l'arme des idiots. Ceux qui survivaient s'équipaient toujours en fonction de leur tâche. Il ne le réalisait pas, mais il avait profondément changé depuis quelques semaines. Sa naïveté effacée avait laissé place à plus de pragmatisme, sans éclipser sa bonté naturelle. Il n'avait plus peur de tuer, non plus. C'était nécessaire en certaines occasions, il s'en rendait compte. La Ratelière apparut et il se prépara. Il allait tenter l'impossible et il allait s'assurer de réussir. Ou il mourrait en ayant essayé.