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La Communauté des Animaux

Je m'appelle Klein T. Lord J'aurai dix-huit ans cette année. Espérons.

C'est à Poiscaille que je vis le jour. Comme beaucoup d'enfants de mon âge, j'étais fils de pêcheurs. Promis gabier, j'ai écoulé dix années relativement joyeuses. Vie dure, mais gratifiante. Je détestais surtout le froid et l'humidité. Le poisson compensait bien entendu, au petit matin, cru,  avec du gros sel. L'odeur en rebute beaucoup en dehors de Poiscaille, mais pas moi. Je suis amoureux de ce fumet, du goût du sel et de l'iode. J'ai tellement vécu longtemps en mer que j'avais le vertige en revenant sur terre. J'imagine que je serais un bon gabier aujourd'hui, si je n'avais pas perdu tout ce que j'avais.

La vie est parfois si brusque que les mots pour lui rendre le rythme qu'elle inflige semblent tous inadéquats. J'étais suspendu aux manoeuvres quand le soleil pointait au zénith et, au zénith suivant, j'étais détenu en fond de cale avec les survivants de mon équipage. Notre Capitaine était un homme recherché. Nous l'ignorions, pour la plupart. Néanmoins, il parvint à convaincre de lutter contre la Marine en nous affirmant que nous étions en zone interdite, que leurs ordres étaient de mettre au fer quiconque pénétrerait cet endroit. La panique, son talent d'orateur, j'ignore ce qui a fait prendre la décision de combattre. Encore aujourd'hui, j'ignore si c'était la bonne décision.

Nous avons combattu sans chercher à tuer. Avec terreur, la plupart se rendant au premier sang ou implorant la miséricorde. Notre Capitaine périt dans la gloire du combat, avec quelques autres membres féroces de notre équipage. Je ne combattis pas. j'étais trop jeune, puis j'avais peur de descendre. Les soldats ne nous ont pas mal traités, la plupart étaient rudes, mais bien dans leur rôle de soldat. En voyant une telle organisation, il était certain que nous n'avions aucune chance. Et si nous l'avions perdue ce jour-là, ce n'était pas pour la récupérer de sitôt.

Nous avons balloté dans cette cale comme dans les méandres de la justice. Un coup nous allions être relâchés, un coup notre crime faisait de nous des pirates. Je n'ai pas compris grand chose, mais mes deux mères ont été séparées et j'ai suivi l'une d'elles jusqu'à un pays glacial où il y avait bien moins de tequila que de wolf.  

Le bloc 18 n'avait rien de pire ni de plus enviable que les autres. Ce n'était qu'une brique d'un immense mur d'où grouillaient les chétifs, les parias et oubliés de tous. Il fallait travailler pour avoir sa soupe, sa pelisse, son eau chaude. Tout avait un prix et la monnaie locale débutait et s'arrêtait dans l'enceinte des murailles de notre prison opaque. Régulièrement, des gens étaient appelés à divers travaux. Des réparateurs pour les ponts  ou les navires, les voiles, les vêtements, nous rafistolions tout. Sauf les armes, toutes aux mains des nombreux surveillants. Lorsqu'un esclave défiait un des gardes, tout son bloc en payait le prix.

Je pense que nos pires geôliers étaient nos propres compères. Bien sûr, tous parlaient de liberté, d'espoir de partir, d'un avenir meilleur. Dans les faits, personne ne faisait rien. Nous connaissions tous la responsabilité d'un échec et sa probabilité. D'autant que bien pire que les hommes, il y avait le froid par-delà les murs.

Pour ma part, je caressais le rêve de devenir gabier, ou pêcheur de cachalots, comme quelques privilégiés parmi nous. Ils accomplissaient une tâche ingrate, prenaient les plus gros risques, mais au moins ils pouvaient voir la mer, toucher du poisson frais et entier. Je n'eus jamais droit à ma chance. Moi, je cousais des voiles abîmées par les intempéries. Ce fut à cette époque que ma copine et voisine de couche mourut. Pneumonie, probablement.  Mon rêve de reprendre la mer prit fin peu après. J'attendais mon tour. Pourtant, je continuais de briser la glace chaque matin pour mes ablutions, moi qui détestais viscéralement le froid. Tous ceux qui renonçaient à s'élever au matin pour cette corvée périssaient dans les deux jours.

Quand ma barbe commença à pousser, on me confia une place à l'entretien des ponts. C'était un travail parmi les plus harassants et risqués, mais la paye était majorée. La taille des gardiens aussi. Thrym était un géant que le froid ne semblait pas ronger. Nous ne rentrions pas avant que le travail soit terminé, coincés entre la muraille de notre maison et le corps du géant au sommeil léger. Au moins, son corps offrait une protection contre le vent. Et enfin, je pouvais voir la mer.

Le géant n'était pas mauvais, du moins pas plus qu'un autre gardien acceptant de surveiller des esclaves. Néanmoins, il était un obstacle.

Un soir, pendant les quelques heures où le froid s'avérait trop létal pour permettre un travail efficace, une ombre surgit. Un monstre cornu grand comme le plus grand des hommes. Nous prîmes peur au début, d'autant que la bête mettait en charpie les soldats du pont. L'espace d'une minute, nous souhaitions que Thrym l'emporte sur lui. Puis, nous comprîmes qu'il s'agissait d'un homme et qu'il était là pour nous libérer. Un Roi sans armée, un fou seul sur un damier. Pourtant, il réussit à vaincre notre gardien lors de leur second duel, après que nous dûmes le repêcher et réchauffer suite à son premier échec. Thrym mort, les soldats en morceaux sur la route de la liberté, le colosse fut clair. Il ne pouvait pas tous nous libérer, mais cherchait des bras pour agrandir son armée. Le suivre signifiait tout abandonner, là à l'instant, pour voguer avec lui et son complice Capitaine vers des terres plus chaudes. J'ai pensé à ma mère, toujours enfermée dans les blocs. Mais j'ai aussi pensé à ma chance unique de sortir. Je l'ai suivi, comme la plupart d'entre nous. Après une sélection sommaire, je fus ravi de voir que je faisais partie des rescapés. Une nouvelle vie s'offrait à moi.

Bien entendu, sacrifier tout ce que j'avais ne fut pas facile. Quel sort pour ceux du bloc des déserteurs ? Est-ce que ma mère comprendrait mon choix ? Pourrait-elle survivre sans nos moments de convivialité pour tenir le coup ? Des tourments qui me reprenaient chaque soir, puis disparaissaient au réveil avec mon nouveau travail. Car Minos était aussi clair que la marine de Tequila Wolf. Notre place valait cher, nos vies rien du tout. Si nous voulions connaître la joie de vivre, ce serait par celle de tuer.

Mon nouveau métier de soldat me plaisait. C'était dur, mais on mangeait beaucoup et notre Roi nous motivait bien. Surtout, il nous parlait de son royaume comme un endroit pour les braves, dont nous voulions tous faire partie. J'ai tué, de plus en plus facilement. Des animaux à la chasse d'abord, puis des hommes. Notre arsenal était de la pure récupération de matériel militaire. Minos s'était allié avec des pirates ayant sévi sur les Blues et prêts à affronter Grandline. Les mois ont passé, notre armée a pris en ampleur. En tant que marin, j'étais de permanence au Mujinzoo, le navire du Capitaine rouge. Cohabiter avec des pirates se faisait de plus en plus naturel, nous devenions comme eux.

Arrivé à Grandline, l'entraînement s'intensifia. le risque, aussi. Nous avons perdu le Capitaine, mais vaincu un for de la mouette et conquis sa ville. Minos trouva même le trésor de l'île qu'il rebaptisa Union John. La même conquête se fit à l'île suivant, celle des Animaux. Là, nous devions construire un nouveau navire, pour que tous puissent embarquer à bord. En effet, un géant du nom de Braff nous accompagnait désormais. Je semblais voué à partager mes années avec des êtres démesurés.

Trois ans ont passé. Je devrais être ravi de bientôt reprendre la mer. pourtant, une chose en moi est cassée. J'ai admiré Minos pour ce qu'il était: un guerrier. Aujourd'hui, je réalise tout le sens de ce mot. Il dépend de la guerre. Il doit se battre pour s'accomplir. Le Royaume est encore loin, mais plus personne ici ne fait de son ralliement une priorité. Les légionnaires veulent se battre, tuer et dominer. Je me sens comme étranger à tout ceci. De plus en plus, ma mère revient dans mes cauchemars. Ce matin, c'était Minos. La vérité, c'est que j'ai peur, après avoir vu l'autocondamnation de la voie du guerrier. J'ai peur de vouloir devenir comme lui, de ne plus jamais pouvoir croire en un monde meilleur, en un avenir plus clément. Mourir au combat, c'est bien quand on n'est qu'un adolescent qui a tout perdu. Aujourd'hui, je suis un homme. Je mesure plus de deux mètres et ai plus de cicatrices sur le corps qu'un tueur de requins.

Il est temps pour moi de partir. Lorsque le soleil sera au zénith, je prendrai mon destin en main.


Dernière édition par Minos le Jeu 4 Avr - 14:49, édité 1 fois
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"C'est vrai que vous allez partir, Monsieur ? " Qu'il me fait le gamin, les yeux aussi grands et vulnérables qu'une vitre dans une scène de gunfight. Petit silence dans la pièce où plus personne ne mastique ni ne célèbre son diplôme. Je suis coincé, alors je je pince un sourire et expire, avant de répondre, pour tout le monde:

Ne tirez pas ces tronches, je sais que je vais vous manquer. Mais oh, ça fait vingt ans que je fais ce boulot. Vous, vous passez trois ans et vous filez. Vous changez tous si vite. J'en vois devenir des hommes juste avant qu'ils ne se barrent. La vie continue pour vous, que je reste ou non, notre rencontre est figée dans une période déterminée.

L'an prochain, vous rencontrerez de nouvelles personnes, vivrez une autre vie. Moi aussi, cette fois, je serai ailleurs. Y a rien à regretter, on s'est bien amusés tous ensemble. D'ailleurs, je vais vous demander un petit service. Le temps va passer. Je reverrai sûrement l'un ou l'autre, croisé par hasard dans une rue. S'il vous plaît, ne faites pas comme tous ces fdp qui détournent la tête comme s'ils ne me connaissaient pas.


Petit rire de fond.

Ca n'engage à rien de se saluer. C'est pas comme si j'allais vous tenir la jambe pour avoir votre den den ou vous monopoliser la soirée dans une taverne. Du reste, ce sera à vous de m'inviter. Si j'ai le temps, ce sera avec plaisir. Le temps, puis si j'ai envie aussi. Ce qui est peu probable. En fait, je doute même avoir envie de vous recroiser, pour la plupart d'entre vous.

Ils rient de meilleur coeur. J'attrape le verre d'alcool le plus proche et trinque. On frappe à la porte. Le rêve s'étiole.

Les couleurs repigmentent mon champ de vision, grâce à la lanterne posée sur le bureau. Je grogne en relevant la tête. Le corps du roi des cornus emballé dans sa toile de jute en guise d'oreiller, c'était une bonne idée, surtout quand la raideur cadavérique à fait un genre de coussin à mémoire de forme. Hmm, faudrait peut-être faire breveté l'idée, suis sûr que ça peut marcher ce genre de merde. Le souci, c'est que j'ai dormi sur le plancher avec un bras armuré dans du plâtre. Sans parler des côtés brisées, des muscles en compote et de la peau aussi sensible qu'un gland d'angelot. Je me prends vingt ans en une seconde, tout le combat de c'te nuit en fin de bilan. Y a eu de la casse. On refrappe à la porte. J'espère que c'est pour signaler le repas. Et pas un à base de purée de médocs et de bonnes intentions des toubibs.

Entrez!

Un zig tout seul et sans bouffe. Visage grave, limite en deuil. S'il vient pour une augmentation, ça sera celle des décibels dans c'te pièce. Je me lève sans la grâce d'un Roi de conte, mais je frappe plus fort qu'eux. Le temps de tâtonner où est la chaise et je m'installe, le corps à moitié désarticulé.

Assieds-toi...hmm, t'es un de Tequila toi. Le petit Lord, un truc du genre non ?

- Kleine T. Lor, Monseigneur. Merci de me recevoir.

- Un mec qui ne consacre pas de temps à ses ouailles n'est pas fait pour régner. Café ? Y a pas de sucre.

- Merci, je veux bien.

Je comprends qu'il a besoin de temps pour cracher la pastille, alors je prends la carafe et verse le liquide à température ambiante dans son petit verre avant de faire le niveau de ma chope en forme de corne. Ou l'inverse ? Moi aussi, l'accalmie m'est profitable. Avec les caillots de sang et probables fragments d'os que j'ai dans le nez, je respire comme un puffing tom dans une ascension de montagne. Mais ça ne semble déranger personne. Ca fait même un peu radio de zik minimaliste.

Corne de bouc! Il est fort son café à Willy. Je t'écoute P'tit Lord, qu'est-ce qui t'amène ?

- Je voudrais...si c'est possible, je voudrais quitter la Légion.

Woh ! Direct le gars, l'en avait gros sur le cervelet. Plutôt qu'un non, j'investigue. C'est pas courant comme demande, les mecs savent qu'une salade de phalanges accueille ce genre d'entrée.

Quitter la Légion ? Si c'est la viande le souci, on va bientôt refaire des stocks.

Je joue au con.

Ce n'est pas ça, non. Comment dire ?

- Hey, t'es lancé maintenant. Si tu dois vider tes tripes, c'est maintenant.

- C'est vrai. Le fait est que je ne sais plus où j'en suis. Devenir un soldat, c'est bien, du moins ça l'était. Et j'aime ce que j'ai appris ici. J'ai des amis, un but, des histoires à raconter dans les tavernes. Mais tout me semble...comme insuffisant. Insatisfaisant ? Je ne sais pas si c'est le bon mot.

- Ca peut. Développe.

- J'ai conscience de la chance que j'ai. Je pourrais être en train de me geler les os sur un chantier d'esclaves à l'heure actuelle. Dans le cas le plus optimiste. Mais depuis cette nuit, quelque chose a fait comme un déclic. Quand je vous ai vu combattre votre double. J'ai vu vos attitudes, écouté vos échanges quand le vent les portaient à nous. Quand les autres ne hurlaient pas à la mort de votre adversaire. J'ai vu deux hommes devenir des guerriers, puis deux guerriers devenir des bêtes. j'ai vu ce que vous aviez dû faire pour vaincre, le prix de votre survie, l'épuisement de la lutte et surtout, surtout, votre totale insatisfaction.

Ce n'était pas comme face à Thrym, qui vous avait aussi donné du fil à retordre. Lui, vous l'aviez tué avec le soulagement d'un guerrier ayant triomphé d'un obstacle. Ici, vous étiez triste, comme mis face à un acte que vous deviez faire, mais qui vous dégoûtait. La mort de l'Autre ne vous a offert aucune victoire, Monseigneur. J'ai ressenti ça. Et depuis, je vous vois comme un être condamné à faire ce qu'il n'aime pas parce qu'il est contraint de le faire.

Je ne veux pas de cette vie. J'accepte de risquer ma vie et de la perdre pour mes frères, notre bannière ou vous. Mais je ne veux pas tuer cette part de moi qui rêve encore à une issue, un monde de paix, une vie heureuse. Je veux une femme, des enfants, un foyer. Et si tout m'est refusé, je veux quand même essayer.
La Légion a le confort de l'absence de choix. Nos libertés sont locales, avec les opportunités de la route. C'est la vie des nomades, en plus militaire. Je suis vraiment fatigué de courir. J'ai envie de me poser et de faire autre chose. Mes talents martiaux me serviront toujours, j'ai confiance en moi et m'entraînerai jusqu'à la vieillesse. Néanmoins, je veux vivre sans plus avoir à suivre personne. Pour une fois, durant cette existence, je veux voir ce que je construis moi-même. Voilà ce que je veux.


Il se tait. Je fixe ses traits et ma caboche sur mon poing valide. Les secondes qui passent sont importantes, j'observe chaque tic nerveux, traduis le silence. Puis...

T. Je t'ai déjà offert une opportunité d'avoir cette vie que tu as choisi de fuir. Après avoir bousillé ton gardien, j'ai été clair: vous étiez tous libres. Me rejoignait qui le désirait. Mais pour ceux-là, l'engagement était à vie.

- Je sais! Mais c'était il y a des années. J'étais un gosse. J'ignorais ce qu'une vie voulait dire.

- C'est plutôt que t'étais une lopette incapable de se battre et qu'être libre signifiait crever. Du coup, tu vois un bon gars comme moi, fort comme le daron que t'as jamais eu, et qui file des bafounettes en pression à la tonne à tous ceux qui menacent ta vie. Forcément, c'est mieux de suivre ce bon gros géant hein ? En plus il te nourrit et t'apprend à employer tes couilles.
Tu grandis, tu deviens un vrai mec. Fini le gamin ? Non, fini le pleurnichard. T'as les dents qui poussent en voyant que le monde n'est plus si fort que ça, que tu peux le dominer, avec ou sans papounet Minos. Alors, tu fais comme tous les ados qui se découvrent des poils: t'essayes de tuer le père. Mais Titi, je suis pas ton paternel. Je l'ai jamais été. Je suis juste le mec à qui tu as choisi d'appartenir. Ton épreuve finale n'est pas de devenir un de tous ces connards qui se lancent à l'aventure pour devenir le roi des pirates, des révos ou se caresser la rondelle en voyant comme il est tout fort et pas les autres. Ton épreuve finale, c'est crever en tant que Légionnaire sur un champ de bataille ou sur un bout de terre que tu auras cultivé suite à la retraite méritée que je t'aurai accordée.


- Vous ne libérez pas des esclaves, vous profitez de leur détresse pour les enrôler et justifier la vie qu'ils vous doivent ?

- Qui t'es pour me parler comme ça, petit con !? que je fais en renversant le bureau et sa chaise d'un bras.

T'es comme ces sous-merdes qui manifestent contre la peine de mort pour les violeurs de gosses parce qu'ils n'étaient pas eux-mêmes majeurs au moment de faire leurs saloperies ? T'as passé ton temps à n'avoir aucun choix, à être soumis commis d'office , mais c'est moi le méchant parce que je t'ai donné une opportunité d'avenir et que t'as foiré sur ton choix ? Tu crois que je dois torcher le boule de tous ceux qui se trompent ? Tu penses que tout le monde a droit à une seconde chance ? Ben non, pauv' tocard insignifiant. La vie, c'est une chance, une seule ! Quand une lionne chope le cul d'une antilope, elle ne se retourne pas pour dire "oh attends, j'ai ripé sur un caillou si j'avais su j'aurais pris une autre route". Non, elle se dit juste "hey merde, je suis baisée" et tu sais pourquoi ? Parce qu'elle a raison !  

Je m'en tamponne le fion que tu regrettes ton choix. Je m'en fous de tes rêves. Tes larmes n'entament pas mon empathie, elle rongent ta pudeur. Enfin quoi, je viens de me battre en combat à mort contre une saloperie aussi forte que moi, prête à anéantir tout ce que je construis et toi, au chevet du mec qui vient de devoir survivre, tu dis qu'en fait t'as pas les testiburnes d'en faire autant ? Merci du compliment, mais j'étais déjà au courant. Tu veux savoir si c'est possible de quitter la Légion ? La réponse est non; va te faire foutre. Et si ça ne te plait pas, essaye de déserter ou viens me défier. Dans les deux cas, je te ferai regretter très longtemps d'avoir manqué à ta parole et ton honneur.


J'arrête là, me redresse, replace la table comme s'il n'avait jamais existé. Kleine respire plus bruyamment que moi, les yeux en larmes, la terreur entre la peau et les muscles, l'impuissance dans le sang au point de ne plus pouvoir se redresser. Le choc de la vérité, le passage à l'âge adulte en translinéenne express. Puis, il a sérieusement pensé que j'allais le tuer, mine de ça joue quoiqu'on en dise.

Comme l'entretien est fini, j'ouvre la porte de ma cabine et le sot-l'y-laisse. Sur le pont, on me fixe, pas gaillard. Je fais signe de la main que ça va, ou qu'il me faut leur attention. M'en fous, l'important c'est qu'ils écoutent.

Me faut dix braves pour une tite rando à travers l'île. On va établir les nouvelles règles de la zone alors passez-vous un coup de peigne, savonnez vos derches ou glaviotez sur vos vernies, ce soir on rencontre du beau monde.
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J'ouvre la marche. Les recoins ont beau ne pas avoir été foulés de mes petons, je les reconnais. Disons plutôt que je les ressens. Héritage de l'autre Minos, celui que j'ai tué. Il agit quasi comme une aura qui me guide maintenant. Pour peu, je me sentirais presque épaulé par une divinité. Sauf que non, je suis redevenu complet, riche de deux vies que le boss local avait scindée. C'est pour ça que, malgré la densité de la jungle et ces arbres qui sont autant de pancartes indiquant "toutes directions", je retrouve sans mal le Roi Loui. Sa carcasse, en tout cas. Imagine un genre de gros boeuf avec une armure en carapace, c'est Loui. Un boeuf sans cornes, 'tention ! Qui a des cornes et qui n'en n'a pas, c'est un sujet sensible sur l'île. Les cornus sont herbivores, les autres carnivores. Et comme la légion est omnivore et peut ou non avoir des cornes, la sélection naturelle a fait son boulot. Reste quasi que nous et des cornus, retranchés vers notre destination. Le dernier carnivores, il est juste devant nous.

Le corps est tout raide, le teint livide et sa carapace elle-même semble froide. Mais il ne schlingue pas encore, du moins pas plus qu'au vivant. On le charge sur le chariot, avec la dépouille des Rois Sabri, le cornu et Minos II. Les légionnaires sont exténués. Trimballer cette viande froide dans un décor fait d'herbes hautes, de lianes et de racines rebelles, c'est une purge. Plus d'une fois, j'ai dû aider à soulever la voiture, avec mon seul bras pas pété. Et on monte, encore et toujours.

Permission de se décharger de son armure accordée aux gars, mais pas de lambiner. Y a pas d'ennemi ici, y en a plus. Tout est conquis, maté, pacifié. Les derniers résistants n'ont que des branches à nous opposer. Pourtant, j'évite d'arracher les arbres pour nous tailler la route. On contourne tout, avec c'te charrette aux roues renforcées qui grince et butte contre tout, comme si colporter la mort devait se faire avec les lamentations. Lorsqu'il fait soirée, les légionnaires aussi buttent. Mes coups de main s'intensifient. Je crois que les volontaires regrettent leur zèle et pourtant, ils seront bien les privilégiés d'un spectacle rare. Important. Même s'ils n'en perçoivent pas la portée.

Crack !
- Oh bordel de bordel de merde !
- Dis-moi que c'est ta jambe qui vient de péter, Rubéole.
- J'aimerais vous rassurer, Seigneur Minos, mais il s'agit de la roue. Attendez, j'y vois rien, décale-toi, Le Peintre, ça fait une ombre là.....ouais....merde, merde, merde, merde !

C'est pour les initiés, mais en langage ingénieur ça veut dire que c'est la merde.

Réparable ?
- Heumpf, avec les outils à disposition, pas trop. Faudrait tout démonter. On peut essayer un bricolage de fortune, mais avec le déséquilibre des charges et le terrain, dans dix pas ça recasse.
- Laisse tomber. Ok, vous remettez vos armures, on va devoir finir à pieds.
- Seigneur, si je me mets en route maintenant je peux rejoindre le campement à l'aurore et revenir ici avec le matériel dans un jour. On aura plus d'hommes.
- J'ai vu un ruisseau à moins de dix minutes. On peut y bivouaquer cette nuit, de toute façon on n'y voit plus à un mètre.
On reste tous ensemble et on continue.

Je pioche la charogne de mon double et le charge sur mon épaule de mon seul bras hors du plâtre. Ils ne se voient pas, mais mois je distingue bien qu'ils tirent la gueule, les loupiots.

Oh, les gars ! J'ai jamais dit qu'on se faisait une petite promenade digestive. C'est une mission. Tous les Rois de l'île sont morts, je suis le dernier. Il est capital de dicter l'avenir du territoire à ce qu'il reste du peuple. La guerre est finie et ils ne le savent même pas ! Soyez bons joueurs.

Je sais que vous êtes un ramassis de condamnés, des repris de justice repris de justesse. Alors, je vous fais pas trop souvent chier avec le devoir éthique d'un légionnaire, mais là on va mettre un poil de noblesse dans votre tisane du soir. Vous êtes des soldats. En tant que soldats, c'est votre taff de suer pour le repos des autres. Que vous y croyiez ou pas, m'en torche le fion avec un wanted. C'est votre boulot.

Puis, sérieux, vous n'avez pas un peu l'impression que moi aussi j'en bave ? 'vec mes os fracturés, le manque de bouffe et la douleur du lendemain de baston ? C'est jour de fête, profitez de la vie un peu. On dirait des ados.


Certains le sont, c'est la petite blagounette. Je peux pas dire qu'ils repartent avec l'entrain qu'on a en se levant du pageot avec une bonne odeur de grillade dans les narines, mais on s'y met. Bon, je propose de me porter moi et eux ils portent la chèvre et le gros bison à plaque, c'est équitable comme répartition des charges. Hélas, ça coince là encore. Les doigts dans la carapace, déjà, puis le poids de Loui. Minos deuxième du nom a eu beau lui bouffer une bonne partie de la bedaine avant de l'abandonner à son sort, le machin est encore trop lourd pour les normaux sapiens.

Bon, vous savez quoi ? Sanglez-moi moi-même sur mon dos et je pourrai tirer la charogne du cloporte. Ca vous fait une chèvre à porter pour dix. Ca va ? Vous allez pouvoir gérer ou je dois me l'attacher autour de la jambe?

Je pensais pas le dire un jour, mais Braff me manque. Je l'ai pas pris parce qu'il est trop con et que protéger la forêt, avec un géant chasseur de papillons, c'était le plan foireux. En plus, pour peu que les zigs qu'on retrouve se soient encore peinturlurés la tronche au colorant phosphorescent, sûr qu'il aurait voulu en goûter un ou les coller au fond de sa bouteille à lucioles. Non, on doit faire avec ce qu'on a ; ou ce qu'il reste.

Mettez-vous en route, Monseigneur. Je m'occupe du Roi Loui.

Le petit Lord, tiens ! C'est vrai que je l'ai accepté parmi les volontaires, mais comme il n'avait rien dit depuis le début de la traversée, je l'avais zappé. Et le v'là, gaillard, soulevant la bestiole comme une grosse doudoune trop grande. C'est meugnon. Et un poil admirable, parce que s'il ne pourra jamais trimballer ça tout seul, il ne l'est plus. Les autres s'agglomèrent à sa traine comme des fourmis flairant le sucre pour tenir en l'air la dépouille du gros Roi des sans-cornes. Allez alors, comme quoi il réside un peu d'amour-propre dans cette cohorte de désincarnés. Je ris doucement, sans me foutre pour autant d'eux. Et on marche.
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Il fait nuit bien frappée quand on parvient au village reculé des cornus. Aucune bâtisse. Comprends que le village, ce sont des terriers, une grotte et un monticule impressionnant de babioles chourées aux précédents infortunés.

A une époque, ils ont pesé les cornus, comme les pas cornus. Mais la zone est sur la routé des tous les périls, pas de bol. Tous les lascars qui se sentent pirates ou destructeurs passent leur mettre des torgnoles. Parfois avec succès, comme pour le cas de Djo Le Jafar, et parfois avec échec, comme plein d'autres. On a accéléré le processus en prenant pension complète, mais sérieux, comment pouvait-elle survivre cette île ? C'est juste un gros terrain de chasse. Manque plus que les points sur les bestiaux et le stand de peluches à gagner.

En décoration, des animaux cornus pas franchement joyeux de nous voir débarquer. Vu tout le tintamarre des apôtres, le comité d'accueil improvisé a eu le temps de parfaire le hall de réception. Les expressions varient. Quelques belliqueux clairsemés dans une foule inquiète. Pour eux, c'est comme si le démon venait frapper à leur porte. Je ne peux pas vraiment leur donner tort.

Il y a un ou deux naïfs qui me fixent encore avec incrédulité, comme si j'étais leur ami. Histoire de tordre le cou au doute, je détache le corps sur mon dos et le balance au sol, face vers eux. Sur les traits du Minos éteint, ils voient scintiller faiblement le symbole de la couronne qu'ils lui avaient peints sur le visage. Plusieurs cris d'animaux divers s'élèvent. Plus aucun espoir pour eux.

"Je vais te tuer !"

Les lumières des légionnaires ne distinguent qu'une épaisse forme blanche aux yeux luisant dans la nuit comme la menace faite bestialité. Moi, je vois Amanda la panda qui se rue sur nous les cornées noyées de larmes, puisées dans les zones de rage et de tristesse. Elle aimait bien Minos, lui aussi. Il ne me faudra pas plus d'un bras pour la contenir. Je ne la blesserai pas, même si elle me fait voler la peau en lambeaux. Un petit corps s'interpose.

Ca suffit ! Ce que tu t'apprêtes à faire ne sert à rien.
Il sont là, Shavette ! Nous devons nous battre ou il sera trop tard.
Il est déjà trop tard. Les animaux ont perdu leur champion. Nous devons accepter la défaite.

Shavette, la petite chèvre qui est aussi la voix de la sagesse de l'arche et et une sorte de popesse de Chtulobah, l'entité qui leur offre vie et mort avec la même générosité. Malgré sa furieuse envie de m'arracher le visage et de mourir en martyr pour une cause qui lui échappe, Amanda s'arrête, s'effondre et sanglote sous ses grosses pattes noires. D'autres animaux arrivent, prudemment et entourent leur amie, ainsi que les dépouilles royales. Je fais signe aux soldats de présenter également Sabri. De tous, c'est lui dont le corps est le plus abîmé, alors qu'il est le seul à ne devoir aucune blessure au combat. J'ai pas été très humain avec, ou trop justement. En tout cas, c'était extrême.

Les corps sont emmenés au coeur du repère où on commence déjà à les nettoyer. Shavette les laisse à leurs rites funéraires et me toise, avec méfiance et une forme de mépris qui ne m'échappe pas.

Et maintenant, Roi des monstres ?

Voix pure, intention limpides. Quand bien même il y a de l'animosité entre nous, elle n'a pas du tout peur de moi. Je pourrais tout autant être là pour incendier ce qu'il reste de sa vie, elle est prête, elle accepte. Ce n'est pas de la résignation, c'est de la foi. Elle ne craint ni la mort, ni ceux qui l'administrent. J'apprécie ce genre de force.

Maintenant que vous avez admis votre défaite, on va causer un peu de qui a vraiment agressé qui. Je sais comment s'écrivent les histoires et celle du Roi démon qui prend possession d'une île par la force en massacrant tous les opposants, ça me plait. Mais ce n'est pas ce qu'il est passé. Pas tout à fait.

La petite bête incline la tête, incapable de voir sous quel angle eux sont les agresseurs. C'est comme quand une dispute dure depuis si longtemps qu'on ne se souvient même pas comment tout a commencé. Et surtout, 'est une caractéristique bien logique que de penser que l'autre a forcément entamé la guerre. Il est temps de mettre la balle au centre, parce que malgré note cruauté et notre radicalité, on n'est pas des destructeurs.

Je suis arrivé ici il y a...mettons quatre années. Vous n'êtes pas sans savoir que les log poses mettent du temps à charger, nous avions quelques jours avant de reprendre la mer. Manger, se ravitailler, partir, c'était tout. La légion aurait quitté vos terres depuis longtemps si vous ne m'aviez pas volé une part de moi pour l'emprisonner ici.

Elle tique.

Tu dois parler de Chtulobah. Oui, il t'a pris une part de toi. Ta maladie. Tu serais mort depuis longtemps sans Lui. Il t'a sauvé et protégé tout ce temps, tandis que tes troupes dévoraient Son troupeau.

Il m'en a inoculé une autre. Mon corps ne dépérit plus, mais mon âme est altérée. On ne ne parle pas que de force pure ni matérielle-là, c'est mal connaître les armes de ton chef et pour avoir vu ce qu'il pouvait faire, je pense comprendre ce qu'il espérait réaliser.

Quand il a pigé que je détruirais chaque champion qu'il enverrait, il m'a piégé avec un cheval de Troie. Le Minos recréé par ses soins m'a contaminé, c'était sa mission secondaire en cas d'échec, probable. Soit il me tuait et servait Chtulobah, soit je le tuais et subissais sa malédiction. Je suis maudit, actuellement. Empoisonné par tout ce qu'a vécu Minos II, ses sentiments, sa dualité, sa vision du monde. Chtulobah m'a guéri d'un mal pour m'en infliger un autre.


Il t'a offert un cadeau inestimable : celui de voir et comprendre ce que tu es par un oeil extérieur. Bien peu de gens ont droit à ce privilège.

[color=#F818D7] Ce que je suis, je m'en cogne. Je fais ce que j'ai à faire pour remplir ma tâche. Parfois c'est propre, parfois je commets des erreurs. Ca ne change rien au but final. Personne, pas même ton dieu, n'a le droit de juger ma quête. S'il le fait, qu'il s'oppose à moi, sans se draper de vertus pour mieux me la faire à l'envers. Je suis primaire, mais pas idiot. Nous avons voulu manger des animaux le temps de l'escale, vous avez tenté d'empoisonner l'ensemble de l'armée en en remplaçant le chef. Chtulobah est celui qui a déclaré la guerre.

Je peux te l'assurer, Roi Unique, tu sembles avoir gardé bien peu des traces de cette contamination que je qualifierais de simple conscience universelle.

Tu te fous de moi, la biquette ?

Mes mots sont salés car mon coeur est amer. Nous avons vu ce qui tu étais lorsque tu étais juste, frais et valeureux. Nous t'avons découvert neuf. Tu parles du poison qu'une nouvelle vision du monde t'a offerte, mais si le poison avait été le quotidien de ton monde en dehors de cette île ? Bien sûr, le Champion t'a "contaminé", mais à quelles fins ? Rien n'est simple dans la nature. La plante qui peut te tuer peut aussi soigner bien des maux.

Je ne nierai jamais que tout ce que tu as vécu, comme nous, n'est pas une volonté de Chtulobah. Cependant, jamais Il n'a agi pour le mal de ceux qui le servent. Et tu l'as servi, Roi. En lui demandant de te guérir de cette maladie qui flétrissait ton corps, tu as forcément dû offrir une contrepartie. Pour l'équilibre. Celui que tu traites de trompeur n'est en fait qu'équilibre. Par infortune, il n'existe aucune preuve de mes dires. Ou tu crois, ou tu ne crois pas. Une conviction sans faits pour disputer la difficulté du choix, là est l'essence même de la foi. Mon dieu n'a jamais abusé de toi, ni de ta confiance, il a seulement voulu t'enseigner quelque chose. Si ta vérité est autre, je ne suis personne pour la contrer. Toi seul la détermines.


J'ai de la gouaille et causer philo, à fortiori avec un ennemi, ça m'a toujours plu quelque part. Shavette aurait dû s'appeler Savonnette, avec son art de la glisse et de l'échappatoire. Toutefois, sa défense consiste à me laisser choisir qui l'emporte et c'est la différence avec la plupart des débats. Elle ne cherche pas à gagner, elle cherche à éveiller ce qu'elle aime chez moi. C'est quasi une tentative d'exorcisme en somme. Inutile en vérité, je suis bien plus son allié qu'elle le pense. Seulement, moi aussi je dois l'utiliser pour vaincre définitivement mon conflit intérieur.

C'est un peu facile, de regarder le monde brûler et de se dire que c'est ainsi que ça devait aller. Ou de se réfugier dans une conviction juste parce qu'elle parait séduisante. C'est un piège naturel, l'appât en sucre. Des trucs aussi cons que des fleurs ont appris à les employer.

Nous reconnaissons ta victoire et sommes prêts à te donner nos vies et notre servitude si tu l'exiges, Roi. Que te faut-il de plus ? Quelle difficulté supplémentaire devrions-nous braver pour que tu estimes enfin notre façon d'observer le monde pertinente ? Ou plausible ?

J'y réfléchis, sérieusement. J'ai donc le droit de vie ou de mort sur tout ce qui vit en ces lieux. Tout repasse, de ce que j'ai fait de l'île depuis trois ans à ce que j'ai bâti dans les limbes des salles secrètes du grand oeil à tentacules. Je ne suis tenu ni à la clémence, ni au massacre. Quoiqu'il arrive, je suis mon seul juge et aucune décision ne mènera à ma défaite. Que demander de plus ? C'est finalement très simple.

Rien, c'est trop tard. Je suis une eau souillée par les épices qui s'y sont dissoutes. La boule de poils en train de chialer m'affecte, la tristesse de ces animaux que je devrais dévorer crus ici et maintenant me traverse; toi-même, si petite et si brave face à moi, t'avères être un des plus braves Généraux que j'ai pu croiser. Il est trop tard parce que je ne vous vois pas pour ce que vous montrez, mais ce que vous êtes. Trop tard, car une part de moi vous considère comme une forme de famille et que même si je voulais vous massacrer, cette part m'arrêterait. Je voudrais bien suivre ce que j'ai toujours été et faire de vous un exemple mais il est trop tard, vous en avez déjà été un pour moi.

La biquette me sourit et trépigne des pattes quand elle comprend qui je suis. Eh ouais, ma grande, il est toujours là, ton Roi des hommes.

Avant de mourir, Minos m'a purgé de la haine. Je lui en veux pour ça, j'ai mon petit ego mine de. Cependant, moi aussi je suis capable d'admettre quand je suis défait. Ton chef m'a piégé et je me suis fait avoir, pour la deuxième fois. Plus aucune excuse, il est le plus fort. S'il mérite un titre de dieu quelque part, c'est bien dans celui de la manipulation. Toutefois, étant donné que je reste le démon qui a massacré les vôtres, c'est à mon tour de proposer un marché et d'imposer mes conditions. Hors de question de finir sur une défaite, le dernier mot c'est bien moi qui l'aurai.

Tu vois, les soldats venus avec moi ? Je les avais amenés pour qu'ils soient mon bras, s'il venait à faillir. Je savais que je ne pouvais pas vous frire, mais je pouvais toujours vous offrir en sacrifice à mes propres croyants. C'aurait été Chtuloulou approuve ça non ? Truc vicelard, qui se justifie.

J'accepte de vous épargner, de ne pas saccager ce qu'il reste de l'île et de ne pas mettre à profit ce que je sais de votre divinité pour la détruire. J'accepte également de vous rendre le titre de Roi de l'île pour que vous le confiez à qui ça vous amuse. J'accepte de quitter l'île avec toute ma légion et de signaler à tous ceux que je croiserai qu'elle est maudite, hantée et tout ce qui peut me passer par la tête pour me faire marrer tout en dissuadant le quidam de venir finir de tondre votre forêt. J'accepte même de considérer cette île comme une terre sacrée et de défendre à tous mes sujets de profaner le lieu en tuant les animaux autrement que pas légitime défense. En échange de tout ça, presque rien.

Une bonne cargaison d'alcool pour ma légion. Les ravitaillements de Union John se font trop rares, je crois qu'ils ont bien mérité une murge de votre science pour fêter le départ. Faudra des vivres, aussi. Je ne mange pas de fruits, eux si. Des machins qui empêchent d'avoir le scorbut, des trucs qui peuvent se sécher et se conserver, bref, des vivres en quantité. On a un géant à bord, pensez-y. Vous pouvez vous mettre à la cueillette dès maintenant. En plus de ça, Chtutu garantit notre départ sans encombre. Si on se fait emmerder par quoique ce soit au départ, ou si le bois qu'on a utilisé pour notre bateau prend vie et se tire pendant qu'on est en mer, soyez sûrs que moi je survivrai et je reviendrai sur l'île comme sur mes engagements. En d'autres termes, ton boss a intérêt à nous dérouler le tapir rouge ou une religion va disparaître dans Grandline jusqu'au dernier adhérent. Alors ?


Tu demandes peu, finalement. Des vivres pour le voyage et une escale facilitée. Pourquoi te contenter de ça ? Tu as faim, n'importe lequel d'entre nous pourrait être demandé en sacrifice pour satisfaire ton appétit. Tu n'aurais même pas à verser le sang toi-même et nous comprendrions. C'est la destinée des faibles herbivores.

Chaude la Shav', c'est tout juste si elle ne me découpe pas l'entrecôte elle-même. Je me marre, déconcentré par ce zèle.

Ha ha ha ! Naaan, c'est très gentil de proposer, j'apprécie le geste C'est surtout que j'estime avoir déjà pris une avance sur ma part de profits. On s'est fait un régime de vos potes pendant un bon moment, pris votre habitat pour créer notre nouveau bateau et en prime on a pu avoir bastons et aventures grâce à vous. On se sera bien marrés. Demander une brochette de derniers survivants, ça serait mesquins, plus après votre reddition. Un passeport et un panier-repas, c'est tout ce qu'il nous faut pour arriver à bon port. Mes gars seront contents, moi je tiendrai encore. T'façon, rien n'empêche de pêcher sitôt en mer.

Je lui tends la pogne. On se serre ce qui nous sert de patte. Malgré tout son courage, je la sens un poil soulagée. Notre accord se répand comme une trainée de poutres chez les deux peuples. Les uns respirent, les autres soupirent. Jusqu'à ce que la proposition de la chevrette leur ajoute une clause qu'aucun des nôtres ne veut refuser.

Roi Minos, Légion, Permets-moi de vous inviter, vous tous ici, à manger et vous reposer. On dit que la nuit porte conseils et les rêves de l'île sont particulièrement avisés à cette région de l'île.
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On est repartis à l'aube en leur laissant le chariot. Les cornus ont assuré pouvoir le réparer, alors on ne s'en est pas inquiétés. J'espère juste qu'ils feront plus abouti que l'armure de leur champion, dont il s'est débarrassé avant même de venir m'affronter tellement ça puait du fion comme solidité. Les soldats embarqués, eux, ont fait bombance. Entre l'alcool et les vitamines, il y a une bonne humeur qui flotte dans la troupe sur le chemin du retour. Ils causent, de tout et de rien. Parfois, je suis pris à parti, alors je joue le jeu. Moi-même, suis guilleret, surtout après avoir bouffé le saladier de crevettes décortiquées que les zigs avaient été pêcher pour célébrer le retour du daron. J'ai pris sa part hu hu ! Mon premier vrai repas en deux jours, alors même si ça manquait de gonzesses à la soirée, j'étais heureux.

Sans cette merde de remorque à tirer, avec la descente et l'entrain, on parvient chez les nôtres en plein aprem. La tribu de casques à cornus nous fait la fête quand elle découvre que nos coques de noix géantes sont des outres à fermentations. A peine les colporteurs ont eu le temps de dessaouler de la veille qu'on leur ressert la rasade. Moi, je raconte les termes du marché et supervise la fin des travaux du navire. Ca sent tout doucement le départ, mes louloutes. Manque plus que la cargaison des animaux en fruits, noix et autres denrées solides, puis on file. Kana, Alucard, Sergueï, Mandrake, je me demande bien ce qu'ils foutent en ce moment. On se recroisera peut-être. En attendant, j'appelle la cantine à prêter l'oreille. Envers eux aussi, je dois m'amender d'un dernier truc, tant que je fais mon purgerinage.

Ohé, les troupes ! Ouvrez les esgourdes et clapez vos mouilles, parce qu'il n'y aura qu'une seule représentation.

Vous avez tous beaucoup appris. Nous avons tous beaucoup appris. Durant ces années de service. Ici, bien sûr, mais aussi tout le long de nos périples communs. J'ai reçu la visite de l'un des vôtres, hier : T Lord. Il m'a fait part de son souhait de se ranger, de vivre une autre vie. Je l'ai envoyé chier, personne n'a le droit de revenir sur sa parole. Légionnaire, c'est plus qu'un métier, c'est un devoir. Envers moi, envers le Royaume, envers vos camarades. Je l'ai dit et le répète, quand vous vous engagez face à moi à servir, c'est à vie. Non négociable. Vous m'appartenez, jusqu'à ce que je vous vire ou que vous trouviez la mort. Ce qui se combinera souvent, ô ça oui comptez sur moi mes beautés.

T Lord pense que je vous traite comme des esclaves. J'ai pas assez de place dans mon slip pour y glisser un dico, mais suis quasi certain que les esclaves, ce sont des gens à qui ont arrache le statut de personne libre pour servir corps et âme un maître, ou un organisme. Vous, vous n'étiez pas des homme libres, pour ceux que j'ai extraits d'un divers campement de forçats. Et je vous ai prévenu que me suivre, ce n'était pas devenir libre. Du reste, dit comme ça, ça ne tombe pas un peu sous le sens ?


Ils ricanent, sauf Lord qui se sent peu à peu pris dans un étau. Suffirait de pousser un peu et ils le lyncheraient sur place, y compris ceux qui partagent son opinion. Les gens sont comme ça, ils ne veulent pas être isolés.

Seulement voilà, si j'ai le pouvoir de disposer de vous en tant que légionnaires, je ne suis pas une petite tarlouze jalouse de son emprise sur les autres. Ca me file pas la gaule de vous envoyer à la mort, c'est juste dans l'ordre des choses. Alors, je me dis que ça serait une bonne occase qu'on réitère nos voeux, vous et moi.

Je vous ai trainés ici bien plus longtemps que prévu et failli échouer. Quelque part, je me suis perdu pendant un long moment et vous, vous restiez là, à patienter avec la patience de clébards, à mettre votre vie de côté jusqu'à ce que je décide de lever le camp. Par peur, pour certains, mais aussi par fidélité. J'estime qu'il est temps de vous laisser à nouveau le choix de me suivre ou non. Je vous dois ça.

Aucun jugement, aucune justification. Pour ma part, mon objectif reste inchangé, on traverse Grandline pour rejoindre le Nouveau Monde et relier mon royaume, où les survivants seront enrôlés à la sécurité de l'île. Les moins cons seront officiers, tous obtiendront la citoyenneté pour résider en surface s'ils le souhaitent. Les autres recevront leurs gages et pourront reprendre la route. Votre engagement est à vie, mais le choix que je vous donne aujourd'hui sera réoffert une fois ma place sur le trône assurée. C'est ma parole et tout ce que je peux vous promettre. A vous de voir si vous voulez toujours de cet avenir. Et cette fois, vous avez deux heures pour réfléchir.


Je lève ma noix et bois à la santé de tous. Le moment de détente reprend, bien plus sage cette fois. Ils papotent, réfléchissent, s'inquiètent de qui va faire quoi. Sur ce temps alloué au soi, la plage croque sous les roues d'un chariot gavé de fruits protégés sous de grandes feuilles d'arbres. Les cornus tirent comme des bêtes de somme notre roulotte qui doit bien peser pas loin de ce qu'on lui avait chargé sur le dos. Ils ne s'arrête qu'un bref sursaut lorsque les humains hurlent comme des hyènes la joie face à l'offrande. Faut dire que je serais un bouffeur de fruits ou un picoreur de graines, ça me ferait quelques chose aussi comme achalandage. Ils ont rempli leur part du marché, je marche à leur rencontre pour les aider à tirer le magot. Puis, d'autres des miens s'activent à l'entraide. Toute l'armée passe la demi-heure suivante à se remplir le bide et se vider l'esprit.

Restez un peu.

Ils obtempèrent. Les musclés invités la veille ont tant vanté la fête au village que les animaux sont vus en amis de toujours. Personne ne les emmerde, personne ne les raille. On leur file la gnôle, du poisson séché, avant de s'excuser en comprenant pourquoi ils déclinent, et on leur fait la visite. Trois ans qu'ils tentent de traverser la plage pour nous combattre, et les voilà en invités de marque de cette terre inaccessible dès le lendemain de la paix ratifiée. Si seulement les choses pouvaient toujours être aussi simples. J'ai beau ressentir des restes d'amertume, je m'efforce de sourire, comme eux. A mon tour, je leur montre le navire, ironique immense bâtisse puisée dans le bois de leur forêt, bien que nous avions de base démantelé deux navires pour le créer, l'a fallu voir grand.

C'est un bateau standard pour des géants, mais pour les humains, y compris moi, c'est un très gros bateau. La poupe permet à Braff de manoeuvrer et circuler, là où la proue est compartimentée pour tout ce qui fait six mètres et moins. Il y a énormément de pièces vides, alors j'explique que ce ne sont pas des tiroirs à chaussures. Ici, ce sera la loge des maîtres calfats, là les tissus pour servir de voiles ou de hamacs à la couchette prévue pour jusqu'à quatre géants à bord. Je fais également part de mon désir d'équiper deux nouvelles bordées de canons, sur deux différents étages. Le matos pillé à la caserne ne permet qu'une bordée, vu la taille du machin. Et comme on sera très exposés et probablement  lents à manoeuvrer, on aura besoin de plus de puissance de feu pour couler plusieurs navires en même temps. Tout a un prix.

Cela dit, je ne m'attarde pas sur les détails guerriers. Le rafiot a une vaste cale qui servira de zone de stockage de marchandises diverses, de nombreuses cabines pour que les hommes ne vivent pas tous les uns sur les autres dans une même salle commune empestant le pet et le fromage de pieds. Nous proposerons des chambres, avec des lits superposés , une armoire personnelle cadenassée et même un bureau pour les pièces les plus larges. Un système de double plafond permet l'aération et on espère obtenir de la tuyauterie de pointe pour conduire la chaleur où on voudra. Et dans le coeur du navire, une salle de réception, pour d'éventuels banquets ou représentations. Je pousse le vice jusqu'à leur présenter les écuries, où les box son terminés, mais seule ma monture occupe les lieux actuellement. Bref, ça sera grandiose, mais les années de voyage aux Blues et sur la Route n'ont offert que la structure et le minimum nécessaire à la défense et à l'équipage. Cela dit, les convives comprennent peu à peu que le lieu n'est pas qu'un bâtiment de guerre. Bientôt ils évoquent des palais et des temples. Venant d'eux, c'est un sacré compliment.

Je réalise que le ciel a tourné quand nous quittons la construction. Les deux heures allouées aux gars sont probablement écoulées. Naturellement, je remercie les cornus pour leur cadeau comme si je ne l'avais jamais exigé et leur demande de rester quelques minutes encore pour qu'ils apprennent une nouvelle mise au point durant la visite.

Rassemblement ! Bon, vous avez pu vous décider ? Que tous ceux qui veulent rester à la Légion passent derrière moi. Les autres : ceux qui ne poursuivent pas l'aventure ou hésitent encore, vous restez là.

Ca bouge, beaucoup même. Les soldats migrent pour faire face à une dizaine de membres, peu fiers, mais campés à leur position. Je ne laisse pas le silence appesantir plus que nécessaire la situation, j'avais bien prévenu qu'ils ne seraient pas jugés.

Légionnaires démissionnaires, moi, Minos, Roi et Seigneur de Guerre, accepte votre retrait de mon armée et de mes couleurs. Toutefois, je vais vous demander de remplir une dernière mission en préavis.

D'ici le prochain ravitaillement de Union John, je vous demanderai de demeurer en garnison sur cette plage. Vous protégerez la scierie de Yukikurai, qui nous aura été bien utile au passage, et replanterez des arbres en échange de nourriture offerte par les cornus. Légionnaires ou non, vous ne les attaquerez pas, vous ne les courroucerez pas. Cette île est la leur et je ne laisserai pas mes déchets laissés sur place polluer leur quiétude. J'estime que vous avez compris.

Enfin, sitôt le ravitaillement obtenu, prenez la navette pour démarrer une nouvelle vie, restez pour protéger le terrain ou faites ce que bon vous semble. Vous n'aurez plus aucune obligation envers moi. Et si certains d'entre vous se convertissent un jour marine, évitez de dire que vous avez bossé ici. Je ne vous tatoue pas comme un gros bâtard, c'est pas pour vous faire choper un soir de confidences dans une taverne, en présence de donzelles que vous voulez impressionner en leur narrant comment vous vous êtes faits vos cicatrices. Et si un jour on vous chope quand même, vous pouvez dire tout ce que vous savez sur moi, je vous assure que ça ne va pas me tracasser outre mesure. Si vous la fermez, faites-le pour vous, moi vous ne me devez rien. Bonne chance.


Salut de légionnaire, qu'ils me rendent. Sais pas s'il faut être fier d'eux ou peiné, mais y a toujours un truc réjouissant à voir des gens prendre leur destinée en main. La messe est dite, je me tourne vers les miens pour les remettre au turbin. On a un paquebot à envoyer à la mer. Alors que je salue les cornus, les félicitant au passage d'avoir des cultivateurs agréés pour réparer leur forêt L'un d'eux que je me rappelle être Camille le Gorille manifeste son désir de prendre la parole, laissée à son entière disposition.

Nous avons nous aussi un cadeau pour toi. Un objet dont nous ne faisons rien, mais qui pourrait bien t'être utile. Attends, ne bouge pas.

Il saute que ses mains des jambes et extrait du chariot un emballage des mêmes feuilles qui servaient de parapluie aux fruits durant le trajet. L'emballage emballait un objet, le-dit objet offert.

Oooh, un maki aux crevettes ?
Non, tu vas voir.

Ah ! Tant mieux d'un côté, j'ai jamais compris l'utilité d'envelopper un truc bon comme de la viande dans un truc ennuyeux comme une algue ou des feuilles de vigne. Camille porte le cadeau sur son dos et galère un peu à trimballer le bidule. Je pense avoir deviné, alors je remercie.

Oooh, une planche de surf, c'est cool je comptais me lancer dedans en plus.
Non, c'est pas ça. Attends un peu.

Il pose la plaque sur le stable et dégrafe les lianes pour faire de l'enveloppe un plateau de feuilles révélant...révélant un genre de grosse porcelaine striée de rouge et blanc. C'est aussi moche qu'un jouet pour gosse et aussi coloré que les bonbons de ceux qui veulent les kidnapper. Bon, les cadeaux, c'pas leur truc aux animaux. Mais ils essayent, alors je remercie quand même, quelque part réellement touché de l'intention.

Oooh, un superbe plateau-repas de célibataire qui le restera, merci. Justement, j'en avais marre de bouffer sur de viriles plaques de bois ou de marbre.
C'est pas ça, t'es pas très doué en cadeaux décidément. D'après Shavette, il s'agit d'un...meitou.
D'un ?
Un meitou.
....comme meitou sur la plaque et pas à côté ?
Aaaaaaaaah ha ha ha ha ha! Tu es drôle. Mais non, comme un meitou, un sabre légendaire.

Intrigué, je découvre une poignée en bois sous une garde en plantes que je ne connais pas. Mais c'est hyper rigide et ça pique, on dirait du métal pas froid qui sent la clothophile. Après avoir agrippé l'engin, je soulève. Ca pèse c'te saloperie, c'est pas une merde de Tahi One en plastique. Et de fait, c'est un genre de gros espadon. L'arme, pas le poisson. Avec un manche bien épais, tellement qu'un mec qui fait pas ma taille, il pourrait écraser des bouteilles avec. La lame pèse presque littéralement un cheval mort. Je manie, à deux mains. C'est plus une spatule qu'une épée. J'aime.

J'ai mes nouveaux haltères préférées. Mais pourquoi c'te couleur ? C'est un genre de souci de surplis ?
Il y a une lettre avec cette arme, c'est tout expliqué dedans.
[color=#F818D7]Je sais pas lire. color]
Ah, mince, moi non plus. Ha ha ha ha ha !

Je me marre aussi, on a l'air de deux bons gros cons. Mais un peu plus lui quand même. Moi, j'ai plus de cornes quand je retire mon casque.

Merci, en tout cas. Je vais pas te cacher que j'ai pas manié le sabre pour décapiter autre chose que des jarres de gnôle, mais la couleur ne jure pas avec l'armure. Puis, utilisé avec le plat, ça peut écraser de très grosses mouches. Des mouches sans cornes, hein, 'tention.

Il rit encore, le gorille. Un bon vivant, ça me plait. Je sangle l'arme sur mon dos comme je peux en veillant bien à ne pas m'adonner à l'acuponcture avec la garde porc-épic. Camille me fixe, hésite, puis se lance, une légère pointe de douce amertume dans l'intonation.

J'ai une blague. Pourquoi les humains ne rient pas ?

Parce que les singes leur piquent leurs blagues ?

Il ne rit plus. Je pense même l'avoir un poil vexé.

Tu la connaissais aussi.

Forcément, c'est moi qui te l'ai racontée, Camille.

Il écarquille les yeux. Logique pour lui; celui avec qui il a eu cette conversation et qui connait son nom est mort. Et il a raison, mais pas tout à fait. Je m'attends à des questions, une curiosité au moins. Mais rien. Camille affiche la marque du deuil venu le gifler, ou comme si ce que j'étais le dérangeait. Venant d'un singe à cornes qui parle, c'est gonflé ! Il me salue avec politesse et s'éloigne. Je laisse faire, on dirait bien que malgré leur manipulation de la mort, elle les affecte tout de même.

Quelques minutes et poignées de pattes plus tard, nous nous séparons, humains et animaux. Braff pousse de toutes ses forces le navire, avant de le rejoindre à la nage et d'embarquer. Tout le monde est à son poste et, pour l'instant, aucune fuite n'est signalée dans les zones immergées. Mieux encore, les voiles déployées nous permettent d'avancer, double surprise ! Enfin, la voile, puisqu'on en a qu'une pour l'instant. Les voileries manquent encore, le format pose souci. Pas grave, tant que ça bouge. En tenant la barre, tout occupé à gueuler mes ordres de navigation, tu sais qui je croise ? T Lord, qui ne figurait pas parmi les soldats laissés sur l'île. Comme quoi...
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Finies les branlettes, messieurs ! On se comptera les valises sous les boîtes à images demain. En attendant, on a une mer à regagner. Engagé Ducon, t'arrives à barrer ?

J'arrive à baver oui ! Regaaaaaaaaaarde...

Mais non, qu'il est con. A barrer ! Tu tiens le gros volant, là ? Il tourne bien ?

Touuuuurne ! Le hamster géant du monde miniature touuuuuuuuuuuuuurne !

Braff nous fait faire un drift sur la mer. On se dirige dangereusement vers l'île et vu l'angle, le retour se fera rude et à sens unique. Je cours vers la barre géante du géant à cervelle de stégosaure et la bloque pour limiter la catastrophe. Braff me fixe comme le parfait ahuri qu'espéraient ses frère et soeur de parents, puis tourne dans l'autre sens quand il voit que je veux vérifier si la roue est dotée de la fonction rotation inversée. Le hic, c'est que ce rebut de préhistoire se met à imaginer que je veux voir à combien de tours-minutes la barre peut aller. Bordel ! Je bloque encore. Me voilà reconverti en frein, autant dire que l'amour-propre est si bas qu'on ne pourra le repêcher qu'avec une ancre.

Ducon ! Lâche le cerceau tout de suite ! Ecoute, on va établir un code. Tu vois les petites poignées sur la roue ? Ce sont des tétines. Quand je te dis le nombre de tétines et la direction, tu les fais tourner autant que le nombre que je te dis. Euh....tu peux compter jusqu'à combien ?

Un...deux...trois....piano....

Mouais...bon, je te dirais le nombre plusieurs fois, c'est pas grave. Attention, test ! Piano-piano-deux à tribord ! Dextre ! A droite ! Vers par là !

On y arrive, non sans avoir le trouillomètre proche du brun. Le dadet pilote désormais en collant sa sale énorme gueule sur les poignées de la barre pour les faire défiler selon le nouveau système de guidage. Corvée de nettoyage du volant pour le prochain qui me les casse, ça lui fera les pieds. Le navire pique enfin vers la flotte. Je pourrais dire l'horizon, si air et eau se disputaient une élégante égalité de cadre. Pas le cas, la flotte est dessous et dessus. La faute aux geysers qui entourent l'île, sont capricieux et ce soir, sont plus cieux que capris.

Monseigneur ! Geysers droit devant !


Bien vu, oeil de faucon, t'es aussi efficace qu'un plan vigie-pirate. On tient le cap, foncez vers le mur.

Mais, Monseigneur ! Même si l'Arch résiste à la puissance du jet, la vapeur nous fera cuire.

Sans parler de l'eau bouillante qui nous retombera en cascade dessus.

Merci pour le bulletin météo, mes chatounes. On profitera de la prochaine escale pour vous acheter des petits tailleurs stricts et des colliers de perles. J'imagine que vous avez déjà les talons, alors laissez-moi le talent et tenez vos postes. Ou y'aura plus que de la soupe d'emmerdeurs à faire bouillir.

Le gros bateau s'appelle l'Arch. Je voulais te faire la surprise, mais puisque l'autre a balancé, voilà, on est sur l'Arch. Parce qu'il est large, en forme d'arc et que les noms de baptême à la mords-moi le noeud marin style blases de tripoteurs de rizières ou téteurs de pudding à l'oignon, ça me rendrait maso tellement j'en viendrais à me détester et vouloir me punir. L'Arch, c'est cool, t'as même pas besoin de savoir comment on le prononce pour sentir que ça va chauffer pour ton cul si tu en rayes la peinture.

Et donc, ça vaut aussi pour toi, le geyser ! J'ai dit aux animaux que je reviendrais s'ils m'empêchaient de quitter l'île et ces jets font partie de l'île. Qui, quand, comment ils me facilitent la sortie, c'est pas mon souci, mais c'est leur problème et non le mien. Moi, je trace. Pas besoin de décompte, déjà le rideau se lève. Enfin, s'abaisse. On va dire s'écarte. Devant nous, face à mes cris de victoire et mes injures envers les profanes, la toile blanche se fissure pour nous ouvrir un passage. Tu verrais ça, c'est comme ouvrir les guiboles à une déesse des mers. Des immenses guiboles d'eau bouillante s'éloignent pour nous céder un passage. Fait toujours chaud, étouffant même. La pluie est si pure qu'elle nous donne l'impression d'emporter notre crasse en nous tombant, ardente, sur l'épiderme. Mais ça ne nous blesse pas, ça vient de trop haut pour nous permettre la souffrance. Ce geyser, il fait ses quelques centaines de mètres, à tel point qu'on se jurerait traverser une montagne dansante lorsqu'on traverse le seul passage laissé à portée des surfaciens. Ca glisse entre les cuisses. L'attraction intense s'est faite trop courte sitôt de l'autre côté du mur. Je me retourne, et observe les mouches légionnaires restées sur cette plage à front haut, puis le reste de la terre dont je fus champion, victime, Roi, disciple, conquérant et complice.

L'eau puisée des profondeurs est comme l'épaisse couverture d'un livre qui se referme sur mon passé. Une part de moi est restée là-bas, intangible et indéfinie. Peut-être est-ce elle qui s'est munie d'une nouvelle peau, d'une nouvelle fourrure, de nouvelles cornes et s'est dressée sur ses pattes pour toiser le barrage fendu de son héritage. Le nouveau Roi et des cornus comme incornus et moi croisons nos regards un moment, sans nous voir, sans jamais nous être rencontrés. Et pourtant, par les vitres sans image, nous avons conscience du miroir.
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