Je m'appelle Klein T. Lord J'aurai dix-huit ans cette année. Espérons.
C'est à Poiscaille que je vis le jour. Comme beaucoup d'enfants de mon âge, j'étais fils de pêcheurs. Promis gabier, j'ai écoulé dix années relativement joyeuses. Vie dure, mais gratifiante. Je détestais surtout le froid et l'humidité. Le poisson compensait bien entendu, au petit matin, cru, avec du gros sel. L'odeur en rebute beaucoup en dehors de Poiscaille, mais pas moi. Je suis amoureux de ce fumet, du goût du sel et de l'iode. J'ai tellement vécu longtemps en mer que j'avais le vertige en revenant sur terre. J'imagine que je serais un bon gabier aujourd'hui, si je n'avais pas perdu tout ce que j'avais.
La vie est parfois si brusque que les mots pour lui rendre le rythme qu'elle inflige semblent tous inadéquats. J'étais suspendu aux manoeuvres quand le soleil pointait au zénith et, au zénith suivant, j'étais détenu en fond de cale avec les survivants de mon équipage. Notre Capitaine était un homme recherché. Nous l'ignorions, pour la plupart. Néanmoins, il parvint à convaincre de lutter contre la Marine en nous affirmant que nous étions en zone interdite, que leurs ordres étaient de mettre au fer quiconque pénétrerait cet endroit. La panique, son talent d'orateur, j'ignore ce qui a fait prendre la décision de combattre. Encore aujourd'hui, j'ignore si c'était la bonne décision.
Nous avons combattu sans chercher à tuer. Avec terreur, la plupart se rendant au premier sang ou implorant la miséricorde. Notre Capitaine périt dans la gloire du combat, avec quelques autres membres féroces de notre équipage. Je ne combattis pas. j'étais trop jeune, puis j'avais peur de descendre. Les soldats ne nous ont pas mal traités, la plupart étaient rudes, mais bien dans leur rôle de soldat. En voyant une telle organisation, il était certain que nous n'avions aucune chance. Et si nous l'avions perdue ce jour-là, ce n'était pas pour la récupérer de sitôt.
Nous avons balloté dans cette cale comme dans les méandres de la justice. Un coup nous allions être relâchés, un coup notre crime faisait de nous des pirates. Je n'ai pas compris grand chose, mais mes deux mères ont été séparées et j'ai suivi l'une d'elles jusqu'à un pays glacial où il y avait bien moins de tequila que de wolf.
Le bloc 18 n'avait rien de pire ni de plus enviable que les autres. Ce n'était qu'une brique d'un immense mur d'où grouillaient les chétifs, les parias et oubliés de tous. Il fallait travailler pour avoir sa soupe, sa pelisse, son eau chaude. Tout avait un prix et la monnaie locale débutait et s'arrêtait dans l'enceinte des murailles de notre prison opaque. Régulièrement, des gens étaient appelés à divers travaux. Des réparateurs pour les ponts ou les navires, les voiles, les vêtements, nous rafistolions tout. Sauf les armes, toutes aux mains des nombreux surveillants. Lorsqu'un esclave défiait un des gardes, tout son bloc en payait le prix.
Je pense que nos pires geôliers étaient nos propres compères. Bien sûr, tous parlaient de liberté, d'espoir de partir, d'un avenir meilleur. Dans les faits, personne ne faisait rien. Nous connaissions tous la responsabilité d'un échec et sa probabilité. D'autant que bien pire que les hommes, il y avait le froid par-delà les murs.
Pour ma part, je caressais le rêve de devenir gabier, ou pêcheur de cachalots, comme quelques privilégiés parmi nous. Ils accomplissaient une tâche ingrate, prenaient les plus gros risques, mais au moins ils pouvaient voir la mer, toucher du poisson frais et entier. Je n'eus jamais droit à ma chance. Moi, je cousais des voiles abîmées par les intempéries. Ce fut à cette époque que ma copine et voisine de couche mourut. Pneumonie, probablement. Mon rêve de reprendre la mer prit fin peu après. J'attendais mon tour. Pourtant, je continuais de briser la glace chaque matin pour mes ablutions, moi qui détestais viscéralement le froid. Tous ceux qui renonçaient à s'élever au matin pour cette corvée périssaient dans les deux jours.
Quand ma barbe commença à pousser, on me confia une place à l'entretien des ponts. C'était un travail parmi les plus harassants et risqués, mais la paye était majorée. La taille des gardiens aussi. Thrym était un géant que le froid ne semblait pas ronger. Nous ne rentrions pas avant que le travail soit terminé, coincés entre la muraille de notre maison et le corps du géant au sommeil léger. Au moins, son corps offrait une protection contre le vent. Et enfin, je pouvais voir la mer.
Le géant n'était pas mauvais, du moins pas plus qu'un autre gardien acceptant de surveiller des esclaves. Néanmoins, il était un obstacle.
Un soir, pendant les quelques heures où le froid s'avérait trop létal pour permettre un travail efficace, une ombre surgit. Un monstre cornu grand comme le plus grand des hommes. Nous prîmes peur au début, d'autant que la bête mettait en charpie les soldats du pont. L'espace d'une minute, nous souhaitions que Thrym l'emporte sur lui. Puis, nous comprîmes qu'il s'agissait d'un homme et qu'il était là pour nous libérer. Un Roi sans armée, un fou seul sur un damier. Pourtant, il réussit à vaincre notre gardien lors de leur second duel, après que nous dûmes le repêcher et réchauffer suite à son premier échec. Thrym mort, les soldats en morceaux sur la route de la liberté, le colosse fut clair. Il ne pouvait pas tous nous libérer, mais cherchait des bras pour agrandir son armée. Le suivre signifiait tout abandonner, là à l'instant, pour voguer avec lui et son complice Capitaine vers des terres plus chaudes. J'ai pensé à ma mère, toujours enfermée dans les blocs. Mais j'ai aussi pensé à ma chance unique de sortir. Je l'ai suivi, comme la plupart d'entre nous. Après une sélection sommaire, je fus ravi de voir que je faisais partie des rescapés. Une nouvelle vie s'offrait à moi.
Bien entendu, sacrifier tout ce que j'avais ne fut pas facile. Quel sort pour ceux du bloc des déserteurs ? Est-ce que ma mère comprendrait mon choix ? Pourrait-elle survivre sans nos moments de convivialité pour tenir le coup ? Des tourments qui me reprenaient chaque soir, puis disparaissaient au réveil avec mon nouveau travail. Car Minos était aussi clair que la marine de Tequila Wolf. Notre place valait cher, nos vies rien du tout. Si nous voulions connaître la joie de vivre, ce serait par celle de tuer.
Mon nouveau métier de soldat me plaisait. C'était dur, mais on mangeait beaucoup et notre Roi nous motivait bien. Surtout, il nous parlait de son royaume comme un endroit pour les braves, dont nous voulions tous faire partie. J'ai tué, de plus en plus facilement. Des animaux à la chasse d'abord, puis des hommes. Notre arsenal était de la pure récupération de matériel militaire. Minos s'était allié avec des pirates ayant sévi sur les Blues et prêts à affronter Grandline. Les mois ont passé, notre armée a pris en ampleur. En tant que marin, j'étais de permanence au Mujinzoo, le navire du Capitaine rouge. Cohabiter avec des pirates se faisait de plus en plus naturel, nous devenions comme eux.
Arrivé à Grandline, l'entraînement s'intensifia. le risque, aussi. Nous avons perdu le Capitaine, mais vaincu un for de la mouette et conquis sa ville. Minos trouva même le trésor de l'île qu'il rebaptisa Union John. La même conquête se fit à l'île suivant, celle des Animaux. Là, nous devions construire un nouveau navire, pour que tous puissent embarquer à bord. En effet, un géant du nom de Braff nous accompagnait désormais. Je semblais voué à partager mes années avec des êtres démesurés.
Trois ans ont passé. Je devrais être ravi de bientôt reprendre la mer. pourtant, une chose en moi est cassée. J'ai admiré Minos pour ce qu'il était: un guerrier. Aujourd'hui, je réalise tout le sens de ce mot. Il dépend de la guerre. Il doit se battre pour s'accomplir. Le Royaume est encore loin, mais plus personne ici ne fait de son ralliement une priorité. Les légionnaires veulent se battre, tuer et dominer. Je me sens comme étranger à tout ceci. De plus en plus, ma mère revient dans mes cauchemars. Ce matin, c'était Minos. La vérité, c'est que j'ai peur, après avoir vu l'autocondamnation de la voie du guerrier. J'ai peur de vouloir devenir comme lui, de ne plus jamais pouvoir croire en un monde meilleur, en un avenir plus clément. Mourir au combat, c'est bien quand on n'est qu'un adolescent qui a tout perdu. Aujourd'hui, je suis un homme. Je mesure plus de deux mètres et ai plus de cicatrices sur le corps qu'un tueur de requins.
Il est temps pour moi de partir. Lorsque le soleil sera au zénith, je prendrai mon destin en main.
C'est à Poiscaille que je vis le jour. Comme beaucoup d'enfants de mon âge, j'étais fils de pêcheurs. Promis gabier, j'ai écoulé dix années relativement joyeuses. Vie dure, mais gratifiante. Je détestais surtout le froid et l'humidité. Le poisson compensait bien entendu, au petit matin, cru, avec du gros sel. L'odeur en rebute beaucoup en dehors de Poiscaille, mais pas moi. Je suis amoureux de ce fumet, du goût du sel et de l'iode. J'ai tellement vécu longtemps en mer que j'avais le vertige en revenant sur terre. J'imagine que je serais un bon gabier aujourd'hui, si je n'avais pas perdu tout ce que j'avais.
La vie est parfois si brusque que les mots pour lui rendre le rythme qu'elle inflige semblent tous inadéquats. J'étais suspendu aux manoeuvres quand le soleil pointait au zénith et, au zénith suivant, j'étais détenu en fond de cale avec les survivants de mon équipage. Notre Capitaine était un homme recherché. Nous l'ignorions, pour la plupart. Néanmoins, il parvint à convaincre de lutter contre la Marine en nous affirmant que nous étions en zone interdite, que leurs ordres étaient de mettre au fer quiconque pénétrerait cet endroit. La panique, son talent d'orateur, j'ignore ce qui a fait prendre la décision de combattre. Encore aujourd'hui, j'ignore si c'était la bonne décision.
Nous avons combattu sans chercher à tuer. Avec terreur, la plupart se rendant au premier sang ou implorant la miséricorde. Notre Capitaine périt dans la gloire du combat, avec quelques autres membres féroces de notre équipage. Je ne combattis pas. j'étais trop jeune, puis j'avais peur de descendre. Les soldats ne nous ont pas mal traités, la plupart étaient rudes, mais bien dans leur rôle de soldat. En voyant une telle organisation, il était certain que nous n'avions aucune chance. Et si nous l'avions perdue ce jour-là, ce n'était pas pour la récupérer de sitôt.
Nous avons balloté dans cette cale comme dans les méandres de la justice. Un coup nous allions être relâchés, un coup notre crime faisait de nous des pirates. Je n'ai pas compris grand chose, mais mes deux mères ont été séparées et j'ai suivi l'une d'elles jusqu'à un pays glacial où il y avait bien moins de tequila que de wolf.
Le bloc 18 n'avait rien de pire ni de plus enviable que les autres. Ce n'était qu'une brique d'un immense mur d'où grouillaient les chétifs, les parias et oubliés de tous. Il fallait travailler pour avoir sa soupe, sa pelisse, son eau chaude. Tout avait un prix et la monnaie locale débutait et s'arrêtait dans l'enceinte des murailles de notre prison opaque. Régulièrement, des gens étaient appelés à divers travaux. Des réparateurs pour les ponts ou les navires, les voiles, les vêtements, nous rafistolions tout. Sauf les armes, toutes aux mains des nombreux surveillants. Lorsqu'un esclave défiait un des gardes, tout son bloc en payait le prix.
Je pense que nos pires geôliers étaient nos propres compères. Bien sûr, tous parlaient de liberté, d'espoir de partir, d'un avenir meilleur. Dans les faits, personne ne faisait rien. Nous connaissions tous la responsabilité d'un échec et sa probabilité. D'autant que bien pire que les hommes, il y avait le froid par-delà les murs.
Pour ma part, je caressais le rêve de devenir gabier, ou pêcheur de cachalots, comme quelques privilégiés parmi nous. Ils accomplissaient une tâche ingrate, prenaient les plus gros risques, mais au moins ils pouvaient voir la mer, toucher du poisson frais et entier. Je n'eus jamais droit à ma chance. Moi, je cousais des voiles abîmées par les intempéries. Ce fut à cette époque que ma copine et voisine de couche mourut. Pneumonie, probablement. Mon rêve de reprendre la mer prit fin peu après. J'attendais mon tour. Pourtant, je continuais de briser la glace chaque matin pour mes ablutions, moi qui détestais viscéralement le froid. Tous ceux qui renonçaient à s'élever au matin pour cette corvée périssaient dans les deux jours.
Quand ma barbe commença à pousser, on me confia une place à l'entretien des ponts. C'était un travail parmi les plus harassants et risqués, mais la paye était majorée. La taille des gardiens aussi. Thrym était un géant que le froid ne semblait pas ronger. Nous ne rentrions pas avant que le travail soit terminé, coincés entre la muraille de notre maison et le corps du géant au sommeil léger. Au moins, son corps offrait une protection contre le vent. Et enfin, je pouvais voir la mer.
Le géant n'était pas mauvais, du moins pas plus qu'un autre gardien acceptant de surveiller des esclaves. Néanmoins, il était un obstacle.
Un soir, pendant les quelques heures où le froid s'avérait trop létal pour permettre un travail efficace, une ombre surgit. Un monstre cornu grand comme le plus grand des hommes. Nous prîmes peur au début, d'autant que la bête mettait en charpie les soldats du pont. L'espace d'une minute, nous souhaitions que Thrym l'emporte sur lui. Puis, nous comprîmes qu'il s'agissait d'un homme et qu'il était là pour nous libérer. Un Roi sans armée, un fou seul sur un damier. Pourtant, il réussit à vaincre notre gardien lors de leur second duel, après que nous dûmes le repêcher et réchauffer suite à son premier échec. Thrym mort, les soldats en morceaux sur la route de la liberté, le colosse fut clair. Il ne pouvait pas tous nous libérer, mais cherchait des bras pour agrandir son armée. Le suivre signifiait tout abandonner, là à l'instant, pour voguer avec lui et son complice Capitaine vers des terres plus chaudes. J'ai pensé à ma mère, toujours enfermée dans les blocs. Mais j'ai aussi pensé à ma chance unique de sortir. Je l'ai suivi, comme la plupart d'entre nous. Après une sélection sommaire, je fus ravi de voir que je faisais partie des rescapés. Une nouvelle vie s'offrait à moi.
Bien entendu, sacrifier tout ce que j'avais ne fut pas facile. Quel sort pour ceux du bloc des déserteurs ? Est-ce que ma mère comprendrait mon choix ? Pourrait-elle survivre sans nos moments de convivialité pour tenir le coup ? Des tourments qui me reprenaient chaque soir, puis disparaissaient au réveil avec mon nouveau travail. Car Minos était aussi clair que la marine de Tequila Wolf. Notre place valait cher, nos vies rien du tout. Si nous voulions connaître la joie de vivre, ce serait par celle de tuer.
Mon nouveau métier de soldat me plaisait. C'était dur, mais on mangeait beaucoup et notre Roi nous motivait bien. Surtout, il nous parlait de son royaume comme un endroit pour les braves, dont nous voulions tous faire partie. J'ai tué, de plus en plus facilement. Des animaux à la chasse d'abord, puis des hommes. Notre arsenal était de la pure récupération de matériel militaire. Minos s'était allié avec des pirates ayant sévi sur les Blues et prêts à affronter Grandline. Les mois ont passé, notre armée a pris en ampleur. En tant que marin, j'étais de permanence au Mujinzoo, le navire du Capitaine rouge. Cohabiter avec des pirates se faisait de plus en plus naturel, nous devenions comme eux.
Arrivé à Grandline, l'entraînement s'intensifia. le risque, aussi. Nous avons perdu le Capitaine, mais vaincu un for de la mouette et conquis sa ville. Minos trouva même le trésor de l'île qu'il rebaptisa Union John. La même conquête se fit à l'île suivant, celle des Animaux. Là, nous devions construire un nouveau navire, pour que tous puissent embarquer à bord. En effet, un géant du nom de Braff nous accompagnait désormais. Je semblais voué à partager mes années avec des êtres démesurés.
Trois ans ont passé. Je devrais être ravi de bientôt reprendre la mer. pourtant, une chose en moi est cassée. J'ai admiré Minos pour ce qu'il était: un guerrier. Aujourd'hui, je réalise tout le sens de ce mot. Il dépend de la guerre. Il doit se battre pour s'accomplir. Le Royaume est encore loin, mais plus personne ici ne fait de son ralliement une priorité. Les légionnaires veulent se battre, tuer et dominer. Je me sens comme étranger à tout ceci. De plus en plus, ma mère revient dans mes cauchemars. Ce matin, c'était Minos. La vérité, c'est que j'ai peur, après avoir vu l'autocondamnation de la voie du guerrier. J'ai peur de vouloir devenir comme lui, de ne plus jamais pouvoir croire en un monde meilleur, en un avenir plus clément. Mourir au combat, c'est bien quand on n'est qu'un adolescent qui a tout perdu. Aujourd'hui, je suis un homme. Je mesure plus de deux mètres et ai plus de cicatrices sur le corps qu'un tueur de requins.
Il est temps pour moi de partir. Lorsque le soleil sera au zénith, je prendrai mon destin en main.
Dernière édition par Minos le Jeu 4 Avr - 14:49, édité 1 fois