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Là où tout commence...



    La ville où tout commence et tout se termine…

    Mais cela avait-il seulement commencé ? Ou n’était-ce au final qu’une marche sur place ? Une lutte acharnée et vaine depuis le départ ? Je ne sais pas. Cela valait-il seulement le coup ? Je ne sais plus. Qu’ai-je fait de travers ? Je l’ignore. Que faire à présent ?

    Le soleil se lève.

    Il se raille de ma personne, de mon existence. Chaque jour il est le même. Inchangé, il poursuit sa route sans qu’on ne puisse rien y faire. Ce monde est-il façonné sur le même schéma ? Ne rien pouvoir faire d’autre qu’essayer ? En vain ?

    Je ne me souviens de rien. Ou peut-être que je cherche à oublier ? Les soldats de la marine qui défilent dans la rue me rappellent où je me trouve : Logue Town. La ville où tout commence et tout se termine… Mais eux ne me reconnaissent pas. Ils ne me reconnaissent plus. Plus depuis la bataille de Thriller Bark… J’ai fui Armada. J’ai pris une nouvelle apparence et rejoins un navire de la translinéenne.

    Me voici donc à East Blue. Là où tout a commencé… Omyage était mon île natale, détruite par un Buster Call. Je me souviens encore. J’entends les bombardements qui font trembler la terre. Mes mains tremblent encore sous les secousses…

    De là est né mon désir de vengeance à l’encontre du gouvernement. Je voulais les plier par la force, les soumettre et les obliger à supprimer ce dispositif qu’est le Buster Call. Alors je suis devenu pirate. J’en ai fait des crimes sur cette mer. Même ici, là où tout commence. J’en ai fait des choses, et pourtant qu’ai-je obtenu en retour ? Le soleil se lève comme chaque matin, inchangé comme ce monde dans lequel je vis.

    Inchangé ? Non. Bien des choses ont changé. Mais pas les bonnes. Avant j’étais jeune. J’avais des désirs plein la tête et je croyais l’impossible possible. Les Saigneurs. J’avais rejoint ce brillant équipage mené par le très célèbre Tahar Tahgel. Un homme fort et puissant, que j’ai suivi jusqu’aux tréfonds d’Impel Down d’où nous nous sommes évadés. Un homme pour qui tout était permis.

    Un homme mort.

    Alors j’ai suivi Red, ou Rossignol pour les intimes. Lui aussi est très célèbre. Trop peut-être. Il a uni bien des criminels et a fondé une nouvelle nation mobile pour nous autres pirates : Armada. Il en était le chef, le saint patron, craint et redouté de tous. Tout lui était possible.

    Fauché par la grande Dame lui aussi.

    Que me reste-t-il à présent ?

    Le soleil se couche comme il s’est levé. Là où tout commence, et tout se termine…
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    Les rayons du soleil me tirent de mes songes. Ou de cauchemars ? L’aube se pointe déjà et réveille tous ceux qui comme moi dorment dans la rue. Peut-être est-ce pour cela qu’on ne me reconnaît pas et qu’on me laisse tranquille au sein de Logue Town ? Qui irait croire que le vieux clochard nappé d’un tissu noir et troué est en réalité un dangereux pirate ?

    Dangereux… De qui je me moque ? Tahar et Red étaient dangereux. Je n’arrivais même pas à leurs chevilles. Et pourtant ils ont tous deux échoués… Eux qui étaient des monstres de force brute et de cruelle sagacité. Ils avaient tous. Dorénavant, ils ne sont plus rien.

    Je me lève lentement, non à cause de la fatigue, mais parce que je n’ai pas l’envie de faire quoi que ce soit. Je suis une enveloppe vide qui suit le même schéma chaque jour, comme l’inlassable course du soleil et de la lune. Mes pas dénués de sens me mènent jusqu’à la chapelle. La même chaque matin où je viens me recueillir comme tant d’autres, et où j’obtiendrai mon pain quotidien une bonne heure plus tard.

    Une seule heure mais qui paraît interminable. On y accueil les croyants et les miséreux, les bourgeois et les déchets. Evidemment, nous ne sommes pas installés sur la même chaire. Les bonnes odeurs sont à l’avant et en hauteur, près de l’autel ou de dieu tandis que les nauséabonds sont à l’arrière, entassés près de l’entrée.

    Je suis à l’arrière.

    J’ai toujours été à l’arrière. Derrière quelqu’un. Dans l’ombre d’un autre nom. Tahar et les Saigneurs. Red et l’Armada. Même à présent, je suis derrière une apparence qui ne m’appartient pas. Mais, qu’est-ce qui m’appartient vraiment ? Je peux changer de peau comme de chemise, j’ai le choix de l’identité que je souhaite endosser, et pourtant je ne suis rien. Rien qu’un pouilleux qui attend son pain avant de retourner moisir dans la rue, à attendre que le temps s’écoule. Hélas, il s’écoule lentement, le temps. Cruelle constante qui ne panse aucune plaie, mais qui les rappelle sans cesse.

    Comme cette lame, Shusui, que je garde caché tout contre moi. Une lame renommée qui fut dérobée ici, sur les Blues, par un autre pirate et moi-même. Timuthé N. Tempiesta qu’il s’appelait… Probablement mort lui aussi. Comme les autres. Comme tout le monde…

    Oh Seigneur, si vous êtes là répondez-moi. Est-ce là votre souhait ? D’avoir bâti un monde où rien ne change ? Où tout demeure tel que vous l’avez décidé ? Mais sont-ce là bien vos décisions ? Avez-vous choisi la destruction de mon île natale ? Avez-vous poussé ma mère au suicide ? Avez-vous demandé à Tahar de mourir ? A Red de trépasser ? M’avez-vous voulu enfermé dans l’enfer d’Impel Down, jusqu’à y perdre mon identité et mon humanité ?

    Si c’est bien là votre œuvre, expliquez-moi. Pourquoi m’avoir libéré d’un enfer pour me précipiter dans le suivant ? Pourquoi offrir aux autres le repos éternel et me laisser la tourmente infinie ?

    Pourquoi suis-je encore en vie ?
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    Le soleil se couche comme il s’est levé. Sans changement aucun. Je suis toujours là, dans la rue à attendre et à demander. Quoi ? Je demande la mort et je l’attends. Ou plutôt : je demande pourquoi la vie, mais la prière ne me fournit aucune réponse. Alors, comme de nombreuses nuits, je médite dans la pénombre, Shusui sous mes yeux.

    Cette nuit-là, le ciel crache son chagrin. Je suis déjà trempé jusqu’aux os mais ça ne me dérange pas. La pluie interrompt ce silence si pesant, si lourd de remords. Je ne ressens pas le froid. Pas celui-ci en tout cas. Il est chaud en comparaison à l’enfer glacial d’Impel Down.

    A côté de moi, un petit bol git par terre lui aussi. Il contient quelques pièces récoltées la veille par des passants. Le bol lui-même provient d’un civil. Mais certaines des pièces sont de soldats de la marine… Dire qu’un temps je cherchais à tuer tous ceux qui portaient cet uniforme. Et là, voilà que je reçois leur pitié ? Je n’avais même pas la force de réagir, de me révolter, de les insulter…

    A quoi bon ? Rien ne changera, comme le soleil qui se lève et se couche sans cesse. Alors pourquoi rester ? Ma main caresse doucement le tranchant de la lame, comme fascinée par son éclat. Elle aussi n’a pas changé : toujours aussi coupante malgré les luttes et les guerres. Elle a tranché, elle tranche et elle tranchera encore après moi. Sans doute mérite-t-elle un meilleur bretteur que moi ?

    Qu’est-ce que j’attends ? Une réponse qui ne vient pas. Alors pourquoi rester à l’attendre ? Pourquoi y retourner chaque matin dans ce vain espoir ? Pourquoi ?

    Jusqu'à cette nuit.

    Cette nuit où je prends Shusui à deux mains, la lame tournée vers moi, las d’attendre ce qui n'arrive pas. Je choisis ma propre réponse. Je décide de rejoindre les autres, d’arrêter cette lutte incessante et vaine qui ne m’apporte que souffrance. Je prends la décision de mourir.

    Un geste vif, la lame cogne contre mon thorax mais ne le traverse pas. Les seules gouttes qui perlent sur le sabre sont la pluie. J’abaisse alors le regard et remarque une peau noire là où Shusui aurait dû passer. Le Haki de l’armement…

    Pourquoi ? Suis-je trop faible pour changer le monde, mais aussi pour mourir ? La pluie étouffe ma frustration tandis que je tiens ma lame plus fermement dans mes mains. Le feu contre le feu, Shusui devient noire comme ma peau. Le Haki de la vie contre celui de la mort. Le même Haki issu de deux volontés distinctes. Cette fois sera la bonne.

    Le tonnerre gronde. Est-ce un signe ? J’arme mon bras. La foudre tombe à côté, retenant mon attention et déviant la frappe. Shusui me poignarde mais évite le cœur. Est-ce sa réponse ? Que je dois vivre ? Mais il est trop tard. Le sang chaud macule mes vêtements et s’écoule le long de mon arme. Je n’ai plus qu’à attendre sagement la Faucheuse.

    Le soleil aura beau se lever, quelque chose aura changé cette fois. Je ne serais plus là. Je n’ai plus qu’à m’endormir dans ce sommeil éternel pour quitter ce monde infâme. Pour quitter la douleur.

    Alors bonne nuit le monde.
    Bonne nuit et adieu.
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    Le soleil se lève. Sa lumière me réveille doucement. Il voyage jusqu’en enfer ? Jusqu’en outre-tombe ? Pourtant je reconnais ce pavé et ces murs. Je reconnais cette rue et cette île. Logue Town ? Où diable sont ma famille ? Ma mère ? Le maire qui m’avait adopté ? Tahar ? Red ? Où sont-ils tous ?

    Je suis affalé sur le flan, Shusui gisant à côté. Je me redresse doucement en grimaçant : une légère douleur au thorax. Je tâte avec ma main mais ne trouve aucune blessure, aucune plaie, aucune lésion. Et alors je remarque la forme de ma main. Ou plutôt mes doigts : crochus comme une seringue. Je m’étais injecté une dose hormonale ? M’étais-je soigné alors que je sombrais vers les tréfonds de la mort ?

    Pourquoi ? Je ne le voulais pas, et pourtant il semblerait que si. Pourquoi ? Seigneur ? Pourquoi me laisser vivre ?

    J’ai besoin de réponse.

    Alors je me lève, cache Shusui sous ma cape trouée et pleine de sang séché, et je me dirige une nouvelle fois vers la chapelle. Pourtant, ça n’est pas encore l’heure du culte ou de la messe. Mais je ne peux attendre.

    J’ai besoin de réponse.

    J’entre dans la chapelle vide et me dirige vivement jusqu’à l’autel. Là, je m’agenouille et pose les bras en croix. J’expire profondément avant de lever la tête vers le lieu sacré. Crains-je la réponse ?

    « Pourquoi m'obliger à vivre ? »

    Si c’est pour reproduire inlassablement la même boucle ? Espérer vainement, lutter contre l’impossible, et retourner dans l’enfer de la réalité. Qui perdrais-je la prochaine fois ? Furtivement, mon regard se pose sur mon poignet cinglé d’un bracelet qu’Izya m’avait offert. Sera-t-elle la prochaine ?

    « Pourquoi m’empêcher de mourir ? »

    Derrière, l’homme de dieu fait irruption dans la nef après avoir entendu du bruit. Il me demande ce que je fais là, puis remarque ma tenue et le sang. Il me demande de sortir. Ne voit-il pas que je suis en pleine discussion avec son Seigneur ? Il m’empêche de l’entendre. D’entendre la réponse. Celle dont j’avais besoin.

    « Silence ! »

    Une énergie longuement oubliée s’échappe et assomme l’homme de dieu qui s’écroule dans la nef. Le silence revient comme il a été demandé. La parure des rois. Le Haki… Rares sont ceux qui la porte. Des élus destinés à de grandes choses ? Je n’y crois pas un mot. Tahar l’avait. Red l’avait. Le monde n’a pas changé. Simple raillerie du destin et du hasard. Moquerie du Seigneur.

    « Pourquoi avoir fait tomber la foudre ? »


    Celle-là même qui empêcha le coup mortel ? J’interroge mon avenir, je questionne de ces mots qui me brûlent les lèvres, je demande ce que je ne comprends pas. J’ai besoin de réponse.

    Mais je n’obtiens rien.

    « Qui me prendras-tu encore ? »

    Seul le silence pèse sur mes nerfs fragiles. Les desseins du Seigneur, si tant est qu’il existe, sont incompréhensibles.

    Mais je suis bien décidé à ne pas lui laisser le dernier mot. Je ne retournerais pas dans son cycle infernal. Je trouverais le moyen d’échapper à son emprise. Je trouverais le moyen de provoquer ma chute.

    Aujourd’hui, je vais mourir.
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