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Courses et échauffourées

Malgré le soleil baignant dans la mer azur presque immaculée du ciel, il y avait beaucoup de vent ce jour-là à Manshon. Jaros en était très content, puisque ses vêtement pouvaient ainsi sécher plus vite; son trench et son pull pendaient d'ailleurs à une corde derrière lui, généreux prêt des Marines, qui laissaient les civils utiliser leur matériel de lessive gratuitement, tant que l'on ne posait pas de problèmes. En chemise et pantalon, le jeune homme patientait, assis sur un muret face à l'océan, regardant les vagues et l'écume s'étendant jusqu'à l'horizon. Portés par les bourrasques, tout le tintamarre du port lui parvenait également, charriant avec lui les odeurs d'une activité fiévreuse et enivrante, véritable bouffée d'air frais malgré le corsé de beaucoup de fragrances, par rapport à l'atmosphère mortuaire des quartiers centraux de la ville; la reconstruction s'était faite en priorité ici, en toute logique, et tout y respirait un renouveau plus que bienvenu.

C'était comme si le blocus ne s'éloignait du paysage qu'au port. Ailleurs, son ombre était omniprésente, rehaussant sinistrement la misère installée qui régressait doucement, trop doucement. Le pire, dans tout cela, c'est que manifestement c'était le rejet brutal de la mafia par la population qui rendait la reconstruction si lente et chaotique. La Révolution des Chrysanthèmes avait été in fiasco total, un acte spontané et pur stoppé net par le mur d’organisation net d'expérience des Familles. *Une vraie leçon de politique, en un sens...* Manshon semblait condamnée à vivre en premier lieu par la mafia, qu'on le veuille ou non. Au moins l'île était-elle à nouveau ouverte vers l'extérieur.

L'idée de quitter Manshon et partir en mer avec un équipage était passée de nombreuses fois par l'esprit de Jaros, jamais cependant il n'avait conclu que ce soit une bonne idée. Outre l'attachement profond qu'il avait pour son île de naissance, un sentiment très net qu'il avait "quelque chose" à accomplir ici avant d'aller ailleurs l'habitait. Aussi irrationnel puisse cela être, le jeune homme était très sérieux à ce sujet. Tout ce qui s'était passé dans sa courte existence était ici, et il ne pourrait décemment laisser cela derrière lui avant d'y mettre au moins une forme de conclusion personnelle; que ce soit vis à vis de sa mère ou... Tout ce qui tournait autour d'elle, à dire vrai. Il n'aimait pas y penser directement, mais il fallait bien admettre que le sujet était souvent là, en tapis de fond de son esprit.

Un bruit suspect derrière lui le fit se retourner, pour apercevoir quelque chose qui fit se hérisser ses cheveux sur sa nuque.

- Hé là, arrêtez-le !

Le cri de Jaros ne serait pas de grande utilité, et il le savait, mais ce fut plus un réflexe qu'autre chose. En parallèle, il bondit et se lança de suite vers son trench et son pull qui se faisaient la malle. Pas tout seul, évidemment; quelqu'un venait de les décrocher et de tenter de les lui voler à la sauvette. Ce n'était pas la première fois que cela arrivait, mais il s'était montré particulièrement peu attentif, attendri par la douceur du soleil et les méandres de ses intimes pensées, sans doute. Maintenant il devait courir aussi vite qu'il le pouvait pour combler le retard qu'il avait. Le bougre qui tentait de profiter des maigres biens du jeune homme était rapide, qui plus est.

Le voleur se dirigeait vers les docks; c'était soit une aubaine soit la pire des situations. Jaros, empli par la volonté farouche de ne pas perdre encore d'autres effets (il en avait bien assez peu), dut bientôt slalomer entre les badauds pour progresser, voyant avec angoisse sa cible ne pas se rapprocher de lui. *Comment fait-il pour courir aussi vite que moi, le bougre ?!* Esquivant de justesse la collision avec un chariot rempli de tonneaux, il assista au renversement intempestif d'un chargement de pommes, qui se mirent à rouler de tous cotés sur le sol.

- Dégagez, dégagez !

Une occasion qu'il ne devait pas rater. Se penchant pour ramasser un des fruits de la main gauche, il affirma sa prise dessus, et se prépara. Lorsque la voie se libéra entre lui et sa cible, il la lança de toute la force de son bras, d'un ample mouvement. Jaros se demanda s'il allait pouvoir toucher à l'instant où le voleur poussa un cri de surprise, touché en plein dans les lombaires par le projectile, qui se disloqua en morceaux pulpeux. Grande satisfaction éprouvée sur le moment, instantanément tempérée par l'idée que peut-être il y avait été un peu fort; sa force était après tout suffisante pour fissurer les os de la majorité des petits délinquants. Ce que le jeune homme n'avait pas prévu, en revanche, c'était que la vitesse du fuyard, couplé à l'impact brutal, le faisait tomber tête la première sur un badaud distrait qui passait par là.

*Manquait plus que ça...* Comblant en quelques enjambées l'espace qui le séparait de ses affaires, Jaros les ramassa prestement, avant de soulever sans ménagement le voleur, le traîner plutôt, avant de le bloquer d'un pied ferment appuyé.  Puis il s'attela à s'occuper du pauvre inconnu qui avait fait les frais de tout ceci.

- Tout va bien ? Je suis navré pour cela, vraiment.

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C’était une journée désagréable : dégagée, ensoleillée et venteuse. Tout ce que détestais Krypt. Il n’était nulle part plus à l’aise que lorsque le ciel était couvert de lourds nuages noirs, lorsqu’il pleuvait ou faisait de l’orage… Ou encore quand il faisait nuit ! Mais il se tenait là sur les docks, appuyé sur sa canne au pommeau d’argent et il attendait le navire qui le mènerait au Nid de Vache où il pourrait rencontrer son informateur. Comme chacun le sait il est impossible d’atteindre le Nid par ses propres moyens. Située à 30 miles marins de Manshon l’île était au beau milieu d’une mer infestée de vaches marines qui pouvait faire chavirer un navire en quelques secondes. Une fin peu glorieuse qui avait dissuadé le jeune baron d’atteindre le Nid par ses propres moyens.

Il avait en poche un document fourni par son informateur et qui lui permettrait d’embarquer à bord du navire des Audifreddi. La famille Audifreddi contrôlent le Nid et ils sont les seuls à savoir comment y accéder sans rencontrer de problème avec les vaches marines. Et c’est à cause de ce fait précis que Krypt se retrouvait forcé d’attendre sur les docks de Manshon, au milieu d’une cacophonie désagréable mêlant les cris de quelques marchands, les cris des marins qui s’affairaient sur les navires ou sur la terre ferme et les rires et autres conversations des badauds.

Il y avait du monde aujourd’hui et le jeune homme repéra quelques personnes qui semblaient également attendre le navire, notamment un grand homme qui portait une longue moustache, accompagné d’une petite femme plutôt ronde et de deux hommes de main pas commodes. Krypt les observait derrière les verres de ses lunettes teintées pour patienter.

Ghoul s’agitait sur son épaule, il n’aimait pas la foule non plus et se sentait vulnérable. De plus il avait repéré un groupe de gamins qui jetaient quelques graines sur le sol et qui faisaient de petits bruits avec leurs bouches pour le faire s’approcher. Le plus grand d’entre eux tenait un sac vide derrière son dos et il n’était pas difficile de deviner que l’un des passe-temps favori de ces garnements était de capturer des oiseaux pour s’amuser avec eux. En temps normal ils se seraient contentés des nombreuses mouettes présentes sur le port mais un corbeau était une prise inhabituelle et dieu sait ce qu’ils comptaient faire de Ghoul s’ils l’attrapaient.

Soudain les voiles du navire apparurent à l’horizon et Krypt se permit un léger sourire mental. Il s’avança d’un pas décidé à travers la foule vers le quai où allait accoster le bateau et remarqua que l’homme à la moustache et son groupe faisaient de même. Ghoul fixait toujours de ses yeux rouges le groupe de gamins qui ne le quittaient pas des yeux en retour. Ils étaient donc tous deux distraits et ne firent attention ni à la course poursuite qui semblait se rapprocher, ni aux cris du poursuivant, et encore moins au fuyard qui fonçait droit sur eux. Les réflexes de Krypt ne prirent le relai que trop tard. Il sentit la collision imminente et fit volte face canne en main, Ghoul de son côté s’envola en poussant un petit cri surpris.

Le fuyard, qui regardait derrière son épaule pour voir où en était son poursuivant, releva la tête au dernier moment et tenta de dévier sa course. Mais au même instant il sembla violemment propulsé en avant et poussa un grognement de surprise en percutant Krypt qui poussa lui aussi un grognement de douleur en sentant sa mauvaise jambe fléchir sous l’impact.

Ils tombèrent à la renverse sur le sol en pierre des docks puis une main sembla saisir le fuyard et le traîna sur le côté. Krypt vit le visage d’un jeune homme apparaître dans son champs de vision, l’air légèrement gêné. Il lui demandait si tout allait bien… Ghoul se posa à côté d’eux et poussa un petit croassement moqueur à l’intention de son maître. Krypt se releva en ignorant l’aide que lui proposait l’inconnu et épousseta son long manteau noir. Il jaugea le jeune homme en face de lui derrière ses lunettes teintées. Il était grand, aussi grand que Krypt et plutôt fin. Ils devaient avoir le même âge. Il ne paraissait pas spécialement fort mais Krypt avait appris à se méfier des apparences, et un examen un peu plus prolongé lui permit de remarquer les muscles solides sous la chemise que l’inconnu portait.

Puis il jeta un oeil à celui qui l’avait bousculé et qui tentait visiblement de se faire tout petit sous le pied de l’inconnu. Il n’était pas bien vieux lui non plus et ne devait pas avoir plus de 17 ans. Un jeune voyou comme on en voit beaucoup sur Manshon depuis La Révolution des Chrysanthèmes ; des jeunes qui vivent dans la misère et tentent de survivre comme ils le peuvent, le plus souvent en volant. Ghoul vint se poser sur l’épaule de son maître et poussa un croassement plus discret pour alerter son maître.

Krypt remarqua alors que la petite troupe de gamin qui tentait de capturer Ghoul quelques instants plus tôt se rapprochait discrètement derrière le jeune homme et l’encerclait progressivement. Le plus grand d’entre eux faisait des signes au jeune voleur toujours coincé sous l’inconnu et ce dernier tentait de lui répondre discrètement. Krypt porta de nouveau son attention sur l’inconnu et désigna les vêtements qu’il avait arraché aux mains du voleur.

-A mon avis tu devrais être un peu plus attentif à tes affaires… et à ton environnement immédiat.
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Jaros se demanda d'emblée comment il n'avait pas immédiatement vu le corbeau. Le plumage lustré et manifestement bien nourri, c'était un animal de compagnie à n'en pas douter, au regard luisant d'intelligence; une belle bête, vraiment. Son maître, quant à lui, était d'un gabarit très semblable au vagabond de Manshon, grand et maigre, teint tout aussi pâle et cheveux tout aussi sombres, ils étaient cependant plus longs; ses traits étaient également moins délicats. Détail intriguant, il portait des lunettes aux verres fumés, interdisant aux yeux de Jaros de contempler les siens, et avait une canne à pommeau métallique, représentant un crâne de corvidé. *Curieux...*

L'hypothèse de la cécité fut cependant promptement écartée lorsque l'énergumène se releva. Trop assuré dans ses gestes, et le roulement du petit bout de paupière visible dénotait un regard actif et bien vivant. Vêtu comme un fossoyeur, il refusa la main qui lui était tendue, préférant sa canne, puis entreprit de chasser toute saleté ayant pu se déposer sur lui avec sa chute. Après quelques coups d’œils intrigués autour de lui, il répliqua d'une voix rogue et plutôt sèche.

- A mon avis tu devrais être un peu plus attentif à tes affaires… et à ton environnement immédiat.

- Je ne nierai pas avoir eu un instant déplorable de distraction, mais de la part de celui qui a été pris au dépourvu de fort semblable manière à la mienne... Quoique je suis mauvaise langue, sans cela j'aurais peut-être eu du mal à ne pas laisser ce petit cafard s'échapper.

Jaros ponctua le mot "cafard" d'une petite poussée du talon dans les lombaires de son petit voleur, le coupant dans ses tentatives de communiquer et lui arrachant un gémissement fort déplaisant. Le jeune homme n'appréciait guère la violence, mais qu'on essaie de le voler, lui, alors qu'il était tout autant à la rue et vivant sur le fil que ces myriades de petites frappes, il ne pouvait le laisser passer avec clémence. Comme des cafards, ils se cachaient et couraient rapidement et silencieusement dans votre dos, au lieu de travailler pour avoir de quoi subsister. Aussi opiniâtres et difficiles à déloger qu'ils étaient nuisibles, à ses yeux; surtout que, comme ces insectes, ils proliféraient dans la misère et la crasse et semblaient s'y ébattre plus que chercher à en sortir.

Jetant un regard lourd de sens à ceux qui se mouvaient dans la foule clairsemée autour d'eux, il se pencha brièvement pour fouiller avec une rapidité qui témoignait d'une triste habitude le voleur, trouvant une montre à gousset à la couleur dorée ternie par les rayures du temps, ainsi que des billets roulés et une épingle à cheveux. *Si un seul de ces objets est à lui, je veux bien lui donner ma paie...* Avant qu'il ne puisse se plaindre, il appuya une seconde fois du talon, et se releva tout en rangeant ce qu'il venait de trouver dans la poche de son trench encore posé sur son bras. Ses yeux, sauf pendant la petite seconde de fouille, n'avaient pas quitté l'inconnu en noir.

- On dirait que je suis loin d'être le pire en la matière, en outre, vu ce qu'il a dans les poches. J'amènerais bien le voleur avec son butin à la Marine, mais ils ne font que les relâcher, après une petite correction et un repas, parfois. Pas assez d'effectifs pour les forcer à travailler.

Son ton signifiait clairement que Jaros considérait que cette dernière option serait la bonne marche à suivre. Il y avait besoin de main d'oeuvre, après tout, et un encadrement solide serait nécessaire pour remettre cette petite racaille sur le droit chemin. Il les plaignait, en un sens, après tout ils n'avaient pas plus demandé que lui que la Mafia n'ai telle emprise sur Manshon, et détruise l'île en s'attirant les foudres du Gouvernement Mondial, laissant un peuple meurtri après un blocus long et dévastateur. Il ne formula rien de tout cela à voix haute.

Les autres cafards étaient autour d'eux, et il y en avait plusieurs derrière lui, il le savait bien. Sans crier gare, il attrapa leur petit compatriote par le col, le soulevant aisément du sol, et en faisant volte face le jeta avec une force très modérée sur eux. Ils étaient quatre, et ne s'attendaient pas vraiment à ça, aurait-on dit. Deux se le prirent en plein estomac, le troisième reçut un genou dans le tibia, le dernier ne faisant que sursauter, son visage ingrat complètement ahuri. Il n'y eut pas besoin de dire quoi que ce soit, ils décampèrent dès qu'ils purent, se bousculant et se marchant les uns sur les autres sans ménagement.

Il vit en revanche en se retournant que, derrière le jeune homme aux lunettes noires, d'autres petits voleurs semblaient plus que près à tenter leur chance. Un croassement sonore se fit alors entendre, surprenant quelque peu Jaros qui s'apprêter à reprendre la parole et remettre ses vêtements.

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La répartie de l’inconnu agaça profondément Krypt. Certes il avait eu un moment de distraction et s’était un peu trop reposé sur Ghoul pour l’alerter en cas de danger… Mais tout d’abord il ne pouvait deviner que Ghoul avait lui aussi été distrait à ce moment et ensuite il ne le reconnaîtrait jamais à voix haute, hors de question. Ni devant cet homme, ni devant personne. L’inconnu quant à lui était impassible et semblait parfaitement sûr de lui… un autre point commun entre eux.

Le plus important dans l’attitude de l’inconnu selon Krypt était qu’il ne faisait preuve d’aucune compassion. “Cafard”, c’est le terme qu’il avait employé pour désigner le jeune voleur et c’est exactement la façon dont il le traitait. Il l’écrasait sous son talon, n’hésitant pas à appuyer et sans faire aucunement preuve de compassion, insensible aux gémissements de celui-ci. Et il semblait désormais clair pour Krypt qu’il avait repéré les voleurs qui s’approchaient discrètement de lui. Néanmoins il prit le temps de faire les poches de sa victime tout en focalisant son attention sur le jeune baron. Il restait attentif et calme et Krypt se mit d’accord avec lui même sur le fait qu’il était dangereux et à ne pas surestimer.

Puis survinrent deux faits qui surprirent tant Krypt qu’il ne pu s’empêcher de lever un sourcil. Tout d’abord l’inconnu fit mention de la marine et ne semblait avoir aucun problème à entrer en contact avec elle. Il déplorait même leur manque d’effectif… Pendant un instant le jeune baron avait cru en se basant sur son attitude et sur son apparence que l’inconnu se tenait plutôt de l’autre côté de la loi et qu’il était du genre à profiter de ce manque d’effectif. Les sens de Krypt se mirent donc en alerte, pour le moment il devait se méfier de l’inconnu.
Le deuxième événement ne fit que confirmer que sa décision était la bonne. Il agrippa sa victime et la propulsa vers les voleurs qui continuaient de se rapprocher, ce qui les mit visiblement en fuite. Mais ce qui étonna Krypt était qu’il l’avait fait avec une étonnante facilité et le jeune baron aurait mis sa main à couper qu’il n’avait pas mobiliser toute sa force pour ce faire. C'était le geste d’un humain qui écrasait négligemment un petit groupe de cafard.

Quand il se retourna de nouveau vers Krypt il semblait regarder quelque chose derrière le jeune baron. Visiblement quelques voleurs avait décidé de changer de cible. Cette déduction fut confirmée par le croassement de Ghoul qui alertait son maître : ils étaient tout proche.
Krypt s’autorisa un petit sourire mental et ses yeux plongèrent dans ceux de l’inconnu. Il avait visiblement été surpris par le cri de Ghoul et s’était quelque peu figé. Chacun son tour après tout, il n’était pas le seul à pouvoir s’autoriser une petite démonstration de force.

-Le grand défaut des cafards c’est qu’ils sont bornés. C’est à nous de leur apprendre les limites à ne pas dépasser… Voici donc ma première leçon : que diriez vous d’une petite Danse avec la Mort ?


Le jeune baron fit volte face et sa canne faucha les jambes du petit voleur le plus proche qui s’écrasa contre le sol. Krypt s’assura qu’il y resterait en lui enfonçant le bout de sa canne dans la poitrine. Puis d’un geste ample il frappa un second voleur au cou qui s’effondra comme un pantin sur le sol. Ils n’étaient que trois et le sang sembla quitter le visage du dernier sous le coup de la peur. Il ne devait pas avoir plus de 11 ans… Il tenta de fuir mais Krypt ne l’entendait pas de cette oreille. On ne quittait pas un cours avant la fin de la leçon.

Ghoul prit son envol et tournoya autour du petit fuyard. L’angle de tir était dégagé, la main qui ne tenait pas la canne se referma autour de la crosse de son pistolet. D’un geste rapide Krypt dégaina en brouillant ses mouvements grâce à ceux de son long manteau noir. Ghoul poussa un ultime croassement, déchirant, à faire dresser les poils de ceux qui l’entendaient. Krypt appuya sur la détente, la détonation fut couverte par le puissant croassement, le jeune voleur s’effondra sur le sol, tout cela en quelques secondes. Puis Krypt rengaina son arme fumante et se retourna de nouveau vers l’inconnu.

-Cette journée était de Mauvaise Augure pour eux.


Ghoul revint se poser sur le bras tendu de son maître et ses yeux rouges se fixèrent sur l’inconnu. Les yeux de Krypt se posèrent sur celui qu’il avait frappé au cou. Sa tête était incliné dans un angle étrange. Celui qu’il avait cloué au sol gémissait légèrement. Krypt haussa les épaules et reporta son attention sur le jeune homme en face de lui.

-La leçon est finie. J’y suis peut être allé un peu fort.

Autour d’eux la foule s’était écartée et avait formé un cercle. Certains étaient choqués, d’autres curieux, d’autres encore fixaient le corvidé qui avait poussé ce cri d’outre-tombe mais nuls ne voulaient approcher les deux jeunes hommes qui se faisaient face. Quelques personnes se penchaient sur l’enfant qui s’était effondré dans sa fuite à quelques mètres derrière Krypt. Un silence pesant couvrait la scène.
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Jaros compris qu'il avait commis une erreur grossière un peu tard.

Le jeune au corbeau avait eu une expression difficile à déchiffrer en recevant ses paroles, surtout avec ces lunettes noires, mais il était flagrant qu'il ne ressentait pas d'émotions agréables, loin de là; un mauvais caractère, très probablement, entretenu par une condition physique ingrate, une de ses jambes semblait en effet défaillante. Le profil approximatif qu'il était possible de tracer dénotait d'un énergumène soit déséquilibré, soit ayant une reçu une éducation pour le moins spécieuse. Ce "nous", particulièrement, était dérangeant, ni servile ni spontané, mais indéniablement dérangeant. *Pour qui me prend-t-il, c'est la grande question.* C'est lorsqu'il se mit à agir que les choses prirent un tournant fâcheux.

Malgré sa jambe, ce maigre inconnu de noir vêtu bougeait avec rapidité et précision. Contrairement à Jaros cependant, il n'eut pas l'air de chercher à retenir ses coups. Les voleurs, conditionnés par ce qu'ils venaient de voir, ne s'attendaient pas un seul instant à ce que ce boiteux leur résiste, encore moins comme il le fit. C'est en entendant un craquement bien reconnaissable que la compréhension se fit pour le vagabond. Réflexe assez honteux, il n'alla cependant pas s'interposer, ne serait-ce que parce que l'autre avait une arme à feu probablement fonctionnelle, et qu'il serait difficile de prouver que ce qui s'était réellement passé; enfin, en réalité c'était surtout une habitude prise pour éviter les ennuis, et de se faire égorger dans son sommeil une nuit où il ne serait pas assez attentif. Il ne put en revanche retenir une injonction verbale très sèche qui se perdit dans le bruit du coup de feu et du croassement rauque du corbeau, alors que devant lui se faisait abattre comme un moins que rien le dernier des trois voleurs.

*Quel fichu gâchis... Même les cafards peuvent prendre leur envol; Manshon mourra si ses enfants se perdent tous dans des échauffourées.* Jaros, l'expression plus glaciale que jamais, enfonça son regard dans le noir des verres fumés, et écarta une mèche de cheveux qui commençait à aller devant son œil gauche, révélant brièvement sa petite oreille nacrée. Bien conscient de ne pas être impressionnant pour un sou, le jeune homme n'en avait cure sur l'instant; une frustration latente mais très prononcée émergeait du fait qu'il se sentait redevable de cet homme qui venait de montrer clairement son mépris de toute autre justice que celle, malsaine et déformée, qui était propre à sa personne.

- Leçon ? Étrange leçon que celle qui ne peut être retenue et appliquée. Qui es-tu, pour te targuer d'en donner ainsi ?

Puis, s'avançant pour se pencher sur les victimes de cette "leçon", le jeune homme vérifia le pouls des deux voleurs inertes. Morts, tous les deux. Voilà qui n'avait rien de très surprenant en un sens, et rien de trop inhabituel non plus, malheureusement. Ce n'en était pas moins frustrant, plus frustrant encore que de voir ces petits cafards courir et chaparder de tout coté; ici, plus d'espoir, plus de possibilité de changer, plus rien, mis à part la mort imbécile. Le dernier n'était pas mort, bien contusionné et peut-être avec une côte ou deux fêlée, mais il n'avait pas l'air d'avoir un poumon percé ou quelque chose de ce genre, au vu de sa respiration. D'une main ferme, Jaros l'attrapa par le col et le remit debout, entendant les murmures de la foule éparse s'accentuer.

- File vite, et essaie d'apprendre à la place de tes camarades.

Des yeux humides et peu expressifs lui répondirent. Le petit voleur était en état de choc, manifestement, ou en était trop proche pour avoir tout son discernement, aussi pauvre soit ce dernier. La légère poussée dans le dos que lui donna Jaros fit l'effet d'un déclic et il décampa à toute vitesse, louvoyant avec une fluidité animale entre les corps du cercle formé autour de l'oiseau de malheur. Des exclamations diverses retentirent, mais le jeune homme n'écoutait pas.

Il se demandait ce qu'il allait pouvoir faire, maintenant; laisser ce sinistre individu impuni n'est pas ce que ferait la Marine si elle n'était pas autant en difficulté, entre les mafias, la reconstruction, et le bazar que cela entraînait; ce qui équivalait à dire qu'elle ne ferait bien. Les mafias non plus n'avaient pas grand intérêt pour les vagabonds des rues, tant qu'ils ne travaillaient pas pour eux à un niveau plus important que les simples vols à la tire.

Restait que Jaros avait un sérieux problème avec ce qu'il venait de laisser faire. Au delà du simple fait qu'il considérait cela comme un gaspillage humain doublement honteux, le principe en lui-même le répugnait. Abus pur et simple, éclipsant totalement ce qu'avait pu commettre ces jeunes inconscients. Si la violence n'était jamais une solution en soi, elle pouvait en être un des vecteurs, aux yeux du vagabond, mais certainement pas en tuant pour "apprendre" à de petits délinquants. A peine relevé, il prit donc sa décision, tranchant avec sa retenue des premiers instants qui avait manifestement été une erreur. Il prit la parole d'une voix forte, tentant d'attirer l'attention de la foule alentours.

- Soyons clairs, tu ne vas pas être puni pour avoir trucidé des gamins en pleine rue, et je ne suis pas un justicier du dimanche. Mais à Manshon, on commence à en avoir marre, de tout ça.

Même avec une voix forte et autoritaire, Jaros ne pouvait intérieurement prendre cela au sérieux, tant c'était simpliste et loin de ce qu'il aurait sincèrement pu dire. Mais sonner plus convaincu qu'il ne l'était réellement par ses paroles ne fut pas si difficile, heureusement; la phrase était après tout d'un grand convenu, le genre que scandaient les gouailleurs de tavernes lorsqu'ils se sentaient l'âme d'un poète urbain révolté, sans pour autant le paraître un seul instant. Le genre de paroles qui accrochaient les réactions du commun, en général. Jaros fut donc bien satisfait lorsque quelques exclamations approbatrices et courroucées s'élevèrent; pas beaucoup, pas bien fort, mais c'était un début.

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Étrange… celui qui paraissait si sûr de lui aux yeux de Krypt il y a quelques instants semblait hésitant. Pire, lui qui paraissait sans pitié, sans compassion il y a quelques secondes s’approcha des corps, vérifia leur poul puis releva celui qui n’était pas mort avec une certaine douceur. Visiblement le premier jugement de Krypt s’était avéré incomplet. Sûr de lui le vagabond l’avait été certes, mais c’est parce qu’il était fort face aux faibles, parce que sa vie devait avoir été facile, à l’abris des dangers de ce monde, une vie tranquille. Non il n’était pas dangereux, il n’était pas fort. Car maintenant qu’il était confronté à un élément extérieur, à une jeune homme qui répandait gratuitement la mort dans son petit univers, il se rangeait du côté de ceux dont il était le plus proche, du côté des faibles, du côté de ces cafards qui ne connaissaient rien d’autre que la misère et ne voyait pas plus loin que leur simple désir de survivre un jour de plus.

Le jeune voleur s’enfuit comme s’il avait la mort au trousse, ce qui devait être le cas pour lui. Mais lui la leçon profiterait, qu’il rumine sa vengeance, qu’il s’entraîne pour que plus jamais cela ne se reproduise. Plus tard il sera peut être un loup parmi les brebis. L’attention de Krypt se reporta sur le vagabond qui le fixait désormais d’un regard froid et Krypt pu y lire frustration et colère, incompréhension et injustice.

Injustice… L’opposé de la justice, un terme inventé par les faibles et auquel ils cherchent à donner un sens. Mais ce monde n’est pas juste, il n’y a pas de bons ou de mauvais. Il n’y a que ceux qui se battent et ceux qui subissent, c’est ce que Krypt avait appris sur Zaun, dans sa famille. Le Gouvernement mondial était censé représenté la justice, mais ce n’était qu’une apparence, cette institution fut simplement créée par des êtres forts pour protéger les faibles et tous ces cafards s’y étaient accrochés, persuadés d’être protégés par le bon côté. A quoi bon protéger les faibles ? Ils se retournent contre vous dès qu’un autre fort les effraie. Ils ne cherchent qu’à survivre là où ils devraient tenter de vivre. Il n’y avait pas de place dans ce monde pour les faibles aux yeux de Krypt.

Le jeune homme en face de lui avait prit la parole. Krypt le regardait désormais avec un autre œil. Il regrettait que le jeune baron ne soit pas puni pour ses actes, il regrettait de ne pas pouvoir le faire lui même… Quel gâchis, Krypt avait en face de lui un être qui lui ressemblait physiquement et qui semblait avoir les capacités d’un fort. Mais ces capacités ne s'avéraient d’aucun secours s’il avait l’âme d’un faible. Il avait préféré reculer, se ranger publiquement du côté du peuple de Manshon, comme s’il cherchait l’appui des autres cafards qui les entouraient.

Néanmoins Krypt avait tout de même la curieuse impression qu’il n’était pas convaincu par ses propres paroles, comme s’il y avait un conflit au fond du cœur du vagabond. Dans ses paroles Krypt ressentait un désir de justice, mais c’est comme si il avait peur de faire régner la justice par lui même…

La foule semblait se ranger progressivement derrière les paroles du vagabond et elle rappela soudain à Krypt que tout d’abord il avait un navire à prendre… et qu’ensuite il fallait qu’il soit discret pour sa rencontre avec son informateur sur le Nid, qu’il n’attire pas trop l’attention. Et ça, c’était raté. Le vagabond le fixait avec une lueur de défi dans le regard, il avait reprit sa posture impassible et semblait de nouveau sûr de lui. Ghoul répondit à son regard par un cri de défi.

-Tu sembles t’être fait le porte-parole du peuple de Manshon et il semble te suivre. Parviendras tu à le pousser à réclamer justice pour mes actes à ta place ?  Que cherches tu en claironnant ainsi ton appartenance à cette misère, à ce peuple brisé, à ce peuple à terre qui cherche à se relever ? Tu devrais mieux choisir ceux sur qui t’appuyer. S’ils semblent brave c’est uniquement parce que les conséquences de leurs réactions ne s’abattront que sur toi puisqu’ils t’ont élu pour porter leur voix. Ils s’estiment à l’abris…

Le regard de Krypt et de Ghoul balaya alors lentement la foule. Certains eurent un mouvement de recul, conscients de ne plus être des anonymes parmi la foule mais des cibles potentielles pour le meurtrier qui se tenait au centre du cercle. D’autres serraient les poings de rage devant le mépris que Krypt affichait ouvertement. Ses yeux se reposèrent enfin sur le vagabond.

-Vous avez tous tort, nul ne fera jamais justice pour vous à votre place. Si vous n’avez pas le courage de vous tenir sous le regard du monde et des puissants, de risquer votre vie pour vos convictions, alors il ne vous reste plus qu’à retourner dans vos trous et à vous terrer en priant pour qu’aucun fort ne daigne vous remarquer, en priant pour rester à jamais un anonyme dans l’ombre. Car si vous ressortez alors seule la mort vous attendra. C’est souvent ce qui arrive quand les paroles ne sont pas accompagnées d’actes.

Des grognements de colères s’élevaient dans la foule mais ils étaient moins nombreux qu’au début. Ces insectes comprenaient où se trouvaient leurs chances de survie. Krypt n’était pas un amoureux des longs discours mais le Baron Corbeau tenait une occasion en or. Il y avait certainement des sbires ou des informateurs de la mafia dans la foule, peut-être même un journaliste. La première apparition publique du champion des SombreRivage devait se conclure en beauté.

-Tu m’as posé une question. Tu m’as demandé qui j’étais et de quel droit je pouvais me permettre de donner une telle leçon. Et bien je vais te répondre et j’aimerais que tu sois le porte-parole de ma réponse. Ce n’est pas uniquement au peuple de Manshon que je m’adresse, mais également à la Marine, au Gouvernement Mondial et aux famille mafieuses.
Il n’y a pas 7 familles mafieuses mais 8, il y en a toujours eu 8. La dernière attend son heure et je suis son représentant face au monde. Je suis le Baron Corbeau et c’est la première leçon que je donne au monde. Je n’ai pas attendu qu’il daigne m’accorder le droit de la donner, ce droit je l’ai pris. C’est ce que font les forts. Aujourd’hui deux enfants sont morts et le troisième ne l’oubliera jamais, sa volonté de vivre n’en sera que décuplée. Aujourd’hui la huitième famille est comme cet enfant… pour qu’elle puisse vivre les autres doivent mourir.
Tempiesta, Bambana, Manicelli, Venici, Grante et Martico… votre âge d’or est révolu, le monde vous a vu sombrer et désormais je suis ici pour vous achever. Je ne serais pas caché dans l’ombre pour vous assassiner, il n’y aura pas de poison dans votre nourriture ou dans votre vin… Mais profitez de vos richesses tant que vous le pouvez car un jour je frapperais à la porte. Et ce jour là vous saurez que c’est la fin. N’ayez crainte, vous n’êtes néanmoins pas ma première cible. Je vous laisse vos dernières heures pour vous morfondre, pour contempler votre échec. Préparez vous autant que vous le pourrez, traquez moi si vous penser y parvenir. Le Baron Corbeau viendra se repaître de vos restes.
Voilà le message que je te charge de porter. Et concernant le Gouvernement Mondial j’ai un conseil à te donner. N’attend pas qu’il vienne pour rendre justice, cette institution est vouée elle aussi à disparaître et elle n’est en rien différente des autres. Sort de la foule, tient toi sous le regard du monde entier, prend ta place parmi les forts et bats toi. Car je ne compte pas me passer de mon porte-parole et j’ai décidé que cette entrevue n'était que la première d’une longue série. Mon message ne peut être porté par un faible, mais tu ne me décevras pas je crois.


Krypt s’était laissé emporté dans son discours et un léger croassement de Ghoul le ramena à la réalité : le navire ! Il poussa un soupir mental puis tourna le dos au vagabond et s’avança vers la foule en direction des quais. Ses paroles seraient rapportées aux oreilles des mafias et du gouvernement. Mais ils n'y prêteraient certainement pas toute l'attention qu'ils devraient, après tout ce Baron Corbeau ne représentait pas une menace immédiate. Peut être qu'ils tenteront de le chasser d'un revers de la main comme une simple mouche... Dans ce cas ils comprendront alors leur erreur quand le bec du corbeau se refermera sur leur main et que ses serres leur lacéreront le visage. Krypt avait planté une graine chez ce jeune homme et il se demandait de quelle façon elle pousserait... Il marqua une pose et jeta un dernier regard au vagabond.

-La justice n’existe pas. Mais si tu crois en ce concept alors c’est à toi de te battre pour elle, pas aux autres. J’espère qu’on ne retrouvera pas ton cadavre au fond d’une ruelle de Manshon parce que tu auras choisi de te cacher et que la mafia te sera tombée dessus.


Dernière édition par Krypt SombreRivage le Lun 7 Mai 2018 - 17:18, édité 1 fois
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*Oh mes dieux, dans quoi me suis-je encore plongé...* Loin de se tasser devant la foule, le bougre à l'oiseau se mit à répondre avec une verve surprenante, surtout au vu de la situation. D'autant plus surprenante ce qu'il se mit à crier à la foule avait tout d'abord beaucoup de sens. Plutôt acerbe, mais le jeune homme ne pouvait qu'être en accord avec ces paroles; petites girouettes craintives, voilà ce qu'étaient les petites gens. Mais ils étaient aussi capables du meilleur, dans les bonnes conditions, comme du pire. Il était assez cocasse de remarquer que ce que, derrière ses lunettes le jeune homme pouvait révéler de sa pensée, dénotait d'une grande immaturité, voyant le monde en noir et blanc, sans la moindre parcelle de nuance.

Les forts, les faibles, c'était tout. Aucune réflexion sur ce que cela voulait même dire, il n'y avait manifestement qu'une une pensée d'un essentialisme grossier. Jaros avait bien eu l'impression d'être tombé sur un sacré énergumène, mais il ne s'attendait pas vraiment à ce que cet a priori se vérifie avec une telle intensité. Il s'apprêtait donc à répliquer une bonne fois pour en finir, mais, emporté dans son élan, l'autre ne semblait pas décidé à s'arrêter de parler. Loin de là, d'une voix forte mais un peu éraillée, il repartit de plus belle après une toute petite pause. Au bout de quelques secondes, quelque chose d'étrange commença à se produire.

*C'est terrible, mais il me donne envie de rire maintenant.* Malgré la grandiloquence indéniable de l'individu, rapidement ce qu'il se mit à dire, dans ce contexte, avec ce qui venait de se produire, avait pour Jaros quelque chose de très comique, un peu tragiquement, mais comique tout de même. Comique d'irrésistible manière, comique au point où, lorsqu'il se mit, après sa "leçon de vie" sur la détermination digne d'une imitation grossière des moqueries de taverne, le jeune homme crut bien qu'il allait éclater de rire, mais se retint, non sans difficulté, mais il se retint. Difficile quand d'autres, derrière lui, n'avaient pas cette décence, et ricanaient grassement, ou pouffaient nerveusement. Cette hilarité qui sourdait doucement de la foule à l'écoute était fort semblable à celle de Jaros. Ce n'était pas tant de la moquerie ou un rire jaune, mais plutôt la réaction nerveuse face à quelque chose de si décalé que la situation en devenait inexorablement étrange; le rire étant la porte de sortie naturelle à cette drôle de sensation.

Ce n'était pas tant que ce que cet individu, le "Baron Corbeau" comme il s'appelait lui-même, tombait en plein de le burlesque, c'était plutôt qu'il se montrait d'une morgue et d'un sérieux disproportionnés. Un tout jeune homme, maigre et boiteux, qui venait de tuer des gamins des rues après s'être fait renversé par l'un d'eux, et se lançait d'un coup dans une grande tirade sur l'illustre huitième Famille qui n'existait probablement que dans son esprit dérangé, sur l'ère de gloire qui allait advenir pour eux, sur la grande menace qu'il représentait, et désignant Jaros comme son "porte-parole", rien que ça. C'était un miracle qu'avec tout ça ce dernier arrive à rester de marbre, de son point de vue. Lorsque ce long et éprouvant pour les nerfs discours fut enfin terminé, il craqua, et, tentant de répondre, ne put qu'exploser d'un long rire sonore.

Comme si cela avait été le signal, un certain nombre de badauds l'accompagnèrent, formant un discordant concert disparate, qui dissipa cependant cette gêne vague et pesante. Surtout, les gens commencèrent à retourner à leurs occupations, surtout ceux ne riant pas. Le moment en tant que tel avait pris fin. Après une bonne petite minute d'hilarité enfin débridée, Jaros reprit contenance, tout aussi rapidement qu'il l'avait perdu, et héla ce "baron" autoproclamé. Il ne prit pas la peine d'adresser les trop nombreux problèmes qu'il voyait dans les paroles de ce fou, et tenta d'aller à l'essentiel.

- Si toute cette tirade était une plaisanterie, félicitations, mais les deux cadavres resteront ce qu'ils sont. Je laisse les croyances à des hurluberlus dans ton genre, mais je dois avouer que même les Familles te laisseraient probablement courir raconter ce que tu veux à qui veut bien l'entendre, tant c'est ridicule. Il reste que...

Il ne finit pas sa phrase. Il ne savait trop d'où, mais un projectile, une pierre en l'occurrence, venait de passer au dessus de sa tête, et arrivait à une vitesse plus qu'impressionnante sur le jeune homme au corbeau. Jaros n'eut le temps de rien dire, à peine celui de se demander qui avait bien pu faire cette idiotie.
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Après avoir dit ce qu’il avait à dire Krypt se retourna de nouveau vers les quais et commença à marcher. Mais il était loin d’imaginer la réaction que son discours avait provoquer… Certes quelques personnes avaient gloussé ou ricané pendant qu’il parlait, mais ça ne s’arrêta pas là. C’est le vagabond qui ouvrit les vannes, éclatant de rire comme s’il relachait une pression trop longtemps contenue. Il fut bien vite suivi d’un certains nombre de personnes et Krypt eut soudain la sensation d’être encerclé par les rires. Les badauds riaient, se moquaient de lui, de son discours, de son titre… Aucun d’entre eux ne le prenait au sérieux, aucun d’entre eux ne réalisait, malgré les deux cadavres encore frais sur le sol. Visiblement son discours avait désarmé la tension qui s’était progressivement installée.

Les gens retournaient à leur occupation, c’était irréel, irréalisable, impossible ! Comment pouvaient-ils être aussi aveugles ? Leur réaction dépassa pendant un instant le degré de compréhension de Krypt puis cette incompréhension fut balayée par un autre sentiment qui grandissait en lui. Être ridiculisé ou sous estimé n’était pas nouveau pour lui et il ne comptait plus ceux qui s’étaient moqués de ce frêle jeune homme à l’air farouche, de cet adolescent qui parlait peu et semblait fragile, de son infirmité. Mais ce rire contagieux qui avait balayé la foule ne lui était pas destiné personnellement. Ils se moquaient de ses prétentions, ils se moquaient de ses convictions, ils se moquaient de son titre, de toutes ces choses qui appartenaient à sa famille… Ils osaient les tourner en dérision, ils entachaient l’honneur des SombreRivage.

Ce sentiment qui montait en lui était une rage puissante, une rage sauvage, qui envahissait son corps, son cœur, son esprit et balayait tout en une fraction de seconde. Cette rage qu’il avait appris à contrôler et dont il s’était servi pour retourner la balle à ceux qui l’avaient un jour sous estimé. Mais à cet instant il n’était nullement question pour lui de contrôler quoi que ce soit. Il savait qu’il n’avait jamais été très à l’aise avec les discours, malgré les cours d’éloquence que lui avaient donné ses instructeurs en vue de sa future implication politique. Ces discours ne lui correspondaient pas, il était comme sa mère : il se taisait et il agissait. Et bien il était temps pour le Baron Corbeau de se taire et d’agir.

Les rires se dissipaient lentement et le vagabond cessa lui aussi. Il s’adressa à Krypt mais celui-ci n’entendait plus le moindre mot. Ils ne parvenaient pas à pénétrer l’ouragan qui enfermait l’esprit de Krypt désormais. Ghoul s’envola en croassant, conscient de l’état de son maître et conscient du fait qu’il ne pouvait pas le calmer.

Le jeune baron se retourna vers le vagabond. S’il avait un peu mieux connu Krypt il aurait su qu’il ne lançait jamais de paroles en l’air, que chaque mot était gravé en lui et qu’ils auraient une répercussion. Et s’il avait pu voir ses yeux à cet instant il aurait compris que quelque chose avait changé, il aurait pu y voir l’ouragan, il aurait pu y lire la rage, il aurait constaté l’absence totale de raison dans ce regard. C’était le regard d’un fou furieux, d’un meurtrier, un regard hanté par des horreurs que Krypt seul pouvait désormais voir.

Sa perception du monde avait changée, il le voyait à travers un halo de brume rouge, les rires résonnaient encore dans ses oreilles. Il s’avança lentement vers le vagabond qui s’était soudainement arrêté de parler et fixait quelque chose qui volaient vers la tête de Krypt. Une pierre lancée par un anonyme dans la foule encore en mouvement. D’un geste rapide le jeune homme leva la main et ceux qui regardaient encore purent constaté qu’elle était nimbée d’un halo rouge écarlate et semblait luire légèrement. La pierre vint percuter cette main tendue et Krypt referma sa main sur le projectile en accompagnant son mouvement. Il utilisa l’élan du projectile et fit un tour sur lui même pour le propulser en réponse vers l’endroit d’où il provenait.

Il le fit mécaniquement, sans s’arrêter, comme s’il s’agissait d’une danse. Puis il continua à avancer, sa canne martelant le sol en pierre, sa main reposant de nouveau le long de sa cuisse. La foule riait, riait, elle ne cessait de rire, il fallait que ça cesse. Il fallait que ça cesse maintenant ! Krypt dégaina vivement la lame cachée dans sa canne et transperça le premier badaud qui passait à sa portée. Et il continua d’avancer, le sang coulant goutte à goutte sur le sol. Un de moins.

La mort est impartiale, soudaine, brutale et définitive. Ce jour là sur le port elle frappa et frappa de nouveau. La lame de Krypt dansait, éclaboussant le sol de sang tandis qu’il avançait vers le vagabond. L’attention de la foule se reporta de nouveau sur cet énergumène vêtu de noir qui s’était donné en spectacle et les avait tant fait rire.

Les rires furent remplacés par des cris. Des cris d’horreur, de dégoût, de peur, de souffrance… Tout cela formait une macabre symphonie qui accompagna Krypt jusqu’à ce qu’il se trouve à quelques pas du vagabond. La foule s’était réellement écartée, beaucoup avaient fuit, d’autres s’étaient cachés. Certains devaient certainement être en chemin pour alerter la marine. Krypt ne s’en souciait pas, il était guidé par sa rage et c’est elle qui lui fit prononcer quelques mots d’une voix rauque.

-Lorsque la mort nous rattrape on est surpris de constater tout le temps que l’on a perdu à rire. Et on le regrette.

Il venait encore de parler sans agir… décidément c’était une mauvaise habitude.
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Réussissant un peu miraculeusement à intercepter le projectile en plein vol, le "baron" renvoya la pierre d'un geste hargneux. Il semblait bouillir de rage, le bougre, difficile de voir ce qui se passait derrière ses lunettes noires mais le teint, plus cadavérique que jamais, ainsi que la crispation violente visible sur sa mâchoire et les tendons de son cou, donnaient quelques indices; poussant un autre cri affreux, son oiseau s'envola brusquement, couvrant les fins de rires autour de lui et son maître. Jaros n'avait pas un bon pressentiment, pas du tout. Canne battant rageusement le sol, on s'approchait de lui, manifestement avec quelque intention peu amène, ce n'était pas tant ça qui l'inquiétait, mais plutôt la situation générale. Que quelqu'un de la petite foule alentour lance un projectile n'était pas très rassurant en soi, indéniablement, symptôme de quelque chose de très tendu dans le moment; rien encore d'alarmant, mais préoccupation il y avait, pour le jeune homme. Il ne s'attendit absolument pas à l'explosion de violence qui suivit immédiatement après.

*Ne jamais sous-estimer un fou, jamais.* En quelques instants ce fut la cohue. Emporté dans quelque délirante furie meurtrière, l'énergumène venait de sortir une lame escamotée dans sa canne, et de poignarder quelqu'un, juste devant Jaros, avant de repousser brutalement le badaud, répandant une traînée courbe et sanglante sur le sol. Les premiers cris retentirent presque de suite, alors que tous refluaient, fuyant l'acier rougi à la main du dingue.

L'individu était soit totalement fou, bon pour un asile où l'on confinerait son être inapte à côtoyer toute autre vie, soit il était au contraire tout à fait lucide, et avait des renforts, quelque part, prêts à sortir dès que les hommes de mains des Tempiesta ou les Marines rappliqueraient. Cette dernière possibilité était si mince que Jaros ne la retint pas un instant; un pareil génie de mise en scène ne pouvait avoir lieu autrement que dans le fantasme de quelques esprits, ou du moins la chose serait si exceptionnelle que la retenir comme probable reviendrait à considérer que sans doute des licornes roses sortiraient bientôt des trous de nez de l'homme blessé au sol. Une absurdité totale, en somme.

Les pensées du jeune homme défilaient à toute vitesse. Tout avait dérapé en un instant, la tuerie complète sur les docks était une possibilité aussi aberrante en l'occurrence que proche d'entrer dans le domaine du réel. Mais l'individu n'était qu'un forcené, certes armé mais pas autant que ne le seraient des mafieux ou des soldats, et surtout il était seul, isolé. Jaros n'avait plus beaucoup de choix à sa disposition, le bougre était bien trop proche pour avoir le luxe de tergiverser plus avant. Attrapant un tonneau près de lui, il le fit rouler d'une poussée brutale du pied sur le "baron", afin de ralentir au moins un petit peu sa progression, tout en criant d'une voix aussi autoritaire que possible.

- La garnison, vite ! Prévenez les, prévenez les ! Je m'occupe de le retenir ici.

Les soldats de la 257ème division n'étaient même pas à cinq-cent mètres, ils arriveraient vite. Jaros savait que les mafieux, eux, avaient sans doute assistés à la scène, et que dans les entrepôts des docks se dépêchaient déjà de récupérer leurs armes toute une myriade de gaillards qui ne laisseraient pas durer la plaisanterie bien longtemps. L'espoir assez calculateur du jeune homme était que la Marine arrive la première, évitant ainsi la possibilité aux Tempiesta de revendiquer le retour au calme. Dans tous les cas tout n'était qu'une question de secondes, tout au plus de quelques minutes. Attrapant la première chose qui pourrait lui servir, à savoir un grand balai au manche épais, il brandit la longue badine tel un bâton de combat, en se mettant de profil, prêt à repousser toute tentative de l'énergumène de l'atteindre avec sa lame bien trop courte; il n'avait pas rechargé son pistolet, ne lui restait donc que cela.

Assez conscient de la bêtise de son acte, en un sens, après tout Jaros aurait très bien pu fuir plus loin, se mettant ainsi à l'abri de tout heurt, il ne pensait aucunement faire le mauvais choix; il était tout à fait possible que des innocents meurent, les blessés couinant au sol en attestaient. D'une certaine façon aussi c'était ses actions qui avaient donné du carburant à la rage explosive du lunatique; sans non plus se considérer responsable, cela donnait au jeune homme une motivation supplémentaire à fermer toute possibilité à l'autre de s'en sortir.

Cela faisait longtemps qu'il n'avait plus eu à se battre, encore plus avec un bâton, mais Jaros se savait compétent loin d'être désavantagé. Si jamais on essayait d'attraper, dévier son balai, le briser ou le couper, il était tout à fait prêt et apte à faire montre de ce qu'un bête bout de bois pouvait accomplir en terme de contrôle d'un adversaire. Certes, des doigts engourdis, foulés ou brisés ne feraient pas grand-chose, pas plus que des poussées énergiques dans le torse, mais il ne lui fallait plus pour empêcher tout contact risqué. C'était tout ce qu'il avait à faire, après tout, le fou s'était condamné tout seul. On pouvait déjà entendre les ordres criés des Marines porté par le vent, plus loin dans le port.


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Le tonneau roula droit vers ses jambe. La lame de Krypt décrit de nouveau une courbe sanglante dans les airs et le trancha proprement en deux, stoppant ainsi sa course. Les deux morceaux s’écrasèrent de chaque côté du jeune baron qui continua d’avancer. Sa lame semblait n’avoir rencontré aucune résistance. Le vagabond quant à lui venait de saisir un long morceau de bois et s’était mis en garde, de profil, de façon à exposer le minimum de point vital à la lame de son adversaire. Son arme de fortune ne tiendrait pas bien longtemps vu le sort que cette même lame avait réservé à un tonneau en bois, censé être autrement plus résistant, mais sur le visage du jeune homme s’affichait une puissante détermination et il paraissait parfaitement calme et sûr de lui.

Ils n’étaient qu’à quelques pas l’un de l’autre, uniquement séparé par le bout du manche que ce courageux jeune homme tenait fermement. La lame de Krypt pendait à ses côtés, Ghoul tournoyait au dessus d’eux en croassant, au loin un groupe de marine se frayait un passage en direction du port. Le navire de Krypt venait de larguer les amarres et s’éloignait lentement de l’agitation du port. Un passager se tenait sur le gaillard arrière et contemplait la scène.

Son long manteau noir était agité par le souffle du vent particulièrement fort ce jour là et son chapeau manqua de s’envoler. Une main gantée de blanc le rattrapa avant qu’il ne passe par dessus bord et le maintint solidement sur la tête à laquelle il appartenait. Sur le pont à côté du passager reposait une valise à main. Devant lui, solidement fixé sur la rambarde, un canon portatif sur pivot chargé n’attendait que la mise à feu. Le marin censé le garder se tenait debout aux côtés du passager et un observateur attentif aurait peut être remarqué que différents câbles semblaient sortir de sous le manteau noir et s’enrouler autour du corps du marin. L’homme n’était pas mort, seulement hors service pour un moment, Mephistoyamastemalphasamnutukku s’en était assuré. Et tant que ses câbles le maintiendrait dans une posture normale personne ne remarquerait quoi que ce soit.

Krypt s’était immobilisé, il fixait son opposant à travers la brume de rage qui obscurcissait son esprit. Un jeune homme, grand, fin, le teint pâle, les cheveux sombres mi-longs, impassible… Il ressemblait vaguement à Krypt et à cause de sa perception déformée par la rage cette ressemblance s’accentua. Le visage en face de lui devint un miroir du sien, un double presque parfait. Quelques détails permettaient néanmoins de les différencier : il ne portait pas de lunette ce qui laissait voir ses iris rouges et ses cheveux étaient mi-longs.

En quelques secondes à peine Krypt se retrouvait plongé dans le passé dans une situation similaire. Sa lame rougie de sang, les corps autour de lui, son frère juste devant lui. Krypt savait ce qui allait arriver, il voulait lui crier de fuir, de s’éloigner de lui. Spectateur impuissant il assista à la suite. Il se vit plonger la lame dans le ventre de son propre frère, il vit son regard se charger de douleur et de surprise, il vit cette étincelle de pitié qui lui était destinée juste avant que le corps de Ghoul ne s’effondre à ses pieds. Ce regard qui le hantait depuis 3 longues années, ce regard qu’il affrontait chaque nuit dans ses cauchemars.

Ils se tenaient tous deux immobiles dans le vent, face à face. Sous les lunettes noires une goutte rouge descendit le long de la joue du jeune baron, une simple larme, une larme de sang. La rage reflua aussi vite qu’elle était arrivée et le halo autour de la main de Krypt s’estompa. Il ne restait plus en lui qu’un sentiment de culpabilité qui le dévastait. Son visage restait impassible, il regarda le vagabond puis jeta un œil autour de lui et contempla les corps. Il rengaina lentement sa lame.

-Quel gâchis... Ce massacre était inutile, totalement inutile...

Il fixa de nouveau le jeune homme en face de lui. Il n’avait pas fuit, il allait lui tenir tête. Krypt ne s’était pas trompé, il était fort. Et il lui ressemblait tant à ses yeux, il avait presque l’impression que son frère se tenait là devant lui, en chair et en os... En vie.

-Ne me laisse jamais te tuer. Nous nous reverrons sois en sûr, mais en attendant si tu cherches à m’arrêter alors prépare toi à une Danse avec la Mort.


Puis il lui tourna de dos et marcha en s’appuyant sur sa canne vers une petite barque amarrée à un quai. Il avait prononcé son mantra, ces quelques mots qui le conditionnaient psychologiquement à l’utilisation de sa technique. Ghoul volait au dessus d’eux et il le préviendrait si le vagabond tentait de le frapper. Son bout de bois rencontrera alors sa canne dans un ballet mortel sans qu’aucun d’entre eux ne parvienne à toucher l’autre. Krypt ne voulait plus se battre, plus maintenant, plus ici.

Mephisto vit son jeune maître se diriger vers la barque, ajusta le canon et fit feu.

Les Marines traversaient la foule et allaient arriver dans quelques secondes. Le jeune baron sauta dans la barque et défit les amarres. Puis il s’empara des rames et s’éloigna du quai.

La détonation retentit et le boulet s’élança à la rencontre du port.

Les soldats de la marine se déployaient sur le port, plusieurs tirèrent en direction de la barque mais les autres fixaient plutôt le navire qui faisait feu sur le port.

Les balles percutaient l’eau, formant de petits geysers. Certaines s’enfonçaient dans le bois de l’embarcation qui se dirigeait vers le navire à la force des bras de Krypt.

Mephisto laissa retomber le marin à ses côtés et se laissa tomber par dessus bord. Puis il se raccrocha avec ses câbles et resta suspendu au dessus de l’eau, invisible pour les autres marins qui se précipitaient vers leur collègue qui venait de s’effondrer en se demandant qui avait tiré.

Krypt ne fut conscient ni des tirs des Marines, ni de celui du canon. Ghoul s’était posé à ses côtés et le jeune baron ramait de toutes ses forces. Il devait atteindre le navire avant qu’il ne pénètre dans les territoire des vaches marines. Désormais il était temps de mettre son plan en marche.

Le boulet allait achever sa course mortelle.
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Intimidé ou reprenant ses esprits, le fou s'immobilisa quelques instants; Jaros, qui n'avait pas l'intention de foncer tête baissée, resta bien en position. Un pareil bougre pourrait très bien lui foncer dessus d'un coup. Mais il n'en fit rien, au contraire, rengainant même la lame sortie de sa canne. *Peut-être devrais-je essayer de l'assommer maintenant, sans doute même...* Malgré ses pensées froides, le jeune homme ne passa pas à l'acte; quelque chose l'en retenait, et c'était que le "baron" venait de prendre la parole. Plus encore, qu'il venait semble-t-il de devenir subitement raisonnable. Déplorer la violence débridée dont on venait de faire preuve, avec autant de sincérité que toujours de sérieuse folie dans la voix, voilà qui était presque cocasse. Dur, Jaros répliqua finalement en attaquant, lâchant un soufflement peu convaincu face à ces paroles.

*J'ai bien mal choisi ma stratégie, finalement...* Son adversaire se protégeait bien, reculant cependant sous les coups. Dans sa tentative de le retenir, le vagabond était maintenant plutôt en difficulté, pourtant, puisque sa cible avait bien pris conscience de ce qui l'attendait si elle restait. Il se défendait avec trop de dextérité pour que Jaros puisse le submerger, même avec l'allonge supplémentaire de son manche à balai. Il fallait faire quelque chose, et le jeune homme le sentait bien. Mais les premiers tirs des Marines accourant sur les docks commencèrent à zébrer l'air de leurs sifflements, en venant d'un angle qui interdit à Jaros de contourner comme il l'aurait voulu le fuyard lorsqu'il voulu le faire. *Ces idiots vont m'empêcher de les aider !* Balançant son balai vers le "baron" qui venait de se retourner, il bondit dans l'autre sens, en une manœuvre un peu fébrile et serrée, pour le contourner par l'autre flanc. Son projectile improvisé rata sa cible de peu, et le ne fit même pas dévier ou se tourner, rien. Le vagabond allait le rattraper et tenter de le plaquer au sol d'un instant à l'autre, cependant.

Du moins il allait le faire, mais un événement totalement imprévu vint le faire dévier sa course encore une fois, en jurant à voix haute. *Un canon, un foutu canon. Le salaud a un bateau et un canon avec lui, et quelqu’un pour le mettre à feu évidemment...* Le boulet, petit mais tout aussi mortel, ne visa pas Jaros, ni les Marines, mais amorça dans la détonation de son trajet vrombissant une course qui allait se finir quelque part sur les docks où couinaient de plus belle les quelques blessés. *Ils sont complètement fous; si jamais on les revoit ici les Familles les tailleront en pièce pour ça, jusque dans les prisons de la garnison.* Il n'y avait pas le temps de soupeser ses actions et ses choix.

Il se fit donc sans réflexion. Des morts il y avait eut, laisser un dangereux psychotique en liberté en apporterait d'autres, certainement. Sur le moment Jaros n'eut pas la présence d'esprit de faire ce calcul. Un tir de canon le menaçait directement, les tirs sifflaient aux alentours, et le jeune homme n'avait pas les nerfs habitués à ce genre de situation. Les embuscades dans les rues, les vols et intimidations, ça oui, mais les fusillades appartenaient à un autre monde, celui qu'il évitait. Faisant un choix qu'il ne pourrait que regretter par la suite, il dévia encore une fois sa course, dérapant presque dans une des flaques de sang, et attrapa le bras du pauvre homme le plus proche de lui, le traînant dans sa course effrénée vers un de ses comparses. Plus de temps, Jaros bougea celui-ci en coinçant son pied sous lui pour le soulever, avant de plonger à sa suite avec son fardeau derrière lui.

Heurtant durement le sol, la collision du boulet de canon se fit en simultanée derrière eux, éclatant une partie des pavés et des caisses, projetant un certain nombre de débris roussis aux alentours. Sonné, les oreilles bourdonnant du bruit assourdissant, Jaros resta par terre, ignorant un peu malgré lui les plaintes des blessés à ses cotés, de même que les cris des soldats qui accouraient, continuant de tirer sans grand succès. Après quelques seconde nécessaires à reprendre ses esprits, il se redressa, s'attelant à voir si les ouvriers beuglant n'étaient pas en trop mauvais état.

- Gamin, tout va bien, t'es blessé ?

Un Marine, derrière lui, le souffle court, criant pour se faire entendre alors que les tirs et les ordres fusaient juste à coté. Jaros répondit sans le regarder.

- Moi non mais eux si, ils se font fait taillader, l'un des deux saigne abondamment. Je crois qu'il y en a d'autres, plus loin, au moins deux. Il faut des secours rapidement.

Le jeune homme avait fait un geste de la main pour désigner l'endroit approximatif; ils avaient en théorie été épargnés par le tir de canon. Se redressant brusquement, manifestement le fou était en train de s'échapper. Aucun navire de poursuite n'était pour le moment mis en place. *Les incapables vont juste le laisser partir ou quoi ?!* Attrapant le soldat encore proche, il lui hurla dans les oreilles pour bien se faire entendre, d'un ton ferme.

- Il faut le poursuivre et l'enferme, c'est un fou dangereux. Un navire, rapidement !

- Laisse nous faire notre travail, gamin !

D'un geste brusque, il chercha à se dégager. Jaros le laissa partir, malgré une sévère envie de faire comprendre à ce troufion qu'il devrait sans doute ne pas se sentir plus pertinent qu'il ne l'était; faible comme il l'avait senti sous sa poigne, le jeune homme n'avait pas grande estime pour cet homme qui occupait le plus bas de l'échelle, pas par altruisme mais visiblement parce qu'il n'était pas capable de faire plus. Ce n'était pas honteux en soi mais pas plus respectable qu'un simple ouvrier... ou un simple vagabond. Mais ce cuistre avait raison, en un sens. Ce n'était pas à un simple soldat de donner les ordres, mais au supérieur. Le cherchant du regard, Jaros fut tout d'abord incapable de le trouver du regard, alors qu'il s'éloignait à pas vifs des docks, esquivant les Marines au pas de course. *Mais écoutera-t-il un gamin couvert de poussière et de sang, rien n'est moins sûr...*

Réalisant brutalement l'impuissance totale dans laquelle il venait de se mettre par ses petites décisions, le jeune homme eut un long instant d'intense frustration, et il lui fallut toute sa volonté pour ne pas se laisser déborder par ce flot gigantesque, nourrit par la fraîcheur de toute cette situation absurde. Rien n'allait comme il le faudrait, rien. Reprendre contrôle sur lui et ses émotions n'était pas chose aisée. Soupirant, Jaros fit lentement le trajet jusque la garnison, refusant de se retourner pour voir ce qui se passait avec ce maudit "baron" imbécile et frappé. Ce n'était plus de son ressort, il ne voulait pas en rajouter à sa déconfiture. Pour le moment, il allait remettre sa tenue dans un état plus présentable, puis tenter de parler avec un des officiers de Manshon.

- J'espère que ça ne va pas trop user les fibres que de les laver deux fois la même journée...

*Amusant comme se parler à soi-même peut être utile, parfois.* Dans leur empressement, aucun des derniers soldats à la traîne le croisant n'y prêta attention.
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