Véfi avait glissé lentement le long d'un de ces murs dégueulasses en tôle rouillée comme il en pullulait partout dans Last End, maculant d'une hémoglobine pourpre la bâtisse contre laquelle l'arrière de son crâne s'était écrasé. Ça avait fait un boucan du diable. Du diable, c'était peu de le dire.
On entend alors les échos de bruits de pas rapprochés. Personne dans le quartier ne jette un œil dehors. Quand la loi martiale est de mise, les locaux savent se faire discrets. Personne ne voit ce type qui arrive, mais tout le monde l'entend courir, le bruit de l'éclaboussure des flaques d'eau dans lesquelles il patauge à grands pas est on ne peut plus claire aux tympans.
- P... putain ! Véfi ! Véfi ! Réponds ! Allez...
Il y a des trémolos dans sa voix. Sans même avoir inspecté le corps, le voisinage l'a bien compris, Véfi ne lui répondra pas. Son acolyte se lamente, il peste : il est arrivé trop tard. C'est frustrant la mort. Avec elle on reçoit les coups, mais on ne peut pas les rendre. Alors on gesticule. On grogne, on chiale on maudit, mais à quoi bon ?
Un léger rayon de soleil parsème la ruelle, une ombre s'en va recouvrir l'endeuillé resté à genoux devant la dépouille de son frère. Il le savait pourtant qu'il n'aurait pas dû s'engouffrer dans cette rue, mais on aime parfois trop les siens pour les laisser derrière soi.
Derrière justement, il y a ce beau diable qui a emporté son frangin. Il s'est approché discrètement tout en désirant être repéré. Garjel tremble, les dents serrées, le ventre noué : il n'aurait jamais dû s'engouffrer dans cette ruelle.
Le pauvre garçon s'y reprendra bien à trois fois avant d'enfin se décider à tourner la tête. La mort, il veut la voir en face ; quitte à y passer, autant que cela se fasse avec dignité.
C'était bien Jacob. Mains dans les poches, incapable même d'exprimer du mépris dans son regard tant la vermine qu'il toisait de haut lui était indifférente, il restait là, silencieux, comme toujours. Peut-être bien que Garjel aurait pu se saisir du mousquet qu'il gardait dans sa veste pour changer la donne. Il aurait pu en tout cas essayer.
- Mais reste pas planté là.... dis quelque chose putain... DIS QUELQUE CHOSE !
Les deux poings du pendu s'abattirent avec fracas contre ses tempes de ce pauvre môme. Ça avait été très rapide. Longdrop ne retirait aucune satisfaction de ses assassinats brutaux si ce n'est celle d'être débarrassé d'un rebut de l'humanité supplémentaire. Le plus violent pour Garjel avait encore été la quiétude qui avait précédé son trépas. Avec le pendu, on s'étouffait avant tout avec l'oppression du silence que la corde sur laquelle on tirait pour sonner le glas.
Véfi et Garjel Honzemack. Un duo de recouvreurs de dettes qui commençait à se faire un nom sur Las Camp. Dix-sept et quinze ans à leur actif.
Assez jeunes pour être impétueux et insouciants, ils s'étaient imaginés pouvoir bousculer impunément le sieur Longdrop pour lui faire cracher ses dettes de jeu. Ils étaient tombés dans un piège en croyant monter une embuscade. Ce n'était pas demain que Jacob cracherait ses deux millions de berries à qui de droit. En tout cas, ce serait prochainement.
Fraîchement lourdé par l'armée révolutionnaire, maintenant abonné à la dissidence, le pendu manquait de soutiens pour repousser les casseurs de genoux venus récupérer l'oseille. C'est qu'ils paraissaient se multiplier. Lorsqu'on se retrouvait comme Jacob à éconduire cinq recouvreurs en une semaine, c'est qu'il était grand temps d'agir pour que ça cesse. Considérant la vitesse de l'escalade, ce n'était plus qu'une question de temps avant que ses créanciers ne commencent à verser leur obole aux chasseurs de prime. La vie ne serait alors plus un long fleuve tranquille.
Il allait falloir raquer. Sa fortune pour le moment se limite à cent-quarante berries et un paquet de cigarettes à moitié entamé. Les affaires vont mal, car d'affaires il n'y a plus. Maintenant à son compte, il avise. La cagnotte révolutionnaire ne le biberonne plus. Tant mieux. Il s'était assagi ces derniers temps, l'argent facile le ramollissait.
Restait à bâtir sa propre trésorerie. L'émergence d'un régime autoritaire ne se concevait que derrière une parure scintillante, Longdrop n'aurait pu œuvrer à son érection autrement.
Alors il fouille les cadavres qu'il a semé, craque une allumette et s'embrume les poumons à grand renfort de nicotine. Il s'était laissé dire qu'il y avait une pénurie de recouvreurs depuis qu'il jouait aux cartes à Las Camp. Quels meilleurs employeurs que ses créanciers ? Recrachant sa fumée par à-coups, la cigarette lui pendant aux lèvres, il lit au dos de la boîte d'allumette l'adresse convoitée.
- Alors comme ça on crèche à Last Joy ?
On entend alors les échos de bruits de pas rapprochés. Personne dans le quartier ne jette un œil dehors. Quand la loi martiale est de mise, les locaux savent se faire discrets. Personne ne voit ce type qui arrive, mais tout le monde l'entend courir, le bruit de l'éclaboussure des flaques d'eau dans lesquelles il patauge à grands pas est on ne peut plus claire aux tympans.
- P... putain ! Véfi ! Véfi ! Réponds ! Allez...
Il y a des trémolos dans sa voix. Sans même avoir inspecté le corps, le voisinage l'a bien compris, Véfi ne lui répondra pas. Son acolyte se lamente, il peste : il est arrivé trop tard. C'est frustrant la mort. Avec elle on reçoit les coups, mais on ne peut pas les rendre. Alors on gesticule. On grogne, on chiale on maudit, mais à quoi bon ?
Un léger rayon de soleil parsème la ruelle, une ombre s'en va recouvrir l'endeuillé resté à genoux devant la dépouille de son frère. Il le savait pourtant qu'il n'aurait pas dû s'engouffrer dans cette rue, mais on aime parfois trop les siens pour les laisser derrière soi.
Derrière justement, il y a ce beau diable qui a emporté son frangin. Il s'est approché discrètement tout en désirant être repéré. Garjel tremble, les dents serrées, le ventre noué : il n'aurait jamais dû s'engouffrer dans cette ruelle.
Le pauvre garçon s'y reprendra bien à trois fois avant d'enfin se décider à tourner la tête. La mort, il veut la voir en face ; quitte à y passer, autant que cela se fasse avec dignité.
C'était bien Jacob. Mains dans les poches, incapable même d'exprimer du mépris dans son regard tant la vermine qu'il toisait de haut lui était indifférente, il restait là, silencieux, comme toujours. Peut-être bien que Garjel aurait pu se saisir du mousquet qu'il gardait dans sa veste pour changer la donne. Il aurait pu en tout cas essayer.
- Mais reste pas planté là.... dis quelque chose putain... DIS QUELQUE CHOSE !
Les deux poings du pendu s'abattirent avec fracas contre ses tempes de ce pauvre môme. Ça avait été très rapide. Longdrop ne retirait aucune satisfaction de ses assassinats brutaux si ce n'est celle d'être débarrassé d'un rebut de l'humanité supplémentaire. Le plus violent pour Garjel avait encore été la quiétude qui avait précédé son trépas. Avec le pendu, on s'étouffait avant tout avec l'oppression du silence que la corde sur laquelle on tirait pour sonner le glas.
Véfi et Garjel Honzemack. Un duo de recouvreurs de dettes qui commençait à se faire un nom sur Las Camp. Dix-sept et quinze ans à leur actif.
Assez jeunes pour être impétueux et insouciants, ils s'étaient imaginés pouvoir bousculer impunément le sieur Longdrop pour lui faire cracher ses dettes de jeu. Ils étaient tombés dans un piège en croyant monter une embuscade. Ce n'était pas demain que Jacob cracherait ses deux millions de berries à qui de droit. En tout cas, ce serait prochainement.
Fraîchement lourdé par l'armée révolutionnaire, maintenant abonné à la dissidence, le pendu manquait de soutiens pour repousser les casseurs de genoux venus récupérer l'oseille. C'est qu'ils paraissaient se multiplier. Lorsqu'on se retrouvait comme Jacob à éconduire cinq recouvreurs en une semaine, c'est qu'il était grand temps d'agir pour que ça cesse. Considérant la vitesse de l'escalade, ce n'était plus qu'une question de temps avant que ses créanciers ne commencent à verser leur obole aux chasseurs de prime. La vie ne serait alors plus un long fleuve tranquille.
Il allait falloir raquer. Sa fortune pour le moment se limite à cent-quarante berries et un paquet de cigarettes à moitié entamé. Les affaires vont mal, car d'affaires il n'y a plus. Maintenant à son compte, il avise. La cagnotte révolutionnaire ne le biberonne plus. Tant mieux. Il s'était assagi ces derniers temps, l'argent facile le ramollissait.
Restait à bâtir sa propre trésorerie. L'émergence d'un régime autoritaire ne se concevait que derrière une parure scintillante, Longdrop n'aurait pu œuvrer à son érection autrement.
Alors il fouille les cadavres qu'il a semé, craque une allumette et s'embrume les poumons à grand renfort de nicotine. Il s'était laissé dire qu'il y avait une pénurie de recouvreurs depuis qu'il jouait aux cartes à Las Camp. Quels meilleurs employeurs que ses créanciers ? Recrachant sa fumée par à-coups, la cigarette lui pendant aux lèvres, il lit au dos de la boîte d'allumette l'adresse convoitée.
- Alors comme ça on crèche à Last Joy ?