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Le feu sur les planches

- ABEL !
- Ici on dit "Monsieur". Et on frappe avant d'entrer.

   Telle une furie, Emma Skull se rue sur le blondinet vicieux assis derrière son bureau. Je suis moi-même tranquillement installé sur une chaise dans le coin de la cabine à siroter l'alcool réservé aux officiers - et invités de marque en l’occurrence - le nez rivé sur le journal. Ma recherche d'informations sur le plan politique tourne court lorsque l'autre empoisonneuse se met à brailler en tapant des deux mains sur la table :

- C'est toi qui a dit aux mousses que j'étais une pute ?!
- Mmh... Je ne me rappelle pas avoir employé le mot "pute", mais...
- J'ai été réveillé par un puceau !
- Et alors ?
- Il m'a secoué en me postillonnant à la figure !
- Ça aurait pu être pire.
- Il puait l'alcool ! Et le vomi !
- Oh ?
- Et il m'a demandé la permission pour se frotter... POUR SE FROTTER !
- Ah !
- Je vais te tuer... Un de ces jours je vais te tuer !
- Je vérifie simplement que tu sais rester alerte, peu importe la situation... Tu devrais me remercier : grâce à moi, tu es capable de mieux servir Dorian.
- Va te faire, le rat !
- Et voilà ! Tu recommences à être grossière...
- Je t'emm...
- V'POUVEZ PAS LA FERMER OUI ?!

  Les premiers jours passés sur ce navire s'étaient bien passés : Abel est un type plutôt discret. Un bon point quand on connaît ses penchants pour la manipulation et les coups fourrés. Sa position de secrétaire d'état, couverture obtenue grâce au Serpent de Dentelles pour qui il travaillait un temps, nous permet à tous nous déplacer sur Grand Line en compagnie de la Marine.
   Emma Skull était arrivée sous les traits d'une journaliste lors d'une escale. Il s'est révélé par la suite qu'elle était un assassin envoyé par le Serpent pour m'éliminer, notre ancienne entrevue s'étant mal passé.
  Ce qui me fait penser, pour changer de sujet :

- Emma, t'as pu contacté l'aut' vipère ?
- C'est fait Dorian : un message codé disant "Mission Accomplie."
- Parfait.

   Le temps qu'elle réceptionne le message et qu'elle fête la nouvelle, je serai déjà de l'autre côté de la frontière en aller direct pour Strong World. Tout ça parce que la binoclarde face à moi n'a pas pu aller jusqu'au bout de son travail. Heureusement que la vie de la tueuse est un vide qui ne demande qu'à être rempli. Il aurait été difficile de la convertir autrement. Le tout maintenant est de savoir titillé ses pulsions meurtrières pour qu'elle conserve le goût de la chasse et du pouvoir : ce serait dommage qu'elle sombre encore plus dans le désespoir de n'être qu'un déchet inutile... Ce qui ne peut pas être le cas quand on voit ce que Mère Nature a bien voulu lui octroyer : lunettes mises à part, sa poitrine se soulève fièrement à chaque inspiration, au grand plaisir de mes mirettes.
   C'est sans compter sur l'espièglerie mal placée d'Abel, incapable de passer une seconde sans foutre le bordel. Impossible de se focaliser plus de deux minutes sur quelque chose au calme s'il a vent de notre position. Mais passons.

   A la fin de la journée, après trois disputes, quatre remontrances et une paire de baffes de ma part, nous arrivons enfin à l'endroit souhaité : notre dernière étape, l'entrée du réseau Marijoan.
   Tous les hommes autour de nous se précipitent à leur poste tandis que leurs supérieurs beuglent des ordres à n'en plus finir, nerveux à souhait. Il faut dire que tout l'équipage provient de Hinu Town, où la Marine apprend davantage le métier de terrain plutôt qu'en mer : les officiers cherchent à faire bon profil avant d'accoster. Leur discipline sera jugée par tout un contingent d'habitués sur place. Et voilà quelque chose qui m'énerve, en plus de m'épater : tout est prétexte à se faire bien voir en ce monde. Je ne vois pas pourquoi on devrait s'embarrasser de ce genre de problème quand notre travail n'implique pas l'hypocrisie ou le lèche-bottisme. Un travail comme le mien par exemple.

   Nous descendons enfin et avançons vers notre prochaine destination. D'abord le Responsable des quais, lequel nous invite à le suivre, puis Abel, le faux secrétaire d'état - dont les talents d'acteur me laissent pantois - et les officiers de bord, suivis de quelques soldats pour faire bon genre et, enfin, moi et ma bande d'esclaves, reconvertis en marins et en mercenaires pour la forme, avec Emma sur les talons, un carnet de note à la main.
   Le port dans lequel nous nous trouvons est un lieu sombre : situé à l'intérieur du tunnel qui traverse Red Line, il est éclairé par les reflets lointains du soleil sur l'eau, les champignons phosphorescents qui poussent sur les parois rocheuses et par les lampadaires alentours. Les quais sont... Immenses. Ici sont amarrés une dizaine de navires de guerre, et il reste encore de la place pour tout autant de bateaux sur la longueur. Plus loin, il y a même un espace civil, où la douane réceptionne des bâtiments de toute taille pour un contrôle approfondi une fois stoppés pendant la traversée et quelques produits douteux mis à jour. Sans compter la zone de chargement des ressources, où ne se déplacent que les cargos et les rares navires marchands ayant obtenu un mandat du Gouvernement. Des marchands d'arme pour la plupart, mais l'information est censée être confidentielle alors bon...

- J'ai gagné mon pari.

   Emma est arrivée à ma hauteur et pointe du doigt les quartiers les plus éloignés du port, réservé aux habitats. Nous avions misé la dernière bouteille des officiers pour un jeu simple : savoir dans quoi vivaient les hommes au sein du réseau Marijoan. La réponse était un quartier troglodyte.
   Je grimace en lui offrant la cuvée, cachée sous ma veste, qu'elle s'empresse de ranger dans sa sacoche de "journaliste". Et je boude tout le reste du trajet, me trouvant des prétextes pour rendre la réaction normale, comme le fait que certains vivent dans de vrais maisons, plus proches de la zone portuaire.
   Nous approchons d'un grand bâtiment cerclé de remparts et de canons, certains suffisamment gros pour creuser de nouvelles galeries à taille humaine dans le gruyère qu'est La Flaque. Du moins ce qu'il pourrait être. Mais je m'imagine bien creuser la terre dans tous les sens jusqu'à ce que le continent cède... Ça ferait une jolie histoire à raconter.

   Un lieutenant prend le relais à l'entrée et demande à ce que seuls les gradés et invités le suivent, autrement dit : trois Marines, Abel et moi. Emma reste en arrière avec les esclaves et les quelques soldats présents, ainsi qu'un jeune sergent impressionné par les lieux. Sûrement sa première fois hors des régions désertiques.
   Le lieutenant me toise pendant que nous pénétrons à l'intérieur :

- Que fait un civil ici ?
- Ce n'est pas un simple civil : c'est un homme de confiance que j'ai engagé pour ma garde personnelle. Comme je le disais pendant la traversée, je ne doute pas des compétences de la Marine... Mais nous ne sommes jamais trop prudent. De plus, il a une requête à faire à votre supérieur. Cela vous convient-il ?

   La question n'en était pas vraiment une : Abel profite pleinement de sa position si peu scrupuleusement acquise et son air hautain est particulièrement efficace. Agaçant, mais efficace.
   L'autre fait signe que tout est en ordre et nous continuons. L'intérieur du bâtiment, véritable forteresse, est un ensemble de couloirs spacieux et de pièces immenses dont la fonction est indiquée sur chaque porte. Des escar-méras sont présents dans tous les recoins sensibles, ne laissant aucun angle mort. Des patrouilles circulent ça et là, l'arme à l'épaule et le buste droit... On ne plaisante pas avec la sécurité ici. L'officier subalterne remarque mon côté observateur :

- La Flaque est une frontière. Ici passent presque tous les navires voulant se rendre sur Grand Line et inversement. Y compris les pirates. Nous nous devons de contrôler au mieux le flux de navigation et d'être prêt à agir à chaque instant. Qu'il y ait un abruti qui cherche à faire une percée sans discrétion ou une flottille qui vienne s'attaquer à cet endroit, nous sommes capable de gérer l'incident au mieux. C'est là tout ce que ça veut dire.

   Tout le monde sait ça. Mais puisque ça lui fait plaisir d'exhiber fièrement les qualités fonctionnelles du réseau, soit. Seulement sa tête de fils à papa et son ton solennel m'ennuient plus qu'autre chose.

   Finalement : le bureau de l'officier supérieur devant nous accueillir. Nous entrons et nous retrouvons devant le lieutenant-colonel Kuhn, un grand type aux muscles saillants et au rasage impeccable, laissant visible un superbe double-menton et des lèvres pincées. Une petite mèche de cheveux blonds dépassent de son couvre-chef. Il se lève de son siège et écarte ses énormes bras en signe de bienvenue, esquissant un sourire poli :

- Eh bien ! Je vous souhaite la bienvenue au quartier général du réseau Marijoan ! Je suis le lieutenant-colonel Kuhn...

   C'est marqué sur ta porte, mon grand.

- ... responsable de la sécurité ici. Et de votre accueil, monsieur Denuy, cela va de soit !
- Je pensais que le commodore me recevrait.
- Le commodore Miltiades, le dernier en poste, est actuellement en mission sur le terrain... Ou devrais-je dire en mer ? Malheureusement il ne sera pas de retour avant un bon moment. Une histoire de pirates, comme toujours... Et qui est cet homme à vos côtés ?
- Voici Dorian Silverbreath, le responsable de ma sécurité.
- Un garde du corps ?
- Nous pouvons dire ça.
- Attaché au Gouvernement ?
- Non. Un homme de confiance.
- Un chasseur de primes ?
- Pas vraiment.
- Un mercenaire...

   Le lieutenant-colonel me fixe, allant du haut vers le bas et inversement, sans ciller. Ses sourcils froncés en disent long sur l'image qu'il a de moi. C'est marrant : sa tête ne me revient pas non plus.
   J'espère au moins qu'Abel saura se montrer convaincant pour la suite.
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- Pourquoi l'avoir fait rentrer ? La sécurité sous la capitale n'est-elle pas suffisante pour vous, monsieur Denuy ?
- Au contraire, je sais à quel point la base du G-0, chargée de la gestion du réseau et de la défense de la capitale est l'un des lieux les plus sûrs du monde... Si je l'ai fait rentrer avec moi, c'est parce qu'il a besoin de quelque chose que vous êtes le seul habilité à donner.
- Mmh... Et que veut-il donc ?
- Rien d'bien méchant : un simple laissez-passer officiel pour Lone Done. Sans quoi j'pourrai pas suivre l'secrétaire d'état jusqu'au bout.

   Le lieutenant-colonel s'approche de moi, plus imposant que n'importe qui dans la pièce. Son uniforme parait presque trop serré pour lui. Il croise les bras à un mètre à peine de ma position et me répond :

- C'est justement au secrétaire d'état que je m'adressai. En tant que civil, attendez sagement que l'on vous s'adresse à vous, je vous prie.

  Toi tu as de la chance qu'on soit dans l'une des bases de Marijoa, sinon je t'en aurai collé une sans hésiter.

- Mes excuses, monsieur. J'ai l'habitude d'répondre quand ça m'concerne directement. J'voulais pas offenser qui qu'ce soit.
- Excuses acceptées. Mais pour le laissez-passer... Vous devez comprendre monsieur Denuy que ce genre de requête, même venant d'un homme de votre rang, est plutôt difficile à faire accepter. Cela peut retomber sur le commodore Miltiades, ou pire : sur nos supérieurs à la base principale, plus en hauteur...
- Vous voulez dire que vous refusez d'agréer à ma demande ?
- Malheureusement oui monsieur. J'en suis le premier navré, mais le fait d'être officier supérieur ne me donne pas tous les droits. Surtout en étant chargé de l'une des zones les moins gardées du réseau.
- Attendez : z'êtes en train d'dire que c'est pas l'quartier général ici ?

  Tous me regardent, perplexes, puis le grand baraqué réplique :

- Oui et non. Il s'agit de la base d'opération de notre zone portuaire : le réseau Marijoan, comme son nom l'indique, est constitué de plusieurs postes sécurisés sur la longueur, dans toutes les galeries praticables sous la capitale du Gouvernement. Le véritable QG se situe pile en dessous, plus en profondeur du tunnel.

   Ah. Je me sens plutôt con sur ce coup. Je me suis laissé entraîner par l'étonnement sans me dire qu'il pouvait y avoir un endroit plus gros encore sous la terre.
   Je remarque qu'Abel esquisse un sourire moqueur dans ma direction, ce qui rajoute au désagréable de ma situation. Et me donne envie de le frapper. Mais ça...

- Je ne peux rien faire pour votre garde du corps, je regrette.
- C'est fâcheux... Comme je le disais, il s'agit d'un homme de confiance que je connais depuis bien longtemps avant ma nomination. Il n'en a pas l'air, mais il est compétent et droit. Je me vois mal ne pas le garder à mes côtés, surtout en sachant qu'il ne m'a demandé aucun paiement en retour.
- Aucun paiement ? Étrange pour un mercenaire.
- Pas pour un compagnon de route. Et puis il y a bien échange : lui joue ma garde rapprochée tandis que je lui permets de rejoindre son nouveau lieu de travail.
- Quel genre de lieu ?

   Je tends la carte donnée par Elizabeth Butterfly au "secrétaire d'état". Celui-ci la montre au lieutenant-colonel Kuhn, lequel hésite un moment avant de relever les yeux vers nous, le visage éclairé :

- Je vois. Un acte patriote donc... Mais encore une fois, je ne peux rien faire.
- Dans ce cas, je ne bouge pas d'ici.
- Ce serait embêtant monsieur Denuy ! Nous avons la charge de vous faire traverser sans encombre La Flaque et de vous conduire jusqu'à Lone Done ! Si votre sécurité vous préoccupe tant que cela, sachez que je peux vous emmener directement à la surface pour que vous puissiez plaider votre cause, à votre compagnon et vous.

   Oh là ! Je salue le côté autoritaire d'Abel, mais nous savons tous deux qu'aller à la surface est un problème. Un gros d'ailleurs : là-bas seront réunis des politiciens et d'autres types suffisamment hauts dans la hiérarchie - ou suffisamment informés - pour savoir que mon blond à la langue fourchue est un imposteur.
   Légèrement troublé, Abel lance :

- Je n'ai pas le temps de discuter d'un détail sans importance avec mes pairs. Je suis attendu et, même en traversant Calm Belt, le trajet jusqu'à la capitale et les palabres décisionnelles risquent de me coûter des heures précieuses.
- J'ai appris à ne laisser passer aucune forme d'exception monsieur Denuy. Si un civil traverse à bord d'un de nos cuirassés comme le ferait un touriste sur un bateau de croisière, je me dois de pouvoir l'expliquer ensuite. Surtout si la personne en question est un garde du corps non-officiel d'un secrétaire d'état. S'il avait un contrat ou une carte de fonction à présenter je ne dis pas. Mais en l'état actuel c'est non.
- Dans ce cas je...

   BIIIP ! BIIIP ! BIIIP !

   Nous sursautons tous quand ce que je pensais être un escargophone collé au mur se met à hurler de manière stridente, la coquille clignotant d'un beau rouge vif. Presque aussitôt, un militaire débarque sans frapper, l'air particulièrement grave :

- Lieutenant-colonel, nous avons reçu un signal de détresse du poste C dans le premier secteur ! Ils demandent de l'aide de toute urgence !
- Quoi ?! Que se passe-t-il là-bas ?
- Un navire de guerre a foncé droit sur les quais sans donné son code d'authentification. Le temps qu'ils l'arrêtent, il était trop tard : il a enfoncé les lignes et a explosé, provoquant d'importants dégâts. Puis les miradors ont repéré une flotte emprunter leur couloir en profitant de la confusion.
- Des pirates ?
- L'équipage de Black Horn, d'après l'officier en charge du poste C. A cause de l'effet de surprise, ils risquent de ne pas pouvoir les rattraper. Si nous envoyons nos hommes maintenant, nous pourrons peut-être leur couper la route.
- Combien de bâtiments ennemis ?
- Cinq.
- Préparez immédiatement mon navire ! Je vais m'en charger. Sept navires devraient suffire...
- Lieutenant-colonel... Il y a un galion dans le lot. Il paraît qu'il est immense. Deux fois plus que votre cuirassé. S'il nous voit arriver, il lui suffira de se placer sur le côté pour nous bombarder avant de les avoir à portée.

   L'officier supérieur s'arrête et plisse les yeux. Là est tout le problème quand on navigue dans des couloirs restreints : les manœuvres sont limitées. Je comprends le souci du grand patron : la flotte ennemie doit emprunter l'artère principale, plus large que les autres, tandis que les vaisseaux de la Marine doivent sortir par les couloirs annexes pour la rejoindre, ce qui les place en position de faiblesse le temps de s'y insérer. Et même à ce moment-là, le nombre risque de les handicaper si l'autre gros bateau décide de les aligner au canon. Surtout que l'ennemi s'attendra à une réponse de la Marine, le rendant extrêmement vigilant.
   Un ennemi de taille hein...

   Je souris de toutes mes dents et lance un clin d'oeil à Abel. Celui-ci le remarque et me lance un regard signifiant : "Allons bon, je sais à quoi tu penses. Fais comme tu veux.".
   Je tapote l'épaule du grand Kuhn afin d'attirer son attention. Une fois que je l'aie, je m'éclaircis la gorge et dis :

- J'pense qu'on peut s'arranger, lieut'nant-colonel.


Dernière édition par Dorian Silverbreath le Dim 17 Juin 2018 - 22:38, édité 1 fois
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- Tu es sûr de ton coup ?

   Le plan que j'ai proposé au lieutenant-colonel a été accepté, après quelques mots réconfortants pour éviter qu'il craigne pour son poste. Ce fut difficile mais au moins j'ai reçu carte blanche et c'est tout ce qui m'importe.
   Laisser un civil participer à une bataille sous la supervision de la Marine ? Impensable. Voir une bande armée d'inconnus arriver à l'improviste et provoquer une pagaille inespérée chez l'ennemi, avec le témoignage d'un secrétaire d'état ? Quelle aubaine. C'est ainsi qu'Emma, vingt de mes hommes et moi-même nous retrouvons à longer le tunnel en courant sur les rochers. L'équilibre est instable mais nous n'avons pas le loisir de nous plaindre, trop occupés à rattraper la position ennemie. Des soldats nous ont déposé suffisamment proche de l'artère principale pour accueillir au point de rendez-vous la flotte de Black Horn...
   J'aurais peut-être dû demander de quel équipage il s'agissait.

- Un peu que j'suis sûr ! T'en fais pas, mes plans ratent quasiment jamais.
- Quasiment ?!
- La dernière fois, c'était parce que mon équipe était mauvaise.
- Et ceux que t'as envoyé ailleurs alors ?

   J'avais laissé mes dix autres serviteurs dévoués aux mains d'un petit groupe de Marines volontaires pour une opération importante : servir de boucliers à la véritable force de frappe, commandée par le lieutenant-colonel Kuhn, avec Abel à son bord pour "observer les forces du Gouvernement et apprendre de leur performance". Le tout en félicitant mon talent, mais pour ça il faut que j'assure de mon côté.

- Ils vont foncer sur l'ennemi et l'forcer à s'écarter pour les rapprocher des rochers. Nous n'aurons plus qu'à sauter pour rejoindre le navire l'plus proche et l'aborder.
- Ils vont y rester.
- Ils vont sauter avant qu'ça fasse "Boum".

  Nous arrivons à notre place : une sorte de plate-forme naturelle formée par un énorme stalagmite à la pointe cassée, suffisamment haute pour nous hisser à hauteur de pont d'un trois-mâts. Penchée comme elle l'est, nous dépassons les récifs. En d'autres circonstances, ça ferait un super plongeoir...
   Mais voilà que la flotte arrive. Deux choses me permettent de savoir qu'il s'agit bel et bien de l'ennemi : le drapeau noir sur chacun des bâtiments et, surtout, la taille du galion au centre, plus impressionnant que tous ceux que j'ai pu voir jusqu'à présent.
   Le monstre possède deux étages de canons sur chaque côté et tout autant de rames, sans compter ceux du pont. Quatre mâts se dressent fièrement au dessus, voiles repliées. A la proue, un beaupré légèrement recourbé tout en métal. En se rapprochant, je constate qu'il s'agit d'une lame posée sur le front d'un crâne semblant rire aux éclats. Les lumières vacillantes à son bord contrastent avec le côté sombre du bois et des entrailles du tunnel, rendant sa vision d'autant plus extraordinaire. Et lugubre.

   Deux vaisseaux à droite, deux à gauche, le chef au centre... Une formation en V classique mais efficace. Je me retourne vers les autres et leur dis :

- Messieurs-dames : j'sais c'que vous vous dîtes. Aujourd'hui nous allons venir en aide à la Marine. Tout ça pour quoi ? Pour être affranchis ? Pour avoir un espoir d'avenir meilleur ? Nan rien d'tout ça ! On va l'faire pour ma pomme. Parce que j'ai décidé de l'faire, parce que j'dois passer et r'joindre Grand Line, parce que la Marine en à rien à fout' vous et parce que nous avons un arrangement. Mais vous savez quoi ?

   Je m'éclaircis la gorge et souris :

- Moi j'en ai pas rien à fout' de vous. Vous m'appartenez, tous autant qu'vous êtes. Mais est-ce que j'vous ai jamais considéré comme de vulgaires objets ? J'crois pas. Sinon faut m'le dire et j'verrai si j'peux changer ça... Oh et j'vous vois v'nir avec les "On va p'têt mourir aujourd'hui donc pourquoi s'donner cette peine ?" et vous avez raison d'le penser ! Ce à quoi j'réponds : on s'en souviendra. Parce que z'êtes pas des objets, on s'en souviendra. Parce que j'étais là pour vous mener à cet instant on s'en souviendra, parce que la Marine sera r'connaissante on s'en souviendra. Parce qu'on mérite tous d'pas être oublié... On s'en souviendra.

   On m'écoute sagement, même Emma, et ça m'électrise. Les esclaves de chez Victor Bahìa, l'économiste de Saint-Uréa, sont particulièrement bien dressés, mais ça ne fait pas de mal de rehausser leur amour-propre de temps en temps, même sans penser un traître mot de ce qu'on raconte.
   Juste ce qu'il faut au moins pour les motiver :

- J'vous d'mande pas d'être des héros. Personne ici n'y croit d'toute manière. Ça existe pas. Tout c'que j'vous d'mande, c'est d'être prêt à vos battre pour votre vie. Et si vous doutez, même un instant, que vous êtes toujours de c'monde : tuez. Toujours plus ! Ce sont des pirates, on s'fiche de savoir si c'est vraiment la chose à faire. Ils méritent pas mieux. Chaque fois qu'un d'eux s'arrête de respirer, ça vous rappellera que vous, vous l'pouvez encore. Si vous êtes en colère pour c'que vous êtes et c'que j'vous d'mande de faire, si vous avez des r'grets, des choses que vous avez pas pu faire auparavant : relâchez votre frustration et défoncez-moi tous ces fils de pute ! Massacrez-les tous comme les chiens qu'ils sont ! J'veux qu'vous m'prouviez qu'vous êtes capables de tout parce que moi j'ai décidé d'y croire ! Sinon j'vous aurai jamais pris avec moi ! Alors préparez-vous à sauter sur le premier bateau qui passe et montrez-moi qu'vous êtes pas des moins que rien ! Suis-je clair ?!

   Aussitôt, je ressens comme une vague de chaleur me caresser le visage alors que tous redressent les épaules et me regardent avec une intensité nouvelle sur le visage. un "Oui boss !" parfaitement synchronisé m'arrive à la figure*. Les troupes sont prêtes à entrer en action.

   Alors que les navires ennemis arrivent presque à notre position, j'aperçois enfin dans le couloir plus en avant le bout des cuirassés surgir, les hauts-parleurs actifs et la voix du lieutenant-colonel gueulant ses ordres et ses menaces :

- Black Horn ! Ici le Lieutenant-colonel Kuhn ! Je vous somme de vous rendre immédiatement si vous ne voulez pas que l'on retrouve les restes de votre petite flottille dans les abysses de La Flaque !

   J'ai beau trouver la demande comique, l'arrivée bruyante de nos bons amis du Gouvernement, avec deux bateaux à l'avant fonçant à toute allure sur la formation pirate, suffit à faire réagir celle-ci de la manière escomptée : tous s'écartent sur la gauche, se rapprochant de plus en plus de notre position. Le galion accentue sa position de tête et commence à tourner pour positionner son flanc droit face au binôme de bateaux-leurres. L'un d'eux tire au canon avant une fois histoire de titiller la bête, sans vraiment chercher à atteindre sa cible.
   Suite à la remarque de l'officier, ça peut passer pour un avertissement vu la distance et l'angle du projectile qui s'échoue à plusieurs dizaines de mètre de l'ennemi. Mais ce simple geste semble accélérer la mise en place du processus de contre-attaque : le galion est maintenant en place et les canons à son bord finissent d'être préparés. Dans quelques secondes, des douzaines de boulets vont s'abattre sur les vaisseaux légers quasiment vides de troupes. Les hommes à bord commencent déjà à sauter à l'eau pour éviter la décharge infernale.

   Je ne m'en inquiète pas : ma propre mission est lancée. Le bateau le plus à gauche de la formation est maintenant à notre portée. Les pirates sur le pont sont trop concentrés par ce qu'il se passe à droite pour nous remarquer. Je donne le signal et je saute à bord, suivi par les vingt et un membres de mon équipe de fauteurs de trouble.
   La bataille commence.

technique employée:


Dernière édition par Dorian Silverbreath le Ven 18 Mai 2018 - 19:32, édité 1 fois
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BANG ! BANG !

   Le galion tire et les boulets s'encastrent dans les leurres en première ligne. Le bruit des détonations et le craquement du bois provoquent un tel boucan que je parviens mal à me faire comprendre de mes hommes :

- PAS D'QUARTIER ! MASSACREZ-MOI CES...

   Ces...
   Ces... Quoi ?
   Un détail retient mon attention quand je remarque mes adversaires, surpris de notre arrivée. Aucun des miens ne semble en tenir rigueur, Emma comprise : tous sont déjà en train de se battre, faisant virevolter sabres et couteaux tandis que d'autres tirent au pistolet dans tout ce qui a la malchance de se mouvoir. Mais moi je les regarde, bouche bée, espérant que ma vison me joue des tours...
   Je finis par m'approcher de l'un d'eux et par l'assommer d'un coup de poing avant qu'il ne puisse m'étriper. Je l'attrape par la gorge et lève sa tête vers moi. Je me pince de l'autre main. Alors non, je ne rêve pas. Ces gens ont des cornes.

   Tous. Ils ont tous des foutus cornes sur le sommet du crâne. Je tire sur celles de ma victime et constate qu'elles ne bougent pas. Ce sont des vraies.
   C'est un équipage de Cornus ! Je comprend enfin d'où vient leur nom... Et ça me donne juste ce qu'il me manquait de motivation pour foncer dans le tas en tirant bâton et pistolet à mon tour : tout ce qui n'est pas humain à cent pour cent ne peut pas être considéré comme normal. Tout ce qui n'est pas normal doit disparaître.
   Je sais très bien que cette pensée n'est pas générale. Ce n'est pas ma faute : dans les contes pour enfants que ma mère me lisait de temps en temps - quand j'étais d'humeur en somme - les monstres et les bêtes étranges avaient toujours le second rôle. Cela ne veut-il pas dire que l'humain de base EST la race dominante ?

   Je lève Argument, mon bâton d'argent, et l'abat sur un monstre. Je lève Solution, mon pistolet doré et appuie sur la détente, creusant un trou dans la poitrine d'un autre. Leurs cris de douleur et d'agonie ne me font ni chaud ni froid. Tout ce qui m'importe là, tout de suite, c'est de ne plus les voir remuer le moindre muscle. Chaque histoire comporte son lot d'erreurs. Moi les erreurs : je m'en débarrasse. J'ai le premier rôle ici. C'est moi qui deviendrai roi. Eux ? Ce ne sont que des choses abjectes.
   Je repense à cette prostituée de la tribu des Longs Bras que j'ai bien failli sauver... Encore heureux quelle soit morte ! Les anomalies n'apportent que des problèmes ! Rien que cette image parvient à m'énerver davantage et je continue le massacre en hurlant comme un possédé.

   Emma me regarde comme si j'étais un inconnu. Ce qui ne l'empêche pas de retirer une lame, prise sur le tas, du corps d'un pirate et de retourner dans la mêlée.
   Une balle siffle à mon oreille mais je n'en ai rien à faire. D'ailleurs, le Cornu en face a bien compris que quelque chose cloche chez moi en voyant mes yeux fous et ma bouche déformée par une étrange expression. Comme tout individu qui ne comprend pas ce qu'il se passe, le doute et la peur finissent par le gagner et l'empêche de tirer à nouveau. Collé contre le bastingage, paralysé, il m'observe pendant que je m'approche de lui, prêt à lui fracasser le crâne.
   Une balle perdue me retire ce plaisir : touché à la tempe, son regard se fige instantanément alors qu'il bascule en arrière et tombe à la flotte.

- Putain !

   Je me venge en tirant sur un type sur la proue du navire. Lieu qu'investit déjà Emma et les douze survivants de mon groupe. Je me tourne vers le pont, puis vers la poupe : pas un survivant. Ni en haut des mâts, ni ailleurs. L'attaque fut rapide, mais l'effet de surprise avait joué en notre faveur.
   Il avait fallu à peine deux minutes à mes esclaves et moi pour supprimer une trentaine de pirates. Je m'apprête à donner de nouvelles directives quand j'entends de nouvelles détonations du côté du galion, puis des cris de colère sur notre droite : notre voisin a remarqué ce qu'il se passait et de nouveaux ennemis nous prennent pour cible.
   Comme si ça ne suffisait pas, je sens du mouvement en dessous de nous, dans l'étage inférieur. Les rameurs et autres membres de l'équipage doivent préparer une sortie pour nous cueillir à découvert.
   Le temps presse :

- Emma : prends la moitié des hommes et empêchez les survivants d'sortir des cales ! Les autres : chargez les canons et flinguez-moi les enfoirés d'à côté !

   Sitôt dit, sitôt fait : tout le monde s'active. Je cours rejoindre l'arrière du navire en ripostant tant bien que mal alors que seules les rambardes et quelques caisses de munitions me protègent des coups de feu. Je finis par atteindre la dunette et la barre à roue que j'empoigne et fais tourner, dirigeant le navire sur la droite. Je cherche l'impact.

    FSCCCHHHHHIIII. BANG !

   Quelques cris me parviennent, étouffés par les planches de bois au sol. A l'étage inférieur, le combat fait rage et il semblerait que les canons de l'autre bateau se soient mêlés à la sauterie. J'entends alors des mots auxquels je ne m'attendais pas :

- Y A LE FEU ! Y A LE FEU !

   Et en effet, de la fumée s'échappe de la zone d'impact, sur la coque. Je tourne la tête vers le pont ennemi et remarque à la dernière seconde la bouche d'un canon tournée vers ma position. Mais ce qui devait être noir au fond... M'apparaît rouge.

   BANG !

   Je saute à terre et le boulet défonce la rambarde devant moi, un morceau de coque et s'écrase contre le mât d'artimon. En me redressant, je constate l'étendue des dégâts. Et plus encore : là où le projectile est passé, le bois s'est mis à noircir ou à brûler. La brigantine derrière moi a également pris feu.
   Je sais ce qui en est la cause, mais je ne m'attendais pas à les voir utiliser ici. J'oubliais que ces pirates, tout comme moi, cherchent à atteindre Grand Line, la route de tous les périls. Alors utiliser des boulets chauffés à rouge, malgré la délicatesse de leur emploi, est une façon comme une autre de prouver le culot de leur capitaine. Ou son absence de bon sens.
   Mais puisqu'ils ont décidé de nous incendier : autant leur rendre la pareille. Je retourne à la barre, miraculeusement intacte, et accentue mon virage afin de rentrer en collision avec ces foutus pyromanes.
   Le mât de beaupré est maintenant face à leur proue, prêt à la pénétrer. Sur le pont, mes hommes répliquent enfin avec nos canons. Il était temps !

   Plus en avant, il ne reste rien des leurres de la Marine. Les cuirassés du lieutenant-colonel sont entrés dans l'artère principale et ne souffrent d'aucun dégât. La véritable bataille va pouvoir commencer.
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- Attention les gars : ça va secouer...

   Mes esclaves, tout comme Emma, me regardent avec de grands yeux ronds. Je souris fièrement, la tête tournée vers mon objectif. L'autre bateau a compris ce que je tente de faire et décharge tout ce qu'il peut dans notre flanc exposé pour nous dégommer. Mais je n'en ai absolument rien à faire : ce navire est perdu, mais nous, nous respirons toujours. Malheureusement pour eux.

   De plus en plus de flammes s'élèvent sur notre bâtiment tandis que les éclats de bois, de plomb et d'acier volent dans tous les sens. Beaucoup de gens crient : les derniers membres d'équipage dans les cales, condamnés par leurs alliés et un peu par les miens ; mes hommes, ainsi que ma tueuse personnelle, lesquels répliquent tant bien que mal ; l'autre abruti ordonnant à ses canonniers de nous descendre en face.
   Je sais que tous ici me maudissent, au moins inconsciemment, pour ce qui est en train de se produire. Mais comme je l'ai dit : je m'en fiche. Royalement. J'ai décidé d'agir ainsi alors nous agirons ainsi. Aucune autre alternative n'est acceptable à moins qu'un éclair salvateur vienne m'offrir bon sens et instinct de survie... Ou me foudroie sur le champ.
   Dans quelques secondes, le brûlot que je manœuvre va s'encastrer dans son semblable et nous sauterons tous à bord pour liquider les bêtes à cornes qui s'y trouvent et continuer notre course jusqu'au galion.

   Ce dernier tire une salve de boulets sur les cuirassés de la Marine, lesquels sont suffisamment proches pour répliquer. Ce qu'il font.
   L'un d'eux perd l'usage de ses canons : les tirs ennemis ont pulvérisé une partie non négligeable du pont et de ce qu'il comportait. Il semble que le monstre en bois sombre des Black Horn concentre ses attaques sur un navire à la fois. Ce n'est pas bête : il va neutraliser, voire annihiler ses adversaires un par un en recevant toujours moins de dégât pour sa part. Les canonniers à bord savent ce qu'ils font, et leur capitaine n'est pas un imbécile. Et évidemment, en terme de machine de guerre, il a la plus grosse. Va savoir si les projectiles du lieutenant-colonel et de ses hommes suffiront à avoir raison de lui...
   A la surprise générale : un boulet frappe l'une des ouvertures de la rangée inférieure d'artilleries, le choc forçant le canon qui s'y trouve à se tourner vers l'intérieur. La mèche est allumée. Près de chaque canon se trouve une caisse de poudre, par souci d'efficacité. Une réaction en chaîne se produit. C'est la première fois que les Marines en étant responsables se congratulent d'avoir provoqué un semblant d'hémorragie interne.
   Avec la moitié d'une rangée de tir en moins, le galion va perdre en force de frappe. Mais cela reste un sacré morceau. Les forces s'équilibrent : un cuirassé a été coulé au même instant.

   C'est rentré.
   Le bruit est impressionnant. Ça craque et ça cède de part et d'autre. Les flammes dévorent tout ce qu'elles peuvent et les braises volages viennent lécher les voiles adverses, propageant l'incendie. Une seconde avant d'atteindre notre cible, j'ai lâché la barre et ai commencé à courir vers le pont où Emma et les autres continuent de tirer sur les pirates. Après la fusion entre les deux navires, nous avons sauté sur l'ennemi, les uns prêts à tout faire pour l'emporter et pour vivre, moi prêt à briser des crânes et éradiquer la vermine immonde.
   J'aurais pensé la même chose si le lieutenant-colonel avait été un Long-Bras ou un Homme-Poisson... Bien que je doute sincèrement qu'on place un amphibien aux yeux vitreux à un poste si important.

- Dorian, attention !

   Je baisse la tête par réflexe et mon assassin à lunettes dégomme un Cornu dans mon dos avant qu'il ne m'embroche avec son sabre. Je lève le pouce, toujours aussi souriant :

- Bien vu l'aveugle !
- Tu trouves ça drôle ?!
- On t'a jamais appris à t'amuser ?

   A mon tour, je tire sur un assaillant dans le dos d'Emma. Elle ne bronche pas et continue à canarder l'assistance :

- Pas comme ça non ! Je n'en ai pas vraiment eu l'occasion.
- Et pourtant... C'quand même pas pour rien si ton taff est l'plus vieux métier du monde ! Nos ancêtres savaient s'amuser.
- Je n'ai jamais vendu mon c...
- J'parlais d'tuer ! Assassiner pour obtenir : voilà c'qui a fait qu'nous sommes là aujourd'hui.
- Et quelques galipettes au fond d'une grotte.
- Y a pas d'vie sans mort Emma. L'oublie pas. Aimer, c'est une connerie.

   J'allume un autre pirate, caché derrière un baril, puis déboîte la mâchoire d'un autre d'un coup de bâton bien placé. Le temps d'en arriver là, j'ai le temps de cogiter et quelques paroles résonnent dans mes oreilles :

- Attend voir... T'as dit que t'avais jamais vendu ton corps.
- Pour qui tu me prends, Dorian ?
- Mais t'as pas dit que tu l'avais jamais fait.

   Emma ne répond pas. Elle se contente d'abattre une autre cible.

- Emma ?

   Aucune réponse.

- Oh ?!

   Et elle se barre ailleurs. Pas pour s'enfuir, non. Juste... Elle se barre parce que d'autres attendent d'être tués à l'avant. Et les flammes atteignent presque notre position.
   En soi je me tape de savoir si elle est déjà tombée sur une cucurbitacée, par accident ou par envie. Mais quand quelque chose m'intéresse...

   Je relâche ma frustration sur un adversaire un peu trop vaillant venant s'offrir à moi. Sa hache passe à quelques centimètres de mon visage alors que je m'écarte d'un pas de côté et je lui fais un croche-pattes. Il tombe. J'ai un bâton en argent, il a de la veine. Il pourra se vanter d'avoir touché plusieurs fois une belle barre de métal précieux sans succomber à l'avarice. Du moins s'il s'en sort et ça, ce n'est pas ce que je souhaite.
   Je cogne une fois, deux fois, trois fois, dix fois... J'ai du sang sur la main, sur la manche, sur le pantalon, sur les pompes. Je ne m'arrête pas. Là où il y avait une tête ne reste qu'une bouillie rouge sombre et quelques miettes plus ou moins solides. Je jure, je me moque, j'insulte à nouveau, je me marre... C'en devient nerveux. Mon humeur instable et le spectacle dérangeant que je montre à mon entourage, composé de diablotins de pacotille, suffisent à les dégoûter au point de ne rien pouvoir faire d'autre que de regarder bouche bée, amplifiant leur colère, leur incompréhension et leur peur.
   Lorsque l'un d'eux finit par lancer la charge, sortant ses compagnons de leur torpeur, une balle se fiche dans sa tête. S'ensuit une fusillade entre les derniers opposants et mon équipe de saboteurs suicidaires.

   S'il y a bien une chose sur laquelle je suis entièrement d'accord avec Abel, et qui est une raison suffisante pour qu'il me suive, c'est que la folie est une arme.

   La folie est contagieuse.
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- Vous devriez aller dans ma cabine, monsieur Denuy. Je ne peux pas garantir votre sécurité si nous nous rapprochons de l'ennemi.
- Hors de question. Je veux vous voir l'emporter de mes propres yeux.

   Le lieutenant-colonel regarde Abel d'un œil interrogateur. Il ne comprend pas la réaction du "secrétaire". Habitué à voir les civils obéir aux ordres militaires, il ne conçoit pas qu'un personnage politique puisse mettre sa vie en danger de la sorte alors qu'on tente de l'en écarter. Au delà de la logique viennent également le protocole et l'éthique : en tant que supérieur d'un corps d'armée sur un champ de bataille, il est la principale autorité ici et ne peut permettre qu'on lui refuse quoi que ce soit, surtout si cela nuit à sa concentration et à la manœuvre des troupes. Mais en l'état, le secrétaire d’État appartient à un pays étranger, bien qu'affilié au Gouvernement et ne devrait même pas être ici. Sa présence résultant d'un accord non-officiel, les chances de soumettre Abel à sa volonté sont quasi-nulles.
   De toute manière, Abel n'en a rien à faire : il contient mal son sourire à la vue du spectacle. Sa main droite bat la mesure le long de sa cuisse, trahissant son désir de participer.
   Qui sur ce cuirassé peut se douter qu'il y a parmi eux un dérangé amoureux du désordre et de l'insanité ?

   Le galion tire à nouveau et, cette fois, des boulets touchent le navire de l'officier supérieur. Quelques mouettes en subissent les conséquences et d'autres s'affolent, humainement dominées par la peur de mourir. Kuhn hurle de nouvelles directives, le buste droit et le regard sévère. Si le commandant garde la tête sur les épaules, il peut inspirer la confiance. La discipline renaît aussitôt et on finit par répliquer côté Marine.
   Les détonations à répétition résonnent partout dans l'immense caverne et l'odeur de poudre se joint aux fumées nombreuses qui s'élèvent côté pirates et côté soldats. Tout le monde est focalisé sur son objectif : vaincre et survivre. Abel le voit bien depuis sa position. Mais n'étant pas directement concerné par le feu de l'action, sa vision est plus large et il parvient à remarquer un détail plus qu'important.

   Un des bateaux pirates s'est écarté de la formation pour charger dans leur direction, voulant profiter de l'effet de surprise pour les aborder.

   De mon côté, j'élimine un autre Cornu. Mes esclaves sont plus prudents qu'au lancement de l'opération, mais ce n'est pas un mal : nous sommes parvenus à presque entièrement neutraliser deux bâtiments ennemis, ce qui n'est pas rien !
   Je parviens à rejoindre Emma, laquelle tente de prendre le contrôle de la barre. Mais avant de pouvoir dire quoi que ce soit, je la vois tomber à la renverse et dévaler les escaliers de la dunette. Je la rattrape avant qu'elle ne termine sa chute tête la première contre le plancher et vérifie son état. Un grognement de douleur accompagné d'une grimace pas très sexy suffisent à me soulager et je lève la tête.
   Nous observant tranquillement depuis sa position, une main sur le bastingage, l'autre tenant une rapière, les yeux maquillés de fard rouge et les cheveux tout blancs, un jeunot en tenue de majordome nous apostrophe :

- Je ne savais pas que la Marine dressait les rats de nos jours. Plutôt pratique pour faire diversion, mais leur utilité s'arrête là.
- Fais gaffe petit : les rats, ça r'file de sacrés salop'ries. En plus de nos jours, ça met l'feu aux navires...

   Je lui rend son sourire moqueur, ce qui a pour effet de le faire tiquer de l’œil. Je sens qu'il a envie de me faire la peau, avec son air faussement posé.
   Un des diablotins à terre près de nous tousse et s'adresse à son camarade albinos :

- Fizby... Massacre-les... Ces fils de p...

   Je lui écrase la tête d'un coup de pied avant qu'il ne déblatère davantage de conneries, ce qui a pour effet d'énerver notre garçon à la rapière. Il commence à descendre, prêt à frapper. Mais il s'arrête bien vite en voyant le bras d'Emma se lever alors qu'elle tente de lui tirer dessus. D'un bond, il saute sur le côté et évite le coup de feu. Le voilà sur le pont, face à nous.
   Derrière moi, quatre de mes hommes se rapprochent. Ce sont les derniers survivants de notre groupe. Plus en arrière, le feu dévaste tout. De nouvelles explosions retentissent : plusieurs barils de poudre ont sauté dans les parties inférieures... Si la coque a été perforée, l'eau ne manquera pas de s'y infiltrer.
   Juste à côté, le galion de Black Horn essuie lui aussi des dégâts. On entend aisément le bois craquer et les hommes hurler à la mort tandis qu'en face, la Marine perd son deuxième cuirassé.
   J'aperçois alors le bateau pirate qui se rapproche de l'emplacement d'Abel et du lieutenant-colonel Kuhn. Voyant cela, je prend une décision dans l'urgence.

   Enfin presque. C'était ce que je voulais depuis le départ, même si je n'osais pas le dire. Ma mère m'a toujours dit qu'il ne fallait jamais révéler la nature d'un vœu avant qu'il ne soit exaucé :

- Tu t'sens de continuer Emma ?
- Évidemment. Jusqu'à ce que mort s'en suive.
- J'préférerai qu'tu restes en vie. J'ai pas fini de t'en faire baver.
- Qu'est-ce que tu vas me demander cette fois ?
- je te laisse t'occuper du guignol en face. Moi et l'reste du groupe, on monte là-dessus et on nettoie.

   Je désigne le galion. L'empoisonneuse à lunettes soupire, récupère un couteau à la ceinture d'un cadavre, se redresse et fixe le dénommé "Fizby". Son visage, neutre d'habitude, commence à s'assombrir tandis qu'un sourire froid fend ses lèvres. Derrière ses binocles, les yeux de mon assassin ne voient qu'une seule chose : le corps agonisant de sa cible désignée.

- A tes ordres.

   Je la laisse là et m'élance en tête de file vers le bastingage, terrassant les maigres forces encore debout pour nous ralentir. Je saute, suivi par les autres, et nous commençons à nager vers le monstre dans lequel se cache le capitaine des Black Horn.
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- Laisse-toi faire ! Ah !

   Emma évite pour la troisième fois la lame de Fizby. Celui-ci ricane de plus belle à chaque tentative. La colère est toujours là, mais quelque chose en lui semble s'être réveillée dans l'action, de l'ordre de la démence...
   La tueuse contre-attaque en tirant de plus belle, mais les mouvements de son adversaire sont imprévisibles et la balle se fiche dans le décor. Il zigzague en tordant son corps et en changeant sa vitesse à chaque foulée... Emma n'ose même pas le poignarder, de peur d'y laisser la main.

   Malgré tout, elle parvient à rester de marbre. Cette situation, elle la connaît : elle l'a déjà expérimenté par le passé. Les années d'expérience et les conditions aussi dangereuses que différentes sur le terrain ont permis à notre assassin de développer un sang-froid hors du commun. Là où d'autres verraient une situation pénible, elle ne voit que la normalité. Car sa vie ne se résume qu'à ça.
   "Mais maintenant, j'ai Dorian" pense-t-elle alors.

   Le Cornu albinos cherche à nouveau à lui lacérer l'estomac mais la jeune femme s'écarte juste à temps et braque son arme sur lui. A cet instant, c'est son pied droit qui sert d'appui. Il va s'écarter sur la gauche... En conséquence, Emma pivote et se prépare à le poignarder. Le geste est vif, sa précision certaine. Mais la bizarrerie de Fizby lui permet de déjouer la feinte. Il s'écarte un peu d'elle et lui envoie des débris d'un coup de pied.
   Emma esquive et tire.

- Encore raté ! Tu es sûre d'y voir clair ?

   Pas besoin de répondre à la provocation : la fumée qui s'élève de part et d'autre désormais obstrue partiellement la vision des duellistes. Mais la plus désavantagée reste la tueuse, car les cendres et la poussière viennent se coller au verre de ses lunettes et commencent à gêner sa vision.
   Soudainement consciente de cela - et certainement conditionnée par la remarque - Emma passe machinalement sa manche sur le verre. L'espace d'une seconde, elle perd de vue l'ennemi.

   C'est une seconde de trop.

[...]


   C'est la panique. Le lieutenant-colonel Kuhn a beau crié ses ordres, le fracas des deux navires entrés en collision et les hurlements de ses hommes sous le feu des pirates couvrent le son de sa voix. Il jure et décide de prendre les choses en main. Armé d'un mousquet chargé et d'un gantelet à pointes, il s'approche du lieu d'impact afin de ramasser les premiers ennemis avant qu'ils n'atteignent le pont.
   L'abordage commence. Les premiers Cornus posent le pied au sol... Et se font littéralement rétamer par l'officier musculeux. Les quatre premiers finissent face contre terre, un cinquième reçoit la balle du fusil et un sixième s'apprête à lui porter un coup dans le dos quand...

   PAN !

   Le lieutenant-colonel se retourne pour voir le flibustier tomber à genou puis s'écrouler. Lui, comme les autres soldats présents, regardent en direction du coup de feu pour trouver le responsable.
   Un rat s'est glissé entre les pattes des mouettes affolées pour se rapprocher du danger. Un acte contre-nature. Mais totalement réfléchi.
   Abel souffle sur le canon de son pistolet avant de dire :

- Soldats de la Marine ! Est-ce là tout ce dont vous êtes capables ?! Est-ce là votre force ? Est-ce à vous que je dois confier ma vie ?! Ne faîtes pas honte au Gouvernement ! Votre lieutenant-colonel vous a ordonné de vous battre ! Il vous a imposé la discipline ! Est-ce trop vous demander ? Si tel est le cas... Vos familles doivent avoir honte. En espérant que d'autres, plus compétents, parviennent à les garder en sécurité.

   La remarque fait mouche.

- C'est en homme du peuple que je vous parle. C'est à des hommes du peuple que je vais m'adresser maintenant : en quoi croyez-vous ?! En la justice ? Ou en ÇA ?!

   Abel tend son doigt vers les autres pirates prêts à envahir le pont. Aussitôt les soldats répondent :

- EN LA JUSTICE !

- Dans ce cas : pas de pitié ! Massacrez-les tous ! Ne faîtes aucun survivant ! Pour la... Justice !

   Sous les yeux du grand kuhn, les Marines désorganisés forment un bloc et chargent l'ennemi, tous animés par la même rage de vaincre.
   Les talents d'acteur d'Abel rendent chacune de ses tirades éloquentes. C'est un don qu'il a su développer avec le temps. Pour ses propres intérêts cependant... Mais il faut avouer qu'une vie passée à envenimer des situations, à provoquer des conflits et à empoisonner l'esprit de son entourage a ses avantages sur un champ de bataille : attiser la haine et rassurer les âmes faibles en prétextant participer à un but noble... Quelle formidable façon de renverser le cours des choses.

    Clap. Clap. Clap.

    Une femme approche du "secrétaire d’État". Une grande femme au teint pâle et au regard mi-clos. Elle applaudit Abel tout en affichant un air las. Autre point inhabituel : elle porte une robe d'été noire et une couleuvrine à l'épaule... Ainsi qu'un pistolet à chaque cuisse, des bandages à l’œil gauche et, bien entendu, deux cornes au dessus de ses longues boucles dorées. Si elle n'avait pas cet air dérangeant et cet attirail menaçant avec elle, on aurait pu la trouver attirante.
   Elle ouvre la bouche :

- Tu me plais.
- Me voilà flatté.
- ... Tu veux bien faire partie de ma collection ?
- Tout dépend de la nature de la collection. Et de ce que j'ai à y gagner.
- A y gagner ? Mmh... L'éternité je dirai.

   Abel hausse un sourcil à l'entente de cette remarque. Sa nature opportuniste le pousse à entrouvrir la bouche pour accepter la demande de la demoiselle mais le geste de celle-ci au même instant lui fait changer d'avis : elle sort de sous sa couleuvrine ce qui ressemble d'abord à une peluche. Mais en plissant les yeux, le menteur professionnel se rend compte qu'il s'agit d'un animal empaillé. Une sorte de rongeur qu'elle serre dans ses bras tendrement en se balançant de droite à gauche alors que ses acolytes se battent juste à côté.
   Elle est cinglée. Cela amuse Abel : "Décidément, tout est beaucoup plus amusant quand on est entouré de fous. Merci Dorian."

   Comme s'ils allaient de pair, les deux adversaires pointent en même temps un pistolet dans la direction de l'autre et tirent. Ensemble, ils sautent sur le côté. La diablesse pose délicatement sa "peluche" sur le plancher et sort son autre pistolet. Ainsi armée, elle tire à nouveau en direction d'Abel qui n'a d'autre choix que de partir se mettre à l'abri derrière les tonneaux d'eau à l’extrémité du pont. Ceci fait, il ose une contre-attaque depuis sa position et force la taxidermiste à reculer. La balle passe tout près du rongeur empaillé. Elle le remarque. Elle plisse encore plus les yeux, prend un air contrarié et soupire :

- C'est pas bien, c'est pas bien, c'est pas bien... Il faut pas faire de mal à Twinky. T'es pas gentil.

   Elle prend le temps de ranger ses pistolets et met la main sur sa couleuvrine. Le danger augmente :

- Je vais essayer de pas trop t'abîmer. J'aime pas faire mal à mes futurs amis.

[...]

- Eh l'affreux ! C'est toi l'capitaine ?

   J'ai eu du mal à me hisser à bord : mes hommes et moi étions secoués par les vagues provoqués par tout ce remue-ménage. Et une fois à portée de la coque, il a fallu atteindre l'échelle de corde sur le flanc sans se rater, sous peine d'être distancés par le galion.
   Une fois fait, il a fallu grimper jusqu'en haut et atteindre le pont sans mourir. Heureusement, les pirates sont davantage occupés à canarder la Marine qu'à nous prêter attention. Nous parvenons donc à liquider une dizaine de diablotins avant de nous faire remarquer. Et c'est là que j'ai vu ce grand type torse poil, la peau noire et rouge par endroits, les cheveux longs et secs, debout sur la dunette en train d'admirer son œuvre d'un oeil brillant. Littéralement brillant en fait : ses yeux couleur ambre ressortent particulièrement à cause de son teint sombre et des braises causées par les torches osseuses alentours.

   Parce qu'il faut le noter : la surface du galion ressemble davantage à un lieu de culte païen qu'à un pont de navire.

- Et toi, tu n'es pas de la Marine.

   Je souris. Un autre boulet de canon vient frapper le monstre d'ébène mais cela ne semble pas perturber le démon carbonisé qui me domine de sa position. D'un simple regard, je devine qu'il est de ceux à n'avoir peur de rien et à ne reculer devant aucun obstacle. Pure folie ? Orgueil démesuré ? Dans tous les cas il a l'air d'avoir de sacrées tripes. Contrairement aux erreurs de la nature sous ses ordres, lui m'inspire davantage de respect. Il faut que je vois de quoi il est capable. Je veux un combat digne de moi, capable de me faire sentir vivant. Je veux que mon sang coule. Je veux que son sang me gicle à la figure. Je veux m'extasier dans la douleur.
   Je veux lui montrer qui domine :

- J'crois qu'on a un p'tit différent. Descends donc, qu'on en discute.
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- Oh le con...

   L'autre affreux m'a jeté l'une des torches à la figure. Puis il est descendu de son perchoir et tous les Cornus autour de lui se sont écartés : apparemment ils n'ont pas trop envie de gêner leur capitaine.
   Des gouttes de sueur coulent le long de mon front. Ce n'est pas dû à la chaleur... Je fais mine que tout va bien depuis le début, et l'excitation de la bataille y est pour beaucoup. Mais là, en me retrouvant devant un adversaire sur lequel je porte toute mon attention, l'ivresse du début se met à descendre et je prends conscience de ce qui m'entoure. Tant que c'était loin, tant que c'était gérable, ça ne me dérangeait pas plus que ça. Mais ici, il y en a à chaque coin, prêt à être répandu sur le sol, ou sur moi. Depuis cet accident, petit, avec mes parents artificiers, le souvenir est resté.
   J'ai peur de me faire brûler.

   Peau-rouge tend un bras vers l'un de ses hommes. Celui-ci s'approche et lui donne une fourche.
   Oui, une vraie fourche. Maintenant c'est clair, c'est une saloperie de démon ! Il sort de son ceinturon autre chose : une version réduite des torches de son galion qu'il allume avec celle au sol. Il prend également un flacon, entre deux doigts, qu'il débouchonne avec les dents avant de prendre une gorgée de son contenu. Je choisis ce moment pour dégainer mon pistolet.
  Je n'ai pas pu tirer : il a mis la torche devant sa bouche et a craché, faisant naître une gerbe de flammes qui m'aurait léché la figure si je n'avais pas reculer à temps. Je cherche à répliquer, mais mes yeux sont attirés par la lumière et la sensation d'insécurité prend le dessus sur mon instinct de combattant.
   Le capitaine "Black Horn" fond sur moi et se prépare à m'embrocher. Je tire Argument et pare l'attaque. Survient une autre tentative en biais, puis une autre par dessus. Il agite son feu portatif devant moi et me met mal à l'aise. J'esquive, je bloque, mais je n'ose pas répliquer. Plus loin, les derniers membres de mon opération se font achever, après avoir fait un carnage dans les rangs ennemis... Si je n'étais pas en difficulté, je les aurai félicités. Mais ils sont morts et je n'ai pas le temps de faire un discours potable. Surtout qu'il doit bien rester une trentaine de connards en train de regarder notre duel maintenant. Sans compter ceux aux canons.
   Mais ça pourrait être pire ! Si je tombai à court de munitions maintenant par ex...

   Clic.

   ... Bienvenue en enfer.

   Une autre gerbe se dirige vers moi et m'oblige à rouler sur le côté. Puis la fourche de mon adversaire vient se ficher juste son mon nez, anticipant mon point de chute. Trop tôt heureusement. Je l'écarte d'un coup de bâton et me redresse en espérant lui en coller une. Mais il remue à nouveau sa torche devant moi et je retiens mon geste.
   Futé, Black Horn a compris que quelque chose n'allait pas dans ma façon d'agir. Il regarde les flammèches qui dansent au bout de sa main puis me toise à nouveau avec une expression malicieuse :

- Tu étais beaucoup plus confiant il y a une minute, je me trompe ? Quelque chose te gênerait-il ?
- Te fais pas d'idées... J'évite juste de me salir.
- Oh tu sais : je n'ai connu personne qui soit sorti d'une bataille sans salissure. Surtout face à moi.

   Sur ces paroles, il est revenu vers moi en marchant calmement. Il a repris une rasade de son combustible et m'a craché à la figure. Non content d'être diabolique, le voilà qui se prend pour un dragon.

[...]

   Fizby mène la danse. Emma Skull peine à suivre ses mouvements, tant sa vision se trouble. Elle compte déjà plusieurs estafilades sur les bras, les jambes et la joue. Elle a sorti son couteau en espérant pouvoir l'atteindre au corps à corps, jugeant inutile de gaspiller plus de balles face à un tel ennemi. Ce changement de stratégie lui a valu la plupart de ses blessures, mais elle n'en démord pas : elle l'aura, même si elle doit s'y reprendre cent fois encore.
   Même si elle doit y rester. Elle l'a promis.
   L'albinos s'amuse. Un coup lent, un coup rapide, il continue de la tourmenter en visant au hasard, espérant juste faire le plus de mal possible. La tueuse tente une nouvelle fois de l'atteindre au dernier moment, mais en vain : elle s'est un peu habitué à sa manière de se déplacer, mais l'écran sur ses lunettes est un handicap énorme. Elle décide de les retirer. Elle n'y voit pas clair, mais ça reste moins pénible que de rester dans le brouillard.

   Puis elle se souvient.
   Si Dorian l'a tolérée malgré sa tentative de meurtre, c'est justement pour ce qu'elle est : un assassin professionnel. Elle a été entraînée à tuer froidement, calmement et dans n'importe quelle situation. Elle sait rester discrète, à l'instar du Cornu. Et l'une des règles d'or d'un assassin...
   C'est de toujours avoir un "atout dans sa manche".

   Elle ferme les yeux et se détend. Concentrée, elle entend le bruit des flammes qui se rapprochent dangereusement, du bois qui craque de partout et, au milieu de tout ça, les ricanements de l'épéiste. Qui se rapprochent encore... Encore... Elle serre la poignée de son couteau. "Il arrive par derrière... Mais il va encore tourner."
   A l'instant même où Fizby s'apprête à frapper, Emma se tourne vers lui. Comme prévu, il se décale sur sa droite et commence à décrire un arc de cercle avec sa rapière. La tueuse est plus rapide : ayant entendu ses pas, elle a senti qu'il ralentissait pour pouvoir réagir. Elle ne savait pas de quel côté il allait tourner, donc elle a choisi au hasard et directement projeter son bras armé... Sur sa droite.

   La lame écorche l'épaule de Fizby, lequel s'était penché en avant pour allonger sa portée. Il avait voulu trancher au lieu de piquer, ralentissant de ce fait son temps d'action. Ce fut salvateur pour le jeune femme. Laquelle rouvre les yeux en souriant au blessé.

   Il recule alors en posant la main sur sa plaie. Frustré de ne pas avoir pu la toucher, il dit :

- Tout ça pour ça ? C'est décevant !

   Ce à quoi Emma répond, en levant une fiole entamée qu'elle gardait cachée dans son habit :

- Peut-être pour toi, mais je n'ai guère besoin d'en faire plus. Le temps se chargera du reste !

   A ces mots, elle laisse Fizby réfléchir à ses paroles et se précipite vers les rambardes pour sauter à l'eau.
   Elle n'est peut-être pas une guerrière de haut niveau, mais ses poisons restent sa meilleure arme.

[...]

   Abel tousse, étalé par terre au milieu de ce qu'il reste des tonneaux qui le couvraient. La folle lui a tiré dessus avec sa petite artillerie. C'est moins efficace qu'un bazooka ou qu'un canon, mais ça se porte plus facilement et ça reste dangereux !
   A peine a-t-il le temps de recharger son pistolet que la Cornue en robe s'approche et tente de l'écraser avec son arme. Il roule sur le côté pour esquiver et se prépare à tirer. La balle passe à côté de sa tête. Elle prend le temps de reculer et de mettre une autre munition dans son engin, à l'abri derrière un mât. Abel est à découvert et un pirate cherche à le décapiter, l'obligeant à détourner son attention un temps de la taxidermiste.

   Ayant droit à une nouvelle tentative, elle vise et appuie sur la détente.

  BANG !

   Le sol juste derrière le menteur éclate et le renverse à nouveau. Son poursuivant y laisse un bout de jambe et hurle à la mort. Cela semble amuser la fautive :

- Dis. On s'amuse bien... Tu t'appelles comment ?


Dernière édition par Dorian Silverbreath le Mer 18 Juil 2018 - 21:58, édité 1 fois
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La bataille a causé d'importants dégâts : côté Marine, plusieurs vaisseaux sont endommagés tandis qu'une poignée d'entre eux a sombré dans les eaux. Côté pirates, il ne reste que le galion, imposant et monstrueux malgré les brèches et les fissures. L'autre navire des Cornus intact est vide, collé au cuirassé sur lequel se trouve Abel, toujours aux prises avec son adversaire en robe. Il se relève à nouveau, légèrement irrité. Il parvient tout de même à sourire d'un air confiant : il a joué tellement de rôles dans sa vie qu'il lui est difficile d'agir au naturel. Sa personnalité propre se résume désormais à l'incroyable capacité qu'il a à survivre intelligemment, au détriment de son entourage.

- Je suis monsieur Denuy, secrétaire d'Etat en provenance de Hinu Town pour le compte du Gouvernement Mondial. Et toi, qui es-tu ?
- Lucifina, navigatrice et amie de tous.
- "Amie de tous", voyez-vous ça...
- Toi aussi, tu deviendras mon ami bientôt. Il suffit que tu te laisses faire.

   Alors qu'elle parlait, la Cornue en avait profité pour rechargé son arme et vise à nouveau l'imposteur. Celui-ci n'a d'autre choix que de courir sur le côté pour sa survie. Les planches éclatent derrière lui et il se retrouve déséquilibré. Son ennemie pose le canon de sa couleuvrine au sol et sort l'un de ses pistolets qu'elle pointe vers sa cible.
   Le tir manque de peu Abel qui rejoint la mêlée de soldats et de pirates en train de se battre. Au milieu du groupe, il est intouchable... L'ayant vu faire, il sait que Lucifina n'hésitera pas à descendre tout ce qui se trouve sur son passage pour l'atteindre, si cela lui permet d'augmenter sa collection de jouets, mais une protection reste une protection. Cela lui laisse un peu de temps pour recharger son arme et pour réfléchir à un moyen de la rendre vulnérable.

   Un Cornu le charge, l'obligeant à sortir de ses pensées et de répondre à l'attaque : il appuie sur la gâchette et refroidit l'assaillant qui s'échoue devant lui. Plus loin, l'officier Kuhn repousse le trop plein d'ennemis, encourageant ainsi ses troupes à en faire de même...
   Une détonation plus tard et plusieurs hommes s'effondrent aux pieds d'Abel : Lucifina a de nouveau fait usage de sa couleuvrine. Cette fois, cependant, elle la lâche pour sortir son autre pistolet. Il ne doit plus lui rester de munitions de gros calibre.
    C'est à ce moment que le faux secrétaire remarque plus à l'écart l'animal empaillé qu'elle avait laissé... Puis il se souvient de sa réaction.

   Un sourire malsain déforme son visage alors qu'il nargue la navigatrice :

- Tu es contente de pouvoir augmenter ta collection d'amis ?
- Oui ! Bientôt vous serez tous avec moi ! Pour toujours !
- Dis-moi Lucifina : sais-tu que toute chose se mérite ?
- Comment ça ?

    Un autre ennemi s'approche d'Abel, mais un projectile allié le fait choir avant qu'il ne puisse l'attendre. Cela ne déconcentre pas le menteur :

- On ne devient pas ami avec les gens sans contrepartie. Ça ne marche pas comme ça.
- Bien sûr que si ! J'ai juste à le vouloir et...
- Et tu te sers ?
- Oui !
- Mais que se passe-t-il alors ? Les personnes que tu choisis ne paraissent pas différentes avant que tu n'en fasses tes amis ?

   La blonde à cornes semble réfléchir sérieusement à la question :

- Bah... Ils ne bougent plus. Ils acceptent leur sort...
- Ils sont un peu abîmés aussi, non ?
- Oui...
- Tu vois : ils doivent être différents pour devenir tes amis. Souhaites-tu que je sois différent ?
- Ben... Tant que tu restes toujours avec moi, c'est pas grave.
- Donc tu promets de toujours rester avec tes amis et de t'en occuper quoi qu'il arrive ?
- Oui, toujours !
- Alors pourquoi l'as-tu abandonné, lui ?

   Je pointe mon arme en direction du rongeur mort à quelques mètres d'elle. Elle tourne la tête, le voit et comprend ce que cela signifie : ses yeux s'écarquillent et sa bouche s'ouvre en grand alors qu'un éclair de terreur lui traverse le visage :

- NOOON ! FAUT PAS TOUCHER A TWINKY !

   Trop tard : Abel fait feu et perce la chose d'un nouveau trou en pleine tête. Comme si c'est elle qui avait été touchée, la folle se fige sur place, horrifiée, puis finit par tomber à genou et à fondre en larmes. Elle avance à quatre pattes vers son "ami" défiguré, pitoyable et impuissante.
   L'autre sournois s'approche avec un air triomphant. Il rejoint bien vite la pauvre fille et sa peluche hideuse qu'il perfore à nouveau, sans crier gare. Un hoquet de surprise se mêle aux larmes de la Cornue qui n'a plus ses armes pour répliquer. Prise d'un élan de panique, sans savoir quoi faire, elle regarde sa pauvre petite chose ainsi maltraitée, comme une enfant à qui l'on aurait arraché le bras de sa poupée sous ses yeux innocents. Sauf qu'elle n'avait rien d'innocent.
   Abel lui asséna un violent coup de pied dans les cotes, la faisant cracher et hoqueter de plus belle. Pliée en deux, Lucifina n'offrait plus la moindre résistance. Elle tremblait juste, incapable de rassembler ses esprits :

- Tu ne penses qu'à toi. Tu es une bien vilaine personne qui n'a jamais connu l'amitié. Tu n'as jamais été désirée n'est-ce pas ? Je suis sûr que même votre capitaine n'en a que faire de toi. Regarde-moi ces bandages autour de toi... Qu'as-tu fait pour les mériter ? Qu'as-tu fait pour les éviter ? Rien... Je le sais. J'ai déjà vu des gens comme toi. Des déchets qui ne raisonnent plus comme le commun des mortels. Des déphasés sans personne pour s'occuper d'eux. Tu ne peux pas m'en vouloir si Twinky a souffert : c'est ta faute. La tienne, seulement. Et comme je l'ai dit, on a rien sans rien, n'est-ce pas ?

   Abel s'était penché vers elle pour lui susurrer ces mots à l'oreille. Il se redresse alors et pointe son arme sur son front :

- Tu comprendras donc qu'il faut payer pour ça... Mais je suis magnanime : je ferai de toi la première de ma... Collection.

   Alors la blonde relève la tête, d'abord étonnée par ses propos. Puis son visage semble s'illuminer et ses lèvres forment un sourire sincère empli de gratitude.
   Et de folie.

   PAN.

[...]

- J'en ai connu qu'avaient l'feu au cul mais toi t'es hors catégorie !

    Il me casse les pieds avec ses tours de saltimbanque et son huile de friture ! J'ai qu'une envie : lui enfoncer son triple-cure-dents dans le derrière. Le pire, c'est que les autres se marrent autour. Au moins ils savent apprécier un spectacle... Mais ça ne me plait pas d'être ainsi mis sur le devant de la scène, surtout sans mon accord ! Qu'on me donne le bon rôle, au moins !
   L'autre s'acharne à vouloir m'embrocher et me rôtir. A certains moments, c'est l'inverse ! Heureusement : on s'ennuierait si la routine s'installait. Dans tous les cas, la prudence m'empêche de contre-attaquer. J'ai encore du mal à supporter la vue des flammes si proches de mon visage. C'est mauvais pour le coeur ces conneries. Lui, ça l'amuse pas mal. Si seulement j'avais encore quelques balles sur moi, je les lui collerai volontiers dans la gorge pour qu'il cesse de ricaner.

   Au delà de ça, il est doué. Ses mouvements sont fluides et précis. Il a l'habitude de ce genre de choses et l'expérience parle d'elle-même : c'en est devenu instinctif. Comme une mécanique inaltérable, il effectue ses mouvements sans hésiter un seul instant, cherchant simplement à causer des dommages irréversibles sans éprouver la moindre peur. Il ne se brûle pas, il ne se blesse pas, il ne se gêne pas car il sait ce qu'il a à faire et il le fait bien. Je me demande combien de temps il lui a fallu pour ainsi pouvoir se battre sans crainte de se blesser soi-même : être ambidextre est un art, mais jouer avec le feu en étant aussi rapide qu'un bretteur de renom torse poil, c'est d'un tout autre niveau.
   Du moins j'en serai bien incapable, même sans ma faiblesse.

- Ça t'donne pas soif, ces conneries ?!

   Il ne prend même plus la peine de répondre. Il ne veut qu'une seule chose : me voir brûler.
   C'est alors qu'il me crache une nouvelle gerbe à la figure. Surpris, je m'agite et balance l'une des grandes torches du pont sur son passage. Les deux flammes se rejoignent et le combustible s'embrase une seconde fois, provoquant un semblant d'explosion qui revient à la face de Black Horn, lequel recule sous l'effet, une main sur le visage.
   Je l'entends étouffer un cri de douleur alors que de la fumée s'échappe d'entre ses doigts. Tous observent la scène en silence, attendant de voir ce qu'il en est. Le pyromane révèle enfin l'étendue des dégâts : sa joue droite, autrefois rouge sombre, est désormais rose pâle : un pan de peau s'est décollé et laisse la chair à vif. Au dessus, l'oeil a aussi prix tarif. Son éclat a disparu et la paupière s'est ratatinée... Il était déjà moche de base, mais là il est clairement horrible. Il n'avait rien d'humain pour moi. Maintenant, il est plus qu'une bête de foire : un monstre.
   Même sa voix semble différente. Le son est grave, rauque et me fait penser à ces grognements sourds qu'on peut entendre au fond des cavernes... A moins que la situation ne joue des tours à ma perception :

- Je vais te dépecer et exposer ta chair à mon brasero. Je jetterai de l'eau sur ton corps chaque minute pour faire durer ta peine. Tu brûleras continuellement jusqu'à ce que la mort te délivre enfin. Mais ne t'attends pas à ce que ça soit rapide.
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Je souffre. Malfestius "Black Horn" est encore plus violent et déraisonnable qu'auparavant : si ses attaques précédentes semblaient dangereuses, elles le sont bien plus dorénavant ! Sa haine exulte de tous les pores de sa peau noircie. Le grand brûlé n'a que faire des dégâts qu'il provoque. C'est un amas de folie destructrice et de rage pure, rendu énorme par des années d'insanité. Il en a toujours été ainsi pour lui. C'est ce que je ressens en l'affrontant : il n'a connu que ça. Je suppose qu'il en a suffisamment bavé dans sa vie pour avoir péter les plombs et être devenu ce qu'il est.

   Mais je ne suis pas en reste moi non plus. J'ai tué, j'ai torturé, j'ai trompé, j'ai trahi, j'ai abusé de gens innocents et d'honnêtes filles... Et ce dès l'enfance ! Nous sommes tous les deux des cas désespérés. Mais moi : je sais encore faire la différence entre ce qui est viable et ce qui ne l'est pas. Lui fonce dans le tas sans se soucier du double-tranchant de ses attaques. Il est parvenu à me brûler l'avant-bras. Une partie de mon haut a été arrachée par sa fourche et une belle estafilade parcoure mon flanc droit.
   J'ai une jambe en compote : il a les cuisses solides et ses balayettes sont plutôt efficaces... Bien qu'il cherche davantage à me rompre le tibia qu'à me faire en croc-en-jambe. De son côté, le liquide inflammable goute de son menton et commence à se répandre sur son torse. Des braises se sont fichées ça et là sur son corps et ont fait leur travail. Il ne fait plus attention à sa sécurité en mettant le feu devant lui.

- Dorian !

   Je fais volte-face et vois deux Cornus tomber, éliminés par derrière. Apparaît dans mon champ de vision Emma Skull, trempée, blessée et haletante. Mais bien vivante. Arrivent sur le pont également d'autres personnes que je pensais ne pas revoir : les dix esclaves que j'avais envoyés sur le bateau-leurre au tout début de l'opération ! Ils ont survécu en sautant du navire juste avant de se faire exploser. Les hommes de la Marine qui étaient avec eux sont là également.
   Un tir de canon survient et éclate juste sous le pont. J'entends que l'on crie à l'étage inférieur, tandis que se disloquent planches, noeuds de corde et artilleries. Les dernières défenses du galion sont en train de disparaître et la flottille du lieutenant-colonel Kuhn s'est encore rapprochée. Au loin, des renforts arrivent... Ils doivent provenir d'une base avancée plus en profondeur du réseau marijoan. La victoire est à portée de main !
   Même si ce n'est pas au goût de tout le monde :

- Meurs ! Meurs ! MEURS !

   Revoilà le démon et sa fourche. Sa torche a fini par s'éteindre et il l'a jetée au loin. Il tente de m'embrocher une nouvelle fois, ce à quoi je réplique en déviant avec Argument, mon bâton.
   S'ensuit un échange de coups tous plus agressifs les uns que les autres. Le grand brûlé hurle de rage et frappe presque au hasard, sans ralentir, allant jusqu'à se tordre dans des positions improbables pour m'atteindre... Ce qu'il parvient à plusieurs reprises, me faisant grimacer. Je parviens tout de même à lui en coller une dans le menton alors qu'il s'élance en avant, me laissant l'occasion d'esquiver d'un pas de côté et de réduire l'écart entre nous. Entre sa fourche et mon arme, dont la taille équivaut à celle d'un sceptre, la portée n'est pas la même.
   D'un geste vif, j'enchaîne en le lui enfonçant dans l'estomac histoire de le faire plier. Le souffle coupé, il se penche en avant et j'en profite pour lever le genou.

   Un craquement me fait comprendre que l'arrête de son nez vient d'éclater. Il est sonné, il bave un peu, du sang coule sur ses lèvres et jure avec son épiderme. J'en profite pour inspirer un grand coup. J'ai retourné la situation. Notre combat sert d'exhibition à plusieurs personnes. Ça m'excite. Je me remets à sourire.
   Je vais l'anéantir devant tout le monde. De ma main libre, je prends mon couteau.

- Alors ? Me dis pas que t'as eu un coup d'chaud ?

   Ce n'est pas ma meilleure réplique, loin de là. Mais ça suffit à l'énerver à nouveau. Il revient à la charge... Sauf que cette fois, j'ai recouvré mon sang-froid. Mon visage renvoie tout l'orgueil dont je dispose pour nourrir sa colère, mais au fond je reste calme : je sais déjà que j'ai gagné. Il suffit d'attendre le bon moment pour frapper, l'humilier et pulvériser tous ses espoirs avant de lui ôter la vie.
   Car c'est ça la victoire, la vraie : c'est lorsque l'on soumet son ennemi et qu'au moment de lui donner le coup fatal, on lui fait comprendre qu'il n'avait aucun espoir d'y échapper, afin que cette image reste gravé dans son esprit même après sa mort.

   Il bondit vers moi, lève les bras avant d'abattre sa fourche. Au dernier moment, je dévie avec Argument, changeant de pied d'appui par la même occasion. Déséquilibré, il ne peut plus m'échapper : mon regard se durcit, mes lèvres se serrent. Le sourire méprisant fait place à un visage froid et distant. Il n'est plus question de rabaisser l'autre, non. Je lui fais comprendre par ce simple regard que je n'éprouve rien pour lui. Il ne m'inspire aucune estime, au même titre qu'une serviette sale ou qu'un vase vide sur une table. Je veux lui faire voir le fossé qu'il y a entre nous.
   C'est peut-être un mensonge, sachant combien il m'en a fait bavé. Mais la vérité appartient à celui qui l'emporte. Et là, c'est moi qui gagne. C'est tout ce qu'il faut savoir.
   Je lève le bras d'un coup sec et lui fiche la lame de mon couteau au dessus de la pomme d'Adam. Elle est visible depuis l'intérieur de sa bouche ouverte, figée dans une expression de surprise et de peur... Son dernier instant de lucidité depuis longtemps et c'est cette expression qu'il affiche. Le message est passé.

   Autour de nous, plus personne ne bouge : Emma et mes hommes ont éliminé la plupart des pirates restants tandis que la Marine a fait prisonnier le reste. L'équipage du lieutenant-colonel nous a rejoint. L'officier supérieur est là également. Abel se décide à monter, jugeant le danger écarté.
   Tous nous regardent, moi et ma victime. Je reste là à dévisager le pyromane, dont les yeux ont perdu leur éclat. Son visage tuméfié, ravagé, son corps brûlé, ses habits déchirés... Il n'a plus rien d'impressionnant, retenu simplement par ma lame. Un gargouillis écoeurant survient alors que des bulles rouges tentent de se frayer un chemin depuis le fond de sa gorge. Mais je ne bouge pas, m'imprégnant de cette image délectable quelques instants encore... cette victoire est à moi. J'ai le droit d'en profiter.
   Je ne me risque pas à sourire. Ni même à rire. Je reste neutre cette fois. Mieux vaut gagner des points côté Gouvernement si je ne veux pas me faire enfermer pour instabilité mentale.
   Je le relâche enfin, libérant ainsi l'hémoglobine bloquée par l'acier. Je passe devant mes deux acolytes, l'une me dévisageant d'un air grave, l'autre en affichant un air satisfait. Aussi discrètement qu'à son habitude...

[...]

- Monsieur Denuy. Je suis heureux de savoir qu'aucun mal ne vous a été fait. Je constate également que vous n'avez pas eu besoin de moi pour vous défendre...

- J'ai eu une éducation assez complète.
- Et c'est une chance ! Quant à vous, monsieur Silverbreath...

   Le lieutenant-colonel Kuhn, massif, semble hésiter en me regardant. Je sers les dents, presque inquiet du verdict...
   Je dis bien "presque" !

- Au nom de tout les hommes du Réseau, je tiens à vous remercier. Vous nous avez rendu un grand service en limitant les pertes dans nos rangs, au détriment de votre propre groupe... Un sacrifice que nous nous devons de respecter et d'honorer en mémoire de vos compagnons perdus !

   Il me tend sa main. Je la sers en retour, satisfait du résultat post-bataille. Même si au fond je n'ai que faire des-dites pertes.

- C'fut un plaisir... Et un honneur également d'avoir pu servir aux côtés des gardiens d'la justice !

   Ce qu'il ne faut pas dire quand même... Je m'écoeure tout seul.

- Il me semble que vous aviez fait une demande à votre arrivée ?
- Ouais ?
- Laissez-moi vous accompagner au quai.

   Nous nous rendons au lieu de départ d'Abel Denuy, secrétaire d'Etat. Le navire que nous avions emprunté pour venir avait été réapprovisionné, son équipage préparé pour la suite du voyage et quelques militaires ajoutés à la sécurité.
   Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, L'officier Kuhn se penche vers moi, l'air très sérieux :

- Comme vous le savez, nous n'avons pas le droit de vous laisser traverser sans passe-droit... Mais au vu des circonstances, et en espérant que vous garderez le silence sur votre participation à l'élimination des pirates, je tiens à vous l'offrir. Vous êtes habilités, vous et vos hommes, à traverser aux côtés de monsieur Denuy, pour un aller direct vers Strong World. Votre collègue à lunettes a un Log Pose avec elle, au cas où l'Eternal Pose de notre navigateur soit endommagé en cours de route. Encore une fois, merci à vous.

   Sur ce il me délivre mon passe-droit et se met au garde à vous. Toute sa suite fait de même... Les dix d'entre nous à en être sortis sommes invités à monter à bord sous une allée d'honneur.
   C'est quelque chose que je n'aurais jamais imaginé ! C'en est... Jubilatoire. Si seulement ils savaient.

   Oui... Si seulement ils savaient.
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