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1001 Blattes

La forêt des Toiles était si sombre qu’on peinait à en voir la canopée. Tout dans cette jungle était un enchevêtrement d’arbres, de racines, de branches et de longs filets de soie tendus. Ces véritables voiles éthérés paraissaient si denses et abondants qu’on pouvait aisément les prendre pour d’immenses rideaux blancs aux allures hypnotiques. Il y en avait de toutes sortes, prenant des formes quasi infinies, et à chaque fois qu’on tournait la tête on pouvait en discerner de nouvelles. Certaines étaient hexagonales, d’autres arrondies, ou même sans véritable structures et ressemblaient à de minutieux pièges labyrinthiques. Les plus étranges prenaient la forme d'entonnoirs ou de cuvettes, prêtes à enfermer quiconque tombait à l’intérieur.

Joe ouvrait la marche en sifflotant, il était suivi par Elijah qui grignotait un saucisson sec fourré aux noisettes. Le pauvre homme-poisson n’en avait même pas retiré l’emballage, causant quelques rires et remarques de la part de Mahach et Rowena qui marchaient en retrait. Ils étaient arrivés sur Myriapolis en débarquant au port de la Ruche, se heurtant à un comité d’accueil relativement sympathique. La communauté des abeilles était plutôt réputée pour être relativement ouverte envers les étrangers, alors personne ne vint chercher de noises aux nouveaux Blattards en ville. Ici, ils n’étaient pas vus comme des nuisibles, mais comme des invités dont on écoutait les histoires avec plaisir, qu’on avait envie de connaître. La Reine Maya, en apprenant l’arrivée d’un capitaine corsaire sur son île, avait immédiatement envoyé une missive les invitant à prendre le thé s’ils en avaient l’envie. La Ruche ressemblait à un havre calme au milieu de cette île sombre et dangereuse, un coin presque onirique qui dénotait complètement du reste du pays. Rowena les avait prévenu maintes fois, mais aucun ne l’avait réellement écouté. Myriapolis était une terre sauvage où même le plus fort des pirates pouvait y laisser la vie. Car sur cette île, les maîtres n’étaient pas des humains. Non, les créatures régnant ici n’étaient autre que les plus virulentes étrangetés de la nature : les insectes.

- C’est hyper sucré cette merde, ça désaltère que dalle… Rouspéta Mahach en fronçant les sourcils.

- C’est normal, c’est du miel. Rétorqua Rowena d'un ton las.

- Saloperie…. chier….dégeu…

Les habitants de la Ruche, surnommés les “abeilles” bien qu’ils soient des humains, leur avait offert des pots de miel clair comme présents de bienvenue. La reine Maya avait décidé d’accueillir les invités de marque de cette façon, et pour elle n’importe quel étranger était un invité de marque. Croq’dur et Mahach l’avaient déjà bu au risque d’être ballonnés tandis que Joe et Rowena avaient rangé les leurs, décidant de conserver cette mixture pour raisons scientifiques. Mais surtout pour s’en faire des tartines au petit déjeuner.

- On fout quoi ici ? On était mieux à Kikai…

- Tu demanderas au capitaine, je n’en ai aucune idée.

- C’est quoi le délire des gens ici ? Z’étaient bizarres les gens du port… Jamais vu des trucs pareils.

- Les gens de cette île vivent en symbiose avec les insectes géants qui la peuplent. Ils ont appris à vivre avec et les utilisent. Ils s’en servent comme montures, gardes, font des armures avec leurs carapaces, des poisons avec leurs venins. Et même parfois en symbiotes pour combattre avec eux. C’est pour ça qu’ils paraissaient aussi étranges. Ces insectes sont fascinants, j’ai déjà hâte de les étudier.

- Sont dégoûtants ouais…

- Et encore, tu n’as vu que ceux qu’ils ont pu dompter. On est dans la jungle de Myriapolis, ici il y a des prédateurs géants tellement dangereux qu’ils pourraient fondre sur nous en un battement de cil et nous faire fondre en un coup de mandibules.

- Pff… t’en as pas marre de faire de l’exposition ?

- T’en as pas marre d’avoir un Q.I d’huître ?

Mahach se remit à grommeler, Rowena n’entendait même pas ce qu’il disait et restait concentrée sur le moindre mouvement provenant des branches ou des fourrés. Elle avait lu assez de traités d’entomologie pour savoir quels principaux dangers les attendaient sur cette île, et était de ce fait relativement pressée de pouvoir tout analyser mais également inquiète. Leur capitaine possédait le pouvoir de se changer en scorpion, ce qui était déjà un atout en soit sur Myriapolis. Il pouvait se fondre dans la masse et surtout leur être d’un sacré secours contre un autre insecte massif. Elle s’en retourna vers Mahach qui, à présent, s’apprêtait à toucher un long fil de soie tendue vers une branche d’acajou géant.

- Ne touche pas à ça.

- Quoi ? C’est juste une toile, vais pas crever…

- Elles savent déjà qu’on est là. Une araignée se sert de sa toile comme radar, elles ressentent les vibrations et savent exactement où se trouvent leurs proies. Et quand je vois combien de toiles il y a autour de nous…

- Bordel… combien de bouquins t’as lu de ta vie ?

- Combien de maladies vénériennes tu as eu de ta vie ?

Et Mahach laissa échapper un énième juron, envoyant son pot de miel vide contre un tronc d’arbre. Le pot se brisa au contact de l’écorce, brisant aussi le silence de la forêt et usant peu à peu la patience de Joe.
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Plus tôt, à La Ruche

- COMBIEN ?!!

Envoyé par les autorités royales de la Ruche, un charmant bambin dont les joues épaisses et roses ne permettaient pas d'identifier s'il s'agissait d'un garçon ou d'une fille avait été chargé de délivrer un modeste présent d'accueil à l'engeance blattarde. Peu de choses à vrai dire, une spécialité locale ; un petit pot de miel offert à tout nouvel arrivant.
Du miel. Il en suintait des litres le long des parois alvéolées rattachées aux plafonds des immenses grottes au sein desquelles grouillait une myriade d'êtres étranges dans cette cité portuaire appelée La Ruche. L'enfant déglutit à la réaction de ce cafard qu'on savait pourtant retors et versatile. Tendre ce cadeau d'accueil lui avait semblé aussi pertinent et prudent que de poser le pied sur une mine anti-personnelle. Balbutiant au mieux quelques bribes de phrases pour se dépêtrer au mieux d'une situation fâcheuse - celle où Greed se retrouvait contrarié pour des questions d'argent - le gnard parvint à formuler son excuse :

- Mais... Mais, c'est que c'est gratuit monsieur...

Enflure notoire, Joe ne saisissait pas le principe du cadeau. Certains verbes prononcés ou même écrits pouvaient provoquer chez lui des spasmes violents dont les origines médicales étaient difficiles à identifier. Donner était l'un d'eux.

- Gratuit ? C'est dans mes prix ya-hin-hin !

La lueur terne de son regard plissé et venimeux s'illumina d'une combustion rétinienne pétillante. D'un geste vif - car il gagnait en vivacité ainsi qu'en célérité lorsqu'il était question de s'approprier quelque chose - Greed le bien-nommé s'empara du pot de miel manquant d'arracher un doigt ou deux au malheureux môme. Ainsi délesté d'un tribut qu'il venait pourtant céder de bon cœur, l'émissaire du palais de la Ruche fut aimablement gratifié d'un coup de pied au cul par ce fabuleux spécimen d'enfoiré qu'on appelait Joe Biutag.

- Allez, trisse de là ! Et que je t'y reprenne pas à escroquer les honnêtes gens.

Propulsé du bout de la botte lui ayant percuté le séant, le moutard, sans même comprendre ce qui venait de lui arriver repartit à toute allure en direction du palais d'où l'on l'avait extirpé pour cette tâche ingrate. D'autant plus ingrate lorsqu'il était question d'approcher une légende vivante de la radinerie telle que le cafard.

- C'est moi ou les mouettes s'font rares en ces contrées ?

À bien reluquer le grouillot de miasmes humains qui déambulait ici et là depuis leur arrivée, les Blattards avaient vu de tout. Des gardes à dos d'abeilles géantes, des marchands venus d'ici et d'ailleurs ainsi que des têtes primées ne cherchant même pas à dissimuler leur sale bobine. Mais pas un uniforme blanc à l'horizon.

- Vous savez ce que ça veut dire ? hin-hin

Imitant son capitaine en plissant les yeux sans oublier de sourire de manière si sournoise tout en se frottant les mains, Elijah fut le premier à lui répondre. Dans l'assistance, on pressentait qu'il allait dire une connerie.

- Qu'on peut enfin jouer une comédie musicale en pleine rue sans que personne ne puisse nous en empêcher PIR-RAH-NAH !

Et on l'avait pressenti à juste titre.
Tandis que Joe commençait à armer le Burn Bazooka qu'il gardait à la main, le canon reposé sur l'épaule, et ce, dans la perspective de signifier à son homme d'équipage que sa réponse n'était pas recevable, c'est l'éminence grise du groupe qui compléta le fil de la discussion.

- Ce n'est pas parce que l'île n'est pas tenue par le Gouvernement qu'aucune information ne pourra leur parvenir.

Greed braqua le canon de son arme à bout portant de l'homme-piranha qui mit sa tête dedans pour entendre le son de sa voix dans un cylindre métallique. Elijah était l'illustration vivante de la raison pour laquelle la jeunesse ne devrait pas se droguer comme lui le faisait à longueur de temps. Illustration vivante pour encore quelques secondes en tout cas.

- La gueuse marque un point. Même au Grey-T y'avait son pesant de balances prêtes à renseigner le Cipher Pol. Vu tout le monde qu'y a dans le coin, ma main au feu qu'il y a des informateurs ici aussi.

- Pir-rah-nah ! Moi c'est ma tête que je mettrais au feu rah-rah-nah ! Sans déc' cap'taine, je suis coincé, vous pouvez me dégager de là ?

Sourire toutes dents dehors - ce qui était un spectacle angoissant en soi - Joe écarquilla doucement les yeux au fur et à mesure que son index se rapprochait de la gâchette.

- T'inquiète pas va... Papa Blattard va te sortir de là. Et après il écrira une comédie musicale sur le thème «Que c'est chouette la vie sans ce con de hareng de MES DEUX !!!».

- J'aime bien le titre ! Ça parle de quoi ?

Tirant d'un coup sec sur le maillot de son co-équipier à branchies, le punk extirpa la tête d'Eli du tube d'acier qui allait lui délivrer la mort. C'était la troisième fois depuis ce matin qu'il lui évitait le trépas de la main du capitaine. Un début de journée tout ce qu'il y avait de plus paisible chez les Blattards.
Soupirant brièvement après avoir essuyé un énième assassinat avorté - qui n'était que partie remise - Greed réajusta le Burn Bazooka sur son épaule.
Plus posé maintenant que la parenthèse disciplinaire était derrière lui, il inclina légèrement son visage vers le sol en remuant des lèvres, pensif.

- Je suis pas assez con pour tenter un coup d'éclat sur le seul port de l'île de toute façon.

- Et pourtant, Dieu sait qu'vous en avez l'potentiel capitaine.

Le trait d'esprit de Mahach ne fut récompensé que par la morsure d'un Elijah sauvage venu planter ses mâchoires acérées dans sa cuisse droite.

- 'ar'e au're'ent 'u 'a'i'ainNNnN !¹

- GaAah ! Nom de... MAIS POURQUOI TU ME MORDS CONNERIE DE TANCHE ?!

Parce qu'il aimait son capitaine. Comment quelqu'un pouvait-il être suffisamment secoué pour aimer sincèrement le cafard ? Comment pouvait-on ne serait-ce qu'apprécier à minima une entité vivante composée à 90% de cupidité pure ? Grâce au pouvoir de l'amour. De l'amour et de la drogue consommée à très haute dose. Surtout grâce à la drogue ingurgitée quotidiennement par Croqdur à vrai dire.
Pour le récompenser de son amour ainsi que pour féliciter comme il se devait son premier matelot de sa remarque pernicieuse, Joe usa de sa main libre pour retirer un mousquet de son manteau et tirer en leur direction sans même leur prêter la moindre attention, toujours abandonné à ses réflexions concernant ses prochains méfaits.

- Clown.

- Capitaine ?

Il releva légèrement la tête pour tourner son visage si rarement serein en la direction de sa plus récente recrue. Son intonation était calme mais on ressentait les tréfonds d'excitation et d'impatience qui bouillaient au fond de sa carcasse.

- Dis-moi... Où est-ce qu'un informateur de la marine n'oserait pas se rendre même pour tout l'or du monde ?

Avec comme bruit de fond un Mahach particulièrement mécontent qui s'écorchait avec l'homme-piranha qu'il avait pourtant sauvé de la mort deux minutes auparavant, Rowena réfléchit. De ce qu'elle connaissait de Myriapolis - et elle en connaissait un rayon - un tel sanctuaire vierge de toute présence favorable au Gouvernement existait. Toutefois, elle fut réticente à la simple idée d'en informer son capitaine. Si personne ne voulait s'y rendre, c'est qu'il y avait une bonne raison à cela.

- Clooooown....

Il s'en était fallu d'un instant pour que le cafard ne décèle dans le regard de sa subalterne la preuve qu'elle connaissait un tel endroit. Lentement, le Burn Bazooka qu'il reposait à l'oblique sur son épaule se redressa. S'il venait à perdre patience, Mahach était trop occupé de son côté pour venir la sauver.

- Tu parles ou je te fais parler.

***

- Deux-mille-sept-cent-quatre-vingt-treize pas dans la forêt, Deux-mille-sept-cent-quatre-vingt-quatorze pas dans la forêt, Deux-mille-sept-cent-quatre-vingt-quinze pas dans la forêt, Deux-mille-sept-cent-quatre-vingt-seize pas dans la forêt, Deux-mille-sept...

- Ferme-là. Ferme-là. Ferme-là. Ferme-là.

La discussion entre l'amphibien et son capitaine s'avérait moins constructive que celle entamée par le second tandem qu'ils devançaient de quelques pas. Ils s'étaient d'ailleurs arrêtés après que Rowena ait commencé à objecter quelques griefs à son binôme. Sans rien connaître de l'affaire, Joe prit le parti de la plus cornue des deux. D'abord parce qu'elle était plus sage et connaissait mieux l'île qu'eux, mais surtout parce que tout ce qui pouvait emmerder Mahach le faisait jubiler au plus haut point.

- La génisse t'a dit de ne pas toucher à ça, garde tes mains dans tes poches con de punk.

Et ainsi fut formulé sèchement le préambule du drame. Un drame qui, comme à chaque fois avec les Blattards, reposait uniquement sur les billevesées et autres couillonnades chroniques propres à leur engeance.

- Ça va, j'allais pas y toucher. T'ain, j'savais pas que c'était une bonne femme qui donnait les ordres chez nous.

- C'est pas elle qui te le dit, c'est moi. Tu touches à ça, t'es mort.

- Ma parole... mais tu fais une fixette là-d'ssus. J'te dis que j'comptais pas y toucher, arrête de m'emmerder.

- Évidemment que tu n'allai pas y toucher puisque je t'ai donné l'ordre de ne pas le faire.

Déjà la tension montait, les nez se retroussaient et les sourcils se fronçaient méchamment.

- Non mais... si j'y touche pas, c'est pas parce qu'on me le dit, c'est parce que j'en ai pas envie, c'est tout.

- Ouais, ouais, si on te demande, tu diras ça pour te réconforter. En attendant, tu touches pas à cette connerie de fil.

Vicieux comme était Joe, il savait taper là où ça faisait mal : à l'estime de soi. Il était très bon à ce petit jeu. En tout cas jusqu'à ce que la cible de ses remarques assassines ne commence à faire craquer les jointures de ses doigts comme le faisait présentement Mahach en vue de «mutiner la gueule»² de son capitaine.

- Ah ouais ? Comme ça j'y touche pas au fil ?

La testostérone commençait tellement à s'épandre dans l'air que Rowena aurait presque pu la renifler. Quand deux mâles alpha sortaient les crocs et agitaient leurs doigts sur la crosse d'un Burn Bazooka dont la puissance de feu suffisait en soi à entamer l'Apocalypse, c'est que l'appel à la diplomatie était de rigueur. À plus forte raison lorsque la querelle s'apprêtait à connaître son point culminant en terrain hostile.
Courageuse et téméraire - car il le fallait bien avec des cons pareils - la petite fille de César Clown monta au créneau.

- Bon écoutez, là il...

- Toi morue, la sourdine !

- Ouais, t'vois pas qu'les hommes parlent ?

- Alors c'est plus moi qu'on insulte de morue ? Pourtant c'est raccord vu que je suis un poisson. Bonjour la constance. BONJOUR LA CONSTANCE HEIN !!!

Et Croqdur mordit un tronc d'arbre pour se calmer, espérant secrètement que la sève qu'il ingurgiterait aurait des effets hallucinatoires. Ses dents suffirent à scier une partie de la cime. L'un dans l'autre, la situation se présentait mal.

- Si même celui-là s'y met, je jette l'éponge...

Et les hostilités se poursuivirent après un cessez-le-feu qui ne dura que le temps de cracher un semblant de misogynie à la gueule de la seule personne de l'équipage dépourvue d'un chromosome Y.

- Et ouais Mahach... ce putain de fil, tu ne vas pas y toucher.

- Je voulais pas le toucher de toute façon. Mais je vais le faire Joe, putain. Sur la tête de mon gosse, je vais le faire.

Si jurer sur la tête de qui que ce soit avait un quelconque effet, le punk aurait enterré son rejeton pour la quinzième fois rien que cette semaine.

- Ah oui ? Tu vas le faire ? Bah vas-y, je te regarde.

- Bah regarde bien alors, parce que j'vais l'faire !

- Je t'en prie.

- Mais m'en prie pas, je vais le faire c'est tout.

- J'attends que ça.

- Oh tu vas pas attendre longtemps.

- Hm hm.

- Je tire sur le fil et je te rétame la gueule.

- Tu parles beaucoup pour un cadavre en sursis.

- FAIS L'MARIOLE CAP'TAINE ! FAIS-LE PENDANT QUE TU L'PEUX PARCE QUE JE VAIS TIRER SUR CE PUTAIN D'FIL ET T'CASSER LA GUEULE !

- TIRE DESSUS QUE JE TE CRAME !

Alors que le vrombissement sourd et glaçant du Breath Dial à l'intérieur du canon de l'arme cylindrique du Blattard en chef commençait à résonner, prélude à un chaos à présent inévitable, Rowena s'était assise sur une souche, les coudes posés sur ses cuisses, la tête entre ses mains à tirer une moue blasée.

- Non mais vous pouvez tirer dessus parce que là on s'est sûrement fait repérer de toute façon...

Mahach tendit une main fébrile vers le tronc. C'est à sa grande stupéfaction qu'il remarqua que l'objet du délit s'était purement et simplement évanoui dans la nature.

- Mais il est où ce con de fil ?

Quand une situation inexplicable se présentait à eux, le réflexe de tout bon Blattard était de chercher le premier homme-piranha venu afin de tenter d'obtenir des réponses à leurs questions. Généralement, lesdites réponses ne leur plaisaient pas, mais elles avaient au moins le mérite d'être surprenantes et limpides.

- La ficelle qui pendouillait ? Longtemps que je l'ai chopée pour la mettre dans un de mes orifices. Qu'est-ce que vous vouliez que je fasse ? Que je ne la mette pas dans un de mes orifices ? Ça n'aurait eu aucun sens enfin. Auuuuuucuuuuun seeeeens ♪ Ouh ! je devrais mettre cette scène dans le deuxième acte de ma comédie musicale.

Sniffant là-dessus une poudre qu'il avait étalée sur le plat de sa main, ainsi Elijah le grand mit fin au mystère du fil de soie disparu. Ce même fil de soie que Rowena avait tenu à ce que personne ne touche pour leur survie.
Les conséquences ne tardèrent pas à se profiler. Sur les troncs, les sons rapides et inquiétant de martelage d'ombres grouillantes et furtives parvenait déjà à leurs oreilles. Ils ne savaient pas encore par quoi, mais ils étaient encerclés, et ça se rapprochait.

- Oh-bah-ça-alors, quelle-surprise. maugréa la cornue alors qu'elle se redressait Climat-Tact en mains prête à en découdre.

Joe se tourna à nouveau vers Mahach, sa petite gueule de vermine hargneuse toujours de mise avec en prime un sourire tout ce qu'il y avait de plus fielleux pour agrémenter le tout.

- Au final Mahach, t'y as pas touché à ce putain de fil ya-hin-hin ! T'es un bon soumis à son capitaine, c'est bien hin-hin.

Son premier matelot lui aurait volontiers répondu autrement qu'avec l'usage du verbe mais quelque chose au fond de lui lui disait qu'il aurait probablement besoin de son capitaine pour gérer la suite des événements.

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¹. «Parle autrement du capitaine»
². Ce n'est pas une mutinerie à proprement parler, juste une baston entre membre d'équipage comme il n'y en a que trop souvent chez eux. C'est compliqué la notion de discipline chez les Blattards


Dernière édition par Joe Biutag le Ven 25 Mai 2018, 12:18, édité 1 fois
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La tension était palpable, tellement qu’aucun Blattard n’osait moufter. Oh, la haine était toujours présente -elle ne s’en allait jamais vraiment, mais le danger était parvenu à se hisser au dessus d’elle. Et avant que les bruits et les ombres ne deviennent des menaces tangibles, il y eut un coup de feu, puis un cri. Ces deux bruits soudains résonnant dans les bois immenses, il était impossible d’en deviner la source.

YIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !

Au mieux affolée (Rowena), au pire juste agacé que l’homme-piranha les empêche d’entendre d’où venait la menace la plus directe (Joe), les Blattards se retournèrent face à lui.

- ENLEVEZ-MOI CAAAAAAAAAAAAAAAAA ! CA GROUILLE ! CA CHATOUILLE ! CA GRATOUILLE ! CA FAIT PLEIN DE TRUCS EN -OUILLE MAIS CA ME FAIT PAS “OUILLE !” !

Le bougre se débattait comme un diable contre un ennemi invisible, ennemi qui semblait venir de l’intérieur, alors chez Greed, la conclusion était vite faite.

- Arrête de faire le con, ça doit être un effet secondaire de la merde que tu te fourres dans le pif.
- Il y a eu un coup de semonce ...
- Mais y’a pas eu de mort, alors on avan...

Le capitaine n’eut pas le temps de terminer sa phrase que la menace ennemie les avait encerclés. Ils étaient sortis d’ils ne savaient où, la plupart avaient déjà les pieds ou les pattes ancrés sur la terre ferme, d’autres descendaient encore des feuillages, où ils étaient parfaitement invisibles. Elles descendaient à l’aide de fins filins presque transparents, leur solidité n’étant plus à prouver puisqu’ils supportaient diverses créatures. Le flot d’ennemis étaient constitué de femmes, d’araignées, de femmes-araignées, voire peut être même d’araignées-femmes. C’était difficile à dire, l’osmose entre humain et arachnéen était aussi parfaite qu’immonde. Certains claquaient frénétiquement des mâchoires, témoignant par là même leur excitation, d’autres crissaient furieusement, comme un ronronnement malsain et perfide.

Le punk, qui s’était mis en position de combat comme tous les autres Blattards (exceptés Joe qui préparaient un moyen d’évasion et Elijah qui se grattait toujours comme un démon), se permit de lancer une pique à sa commère cornue.

- Teh, normalement c’est à toi d’gueuler comme un putois à la vue d’ces merdes. T’es la gonze du groupe j’te rappelle.

Les arachnéfemmes se rapprochaient lentement mais dangereusement, comme autant de prédateurs sadiques qui prenaient leur temps pour fondre sur leur proie, comme si la peur faisait partie du processus. Comme si elle rajoutait un peu de goût à la viande.

- Je passe mon tour, Croquette s’en est chargé pour moi.
- Pis en même temps, t’as rien d’une nana en fait. T’en as même pas le charme.
- PARDON ? Tu préfères ça ? s’offusqua-t-elle en désignant dédaigneusement les femmeraignées du menton.
- Tu marques un point.
- Ca veut dire que tu aimes ?
- NAON !

Ils ne prenaient même pas la peine de se regarder pour se répondre, tous dos à dos, préférant ne pas perdre des yeux l’ennemi le plus proche.

- La ferme ! On s’entend même plus réfléchir !
- CA GRAAAAAAAAATTE ! Euh, je veux dire, CA GRATOUUUUILLE !
- Et toi tu nous casses les c...
- ENTOILEZ-LES !
tonna celle qui devait être la cheffe de la troupe. Notre Reine seule décidera de leur sort !

Humains, arachnéens et hybrides fondirent enfin brusquemment sur les Blattards !

Mahach qui avait préparé le coup s’était accroupi pour violemment propulser ses baies sur le sol avant de les envoyer sur la femme-araignée qui descendait directement sur lui du bout d’un fil qui semblait davantage tenir de l’acier que de la soie. Mais il fut immédiatement contré par un jet de rets gluants qui maintint ses baies clouées au sol avant même qu’elles n’aient le temps de rebondir. Elle cracha un nouveau filet de toile et s’en servait pour remonter le punk jusqu’à elle. Un large sourire sadique lui fendaient sa gueule humaine.

- Viens voir Maman !
- Dégage ! Ma mère est canée ! C’était une connasse qui s’laissait faire pour pas avoir d’emmerdes ! Alors t’es gentille ...
(Mahach se débattait pour percer les rets) ET FAIS COMME ELLE !

Ses baies se libérèrent enfin puis percutèrent le sol avant de rebondir droit dans le faciès de la femme-araignée. Les deux s’écrasèrent au sol, elle inerte, mais le crêtu se releva pour attraper la tête de son adversaire par la tignasse avec une main et pour jouer avec sa bouche de l’autre.

- C’EST QUI L’PAPA, HEIN ? (D’une voix plus aigue) Oh, c’est toi Mahach !

Rowena, qui avait disséminé des petits nuages d’orage un peu partout se retourna sur lui. La lumière des éclairs zébraient les bois des alentours dans un brouhaha assourdissant.

- Gamin.
- Ta gueule !
- Tu vois que c’est ton genre les araignées. Tu dis toi-même être leur père.
- Mais va au diable la cornue ! Enfin, j’devrais dire “r’tourne chez ton père” du coup, hin hin !

Mais quelque crachats de rets et une morsure plus tard, le punk bavait, paralysé et emprisonné dans un cocon. C’allait être au tour de Rowena dont la main maniant le Climat Tact avait été bridée de soie avant que ce ne soit le cas de tout son corps. Mais la cornue était retorse, et avait déjà prévu un autre tour dans son sac. En effet, gêne ou pas, elle créa une petite vague de chaleur localisée sur elle. La toile se mit à fondre mais à cause de la colle qui enrobait les fil et la moiteur causée par son action, le cocon de soie ramollit et devient de plus en pâteux, comme une véritable lise ! De la soie mouvante qui collait de plus en plus à peau avant de la bloquer totalement ! Bientôt totalement sèche à cause de la chaleur et des mouvements de dépit pour s’en défaire, la scientifique était comme piégée dans un bloc de béton naturel et animal.

Elijah, lui se débattait toujours, en se grattant avec d’autant plus de ferveur. Les femmes ou les araignées le regardaient, amusées. L’une d’entre elles se rapprochant le plus du genre humain chevauchait une araignée et arborait un petit rictus fier, une énorme pétoire un peu spéciale en main, canon vers la cime des arbres.

- Mes petites chéries t’embêtent, n’est-ce pas ? Ne t’avise pas d’en écraser ne serait-ce qu’une seule. Parce que ce n’est pas de mes filles que je vais charger mon fusil, mais de plomb.

Croquy ne répondit pas. Enfin, pas directement. Uniquement des jurons qu’il avait sûrement inventé à force d’en être à court. Il y avait bien quelques soldates courageuses qui essayaient de s’approcher mais l’homme-piranha niaquait furieusement tout ce qui passait à sa portée.
Au final, l’araignée qui servait de monture à la femme étouffa un crissement et sa portée qui le parcourait se rua sur leur mère. Aussitôt, elle cracha une boule de toile collante dans sa gueule grande ouverte pour l’empêcher de mordre. Poings et pieds liés, il finit dans un cocon comme les deux autres.

Il ne restait plus que Joe. Joe qui prenait un malin plaisir à faire tourner en bourrique ses adversaires. Il se laissait se faire entoiler avant de se transformer en scorpion pour que le piège devienne lâche pour s’en extirper. A nouveau, il se laissait se faire entoiler sous forme de scorpion pour reprendre sa forme humaine en craquant les rets. A chaque fois, il ramassait la soie avec une avidité typiquement biutaguesque.

- Mais faites comme moi bande de bons à rien ! On va rééquilibrer la balance commerciale, ya-hin-hin !

Si le coq était endormi et la tanche baillonnée (ce qui ne l’empêchait pas de se foutre de la gueule de son capitaine), la brahmane restait de marbre, dans l’acceptation totale de sa défaite. De toute façon, elle ne pouvait rien y faire.

- Je vois ce que tu veux faire, mais la soie arachnéenne n’a aucune valeur. Elle est de piètre qualité comparée à celle des vers à soie.
- Et alors ? Tu vois des vers à soie géants toi ?
- Non.
- Ben voilà, je m’en contenterai. Y’aura bien des abrutis pour acheter !
- Et puis ce n’est pas aussi rentable. Le coût d’entretien reste supérieur aux gains.
- Mais c’est offert par la maison ! Même pas besoin de leur arracher de la bou...
- De l’abdomen.
- Je m’en fous de savoir de par où ça sort quand je sais où ça atterrit ! Surtout si c’est dans mes poches !

Mais à force de jouer à ce petit jeu, il arriva un moment où Greed fut davantage encombré qu’enrichi. Alors les femmes arachnéennes l’entoilèrent avant de le mordre lui aussi pour le paralyser. Malgré ça, sa hargne peinait à perdre en intensité.

- Bien, s’exclama la cheffe. Qu’on les livre à notre Reine. Peut-être voudra-t-elle faire une portée avec ce Corsaire. Son acrimonie contrôlée par notre joug pourrait nous être bénéfique après tout. J’espère pour toi que tu sauras échapper son appétit après votre accouplement ! Rrr-ss-ss !

Le cafard luttait de tout son être pour ne pas se faire emporter par le poison paralysant. La cheffe se délectait du régal d’avoir capturé sans mal un vil homme aussi réputé. A ses yeux, l’impuissance était ce qui caractérisait le mieux les hommes. Il était donc normal qu’il finisse ainsi.

- Remballez-tout, nous partons.

Les femmes symbiotes et les araignées se mirent à boulotter toute la soie qu’elles avaient éparpillé durant le combat. Joe, toujours aussi fermement ligoté, était à deux doigts de pleurer de désespoir.

- M-Mais ... qu’est ce ... vous ... faites ... ? M-M...Mes ... millions !
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♪ Une sourie veeeerteuuh, qui courrait dans l'heeerbeuuh ♪
Nous sommes des araignées, stupide poisson ignorant !
Oh... ? ♪ Badoum badoum, badoum, doum badoum badoum. Badoum badoum, badoum, doum badoum badoum. Badoum badoum, badoum, doum badoum badoum. Badoum badoum, badoum, doum badoum badoum ♪ Un piranha qui se balançait, sur une toile toile toile, toile d'araignée et qui trouvait ce jeu tellement amusant, que bientôt vint un deuxième piranha ♪ Deux piranhas qui se balançaient,sur une toile toile toile, toile d'araignée et qui trouvaient ce jeu tellement amusant que bientôt vint un troisième piranha. ♪
Mais qu'on fasse taire ce mâle ! Il est si exaspérant !
♪ Trois piranhas qui se balançaient Sur une toile toile toile ♪
Nous n'y arrivons pas, cheffe...
♪ Toile d'araignée Et qui trouvaient ce jeu tellement amusant Que bientôt vint un quatrième piranha ♪
Alors administrez-lui une dose de venin, ça le calmera ! Rrr-ss-ss !
♪ Quatre piranhas qui se balançaient ♪
Nous avons déjà essayé...
♪ Sur une toile toile toile, toile d'araignée et qui trouvaient ce jeu ♪
Dans ce cas, doublez la dose !
♪ Tellement amusant que bientôt vint un cinquième piranhas ♪
Nous l'avons déjà triplé... il risque l'overdose...
Eh les coupaings ! Chantez avec moi ! ♪ Cinq piranhas qui se balançaient sur une toile toile toile, toile d'araignée et qui trouvaient ce jeu tellement amusant que bientôt vint un sixième piranhas ♪


Au bord de la crise de nerfs, la cheffe ordonna d'un mouvement qu'on le réduise au silence, qu'importe la manière et les conséquences, tant qu'elle n'entendait plus cet amphibien attardé. Elijah avait ce don, cette capacité très spéciale à venir a bout psychologiquement de n'importe qui, usant d'une stratégie redoutable appelée la connerie et qui grignotait en vous jusqu'à la moindre miette de patience. Qu'il soit encore capable de l'ouvrir après les trois injections reçues relevaient du miracle chez un être humain, un peu moins quand il s'agissait d'un homme-poisson dont la drogue était son élément moteur, ce qui le maintenait en vie. La faim, la soif, le sommeil, il pouvait s'en passer, en revanche une journée sans avaler un cacheton ou renifler une ligne et il pétait les plombs. Ce qui revenait à peu près au même puisqu'une fois drogué, il pétait également les plombs. Toute la subtilité de la chose étant dans la façon dont il craquait, mieux valait avoir un Croq'Dur sous produits stupéfiants qu'un Croq'Dur en manque.

Myriapolis... Myria... polis... Miriame... Police... OH MAIS OUI ! PIR-RAH-RAH-RAH-NAH ! Vous êtes de la police hein ? Vous êtes... de la police montée ! Pir-rah-rah-rah-nah !

Totalement insensibles à son trait d'humour, ayant dépassé leur quotta depuis bien longtemps, le pirate hybride fut sauvagement secoué dans diverses directions durant le reste du déplacement. Ainsi ne se passait pas quelques dizaines de secondes avant qu'il ne heurte une branche, ou un tronc, ou embrasse une plante, ou avale une bestiole par mégarde. C'était l'unique solution pour qu'il se taise enfin, ils avaient bien tenté de le museler avec leur toile mais chaque fois il s'arrangeait pour l'avaler ou la déchirer de ses mâchoires puissantes. Ils avaient abandonné lorsqu'il avait manqué de s’étouffer en avalant de travers, tout con qu'il était ils ne souhaitaient pas sa mort, pas tant que lui et ses compagnons n'auraient pas rencontré la Reine Arachnée. La traversée se déroula sans plus de remous, l'intégralité des Blattards étant enfin neutralisé, la colonie de femmes-araignées rentrèrent sans encombre au près du reste de leurs sœurs.

Même paralysé et drogué, l'esprit vénal du Cafard était si fort qu'il le poussait au larcin, son subconscient prenant le dessus. On devait régulièrement lui injecter un paralysant assez fort pour terrasser un monstre marin, tout juste assez pour l'immobiliser quelques minutes. Le Coquelet lui, ne pouvait que se contenter de proférer des insultes et des menaces à l'intérieur de son cocon, le venin coulant dans ses veines l'empêchant de faire davantage. Quant à Rowena, celle-ci ne disait mot. Partagée entre l'acceptation de sa capture et la honte de s'être fait avoir de cette manière, elle réfléchissait déjà aux éventuelles portes de sorties dont ils disposaient. Il fallait bien que l'un d'entre eux utilisa sa cervelle plutôt que ses muscles ou ses gros attributs d'hybride. Ils étaient bientôt arrivés, le convoi se déplaçait moins rapidement désormais, zigzaguant entres les nombreuses habitations suspendues dans les airs, tissés entre d'énormes troncs d'arbres.

La cheffe en tête, cette dernière menait le convoi et ses invités très spéciaux au beau milieu de la ville, devant elle se dressait une gigantesque toile plus haute et large que n'importe laquelle en ces lieux. En y regardant bien, une vague forme de palais somptueux mais paraissant si fragile de par le matériaux utilisé pouvait être identifié.
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- On aurait dû prendre la soie.

- Heeeeeein ? Tu t’fous de ma gueule espèce d’antilope ?! T’as dis que ça avait aucune valeur !

- J’ai menti. C’était pour que nous avancions. Mais notre état actuel fait qu’il est inutile de vous cacher cette vérité davantage.

- Tain...mais toi depuis le début tu nous casses les c..

- Silence, faquin. La soie d’araignée une résistance qui équivaut à celle de l’acier. Elle est moins dense, c’est surement pour ça qu’elle paraît si insignifiante mais elle pourrait supporter un poids d’environ quarante-cinq tonnes par centimètre carré. Et je ne parle que de la soie de petite araignée. Imaginez ce que ces grosses créatures pourraient produire ?

- Combien ?

- Pardon ?

- DE BERRIES. COMBIEN ?

- Il me faudrait mon boulier pour calculer mais je suis paralysée.

- Dans boulier, y a boules. C’trop rigolo. Pir-rah-nah !

- C’est quoi un faquin ?

Le pauvre Mahach n’eut malheureusement pas son explication. Ils arrivaient vers le domaine de la Reine Arachnée, souveraine de la tribu des araignées de Myriapolis. Au fur et à mesure de leur marche, Rowena scrutait les alentours pour récolter quelques données. Les maisons étaient toutes construites en hauteur et sur pilotis, certaines semblaient même encastrées dans les troncs des arbres géants, ou perchées sur des branches couvertes de toiles. Elle remarqua quelque chose de relativement étonnant : il n’y avait aucun homme dehors. La plupart des femmes étaient vêtues de plaques de chitine, comme si elles étaient recouvertes d’une armure légère. Ces guerrières portaient également des symbiotes en guise de bouclier, de lances et certaines possédaient même des arcs. Les femmes qui ne portaient pas d’armure était habillées de vêtements faits de soie et parées de broches ou épingles de bronze, leur peau tatouée au henné. Elles observaient toutes les prisonniers, parlant à voix basse. Ils ne pouvaient les entendre mais bon nombre d’entre elles commentaient sur l’homme piranha et ses chansons bruyantes.

- Elles vont nous faire quoi ?

- Nous conduire à leur reine.

- Et elle nous veut quoi ?

- Et bien d’après mes calculs, la probabilité pour qu’elle nous laisse partir sans discuter est de 1,9%. Tandis que la probabilité pour qu’elle nous fasse une offre qu’on ne peut refuser est de 99,1%.

- Tu bases tes calculs sur quoi ?

- Tais toi.

- MAIS BORDEL OH ! ….Aïe !

Mahach s’était pris un violent coup sur la tête de la part d’une des gardes qui les avait capturé. C’était une grande femme aux muscles sculptés, à la carrure bien plus développée que les trois hommes Blattards réunis. Elle jetait un regard noir au pirate à crête, avait-elle fait cela pour le faire taire ? Ou pour imposer la déférence à laquelle les femmes ont droit dans cette tribu ? Visiblement, elles traitaient leurs prisonnière avec plus de considération, c’était bon à savoir car Rowena ferait jouer ça à son avantage. Le domaine d’Arachnée n’était plus très loin, et les Blattards pouvaient à présent en distinguer la structure. Le bâtiment était massif ressemblant à une immense tour dressée vers le ciel, dont la taille égalait d’ailleurs celle des arbres géants. L’entrée, et plusieurs arcades disposées tout autour, transformait le bâtiment en une gigantesque araignée de pierre.

Le palais d'Arachnée:

On les fit entrer dans le château, la paralysie commençait peu à peu à s’estomper et les Blattards pouvaient à présenter bouger plus aisément. Malheureusement pour l’équipage, et pour les guerrières, Elijah était toujours en plein délire… L’intérieur du palais était richement décoré de sculpture d’ambre, de géodes scintillantes et de tentures de soie à broderies. Ils arrivèrent bien vite dans la salle du trône où ils furent détachés et purent se relever. On ne rendit toutefois pas à Joe ou Rowena leurs armes respectives, les guerrières les conservait encore au cas où ils décideraient de se rebeller. La reine parut alors, dans toute sa splendeur, entourée de deux gardes, avant d’aller s’asseoir sur son trône. Elle avait une beauté glaciale relativement envoûtante, parée d’une couronne à antennes. Elle dardait les Blattards de ses yeux d’argent, mais elle ne semblait pas en furie. Non, Arachnée avait l’air… avide, intéressée. Joe allait ouvrir la bouche, mais Rowena lui attrapa le bras pour l’en empêcher. Avant même qu’il ne puisse l’invectiver, la scientifique lui coupa la parole :

- Surtout, ne dis rien. Les conséquences seraient dramatiques. Chuchota-t-elle.

- Tu m’as pris pour l’autre con ou la poiscaille ?!

- Je suspecte la tribu araignée d’avoir un système matriarcal extrême. Il n’y avait aucun homme nulle part durant notre marche, il n’y a que des guerrières et Mahach a été frappé car m’ayant mal parlé.

- J’vais pas la fermer à cause de gonzesses.

- Elles peuvent nous tuer et ont failli le faire.

- Rien à foutre.

- Elles ont nos armes.

- J’ai dis que j’en avais rien à foutre.

- AAAAAAAH !!

Croq’dur poussa alors un cri guttural en machouillant une boulette de toile qui traînait par terre, il avait de la soie plein les dents, comme s’il grignotait une barbe à papa. Tous se tournèrent vers lui, les gardes dégainèrent leurs armes et étaient prêtes à l’abattre.

- Hé Joe, si tu changes l’ordre des lettres de “luciole” ça donne “couille”. Pir-rah-naaaaaaah !

-

-

-

- Ok c’est bon, c’est toi qui parle. Finit par déclarer Joe à Rowena.
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La parole était à Rowena. Lourde charge que celle consistant à sauver la peau de tout un équipage quand on avait trois boulets solidement attachés aux chevilles pour vous tirer vers les abîmes. Face à un monarque - et cela allait sans dire - mieux valait choisir scrupuleusement chaque mot de sorte à les placer dans un ordre qui ne leur vaudrait pas la peine de mort une fois le point final advenu.

- Annoncez la raison de votre venue à la reine Arachnée, matriarche du royaume arachnéen. Mais faites-le avec révérence, car aucune insolence ne sera retenue si ce n'est comme chef d'accusation pour vous mener au gibet.

Si des doutes quant à leur situation précaire avaient subsisté jusqu'à présent, la déclaration solennelle de la perche venue les traîner ici avait sans doute suffi à les annihiler. Mais les Blattards ne redoutaient pas la perspective de la mort. Non pas par courage, simplement par stupidité. Arrogants et désinvoltes à l'extrême, le simple fait d'appréhender leur trépas prochain ne leur effleurait même pas l'esprit. Avec de tels prototypes d'abrutis pour lui servir de compagnons, Rowena allait devoir redoubler de doigté et surtout d'obséquiosité pour entrer dans les bonnes grâces de la matriarche. Difficile pour elle de formuler une réponse qui n'envenimerait pas leur situation davantage ; difficile car à côté d'elle, trois illustres emmerdeurs chuchotaient assez fort pour la déconcentrer.

- Arachnée reine des araignées... et pourquoi pas Pierre empereur des minéraux ? Tché ! Quitte à me faire capturer, j'aimerais autant que ça soit par un peuple avec assez d'inventivité pour nommer ses monarques correctement.

Et à son premier matelot de répondre en pouffant à moitié :

- Pierre empereur des minéraux PfFfFFFfrrrR ! 'tendez j'en tiens un aussi... Capucine, princesse de la flore ha-ha.

Puisque les mâles du coin en étaient à commenter les patronymes, Elijah se joignit à la meute par instinct grégaire.

- Ou Mahach roi des cons.

- Ya-hin-hin-hin-hin !

- Quoi ? J'ai dit quelque chose de drôle ?

- Non hin-hin, juste la vérité. Rien que la vérité même ya-hin-hin !

Le coq aurait bien volontiers brandi son poing rageur pour menacer comme il se devait une certaine poiscaille de sa connaissance, mais des fils solides comme le plus résistant des alliages le retenaient.
Autant dire que même si l'agitation n'était que partielle, la cornue de la bande se doutait qu'un éclat d'impulsivité d'un de ses voisins finirait tôt ou tard par foutre tout son plaidoyer en l'air.

- Majesté, nous ne sommes pas venus vous chercher querelle. Bien au contraire même. C'est avec l'intention de vous fournir nos services que nous avons fait tout ce chemin.

Raconter la vérité sur les raisons de leur venue ? C'était monter soi-même sa potence. Croiser le regard d'Arachnée suffisait en soi à percevoir qu'aucune issue reposant sur la pitié ne serait à envisager. Elle avait les yeux d'un certain cafard quand on lui causait gros - ou petits - sous. Toute décision pouvant émaner de sa part ne pouvait être que purement intéressée. Revenait à Rowena la lourde tâche de savoir se vendre correctement au vu des données dont elle bénéficiait concernant le contexte géopolitique de Myriapolis.

- Vos services ?

Elle avait capté l'attention de son altesse. Toutefois, elle se demandait si le ton employé visait à mettre en exergue un réel intérêt de sa part pour la proposition ou juste une remarque amusée pétrie de dédain.

- Quand trois royaumes sont en luttes pour l'hégémonie sur un territoire, les mercenaires sont toujours les bienvenus.

Bien que placide, conservant son visage cireux et glaçant, Arachnée demeurait résolument coite. La réponse avait vraisemblablement fait mouche. Les affaires prenaient une tournure radieuse jusqu'à ce qu'un figurant ne sorte de son rôle pour capter l'attention des spectateurs environnants.

- Maîtresse ! Mahach y me dit rien que des gros mots !

- N'import' quoi, enculé ! Y ment majesté ! Y ment ce menteur ! En plus il a dit qu'vous étiez la reine des garces et que - je cite - «des gourgandines comme ça, je te les fais tapiner pour cent-mille berries la passe.»

Car la connerie chez les Blattards était à la fois coutumière et trinitaire, ce fut au capitaine de se manifester pour enfoncer le dernier clou dans le cercueil de son équipage. On n'était jamais mieux enterré que par les siens.

- Nan, c'est moi qui ai dit ça. Maaaaaais... je vous rassure majesté. Quand je disais cent-mille berries la passe... je pensais au moins au triple. Vous les valez bien hin-hin.

Maintenant l'interlude achevé, leur avocat à cornes les regarda avant de regarder la reine qui était restée de marbre aux déclarations inopinées et malheureuses qui lui furent adressées. Depuis le début, Rowena avait su qu'ils foutraient les pourparlers en l'air, elle aurait au moins eu le mérite d'essayer. C'était tout à son honneur.
Les quelques gardes réunis se concertèrent avec leur matriarche. Sans doute discutaient-elles de la modalité des châtiments qui seraient administrés aux Blattards. Pour l'offense ainsi manifestée, il fallait faire un cas d'école.

- Et vas-y que ça papote. Tu vois Rowena, quand on laisse les bonnes femmes à la barre, ça bavarde, ça cause chiffons et ça ne pense pas à l'essentiel. Voilà pourquoi les matriarchies peuvent pas tenir debout. C'est scientifique Rowena. Scien-ti-fique.

Comme un bovin furieux - elle en avait déjà les cornes - la demoiselle souffla des naseaux. Il lui semblait que chacun parmi l'équipage mettait de la bonne volonté pour s'attirer les coups.

- De là où je me tiens, leur matriarchie m'a l'air plus pérenne que notre attardocratie...

Mais les insultes et autres quolibets n'égratignaient même plus le cafard. Il aurait pu prétendre être au-dessus de tout ça, mais la vérité était qu'il portait chaque injure comme une médaille. À croire qu'il aimait récolter les fruits de ses agissements perfides et autres provocations.
Tandis que les arachnéennes tenaient un conseil de guerre improvisé, les Blattards les imitèrent. La situation l'imposait plus ou moins. Après tout, seule leur survie était en jeu.

- Allons, allons. C'est l'hystérie qui parle. Typiquement féminin ça encore ya-hin-hin ! Bon allez, j'attends vos idées pour vous sortir de là. À vos suggestions, tas de débiles !

Rowena avait donné pour la journée. Elle préférait encore le caractère digne de la résignation aux gesticulations stériles face à une mort qu'elle considérait comme certaine. En l'absence d'esprit cohérent à sa disposition, Joe put bénéficier du suffrage avisé de l'amphibien de la bande. Sans doute était-ce mieux que rien, bien que le néant eut été encore préférable à la déclaration qui allait suivre, quelle qu'elle fut.

- Le pouvoir de l'amitié enfin ! On s'énerve tous tout rouge parce que nos amis sont en danger. Alors là, on devient tout d'un coup super forts - normal - on casse les cocons, et.... et on casse tout en fait ! Pir-rah-nah !
Z'en pensez quoi ?


Plutôt que de l'envoyer chier comme il avait si bien l'habitude de le faire, Greed prit un temps de réflexion avant de ce faire.

- Y'a de l'idée. Seulement... vous êtes pas mes amis. À vrai dire, vous êtes même des fieffés connards pour lesquels je lèverais pas le petit doigt sauf si mon pognon en dépendait.

- Aaaaaah ouiiiiiiii ! Effectivement. Au temps pour moi.

Insouciant, presque innocent, Elijah sur ce rappel des faits s'en retourna à ce nouveau passe-temps qui consistait à mâchouiller ces fils de soie qui l'entouraient tout droit sortis de sphincters d'arachnides de belle taille. Sans doute y avait-il dans les fibres une toxine pour laquelle il avait nourri une addiction. Une de plus.

- Moi j'ai une idée.

- Oh ? Et ça t'a pas fait trop bobo à la tête j'espère, va pas te faire un claquage ya-hin-hin !

Après avoir grogné comme un bestiau et tenté de s'extirper de sa prison organique, Mahach dû renoncer à contrecœur à son projet de coller un taquet dans le nez de son capitaine puis se ravisa pour dévoiler un plan qui serait sans doute à sa mesure, ce qui ne mènerait pas bien loin.

- J'ai r'marqué qu'y avait que des bonnes femmes qui semblaient avoir le pouvoir ici. Je pense que c'est une sorte de gonzessocratie. L'idée, ce s'rait que Rowena - qui r'ssemble un peu à une femme - prenne la parole pour les baratiner et nous sortir de nos cocons.

Greed fut là encore pensif.

- Mmmmh... C'est rare que je dise ça mais... pas con Mahach. Pas con du tout même. Allez biquette, en selle, sors-nous de là !

La malheureuse ne savait pas s'il s'agissait d'une requête sincère ou s'ils employaient des trésors de mise en scène pour se payer sa tête. Mahach venait sérieusement d'énoncer le plan qu'elle était en train d'appliquer avant qu'ils ne le foutent en l'air quelques instants plus tôt. Puisqu'elle préférait mourir avec un état d'esprit serein, la cornue préféra ne pas leur répondre.
Arachnée et consorts avaient fini de discuter. La sentence allait tomber, le couperet aussi s'il y avait une logique en ce bas monde.

- Vous êtes bien corsaire pour le compte du Gouvernement Mondial je me trompe ?

Si la matriarche posait la question, c'est qu'elle attendait que quelque chose de constructif ressorte de la conversation qui en résulterait. Comme un geyser qui jaillirait en plein désert, cette réaction de la reine fit naître un espoir en Rowena qui avait eu toutes les raisons du monde de croire qu'ils étaient foutus.

- Oui votre majesté, et je suis chargée de les coordonner pour qu'ils n'échouent pas misérablement dans leur tâche.

- Oh l'aut' hé !

En laissant entendre qu'une femme était à la manœuvre chez les Blattards, Rowena établissait un contrat de confiance entre l'équipage et la reine qui semblait disposée à attendre quelque chose d'eux en dehors de leur trépas.

- Et vous êtes venus jusqu'ici. Par altruisme. Pour me proposer vos services en dépit de mes prises de position clairement opposées aux aimables raclures qui cherchent à régenter le monde ?

Il fallait admettre qu'ils partaient du mauvais pied du fait de leurs allégeances douteuses. Seulement, ils devaient en partie leur renommée à ladite allégeance et probablement la raison pour laquelle on ne les avait pas laissés en pâture à quelques araignées affamées.

- L'altruisme ne fait pas partie de nos prérogatives votre majesté.

Trop aller dans le sens d'Arachnée serait revenu à donner l'idée qu'on aurait dit tout ce qui était possible pour rester en vie. Il fallait donner le change, la prendre au dépourvu en simulant une forme de sincérité pourtant suintant le mensonges.

- Si nous sommes ici, c'est pour préparer le terrain, créer de l'agitation préalable pour justifier une intervention de marine prochaine. Quoi de mieux qu'attiser une guerre entre trois royaumes pour cela ?

Formuler les choses ainsi eut pour effet d'amener la reine à plisser les yeux. Son intérêt avait été piqué à vif. Restait à savoir si cela était pour le meilleur ou bien le pire. Le fait est qu'elle laissait la cornue épiloguer, écoutant avec attention tout ce qu'elle pouvait lui rapporter.

- Disons que si nous venions à aider un camp pour prendre le dessus sur l'autre en lui fournissant des informations sur ses capacités militaires par exemple, cela pourrait être utile au G.M, mais aussi au camp qui viendrait à découvrir ces informations.

Des sous-entendus qui n'en étaient plus à ce stade, elle en débitait par torrents entiers. Elle était au courant du contentieux qui liait le royaume des araignées à celui des fourmis, et c'était en mettant le doigt sur cette plaie béante que Rowena espérait faire réagir.

- Libérez-les. Eux et moi avons à causer.

Ce fut un succès. Rien de tel que les conflits ancestraux pour provoquer une réaction stupide en exacerbant des haines aussi malléables que simple à manipuler.
Quelque peu réticentes, les gardes féminines aux muscles ciselés obéirent pour s'en aller extirper les Blattards de ce qui faillit être leur cercueil. Leur surprise à tous fut totale lorsque - le plus naturellement du monde - Elijah sortit de son cocon sans aucune aide extérieure.

- M... mais... mais c'mment t'es sorti de là ?

Candide, presque aussi stupéfait de sa prouesse que le reste de l'assistance, le principal concerné haussa les épaules. Cet homme-piranha était un mystère. Un mystère à qui l'on voulait administrer des centaines de baffes à la minute.

- Je gobe en moyenne quarante cachetons par jour Mahach ; je peux pas te dire comment ou pourquoi je fais ce que fais pir-rah-nah ! Bon, c'est pas tout ça, mais je m'étais levé pour aller pisser moi. Ah ! Un mur !
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Menés par la Reine-Araignée en personne, les gardes royaux acceptèrent d’ouvrir les portes de la salle du conseil aux Blattards. Richement ornée de babioles rappelant de plus ou moins loin leur attachement aux insectes, ils auraient pu se croire dans le boudoir royal privé si quelques biens d’une salle de conseil digne de ce nom n’étaient pas là.

Arachnée s’assit majestueusement sur la réplique de son trône, qui se devait de ressembler un minimum à un siège de salle de conseil, avant de rester totalement impassible. Son armature était en bois massif et les épais rembourrages étaient doublés de soie teintes en bleu et orange. Face à elle, les Blattards n’eurent que le choix de rester debout. Pourtant, derrière le trône était plantée une longue table bardée de chaises de chaque côté.
Elijah, un peu à la traîne à cause de son envie pressante, ne sut se retenir de rompre le silence pesant. Non pas pour briser la glace, bien entendu, mais simplement pour dire ce qui lui passait par la tête.

- Bon. On pourrait pas s’asseoir ? Marcher dans les bois, ça me donne mal au pied.

Arachnée restait de marbre. Elle n’avait même pas pris soin de le regarder ou de lui répondre. Comme à son habitude, Rowena, maligne, adoucit la situation.

- Non, être bloquée dans un coton m’a engourdi les jambes. Restons debout.

Ce à quoi la Reine répondit par un petit sourire, très bref, de satisfaction pédante. Mais à nouveau, presque immédiatement, elle grava son visage de son expression de froideur même si ses lèvres s’animaient.

- J’apprécie votre esprit retord, mais veillez à ce qu’il ne se retourne pas une nouvelle fois. Il vous serait très dommageable que vous en profitiez en pensant nous échapper. Nos toiles sont longues et les brises parcourent l’île entière. Quoi que l’on puisse en dire, les Corsaires restent des pirates avant tout.
- Vous avez raison, majesté. Ce titre n’est qu’une sorte de protection qui a un prix. Mais si nous pouvons indirectement mettre des bâtons dans les roues de la Marine, alors cela nous sied.
- Et vous osez me le dire de but en blanc ?
- Ce n’est un secret pour personne, le Gouvernement mondial lui-même sait qu’il prend des risques. Et de notre côté, nous savons ce que nous encourons.

Perdue dans ses pensées, la Reine tapotait nerveusement l'extrémité de son accoudoir du bout de ses doigts. Elle était visiblement en plein dilemme. La tension montait à mesure que le lourd silence s’imposait. Chacun avait gros à jouer, il restait à savoir si les deux parties voulaient miser, et les Blattards avaient été forcés de faire tapis.
Depuis qu’elle était entrée dans cette salle, elle n’avait eu cesse de regarder la cornue droit dans les yeux. Elle, et personne d’autre. Les deux femmes s’estimaient donc mutuellement pendant que la gente masculine blattarde se faisait rabrouer le caquet par la scientifique à chaque inspiration qui aurait dû être suivie d’une prise de parole.

- Très bien. C’est une opportunité, certes risquée, mais qu’il serait mal avisé de laisser passer. Mes éclaireuses les plus proches du royaume myrmécéen m’ont rap...
- Mimer, c’est un ?

Arachnée s’était tue sèchement, presque vexée de voir que sa royale parole stupidement et brutalement coupée. Elle braqua aussitôt ses canons oculaires sur l’homme-piranha. Mais il n’en avait cure ... et ses compagnons également.

- Bah nan, abruti ! Elle te parle d’un royaume, la dame ! Le royaume de Myrm et ses Huns !
- Myrm et ses uns ? Comme des chiffres ? Il croule sous cent onze milliards cent onze millions cent onze mille cent onze berries ?!


Il n’avait fallu qu’une seule minuscule seconde de relâchement de la part de Rowena (qui était davantage occupée à repenser les paroles de la Reine des Araignées) pour que les Blattards masculins blattardent. Le visage de la dame du groupe vira au rouge, tant celui de la honte que celui de la colère.

- Mais non bande de sombres crétins ! Le royaume des fourmis !
- Bah ouais les gars, vous êtes cons des fois.

Si les yeux d’Arachnée étaient devenus des canons, ceux de la scientifiques lançaient des orages noirs au punk, et nul Climat-Tact n’était requis.
Désormais, la Reine les levait au ciel dans un long soupir de désespoir. Mais bien vite ils se rivèrent à nouveau sur leur point d’ancrage favoris (Rowena) et elle tonna un avertissement.

- Je vous saurais gré de mieux les coordonner que cela.
- Je suis navrée ... Vous savez ce que c’est, les hommes ...

Cette fois-ci, elle ne souriait pas. Ni brièvement, ni d’une satisfaction pédante. Mais l'argument avait de fortes chances de faire mouche. Et ce fut le cas, même si elle ne pipa mot à ce propos.

- Vous ne devez votre vie qu’à ma clémence si rare. Ne me faites pas regretter. Et puis, je ne vous l’accorderai qu’en cas de succès, à votre retour de mission. Voyez-la ... comme votre récompense.
- La vie, et quoi d’autre ?
- Plaît-il ?!
s’offusqua vivement Arachnée.

Elle n’accordait plus aucune attention à sa petite privilégiée. Elle aurait pu s'aplatir d’excuses que cela n’aurait eu aucun effet.

- La santé c'est une chose, l'oseille ç'en est une autre. C'est un joli sabre que vous avez là hin-hin.
- Je n'aurais même pas le plaisir de laisser Hyakujuunoou de vous priver de toute récompense, si vous continuez ainsi.
- Y’a coup d’genou ?
- Mais ta gueule ! Tu vois pas qu’c’est pas l’bon moment ? Même moi j’le vois !


La cornue fit brutalement volte-face, une expression de fureur lui déformant le visage.

- La ferme, vermisseaux ! beugla-t-elle avec un fond de pensée.

Joe avait compris pourquoi elle venait de faire cela, mais son naturel l’empêchait presque de laisser la dupe opérer.

- Oh oh, pousse pas ta chance trop loin, la femelle. Ou c’est moi qui s’occupe de ta récompense.

Les deux autres pirates semblaient être devenus deux enfants très sages qui n’osaient moufter.
Ce soudain éclat de colère lui avait permis de surprendre à nouveau Arachnée, qui avait légèrement tressauté à cet instant, sa chouchoute ayant enfin fait de la plus belle des manières ce qu’elle attendait d’elle. Quand Rowena se retourna, elle vit que ce qu’elle avait tenté avait fonctionné.

- Excusez-moi, Majesté.

La Reine des Araignées ne répondit pas, le visage légèrement surélevé.

- Mais ... je dois avouer que dans le fond, ce bougre a raison.
- Expliquez-vous.
- Et bien ... la Lame du Lion est un Meitou réputé ... L’avoir en notre possess...
- En votre possession. Entre vos mains.

Elle avait lourdement insisté pour que ce soit la Blattarde qui manipule la célèbre lame.

- Absolument. Me laisser manier la Lame du Lion pourrait vous permettre de rayonner en dehors de votre royaume et de cette île. Elle deviendrait une marque de votre confiance placée en nous. Cela ne voudrait pas dire que vous vous affaiblissez en laissant les premiers venus s’en accaparer mais que nous serions parvenus à la gagner. Et nombre d’âmes savent ô combien elle est difficile à obtenir. Donc bien plus qu’une seconde protection, couplé à notre réputation, les personnes sur notre chemin sauraient qu’il ne fait pas bon vous importuner. Et puis ... cela ferait une énième nique à la Marine. Et quelle nique !

Arachnée pianotait désormais de ses deux mains sur le bord des accoudoirs, toujours en pleine réflexion, toute stratège qu’elle était. Les fois où elle peinait à garder l’esprit tranquille pouvaient se compter sur les doigts d’une main. Mais aujourd’hui elle éprouvait des difficultés tant ces odieux insectes l’avaient mise hors d’elle. Alors la tension se faisait encore plus palpable, le silence encore plus pesant, et le danger encore plus menaçant.

Cet instant leur paraissait durer une éternité, comme tout moment avant une sentence.

- Soit. Hyakujuunoou vaut bien un royaume.

Personne n’osait rompre le silence qu’elle avait imposé.

- Ecoutez-moi bien, je ne me répéterai plus : grâce à mes éclaireuses, je soupçonne Werber, la Reine des Fourmis, d’être en train de créer une nouvelle race de fourmi. Des soldates parfaitement entraînées et dotées d’armes spécialement conçues pour nous détruire. Pour nous nuire directement et en finir définitivement avec nos petites querelles en empiétant sur notre royaume. Confirmez-moi cela, rapportez-moi une preuve que cette maudite reine utilise de telles horreurs et vous pourrez quitter Myriapolis vivant, en bonne santé, et avec la Lame du Lion. Sinon, n'espérez aucune de ces propositions.

Elle marqua un temps pour s'assurer que cela était bien compris chez les pirates. Aucun d'entre eux n'osa acquiescer même brièvement de la tête.

- Vous pouvez disposer, et faites-le rapidement avant que je ne change d’avis. Hors de ma vue !

Elle ne pianotait plus son accoudoir mais le griffait de la main gauche. Son autre main y était écrasée en poing solidement fermé. Ses veines en étaient gonflées de colère, de frustration, et elle ne l’espérait pas, de remords.
Quant à Greed, il menait fièrement les siens comme un fidèle sujet dévoué à sa Reine, animé par les plus belles flammes de l’avarice.
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- J’peux savoir POURQUOI tu nous as encore entraîné là dedans ? C’est clairement la merde …

- Elles allaient nous tuer.

- Nan mais franchement ? On a pas autre chose à foutre que d’aller chez des fourmis ?

- Elles allaient nous tuer.

- Nan mais Joe sérieux ? On devrait tellement se casser et retourner faire ce qu’on avait à faire…

- T’as pas la lumière à tous les étages toi hm…

- Quels étages ?

- Laisse tomber. Ton incompétence et ton manque cuisant d’intellect ne m’intéressent pas.

L’équipage marchait dans la forêt des araignées, enfin libérés pour s’en aller vers la Fourmilière. On avait rendu à Joe son arme d’artillerie lourde et à Rowena son bâton climatique avant de les reconduire immédiatement à la sortie de la ville de la tribue arachnide. Les étrangers, surtout les hommes, n’étaient pas vraiment les bienvenus là bas et la reine Arachnée ne voulaient pas que des nouveaux venus se mettent à pervertir les esprits de ses sujettes avec de belles paroles, fausses ou non. Rowena s’y attendait, mais Mahach traînait des pieds, Elijah était trop occupé à suivre des yeux un ballet majestueux de scarabées bousiers et Joe marmonnait des choses que lui seul pouvait entendre. La scientifique savait que Joe n’était pas celui qui contesterait sa plaidoirie. Elle avait éveillé la corde la plus sensible et pourtant la plus évidente chez le Corsaire : son avidité.

- Je ne vous dirai pas comment je le sais, mais d’après une certaine base de données regroupant plusieurs connaissances génériques, le légendaire sabre Hyakujuunoou appartenait il y a plusieurs siècles à un souverain félidé ayant mangé un fruit du démon.

- On en a rien à cirer.

- Le souverain était le seul à pouvoir parler la langue des hommes et des animaux. Et il décida de créer une armée animale pour défendre son royaume contre les envahisseurs humains.

- On en a rien à cirer.

- Et la légende veut que l’âme noble du souverain a imprégné son arme, et que celui qui la porte s’assure le respect de toutes les créatures animales du monde.

- J’ai dis qu’on en avait rien à cirer ! T’es sourde ou bien ?!

- Si on a, Croquette a des souliers ! Sou-liers. C’est Rowena qui m’a appris.

Joe afficha un air renfrogné avant de s’en retourner marmonner dans la barbe qu’il n’avait pas. Ils avaient tort de négliger le récit de la cornue, car en ce monde les légendes s’avéraient souvent être vraies. D’une manière générale, les Blattards avaient tort de négliger les conseils de leur membre féminin. Mais quand bien même ils ne l’écoutaient pas, elle ne s’en formalisait pas. Après tout, elle aurait la grande satisfaction de pouvoir leur rappeler qu’elle les avait prévenu.

On leur avait confié une carte de la forêt pour pouvoir se repérer et évoluer dans ce dédale sylvestre jusqu’au domaine des Fourmis. La reine était confiante, et on pouvait se demander pourquoi les Blattards daigneraient lui obéir ? Après tout, ils pouvaient tout simplement passer leur chemin et faire ce qu’ils avaient déjà prévu. Mais après avoir promis une telle récompense, la reine et Rowena se doutaient bien que Joe ne voudrait pas laisser passer une occasion pareille. Un sabre meitou légendaire, d’une immense valeur, le Corsaire semblait une fois de plus déterminé à poser ses griffes sur un grand trésor. Et même les dieux savaient que quand Joe Biutag avait jeté son dévolu sur un objet de valeur, même le plus ravageur des typhons ne saurait l’arrêter…

- Les Fourmis c’est des gentilles, Rowena ?

Mahach et Joe relevèrent le nez, la question de Croq’dur avait piqué leur intérêt, après tout les Fourmis étaient leurs cibles. La nonchalance et l'insouciance de l’homme poisson à laquelle ils étaient habitués laissaient rarement place à ce genre de répliques ou questionnements étonnamment logiques de sa part. Même Rowena, qui prenait du temps pour expliquer beaucoup de choses à Elijah, cligna des yeux en haussant les sourcils, toute aussi stupéfaite que ses deux collègues.

- Et bien, je sais qu’elles ont une communauté extrêmement soudée. Sans doute une des plus soudée sur les mers. Au point qu’elles détestent tout ce qui se rapproche de l’individualisme. La Fourmilière est un gigantesque marché noir, d’ordinaire ça pourrait être un lieu propice pour nous. Mais étant donné que nous sommes des individus relativement égoïstes, cet endroit risque d’être aussi mortel que le domaine araignée.

- Sont pas gentilles alors… J’vais les croquer.

- Croquette le croqueur. Ya-hin-hin…

Dépliant une nouvelle fois le plan, Rowena constata qu’ils devaient bifurquer et ne pas repasser par la Ruche où ils avaient accosté. Non, cette fois ils devraient traverser un marais hostile où les insectes ne seraient pas domptés, ce qui inquiétait la cornue. Ils avaient été rapidement mis hors jeu par l’embuscade des guerrières d’Arachnée, qui sait combien de temps ils tiendraient face à des créatures sans lois ni maîtres ? Le “grand marais lugubre” qu’ils l’appelaient, ils ne s’étaient pas vraiment foulé les autochtones du coin. Néanmoins, Rowena était confiante, elle était persuadée qu’elle pouvait faire de la reine araignée une précieuse alliée. Mais bon, il fallait tabler sur une bonne coopération de ses camarades, ce qui était nettement moins sûr....

- Joe ?

- Quoi ?

- J’ai faim.

- Bouffe ta main, garde l’autre pour demain.

Rowena soupira une nouvelle fois, toujours aussi excédée…Elle ne fut pas surprise de constater que Croq’dur essaya bel et bien d’ingurgiter sa main, pensant à un ordre de son capitaine, mais l’écailleux fut très vite arrêté par Mahach. La journée risquait, encore une fois, d’être longue...très longue.
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Il y étaient : la fourmilière.
En dehors des trois grandes cité et leur périphérie, tous les paysages se ressemblaient sur Myriapolis. C'était une île paraît-il. Plutôt une mer de roches noires comme du charbon, des roches tranchantes comme des lames de rasoir sur lesquelles il ne faisait pas bon s'écharper. C'est dans ce dédale minéral qu'avaient évolué les Blattards une fois extirpés de la forêt arachnéenne qu'ils n'auraient jamais dû quitter.

- Pourquoi je ne l'ai pas vu venir ? Avait soupiré Rowena lorsque son comparse écaillé avait tenté de déterminer quels étaient les fibres de la carte en se décidant à la fumer.

- Sèche tes larmes p'tite précieuse. Les hommes n'ont pas besoin d'cartes pour savoir où y vont. Avait complété Mahach avant de décider d'un nouvel itinéraire sur le tas.

Son assurance comme celle de ses camarades s'était quelque peu estompée après deux jours d'errance en plein désert rocheux, là où il ne leur aurait pas fallu six heures en principe pour parvenir à destination sans encombre. Les hommes n'avaient pas besoin des carte, les Blattards, si.
«J'ai soif Joe» avait-on gémi à de nombreuses reprises au cours de la lamentable exode. En pure perte. Il n'y avait qu'une gourde remplie d'eau, et le cafard la couvait précautionneusement. Quelque peu radin sur les bords et même au-delà, il refusait que l'on «gaspille l'eau», arguant sans cesse qu'il fallait économiser le précieux liquide. Ils seraient tous morts de soif autour d'une gourde pleine s'ils n'avaient pas repéré inopinément une troupe de curieux personnages alignés les uns derrière les autres, provisions en main.

- Une colonie de la fourmilière. On a retrouvé le chemin.

Cela ne leur avait pris que deux jours. Une performance pour des cons d'un tel pédigree.

- On peut boire maint'nant ?!

- Bien sûr.

La réponse aussi soudaine qu'inattendue manqua de provoquer un arrêt cardiaque au punk. Rarement son capitaine se montrait aussi généreux et raisonnable. Patientant quelques secondes la main tendue, Mahach avait fini par s'impatienter en attendant qu'on lui serve à boire.

- Eh ben ! Ça vient cette flotte ?

Offusqué par une pareille doléance, Joe afficha sa gueule des mauvais jours et montra les dents tout en serrant son réservoir d'eau contre lui comme s'il s'agissait de son premier né, ou de son premier berry.

- Ma gourde ?! Tu rêves en technicolor mon salaud !

Il y avait eu quiproquo.

- Mais... t'avais dit qu'on pouvait boire !

- Oui, techniquement parlant : vous pouvez boire ; vous bénéficiez des capacités physiologiques qui vous permettent d'ingurgiter du liquide. Je faisais que confirmer le postulat. Boire mon eau... franchement... mais dans quel monde il vit ce crevard du Grey T.

Même Rowena s'était jointe à la sauvagerie de l'équipage pour une mutinerie improvisée. Ils avaient dû user de leurs dernières forces pour lui cogner sur la gueule, et cela avait été plus rafraîchissant encore que se baigner dans un lac d'eau douce. Le breuvage arraché des griffes du gripsou qu'on appelait Greed¹, l'heure était alors au rassasiement quand, en portant le goulot à sa bouche, le punk manqua de s'étouffer et recracha le contenu du flacon pourtant tant convoité jusqu'à lors.

- T... t'as rempli la gourde de pièces de cent berrys ?!

Avachi à même le sol, cherchant à tâton de l'index combien de molaires il lui restait en recrachant quelques glaviots pourpres, Joe se montra lapidaire dans sa réponse.

- Osez me dire que ça vous surprend.

Alors, le silence se fit et tous baissèrent les yeux. Il y avait une cohérence dans l'absurde et cette révélation tombait en réalité sous le sens. Tous s'en voulaient de ne pas y avoir songé ne serait-ce qu'un instant durant leur débâcle.

***

- Y'en à toi pacifique, enfoiré ?

Demanda le teigneux à casquette en braquant son canon de deux mètres en direction des roustons de son interlocuteur. La prise de contact avec un diplomate de cette trempe ne pouvait que bien se passer.
Ainsi Joe avait-il apostrophé l'ouvrier en queue de peloton de la colonie qu'ils talonnaient. Tempéré par la scientifique de la bande venue aussitôt prendre le relais, elle chercha à s'assurer que les étrangers puissent accéder à la fourmilière, ce qui lui fut confirmé par le bougre quelque peu étonné de la manière dont on l'avait détourné de sa tâche.

La fourmilière était accessible via un long cheminement à travers un dédales d'escaliers. La ville entière était enterrée dans le sol, et même le soleil ne parvenait plus à en éclairer les fonds grouillant de monde. Les murs et même l'architecture était sèche comme un coup de trique, mais l'air ambiant était frais.

- Je peux boire ça ? Avait demandé Elijah, très sage depuis quelques temps. Trop sage d'ailleurs.

Sans même regarder le contenu du tonneau que son homme d'équipage avait pointé du doigt au milieu des innombrables commerces qu'ils longeaient, son capitaine lui répondit la même chose qu'à son premier matelot il y une demi heure de ça.

- Bien sûr.

Ainsi furent ingurgités deux litres d'acide formique.

- Tiens. Y'a Eli qui vient d'clamser.

Telle fut la réaction de Mahach suite à l'écroulement soudain de son camarade palmé. Rowena n'y prêta pas plus attention non plus. En scientifique confirmée,  sans ausculter ou même accorder le moindre regard à la carcasse de l'homme-piranha, son diagnostic fut précis sans appel.

- Ça lui passera.

Plus empathique, Joe demanda à ce que le punk transporte son camarade décédé.

- J'ai vu une poissonnerie exotique tout à l'heure, on devrait pouvoir en tirer un bon prix.

Puisqu'ils semblaient tous déjà en avoir fait le deuil de leur compagnon - probablement même avant qu'il ne meure - les Blattards eurent la «surprise» de voir le poiscaille bondir sur ses pattes, vif comme jamais mais exalté comme toujours les pointant du doigt, persuadé de les avoir pris au dépourvu.

- Et en fait ! Je suis pas mort ! Pir-rah-nah.

Son Burn Bazooka toujours perché sur son épaule, crosse en main, Joe usa de sa main gauche pour sortir de l'intérieur de son épais manteau de fourrure noir un des innombrables mousquets qu'il gardait en dessous, pointant le canon entre les deux yeux de Croqdur. Il s'était fait à l'idée de vendre la carcasse de son camarade et n'aimait pas revenir sur sa décision.

- Si. Tu l'es.

Le silex cliqueta, l'index s'approcha de la gâchette et....

- Vous êtes l'équipage des Blattards si je ne m'abuse ?

Un punk, une frigide à cornes, un homme-poisson dont les pupilles étaient plus larges que les globes oculaires et un vicieux à casquette "marine" par-dessus laquelle était inscrit "pirate". Si ce n'était pas eux, cela y ressemblait fortement.

- Dis donc toi, où t'as été élevé ? Tu vois pas que je suis occupé ?

- C'est vrai ça, on n'a pas idée de déranger les gens comme ça. Reprenez donc capitaine. Ajouta Eli, le canon du mousquet braqué à même son épiderme poisseux.

L'individu - l'insouciant plutôt - déglutit. Ce n'était pas une mince affaire que d'être dépêché par la matriarche pour chercher à canaliser la frénésie meurtrière d'un ramassis de raclures couvertes par le Gouvernement Mondial. On avait songé à les éliminer dès qu'on eut appris leur présence dans la fourmilière, mais la reine Werber s'était montrée plus mesurée que ses conseillers. L'assassinat d'un Corsaire assermenté aurait pu être interprété comme une provocation de la part de Marie-Joie - qui n'aurait pourtant rien demandé de mieux.
Alors on avait décidé de leur faire faire le tour du propriétaire, leur fournir tout ce dont ils avaient besoin de sorte à ce qu'ils repartent le plus tôt possible.

- Je suis Kalvin, votre guide dépêché par la reine Werber.

- La réverbère ?

Rien de tel qu'un blasphème pour détendre l'atmosphère et prédisposer à l'entente cordiale. Interloqué par le loquedu, Joe rangea son pétard au chaud afin de reporter son attention sur l'envoyé de leur hôte.

- Un guide hein ? hin-hin. On a une gueule de touristes à qui faire les poches ?

Kalvin reporta son regard sur le piranha bipède du groupe. Il était vêtu de tongs, d'un bermuda ainsi que de lunettes de soleil fantaisie. S'imaginant bien que la question du cafard était manifestement rhétorique, le guide renonça à y répondre.

- Nous tenons à ce que votre séjour parmi nous - d'aussi courte durée puisse-t-il être - vous soit le plus agréable possible.

Ou, comment annoncer poliment qu'ils n'étaient pas les bienvenus et que, quelque furent leurs plans en cette cité, il était de bon ton d'y renoncer au plus vite. Diplomate émérite comme à l'accoutumée, Joe se proposa d'éconduire l'intrus à grand renfort de semelle dans l'arrière-train. Bien que la résolution fut approuvée par son premier matelot, Rowena y opposa son droit de véto. Elijah, lui, n'avait pas le droit de vote. Car chez les Blattards, on ne laissait pas voter les homme-poissons. On était trop civilisé pour ça.
Ce fut donc à dame Clown de reprendre son capitaine - une fois encore.

- Nous serons ravis de vous suivre et d'en apprendre plus sur la fourmilière.

Ravis ? Pas le moins du monde. Mais il fallait jouer le jeu. Glaner des informations au passage si possible. Le principe d'une mission d'espionnage était encore de se montrer discret et non de ruer dans les brancards.
Tous apprirent qu'ils pouvaient acheter telle denrée à tel endroit, ne pas se promener dans telle rue à telle heure de la journée, et qu'Eli devrait clairement arrêter de boire de l'acide formique après s'être resservi deux fois en chemin. Mais un détail avait frappé le cafard qui subissait la visite pendant que Rowena cuisinait leur guide.

- Sont bosseurs vos esclaves. Vous les avez achetés où ?

Esclavagiste devant l'éternel, Joe avait trouvé un sujet susceptible de l'intéresser.

- Il n'y a pas d'esclaves ici. Nous nous dévouons tous pour la collectivité, un impératif nous étant supérieur.

Greed mit un léger coup de coude à Mahach qui lui, fit semblant de ne pas y faire attention

- Y'en a qui devraient en prendre de la graine. Hein Mahach ?! Ya-hin-hin-hin.

- La dévotion chez nous est poussée jusqu'au sacrifice, fut-il de notre vie. L'ensemble prime sur l'individu.

Nouvelle salve de coude dans les côtes du punk, cette fois plus insistants.

- Jusqu'au sacrifice Mahach, t'entends ça ? Ya-hin-hin

- Car notre collectif vit en symbiose absolue, nous partageons toutes les peines. Mais aussi tous les profits, cela va soi.


Alors, Joe stoppa sa marche soudainement. Son rythme cardiaque - car il avait un cœur - s'accéléra subitement. Cette suite de mots malheureux lui avait fait l'effet d'une descente en chute libre. De la sueur perlait déjà de tous ses pores, sa respiration se faisait un peu plus saccadée à chaque inspiration : on avait instillé en lui une visions de cauchemar.

- T'entends ça capitaine ? P'têt' que tu d'vrais en prendre de la gr...

Tout ce que Mahach prit, c'est une grande baffe dans la gueule et ce, sans même que son capitaine ne prenne la peine de le regarder pour corriger son insolence. Il y avait des sujets qu'il valait mieux ne pas aborder avec le cafard : le partage était l'un d'eux.

- Qu...qu'est-ce que vous venez de dire ?...

Angoissé, nerveux, fiévreux même - sa température corporelle approchait maintenant les 41°C - Greed, les doigts de sa main droite fermement noués autour de la poignée de son Burn Bazooka, tremblait. On n'aurait su dire si c'était de peur ou de rage, bien que ce fut vraisemblablement les deux, mais ses pupilles qui venaient de se rétrécir ajoutaient au malaise de la conjoncture.
Kalvin chercha à se rattraper du mieux qu'il put sans savoir exactement ce qui avait été susceptible de mettre le Blattard en chef dans un état pareil ; ses propres membre d'équipage commençaient d'ailleurs à reculer lentement pour s'éloigner de lui.

- Eh bien...  nous... nous mettons tout en commun. Les responsabilités, mais aussi le gain. Partager le meilleur comme le pire. En un sens capitaine Biutag, on pourrait dire que nous sommes... collectivistes.

Le silence s'établit, plus personne n'osait bouger ne serait-ce que d'un millimètre. Ne demeurait rien d'autre que le calme avant la tempête, une tempête qui crèverait cette atmosphère lourde et pesante qui s'était instaurée en un instant.

- Vous n'êtes pas des collectivistes.

Ces mots, le cafard les avait marmonné les dents serrées.

- Ah non ?


Redressant doucement la trajectoire de son Burn Bazooka, Joe venait d'enclencher un dispositif dont le son suffisait à faire frémir les braves parmi les braves. À l'intérieur du canon, le Breath Dial venait d'être activé, une colonne chaude et rectiligne de monoxyde de carbone titillait maintenant les narines environnantes.

- Non. Vous êtes des hommes morts.

***

- Journal de bord du capitaine Croqdur.
Voilà trois jours que not' gogol à casquette a pété une durite. Ça chie toujours dans le ventilo, je répète, ça chie toujours dans le ventilo.
D'abord, y'a eu un type qui a dit co...machinchouette...tiviste, après il y a eu un gros boum, après des flammes, après un "ya-hin-hin-hin" et après y'a fallu qu'on se terre ici.
Nous manquons de drogues. Je répète, nous manquons de drogue. Si ça continue... je vais devenir fou. Ou alors non. Je ne vais pas devenir fou. ET C'EST UN PROBLÈME ! OUI ! C'EN EST UN !


Rowena lui avait occasionné la quinzième bosse sur le crâne à l'aide de son climat-tact.

- Moins fort, les patrouilles circulent toujours.

Et elles le faisaient à un rythme régulier, minuté d'une main de maître. Cela s'expliquait par la tendance qu'avait eu Joe à tenter d'épurer la fourmilière d'une idéologie qui mettait en danger le fondement même de la civilisation. Cela faisait trois jours qu'il errait seul dans les décombres qu'il avait occasionné, introuvable. Son équipage s'était mis à l'abri dans un petit cabanon miteux et délabré dans lequel ils avaient à peine la place pour se mouvoir - ce qui était fâcheux quand on savait à quel point Croqdur savait être remuant.

- Bah.... vu les moyens employés, j'présume qu'y a pas de super-fourmis, sinon ça fait un moment qu'ils les auraient sorti pour nous niaquer je pense.

La mission était donc un succès. Tout du moins, autant que l'on pouvait considérer le fait d'être reclus dans des latrines publiques désaffectées - faute de respect des normes d'hygiène en vigueur - puisse être une réussite. En cette heure, la victoire avait un goût de pisse pour trois Blattards sur quatre. Littéralement.
Mais leur calvaire prit fin lorsqu'un boulet de canon fit sauter leur abri de fortune.

- FINI LES CHIOTTES EN COMMUN ! J'AMÈNE LE TOUT À L'ÉGOUT INDIVIDUEL YA-HIN-HIN ! VENEZ TÂTER DE MA TUYAUTERIE !

Et pour illustrer son humour mordant - quoi qu'assez peu amusant pour ceux qui devaient le supporter - il tira un nouveau coup de semonce depuis sa tuyauterie pour détruire une nouvelle faction de fourmis-soldats venue l'appréhender. Trois jours durant, ceux-là avaient mis de la bonne volonté à se faire exterminer. Kalvin n'avait pas parlé de sens du sacrifice pour l'esbroufe, les fourmis encaissaient effectivement les coups de canon - et autres flammes blanches sorties de son Burn Bazooka - avec une zèle qui frôlait le masochisme.
Greed finit enfin par percevoir ses camarades lâchement abandonnés à leur sort depuis soixante-douze heures.

- Tiens, vous êtes encore vivant vous ? hin-hin. Que dites-vous de ça, votre capitaine s'est converti au collectivisme. Si, si, parfaitement !

La cadence avec laquelle il éructait ses conneries laissait entendre que ses travers idéologiques mêlés à son manque de sommeil l'avaient rendu plus soupe au lait qu'il ne l'était d'habitude. Tout en rechargeant son tube d'acier de quelques boulets de canon volés dans les commerces qu'il avait fait sauter ces derniers jours, il poursuivit la narration de son chemin de croix.

- Je partage les boulets de canon et les flammes avec tout le monde ! Génocide pour tous ! Tiens ! Toi là-bas !

Un rescapé avait eu la bêtise de se redresser plutôt que de continuer à faire le mort.

- Par le pouvoir du bien commun, prends ça dans ta gueule ! Ya-hin-hin-hin

Pour le bougre, Joe avait fait pivoter son canon afin de faire cracher cette fois une flamme blanche qui carbonisa tout dans sa ligne de mire. De la fourmi, il ne resta pas même les pattes, les os ayant eux-même rôtis après que le malheureux ne fut exposé aux flammes plus de dix secondes.

- Bon, voilà une bonne chose de faite. Vous en êtes où vous dans votre enquête ?

En amont, sur une pile de débris de bâtiments, il surplombait ses subalternes couverts de poudre et de poussière, égratignés de part et d'autre, les observant un grand sourire en évidence. Sa manie qu'il avait de ricaner faisait qu'on ne savait plus distinguer les phases de foutage de gueule de celles où il était sérieux.

- L'enquête a abouti capitaine.

- La conclusion étaaaaaant ?....

Mahach bouscula Rowena pour prendre sa place, l'index pointé en direction de son capitaine bien aimé.

- QUE T'ES UN PUTAIN DE SOCIOPATHE À LA MANQUE ! T'AS UNE IDÉE DE CE QU'ON A MORFLÉ PENDANT QUE TU DEVENAIS BARGE ?!

- Zinzin va !

Car Croqdur devait y aller de son commentaire même s'il n'avait pas compris ce qui s'était passé ces trois derniers jours.

- Mais enfin Mahach................... tu sais bien que je m'en fous éperduement.

Échec et mat, car le punk savait effectivement que son capitaine n'était pas foutu de se soucier ne serait-ce qu'un seul instant de leur calvaire. C'était sans doute parce qu'il était si égocentrique qu'il ne pouvait concevoir un système politique où l'individu était exclu au profit de la collectivité.

- Ah...qu...Mais... GgNNNNGnNNNN !!!!

Avant que le premier matelot Blattard ne vire dingo à son tour - son capitaine déteignant sur lui à une vitesse stupéfiante, Rowena reprit là où elle s'était arrêté.

- L'enquête est terminé capitaine. Maintenant, il faut que nous sortions de ce guêpier. Enfin... de cette fourmilière.

Pour sa défense, elle avait manqué de sommeil dernièrement. Bien qu'ils furent à nouveau réuni et que leur capitaine semblait autrement plus posé maintenant qu'il avait foutu en l'air un modèle d'organisation économique et social ne reposant pas sur le profit, la situation ne jouait pas présentement en leur faveur.

- Une idée pour la suite des événements ?

___________________

¹. Ouais, j'aime les allitérations et alors ?
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  • https://www.onepiece-requiem.net/t16405-presentation-joe-biutag
- Nan mais j’veux bien, moi, Marl ! Mais tu m’enlèveras pas d’l’idée qu’c’est nul une fourmi ! Tu m’dis que ça peut porter soixante fois son poids au minimum, ça pèse rien une merde pareille ! Et bah soixante fois rien, ça fait toujours rien ! Enfin j’crois. Tu m’arrêtes si j’dis une connerie.
- Mais Mahach ! Tu ne prends pas en compte mon poids à moi ! Je pèse quatre-vingt-quinze kilo ! Alors quatre-vingt-quinze fois soixante ... ben ... ça fait beaucoup trop pour moi, hahaha ! Et je ne te parle pas en terme de charge, c’est juste que ça se saurait si le cerveau était un muscle ! Je l’aurais développé sinon !

- Ca fait cinq mille sept-cents kilos, dit une voix féminine exagérément sèche et ennuyée, avec une pointe d’impatience.
- Ouais, voilà ! répondit ledit Marl, un soldat de la fourmilière, sans même y prêter attention. Tu vois !
- Et le muscle est un cerveau, reprit la voix féminine en gardant le même ton. En quelque sorte.
- Eh bah putain ... Et comment t’as fait pour devenir un symbiote ?
- BON. ON NE VOUS DÉRANGE PAS, MESSIEURS ? coupa net la même voix.
- BEN MAINTENANT SI !

Mahach discutait tranquillement avec celui qui avait été leur surveillant. La musculation a cette particularité magique de pouvoir réunir deux de ses adeptes alors que tout pourrait les opposer. Cela avait commencé par un compliment du punk sur la poigne et la force de son maton qui, comme sa fonctionne l’oblige, avait maté les Blattards. Mais désormais, le crêtu et Rowena -qui les avait interrompu en plein taillage de bavette- se foudroyaient mutuellement du regard. En cela, il ne voyait pas son Capitaine et l’homme-piranha en train de couvrir leurs arrières dans le chaos le plus total, obnubilé par sa colère. Un diable passa, alors que tout autour d’eux l’enfer de la détention et de la fuite inévitable se déchaînait.
La scientifique lui tenait le regard, mais Mahach en eut assez et prit la parole en soupirant.

- Marl, j’te présente mon équipage ...
- C’EST LE MIEN !
éructa une voix connue un peu plus loin.
- OUAIS BAH J’ME SUIS COMPRIS, J’VOULAIS DIRE QUE J’SUIS D’DANS QUOI ! beugla Mahach en fusillant Joe du regard par dessus l’épaule de Rowena. Puis il tourna à nouveau la tête vers son premier interlocuteur en levant les yeux au ciel. C’est un peu mes boulets si tu veux ...
- J’VAIS TE BUTER, CON DE COQ ! ET CA, CA PLAIRA A TOUT LE MONDE !
- Mais nan mais c'que j'veux dire, c'est que c'est vous qui m'donnez la force d'


Greed, n'ayant cure de ces mots, toujours les yeux exorbité par sa folie, asséna un violent coup de Burn Bazooka au premier soldat venu qui s’écroula aussitôt puis fit volte-face à son lieutenant avant de le mettre en joue.

- Eh, regardez ! Joe a été contaminé par le communisme !

C’était la phrase de trop ! Le Cafard se recula à toute vitesse de façon à ce que l’arrière de son arme à feu entre en contact avec la peau d’Elijah. Son expression était passée de folie enivrante à colère noire. Mais ce mouvement permit à Mahach de se rapprocher du Cafard, malgré le fait qu’il le tienne toujours en joue.

Mais Joe fit feu.

Fort heureusement, le punk parvint à temps à cogner le bazooka pour relever le canon. Le coup partit dans le plafond de la fourmilière et le souffle dans le sol. Le coup de feu déjà assourdissant s’accompagna du vacarme de la pierre et de la terre qui s’écroulait.

- MAIS PUTAIN ! Ça brûle ta merde !

De dans le nuage de poussière et de gravats, deux voix se firent entendre.

- QU’EST CE QUE TU NE COMPRENDS PAS DANS “BURN” ET DANS “BAZOOKA” ?!
- J’ai les pieds palmés ! ... Et cramés. J’ai ! ♪ Donc ! ♪ Les ! ♪ Pieds ! ♪ Crpalméééés ! ♪ Pir-rah-nah !
- Bon, Mahach
, intervint Marl. C’est pas le tout mais je dois vous arrêter moi ... Je voudrais pas me faire mal voir par les miens et bon, on a déjà pas mal taillé le bout de gras ensemble, non ? Le bien commun, tu comprends ...

Maintenant que les énergumènes les plus excités étaient mis hors course, Mahach semblait beaucoup plus serein. Il regagna son compère en se frottant les mains brûlées.

- Ouais, normal. J’sais pas comment tu fais pour rester dans l’rang. Ca m’f’rait chier, moi.

Mark haussa les épaules. C’était naturel chez lui, donc il n’avait pas la réponse à cette réflexion.

- Eh, tu m’imagines dans la Marine ? Hrhrhr !
- Euh ... ouais ... haha ! Skeutékondéfoi !
balbutia timidement et un Marl hésitant.
- Marl, j’ai peut-être une idée ...
- J’peux l’écouter ? demanda l’intéressé, en jetant un oeil interrogatif à son nouvel ami.
- Ouais, vas-y. Elle dit pas que des conneries des fois.

Rowena soupira en levant les yeux au plafond fissuré de la fourmilière et ouvrit la bouche.


---


- Chouette type ce Marl Karx, hein ?
- Disons que ta bêtise nous a, pour une fois, sauvé la vie.
- Ouais ben EXCUSE-MOI mâdâââme l’intello ! J’aurais dû te laisser dans la merde !
- Tu ne connais donc ni l’ironie, ni le compliment ?
- N’empêche que ton intelligence nous a fait sortir moins vite que ma connerie ! HA !
- MAIS ABRUTI ! J’AI SIMPLEMENT TIRÉ UNE IDÉE BRILLANTE DE TES ACTES IRRÉFLÉCHIS !
- Euh ... désolé hein, mais vous êtes un peu trop bruyants pour des supposés captifs ...
- Oh, ‘scuse mec !


En effet, les quatres Blattards étaient retenus captifs dans une petite cage portée sur une seule épaule de ce brave soldat-symbiote myrmécéen. Rowena avait eu une excellente idée : elle lui avait proposé de les capturer afin de les relâcher à la frontière de leur royaume, sous-prétexte qu’il était mieux pour tout le monde de les bouter hors d’ici plutôt que de les garder emprisonnés -en prenant le risque que leur chahut une fois libérés ne reprenne de plus belle- ou de les tuer -et de s’attirer par là même la colère de la Marine. Bien sûr, les représailles n’auraient jamais vu le jour, en cela résidait un mensonge que la simplicité d’esprit de Marl avait gobé tout entier. Désormais, ils voyaient paisiblement sur un petit sentier perdu au milieu de la jungle, dans le territoire des Fourmis.

Joe et Elijah étaient réveillés, et si le premier restait muet et amorphe à cause du contre-coup de sa folie, le second s’amusait et s’en donnait à coeur-joie. Il jouait à un petit jeu, très simple. Il chantait les premières syllabes d’un mot -toujours le même, et il fallait que les autres devinent celui-ci grâce à ses mimes. Il fallait bien avouer que le tour serait vite fait.

- Para ? Para ? ♪

Il mit ses bras en un bloc devant son torse.

- Ta gueule.
- Vent ! ♪


Ils étaient désormais en pleine nature, dans celle-là même où ils s’étaient bêtement perdus. La frontière ne tarderait pas à être dépassée.

- Para ? Para ? ♪

Croquette plaque ses mains sur la tête.

- TU NOUS TAPES SUR LE SYSTÈME AVEC TON JEU, LA TANCHE ! tonna le Cafard, sorti un bref instant de sa catatonie par la force de l’agacement.
- Pluie ! ♪
- Eh mais j’y pense ! La mission !

- L’enquête est termin...
- Eh Marl !
- Mahach ! cracha subitement Rowena entre ses dents pour éviter que cet abruti de coq ne grille leur couverture.
- Ouais ?
- Vous fabriquez des fourmis spéciales pour buter ces connasses d’araignées ?
- Nan. Enfin ... je ne crois pas. J’en sais rien en fait. Tu sais, je suis qu’un soldat, on me parle de rien.

- Mahach ! Espèce d’abruti !
- Mais quoi à la fin ? Ah ! Pardon !

Le punk passa une main à travers les barreaux de la cage et empoigna le col de Marl.

- Eh mais ! Qu’est-ce que tu fais ?
- T’ES SÛR OU J’TE COGNE ! TU POURRAS MÊME PLUS BOUFFER TES PROPRES RATICHES !
- Ouais ben ouais ! Je veux que je suis sûr !


Mahach se releva, et donna une tape amicale au soldat.

- J’suis sûr que j’en sais rien, ouais.
- Bah alors, tu vois ? Je sais parfois qu’il faut se montrer violent pour obtenir des infos, mais Marl c’est un pote. Tu peux pas comprendre. Tu m’en veux pas, hein mon vieux ?
- Bah nan, tu parles ! Mais tu m’as fait peur sur le coup, j’aurais pas voulu te dévisser la tronche avec une baffe après ce qu’on a vécu.


Pour la énième fois de la journée, la cornue soupira en levant les yeux au ciel. Au vrai ciel, cette fois-ci, même s’il était couvert de feuillages et de barreaux, de là où ils étaient.

- Bon, on y est. Je devrais vous envoyer chacun dans un coin selon les règles, mais vu que je vous aime bien, je vais me contenter d’un épaulé-jeté.
- Ah !
s’exclama Mahach en flattant à nouveau son compère, un sourire niais aux lèvres. Une belle démonstration de force alors ?
- Ouaip ! Prêts ?


Prêts ou pas, les Blattards furent éjectés à une distance et à une vitesse qu’aucun n’aurait pu imaginer. Aucun homme n’était capable d’une telle prouesse. Et quand la cage s’éclata au sol en même temps que ses prisonniers, Mahach se frottait simplement les endroits tannés en souriant alors que les autres juraient contre la stupidité et la force de ce Marl, .

- Eh bien voilà ... Nous sommes fichus. Perdus. Et si nous retrouvons notre chemin, nous sommes morts.
- Bah, elles fabriquent rien, les fourmis ! Donc y’a pas d’preuves à ram’ner !
- Et tu crois qu’Arachnée va nous croire sur parole peut-être ? Tu crois qu’elle va accorder le Meitou à Joe comme ça ?
- Nan, mais au pire y’a la méthode Biutag, ya-hin-hin.
- Elle va pas nous faire chier, ouais ! Y’a rien ! Donc y’a rien à ram’ner !
- Para ? Para ? ♪
- Vous vous bourrez bien le mou pour rien, je vous dis qu’il y a la méthode Biutag !

- Puisque je te dis que ça ne suffira pas !
- BON ! On trouve une fourmi géante, on lui pète la gueule, et la lui arrache, et on s’en sert de preuve !
- Tu parles ! Elle ne sera pas dupe !
- Eh oh ! Para ? Para ? ♪
- Bon, d’accord, on fait comme j’ai dit
, dit Joe en partant seul.
- Ou alors on l’explose encore plus, genre elle peut pas reconnaître que c’est une tête de fourmi géante et ...
- TONNERRE ! MERDE QUOI ! LE DOIGT LEVÉ, LA FOUDRE !


Tous furent interloqués par l’éclat de colère d’Eliah. Joe s’arrête tout net de marcher, autant que Mahach de parler. Rowena fut la première à s’animer de nouveau. Et elle avait même un large sourire niché sur ses lèvres.

- Messieurs, votre stupidité est une source intarissable d’inspiration.
- Pir-rah-nah, je sais !
- Hein ?

- Mais c’est pourtant simple ! La soie est conductrice ! Trouvons une fourmi géante, occupons-nous de son cas, décapitons-la et je la fourrerai de nuage d’orage ! Ainsi, nous dirons que Werber a créé une race de fourmi électrique pour électrocuter toutes les toiles ! Ce qui lui permettrait de dégrossir les rangs en un clin d’oeil ! Brave Croquy !

La scientifique caressait joyeusement la joue de l’homme-poisson quand elle fut parcourue d’un tressaillement.

- Ah ... c’est vrai ... Nous devons d’abord trouver notre chemin ...
- Bah, je le connais ! C’est par là !

Elijah pointait la route du doigt.

- Mais oui ! Brave mérou ! Il a reconnu le trajet ! exulta ironiquement Joe, visiblement usé par cette longue journée.
- T’en fais encore des caisses, cap’taine.
- Allez ! Cherche, la tanche ! Cherche ! Tu vas vite trouver étant donné que ... C’EST LE SEUL CHEMIN POSSIBLE POUR LE MOMENT !

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- La fourmi Gu-ppy monte à la goutièèèèère ! Tiens, voilà la pluiiie Guppy tombe par teeeeeerre ! ♫

- Tais toi Croquette.

- Mais le soleil a chassé la pluiiiiiie ! C’est fini l’histoire de la fourmi Guppyyyyy ! ♪

- TAIS TOI ! Aïe !

Mahach venait de se recevoir un coup de bâton sur la tête de la part de Rowena. La scientifique cornue tâchait de se concentrer pour s’orienter au sein de ce dédale de galeries qu’était la Fourmilière. En plus de ça, on lui avait incombé la tâche ingrate de trouver une fourmi géante à décapiter, farcir de nuages gorgés d’électricité et à ramener à Arachnée. Et ça n’était pas franchement une mince affaire avec les trois bras cassés qu’elle devait se trimballer. Pour les membres de la tribu Fourmi, ce labyrinthe possédait une logique implacable. Ils arrivaient à se repérer sans même avoir à lire des insignes ou indications de directions, mais pour de parfaits étrangers c’était un coup à rester enfermés ici pour toujours. Et pour Rowena, il était hors de question qu’elle ne meurt avec un cafard cupide, un punk délétère et un homme-poisson simplet.

- Un peu de silence… J’essaie de me concentrer. Elijah a sans doute mémorisé un bout du chemin, il faut encore trouver une fourmi à ramener.

- Hé bé c’est facile. Y en a partoooout des fourmis ici ! C’la ville des fourmis !

- Une vraie fourmi, imbécile ! Pas un habitant d’ici.

- Hm… J’ai une idée. Mais il faut qu’on sorte de ce secteur et qu’on retourne dans la chambre principale de la Fourmilière.

- Croquette sait ! C’par làààà !

Les capacités mémorielles de l’homme piranha ne cessaient d’impressionner ses collègues. Lui qui était d’ordinaire relativement nigaud et préférait les psychotropes à la logique, le voir agir de la sorte était assez déroutant il fallait l’avouer. Peut être que fréquenter une incarnation du raisonnement et du bon sens telle que Rowena avait fini par déteindre sur lui. Au moins quelqu’un l’écoutait, c’était déjà ça. Ils bousculèrent un groupe d’ouvriers qui traînaient des sacs de toile. Croq’dur semblait parfaitement savoir où il allait, si bien qu’on aurait pu croire qu’il flairait une piste comme un chien de chasse qui entraînait ses maîtres vers un gibier.

- Tu crois qu’il sait où il va ?

- Aucune idée. Mais on a pas de meilleure solution.

- Elle est belle la science ! On se fait guider par Croquette et t’es même pas sûre s’il est fiable !

- Je n’ai pas dis ça. J’ai dis que nous n’avions pas de meilleure solution, ce qui est vrai.

- Donc, il est fiable ?

- Je ne dirais pas qu’il est fiable, plutôt qu’il s’insère convenablement dans notre conjecture actuelle.

- C’quoi une conjecture ?

Joe ne prit même pas la peine de répondre à Mahach et se contenta d’émettre un son à mi-chemin entre le soupir et le grognement. Ils accélérèrent le pas au point de piétiner au pauvre contrebandier qui passait par là dans l’espoir de vendre un peu d’opium aux passants, ne réalisant pas que les Blattards chargeait dans le dédale aussi gracieusement qu’un troupeau de gnous en pleine savane. Ils arrivèrent à nouveau dans la “chambre principale” de la  Fourmilière. C’était comme ça que les membres de la tribu Fourmi appelaient l’immense salle centrale de leur domaine. Cette chambre possédait une taille colossale pour permettre à toutes les fourmis et aux visiteurs potentiels de circuler sans encombre et était reliée à toutes les autres grâce au système de galeries. Depuis cette chambre, il était possible d’accéder aux couloirs menants au Couvain où la tribu élevait leurs larves d’insectes et symbiotes, à la salle du Trône, aux réserves, casernes et même les espaces de travail des Ouvrières. Ces dernières, au sein de la Fourmilière, étaient les principales actrices du trafic des Fourmis. C’étaient elles qui faisaient office d’engrenages pour toute la contrebande qui passait en ces lieux, et étaient encadrées par les Soldats pour plus de sécurité.

- On est arrivés ou bien ?! J’ai l’impression qu’on court depuis des heures…

- Mais c’est normal, ça fait une heure qu’on tourne dans les dédales.

- DE QUOI ?!

- Et bien j’ai arrondi le résultat mais…

- Non mais je m’en fous de ça ! MON meitou ! C’est pas en perdant du temps que JE l’aurai !

- On est arrivééééés.

- C’est bien c’est bien. Maintenant Joe, tire avec ton arme sur le plafond de la chambre.

- Pardon ?

- Tire avec ton arme sur le plafond de la chambre.

- PARDON…..?

- Tire avec ton arme sur le plafond de la chambre, capitaine.

- Ah voilà j’aime mieux.

Levant le canon de son bazooka, Joe ne fit même pas attention aux éclats de voix de Mahach qui pensait que le plan de Rowena était complètement fou. Aucun Soldat ni aucune Ouvrière ne s’intéressaient aux Blattards, si bien que Joe put tirer sans se soucier des passants. Le pirate à crête n’était toujours pas convaincu. Dès que le plafond fut heurté par le projectile de Joe, un énorme bruit se fit entendre et la panique gagna alors les membres de la Fourmilière. Ça courait et grouillait de toutes parts pour se mettre à l’abri de l’explosion ou se protéger des quelques rocailles qui tombaient du plafond.

- Mais t’es malade ?! Tu veux nous enterrer ici ?

- Non, ignare camarade. La voûte de cette chambre est suffisamment solide pour ne pas être détruite avec un simple missile.

- Pourquoi t’as fais ça alors ?

- Pour provoquer la panique. On peut s’occuper d’une fourmi pendant que tout le monde court partout.

Les bourgeoises Princesses de la Fourmilière s’envolaient toutes grâce à leurs symbiotes ailés vers des balcons pour se réfugier chez elles. La plupart d’entre elles étaient escortées par des Soldats montés sur d’imposants scarabées et armés de lances-aiguillons. Au sol, les Ouvrières couraient dans tous les sens en laissant parfois tomber ce qu’elles avaient en main. Les Blattards n’avaient que peu de temps pour fondre sur un insecte et lui arracher la tête, d’ici quelques minutes le tumulte se serait calmé et les rochers arrêteraient de tomber du plafond.

- Là, le soldat sur la fourmi rouge.

- Oui, il est isolé. C’est not’ chance.

- Croquette, croque le méchant.

- Pi-ra-ra-ra-nha le méchant ! CROQUETTE MANGEEEER !!

L’homme poisson cria relativement fort mais personne autour n’y prêta attention. Même le soldat en question ne semblait pas avoir compris ce qui arrivait vers lui. Ce dernier, vêtu d’une armure de chitine turquoise avec un casque à antennes, surveillait de loin à ce que personne ne finisse blessé ou n’ait besoin d’aide dans secteur. En un clin d’oeil, Croq’dur le fit basculer de sa monture qui cabra en faisant claquer ses mandibules. Les trois Blattards restant se ruèrent vers l’insecte, laissant le soin à Elijah de planter ses dents points à la gorge du garde.

- Et maintenant, Clown, on fait quoi ?

- Dois-je vraiment te tenir la main comme un gamin ? On lui coupe la tête !

La fourmi leur faisait face, s’apprêtant à attraper Mahach avec ses mandibules acérée. Mais l’hyménoptère écarlate fut renvoyé en arrière par Joe qui venait de faire apparaître son appendice arrière et donner un coup sur la tête de leur adversaire. Rowena, pointant sa baguette vers l’insecte, l’empêcha également de revenir à la charge en lui lançant une bulle d’air qui éclata un peu au dessous de sa tête. Mahach, sautant en l’air, fondit sur la fourmi en imbibant ses poings d’une teinte noire que Rowena reconnu aussitôt : la couleur de l’Armement.

- Cet imbécile connaît l’Esprit Combatif ?! Impossible !

- Le quoi ?

En retombant sur la fourmi, le pirate eut l’effet d’une guillotine. Il détruisit la chitine composant son cou, faisant tomber sa tête qui émit un dernier claquement de mandibules. De l’autre côté Elijah releva sa tête, ses joues gonflées comme celles d’un hamster cachant des graines dans ses abajoues.

- Ch’est fini décha ?

- Finis ton casse-croûte, on s’casse.
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Des ersatz de foudre crissaient à l'envie alors que Rowena était chargée de la tâche ingrate - et donc à sa mesure - consistant à fourrer une bestiole sans tête de nuages électriques depuis son climat tact. Les mâles étaient pendant ce temps affairés à une besogne toute aussi constructive et laborieuse qu'était la mission de leur camarade à cornes.

- Belote ! Rebelote ! Dix de der' eeeeeeet Capot ! Encore gagné ! Pi-rah-nah !

Se saisissant de l'amphibien hydrocéphale par le col d'une poigne ferme pour le ramener à lui, le punk grogna. Sa voix était éraillée tant il avait été amené à multiplier les gueulantes ce jour.

- Pour la quinzième fois Croq'dur... On joue au tarot !

- Ce que j'en dis c'est qu'on pourrait jouer au poker, il comprendrait mieux les règles.

Relâchant la bête aquatique pour aussitôt fondre sur son capitaine et le saisir comme il s'était saisi d'Elijah, Mahach contenait une rage ardente qui ne demandait qu'à exploser à la gueule du premier venu. Peu lui important que ledit premier venu ne fut son capitaine. À vrai dire, il n'y aurait vu que des avantages.
Prenant une grande bouffée d'air pour s'oxygéner et maintenir le cerveau reptilien en respect - prolongeant ainsi la vie du cafard, le punk objecta d'une voix douce mais inquiétante :

- Non, Joe.

- Non ?

- Non. Non, non, non, non, non. Non. Mille fois non.

Légèrement en sueur, le regard partant dans chaque direction exceptée dans celle qui l'aurait amené à croiser les yeux de son premier matelot, Joe feignait au mieux la candeur. C'est à dire très mal. Puisque le culot ne l'étouffait pas, il chercha même à demander des explications à ce qui se présentait comme un agresseur en devenir.

- Mais enfin... je ne comprends pas.

Il comprenait très bien, son petit air ingénu ne trompant personne.

- La dernière fois que j'ai joué à un jeu d'argent avec toi Joe... J'ai fini laissé pour mort dans un tripot en flamme avec une balle dans le genoux !

Quand les circonstances se prêtaient à l'accaparement de trésorerie, Joe pouvait parfois manquer de savoir vivre.

- Oui... mais t'avais triché.

Peu convaincu par «««l'excuse»»» du Blattard en chef, Mahach brandit le poing. C'était son heure. Celle où il allait déverser des torrents de fureur accumulés depuis un an, depuis qu'il frayait en la compagnie de ce cafard aux dents longues et aux idées courtes. Ses phalanges n'avaient pas encore heurté les pommettes saillantes du vicieux à casquette qu'il ressentait déjà la satisfaction jubilatoire qu'était d'enfin obtenir Justice. Ça approchait, c'était imminent.

- Taisez-vous, vous me déconcentrez.

Elle était assise en tailleur à côté de la carcasse de fourmi rouge. Le visage et les vêtements recouverts de la poussière des souterrains dans lesquels ils sévissaient depuis une semaine, elle soupira, une moue légèrement agacée clairement apparente sur son visage habituellement figé.

- Oui mon capitaine ! Avait répondu le poiscaille avant de se mettre au garde-à-vous et de recevoir une claque sur la nuque.

- Et bah alors ? Cette fourmi explosive, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ? Le petit personnel de nos jours....

Ne pas répondre. Répondre, c'était mettre une pièce dans le Jukebox «Joe Biutag» et le répertoire musical qui y était débité avait le don de taper sur les nerfs. Ne pas répondre donc.
Un camarade aimant et à écailles s'approcha de la scientifique et s'accroupit pour se mettre à son niveau.

- Besoin d'aide ? J'en n'ai pas l'air comme ça, mais j'suis hyper calé en ondes électroniques ! Je peux même en sortir de mes doigts, aga'd ! «PAR LE POUVOIR DU GRAND SACHEM DE...»

Ignorant royalement l'énième crise de démence de cet homme-poisson ne s'alimentant que de psychotropes, Rowena dû se rendre à l'évidence, le plan était un échec et leur condition plus précaire encore qu'il y a deux heures.
Elle se redressa alors dépitée en époussetant la saleté qui recouvrait ses parures.

- Ce n'est pas une fourmi explosive qu'il nous faut, mais électrique. Seulement, l'électricité circule mais ne se stocke pas aussi facilement qu'on le voudrait.

C'était d'ailleurs un problème que les scientifiques de par le monde s'efforçaient d'élucider. Toute génie qu'elle fut, ce n'était pas avec un petit nuage et un cadavre d'insecte géant qu'elle allait faire des miracles.

- Le nuage disparaît au bout d'une ou deux minutes, peu importe comment je m'y prends, on ne pourra pas les tromper avec des bricolages de deuxième ordre.

Un tir de mousquet ponctua sa conclusion implacable. Il passait de temps en temps - sur le versant haut perché de la fourmilière où ils s'étaient installés - une éclaireuse à leur recherche. À force de les dégommer, plus personne ne sursautait de surprise quand Joe tirant sans prévenir. Il ne prévenait d'ailleurs jamais ce faisant.
Quand le capitaine se redressa à son tour en rangeant son arme, il fut imité par ses deux hommes d'équipage.

- Bon, on aura essayé. Plan B maintenant !

Si cela n'avait tenu qu'à lui, on aurait toujours commencé par le plan B. B comme Biutag. B comme Blattards. B comme «Bah tant pis, on va pas se faire chier et plutôt opter pour la facilit黹.

- De toute façon, l'autre conne n'était pas sûre qu'il y ait des armes secrètes chez les fourmis. Y'en a pas, y'en a pas, elle aura qu'à nous croire sur parole. Eh puis quand on va lui dire le bordel qu'on a foutu ici, elle sera contente comme tout ya-hin-hin-hin.

C'était lui qui avait entamé un début d'holocauste dans la fourmilière, lui et lui seul. Mais le principe de l'équipage des Blattards était le suivant : «Centralisation des gains et mutualisation des emmerdes». Le capitaine palpe le grisbi et l'équipage assume les conséquences de leurs crimes. C'était un échange de bon procédé. Pour le cafard tout du moins.

***

- Vous avez fait quoi ?

Beauté fatale et glaciale, la reine Arachnée affichait une paupière gauche tremblante et frétillante. Quand ce genre de symptôme faisait irruption, ce n'était généralement pas bon signe.

- On leur en a mis plein la gueule.

Le résumé était succinct et pourtant exhaustif.

- C'est un peu plus compliqué que ça.

Pas tant que ça en réalité.

- Nous sommes d'abord arrivés dans la fourmilière très respectueusement.

Quand le cafard employait des adverbes, cela revenait généralement à masquer la réalité qui était opposée à 180° de celle du récit.

- Et là, qu'est-ce qu'on entend ?

Lui même n'aurait su le dire puisqu'il improvisait d'un groupe nominal à un autre.

- Ils traitaient votre majesté de tous les noms, je n'ose même pas répéter ce qui s'est dit !

Hélas, Elijah se prit au jeu. Quand on jouait au con, on prenait le risque d'en faire un sport d'équipe.

- Ils ont dit «la grosse salope à huit pattes».

L'amphibien acquiesça l'air grave. L'incident aurait pu s'arrêter là si Mahach n'avait pas ressenti le besoin compulsif de se marrer en insultant une monarque à peu de frais.

- Pas que Eli, pas que ! Y'en a un, j'l'ai entendu, l'a dit «Le truc blanc d'araignée qui lui sort du cul, c'est l'même truc blanc que j'y ai mis dans la gorge» pFfffFRrRRFff

De concert avec Rowena, Joe écarquilla doucement les yeux et sentit un frisson parcourir son épine dorsale. Quand même le Blattard suprême commençait à réaliser qu'ils allaient trop loin, c'est que toutes les limites de la décence avaient été pulvérisées et souillées à l'extrême.
Mahach et Croqdur surenchérissaient, les larmes leurs montaient aux yeux tant ils y prenaient du plaisir à la longue.

- Et pis... pi-rah-nah ! Tu t'souviens de l'autre qui a dit...

D'un vif mouvement circulaire, le Burn Bazooka du capitaine vint malencontreusement s'écraser contre le nez du piranha qui s'écroula raid sous le choc. Pour le coup, le punk s'arrêta soudain de rire. Un silence gênant se produisit alors que le cafard reposait le canon sur son épaule.

- Je disais donc... que... outrés par tant de quolibets QUE NOUS NE RÉPÉTERONS PAS !

S'il avait achevé sa phrase d'une proposition subordonnée complétive, ce n'était que parce qu'il avait vu que son premier matelot avait ouvert la bouche et semblait partant pour en ajouter.

- Nous avons lavé ce déshonneur en.... épurant hin-hin une communauté dont l'IDÉOLOGIE DÉGÉNÉRÉE et dont l'existence était un AFFRONT pour le genre humain. Et pour sa majesté.
Car entre nous....


Et, s'agglomérant à l'immaturité de ses deux acolytes, la haine frénétique du cafard pour ce qui relevait du partage s'invita à la fête.

- Il faut faire le procès du collectivisme ! J'ai d'ailleurs toujours sur moi un plaidoyer en quatre-cent-vingt pages que je vais vous lire ici afin de vous faire comprendre que...

Alors qu'il sortait effectivement de sous son manteau un épais manuscrit où figuraient des impacts de balles, Arachnée se leva brusquement de son trône.

- Venez en aux faits.

Sa paupière gauche semblait en proie à une crise d'épilepsie. S'associer aux Blattards faisait cet effet. Un effet préférable à celui que subissaient ceux qui s'opposaient à eux. La fourmilière sentirait encore la poudre et les cendres pour des semaines après leur passage.

- Onenabutépleinonn'apastrouvédefourmisoldatsupérieuresoudeplanpourvousattaquer. Etons'estencoreperdupendantdeuxjourssurlecheminduretour.
Mais on a pensé à vous rapporter des fleurs !


La chef de la garde prétorienne se manifesta alors.

- Et où sont elles ?

Soupirant, Rowena savait qu'ils n'auraient pas dû revenir, que tout allait mal se terminer. Mais non. Il avait fallu que Joe insiste pour qu'ils mettent la main sur ce meitou légendaire dont il espérait en tirer un prix d'or. Sa cupidité ferait leur perte.

- Notre camarade les a mangé sur le trajet du retour...

Inerte, face contre terre, baignant dans une flaque de sang qui s'échappait de son nez, le principal concerné gémit péniblement :

- Et elles étaient dééééééégueeeeeeeulaaaaaasses....

Arachnée commençait à se calmer. On finissait par mieux supporter la fine équipe blattarde quand elle laissait enfin place au silence. Et lorsqu'elle n'était pas là aussi. Surtout même. La matriarche s'assit sur son trône dans un mouvement descendant gracieux et digne de son rang puis prit la parole.

- Vous n'avez donc trouvé aucune preuve de la confection d'armements que je soupçonnais, mais infligé un coup dur à l'appareil militaire et même économique d'un concurrent. J'imagine que l'un dans l'autre, je devrais être satisfaite.

Elle hésitait, et il y avait de quoi. Ce n'étaient pas des oies blanches qui venaient à elles, mais des blattes répugnantes et sans vergogne. En aucun cas de figure elle ne s'imaginait leur fournir le meitou pour sévisse rendu, aussi prodigieux fut ledit service. Elle se représentait encore moins Joe et consorts s'en saisir, répondre «Merci et au revoir» avant de reprendre leur chemin pour nuire en d'autres latitudes.
Le corsaire avait pour titre Greed et était surnommé le bien-nommé dans les milieux informés. Lui tendre la main, c'était risquer de perdre le bras. Mais l'éliminer lui paraissait peu salutaire quand on connaissait ses accointances gouvernementales. Alors, elle hésitait.

Elle hésita en tout cas jusqu'à ce qu'une garde fasse irruption dans la salle du trône pour susurrer à l'oreille de sa chef quelques mots qui semblèrent lui faire l'effet d'une décharge électrique. Fulminant, cette dernière cracha d'emblée son fiel à l'encontre des quatre cavaliers de l'Apocalypse venus s'inviter sur Myriapolis.

- VOUS AVEZ SEMÉ DES CAILLOUX ENTRE LA FOURMILIÈRE ET NOTRE ROYAUME ?! Maintenant ils vont croire que nous étions liés à l'agression !

Naturellement, Joe et Rowena tournèrent leur regard vers Croqdur qui se remettait à peine de la correction hiérarchique infligée il y a quelques minutes. Assis, se tenant le nez d'une main, il les observa tout deux.

- Me r'gardez pas comme ça, jamais j'aurais laissé des cailloux derrière moi. Je gâche pas la nourriture.

Alors on en vint à interroger du regard le deuxième suspect idéal qui se passait la main dans sa crête l'air de rien, sans trop sembler prendre conscience de la portée de ses actes. Fidèle à lui-même en somme.

- Bah quoi ? On s'est d'jà paumés deux fois, c'est une bonne idée non ?

Parfois, la connerie de ses hommes supplantait tellement la sienne que le cafard ne trouvait plus les mots pour réagir. Affichant une mine quelque peu désemparée par ce coup de théâtre dont ils se seraient tous très bien passés, Joe ne sut comment désamorcer cette bombe dont le compte à rebours n'affichait plus qu'une seconde au compteur avant explosion.

- Une excellente idée Mahach. T'es un génie. Le genre de génie qui meurt de bonne heure pour avoir été irradié par des idées trop brillantes.

Mais ne perdant pas le nord, Greed se ressaisit et, tout guilleret, demanda à la reine avec une emphase presque innocente :

- Alors ce meitou ? Ça vient ?

Si elle avait hésité jusqu'alors, Arachnée avait pris une décision qui en réalité s'imposait d'elle-même depuis le départ.

- GARDES ! SAISISSEZ-VOUS D'EUX ! Nous allons terminer ce que nous aurions dû finir il y a deux semaines de ça.

- For bien majesté, mais pour le meitou alors ?

- Et demandez aux tourmenteurs de préparer la salle de torture. Ils ne vont pas chômer ces jours prochains.

Alors, il ne restait que le plan B à mettre à exécution. Avec les Blattards, le travail honnête ne payait jamais. S'ils voulaient quelque chose, il leur suffisait de le prendre, par la force s'il le fallait. C'est en tout cas ce à quoi sembla se résoudre l'équipage alors que le punk fit craquer ses jointures, que le capitaine redressa son canon, que le bâton de Rowena commença à s'électriser et que le poiscaille se passa un doigt sur ses dents acérées. Le plan B était une valeur sûre quoi que salissante.

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¹. B comme Balior Blackness aussi. Hein Eli ?! HEIN ?!
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Une nouvelle fois, les Blattards réussissaient à s’unir pour le pire. Et il était toujours réservé pour les autres, dans ces cas là. La défense de la salle se fit dans un accord tacite, bien qu’un des alinéas écrits en tout petit restait encore à discuter, ou plutôt -parce qu’il s’agissait de pirates de la pire espèce, à disputer. Comme toujours.

- Mahach, Mahach ...

Le punk, en train de faire s'entrechoquer les poings, le regard noir braqué sur les gardes arachnéens qui fondaient sur eux, grogna en direction de la cornue, tournant légèrement la tête, juste assez pour garder ses adversaires dans son champ de vision.

- Quoi encore ?
- Tu as de bonnes capacités mais ton intellect ...
- Qu’est ce qu’il a encore mon intellect ?!
- Rien. Laisse tomber.

Alors qu’il pestait entre ses dents, la cornue lui asséna un violent coup de Climat Tact dans le dos, ce qui eut pour effet immédiat de le morceler en une multitude de petites baies qui tombèrent et roulèrent au sol.

- Fragile ! Pir-rah-nah !

Toujours pris dans leur charge, les gardes s’effrondrèrent de tout leur long. Elijah leur sauta dessus, toutes dents dehors. La lutte aurait pu paraître désavantagée à deux contre un, mais quand il était question de niaquer, l’homme-piranha ne laissait pas sa part au chien. Il le niaquait aussi, le chien.

- MAIS QU’EST CE QUE TU FAIS ?
- J’assure notre survie.
- MAIS C’EST LÂCHE ! J’AIME PAS LES COUPS BAS !

Greed, défendant la porte de cette salle, son Burn Bazooka braqué dans cette direction, prêt à faire feu au moindre crissement de mandibule venant de l’extérieur, se sentit obligé d’y mettre son grain de sable.

- Foutaises, peu importe la manière ! Tout ce qui compte, c’est de faire main basse ! Parce que tout se monnaie ! Tout ! *BOUM !* L’honneur, la force, la vie ! *WHAM !* Ca fera dix millions, pour la leçon.
- C’est beau ce que tu dis, Capitaine !
s’émut un Elijah, toujours en prise avec les gardes, secondé par Mahach qui s’était reconstitué.

Rowena ne répondit pas, elle aussi était occupée. Elle avait empli la salle d’une vague de chaleur afin que les clones qu’elle avait créés à son image subsistent. Tous faisaient comme elle : ils (enfin, elle seule, puisque les autres n’étaient que de simples mirages) préparaient, sagement placé en arc de cercle, un piège temporaire au dessus du seuil de la porte, leur seule issue contre laquelle se déversait un flot d’ennemis que le Cafard peinait désormais à contenir. S’ils devaient déborder ce goulot d’étranglement, la première vague serait immédiatement foudroyée. Il y avait donc une certaine marque invisible à ne pas dépasser, chose que les Blattards avaient tous bien compris -ou si ce n’était pas le cas, ils étaient de toute façon affairés à se battre.

Arachnée se leva enfin, voyant que les siens étaient dans le pétrin.

- Il est dommage que vous ayez rejoint ces ... ce sous-genre de l’humanité, très chère. Vous êtes ingénieuse et clairvoyante. Malheureusement, vous avez choisi le mauvais camp, et je n’aurais aucun remord à vous éliminer.

A l’aide de la Lame du Lion, elle commençait à dissiper frénétiquement les mirages. Joe s’arrête un instant, les yeux exorbités.

- Oh oh ! Va pas me la rouiller bêtement ! Namébon, à le foutre dans de la buée en dehors de son fourreau quoi ...

Rowena, à nouveau, ne répondit pas, trop occupée à accumuler des nuages d’orages au dessus de la porte. Elle ne vit même pas Arachnée brandir la lame pour s’en prendre à elle, sans même savoir si elle était un Spectre inquiétant ou non.
Les gardes royaux défaits, Mahach lui sauta dessus pour l’arrêter, Hyakujuunoou dérapa de l’autre côté de la pièce. Arachnée eut le temps de se retourner avant que le crêtu ne continue son assaut. Elle fit furieusement frémir ses mandibules envers un Mahach assis sur son abdomen, prête à cracher son venin royal.

Au même moment, alors que Joe quittait son poste pour se ruer sur le Meitou, laissant la sorcière totalement à découvert des assaillants prêt à envahir l’espace qui le séparait d’elle, Croquette se releva et sortit une bouteille de bière de sa besace dans laquelle il glissa une petite poignée de pilules qui pétillèrent de toute leur effervescence. Il la citra d’un seul coup sans que ses lèvres ne touchent le verre, puis en sortit une autre.

- Tu pourrais partager ! Sans ta merde d’dans !

Elijah fut immédiatement frappé un excès de rage animal, et se mit à beugler à s’en rompre les cordes vocales. Plus personne n’osait moufter. Mais il eut quand même un éclair de lucidité. Il tendit la bouteille au punk, toujours engagé dans le combat contre la Reine, mais se la fracassa sur le crâne dans la seconde qui suivit. Et encore une fois, il beugla, tous les muscles contractés, violemment stimulés par ses nerfs qui se virent parcourus d’un feu très soudain.

En revenant prendre sa position initiale en toute hâte, Joe vit le punk vautré sur la Reine des Araignées.

- Mais qu'est-ce que tu fous ! C’est moi qui voulait la tringler ! Le crime de lèse-capitaine, ça te parle ?! s’indigna-t-il.

Mahach fut rappelé à l’ordre par un gargouillis. Il ne savait pas si c’était de la colère ou du venin qui allait être craché, mais dans le doute, il préféra lui asséner un uppercut monumental au niveau de la trachée. Celui-ci remonta jusque sous la mâchoire inférieure et ...
Et c’était bien du venin. La substance finit même par atterrir en abondance sur le plafond avant de commencer à en goûter, doucement, a contrario de son érosion. C’était comme si le poing avait entièrement vidé les glandes d’un coup. A moins que ce ne soit une furieuse envie purement volontaire de lui fondre le visage.

- Euh ... Les gars ... ? couina la cornue.

Ils étaient fait comme des rats. Il fallait bien avouer qu’ils s’étaient eux-mêmes mis dans un cul de sac. Maintenant, ils étaient dos au mur, et face un autre mur de soldats à moitié arachnéens.

MON CORPS EST EN PLEINE CROISSAAAAAAAAAAAAAAAAAAAANCE !


Dans sa course, Elijah avait bousculé les siens pour foncer dans le tas.

- ARRÊTE ! ABRUTI !

Et il passa le seuil de la porte. Ce même seuil que Rowena avait piégé. Et les nuages se déchargèrent immédiatement et irrémédiablement sur lui. Mais ... cela ne l’avait pas affecté. Ou presque pas. Avec sa peau visqueuse d’homme-poisson et la bière qu’il s’était renversé sur lui, il ne fut pas électrisé mais il était plutôt devenu un excellent conducteur. Le bougre avait même pris soin de s’enfoncer des morceaux de verre ou de métal dans les troisièmes phalanges.

S’il ne laissait pas sa part au chien pour mordre joyeusement, il avait également tout du cabot dans un jeu de quilles. Mais un cabot enragé et sous haute tension..

- Bon, eh bien ... Je crois que nous avons notre porte de sortie, messieurs, dit Rowena en se retournant vers les siens.

Le reste des Blattards ne se fit pas prier et tentait de suivre l’assaut furieux et incontrôlé de leur murène improvisée. Bien entendu, Hyakujuunoou sur son épaule, Joe avait naturellement une zone interdite et invisible qui apportait la mort à quiconque osait ne serait-ce qu’y mettre un orteil. La volonté de survivre, l’avidité et la paranoïa ne mariaient définitivement bien chez lui.
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Fuyant le palais d’une Arachnée en furie, les Blattards se hâtaient, sachant pertinemment qu’ils n’étaient pas sortis de l’auberge. En effet, ils étaient toujours poursuivies par les guerrières araignées, leurs symbiotes-montures à huit pattes, et la fine équipe devait encore réussir à traverser la ville de la tribu. Fermant la marche, Rowena remarquait avec surprise que Joe avait la vivacité d’un chat sauvage. Il agrippait le meitou volé comme si c’était une partie de sa propre âme, et galopait tel un chamois qui dévale une montagne. Croq’dur chargeait toujours au loin devant, faisant valser comme des quilles les imprudentes sans défenses qui essayaient de les arrêter. Alertées par le vacarme, les femmes de la cité sortaient de leurs demeures de bois et de leurs promontoires pour prendre connaissance de la cause du tumulte. Evidemment, il ne fallait pas bien longtemps à ces femmes pour comprendre ce qui se passait en voyant l’équipage du Corsaire courir, poursuivis par de gardes du palais.

- AÏE ! Elles nous caillassent ces connes !

- WHAAAAAAAAAAAA !!! CROQUETTE TOUT CASSER !!

Toujours en furie, l’homme piranha s’arrêtait de courir pour attraper au vol certaines pierres que les femmes Araignées leur lançaient et les briser sous ses dents tranchantes. Il fut bien vite invectivé par son capitaine de se remettre à courir, c’était lui qui leur servait de bélier et Joe ne voulait pas être plus exposé, de peur qu’il ne perde le sabre.

- Mais qu’est ce que tu fous toi ?! Balance leur des éclairs !

- Excellente idée. Si mes calculs sont exacts, il est fort possible que la foudre puisse…

- ON S’EN FOUT. TIRE !

- Tss… parfait, restez ignares…

Continuant de courir, la scientifique fit luire l’orbe de son bâton climatique avant de l’agiter en arrière pour laisser s’échapper une paire de nuages orageux gorgés d’éclairs. Plusieurs traits de foudre partirent des nuages, le premier frappant une guerrière qui fit alors un vol plané en arrière pour disparaître entre des broussailles. Sa monture, une lucane bleue à taches blanches, s’affola d’un seul coup, forçant plusieurs femmes à s’élancer pour calmer la bête. Les autres éclairs heurtèrent les toits de plusieurs baraques qui, à l’impact, commencèrent à prendre feu. La panique se faisait entendre dans les maisons en question, si bien que même des voix d’hommes et de petits garçons étaient audibles.

- Un résultat satisfaisant. Je vais le noter à 7.35 sur l’échelle des conjectures compte tenu de la situation présente.

- Mais bordel c’est QUOI une conjecture ?!

- J’suis persuadé que tu peux encore plus foutre le bazar.

- Ah ben ça c’est sûr, vu la merde qu’elle fout à chaque fois dans l’équipage…

Rowena ne se fit pas prier davantage, elle tira de nouveaux éclairs sur d’autres toits pour provoquer d’autres départs de feux. Les civils couraient de toutes parts en tenant des cruches, des seaux, de simples pots et même des amphores pour éteindre les flammes provoquées par la sorcière. Malheureusement, les guerrières ne s’arrêtaient pas et continuaient de les talonner. La forêt de toiles était leur domaine, et les symbiotes conservaient l’avantage sur ce terrain. Loin au devant, une araignée loup faisant deux fois la taille d’Elijah tomba des amas de soie tendus au dessus des arbres. Toutes mandibules dehors, elle crachait face aux forbans voleurs et s’apprêtait à leur bondir dessus. C’était sans compter l'insouciance, et certainement la bêtise, de Croq’dur qui courait encore et toujours comme un possédé. Même la présence d’un arachnide féroce, velu et prêt à le dévorer n’aurait su le terrifier.

- CROQUETTE RODEO DRIIIVE !

- Mais qu’est ce qu’il raconte ?!

- Ne cherche pas à comprendre…

- Hm, ça doit être culturel.

- DEVIL PIRANHA GHOOOOST !

Elijah continua sa charge droit sur l’araignée tandis que ses camarades s’interrogeaient toujours sur le sens de ses gutturaux hurlements. Quelle idée de brailler des noms invraisemblables de la sorte sans que personne ne puisse comprendre quoi que ce soit ? Rowena décidait qu’elle en ferait un prochain sujet d’étude comportemental pour mieux comprendre cette pratique à la fois barbare et complètement stupide. En face, l’insecte poilu tenta de sauter sur le piranha pour lui planter ses crochets dans le dos mais sous-estima son adversaire. Ce dernier plaqua de plein fouet l’araignée qui, au lieu d’enfoncer ses crochets dans la chair du poisson, mordit la poussière. Derrière, Rowena continuait de déchaîner son électricité sur les maisons de la tribu pour ralentir les guerrières qui allaient les rattraper. Elle envoyait également des vagues de chaleur et de froid pour dérouter les insectes symbiotes; Mahach et Joe couraient côté à côté sans vraiment se soucier des événements alentours, ils avaient surtout envie de sortir de cette forêt infernale.

- Croquette a gagné !

- On s’en fout, cours !

- On a presque atteint la sortie. Comment ça se passe le barbecue derrière ?

- Les guerrières n’ont pas le choix si elles ne veulent pas que leur ville parte en fumée, elles vont devoir s’arrêter. Et si j’ai tout prévu correctement…

- Super je m’en fiche. On se taille maintenant !

Ils avaient enfin atteint l’entrée de la cité Araignée qu’ils quittaient avec grand plaisir. Derrière eux, ils pouvaient entendre les flammes crépiter et les femmes s’activer en criant et donnant des ordres. Ils ne pouvaient entendre Arachnée mais les Blattards se l’imaginaient en train d’agiter un poing rageur sur un balcon de son château, se jurant de prendre sa revanche contre le Corsaire. Malheureusement pour elle, ils ne prendraient pas de nouvelles vacances sur Myriapolis avant un bon moment.
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Cette fois au moins, Mahach n'avait pas semé de petits cailloux derrière lui. La vérité étant qu'il n'en avait tout simplement pas eu le temps. La faune à huit pattes avait ce côté horripilant qui prédisposait à la fuite immédiate plutôt qu'à la camaraderie spontanée. L'idée de retourner un jour leur rendre visite semblait exclu d'office.

- J'ai une idée ! Allons chez les fourmis ! Elles nous protégeront des araignées.

- Naaaa, on est tricard chez les fourmis aussi.

Eli fracassa un morceau de minéral à portée de main contre son front en signe de protestation. Ou de dépit. Ou pour se gratter. Ou parce qu'il avait eu le sentiment que le caillou l'avait insulté. On ne savait jamais trop avec lui, et on préférait ne pas savoir.
Les Blattards étaient passés maîtres dans l'art de s'attirer les inimitiés de toutes les factions en guerre sur un territoire donné. En un sens, ils étaient garants de la paix civile partout où ils se trouvaient dans la mesure où tous les belligérants se retrouvaient systématiquement disposés à se coaliser pour leur faire la peau.

- N'empêche ! Ce qu'on leur a mis ! Pi-rha-nah ! Je leur ai tout balancé à la gueule à ces saut'relles ! Du carrelage, des arbustes, des araignées y'en avait plein partout d'ailleurs je sais pas si vous avez remarqué, les clés que j'ai piqué dans la poche de Joe, des jardinets, des.....

- KaJhnAQséBiZluitOustrin'baKlonshqec !

Sans attendre que le poiscaille n'ait terminé d'énumérer sa liste, son capitaine l'interrompit par un son particulier qu'il éructa brièvement avant de s'écrouler et d'entamer une crise d'épilepsie passagère la bave aux lèvres. La rage prenant le dessus sur les trois crises cardiaque qu'il venait d'essuyer en un instant, son palpitant repartit derechef pour alimenter la machinerie du cafard qui ne bondit qu'avec davantage de vigueur, pupilles révulsées et toutes dents dehors.

- TU AS FAIT QUOI ?!

- Eh bien d'abord je me suis brossé les dents, ensuite j'ai pris un petit déjeuner équilibré à base de harengs maintenant que j'y pense j'aurais dû faire ça dans l'ordre inverse ensuite j'ai GnNRrRflLll....!

Il avait gnrflé car l'appendice caudal de scorpion de son capitaine avait émergé subitement afin de mieux se nouer autour du cou d'un subordonné trop indiscipliné pour mériter un quelconque traitement de faveur.
Ainsi prisonnier de l'étreinte modérément affectueuse de Greed, le piranha avait viré du bleu au violet, du violet au jaune et du jaune au orange. Lorsque des tâches vertes commencèrent à poindre, Joe, d'un geste vif de son excroissance arachnoïde, envoya virevolter la bête captive contre un des rochers noirs de la plaine rocailleuse dans laquelle ils avaient fui.
La clé dont avait parlé Eli n'était nulle autre que celle de son coffre. Grave, interdit même, Joe scruta de ses yeux plissés la forêt qu'ils avaient quitté et qui n'était alors plus qu'un point dans l'horizon.

- On y retourne.

Maudissant son amphibien d'équipier, Mahach se contenta de serrer les dents et d'abattre le poing sur un des morceaux de granit noir l'entourant. Plus sobre, Rowena se contenta de soupirer.

- Volontiers ! J'dis jamais non à une excursion en forêt. Y'aura un pique-nique ?

L'aiguillon du scorpion bipède s'arrêta juste entre les deux yeux de Croq'dur. Bras croisés, Joe ne le contempla même pas en le menaçant de la sorte. S'il avait hésité à le tuer et s'était ravisé au dernier moment, c'est parce qu'il savait qu'un appât pourrait leur être utile si d'aventure il leur fallait lâcher du lest.

- Je suppose qu'il n'y a pas d'autre moyen d'ouvrir votre coffre capitaine, n'est-ce pas ?

La paranoïa et la radinerie faisaient mauvais ménage ; hélas le cafard avait la curieuse faculté consistant à articuler ces deux notions jusqu'à ce que cela en devienne malsain. Son coffre était constitué d'un alliage dont le seul minerai plus résistant était le granit marin. Il fallait passer par quinze combinaisons de huit chiffres chacun avant d'enfin déverrouiller le dernier loquet d'une clé qu'il gardait constamment dans sa poche. Suite à l'incident Croq'dur, il considérait maintenant sérieusement l'idée d'attacher la clé à un fil lui-même relié à une de ses molaires afin de dissimuler la garantie de sa fortune dans son œsophage en permanence.

***

- Elles ne les retrouveront pas. Si cette raclure à casquette se fait appeler le cafard, c'est bien parce qu'il a la vie dure et survit à tout.

Le royaume arachnéen semblait bien vide maintenant que le gros des troupes avait été déployé dans la forêt afin de mettre la main sur quatre insectes insignifiants ayant pourtant pourri la vie de l'assemblée.

- Dis voir, c'est pas eux là qui viennent de rentrer dans le palais de la reine ?

Les deux gardes chargées de patrouiller les allées quasi désertes de la ville s'étaient arrêtées et scrutaient, dubitatives, l'infiltration sans discrétion aucune du quartet Blattard qui était manifestement de retour. Se refusant dans un premièrement à croire que des êtres vivants dotés d'un cortex cérébral ne serait-ce que moyennement fonctionnel puissent être assez stupides pour revenir deux heures après leurs méfaits, elles durent pourtant se rendre à l'évidence lorsqu'un spectacle son et lumière sembla se profiler depuis les fenêtres du palais.

La reine et sa garde étant absentes, l'invasion de la résidence royale fut aisée et sans douleur - excepté pour les patrouilleurs restés en retrait dans la résidence royale. On fouillait ici et là dans chaque recoin pour trouver la précieuse clé dont la recherche risquait vraisemblablement de se solder par leur mort imminente.

- Putain mais....

Joe tremblait. Son regard était terne, son visage livide, on eut juré qu'il n'avait pas dormi depuis plusieurs semaines alors que la nouvelle ne l'avait pourtant accablé que depuis une heure à peine. L'argent avait une mauvaise emprise sur lui. La réciproque était tout aussi valable.

- Mais tu l'as jetée où ?! Dégénéré de bâtonnets de colin en devenir ! Réfléchis avant que je t'arrache ce qui te sert de cervelle.

- Où est-ce que j'ai jeté quoi ?

Quelque peu nerveux - l'arrivée de la garde royale étant probablement imminente - Mahach prit le relais plus vivement encore, secouant la bête pour avoir une réponse plus rapide. Tel le jus de fruit multi-vitaminé, Elijah avait besoin d'être secoué plus que de raison pour que la pulpe ne reste pas au fond.

- LA CLÉ, BOUGRE DE CON !

Sans sourciller, clignant des yeux comme s'il était étonné qu'on lui pose la question, Elijah glissa une main dans sa poche et en sortit une clé. LA clé.
Pour le coup, même Rowena eut le visage déformé un moment par la surprise. Un silence se fit et le piranha se mit à rougir, quelque peu gêné.

- Quand j'ai dit que j'avais lancé les clés de Joe, c'était pour vous impressionner en fait. J'osais pas vous le dire, je serais descendu dans votre estime....... coupaing ?

Jamais dans l'histoire de l'humanité une entité vivante n'avait été poignardée de soixante-seize coups de clé dans les reins comme Elijah le fut sous les assauts de son capitaine. Ce dernier ne se serait-il pas senti fébrile quelques instants plus tôt que sa force et sa fureur auraient probablement eu raison de son membre d'équipage le plus dispensable.
Mais l'heure n'était pas encore aux réjouissances et Rowena dut interrompre le Blattard en chef dans sa jubilation hystérique.

- Nous devons partir avant que leurs troupes ne reviennent.

Le punk prit alors le piranha sanguinolent - néanmoins souriant - sous le bras et fit un petit coucou aux deux gardes restées éberluées, plantées comme des piquets en pleine rue à les voir venir et partir à leur gré. Le culot Blattard avait ça de tétanisant qu'il en était excessif jusqu'à l'absurde.

- À la r'voyure !

On aurait pu les croire repartis que Joe fit à nouveau volte-face. Quelque peu cupide et prompt à rentabiliser chacune de ses actions, il n'avait pu se résoudre à l'idée d'avoir fait tout ce chemin - encore - pour rien. Plongeant ses mains dans ce bazar ambulant qu'était l'intérieur de son manteau de fourrure noire, il en extirpa six colliers explosifs qu'il tenait entre ses doigts.

- Il est pas dit que je repartirai les mains vides Ya-hin-hin-hin-hin !

Ce n'était en effet pas le genre de la maison.

***

À bord du Terrier, tout ce qui était fait en bois grinçait et craquait sans qu'on eut à exercer la moindre pression dessus. Les rats n'osaient même pas visiter la cale tant elle était vide de toute provision si ce n'est de boîtes de conserves dont les dates de péremption à elles seules constituaient la preuve qu'on avait affaire à des vestiges archéologiques authentiques.
Mais à fond de cale cette fois, on y avait entreposé sept corps remuants et agités correctement attachés et bâillonnés.

Sur le ponton, trois énergumènes se pansaient les plaies à l'alcool - le moins cher, cela allait sans dire. Le séjour sur Myriapolis leur avait quelque peu égratigné les coudes, entre autre.

- Maint'nant qu'j'y pense Joe... la quasi totalité d'mes blessures.... c'est toi qui me les a infligées !

- Arrête de penser Mahach, ça te réussit pas.

Résigné - fatigué surtout - le punk cessa de penser et pansa à nouveau. Deux semaines au milieu des insectes l'avait immunisé contre le besoin pressant de chercher la petite bête ou de prendre la mouche pour un rien.

- Dis, Joe.

Joe en était à traiter ses brûlures occasionnées lors de la folie frénétique de la fourmilière et serra les dents autant à cause de la douleur que de la gêne que constituait son premier matelot en cet instant.

- On va vraiment vendre Croq'dur ?

- M'étonnerait que quelqu'un paie pour un con pareil aïe ! Je doute même que quelqu'un en veuille même si on les payait en échange bordel mais ça pique cette saloperie de... en tout cas il fera la traversée à fond de cale avec les morues.

Les six morues étaient encore les spécimens les moins écaillés du cheptel de prisonniers pourvus d'un collier explosif au fond du navire. Des femmes issues d'une tribu difficile à approcher, qui plus est, n'ayant jamais connu un homme de leur vie se monnaieraient le prix fort sur le marché aux esclaves. Joe Biutag ne repartait effectivement jamais les mains vides. Certains privilégiaient les souvenirs pour touristes, lui préférait ramener de l'autochtone enchaîné.

- Capitaine.

- Ma parole ils ont pas fini de me casser les... Ouiiiii ? ♪

- On n'a pas pris de provisions.

Non seulement les conserves avariées n'étaient pas du meilleur du goût pour l'équipage mais elles étaient surtout en quantité insuffisantes pour tenir une traversée de plusieurs jours si ce n'est semaines d'ici à ce qu'ils fassent escale sur la prochaine île de la quatrième voie de Grand Line.
En ayant terminé avec les soins du bord administrés à son bras gauche, le cafard le recouvra à nouveau de sa manche puis adressa un sourire avenant quoique sournois à Rowena.

- Pourquoi crois-tu que j'ai laissé Croq'dur embarquer avec nous ?
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Je suis Elijah Croq'Dur et j'approuve ce RP, sauf la fin.
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