*Décidément, il faut vraiment que j'y travaille, je n'ai pas le pied marin...* Une bonne vingtaine de minutes s'était écoulée depuis qu'il avait touché terre, mais Jaros sentait encore le sol tanguer sous lui, entretenant l'insidieux reste de nausée qui, décidément, ne voulait pas le quitter. Les passants, autour de lui, jetaient de temps à autre des regards curieux ou amusés à ce jeune homme pas très assuré sur ses jambes, le visage plus pâle que jamais mettant en relief son regard encore brumeux et légèrement cerné. *Avoir l'air d'un gamin qui a abusé sur l'alcool, génial.* Jaros venait d'arriver à Chom et la sensation de se faire remarquer de piètre manière l'envahissait presque autant que sa nausée.
Il était à Inu Town, une île proche de Manshon, merci aux marins qui avaient bien voulu le laisser faire le trajet - en échange du nettoyage du pont - autrement impossible pour lui. Il n'avait plus d'argent, plus rien, et si le dernier repas qu'il avait fait datait du jour même, eh bien c'était celui qui venait de finir ses réserves de pain sec et de poisson fumé. Jaros savait qu'il ne pourrait pas se retrouver du travail sur son île natale sans avoir de gros problèmes; la mafia avait été très claire à ce sujet, s'il faisait quoi que ce soit d'un peu trop proche de leurs affaires, il devrait soit les rejoindre, soit être considéré comme opposant direct. Considéré mort quelques temps après, surtout... Si l'idée de partir de Manshon était encore pour le jeune homme hors de propos, aller travailler quelques jours ailleurs s'imposait plus ou moins à lui, à présent. Une mine de cristaux précieux était une piste qui ne se refusait pas.
- Encore faut-il arriver jusque là...
Mieux valait ne pas se présenter pour demander un travail tout titubant, Jaros en avait bien conscience. *Bon, je vais attendre que ça finisse de passer.* S'installant sur un muret, il regarda autour de lui patiemment. L'endroit était propret et accueillant, surtout en comparaison avec la ruine encore terriblement présente de Manshon. Pas très grand, également, très peu de bâtiments possédaient plus de deux étages, et il était facile d'apercevoir la campagne verdoyante aux alentours. Avec le soleil qui pointait le bout de son nez à travers les quelques nuages paresseux émaillant le ciel, le cadre devenait particulièrement plaisant. Se laissant aller un peu en arrière, le jeune homme ferma les yeux en levant le visage à la lumière. Il se détendit, laissant le reste de mal de mer s'en aller, profitant de la douce chaleur.
- Jeune homme ! Connaissez-vous la Brasserie des trois chaumes, la meilleure brasserie de Chom ?
Interrompu dans son délassement par une voix féminine et énergique, Jaros ouvrit brusquement les yeux et se redressa vivement. Cheveux châtains rassemblés en une tresse reposant sur une épaule, joues roses et expression avenante, l'inconnue devant lui avait sous le bras un gros panier garni de bouteilles et de bouts de papiers, probablement des prospectus, en outre sa robe s'ouvrait avec générosité sur sa gorge tout aussi rose. Sans être réellement jolie la bougresse était indéniablement avenante, et le jeune supposa immédiatement qu'elle venait lui vendre quelque chose.
- Je ne suis pas d'ici, non.
- Elle vient d'ouvrir cette semaine, nous offrons la première pinte à tout nouveau client, alors profitez-en, si le cœur vous en dit. Tenez, c'est cadeau !
Un peu interloqué, Jaros pris la petite bouteille qu'on lui tendait, répondit avec retenue au dernier sourire que cette fille lui fit avant de continuer sa distribution publicitaire. De la bière gratuite, ça ne refusait pas, il n'allait pas être méfiant à ce point. Il ne comptait pas la boire tout de suite en revanche; heureusement elle était suffisamment petite pour rentrer dans une des poches de son trench, formant une drôle de protubérance tout de même. *Bon, plus qu'à espérer qu'ils embauchent à la mine...*
- ... et tu les tracteras jusqu'aux terrils, pigé ? Le salaire restera le même pour ça.
- On est d'accord alors, oui.
Tapant dans la main caleuse du grand contremaître, Jaros était plutôt satisfait. Aller chercher les wagons remplis des déchets d'excavations et les ramener à la surface, voilà qui était dans ses cordes; ça ou déblayer des ruines, il n'y avait pas un si grand écart. On le paierait bien suffisamment, aussi, même s'il devrait trouver lui-même où loger, ce qui n'allait pas poser grand problème vu le cadre si agréable que l'île offrait. Son nouvel employeur regarda d'un air un peu suspicieux le relief dans le manteau du jeune gringalet qu'il venait d'embaucher, puis passa à autre chose.
- Va rejoindre ct'équipe alors, on a un gars arrivé récemment comm' toi et d'autres, t'expliqueront bien le reste.
Le geste vague indiquait le pied du terril le plus frais, où quelques ouvriers finissaient de vider leurs wagons, la plupart s'asseyant par terre ou sur de petits rochers pour se reposer un peu. Jaros n'obéit pas sans réfléchir. Ils étaient en début d'après-midi, et commencer maintenant le travail n'allait pas vraiment de soi, pour une paie au nombre de jours.
- Je serai payé même pour un tiers de journée ?
- T'auras le quart, j'peux pas faire mieux mon gars. Si t'es pas content va voir ailleurs.
Hochant la tête, le jeune homme se dirigea donc vers ses nouveaux coéquipiers. La plupart étaient crasseux et quelconques, discutant entre eux de très banale façon. Mais il y en avait un à part... Il attira l'attention de Jaros presque de suite, pour une raison bien précise. Assis sur un rocher, le front en sueur strié par des mèches de cheveux humides, l'homme ressortait du lot. Pas à cause du bandeau qu'il avait à l’œil ou de son visage taillé à la serpe, quoique si, tout de même, mais surtout de ce qu'il avait à sa ceinture. Un sabre à la poignée et au fourreau ternis et rayés, étrange accessoire à la hanche d'un travailleur dans une mine de cristaux. L'idée qu'il puisse être un garde assurant la sécurité de l'endroit ne tenait pas pour Jaros; il ne serait pas ici, mais plutôt à patrouiller dans les boyaux ou aux entrepôts. Intriguant. Tentant une approche au culot, le jeune homme interpella donc ce drôle d'énergumène.
- Dites, le sabre est là pour faire joli ?
Loin de se braquer, l'autre sortit une blague de sa poche, et, roulant une cigarette avec la gestuelle d'un fumeur invétéré, rétorqua que, oui, certains se baladaient effectivement avec des armes pour pavoiser. Jaros eut l'envie de sourire, mais l'autre ne le regardait pas vraiment de toute façon. Les autres ouvriers restaient dans leur coin, regardant la scène par dessus l'épaule; sans doute le jeune homme eut-il mieux fait de s'adresser à eux, mais... Mieux valait prendre les informations où elles semblaient être d'abord. Un type avec un sabre, voilà qui méritait au moins un intérêt de surface.
Il n'avait rien de mieux à faire sur le moment, surtout. Sortant la bouteille qu'il avait encore dans sa poche, il la regarda quelques instants, puis la tendit au borgne. Elle ne tiendrait pas bien les heures à la mine à faire des aller-retours, de toute façon, mieux valait la boire avant qu'elle ne soit complètement tiédie, et Jaros n'avait pas vraiment soif.
- Envie de se désaltérer, peut-être ? On me l'a donné à Chom mais les bières en plein après-midi, ce n'est pas ma tasse de thé.
Un signe de main indiquant un refus fut la réponse qu'il obtint, puis l'homme dégaina une flasque métallique, la déboucha d'une main experte et en prit une gorge, la cigarette prestement mise de coté entre ses doigts. Une grosse gorgée, témoignant d'une solide habitude, et un instant plus tard, il se remit la sèche aux lèvres, libérant sa main pour essuyer de la paume le goulot, avant de tendre le flacon à Jaros. *Espérons que ça ne me mette pas un coup trop solide avant de commencer le travail...* Il la prit, renifla discrètement *oh, c'est pas du sirop, en effet* et se permit une petite lampée, un peu risible en comparaison de l'autre. Ce n'était pas bon, vraiment pas, assez fort mais pas au point de rendre la chose complètement désagréable. Le jeune homme pinça un peu les lèvres, mais ne grimaça pas plus, rendit la flasque rapidement, avant d'ouvrir finalement sa bière avec précaution - après son trajet dans sa poche, elle risquait de mousser sévèrement - et heureusement, succès. Avoir de quoi se rincer la bouche lui paraissait bien plus attrayant qu'il y a quelques secondes. La bouteille ouverte, il plia les jambes, et tenta d'entamer un peu plus la discussion.
- Merci, mais j'avoue que j'en reprendrai pas de si tôt. Vous êtes là à bosser à la mine depuis longtemps, ou c'est vous l'autre arrivé récemment ?
Goûtant sa bière, il la trouva, bien que fatalement à une température plus que passable, d'une agréable amertume maltée, qui chassa les relents de frelaté du tord-boyau - whisky ou assimilé, pensa-t-il - du borgne. *Peut-être que j'irai à cette brasserie ce soir, finalement...*
Il était à Inu Town, une île proche de Manshon, merci aux marins qui avaient bien voulu le laisser faire le trajet - en échange du nettoyage du pont - autrement impossible pour lui. Il n'avait plus d'argent, plus rien, et si le dernier repas qu'il avait fait datait du jour même, eh bien c'était celui qui venait de finir ses réserves de pain sec et de poisson fumé. Jaros savait qu'il ne pourrait pas se retrouver du travail sur son île natale sans avoir de gros problèmes; la mafia avait été très claire à ce sujet, s'il faisait quoi que ce soit d'un peu trop proche de leurs affaires, il devrait soit les rejoindre, soit être considéré comme opposant direct. Considéré mort quelques temps après, surtout... Si l'idée de partir de Manshon était encore pour le jeune homme hors de propos, aller travailler quelques jours ailleurs s'imposait plus ou moins à lui, à présent. Une mine de cristaux précieux était une piste qui ne se refusait pas.
- Encore faut-il arriver jusque là...
Mieux valait ne pas se présenter pour demander un travail tout titubant, Jaros en avait bien conscience. *Bon, je vais attendre que ça finisse de passer.* S'installant sur un muret, il regarda autour de lui patiemment. L'endroit était propret et accueillant, surtout en comparaison avec la ruine encore terriblement présente de Manshon. Pas très grand, également, très peu de bâtiments possédaient plus de deux étages, et il était facile d'apercevoir la campagne verdoyante aux alentours. Avec le soleil qui pointait le bout de son nez à travers les quelques nuages paresseux émaillant le ciel, le cadre devenait particulièrement plaisant. Se laissant aller un peu en arrière, le jeune homme ferma les yeux en levant le visage à la lumière. Il se détendit, laissant le reste de mal de mer s'en aller, profitant de la douce chaleur.
- Jeune homme ! Connaissez-vous la Brasserie des trois chaumes, la meilleure brasserie de Chom ?
Interrompu dans son délassement par une voix féminine et énergique, Jaros ouvrit brusquement les yeux et se redressa vivement. Cheveux châtains rassemblés en une tresse reposant sur une épaule, joues roses et expression avenante, l'inconnue devant lui avait sous le bras un gros panier garni de bouteilles et de bouts de papiers, probablement des prospectus, en outre sa robe s'ouvrait avec générosité sur sa gorge tout aussi rose. Sans être réellement jolie la bougresse était indéniablement avenante, et le jeune supposa immédiatement qu'elle venait lui vendre quelque chose.
- Je ne suis pas d'ici, non.
- Elle vient d'ouvrir cette semaine, nous offrons la première pinte à tout nouveau client, alors profitez-en, si le cœur vous en dit. Tenez, c'est cadeau !
Un peu interloqué, Jaros pris la petite bouteille qu'on lui tendait, répondit avec retenue au dernier sourire que cette fille lui fit avant de continuer sa distribution publicitaire. De la bière gratuite, ça ne refusait pas, il n'allait pas être méfiant à ce point. Il ne comptait pas la boire tout de suite en revanche; heureusement elle était suffisamment petite pour rentrer dans une des poches de son trench, formant une drôle de protubérance tout de même. *Bon, plus qu'à espérer qu'ils embauchent à la mine...*
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- ... et tu les tracteras jusqu'aux terrils, pigé ? Le salaire restera le même pour ça.
- On est d'accord alors, oui.
Tapant dans la main caleuse du grand contremaître, Jaros était plutôt satisfait. Aller chercher les wagons remplis des déchets d'excavations et les ramener à la surface, voilà qui était dans ses cordes; ça ou déblayer des ruines, il n'y avait pas un si grand écart. On le paierait bien suffisamment, aussi, même s'il devrait trouver lui-même où loger, ce qui n'allait pas poser grand problème vu le cadre si agréable que l'île offrait. Son nouvel employeur regarda d'un air un peu suspicieux le relief dans le manteau du jeune gringalet qu'il venait d'embaucher, puis passa à autre chose.
- Va rejoindre ct'équipe alors, on a un gars arrivé récemment comm' toi et d'autres, t'expliqueront bien le reste.
Le geste vague indiquait le pied du terril le plus frais, où quelques ouvriers finissaient de vider leurs wagons, la plupart s'asseyant par terre ou sur de petits rochers pour se reposer un peu. Jaros n'obéit pas sans réfléchir. Ils étaient en début d'après-midi, et commencer maintenant le travail n'allait pas vraiment de soi, pour une paie au nombre de jours.
- Je serai payé même pour un tiers de journée ?
- T'auras le quart, j'peux pas faire mieux mon gars. Si t'es pas content va voir ailleurs.
Hochant la tête, le jeune homme se dirigea donc vers ses nouveaux coéquipiers. La plupart étaient crasseux et quelconques, discutant entre eux de très banale façon. Mais il y en avait un à part... Il attira l'attention de Jaros presque de suite, pour une raison bien précise. Assis sur un rocher, le front en sueur strié par des mèches de cheveux humides, l'homme ressortait du lot. Pas à cause du bandeau qu'il avait à l’œil ou de son visage taillé à la serpe, quoique si, tout de même, mais surtout de ce qu'il avait à sa ceinture. Un sabre à la poignée et au fourreau ternis et rayés, étrange accessoire à la hanche d'un travailleur dans une mine de cristaux. L'idée qu'il puisse être un garde assurant la sécurité de l'endroit ne tenait pas pour Jaros; il ne serait pas ici, mais plutôt à patrouiller dans les boyaux ou aux entrepôts. Intriguant. Tentant une approche au culot, le jeune homme interpella donc ce drôle d'énergumène.
- Dites, le sabre est là pour faire joli ?
Loin de se braquer, l'autre sortit une blague de sa poche, et, roulant une cigarette avec la gestuelle d'un fumeur invétéré, rétorqua que, oui, certains se baladaient effectivement avec des armes pour pavoiser. Jaros eut l'envie de sourire, mais l'autre ne le regardait pas vraiment de toute façon. Les autres ouvriers restaient dans leur coin, regardant la scène par dessus l'épaule; sans doute le jeune homme eut-il mieux fait de s'adresser à eux, mais... Mieux valait prendre les informations où elles semblaient être d'abord. Un type avec un sabre, voilà qui méritait au moins un intérêt de surface.
Il n'avait rien de mieux à faire sur le moment, surtout. Sortant la bouteille qu'il avait encore dans sa poche, il la regarda quelques instants, puis la tendit au borgne. Elle ne tiendrait pas bien les heures à la mine à faire des aller-retours, de toute façon, mieux valait la boire avant qu'elle ne soit complètement tiédie, et Jaros n'avait pas vraiment soif.
- Envie de se désaltérer, peut-être ? On me l'a donné à Chom mais les bières en plein après-midi, ce n'est pas ma tasse de thé.
Un signe de main indiquant un refus fut la réponse qu'il obtint, puis l'homme dégaina une flasque métallique, la déboucha d'une main experte et en prit une gorge, la cigarette prestement mise de coté entre ses doigts. Une grosse gorgée, témoignant d'une solide habitude, et un instant plus tard, il se remit la sèche aux lèvres, libérant sa main pour essuyer de la paume le goulot, avant de tendre le flacon à Jaros. *Espérons que ça ne me mette pas un coup trop solide avant de commencer le travail...* Il la prit, renifla discrètement *oh, c'est pas du sirop, en effet* et se permit une petite lampée, un peu risible en comparaison de l'autre. Ce n'était pas bon, vraiment pas, assez fort mais pas au point de rendre la chose complètement désagréable. Le jeune homme pinça un peu les lèvres, mais ne grimaça pas plus, rendit la flasque rapidement, avant d'ouvrir finalement sa bière avec précaution - après son trajet dans sa poche, elle risquait de mousser sévèrement - et heureusement, succès. Avoir de quoi se rincer la bouche lui paraissait bien plus attrayant qu'il y a quelques secondes. La bouteille ouverte, il plia les jambes, et tenta d'entamer un peu plus la discussion.
- Merci, mais j'avoue que j'en reprendrai pas de si tôt. Vous êtes là à bosser à la mine depuis longtemps, ou c'est vous l'autre arrivé récemment ?
Goûtant sa bière, il la trouva, bien que fatalement à une température plus que passable, d'une agréable amertume maltée, qui chassa les relents de frelaté du tord-boyau - whisky ou assimilé, pensa-t-il - du borgne. *Peut-être que j'irai à cette brasserie ce soir, finalement...*