Le soleil trônait haut dans ce magnifique ciel bleu parfaitement dégagé des lieues à la ronde, et parfois une brise permettait de rafraîchir.
Les gens grouillaient, s’animaient, la vie était en pleine effervescence ! La journée était belle, et la semaine avait bien commencé pour Apollon !
Mais ici résidait la Haute, alors quand on lui jetait des regards, ils étaient souvent moqueurs ou dédaigneux. Cependant, une jeune femme osa l’approcher alors qu’il lui tournait le dos.
- Vous êtes puni ?
- Absolument pas, comme je suis un éternel curieux, j’ai demandé à la Reine de me coincer dans ce superbe carcan. Je n’en pouvais plus de donner de la tête partout. Là, au moins, je me cantonne à un seul panorama. Je vais peut-être lui demander de rester un jour de plus, il y a tellement de choses à voir !
Le ton était sec et plein d’amertume. Il faut dire qu’Apollon avait vu sa joie de vivre habituelle se faire saper en un rien de temps par ce lourd collier de bois et de métal. En temps normal, il aurait adoré courtiser cette demoiselle mais aujourd’hui, dans ces conditions, il n’en avait pas l’humeur. Alors il l’avait gentiment envoyé sur les roses avec une ironie particulièrement acide. Néanmoins, il était fort probable que la féminité de la voix eût adouci son sarcasme. Il n’avait pas vu cette jeune femme, mais il imaginait beaucoup de la gente féminine avec très peu d’éléments. Alors coincé et courbé qu’il était, c’était la seule chose qu’il pouvait faire pour passer le temps et deviner le physique de son interlocutrice venue dans son dos aurait pu devenir un jeu.
- Oh, ça va ! Je voulais juste savoir pourquoi vous étiez prisonnier ! Mais je vois que vous aimez l’humiliation publique : vous semblez l’acceptez agréablement bien. Alors je vous laisse profiter de votre petit plaisir.
- Non, attendez !
Il n’avait pas attendu que les premiers pas de la donzelle ne claquassent sur le pavé de la place toute grise de pierre pavée pour la retenir. Après tout, elle était la première personne à oser l’aborder -la plupart ayant trop d’estime d’eux-même pour oser s’approcher d’un brigand- et ... c’était une femme. Non seulement il avait enfin de la compagnie, mais en plus, elle était charmante. Enfin, il l’imaginait et en était persuadé. Le réconfort était donc double.
Elle s’arrêta, mais ne se montra pas. Elle ne parla même pas d’ailleurs, elle attendait de savoir ce qu’il lui voulait réellement
- Pardonnez ma rustrerie, vous ne me voyez pas dans mes meilleurs jours. Me feriez-vous l’insigne honneur de vous approcher de moi ? Montrez-vous, et je vous dirais tout, je vous le promets !
Il ne le voyait pas, mais ses lèvres à elle affichaient un petit sourire espiègle, doucement victorieux mais très complice. Elle avait totalement cerné le personnage.
Ses pas se rapprochaient, la tension et l’excitation montaient chez le bateleur, il en arrivait même à oublier son mal de dos. Ses lèvres à lui s’animèrent également, d’un sourire ravi.
Ce qu’il vit d’abord, fut ses bottes. Des bottines en feutrine violet de parme, avec un haut talon pour ravir ces longues jambes couvertes d’un fin collant noir qui appuyait le galbe et les sublimait. Il s’en damnait ! A mi-cuisse ondulait une robe en velour pourpre, unie mais quelques trous brodés laissaient apparaître ça et là et un bustier d’un blanc éclatant. La robe était également ornée d’une ceinture en cuir de bonne facture, lâchement portée. Aussi, les froufrous de son chemisier dépassaient des manches longues de sa robe, et aboutissaient sur deux petites mains fines fermées en poings posés sur les hanches. Certains de ses doigts étaient annelés d’or.
De ses yeux, il remontait son corps avec délice, s’attachant à chaque détail. Arrivé en dessous de la poitrine, il dut davantage plier son cou, il se cogna alors l’arrière du crâne dans le bois du carcan et son cou lui fit un mal de chien.
Il expira un râle de douleur, ce qui tira un petit rire à la demoiselle.
- Vous ... hm. Vous pourriez vous baisser à mon niveau s’il vous plaît ? Déjà pour que je voie votre joli minois et ensuite, pour que nous puissions parler face à face ...
Pour toute réponse, elle soupira, non sans un sourire amusé, piquée par la curiosité qu’était ce drôle d’oiseau. Habituellement, les détenus n’ont ni ce tact maladroit des amourettes, ni ces tenues aux couleurs chamarrées. Mais elle se mit accroupie, toujours aussi souriante.
Alors très vite, le bas de la robe commençait à descendre et à devenir un décolleté plongeant par lequel ressortaient les mêmes froufrous du chemisier à jabot. Puis apparurent un cou cerclé d’un collier de perles noires et des anglaises dans le même ton. Et enfin, une délicatesse et fine bouche rosée et pulpeuse, surmontée d’un petit nez et de deux beaux yeux verts, presque couverts par une frange toute aussi brune que les mèches bouclées qui tombaient auparavant le long de ses joues, jusqu’au ras du cou. Elle avait dans la vingtaine et faisait indubitablement partie de la noblesse.
Les yeux, les pupilles et la bouche d’Apollon s’agrandirent soudainement pendant un instant avant de se refermer aussi sec pendant un autre instant, le temps de se reprendre.
- Enchanté, je m’appelle Apollon de Linciel, pour vous servir ... normalement ...
- Enchantée, Léah, lui répondit-elle dans un sourire amusé.
- Léah ... comment ? Si je puis me permettre !
- Vous allez devoir vous contenter de mon prénom, vil voyou ! Alors, dites-moi tout, qu’avez-vous fait de mal ?
Apollon prit une longue inspiration, ainsi qu’un air triste, presque abattu.
- Eh bien ... voyez-vous ... la vie s’est jouée de moi ! Je ne suis que la malheureuse victime d’un terrible malentendu !
- Oh, mon pauvre ! le plaignit-elle ironiquement.
- Ne riez pas ! Des marins m’ont parlé de cette île, il paraît que les gens d’ici ne se dérident que très rarement, un peu comme la pierre. Alors votre humble serviteur, moi, Apollon de Linciel, me suis lancé le défi de rompre la pétrification de ses bonnes gens avec mon charme naturel et mes talents durement acquis !
- Voyez-vous ça ! Et, qui êtes-vous ? A part un détenu je veux dire ...
- Un bateleur itinérant à tout faire ! Vous voulez de la comédie ou du drame ? Du chant peut-être ? Alors je suis l’homme qu’il vous faut ! Vous voulez des prestations aussi aériennes qu’ahurissantes ? Alors donnez-moi une torche et des couteaux, et je suis l’homme de la situation ! Vous préférez discuter sérieusement de sujets complexes et compliqués ? Mais je suis là, vous dis-je !
- Et donc ?! Venez en aux faits !
- Eh bien je suis venu proposer mes services à votre reine, et après moult péripéties ...
- Oui ?
- Elle a accepté ! Elle a voulu voir l’étendu de mes talents de barde pour le repas du soir, donc elle m’a demandé de lui donner un aperçu dans l’après-midi, afin de me laisser le temps de me préparer. Alors je me suis installé en hauteur, sur les murailles, en contemplant la mer pour trouver l’inspiration. Mais la vue de ces gardes à tête de chien et de cette triste pierre érodée par les embruns ne m’inspirait que des textes cocasses. Quand j’ai commencé à chanter -n’importe quoi pourvu que l’inspiration ne vienne, un de ces gardes m’a entendu et m’a fait livrer à la reine ...
- Hahaha ! Et qu’avez-vous chanté ?
- “Votre majesté, ma Dame de Pierre / Prenez garde à ce que cette île / De roc et de sel que renferme cet enfer / Ne devienne votre chenil”. Et pourtant, je ne comprends pas ! Ce sont des rimes croisées, et non embrassées, donc point d’amour ici mais de l’attachement ! Un rappel de l’attachement qui lie la reine à son île ! C’était parfait, mademoiselle ! La construction et sa symbolique étaient parfaites ! Des rimes pauvres, certes, mais ce n’était qu’un échauffement ! Une mise en jambe !
A ces paroles sorties avec plein de bonne volonté et de peine, Léah se courba encore plus que lui pour exploser de rire. Apollon fut vexé.
- Mais voyons ! A travailler davantage la forme que le fond, vous en avez oublié l’importance du sens !
- Certes, claqua-t-il séchement, toujours aussi piqué dans son amour. Mais il n’empêche ! M’humilier publiquement est honteux !
- Oh, mon pauvre Apollon ! Ne le prenez pas comme cela ! Excusez-moi, c’était vraiment très drôle, et certainement pas à vos dépends !
Quand elle étouffa à nouveau un rire, il tourna la tête autant que le carcan le lui permettait, pour tenter de feindre qu’il était au dessus de tout cela. En vain, naturellement.
- Mais il faut bien avouer que vous réussissez à le faire tout seul ! Vous ridiculiser publiquement !
A nouveau, elle fut prise d’un fou rire sauf qu’elle prit tout de même le temps de l’embrasser sur la joue avant de disparaître de son champ de vision.
Mais même ce baiser ne put lui rendre des forces. A nouveau humilié par une femme, désirable qui plus est, il était abattu. Il se laissait choir sous son propre poids, pendouillant lourdement de son carcan.
- Comment ... Mais comment en suis-je arrivé ici ?!
Les gens grouillaient, s’animaient, la vie était en pleine effervescence ! La journée était belle, et la semaine avait bien commencé pour Apollon !
Mais ici résidait la Haute, alors quand on lui jetait des regards, ils étaient souvent moqueurs ou dédaigneux. Cependant, une jeune femme osa l’approcher alors qu’il lui tournait le dos.
- Vous êtes puni ?
- Absolument pas, comme je suis un éternel curieux, j’ai demandé à la Reine de me coincer dans ce superbe carcan. Je n’en pouvais plus de donner de la tête partout. Là, au moins, je me cantonne à un seul panorama. Je vais peut-être lui demander de rester un jour de plus, il y a tellement de choses à voir !
Le ton était sec et plein d’amertume. Il faut dire qu’Apollon avait vu sa joie de vivre habituelle se faire saper en un rien de temps par ce lourd collier de bois et de métal. En temps normal, il aurait adoré courtiser cette demoiselle mais aujourd’hui, dans ces conditions, il n’en avait pas l’humeur. Alors il l’avait gentiment envoyé sur les roses avec une ironie particulièrement acide. Néanmoins, il était fort probable que la féminité de la voix eût adouci son sarcasme. Il n’avait pas vu cette jeune femme, mais il imaginait beaucoup de la gente féminine avec très peu d’éléments. Alors coincé et courbé qu’il était, c’était la seule chose qu’il pouvait faire pour passer le temps et deviner le physique de son interlocutrice venue dans son dos aurait pu devenir un jeu.
- Oh, ça va ! Je voulais juste savoir pourquoi vous étiez prisonnier ! Mais je vois que vous aimez l’humiliation publique : vous semblez l’acceptez agréablement bien. Alors je vous laisse profiter de votre petit plaisir.
- Non, attendez !
Il n’avait pas attendu que les premiers pas de la donzelle ne claquassent sur le pavé de la place toute grise de pierre pavée pour la retenir. Après tout, elle était la première personne à oser l’aborder -la plupart ayant trop d’estime d’eux-même pour oser s’approcher d’un brigand- et ... c’était une femme. Non seulement il avait enfin de la compagnie, mais en plus, elle était charmante. Enfin, il l’imaginait et en était persuadé. Le réconfort était donc double.
Elle s’arrêta, mais ne se montra pas. Elle ne parla même pas d’ailleurs, elle attendait de savoir ce qu’il lui voulait réellement
- Pardonnez ma rustrerie, vous ne me voyez pas dans mes meilleurs jours. Me feriez-vous l’insigne honneur de vous approcher de moi ? Montrez-vous, et je vous dirais tout, je vous le promets !
Il ne le voyait pas, mais ses lèvres à elle affichaient un petit sourire espiègle, doucement victorieux mais très complice. Elle avait totalement cerné le personnage.
Ses pas se rapprochaient, la tension et l’excitation montaient chez le bateleur, il en arrivait même à oublier son mal de dos. Ses lèvres à lui s’animèrent également, d’un sourire ravi.
Ce qu’il vit d’abord, fut ses bottes. Des bottines en feutrine violet de parme, avec un haut talon pour ravir ces longues jambes couvertes d’un fin collant noir qui appuyait le galbe et les sublimait. Il s’en damnait ! A mi-cuisse ondulait une robe en velour pourpre, unie mais quelques trous brodés laissaient apparaître ça et là et un bustier d’un blanc éclatant. La robe était également ornée d’une ceinture en cuir de bonne facture, lâchement portée. Aussi, les froufrous de son chemisier dépassaient des manches longues de sa robe, et aboutissaient sur deux petites mains fines fermées en poings posés sur les hanches. Certains de ses doigts étaient annelés d’or.
De ses yeux, il remontait son corps avec délice, s’attachant à chaque détail. Arrivé en dessous de la poitrine, il dut davantage plier son cou, il se cogna alors l’arrière du crâne dans le bois du carcan et son cou lui fit un mal de chien.
Il expira un râle de douleur, ce qui tira un petit rire à la demoiselle.
- Vous ... hm. Vous pourriez vous baisser à mon niveau s’il vous plaît ? Déjà pour que je voie votre joli minois et ensuite, pour que nous puissions parler face à face ...
Pour toute réponse, elle soupira, non sans un sourire amusé, piquée par la curiosité qu’était ce drôle d’oiseau. Habituellement, les détenus n’ont ni ce tact maladroit des amourettes, ni ces tenues aux couleurs chamarrées. Mais elle se mit accroupie, toujours aussi souriante.
Alors très vite, le bas de la robe commençait à descendre et à devenir un décolleté plongeant par lequel ressortaient les mêmes froufrous du chemisier à jabot. Puis apparurent un cou cerclé d’un collier de perles noires et des anglaises dans le même ton. Et enfin, une délicatesse et fine bouche rosée et pulpeuse, surmontée d’un petit nez et de deux beaux yeux verts, presque couverts par une frange toute aussi brune que les mèches bouclées qui tombaient auparavant le long de ses joues, jusqu’au ras du cou. Elle avait dans la vingtaine et faisait indubitablement partie de la noblesse.
Les yeux, les pupilles et la bouche d’Apollon s’agrandirent soudainement pendant un instant avant de se refermer aussi sec pendant un autre instant, le temps de se reprendre.
- Enchanté, je m’appelle Apollon de Linciel, pour vous servir ... normalement ...
- Enchantée, Léah, lui répondit-elle dans un sourire amusé.
- Léah ... comment ? Si je puis me permettre !
- Vous allez devoir vous contenter de mon prénom, vil voyou ! Alors, dites-moi tout, qu’avez-vous fait de mal ?
Apollon prit une longue inspiration, ainsi qu’un air triste, presque abattu.
- Eh bien ... voyez-vous ... la vie s’est jouée de moi ! Je ne suis que la malheureuse victime d’un terrible malentendu !
- Oh, mon pauvre ! le plaignit-elle ironiquement.
- Ne riez pas ! Des marins m’ont parlé de cette île, il paraît que les gens d’ici ne se dérident que très rarement, un peu comme la pierre. Alors votre humble serviteur, moi, Apollon de Linciel, me suis lancé le défi de rompre la pétrification de ses bonnes gens avec mon charme naturel et mes talents durement acquis !
- Voyez-vous ça ! Et, qui êtes-vous ? A part un détenu je veux dire ...
- Un bateleur itinérant à tout faire ! Vous voulez de la comédie ou du drame ? Du chant peut-être ? Alors je suis l’homme qu’il vous faut ! Vous voulez des prestations aussi aériennes qu’ahurissantes ? Alors donnez-moi une torche et des couteaux, et je suis l’homme de la situation ! Vous préférez discuter sérieusement de sujets complexes et compliqués ? Mais je suis là, vous dis-je !
- Et donc ?! Venez en aux faits !
- Eh bien je suis venu proposer mes services à votre reine, et après moult péripéties ...
- Oui ?
- Elle a accepté ! Elle a voulu voir l’étendu de mes talents de barde pour le repas du soir, donc elle m’a demandé de lui donner un aperçu dans l’après-midi, afin de me laisser le temps de me préparer. Alors je me suis installé en hauteur, sur les murailles, en contemplant la mer pour trouver l’inspiration. Mais la vue de ces gardes à tête de chien et de cette triste pierre érodée par les embruns ne m’inspirait que des textes cocasses. Quand j’ai commencé à chanter -n’importe quoi pourvu que l’inspiration ne vienne, un de ces gardes m’a entendu et m’a fait livrer à la reine ...
- Hahaha ! Et qu’avez-vous chanté ?
- “Votre majesté, ma Dame de Pierre / Prenez garde à ce que cette île / De roc et de sel que renferme cet enfer / Ne devienne votre chenil”. Et pourtant, je ne comprends pas ! Ce sont des rimes croisées, et non embrassées, donc point d’amour ici mais de l’attachement ! Un rappel de l’attachement qui lie la reine à son île ! C’était parfait, mademoiselle ! La construction et sa symbolique étaient parfaites ! Des rimes pauvres, certes, mais ce n’était qu’un échauffement ! Une mise en jambe !
A ces paroles sorties avec plein de bonne volonté et de peine, Léah se courba encore plus que lui pour exploser de rire. Apollon fut vexé.
- Mais voyons ! A travailler davantage la forme que le fond, vous en avez oublié l’importance du sens !
- Certes, claqua-t-il séchement, toujours aussi piqué dans son amour. Mais il n’empêche ! M’humilier publiquement est honteux !
- Oh, mon pauvre Apollon ! Ne le prenez pas comme cela ! Excusez-moi, c’était vraiment très drôle, et certainement pas à vos dépends !
Quand elle étouffa à nouveau un rire, il tourna la tête autant que le carcan le lui permettait, pour tenter de feindre qu’il était au dessus de tout cela. En vain, naturellement.
- Mais il faut bien avouer que vous réussissez à le faire tout seul ! Vous ridiculiser publiquement !
A nouveau, elle fut prise d’un fou rire sauf qu’elle prit tout de même le temps de l’embrasser sur la joue avant de disparaître de son champ de vision.
Mais même ce baiser ne put lui rendre des forces. A nouveau humilié par une femme, désirable qui plus est, il était abattu. Il se laissait choir sous son propre poids, pendouillant lourdement de son carcan.
- Comment ... Mais comment en suis-je arrivé ici ?!