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Une course, et c'est réglé... Si seulement c'était aussi simple

Parfois, on faisait de très bonnes découvertes au réfectoire de la Marine. Je mangeais tranquillement avec mes subalternes tout en discutant -enfin, en beuglant surtout- de notre voyage infructueux sur Tanuki et de ma nécessité de plus en plus urgente de rencontrer un forgeron digne de ce nom. Pour quelles raisons ? Je… Je ne les savais pas vraiment moi-même, mais j’avais cette impression que, dans un futur proche, j’allais avoir besoin de toutes les options possibles à ma portée… Même les plus extrêmes. D’après mon grand-père, ces lames pouvaient découper des forêts entières, et même le vent… Je n’étais pas forcément convaincu, mais des sabres qui coupaient ne pouvaient être que plus efficace que des sabres qui ne coupaient pas… Une logique implacable.

C’était à ce moment-là qu’un collègue, ayant entendu la conversation, vint nous demander si on connaissait le Commandant d’élite Yamamoto Kogaku. Alors que j’allais lui répondre d’un non un peu hésitant parce que ça me disait un petit truc, Iban -le médecin de la bande- fit limite tout l’état de service de cet homme de tête, effrayant un peu toute l’assemblée. Après un long silence qui suivit l’exposé, l’autre gradé enchaîna sur le fait que ce membre de l’élite possédait une forge sur Shimotsuki et que, d’après les retours des clients, les personnes, là-bas, faisaient du très bon boulot…

« M’ouais, pourquoi pas. Merci ! Je lui fis un petit signe de tête et il repartit. Vous en pensez quoi, les gars ?
- J’en pense qu’la dernière fois, j’ai failli y perdre la tête… Donc c’est sans moi.
- ‘Azy Nick, me laisse pas en plan… J’vous rappelle de ce qu’il s’est passé quand vous m’aviez abandonné ?
- Trouillard, murmura Juno dans son verre d’eau.
- De quoi ?!
- T’as bien entendu… M’sieur est commandant, mais il fait dans son froc quand il doit se balader sans ses hommes… Elle est bien belle, la Marine !
- Espèce d’enc- !
- O-on se calme ici, s’imposa timidement le médecin en se levant. Ch-chef, lâchez ce verre s-s’il vous plaît… V-voilà. Mais je re-rejoins l’avis de Ju-Juno, vous ba-baladez seul vous fera le p-plus grand bien. Il n’y a p-pas de raison que ça t-tourne mal, encore.
- M’ouais… ‘Faites chier quand même les gars. J'pensais qu'on était pote... Et, toi, insistai-je en pointant mon bras droit avec ma fourchette, tu vas prendre cher quand je vais rentrer. »

Même s’il faisait le fier en apparence, l’argenté ne mena pas très large et finit son plat dans un lourd silence.

Deux jours plus tard, seul, abandonné par mes frères, en uniforme, je me retrouvai sur les quais de cette île d'East Blue, bastion de l’enseignement du sabre et de ces valeurs. Une chose qui m’avait étonné lorsque je venais à peine de poser un pied-à-terre était que deux autres membres de la Marine, plutôt des soldats de garde, m’interpellèrent pour me fouiller. Ce qu’ils recherchaient ? Toute arme à poudre. Même si je savais qu’elles étaient interdites, j'ignorais que même les forces de l’ordre devaient se plier à cette règle. Heureusement pour moi, je n’en portais pas, m’ayant un peu renseigné un peu sur les coutumes avant de partir en voyage… Enfin, j’avais vaguement écouté la thèse de mon subordonné entre deux somnolences. Il pouvait être tellement chiant quand il ramenait sa science. M’enfin, je serais déjà mort sans lui, donc je le pardonnais.

Lorsque je pus enfin sortir du poste de sécurité, je demandai l’emplacement de cette fameuse forge et le chemin pour y arriver. Je les remerciai d’un petit signe de tête, enfournai les mains dans mes poches et suivis les indications sans faire d’écart cette fois-ci. La dernière fois que je m'étais permis de papillonner, la route s’était mise à exploser… Plus jamais ça, plus jamais. Mais je ne pouvais m'en empêcher : je flânai un peu, histoire de visiter un peu le coin. Eh bien, ça changeait pas mal de Boréa ! Au revoir la pierre et bonjour le bois en tout genre ! L’atmosphère était plus chaude, plus accueillante. En tout cas, ce village ne manquait pas d’animation : des colporteurs, des crieurs et surtout, des danseurs. Ca sentait bon…

Quand bien même l’envie d'explorer un peu plus me titillait l’esprit –notamment les dojos-, je n’étais pas là pour faire le touriste, mais pour un but précis. Je secouai très légèrement la tête alors que j'achetais une brochette de poisson et me remis en route, laissant en plan la petite dame avec sa brochette dans la main. Il ne me fallut qu’une dizaine de minutes, en marche lente, pour me retrouver devant le panneau « Forges Yamamoto & Co : à la bonne lame ». Je me stoppai devant, observant la devanture qui ne sortait pas du lot, puis mon regard se posa sur mes katanas. Un petit pincement au cœur me fit légèrement grimacer, ma main droite attrapa l’un des pommeaux et le serra… Maintenant que j’étais là, était-ce vraiment la bonne chose à faire ? Même si j’étais persuadé d’en avoir le besoin, je ne pouvais m’empêcher de me dire que j’avais encore besoin de temps pour… Mûrir. Ce n’était pas quelque chose à prendre à la légère… En descellant les lames, un serment tacite se faisait : je dédiai mon corps et mon âme en la cause à laquelle je croyais. Ah, si on me disait que j’allais prêter allégeance à la Marine quand j’étais encore petiot… Je n’en croirai pas un piètre mot.

Bon, allez… Fallait se lancer. Je pris une très longue inspiration, remis mon uniforme alors que celui-ci était parfaitement apprêté -Au bout de la cinquième fois que j’y touchais, aussi- et, rassemblant toute mon assurance, je posai lourdement ma main sur la poignée de la porte afin de l’ouvrir.
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Qu'est-ce que c'est encore que ce lunatique qui zyeute une porte sans motif ? Encore un camé, à tous les coups. Je les connais bien moi les petits trous du cul issus des beaux quartiers qui viennent s'encanailler vers des provinces exotiques pour fumer tout ce qu'ils ont à portée de bec «parce que ça ouvre de nouveaux horizons».
À celui-là, les locaux ont dû lui faire inhaler des carottes et des navets en lui faisant croire qu'il s'agissait d'une plante ancestrale chargée de stimuler la prescience. Bah il est si illuminé maintenant qu'y fixe une porte. Y'a pas à dire, les stupéfiants ça rend plus lucide.

Et - comble de l'infamie - il est en uniforme marine. Bon... y'a marine et «marine», lui il est typé régulière, donc un Jean-foutre, une déjection en bleu et en blanc, pas non plus ce que l'institution a de plus précieux à offrir.
Maintenant que j'y fais gaffe, il a des sabres à la ceinture. Et la porte qu'y regarde c'est celle d'une forge. Bon. Je veux bien lui laisser le bénéfice du doute. Mais ça reste une chiure de la régulière.
Chez Kogaku qu'y va ? Lui, il a du pognon à foutre par les fenêtres. Pour avoir bossé dans l'élite, je connais bien la réputation du Yamamoto. Sous prétexte qu'il a un meitou, y s'y connaît en sabres. Foutaises. Y sait pas distinguer la garde du pommeau.

- D'vriez pas aller ici, c'pas un établissement sérieux.

Y se retourne. L'a pas l'air si camé que ça. Pour un type de la régulière j'entends.

- C'est du travail de gougnafier et y vous font facturer les prestations quatre fois ce qu'elles valent. Kogaku, c'est juste un type un peu connu qu'a accolé son nom à celui d'la boutique pour se faire du flouze. Pas une entreprise sérieuse que j'vous dit.

L'a pas l'air convaincu. Peut-être parce que j'ai pas de sabre sur moi. Évidemment, si môssieur a besoin de ces figures d'autorité qu'ont une connerie de couteau à pain à la ceinture pour faire plus bretteur, m'étonne pas qu'y s'apprête à se ruiner chez la forge de l'autre con.

- M'appelle Derrick Oletto.

Ça c'est vrai.

- Je suis amateur et collectionneur de sabres.

Ça, ça l'est moins. Mais comme ça j'ai son attention.

- V'vous doutez bien qu'avec la tradition de sabre qu'y a ici, c'est un pas dans une boutique à touriste qu'y faut aller. Vaut mieux les vrais maîtres. Ceux qu'ont un savoir-faire ancestral, qui bénéficient d'une expertise inégalée et inégalab'.

Et qui - accessoirement - me filent une commission pour mes bonnes œuvres. Y'en a un qu'habite pas très loin du volcan et qui bosse comme informateur pour le C.P. Vu que c'est un peu mon obligé, y'a moyens de me mettre quelques milliers de berries dans la besace pour me faire un gueuleton avec le fric d'une pisseuse de la régulière. Un fric issu de son salaire. Un salaire issu du G.M. Le G.M alimenté par le C.P 2 - enfin pour ses caisses noires - en un sens, et le C.P 2 alimenté par moi, c'est le cycle vertueux de la monnaie qui s'opère.

L'a pas l'air persuadé. Tant pis, parce que je le tire déjà par le bras pour l'y emmener. J'y tiens à mon gueuleton à ses frais.

*Puru puru, puru pru*


- M'excusez un instant ? Que je lui demande en m'écartant de lui.

Qu'est-ce que le bureau a à m'appeler ? J'ai envoyé mon compte rendu de mission y'a trois heures, z'ont pas intérêt à m'emmerder parce qu'y manque une virgule ou je ne sais quoi sinon je fais grève. Escargophone sur le plat de la main, je suis prêt pour la bataille.

- Allô, allô ? Ici l'incroyable Oletto à l'appareil, astrologue extra-lucide à vot' service. Je voiiiis... je voiiiiis... qu'vous m'appelez pour me faire chier.

- C'est à propos du rapport de votre mission sur Shimotsuki agent Oletto.

Bingo.

- De ce que le directeur a pu lire, vous avez enfreint à plusieurs reprises le code de la déontologie propre à nos services.

- Le code de ?...

Eux aussi y sont allés dans des provinces exotiques pour s'ouvrir l'esprit à grand renfort de fumette ma parole. De la déontologie ? Au Cipher Pol ? J'ai tué personne en plus pendant la mission, je tue quasiment jamais. Tout ça à cause de leurs petites magouilles politiques en hauts-lieux, y'en a qui se sont dit qu'y fallait qu'on soit plus «transparents», plus «inclusifs». Ces pauvres cons. Z'ont pas pigé le principe des services secrets.
Maintenant, pour être bien dans les clous, le grand manitou au bureau va nous jouer la partition humaniste pendant deux-trois mois le temps que ça se tasse. En attendant, c'est moi qui vais douiller. Hors de question que je me fasse niquer - ne serait-ce que pour la forme - à cause d'étrons encravatés. Je travaille comme je veux, j'ai toujours fait comme ça, et le changement : c'est pas pour maintenant.

- Dites... ce s'rait pas suite à la déclaration du s'crétaire Anzieff qu'on se décide à faire du zèle «déontologique» ?

La grognasse chargée de jouer de l'intermédiation entre le bureau et les agents est blême. «Mais pas du touuuuuuuuut», «Vous n'y êtes paaaaaaaaaaaas», «Rien à voiiiiiiiiiiiir». Rien qu'à la manière dont elle cherche à s'exonérer de ma remarque, j'ai bien saisi que c'était un aveu.

- Ma p'tite dame, quand vous aurez fini d'vous foutre de ma gueule, vous lèverez votre gros cul de votre siège...

- Oh !

- ...et vous irez dire au patron que c'était moi qu'était en charge de la constitution de dossier sur les affaires de rétrocommissions y'a trois ans. Que dans les noms des personnes concernées, y'avait un certain Hartur Anzieff. Donc prière de pas me mordiller les couilles comme vous v'nez d'le faire, ça pourrait m'rendre méchant.

Et je raccroche. Ça devrait les calmer ces cons de hauts-fonctionnaires. Z'ont tendance à oublier que nous autre, le menu peuple, on est peut-être juste bon à être leurs larbins, mais qu'y nous arrive «fortuitement» de trouver des trucs étranges quand on fouille leurs ordures. Le genre de chiures qui pourrait émouvoir le public si ça venait à se savoir.
Des politiciens aux grands idéaux... je t'en foutrai. Quand le pouvoir apparent veut chercher des noises au pouvoir profond, ça se finit avec des pleurs et des grincements de dents. Sous prétexte que monsieur a appris récemment le mot «déontologie» faudrait que le monde s'arrête de tourner comme il a toujours tourné jusqu'alors. Il est bon de rappeler ces gens là à leur insignifiance.

Bref, retournons-en à nos pigeons... euh... à nos moutons.

- Le travail ?

- Oui... vous savez c'mment sont les supérieurs hiérarchiques dans l'administration.

Y sourit.

- Je ne le sais que trop bien.


Dernière édition par Derrick Oletto le Ven 6 Juil 2018 - 12:48, édité 1 fois
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Alors… Bon, comment dire ? Tout s’était enchaîné un peu trop rapidement pour que je puisse réagir de manière raisonnable et raisonnée. Alors que ma main s’apprêtait à pousser la porte, j’entendis une vive mise en garde derrière moi, me faisant limite sursauter tellement j’étais sur les nerfs. Et, avant même que je puisse faire volte-face, je me retrouvais presque nez-à-nez - à une distance respectable tout de même - avec sa source. Mon expression face à tout ça fut… Littéralement partagée : un sourcil levé et un œil limite exorbité pour démontrer ma surprise, mais aussi un air renfrogné et l’autre œil plissé témoignant d’une certaine incrédulité vis-à-vis de mon interlocuteur. Je… J’étais pris au dépourvu, je ne savais pas vraiment comment réagir… Et ma réaction ne fut que très humaine : je hochai vaguement la tête en émettant de légères approbations à chaque fin de ses phrases.

Je me laissai même faire lorsqu’il m’agrippa le bras pour le suivre : la confusion était totale. Mais, sauvé par le gong, la sonnerie de son escargophone fit raisonner la cloche de la raison qui sommeillait en moi. Pourquoi je le suivrais ? Pourquoi je le croirais ? Il m’avait certes donné son identité – qui pourrait bien en être une fausse -, mais à part ça, il m’avait sorti un argumentaire typique d’un prédateur à touriste. J’avais l’impression d’entendre les petits gamins qui escroquaient les visiteurs sur Tanuki en leur promettant l’un des plus beaux élevages de moutons Angora aux couleurs de l’arc-en-ciel, aussi léger qu’une plume et virevoltant aux grès des brises pour une poignée de berries… Et je tairais les raisons de ma connaissance de ce discours.

En tout cas, ce fameux Derrick n’avait pas la langue dans sa poche : même si je n’avais pas le contexte derrière cette discussion, quelques petits rires m’échappèrent lorsqu’il se montrait assez mordant. J’étais peut-être un peu trop bon public… Mais j’aimais bien les personnes qui ne mâchaient pas leur mot.

Après cet appel distrayant et ce malgré aucune raison valable, je lui fis signe d’ouvrir la marche et lui emboîtai le pas tout en gardant une certaine marge de sécurité : assez loin pour voir venir un coup de couteau, mais assez près pour ne pas lui laisser le temps de dégainer un flingue. En plus, la retraite n’en serait que plus facile si les choses tournaient mal.

« M’en veuillez pas d’être légèrement méfiant, précisai-je quand même afin de ne pas paraître malpoli, mais malgré votre approche bienveillante afin de m’éviter de me faire arnaquer, j’ai un peu d’mal à faire confiance aux gens qui viennent m’aborder dans la rue sans prévenir. C’est l’métier qui veut ça… »

Oui, je n’étais pas confiant. Oui, mon cœur voulait sortir de ma cage-thoracique pour m’enfuir directement de cette île. Et oui, je me disais que quelque chose allait merdait quelque part. Mais bon, ce n’était pas pour ça que je devais rester sur le qui-vive à tout bout de champ. Et bon, peut-être que, pour une fois, tout fonctionnerait sur des roulettes ! Fallait se montrer positif.

Tout d’abord, histoire de déchirer un peu le malaise que j’apportais en suivant en silence mon guide qui m’amenait vers la base du volcan, je décidai d’ouvrir la conversation :

« Et sinon… C’est lucratif astrologue extra-lucide ? »

Et là… C’était le blanc. Il s’arrêta, me lança un regard par-dessus son épaule sans aucune vibration de ses lèvres et laissa planer un silence extrêmement pesant. Un sourire crispé naquit sur mon visage, ma main gauche se déploya machinalement derrière ma nuque pour la gratter nerveusement et un rire gêné filtra entre mes lèvres.

« Nan, mais… Je faisais référence à votre phrase quand vous avez décroché… Et j’avais trouvé ça amusant… Et… Nan, laissez tomber. »

Bravo… Je venais de passer pour un abruti qui se voulait être drôle parce qu’il était beaucoup trop tendu. Intérieurement, je m’applaudissais lentement, très lentement, histoire d’accentuer ce sentiment de désespoir. Au bout de plusieurs longues secondes où le temps semblait s’être arrêté, nous reprîmes la route et je m’étais un peu plus rapproché - plutôt, je gardai toujours la même distance, mais je me mettais un peu plus à sa hauteur -. Et c’était à ce moment-là que quelque chose me frappa : je ne m’étais pas du tout présenté, alors que lui, si. Mais bordel, quel abruti ! Tu m’étonnes qu’il me prenne pour un con.

Je brisai alors mes précautions et tendis une main vers lui.

« ‘Scusez moi, j’étais tellement surpris qu’j’avais oublié d’me présenter. Kagami Kan, heureux d’vous rencontrer. »

Après une bonne poignée de main, je me sentis un peu plus détendu.

« J’peux vous demander un truc ? D’après votre avis d’expert, vous en pensez quoi des sabres que j’ai autour de la ceinture ? M’enfin, j’imagine qu’ils sortent un peu de l’ordinaire pour vous, sinon vous m’auriez pas arrêté devant cette forge, si ? À moins que… »

Je plissai légèrement les yeux.

« Vous arrêtiez toutes les personnes qui s’apprêtent à entrer chez le Commandant d’élite… Mais pourquoi ? »

Je commençai limite à ne plus rien voir à force d’voir l’air soupçonneux.

« Vous… Vous avez quelque chose contre lui ? »

Pourquoi il faisait tout noir d’un coup ?

« Il a piqué un sabre que vous vouliez pour votre collection, c’est ça ? »

Je finis par me dérider et posai mes deux mains derrière la tête.

« M’enfin bon… D’toute façon, j’m’en fous ! »

Sans aucun arrière pensé, je décrochai l’un de mes katanas et le présentai à Derrick… Alors que je ne le connaissais pas et que c’était un trésor familial. Pourquoi je faisais ça ? En toute honnêteté, je ne pensais pas que c’était un mauvais gars… Et de toute façon, j’étais sûr de pouvoir le rattraper s’il tentait de prendre la fuite. Non, ce n’était pas à cause de son embonpoint ! Enfin… Quoi que… Si, totalement en fait. Putain… C’était moche d’avoir des aprioris comme ça.

« Faites gaffe, il est un peu lourd. Et n’essayez pas… De l’ouvrir. »

Je ne pus même pas terminer ma phrase que l’amateur de sabre tenta de sortir la lame de son fourreau, sans succès. Il essaya plusieurs fois, dans de multiples positions, mais rien n’y faisait. C’était comme si le tout avait fusionné à l’intérieur. Légèrement dépité, il me le rendit avec un certain dédain et me gratifia d’un petit commentaire tout à fait sympathique :

« C’est d’la camelot’ vot' sabre… Vous n’pourriez même pas vous en sortir avec d’quoi vous payer un couteau à beurre. A quoi ça vous sert d’vous balader avec ce genre de truc ? C’est pour la frime ? »

Je pouffai légèrement en le rattachant.

« J’m’en doutais… Pour ça que je vais voir un forgeron. »

Je reposai tranquillement mes mains derrière la tête, satisfait. Au moins, comme ça… J’étais sûr qu’il n’allait pas me le piquer.

« Sinon… On en a encore pour longtemps ? »
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Qu'il est pressé le monsieur. Bavard aussi. Qu'est-ce qu'il a à poser toutes ces questions ? L'est de la marine ? Ah bah... oui, remarque, l'uniforme tend à indiquer que... bon.
Marine ou pas, faut pas me cuisiner comme ça. Déjà, ça m'énerve. Y parle pour ne rien dire, nerveusement qui plus est, juste histoire de meubler. Y'en a à qui le silence fout la pression, alors y ressentent le besoin compulsif de faire du bruit pour le fuir. Peuvent pas apprécier le calme, la quiétude, la sérénité de la nature ? Non, faut brailler. Bah braille, que veux-tu que je te dise.
Et en plus, y demande si ça peut pas aller plus vite. Mais ta journée mon grand, tu vas la gâcher quoi qu'il arrive, alors autant que ça soit en faisant quelque chose de constructif. C'est pas une lumière mon lampion. Pas faute de lui avoir dit que mon forgeron y se trouvait en aval du volcan. Le volcan, le gros truc devant nous qui s'élève bien haut, qu'on peut pas louper même si on le voulait. Je vous jure.
Bon après... faut que je sois indulgent. C'est juste un sous-off de la régulière, faut pas trop lui en demander. C'est déjà bien qu'y sache marcher et parler en même temps. Y continue comme ça à se la couler douce pendant plusieurs années et y finira commodore. Au moins.

À bien y réfléchir, si je fais desceller ses gros couteaux là, con comme il est, y va finir par se couper. Sûrement pour ça qu'y z'ont été scellés à la base. Sa maman a dû demander au forgeron du coin de mettre une protection enfant histoire qu'y s'ampute pas comme un neuneu.
Bon après, c'est son affaire. Du moment que je touche l'oseille, y peut s'insérer ses lames dans l'orifice de son choix, pu mon problème.

- C'est là-bas, où y'a la fumée.

- La fumée ? Qui me demande.

Putain, c'est pu de l'arriération mentale à ce stade, y'a de la cécité aussi. Faut que je lui montre du doigt pour qu'y capte bien.

- Oui, j'avais bien vu, mais c'est normal toute cette fumée ?

Le plus dur c'est de se retenir de le cogner. Qu'il est bête, mais qu'il est bête.

- J'vous cacherai pas que les forges ont un four reliée à une ch'minée par où passe la fumée, donc... non, rien d'anormal.

- Et les flammes, c'est normal ?

Y croit qu'elle vient d'où la fumée ?! «Y'a pas de fumée sans feu» ça lui dit rien ? Toute une éducation à refai... ouh la vache, mais c'est vrai qu'y a le feu !
De là où je me trouvais, je pouvais pas trop voir, mais maintenant que j'ai capté par la fenêtre, c'est distinct et limpide : je peux voir les flammes crépiter dans la casbah. Un petit coup de Soru et je fuse comme une flèche jusqu'à la porte en mettant deux-cent mètres dans la vue de mon pigeon. Voilà que je me crame la pogne en essayant de me saisir de la poignée. En fer évidemment, forgeron oblige. Tant pis, je la défais de ses gonds d'un bon coup de talon. De toute façon, la baraque est foutue, alors une porte de plus ou de moins...
J'ai eu beau espérer que mon indic soit pas à l'intérieur, que l'incendie ait eu lieu justement parce qu'il surveillait pas son four comme y fallait, mais en le voyant étendu au milieu de tout son barda, j'ai bien capté qu'il avait dérouillé. Avec un établi sur le dos pour bien le garnir, je le récupérerai pas indemne et sans séquelle. Bon, au moins maintenant, je suis fixé : c'était pas un accident.

Kad me rejoint enfin. Débonnaire, y se rue bille en tête sur l'établi pour le bouger. Petite bite va, attends donc que papa Oletto vienne te filer un coup de main.

- Nom de...

D'une main qu'y le porte ! La carne ! On aurait dit qu'y soulevait une plume. L'a pas mis le moindre effort. Qu'est-ce que c'est encore que ce gugusse ? Me demanderai ça plus tard, pour l'instant, je chope mon forgeron et je me carapate dehors. Pas que l'hospitalité laisse à désirer, mais mes poumons commencent un peu à accuser le coup à force que se remplir de fumée.
Une bonne petite toux pour me décrasser le dedans, et je m'allume un cigare par dessus. Pour le goût.

- Est-ce qu'il va bien ?

Mains dans les poches, j'en extirpe une pour ôter le barreau de chaise d'entre mes lèvres et je donne un léger coup de menton en la direction du corps de mon employé, étendu à même la plaine où le vent balaie les brins d'herbe et attise les flammes d'une forge qui se consume.

- Aussi bien qu'peut aller un mort.

Si c'est pas malheureux... du petit personnel comme ça, faut que ça se recrute, que ça se forme... la poisse.
Enfin non, je peux pas dire que le mauvais sort y soit pour quoi que ce soit. Y'a eu de la malveillance.
Pendant que je scrute ce qui fut mon indic local en m'engouffrant le cigare dans le bec une fois de plus, je me mets à penser. Je me mets à penser que ça pue la merde cette histoire. Voilà un type que je croise une fois, deux fois l'an, je me rends chez lui de manière exceptionnelle et c'est précisément quand je vais lui rendre visite qu'y survient un drame pas permis ? Drôle de hasard.
Sauf que dans ma branche d'activité, le hasard il est provoqué. Y'a quelqu'un qui savait que je me rendais ici et qu'a voulu me couper l'herbe sous le pied. On aurait liquidé Shokuma parce qu'y savait quelque chose ? Naaaaan....
Le cas échéant, y savait comment me contacter par escargophone.

La forge, elle est isolée du reste de l'habitat urbain de Shimotsuki. À perte de vue, y'a rien qu'une prairie avec une herbe jaunie par le soleil, une herbe que personne n'a coupée depuis des lustres. Nous, on est arrivé ici par un petit chemin de terre - lui aussi mal entretenu. On est loin de tout et mon petit camarade peut même pas appeler des renforts. Y'a pas de garnison sur cette île de sauvages. J'ai beau vouloir rester impassible, j'ai déjà grillé la moitié de mon cigare à force de tirer dessus comme un damné.
Et c'est là que Kad recommence à blablater. Sauf que cette fois, y dit pas que des conneries.

- Vous n'avez pas l'impression d'être... observé ?

Ouais. J'ai beau balayer du regard les environs encore et encore, y'a rien ni personne à des kilomètres à la ronde ; mais le merdeux a raison, on nous épie. Pire que ça. J'ai l'impression qu'on veut qu'on sache qu'on est observés.
On aurait buté Shokuma pour m'atteindre ? Pour jouer avec mes nerfs ? Mais qui ? Et comment surtout ?
Comment celui qu'a fait ça aurait pu savoir que ce con de forgeron bossait pour moi ?
Comment y savait que j'allais lui rendre visite ?
Et surtout... comment l'a fait pour se barrer sans laisser de trace ?

Merde de merde. Plus je me pose les questions, plus je sens poindre la réponse. Et elle me fait guère plaisir.
La bleusaille se penche sur le cadavre pour l'inspecter. Je lui en veux pas, y fait celui qui sait pour m'impressionner. Faut dire qu'utiliser le Soru sous son nez a dû lui indiquer que j'étais plus ou moins de la maison. Plutôt moins que plus. En tout cas, l'a pas encore posé de question à ce sujet. Comme quoi, même pour une pipelette, y doit savoir quand se taire.
En enlevant les vêtements du petit vieux desséché, on finit par comprendre que c'est pas l'établi qu'a eu sa peau. Un genou à terre devant sa découverte, Kad passe le doigt sur les blessures présentées à lui.

- Qu'est-ce que c'est que ces impacts ? Y'a aucune balle dedans, mais on pourrait y glisser un doigt.

J'éteins mon cigare l'air de rien pis je le range de l'étui d'où je l'ai sorti pour le terminer plus tard. Un doigt qu'y dit l'autre...
Qui est-ce qu'est capable d'avoir le réseau de renseignement suffisamment élaboré pour savoir que je me rendais chez Shomuka, por l'assassiner d'un impact de la circonférence d'un doigt et en plus capable de se tirer comme un voleur sans laisser de trace ?

- Cette sale pute... que je peux m'empêcher de soupirer.

Les lèvres pincées, les yeux plissés, j'ai bien pigé de quoi il en retournait. Cette morue du bureau a contacté le CP 5 !
Bon, à sa décharge... je dois bien dire que menacer un secrétaire d'État du G.M avec des dossiers compromettant, ça peut rendre nerveux. Le moins qu'on puisse dire c'est que leurs agents sur place ont pas chômé. Des méticuleux ? Naaaa. Des vicieux. Un méticuleux y serait resté en ville en patientant le temps qu'y faut pour me plomber par derrière au moment où j'aurais été seul dès que l'occasion se serait présentée.
Eux ? Y me narguent et y m'observent. Z'ont le profil à jouer avec les nerfs de leurs proies, le genre de félin qui joue des heures avec la souris avant de finalement la bouffer. Que je sois en compagne d'un marine qu'a rien à voir dans l'histoire ? Visiblement, y s'en foutent. Pas l'idée du double assassinat qu'a l'air de les rebuter.

- Vous avez dit quelque chose ?

- Nan. Ah, si... Pourriez appeler des collègues à vous pour qu'y viennent enquêter ?

Y me regarde drôlement.

- Ce serait une ingérence, je peux pas me le permettre. Mieux vaut contacter les autorités locales.

Les autorités locales d'une île non alignée.... Si j'étais un planqué du bureau, c'est justement là où je placerais mes agents. Si je lui dis «non», y va se douter de quelque chose. Mais au point où on en est, mieux vaut que je le mette au parfum. Un type qui soulève un établi d'une main en se grattant les couilles de l'autre, ça peut être utile quand on a des assassins aux miches.

- Savez c'que c'est le Shigan ?

Je pige bien à son regard qu'y me trouve de plus en plus suspect. L'a beau ne pas être finaud, quand y'a des forges paumées au fin fond de la cambrousse qui se mettent à flamber avec dedans des bonhommes troués de partout, y doit bien se douter de quelque chose.

- Oui... c'est un art martial enseigné prioritairement au sein du Cipher Pol et qui permet d'effectuer une attaque perforante d'un d...

Y blanchit.

- Monsieur Oletto...

Puis, y devient soudain plus alerte.

- J'aimerais savoir ce que vous faites dans la vie.

C'est interdit de dire à qui que ce soit qu'on est du CP. Interdit de le dire, mais pas de le sous-entendre. Soyons légaliste, mais pas zélé.

- Disons.... que je n'suis qu'un humble fonctionnaire qui sait ce qu'est le Shigan.


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"Et qui pratique le Soru..." Ne m'empêchai-je de rajouter en faisant rouler mes yeux.

Mais pour qui me prenait-il celui-là ? Il pensait vraiment que j'allais le croire ? Avec son cigare et son air pas si triste pour un sou pour la mort de l'une de ces connaissances. Un humble fonctionnaire... Et moi je suis amiral en chef. Depuis quand les simples travailleurs du bureau connaissaient - et surtout pratiquaient ! - les techniques spéciales du gouvernement mondial. L'air passablement renfrogné, énervé, je le dévisageai sans le cacher. Il pouvait me cracher sa fumée au visage, je ne sourcillai pas. Je finis par lui rétorquer en me redressant tout en observant tout autour de moi :

" Eh bien... On est dans une sacrée merde, humble fonctionnaire Derrick... Enfin, je dis on : je dirais plus vous... Parce que je pense n'avoir rien à faire dans cette histoire. Je vous laisse avec vos affaires internes... Je n'ai pas envie que l'on ne me prenne pour l'une de vos relations, vu comment elle finisse..."

J'ajustai ma tenue, remontai mes deux sabres accrochés et lui fit une légère révérence pour signaler ma sortie. Je jetai tout de même un dernier regard vers l'atelier en feu ainsi qu'au pauvre forgeron dont la seule erreur était sans doute d'avoir été la connaissance d'un honnête contributeur du gouvernement. Malheureusement, je n'étais pas vraiment triste pour sa mort non plus, j'étais juste... Désabusé. Ma venue sur cette île n'avait que pour seul but de voir un forgeron pour desceller mes armes... Je n'aurais jamais dû le suivre... Pourquoi même lui avais-je emboîté le pas ? Parce qu'il m'avait pris de court ? Qu'il m'avait traîné sur quelques mètres et après m'avait pourtant lâché ? Non... Je cherchais sans doute inconsciemment que quelque chose se passe, qu'une perturbation vienne pimenter ce voyage de courtoisie. Je devais sans doute être attiré par les emmerdes...

Je pris une longue bouffée d'air afin de faire redescendre un ma tension et, enfournant les mains dans mes poches, je tournai le dos à Derrick et me pris la direction de la ville, fixant toujours un point fixe afin de ne pas donner des idées aux possibles personnes qui nous épiaient. Cette sensation d'être observé, traqué, de ne même pas pouvoir bouger le petit doigt sans que quelqu'un ne le voie... Je détestais ça. J'avais l'impression d'être de retour au dojo, sous la complète surveillance des membres de ma famille. J'étais limité, oppressé. Une seule envie m'animait : sortir d'ici... De toute façon, les renforts risqueraient d'arriver dans l'instant... À moins qu'ils interprètent cette fumée comme une banalité, un simple témoin d'une possible activité volcanique et rien de plus. Nonchalamment, je sortis une main de mes poches pour la lever, adressant quelques derniers mots à mon guide :

« Au plaisir de ne plus jamais vous recroisez ! »

Certes, je devrais sans doute rester pour expliquer la situation aux renforts et aussi parce que c'était mon devoir, mais je tenais tout de même à ma vie et quelque chose me disait que camper cette position n'était pas forcément la meilleure chose à faire.

Cependant - et il fallait s'en douter - on ne me laissa pas la chance de m'enfuir sans rien dire : à peine avais-je mis un pied à la lisière du bois que, en un battement de cils, une personne sortit de l'ombre et apparut devant moi sans émettre le moindre son, ni déplacer la moindre poussière. Il ne m'a fallu qu'une seconde pour réagir, une simple seconde : j'effectuai un bond de retraite afin d'y mettre le plus de distance entre nous deux, me retrouvant aux abords de l'homme au cigare et du forgeron décédé. Alors que je donnais sans doute l'impression d'avoir réagi un peu trop excessivement, je m'effondrai genou à terre, une main plaquée au niveau de mon pectoral gauche où un liquide rouge, chaud, coulait en trombe au sol.

Putain ! Une douleur effroyable irradiait dans tout mon corps, m'arrachant un cri de douleur. Je n'avais même pas eu le temps de comprendre ce qu'il s'était. J'avais juste ressenti quelque chose qui m'avait transpercé ! Ça faisait un mal de diable ! C'était comme si... on m'avait tiré dessus à bout portant, sans les brûlures. J’pariai que si quelqu’un m’auscultait, il arriverait à la conclusion que « l’arme » qui m’avait infligée ça, était la même qui avait tué ce pauvre forgeron… Un doigt ! Bon, heureusement pour moi, il avait l’air d’avoir loupé le cœur, mais de peu… Non, ces gens-là n’étaient pas du genre à louper ni à épargner. Si j’avais réagi un poil plus tard, j’aurais été refroidi sans même avoir pu bouger un petit orteil.


« Bordel… ! Criai-je, à moitié étranglé par la douleur, plantant mon regard dans celui de Derrick. J’crois que j’ai trouvé l’arme du crime… Elle m’a traversé ! Je tendis ma main qui pressait ma blessure, couverte de sang. Vite, donnez-moi un couteau que j’la prélève… Bah ouais, j’peux pas la découper moi, enchaînai-je en lui montrant mes katanas toujours scellés, VU QUE LE FORGERON EST MORT PUTAIN ! »

Bon… La colère, la douleur et la surprise me faisaient peut-être perdre la raison. J’essayai de me relever tant bien que de mal, chancelant comme un zombie. Du calme… Respire un bon coup, ce n’était pas la première fois que tu te retrouvais dans cet état-là Kagami. La main toujours sur le cœur, je balayai une nouvelle fois l’orée de la forêt histoire de capter le moindre mouvement, mais rien, que dalle… À croire qu’ils faisaient une partie de cache-cache et attendaient patiemment que l’une de leurs proies – nous – montre des envies d’évasion pour la cueillir tel une pomme sur son arbre. Dans ce genre de situation… Je ne savais pas trop comment m’en sortir, mais ce dont j’étais assuré… C’était que les ruines derrière nous allaient sans doute être notre porte de sortie. Enfin… Si tout se déroulait sans accroc.

Je me tournai une nouvelle fois vers mon compagnon d’infortune, m’approchai de lui pour lui chuchoter une demande :

« Vot’ moyen d’vous déplacer là… Le Soru. C’est fait pour déplacer plusieurs personnes ? Parce que, d’mon côté, j’ai une p’tite botte secrète qui pourrait nous ouvrir la voie… Mais j’aimerais savoir si j’vais devoir courir ou pas. Enfin… Si j’cours, j’donne pas cher de ma peau, déjà qu’elle ne vaut pas grand-chose maintenant qu’elle est trouée…
- J’ai jamais testé…
- Eh bien, il y a un début à tout ! »

Lentement, mais sûrement, je me dirigeai vers l’atelier en ruine du pauvre décédé et me plantai juste devant l’un des murs. Respirant profondément, j’apposai mes cinq doigts sur ce dernier et je fis apparaître un gros bouton… Et un petit sourire sur mon visage. Je n’avais jamais vraiment essayé de faire cela avant… Mais tout avait une première fois. J’appuyai avec force et volonté sur ce bouton, enclenchant mon emprise sur le bâtiment entier : deux étages, d’une forme rectangulaire et faisant d’une largeur respectable pour une construction en plein milieu d’un bois. Je sentais le regard incrédule du fonctionnaire et, afin de le faire patienter, lui répliquai :

« Vous allez pas en croire vos yeux… Ah, je crois que c’est bon ! »

Un déclic se fit entendre, signe que ma zone d’effet venait de se fixer. Je m’accroupis alors entre la limite du mur et du sol et, non sans problème à cause de ma blessure, je décollai l’atelier du sol. Des gravats tombaient ça-et-là, Derrick devait sans doute les esquiver… Mais je ne déviai pas de mon but. Dans un cri de rage, je tournoyai sur moi-même, décrochant par la même occasion des morceaux de bétons qui s’écrasèrent sur les arbres, et je finis par lancer mon poids juste devant moi, rasant un bon morceau, ce qui - j’espérais – obligerait à nos assaillants de sortir de leur cachette.

« C’est le moment !!! Hurlai-je en direction de Derrick, en espérant qu’il ne m’oublie pas »
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Ah bah, ça a fait du vacarme, ça, ça fait pas un pli. Impressionnant, je dis pas. Mais putain, ce que c'était inefficace. Y s'est dit qu'il allait envoyer des gros trucs assez loin. Grand bien lui fasse. Moi j'aime bien un bon cigare après le repas, lui, l'aime envoyer des trucs lourd pour que ça fasse du bruit. Je respecte. C'est totalement con, mais je respecte.

Parce qu'y s'est rien passé en fait, l'a juste salopé la plaine dans laquelle on se trouve en foutant des débris partout. Je sors un mouchoir pour me couvrir le nez à cause de la poussière soulevée pis je dis rien. Y'a pas grand chose à dire en fait, c'est même gênant de le voir comme ça, tout penaud. C'est qu'il avait l'air sûr de lui au début, l'avait une idée précise de ce qu'y faisait. Bah quoi que ce fut, ça a queuté. Et sévère.
L'ose pas trop croiser mon regard. Ah ça, tu peux avoir honte mon con. Faut quand même que quelqu'un brise le silence, ne serait-ce que pour ménager son estime de lui-même. Pauvre petit père, va.

J'allais lui dire un truc bateau, le genre de phrase toute faite qu'on sort à un chiard quand y s'est pissé dessus «C'est pas grave», «T'as fait de ton mieux» pis y'a l'escargophone qui m'interrompt dans ma lancée. Pas de refus, ça me fait un prétexte pour repousser cette discussion bien malaisante qui nous attend.
Un peu que je m'empresse pour répondre.

- Vous voilà calmé ?

Calmé ? C'est l'autre greluche de tout à l'heure qui m'a mordillé les glawynes avec ses histoires de code de la déontologie. Elle manque pas d'air cette sale fille de chacal.

- Moi ? Calmé ? Mais c'mment que je pourrais l'êt', me v'là occupé à rédiger un rapport.

L'a l'air de jubiler de l'autre côté du combiné, avec sa petite voix de secrétaire ascendante pimbêche, la voilà qui essaie en plus de me prendre de haut.

- Ne serait-ce pas le rapport que je vous ai demandé relatif à notre discussion sur le code de la déontologie ?

- Naaaaaa, ce serait plutôt un rapport adressé à des collègues au C.P 4.

L'escargophone devient un peu plus blanc. Je crois que j'ai touché un nerf sensible.

- C'est dingue quand même, dès qu'on commence à leur dire que des membres du C.P 5 ont été aperçus en train d'mettre un p'tit coup de Shigan à un officier de marine, les types commencent à s'agiter drôlement. Me demande jusqu'où remont'ra l'enquête. Z'êtes toujours là ?

Elle me répond timidement que «oui». Enfin... elle est là sans être là. Pour peu que je tende l'oreille, je pourrais l'entendre se faire dessus. La garce. Elle croyait qu'elle pouvait faire jouer ses relations au sein des différents bureau pour me crever ? Mais c'est sans compter sur la roublardise du sieur Oletto. Sur sa roublardise et son bouclier humain officier de marine. Ah, c'est sûr... c'est pas très élégant comme méthode. Mais ça marche. Et au fond, j'en demande pas plus.

- Un bon conseil ma p'tite caille....

Tiens, je boufferais bien de la caille au dîner.

- Vous rappelez vos molosses, pis le rapport partira pas. Avec l'prix du timbre poste d'nos jours, ça fera ma fortune. Pis vos impératifs déontologiques, tout ça... vous les rédigez pas écrit pis vous vous torchez avec. Hein ? On fait c'mme ça ?

L'a l'air plutôt réceptive à mes arguments. J'aurais pu lui demander de danser la lambada à poil sur Aeden avec un sigle du G.M sur la fesse droite qu'elle l'aurait fait. C'est que je suis plutôt persuasif dans mon genre. Si j'avais été un tout petit peu plus con, j'aurais pu faire une belle carrière politique. L'est jamais trop tard.

Et ainsi, me voilà lavé de tous soupçons. Sur ce, je sers la main à Kat qui pisse un peu le sang - faudrait qu'y soigne ça d'ailleurs, m'enfin ce que j'en dis, et ce que j'en ai à foutr' surtout - pis j'y dit qu'en fait, la boutique de Yamamoto, c'est peut-être pas une si mauvaise idée pour desceller ses sabres. Une tape dans le dos dans le registre «sans rancune pour les désagréments» pis je lui fausse compagnie. Notre séparation est brutale, sans ambages, mais j'ai une caille à aller bouffer, ça n'attend pas.
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Bon… Bah… J’aurais essayé, au moins. Ce que je pensais être un coup de génie ne fut qu’un coup d’épée dans l’eau, de l’esbroufe… Ca n’avait servi à rien ! C’était l’autre-là, Derrick, qui désamorça la situation comme si de rien n’était avec un nouvel appel de son escargophone. La discussion, c'était le cadet de mes soucis, parce que, là, je pissais le sang… Et pas qu’un peu. Putain ! Pourquoi fallait-il qu’à chaque altercation je me fasse trouver comme un fromage ? Et mon tout nouvel uniforme… Foutu ! Le blanc immaculé fut remplacé par un rouge foncé sur une grande surface qui avait pour centre un trou d’une pièce de dix berries. Je devrais peut-être aller faire vérifier cela, j’avais un peu peur des fissures…

Et voilà que l’humble fonctionnaire se barrait après une petite tape dans le dos… En laissant le cadavre de sa connaissance en plein air, comme ça… Aucun respect. Eh bien… Je n’allais pas vraiment en avoir non plus pour lui : alors qu’il s’éloignait en direction de la vie, je tendis un bon doigt d’honneur… Que je rentrai très rapidement lorsqu’il – sans doute alarmé par ses pouvoirs de fonctionnaire du gouvernement – jeta un dernier regard par-dessus son épaule. Je fus pris d’une crise de sifflement aigüe, regardant à l’horizon tout en me tenant le pectoral gauche. Il y avait des moments comme ceux-ci où je devrais sans doute réfléchir avant d’agir, cela m’éviterait pas mal de désagréments.

Biensûr, alors que mon compagnon d’infortune s’éloignait, une troupe de marine prit sa place, alerté par tout ce vacarme qu’avait été le jet de bâtiment. Ils me retrouvèrent assis, à côté du forgeron, la peau livide à cause de l’hémorragie. Ma tête tournait, ma vue se brouillait. Je ne comprenais pas vraiment ce qu’il se passait… J’entendais qu’on me parlait, mais je ne captais rien. Je sentis juste que deux personnes me manipulèrent, passant mes bras au-dessus de leurs épaules, afin de me transporter. Avec le reste de lucidité que j’avais, je tendis le doigt vers le macchabée et murmura :

« Le… Laissez pas là… »

Avant de perdre connaissance, à bout de forces… Pour me réveiller le lendemain à l’infirmerie de la garnison. Bien entendu, à peine perçus-je la lumière du soleil qu’on m’interpella pour, dans un premier temps, me demander comment j’allais et, le plus important, savoir ce qu’il s’était passé la veille. Eh bien… Je pourrais quand même avoir cinq minutes pour émerger ? Et... Mes sabres, où étaient-ils ? Bon, c’était tout à fait normal que je ne les porte pas aliter, mais j’avais peur qu’ils les eussent rangés quelque part, mais je fus rassuré de les voir poser au sol, juste au pas du lit. L’envie de ne pas répondre me traversa l’esprit… Et resta. Avec un sourire franc et sincère, j’inventai une petite histoire afin de passer sous silence cette altercation fortuite avec les hommes du gouvernement. J’avais l’air d’être assez crédible, au vu de l’expression de mon interlocuteur, à moins qu’il soit formé à feindre la crédulité.

Après cela et malgré les contre-indications du docteur, je sortis du bâtiment de la Marine avec un nouvel uniforme et me dirigeai enfin vers mon premier objectif dont j’avais été détourné : la forge du Commandant d’élite Yamamoto Kogaku. Parce que, merde, je n’allais pas partir de cette île pourrie sans au moins desceller mes katanas. J’arrivai là-bas, expliquai ma situation, leur confiai le trésor familial et me baladai le temps qu’ils fassent leur job. Après cinq bonnes heures à creuser une tranchée devant la boutique, je récupérai mes biens… Assez allégés, trop allégés même. D’après les dires du forgeron en chef, les fourreaux avaient perdu de leur résistance à cause de la fonte du revêtement qui protégeait les lames… Ce qui voulait dire que je ne pourrais sans doute plus me battre comme je le faisais… Eh merde, je n’y avais pas pensé à cela ! Bon, il fallait tout apprendre à nouveau… Fais chier. Tant pis, aller… Je payai le prix dû et pris le premier bateau pour retourner sur North Blue, histoire d’oublier complètement cette île… Et une question, LA question me traversa l’esprit :

Pourquoi je les avais descellés déjà ?
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