Ils n'avaient pas fière allure à se bâfrer comme ils le faisaient au milieu de la faune de l'Akooda-bar qui, elle, n'était pourtant déjà pas bien reluisante. Pour les trois Blattards ainsi attablés, ce ragoût épais et sans saveur avait le goût du caviar. Si on aurait pu les croire rescapés d'un naufrage, il n'en était rien. Contraints de quitter Myriapolis dans la précipitation, Joe et consorts n'avaient pas même eu le temps de faire quelques emplettes, ne serait-ce que pour s'approvisionner.
Bien que le stock de nourriture fut en principe suffisant pour la semaine de traversée qu'ils avaient subit, c'était sans compter sur les capacités de gestion du cafard. À bord, ils avaient ramené six esclaves du royaume arachnéen - constituant une des raisons pour laquelle leur départ s'avéra pour le moins subit - et, afin de s'assurer que la marchandise ne dépérisse pas au cours de la traversée, Greed avait décidé que la pitance reviendrait en priorité à tout ce qui portait des chaînes et avait vocation à être vendu aux enchères. «Le jeûne fait très bien ressortir tes pommettes», «On ne voit presque plus tes bourrelets», «Manger, toujours manger... vous êtes si matérialistes mes pauvres enfants», tout y était passé pour justifier auprès de ses subordonnés la privation de nourriture durant sept jours. Lui n'en avait cure, son métabolisme conféré par le fruit du scorpion lui permettait de tenir sans manger ou boire des semaines entières.
Cela dit, puisque rien n'était trop beau pour son équipage, il avait dépensé sans compter - ou si peu - afin de les nourrir dès leur arrivée. Près de cinq-mille berries furent investis. Une somme folle quand on connaissait ses tendances à la parcimonie excessive dans la dépense de ses ressources financières. Du ragoût second choix servit à profusion et l'engeance blattarde revenait à la vie.
Entre deux bouchées de son repas infect mais nourrissant, Rowena émit quelques réserves quant à leur santé retrouvée.
- Capitaine, je crois que Mahach a attrapé le scorbut.
Sans trop - ni même un peu - se sentir concerné pour la vie de son premier matelot, Joe raclait le fond de son assiette pour ne pas perdre une goutte de sa becquetance.
- Ch'est bien, ch'est bien. *gulp* C'est comme la varicelle, faut l'attraper quand on est môme et après on en est débarrassé.
Il n'était pas nécessaire d'avoir un regard médical particulièrement affûté pour observer que le punk virait anémique outre-mesure. La scientifique de la bande commanda des citrons derechef en comprenant bien qu'elle ne pourrait rien attendre de son capitaine ou même du malade qui semblaient agir comme si de rien était.
- Dis Joe, Croq'dur y va pas crever comme ça à fond d'cale sans rien avoir becqu'té d'puis une semaine ?
Sévère mais juste, quoiqu'un peu rancunier, Joe avait confiné le poiscaille de son équipage dans le quartier des esclaves du navire. L'avoir eu sur le dos sur Myriapolis n'avait que trop irrité ses nerfs et surtout manqué de causer leur perte à plusieurs reprises.
- Mais non. S'il avait si faim que ça, il aurait fini par s'auto-cannibaliser depuis le temps.
Logique imparable pour un sociopathe de premier ordre. Sociopathe qui venait de laisser sur la table une assiette si propre qu'elle scintillait. Il fallait croire que la radinerie le poussant même à rentabiliser jusqu'à la dernière goutte de ragoût avait aussi ses vertus.
Le cafard en était maintenant à se balancer sur sa chaise, cure-dent enfoncé jusqu'aux molaires à regarder Mahach manger des citrons avec la peau.
- Bon, messieurs... qu'est-ce t'as à encore grogner Clown ? Il est temps de causer avenir.
Déglutissant ses agrumes en affichant un visage renfrogné, le punk se ravisa après avoir avalé pour lui répondre dard-dard :
- Si c'est pour me causer mariage Joe, j'suis flatté mais j'ai déjà une situation hahaha !
Scorbut ou pas, Mahach fut récompensé de sa remarque par une assiette en terre cuite venue s'écraser contre son nez. Ceci étant fait, Greed put en revenir aux choses sérieuses rapidement. Rares seraient les occasions où ils pourraient discuter posément sans qu'Elijah ne vienne les gêner à tout bout de champ, il fallait donc rentabiliser ce temps précieux qu'il avait présentement à disposition. Avec Joe, il fallait toujours rentabiliser.
- Bon, à l'ordre du jour, faudra qu'on revoie le Jolly Roger et ensuite qu'on discute investissements.
Telle une éclipse solaire, cette occasion de pouvoir mendier quelques accommodations aux frais de la princesse ne se représenterait pas avant le siècle prochain.
- Et discuter de la redistribution du butin ?
Certains, certaines surtout, aimaient tirer le diable par la queue. Celle du cafard était réputée pour être gorgée de venin.
- Non, non... J'ai décidé à l'unanimité que ça allait très bien comme ça.
- Si vous avez décidé tout seul capitaine, alors ne n'est pas à l'unan....
Rowena ne poursuivit pas sa remarque bien que celle-ci relevait du bon sens. Il y avait dans le regard du cafard une incitation claire à ne pas persévérer dans ses doléances. Cela se manifestait par une lueur terne dans des yeux plissés surplombant un nez retroussé et quelques spasmes nerveux pour agrémenter le tout. Scientifique de renom, Rowena savait pertinemment qu'il n'était pas sage d'agiter un flacon de nitroglycérine pour voir si cela faisait des bulles. Il n'y aurait donc pas revendication sociale chez les Blattards et c'est la mort dans l'âme que le punk garda dissimulée sa banderole syndicale.
- Alors, j'écoute ce que vous avez à me....
- AH OUAIS ?! TOI.... *hips* TOI T'ES ROI ?!! Eh bah... eh bah dans c'cas bah... moi j'suis pape Wahahahaha ! Quesse tu dis d'ça ?!
- UN PEU QUE J'SUIS ROI *burp* Dis-lui Floyd, dis-lui à l'aut' commandeur des croyants d'mes deux comment que j'suis bien une majesté et tout.
Big Willy, patron de la bicoque et ancien marine réajusta ses lunettes noires avant d'abattre violemment ses deux énormes pognes sur le bar qui le séparait des zouaves.
- Ça fait trois fois que je te dis que je m'appelle pas Floyd. Appelle-moi comme ça encore une fois... juste une fois...
Il était inutile de conclure la menace quand on dépassait le quintal et demi. Joe s'imaginait que la salutaire intervention du taulier suffirait à faire descendre en gamme les poivrots du dimanche, mais ceux-là haussèrent le ton, aussitôt repartis à déblatérer sur un certain «Molotov».
Ce que l'on concevait bien s'énonçait clairement, et on ne concevait bien qu'à condition que personne ne dégueule des ramassis d'inepties à hauteur de 120 décibels le tout à deux mètres de ses oreilles. Puisque concevoir il fallait, Greed quitta sa chaise, les yeux rivés sur l'irritant duo. Il leur fondit dessus lentement, comme savourant le chemin qui le mènerait à un état silence prononcé qu'il savait acquis dans quelques secondes.
Tirith, le plus petit du tandem était encore celui qui braillait le plus fort en dépit de sa constitution de vieillard chétif. Son casque à cornes semblait aussi bon marché que la jambe de bois bouffée par les mites qui pendait le long du tabouret sur lequel il était assis. À côté de lui, Kola le toisait de haut derrière ses lunettes de soleil. Il avait le profil de ces vieux-beaux misant sur le paraître à défaut d'être vraiment. Coiffure improbable, musculature taillée artificiellement grâce aux haltères, la superficialité débordait de chaque pore de ce pape autoproclamé.
Ils jactaient, ils éructaient, rien autour d'eux ne semblait avoir d'importance si ce n'était leur godet qu'ils remplissaient avec une assiduité exemplaire. Mais sous peu, le cafard saurait tempérer leur manque de savoir-vivre. On n'entendrait bientôt plus leurs insanités d'ivrognes. La confrontation avec le corsaire était imminente, fatale. Sans crier gare, ce dernier fit interruption entre les deux compères et leur adressa cette requête qu'ils n'auraient jamais soupçonné, mettant fin à des heures de beuverie insouciante.
- Excusez-moi, vous pourriez parler moins fort s'il vous plaît ?
Tout capitaine corsaire qu'il fut, cela ne sembla pas intimider les deux hommes. Il leur en fallait plus qu'un freluquet de sa stature venu leur chier dans les godasses pour les impressionner. Il voulait le silence, eh bien il allait voir ce qui arrivait quand on avait le culot de leur intimer le silence.
- Ouais, bien sûr. S'cusez-nous, on n'avait pas fait attention.
Sur cette joute, Greed s'en alla retrouver ses camarades afin de reprendre où ils en étaient restés.
- Et alors, ça vient ces putains de suggestions ?!
Bien que le stock de nourriture fut en principe suffisant pour la semaine de traversée qu'ils avaient subit, c'était sans compter sur les capacités de gestion du cafard. À bord, ils avaient ramené six esclaves du royaume arachnéen - constituant une des raisons pour laquelle leur départ s'avéra pour le moins subit - et, afin de s'assurer que la marchandise ne dépérisse pas au cours de la traversée, Greed avait décidé que la pitance reviendrait en priorité à tout ce qui portait des chaînes et avait vocation à être vendu aux enchères. «Le jeûne fait très bien ressortir tes pommettes», «On ne voit presque plus tes bourrelets», «Manger, toujours manger... vous êtes si matérialistes mes pauvres enfants», tout y était passé pour justifier auprès de ses subordonnés la privation de nourriture durant sept jours. Lui n'en avait cure, son métabolisme conféré par le fruit du scorpion lui permettait de tenir sans manger ou boire des semaines entières.
Cela dit, puisque rien n'était trop beau pour son équipage, il avait dépensé sans compter - ou si peu - afin de les nourrir dès leur arrivée. Près de cinq-mille berries furent investis. Une somme folle quand on connaissait ses tendances à la parcimonie excessive dans la dépense de ses ressources financières. Du ragoût second choix servit à profusion et l'engeance blattarde revenait à la vie.
Entre deux bouchées de son repas infect mais nourrissant, Rowena émit quelques réserves quant à leur santé retrouvée.
- Capitaine, je crois que Mahach a attrapé le scorbut.
Sans trop - ni même un peu - se sentir concerné pour la vie de son premier matelot, Joe raclait le fond de son assiette pour ne pas perdre une goutte de sa becquetance.
- Ch'est bien, ch'est bien. *gulp* C'est comme la varicelle, faut l'attraper quand on est môme et après on en est débarrassé.
Il n'était pas nécessaire d'avoir un regard médical particulièrement affûté pour observer que le punk virait anémique outre-mesure. La scientifique de la bande commanda des citrons derechef en comprenant bien qu'elle ne pourrait rien attendre de son capitaine ou même du malade qui semblaient agir comme si de rien était.
- Dis Joe, Croq'dur y va pas crever comme ça à fond d'cale sans rien avoir becqu'té d'puis une semaine ?
Sévère mais juste, quoiqu'un peu rancunier, Joe avait confiné le poiscaille de son équipage dans le quartier des esclaves du navire. L'avoir eu sur le dos sur Myriapolis n'avait que trop irrité ses nerfs et surtout manqué de causer leur perte à plusieurs reprises.
- Mais non. S'il avait si faim que ça, il aurait fini par s'auto-cannibaliser depuis le temps.
Logique imparable pour un sociopathe de premier ordre. Sociopathe qui venait de laisser sur la table une assiette si propre qu'elle scintillait. Il fallait croire que la radinerie le poussant même à rentabiliser jusqu'à la dernière goutte de ragoût avait aussi ses vertus.
Le cafard en était maintenant à se balancer sur sa chaise, cure-dent enfoncé jusqu'aux molaires à regarder Mahach manger des citrons avec la peau.
- Bon, messieurs... qu'est-ce t'as à encore grogner Clown ? Il est temps de causer avenir.
Déglutissant ses agrumes en affichant un visage renfrogné, le punk se ravisa après avoir avalé pour lui répondre dard-dard :
- Si c'est pour me causer mariage Joe, j'suis flatté mais j'ai déjà une situation hahaha !
Scorbut ou pas, Mahach fut récompensé de sa remarque par une assiette en terre cuite venue s'écraser contre son nez. Ceci étant fait, Greed put en revenir aux choses sérieuses rapidement. Rares seraient les occasions où ils pourraient discuter posément sans qu'Elijah ne vienne les gêner à tout bout de champ, il fallait donc rentabiliser ce temps précieux qu'il avait présentement à disposition. Avec Joe, il fallait toujours rentabiliser.
- Bon, à l'ordre du jour, faudra qu'on revoie le Jolly Roger et ensuite qu'on discute investissements.
Telle une éclipse solaire, cette occasion de pouvoir mendier quelques accommodations aux frais de la princesse ne se représenterait pas avant le siècle prochain.
- Et discuter de la redistribution du butin ?
Certains, certaines surtout, aimaient tirer le diable par la queue. Celle du cafard était réputée pour être gorgée de venin.
- Non, non... J'ai décidé à l'unanimité que ça allait très bien comme ça.
- Si vous avez décidé tout seul capitaine, alors ne n'est pas à l'unan....
Rowena ne poursuivit pas sa remarque bien que celle-ci relevait du bon sens. Il y avait dans le regard du cafard une incitation claire à ne pas persévérer dans ses doléances. Cela se manifestait par une lueur terne dans des yeux plissés surplombant un nez retroussé et quelques spasmes nerveux pour agrémenter le tout. Scientifique de renom, Rowena savait pertinemment qu'il n'était pas sage d'agiter un flacon de nitroglycérine pour voir si cela faisait des bulles. Il n'y aurait donc pas revendication sociale chez les Blattards et c'est la mort dans l'âme que le punk garda dissimulée sa banderole syndicale.
- Alors, j'écoute ce que vous avez à me....
- AH OUAIS ?! TOI.... *hips* TOI T'ES ROI ?!! Eh bah... eh bah dans c'cas bah... moi j'suis pape Wahahahaha ! Quesse tu dis d'ça ?!
- UN PEU QUE J'SUIS ROI *burp* Dis-lui Floyd, dis-lui à l'aut' commandeur des croyants d'mes deux comment que j'suis bien une majesté et tout.
Big Willy, patron de la bicoque et ancien marine réajusta ses lunettes noires avant d'abattre violemment ses deux énormes pognes sur le bar qui le séparait des zouaves.
- Ça fait trois fois que je te dis que je m'appelle pas Floyd. Appelle-moi comme ça encore une fois... juste une fois...
Il était inutile de conclure la menace quand on dépassait le quintal et demi. Joe s'imaginait que la salutaire intervention du taulier suffirait à faire descendre en gamme les poivrots du dimanche, mais ceux-là haussèrent le ton, aussitôt repartis à déblatérer sur un certain «Molotov».
Ce que l'on concevait bien s'énonçait clairement, et on ne concevait bien qu'à condition que personne ne dégueule des ramassis d'inepties à hauteur de 120 décibels le tout à deux mètres de ses oreilles. Puisque concevoir il fallait, Greed quitta sa chaise, les yeux rivés sur l'irritant duo. Il leur fondit dessus lentement, comme savourant le chemin qui le mènerait à un état silence prononcé qu'il savait acquis dans quelques secondes.
Tirith, le plus petit du tandem était encore celui qui braillait le plus fort en dépit de sa constitution de vieillard chétif. Son casque à cornes semblait aussi bon marché que la jambe de bois bouffée par les mites qui pendait le long du tabouret sur lequel il était assis. À côté de lui, Kola le toisait de haut derrière ses lunettes de soleil. Il avait le profil de ces vieux-beaux misant sur le paraître à défaut d'être vraiment. Coiffure improbable, musculature taillée artificiellement grâce aux haltères, la superficialité débordait de chaque pore de ce pape autoproclamé.
Ils jactaient, ils éructaient, rien autour d'eux ne semblait avoir d'importance si ce n'était leur godet qu'ils remplissaient avec une assiduité exemplaire. Mais sous peu, le cafard saurait tempérer leur manque de savoir-vivre. On n'entendrait bientôt plus leurs insanités d'ivrognes. La confrontation avec le corsaire était imminente, fatale. Sans crier gare, ce dernier fit interruption entre les deux compères et leur adressa cette requête qu'ils n'auraient jamais soupçonné, mettant fin à des heures de beuverie insouciante.
- Excusez-moi, vous pourriez parler moins fort s'il vous plaît ?
Tout capitaine corsaire qu'il fut, cela ne sembla pas intimider les deux hommes. Il leur en fallait plus qu'un freluquet de sa stature venu leur chier dans les godasses pour les impressionner. Il voulait le silence, eh bien il allait voir ce qui arrivait quand on avait le culot de leur intimer le silence.
- Ouais, bien sûr. S'cusez-nous, on n'avait pas fait attention.
Sur cette joute, Greed s'en alla retrouver ses camarades afin de reprendre où ils en étaient restés.
- Et alors, ça vient ces putains de suggestions ?!