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Nécessité des agents, contingence

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- Qu'est-ce que c'est ?

Affichant un air emprunté face à celui interdit de Jaros, le jeune soldat n'arriva pas à répondre; sans doute le ton très froid qu'on lui servait ne l'aidait pas. Il posa donc son fardeau devant lui, et partit un peu précipitamment en rougissant, récoltant les gloussements de ceux présents dans l'infirmerie de la garnison. Le groupe d'hommes aux crânes rasés - ici pour panser les blessures superficielles récoltées lors de l'assaut de l'entrepôt - surtout, s'esclaffèrent bruyamment. L'un d'eux se plia de douleur à cause de cette hilarité trop prononcée, ne faisant que motiver celle de ses camarades; l'un deux en tomba presque à la renverse.

Jaros avait toujours oublié de reboutonner sa chemise, ou plutôt ce qu'il en restait, sur son maigre torse. Sa peau y paraissait plus pâle et nacrée que jamais, à coté du blanc cassé des bandages à son épaule et à son flanc. Refermant distraitement son vêtement, il en nota au passage l'état lamentable. Il venait à peine de récolter sa paie, et revenait pour reprendre l'ensemble de ses affaires, et... il ne savait trop qu'en faire, si ce n'est les jeter. Insensible donc au comique de la situation, le jeune homme, l'esprit préoccupé mais la curiosité reprenant le dessus, regarda le petit tas bien plié qu'on venait de lui apporter. *C'est pas sérieux ça quand même...*

Le petit matelot avait posé sur la couchette du jeune homme ce qui semblait être des vêtements. Prenant la pile, un coup suffit à confirmer au jeune homme la chose. Une chemise grise au col droit, une veste anthracite - au col droit lui aussi - d'aspect strict mais raffiné, un pantalon assorti, et plus étrange encore, une lavallière d'un profond vert émeraude. Incrédule, Jaros les regarda sans rien faire quelques secondes, entendant à peine lorsqu'on l'interpella.

- Jolies sapes ! Tu t'fais rincer par tes p'tites admiratrices mon gars ?

Les rires reprirent de plus belle, à tel point que même le vagabond ne put les ignorer. *Fermez-là...* Retournant prestement et prudemment les vêtements, il chercha la moindre trace suspecte, quelque chose laissé dans les poches, dans les coutures, une épingle coincée quelque part, n'importe quoi. Il allait abandonner lorsque quelque chose l'interpella. Un petit morceau de papier, même pas dissimulé, simplement dans une poche de la veste. Levant la chose, Jaros se demanda l'espace d'un fol instant si... *Non, ce serait complètement ridicule, pourquoi ferait-elle ça...*

Mais non, pas trace du patronyme honni de la mafieuse folle, rien. Pas même le "M" de sa Famille. Amelia Manicelli, malgré la démence perverse qui la caractérisait et l'intérêt tout personnel qu'elle avait porté au jeune homme, n'avait pas laissé sa trace. N'y était sans doute pour rien, finalement. Seule l'humiliation subie avait orienté Jaros vers cette piste, mais à présent...

Levant la petite feuille cartonnée devant ses yeux, le jeune homme regarda au travers à la lumière du matin qui passait par les fenêtres de l'infirmerie. Rien, là non plus. La diminution soudaine du bruit autour de lui le fit changer brutalement son regard de cible. Un homme, la démarche fluide, s'avançait dans l'infirmerie, recueillant des œillades curieuses. Plantant ses yeux dans les siens, Jaros murmura entre ses dents.

- C'est vous n'est-ce pas...

Hector Hohenstein, évidemment affublé de son sourire ténu, vint droit au jeune homme. Ses mains croisées dans son dos, il s'arrêta à quelques pas, jeta un petit regard éloquent aux vêtements dépliés à coté d'eux.

- N'est-ce pas à la bonne taille, finalement ? Avez-vous vérifié, jeune homme ?
- Vous...

Voilà qui le prenait de court, sur l'instant. Un tel aplomb, un tel calme rassurant, sans être mielleux ni excessif, comme si tout ce qui ne relevait pas de la bonhomie était illégitime d'emblée. Jaros se reprit aussi vite qu'il put, mais le début de colère qui avait éclos en lui avait été soufflé par cette simple phrase. Tant mieux, il se devait de jouer le jeu avec sérénité, au moins en surface. C'est l'esprit bien plus calme qu'il répondit donc. Ce petit échange ne rimait cependant à rien, pour lui. Il était clair à ses yeux qu'Hohenstein était responsable de ce cadeau inattendu, mais s'il ne voulait pas l'admettre directement, le jeune homme ne pouvait que prendre cela pour un aveu.

- Ce que je veux vérifier en premier lieu, c'est ce que l'on cherche à accomplir en me donnant cela. Jeter une tenue neuve serait un gâchis sévère, dans ma situation, après tout.
- Ce serait fâcheux, en effet.
- Vous en convenez donc. Peut-être est-il temps de vous expliquer alors ?

Ses propos étaient accompagnés du ballet délicat des mains de Jaros, pliant les vêtements à nouveau avec précaution. Le regard - accompagné d'un petit sourire - adressé à l'homme chauve donnait à la question une teinte faussement innocente; volontairement fausse. Sûr que jamais Hohenstein ne se tromperait là-dessus, le jeune homme jouait à un jeu qu'il ne maîtrisait que peu.

- Au vu de votre situation, il m'a semblé que ce geste était aussi léger pour moi que salutaire pour vous. Si vous voulez me rembourser, jeune homme, j'ai encore la note du tailleur.

Une réponse fort ambivalente pour le vagabond, qui se figea. *Il... Il se fout de moi, c'est pas possible...* Sa fierté fut si piquée sur l'instant qu'il le sentit physiquement, comme une myriade d'aiguilles grattant son crâne d'affreuse manière. Se faire humilier de la sorte - en finesse qui plus est - fissurait dangereusement la contenance du jeune homme, en plus de lui faire perdre la maîtrise fébrile qu'il avait sur ses paroles. Soudain il lâcha la pile de vêtements, sa main volant pour repousser du bout des doigts une mèche un peu trop près de son œil. Jaros ouvrit la bouche, et s'exprima avec un petit temps de décalage.

- Allons... Réglons ça, puis allons ailleurs, voulez-vous ? Nous devons parler.
- Je vous conseillerais tout de même de vous changer, une chemise en lambeaux et ensanglantée ne doit pas être des plus confortables.

Avant qu'Hohenstein ne finisse sa phrase, le jeune la retira d'un coup sec, rageur, arrachant les quelques boutons qui restaient, avant d'en faire une boule aussi dense que possible et la jeter parmi les bandages sales dans le bac qui gisait aux pieds de son lit. Son torse blanc et glabre lui sembla si rachitique et fragile d'aspect, dans la lumière ténue de l'infirmerie, qu'il en fut fasciné, presque gêné. On lui tendait ladite note, qu'il prit et régla en piochant dans les liasses de sa toute récente paie, avant de prendre le paquet de vêtements neuf et jeter un regard à l'armurière - ou infirmière - qui suivait l'échange à distance. Elle tourna la tête et indiqua d'un petit mouvement du menton un coin servant aux opérations délicates, disposant d'un rideau opaque.

- On fait sa timide mon gars ?

Loin de goûter à l'humour des mercenaires qui gloussèrent à la remarque de l'un d'entre eux, Jaros se retourna vers leur petit groupe, et les toisa d'un air glacial. Mis à part les cicatrices, les blessures et leurs vêtements - et leur crâne rasé approximativement-, ils étaient vraiment tous les mêmes, à croire que tous faisaient partie d'une fratrie de sextuplés. La même peau burinée, le même nez busqué, même gabarit ramassé... Ou était-ce le temps passé ensemble à vivre les mêmes choses et travailler en petite équipe qui les avaient modelés ainsi ? En tout cas leur humour peu cordial n'était pas trop du goût du jeune homme.

Après la "blague", tous s'étaient esclaffés gaiement. Captant l'intense et dure froideur dans les yeux du maigrichon, l'un d'eux, diplomate, fit un petit signe de la main à ses comparses, affichant tout de même un sourire canaille que Jaros ne goûta pas plus. *On s'est passé le mot pour se foutre de moi aujourd'hui, décidément...* L'impératif de faire quelque chose pour renverser la situation tiraillait le jeune homme. Rien de très élaboré ne venait, cependant. Il s'avança donc et attendit que leur hilarité se tarisse.

- Oh ça va, t'vas pas jouer la filette, c'pour s'marrer un peu !
- Je voulais juste vous remercier pour ce que vous aviez fait ce matin, vous six.
- C'pas la peine. On est rodé, 'vec mes frangins. Machel, qu'on s'appelle.
- Jaros Hekomeny.

Ce disant, le jeune homme avait tendu la main. Un peu intrigué, la crapule figea son sourire torve, semblant  souffleter entre ses chicots en touches de piano - alternant le blanc cassé jaunissant avec un brunâtre prononcé - un rythme saccadé. *Un tic, peut-être ?* Il se redressa, peut-être las d'avoir à se dévisser autant le cou pour répondre au regard de Jaros, et sa paume caleuse claqua contre celle du vagabond, alors qu'il lui serrait la main de vigoureuse manière. Le jeune homme lui rendit de plus vigoureuse façon encore, arrachant avec une joie primaire le sourire de sa face mate et barrée d'une cicatrice. Ceci fait, il se retourna et, attrapant au passage la pile de vêtements neufs, alla droit au rideau, qu'il tira derrière lui. Les éclats de rire reprenaient, plus ténus, mais il n'en avait cure à présent.


Dernière édition par Jaros Hekomeny le Jeu 29 Nov 2018 - 11:20, édité 2 fois
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Tâtant précautionneusement ses blessures bandées, il fut rassuré de leur état; tout cicatrisait sainement et avec une grande vitesse. Enfiler la chemise ne lui prit pas longtemps, mais Jaros marqua un petit temps d'arrêt, surpris. La taille était parfaite, la coupe impeccable, même pour sa morphologie, de la longueur des manches à celle du torse, en passant par la largeur des épaules, des hanches, et la circonférence de la taille. Légèrement cintrée, elle lui allait comme un gant. *Vu le prix, il y avait intérêt, mais qu'est-ce que...*

Sensations désagréablement contradictoires, entre la satisfaction très primaire et épidermique d'avoir enfin un vêtement frais, neuf et bien coupé sur soi, et une irritation tout aussi épidermique vis à vis de sa provenance. *Entre un foutu gosse endimanché et une soubrette à qui on aurait acheté un tablier tout neuf...* Un diptyque bien vilain, puisque l'un ne faisait que nourrir l'autre dans sa malsaine énergie.

Sentant quatre piqûres sur sa paume, Jaros se rendit compte qu'il se mettait à serrer les poings à s'en ouvrir la peau avec les ongles. Il s'arrêta de suite, et se frotta les mains, lentement, calmement. S'il ne s'était jamais considéré comme particulièrement solide, ces derniers jours lui faisaient amèrement réaliser avec quelle facilité certains sujets pouvaient lui faire perdre son sang-froid, stimulant une colère rapide et particulièrement malvenue.

Le jeune homme, regardant la lavallière avant de la nouer avec un peu d'hésitation autour de son cou, ne put s'empêcher de penser qu'Hohenstein l'avait forcément vu. Il n'avait pas pu ne pas prévoir la réaction du vagabond, au moins grossièrement. Méfiant, Jaros privilégia d'emblée l'hypothèse de la manœuvre bien intentionnelle. Regrettant de n'avoir de quoi voir si son nœud en demi-ruche était bien fait, il l'estima réussi, les pensées toujours prises.

*On voudrait me rendre plus manipulable par ce biais peut-être ? Drôle de stratégie, si c'est le cas... Merde.* Sa fierté ainsi piquée, il devenait certes plus prévisible, mais c'était tout, à ses yeux. Le jeune homme n'avait rien de mieux - ou plutôt de pire - à supposer sur le moment, ce qui n'était pas très satisfaisant. Enlevant son vieux pantalon, il enfila le nouveau, sans surprise tout aussi bien coupé. Ce qui l'irritait, en un sens, c'était le fait que cette tenue venait en effet à point nommé. Qu'elle touchait juste, également; un style qu'il affectionnait, indéniablement.

- On aime semer le trouble hein...

La prudence était la meilleure arme qu'il puisse avoir, en l'occurrence. Respirant profondément, Jaros poussa le rideau, réajustant de l'autre main son col de chemise, et vit qu'Hohenstein s'était déplacé jusqu'au seuil de l'infirmerie. Prenant le reste de ses effets au passage, qui remplirent les poches internes de sa veste, le jeune homme le rejoint. Dans son esprit, les interrogations et frustrations encore bien présentes étaient mises en sourdine. Il se tendait, plus encore peut-être que le matin-même, avec l'assaut. Il sentait encore le contrecoup de ce dernier, mais n'en réalisait pas pleinement l'étendue.

- Je pense que nous pouvons y aller ?
- Bien, si vous voulez bien me suivre, jeune homme.

Malgré sa voix égale, Jaros ne se sentait pas du tout en confiance. Ne prêtant aucune attention aux sifflements moqueurs des ruffians, il suivit Hohenstein à l'extérieur, après avoir capté le regard indéchiffrable de l'armurière. Elle semblait trouver la situation pas tant risible qu'étrange, au vu de son expression. *Je ne sais même pas son nom, d'ailleurs...* Hésitant à le lui demander, le jeune homme se ravisa avant de sortir de l'infirmerie.

Quelques nuages paresseux masquaient sporadiquement le soleil, rendant la luminosité fluctuante. Belle et douce journée à Manshon, mais les événements du matin la teintaient d'un voile plus trouble, pour Jaros. Il se laissa brièvement aller à vagabonder en esprit sur le sujet, tout en suivant Hohenstein sur le dessus des remparts.

Aucun mort du coté de la garnison, pas même dans les rangs des franc-tireurs, voilà qui relevait presque du miracle, au vu de la fusillade confuse. *Quoique, d'un coté les moyens mis en oeuvre étaient plus que conséquents...* Plus d'une centaine d'hommes mobilisés pour moins du quart en nombre de mafieux, le résultat n'était peut-être pas si étonnant, après tout. Restait un drôle de sentiment à ce sujet. C'était comme si cet entrepôt n'avait pas été très défendu, pas assez. Jaros n'aurait pas été étonné si on lui avait dit que la majorité de la marchandise illégale n'était déjà plus là lorsqu'ils avaient pris le contrôle de l'endroit. Quoi qu'il puisse en être, peu probable que le jeune homme connaisse le fin mot de l'histoire, et il en avait bien conscience. Pour le moment...

- Je vous en prie, jeune homme.

On l'invitait à s'asseoir; une petite table et deux tabourets étaient posés là, dans ce coin du rempart qui s'apparentait à un poste de guet. Sur quatre piliers dans la directe continuation des murets, un toit simple les protégeait du soleil. Jaros se permit un sourire en coin. Le recruteur semblait vraiment user de l'endroit comme bon lui semblait, avec une désinvolture assez incroyable. En s'asseyant, le jeune homme tenta de faire parler Hohenstein sur le sujet, ou plutôt tâter le terrain quant à son bon vouloir. Il avait encore en tête la manière qu'avait ce petit homme de prendre le contrôle de la parole, en douceur mais avec un brio enrageant.

- Le Colonel semble soit en bon soit en très mauvais terme avec vous.
-Nous nous connaissons bien. Corazon et moi avons débuté ensemble, et nos chemins n'ont jamais totalement divergé.
- Oh, pourriez-vous m'en dire un peu plus ?

La question n'était qu'à moitié de pure forme, mais si Jaros n'aurait pu dire si l'on voulait qu'il creuse ainsi ou non, il lui fallait continuer de sonder son interlocuteur. L'anticipation de ce qui suivrait nécessairement était aiguë et très présente dans son esprit, et dictait entièrement sa conduite présente. Non pas qu'il sache vraiment ce qu'il voulait, vis à vis de la proposition qu'on lui avait fait miroiter, mais... Ce qui importait était le rapport de force. Bien artificiel et changeant, il fallait cependant bien se l'avouer.

- Nous avons faits nos armes au CP1. La diplomatie et la gestion de l'information constituaient nos occupations principales. Mais au bout d'un temps...
- Cela ne vous a plus suffi ? Ou vous avez eu un différend ?
-... Oui, plus ou moins. Nos perspectives nous ont amenés à faire les choix qui nous ont amené ici.
-Perspectives parallèles bien mais distinctes l'une de l'autre, donc. Ce n'est pas de votre initiative que vous êtes venu à Manshon, si ?

Hohenstein marqua un léger temps d'arrêt avant de répondre. Attentif et presque fébrile de curiosité, Jaros assimilait chacune information avec une faim dévorante. Il aurait bien apprécié d'avoir plus de précisions quant aux différents pôles, mais force était de constater que ce n'était pas du tout le moment. Il avait donc continuer d'interroger l'instructeur. La question qu'il venait de poser, un peu impulsivement, avait été motivée par la légère hésitation de son interlocuteur. Sans non plus se leurrer au point de croire qu'il avait trouvé de quoi le déstabiliser, ce n'était plus le petit homme chauve qui menait la danse, à parler ainsi de lui. Ce format n'allait cependant pas pouvoir durer longtemps.

- J'ai fait remarquer que le recruter serait difficile. Corazon est aussi fin qu'il peut être borné.
- Vous avez donc baissé les bras devant son entêtement ?
- Au contraire, jeune homme. J'ai simplement changé d'objectif.


Dernière édition par Jaros Hekomeny le Jeu 29 Nov 2018 - 11:26, édité 5 fois
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A la manière dont Hohenstein posait son ton en fin de phrase, le jeune homme perçut le message sous-jacent et n'insista pas de suite. On l'invitait à ne pas le faire, après tout. Il dévia donc à nouveau légèrement.

- Par hasard, mon nom ne vous était pas déjà familier ?
- Pourquoi donc cette question, jeune homme ?
- Oh, trois fois rien, juste une impression que j'ai eu, quand je me suis entretenu avec le Colonel.
- En ce qui me concerne, je n'ai pas une bonne mémoire des noms. Vous devriez lui demander directement.

Un petit sourire bref, bien évidemment, ponctua cette réplique. Le sujet retomba à plat et laissa place à un silence qui filait droit vers le gênant. Jaros ne voyait rien de pertinent à rajouter; il se surprenait surtout de l'implication émotionnelle que révélait sa déception, l'obligeant à consciemment et consciencieusement garder sa contenance. Au vu de la tension qui l'habitait, ce genre de réaction émotive n'était pas si étonnante, certes, mais cela ne l'aidait en rien à prendre ses aises. Le jeune homme se força donc à continuer, d'un ton toujours égal, presque monocorde maintenant.

- Hum... Il m'a l'air bien trop précautionneux pour répondre à une telle question, surtout avec quelqu'un comme moi en face de lui.
- Ce n'est pas tant la question que la réponse qui importe, jeune homme. Vous ne croyez pas ?

Plissement de sourcils irrépressible - très ténu cependant - de Jaros. *C'est quoi ça... On joue avec les répliques sibyllines, maintenant ?* Par réflexe, il tenta de garder la discussion continue, et chercha à reformuler. En parallèle, ses méninges s'activaient, au bord de l’écueil de l'erratique.

- Ce qu'on cherche est une réponse, pas une question... Tant que... Hum, la réponse est la bonne, disons, oui.

Frustré, le jeune homme venait de comprendre ce qu'on voulait lui signifier, et sentait comme un grincement dans le fond de son crâne. Difficile de ne pas prendre les paroles du chauve pour une douce condescendance à son égard, surtout dans un tel contexte. Autant un conseil qu'une mise en garde moqueuse sur ce qu'il pouvait révéler à ses dépens... *Une information peut tout aussi bien être obtenue par des moyens détournés. Pourrait le dire sans me faire passer pour un idiot...* Que ce soit à cause du contrecoup de l'assaut mené tout récemment, ou de son inexpérience caractérisée, Jaros se sentit en cet instant purement et simplement pris de court. Une volonté bien présomptueuse que celle qu'il avait pu avoir. Vouloir mener la danse avec Hohenstein ne se faisait pas si aisément.

Revint en mémoire au jeune homme une réflexion du Colonel Corazon, qui l'incita à continuer la discussion. L'ébauche d'une stratégie lui venait à l'esprit, et si ce n'était guère élaboré, la chose avait le mérite de s'extirper du piège mental dans lequel il se dirigeait autrement.

- Pour revenir au CP, je suis curieux. Vous vous déplacez toujours à plusieurs, lors de vos missions ?
- Je vais vous faciliter la tâche, jeune homme. Non, il n'est pas là pour recruter. Le reste, je ne peux pas encore le divulguer.
- Vous vous montrez bien sûr de votre affaire, décidément.

Le ton de Jaros s'était un peu asséché, malgré lui. Cette manière très confiante, presque paternaliste, qu'avait le recruteur de le traiter dans cette situation, se heurtait à la fierté du jeune homme. Les vêtements qu'il portait lui pesaient sur la peau, tant la manière dont ils étaient arrivés à lui le piquait dans son orgueil. Pour un peu, il aurait refusé purement et simplement le geste.

Il avait en tout cas eu une réponse, qui stoppait d'un trait net toute exploration possible du coté de ce mystérieux "petit camarade", comme l'avait qualifié Corazon la veille. Ou plutôt, qui la reléguait à un futur hypothétique, complaisamment envisagé comme probable. Et recentrant du même coup la discussion sur ce pourquoi ils étaient là, à échanger poliment assis sur le rempart de la garnison. Jaros ne se sentait pas plus apte à bien aborder le sujet, malheureusement.

Son esprit avait au moins pu se concentrer un peu plus sur le moment présent, et mettre en sourdine le reste. Passant une main pâle dans ses cheveux pour chasser quelques mèches de son œil gauche, il se permit quelques secondes de calme avant de continuer. Restait encore beaucoup d'interrogations, trop pour tout aborder. A coté de lui, Hohenstein regardait d'un air serein les quelques nuages passant au dessus de la ville, cet air distant mais vaguement serein, bénin, plus visible que jamais. Une idée germant dans son esprit, Jaros tenta d'approcher sous un nouvel angle, cherchant cependant avant tout à récolter des informations.

- Si je comprend bien le parcours du Colonel, il est donc possible de quitter le Cipher Pol, tout simplement ?
- Question rhétorique, jeune homme ? Tout n'est que question d'informations, ici.

On jouait à son jeu bien gentiment, complaisamment même. Au vu de l'aimable condescendance avec laquelle il avait été traité jusque là, Jaros ne s'attendait pas à autre chose. *Comme la mafia hein, on ne quitte que dans la mort, et encore...* Restait que son orgueil faisait un sursaut à chaque fois. Surtout que, par ces quelques derniers mots, Hohenstein laisser entrevoir - du moins aux oreilles méfiantes du jeune homme - une menace très peu plaisante. On lui donnait des informations qui n'étaient absolument pas bénignes, ici. De là à y voir un piège se refermant sur lui pour le laisser dans un "choix" qui n'en était plus un, il n'y avait qu'un pas, qui n'était pas franchi pour autant.

- La vôtre l'est, en tout cas. Mais tout de même, tant de casquettes sur la même tête... Comment l'aviez-vous dit, déjà ? "Une plus grande marge de manœuvre mais un plus grand encadrement" ? Une élaboration ne serait pas de trop.
- Vous avez décidément une bonne mémoire, jeune homme, pour me citer ainsi !

Jaros s'attendait à une suite, mais l'homme s'arrêta là pendant une seconde puis deux... *Qu'est-ce qu'il fout... Il cherche à me faire m'impatienter, m'éconduire, il trouve ne pas ses mots, il simule ?* Supposant un peu à tout va, le vagabond se garda bien de faire ou dire quoi que ce soit, et attendit simplement. Cinq secondes, dix secondes... La situation allait devenir gênante quand, comme si de rien n'était, le recruteur reprit la parole.

- Corazon n'est pas le meilleur exemple; les affaires des autres pôles ne me regardent pas, et le CP1 est derrière moi. Mais, plus généralement, les agents sont laissés bien plus libres dans leurs actions que ne le sont les militaires. Aller à l'encontre des ordres est en revanche d'autant moins tolérable.
- "Libres", ben voyons. "Libre", voilà qui sonne bien joliment à l'oreille, mais pour ce qui est du concret, on repassera.
- La liberté est une notion toute relative après tout, jeune homme. Par définition, même.

Jaros se laissait aller à la conversation, et le coin droit de sa bouche se souleva brièvement en une ébauche de sourire sarcastique. Ses réticences fondaient face à l'emportement intellectualisant qui caractérisait le jeune homme, dans ce genre de situations.

- Relative hein... Et pour beaucoup à géométrie variable, disons, pour rester dans le même registre. La nécessité de quelque chose de plus grand s'impose, si on veut éviter le chaos, mais quelque chose de trop absolu a vite fait d'être obsolète par sa rigidité.
- Force et souplesse, quel bel idéal. Être très attaché à un concept de justice aussi théorique est autant une force qu'une faiblesse, pourtant. La confrontation à la réalité peut rapidement devenir un problème, appelé à s'empirer.
- Je vous vois venir... Oui, oui, bien sûr que toute organisation, surtout à grande échelle, se doit d'être rigide à un certain degré, là n'est pas le sujet ! Et bien sûr que c'est une chose à accepter. Tout est affaire de... comment dire ?
- De degré, justement, jeune homme ?


Dernière édition par Jaros Hekomeny le Lun 17 Sep 2018 - 9:41, édité 3 fois
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Acquiesçant d'un hochement de tête, il fut surpris de voir l'expression d'Hohenstein, ce sourire d'ordinaire si bref, qui cette fois s'exposa à son regard pendant quelques secondes. La discussion ne volait finalement pas bien haut, mais s'y dessinait aux yeux de Jaros comme une compréhension, ou plutôt une compréhensive sympathie, même légère.

Trop légère pour contrebalancer la vague condescendance avec laquelle le jeune homme se sentait traité, mais suffisante pour instiller un certain trouble en lui. Il ne savait pas sur quel pied danser, rendant rétrospectivement tous ses efforts pour imposer un rythme comme futiles et ridicules. Il ne pourrait pas inverser la tendance, du moins ne s'en sentait pas capable, ne restait plus qu'à tenter de casser le rythme.

- Bon, assez de verbiage pour le moment, vous ne pensez pas ?
- Soit, passons aux quelques points importants.

Sortant de l'une de ses poches un petit escargophone, Hohenstein semblait prêt à appeler quelqu'un, mais il interrompit son geste, et regarda Jaros avec une intensité inhabituelle. Au point où ce dernier dût faire un effort conscient pour ne pas flancher. *Rupture complète avec son personnage habituel, hein...* Malgré tous ses simagrées, il ne se sentait pas du tout près à défendre ses positions. Ne savait même pas clairement ce qu'elles étaient, en l'occurrence...

- J'ai bien conscience que la situation n'a pas été des plus propice dernièrement pour vous, mais puisque vous semblez avoir réfléchi à ma proposition, il est peut-être temps de l'aborder plus concrètement, et d'y répondre.
- Alors que vous n'êtes que dans la routine, de votre coté. Vous ne manquez pas d'aplomb, décidément.
- Je vous retourne le compliment, jeune homme. Alors, avez-vous des questions ?

Jaros tiqua et ne put retenir une expression pincée, cette fois-ci. *Il cherche à me faire sortir de mes gonds, c'est pas possible !* Sur l'instant il lui sembla particulièrement clair qu'en substance, le recruteur ne le prenait pas pour autre chose qu'un gamin aussi ingénu qu'ignorant. Possiblement utile, mais pas digne d'une estime digne de ce nom pour autant. Le pire était sans doute que cette vision n'était pas vraiment éloignée de la réalité. Constat frustrant, très frustrant même. Il sentit son énervement monter et monter en lui, mais se contint encore.

- Autant commencer par ça, si je refuse, qu'est-ce qui est prévu pour mon cas ? Une petit "accident" dans un coin ?
- Vous vous attireriez probablement tout seul cette fin en essayant de vous mêler d'une affaire qui vous dépasse. Au vu de votre comportement avec la mafia, vous n'avez plus beaucoup d'issues à North Blue.

Le jeune homme le releva pas le fait qu'Hohenstein était au courant de ce fait. *Sympathique menace qui ne dit pas son nom...* Il hésita à insister sèchement pour avoir une réponse claire, abandonna rapidement l'idée.

- Je vois... Parlez un peu plus en détails de votre pôle, alors.
- Vaste sujet. Les Cipher Pols sont là pour assurer le bon fonctionnement et la sécurité des institutions du Gouvernement Mondial. Le CP4 a pour mission de... disons garder la Marine apte à mener à bien sa mission. En d'autres termes, toute déviation doit être identifiée, analysée et traitée au mieux.
- C'est peu ou prou ce que vous avez dit hier, merci. La police des polices, pour résumer. Mais, plus en détails, qu'en est-il de la chaîne de commandement, de la structure interne, du rapport à la législation ? Et comment votre institution contourne-t-elle les faiblesses de celle qu'elle surveille ?
- Eh bien. Je vais répondre à tout cela en même temps, si vous le permettez, jeune homme.

Jaros posa un coude sur la petite table pour appuyer sa tête, chassant d'une main distraite ses mèches de cheveux. Dans une manœuvre fort irritante, le recruteur se permit quelques petites secondes de pause, goûtant sans aucun doute le moment, alors qu'à coté de lui le vagabond trépignait intérieurement, suspendu qu'il était à ses lèvres.

- La hiérarchie est plus épurée, la rigueur accrue, et la sélectivité exemplaire. La plupart des pôles ont tendance à choisir leurs agents sur la base des talents seuls, mais au CP4, chaque individu doit être habité de l'idéal fort qui anime l'organisation. Les agents se doivent d'être irréprochables. Aucune bavure ne saurait être tolérée.
- Un idéal hein... Plutôt une image, une belle apparence à maintenir. Ne pas faire de vagues et ne pas faire éclater au grand jour les sales affaires qui agitent les entrailles du pouvoir... La façade doit être bien proprette pour avoir l'air respectable.
- Nous avons pour rôle de purifier de l'intérieur, pas de se mêler de la politique mondiale, après tout. Et ne vous en déplaise, vous en comprenez la nécessité, n'est-ce pas.
- En appeler à la nécessité de tels agents "irréprochables", voilà qui est osé quand vous omettez à dessein de répondre à ma question sur votre rapport à la loi.

Le ton du jeune homme, au fur et à mesure, s'était progressivement teinté, perdant sa neutralité pour laisser sonner des intonations trahissant son trouble. Il comprenait et n'était pas en désaccord avec la vision d'Hohenstein, mais ce constat le frustrait. L'enfonçait plus encore dans cette position infamante.

- Vous êtes suffisamment fin pour que je n'en ai pas besoin, jeune homme.
- Merci du compliment.

Jaros serra les dents après sa réplique un peu sarcastique, ses oreilles sifflant à ce ton maîtrisé et presque badin. *Il croit faire quoi avec ça, bordel...* Le caractère volontaire et calculé avait beau lui sembler évident, il n'arrivait pas à ne pas accuser le coup à chaque fois, et encore moins à voir la moindre contre-attaque efficace. Au point où il en était, il n'avait plus qu'à freiner autant que possible la réaction outrée de son petit ego blessé, et glaner des informations pour se préparer à prendre une décision qui pourrait être sa dernière. Mieux valait ne pas penser à ce dernier point, d'ailleurs.

- Bon, à présent... On ne devient pas agent d'un claquement de doigt, des précisions ne seraient pas de trop.
- En effet, jeune homme. Une classe de formation attend la plupart de ceux aspirant au poste d'agent. Il faut d'ailleurs reconnaître que tous n'arrivent pas au terme de cet enseignement, malheureusement.
- Huh, d'où l'intérêt de recruteurs dans votre genre, je suppose. Et en quoi consiste cette formation ?
- Développer les capacités physiques et intellectuelles des futurs agents, lorsque c'est possible. Un jeune homme comme vous n'aurait aucune difficulté.
- Aucune, vous dites ?

De nouveau, Jaros eut un ton aux inflexions bien marquées, presque agressives. Imperturbable, Hohenstein  réajusta son assise avant de répondre tranquillement, regardant de nouveau l'horizon.

- Je vous l'ai déjà dit hier, vous avez un excellent potentiel. Mais...
- Mais ?


Dernière édition par Jaros Hekomeny le Lun 17 Sep 2018 - 9:43, édité 2 fois
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La patience du jeune homme s’érodait de plus en plus, et bien évidemment, le recruteur se fendit d'une nouvelle petite pause. Le plus rageant dans ces dernières était sans doute leur durée, manifestement calculée. Pas assez longue pour permettre d'enchaîner sans mettre les deux pieds dans l'impolitesse franche et hostile. Mais à peine, s'en rapprochant au point où Jaros se sentait purement et simplement invité à briser la cordialité de façade qui régissait leur échange. *Et merde, allez !* Finalement il craqua.

- Je pense que nous en avons assez dit pour le moment. Pouvons-nous reparler plus tard dans la journée ?
- Oh, très bien jeune homme. Au vu de l'heure, que diriez-vous de se retrouver ici même après le repas de la garnison, en début d'après-midi ? J'ai donné mes instructions, vous pouvez rester ici pour le moment.
- Parfait, oui.

Sa voix, s'élevant d'un cran, avait définitivement mis à jour son trouble. La frustration et la honte se mêlaient en lui lorsque, la face plus blême que jamais, il se leva avec un peu de raideur, et s'éloigna d'un bon pas. Arrivé dans la cour où quelques soldats s'entraînaient, Jaros s'appuya brièvement contre un mur, et plongea la tête dans ses mains. *Même pas foutu de savoir ce que je veux ou de ne pas perdre la face, hein...* Il était plus que temps de décemment poser ses pensées, mais le moment ne s'y prêtait toujours pas.

Outre le fait que, sans doute en dépit de ses grands principes, le jeune n'avait pas encore pleinement clarifié ce qu'il voulait, la sensation très nette malgré la brouillard mental dans lequel il était plongé que l'on cherchait à le flouer le brûlait presque autant que son orgueil meurtri. Quelles étaient vraiment les volontés d'Hohenstein, voilà le point qui le bloquait totalement. Traversant la cour d'une démarche rigide, maladroite, le vagabond se trouvait submergé par son incapacité à penser le tout bien clairement.

Quelques dizaines de pas plus tard, et le jeune jeune homme se retrouvait devant l'infirmerie. Que venait-il faire ici, il n'en avait aucune idée, si bien qu'arrivé en face de la porte il se retrouva un peu hébété, immobile en pleine milieu du passage. Jaros eut tout de même la présence d'esprit de s'écarter avant que quelqu'un n'arrive, et s'appuya contre le mur, le temps d'au moins décider où aller. Mais rien, absolument rien ne venait dans son esprit embrouillé par la frustration et l'angoisse. *Merde, merde...*

- Une p'tite migraine ?

L'un des six frères - impossible pour le vagabond de déterminer lequel - se tenait à quelques pas, une mimique ricanante sur sa face burinée.

- On peut dire ça, mais ça va passer. Vous partez dépenser votre paie ?
- Héhé, dans l'mille mon gars ! Pis on va pas trop traîner dans c'te ville. J'pense qu'ça vaut mieux pour nous, t'crois pas ?
- Oh, tout dépend de si l'idée d'une petite visite de la mafia vous dérange ou pas.

La remarque ironique de Jaros fut suffisante pour déclencher l'hilarité du bougre, dont le sourire restait torve même lorsqu'il riait à plein gosier, sa joue droite raidie par une épaisse cicatrice. Le gratifiant d'un geste de la main, le balafré s'éloigna. Croisant les autres frères, le jeune homme leur adressa le même salut discret et distrait, les yeux déviant à peine du vide devant lui. *Drôle de groupe, tout de même...* C'était bien la première fois qu'il croisait des sextuplés; qui avait pu produire pareille engeance, mystère. Une équipée "originale", disons, à défaut de trouver un meilleur terme. Mais efficace, indéniablement. Peut-être même que...*SLAAAM*

Le bruit de la porte de l'infirmerie claquant brutalement contre le mur sur lequel il s'appuyait le coupa net dans ses frivoles suppositions, et c'est à peine s'il ne se mit pas en garde tant la chose le surprit. *Qu'est-ce que c'est que ça, bordel ?!* Ployant son corps massif planté sur des jambes démesurées, un homme portant le manteau distinctif des officiers supérieurs de la Marine passa le seuil, ponctuant le mouvement d'un grognement bougon.

Malgré la hauteur de plafond plus que conséquente, il paraissait diablement grand. Le Colonel Corazon, en cet instant, eut aux yeux de Jaros plus que jamais cet aspect "pièce rapportée", étranger au possible à ce lieu. Apparemment il avait été remarqué d'emblée, car il s'adressa à lui fort rapidement, avant même que leurs regards ne se croisent.

- Saleté d'porte... T'as pas l'air d'avoir encore besoin d'l'infirmerie, mon gars. Tu cherches quequ'chose ?
- Eh bien... Comment dire...
- Non ? Bon, et avec Hector et son p'tit copain, comptez mettr' les bouts rapid'ment ?
- Que... Quoi ? Je ne sais pas, pas trop de temps, mais...

L'air étonné plissant les traits lourds du longue-jambes ne dura qu'un très bref instant, bien vite remplacé par une étrange lueur au fond de ses yeux sombres.

- Huh, ouais, bien c'que j'pensais. Tu sais pas ce qu'tu dois faire hein ?

Cette réplique, portée par un ton ni vraiment compatissant ni vraiment moqueur, fut ce qui fit enfin sortir Jaros de la brume pitoyable dans laquelle il se trouvait intérieurement. Le visage me marbre, il se dévissa le cou pour planter son regard dans celui du Colonel. Lui qui connaissait si bien le recruteur, qui jouait apparemment au funambule entre le Cipher Pol et la Marine... Le jeune homme avait brutalement réalisé que Corazon constituait une providentielle mine d'informations. Et de l'information, c'est ce dont Jaros avait le plus besoin pour se confronter à Hohenstein.*Bon, ça passe ou ça casse...*

- Vous pourriez me faire une faveur, Colonel ?
- Haha, t'es gonflé, y'a pas à dire ! Commence par répondre à mes questions. Tchh... Tu réalises bien ta situation, Hekomeny ?
- Excusez-moi... Vous connaissez déjà les réponses, il me semble. J'ai bien conscience que vous avez d'autres chats à fouetter, mais le sujet vous intéressera au moins en partie.
- Mouais... Trois minutes, mon gars, compris ? On va dans mon bureau, suis-moi. C'bien parce que ça pourra êt' marrant.

Aussi soulagé qu'étonné par la bienveillance bourrue du Colonel, le jeune homme s'exécuta en silence. Un peu irrationnel sans doute, mais subir la condescendance le gênait moins dans cette situation. Enrique Corazon pouvait bien le prendre comme un supportable plaisantin, ce n'était pas l'estime de l'homme qui comptait, ici.

Quelques monumentales enjambées plus tard, ils se retrouvaient dans ledit bureau. Malgré son esprit déjà occupé à tirer parti des quelques minutes qu'on lui accordait, Jaros n'en oublia pas les bonnes manières, et ferma la porte en silence.
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Invitant d'un geste Jaros à s'installer, Corazon s'assit en poussant un grognement rauque, entre soulagement et lassitude. Plus discret, le jeune homme jeta quelques regards sur tout ce qui encombrait la pièce. *Bordel, ça fait même pas une journée complète et...* Il était étonnant de voir le nombre de choses qui avaient pu bouger. Comme si l'on s'était évertué à changer totalement l'organisation globale de toute cette paperasse.

- Héhé, t'as remarqué hein ?
-  On peut dire ça. En rapport avec la présence de votre cher ami, peut-être ?
- Presque, mon gars, presque. Mais basta, on est pas là pour parler d'ça. Alors, tu veux quoi ?

Ce disant, le Colonel ôta sa casquette, la posa à coté de lui, et se massa énergiquement l'arrière du crâne, le regard vrillé sur Jaros, qui assimilait en silence ce petit détail signifiant en plus de son observation "presque" juste. *Hum, sans doute ce fameux "petit camarade" alors.* Rassemblant rapidement ses pensées, il préféra ne pas tourner autour du pot. Encore une fois, il était là pour quémander, dans une position peu avantageuse. Restait à aller droit au but sans tomber à coté, donc... Il tenta le coup.

- Hohenstein, qu'est-ce qu'un agent pour lui ?

À la tête que tira Corazon, un sourcil levé et le front strié de plis profonds, difficile de ne pas voir que l'approche n'était pas idéale. Il fallait enchaîner et clarifier rapidement.

- Comment l'aviez-vous dit, hier... "Faire bien attention à ce qu'on signe", quelque chose du genre ? Je ne connais du rôle qu'on me propose que ce que ce recruteur veut bien me dire, et lui se garde bien de trop le faire.
- Hier, hier... Si j'me souvenais de tout c'que j'dis comme ça ! J'ai déjà la tête trop pleine, c'est tout juste si ma cervelle me dégouline pas par les oreilles. Mais bon, Hector mérite bien que j'te dise un peu sa façon d'penser. Bon, alors... J'me souviens un peu de c'que t'as dis ici hier. T'as des grands principes, hein ? Rien qu'à voir ton minois, ton regard, j'peux dire ce qui coince pour toi avec Hector.
- Je vous en prie, éclairez-moi, alors.

Heureusement que l'Incorruptible semblait bien disposé. Le ton très égal du jeune homme ne parvint pas à atténuer l'aspect peu amène de sa réplique, exprimant autant un vif intérêt qu'une légère irritation. le Colonel se contenta de noter cela d'un oeil dédaigneux, avant d'inspirer bruyamment. *L'heure de vérité, hein...* Sur le moment, Jaros avait la désagréable sensation de savoir ce qui allait suivre. Pire, qu'il le savait depuis longtemps mais ne voulait se résoudre à le voir, à l'accepter.

- Un assaut contre des contrebandiers, on aurait dit qu'c'était déjà trop pour toi. Enfin, je pousse un peu là. Tu t'es bien démerdé, c'pas la question hein. Mais ça se sentait qu't'avais un p'tit souci, et pas juste les foies de risquer sa vie.
- Oh, ça se voyait tant que ça ?

Corazon, de sa voix grave et rauque, portée par son être imposant, sa puissante présence, cloua le jeune homme sur son siège.

- Ouaip'. Comme si t'avais peur de te salir les mains. Tu tiens trop à ta p'tite pureté personnelle, mon gars ! Tu veux t'voir comme tout blanc, tout beau, fidèle à tes jolis p'tits idéaux jusqu'au bout de tes ongles proprets. Et à quoi ça t'sert, hein ? Laisse ça aux charlatans et aux illuminés, aux scribouillards et aux nobliaux bien cachés derrière leurs apparences. C'te pureté, c'est qu'un prétexte pour rien foutre, pour rester dans son p'tit confort, mettre des gants et croiser les bras, bien à l'abri. Si tu crois vraiment en la Justice, si tu la sers, t'as les mains sales, sales jusqu'aux coudes. Sales de la merde et du sang de ce putain d'monde.

Au delà du coup de poing dans l'estomac provoqué par un discours qui touchait à ses yeux si juste malgré un point de vue différent, Jaros se retrouva un peu trop pris à la gorge pour formuler quelque chose de bien élaboré. Pour formuler quelque chose tout court, en fait. Le sang affluait à ses tempes, dans un rythme crescendo, concordant avec l'effervescence mentale qui ne faisait que s'amplifier en lui.

- Hum... Oui, je...
- T'avais déjà à moitié compris tout seul non ? T'es pas un mauvais gars, mais les grands principes, faut avoir les idées claires et les coudées franches pour pas juste dev'nir un joueur de pipeau ou un boulet.

Les quelques secondes qui suivirent furent pour le jeune homme centrées sur la reprise d'un contrôle plus affirmé de lui-même. Beaucoup de choses qui auraient dû lui paraître évidentes lui apparaissaient enfin, certaines frustrations étaient balayées alors que d'autres prenaient de l'essor, une foultitude de questions et d'interrogations se pressaient à la porte de sa conscience, fébriles et insistantes. Mais il n'avait pas le luxe d'une introspection calme et méticuleuse, ici. Corazon n'en avait cependant pas fini.

- Pour en v'nir à Hector, un agent pour lui, c'est juste un outil du Gouvernement Mondial. Juste ça, y a que ton utilité qui pèse. S'il t'a flairé, c'est qu'pour lui tu feras un bon p'tit outil bien pratique. Y pense comme une fourmi ou un truc du genre, l'individu compte pas. Et ça vaut pour sa pomme, note-le; c'est le truc qui l'rend si efficace.

Une idée germa très rapidement, mais il se força à ne pas trop y penser sur l'instant. Jaros hocha la tête, un peu machinalement. *Comme un simple outil, hein...* Rien de bien sorcier ou même surprenant, finalement. Une partie de lui se raccrochait - un peu pitoyablement - à l'idée que sans doute aurait-il pu en avoir le cœur net seul, la situation eut-elle été plus propice à une réflexion posée. Dans tous les cas, il avait obtenu ce qu'il voulait, avec une remise en place des idées en prime.

- Juste un outil, donc... Je vois. Ce serait un peu facile de dire que je m'en doutais un peu.
- Huh, mouais. Bon ! C'est tout c'que tu voulais savoir, Hekomeny ?

Non, il y avait beaucoup, beaucoup d'autres choses, mais il eut été vain d'espérer des réponses, au vu du ton de Corazon. Il était venu pour parler d'un sujet en particulier, après tout. En outre il sentait poindre en lui le retour de la colère, nourrie par les informations qu'il venait d'obtenir. Le jeune homme se permit donc un pieux mensonge.

- Je crois que oui, Colonel. Je vais éviter de vous déranger plus longtemps.
- Héhéhé, te bile pas, c'qui dérange c'est plutôt d'vous voir squatter ma garnison.

Malgré le ton pris, difficile à dire à quel point le Colonel disait cela en plaisantant. Ne répondant rien, Jaros le salua, et parti du bureau en silence. Il se permit un bruyant soupir dans le couloir vide avant de se diriger vers la cour sans se presser.*Bon, ne reste plus qu'à trouver un endroit tranquille...* Il lui restait quelques heures, et son esprit était déjà en effervescence autour d'une idée, pas très raisonnable à première vue.
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Plus tard...


- Bon... Plus qu'à l'attendre, je suppose.

Il faisait plutôt chaud, en de début d'après-midi. Réajustant son col avec soin, Jaros s'appuya contre le muret devant lui, lassé d'attendre droit comme un I. Manifestement il était le premier arrivé; rien ne semblait avoir bouger, la petite table comme les deux tabourets. Ne manquait plus qu'Hohenstein pour compléter le tableau, comme si cette pause n'avait pas eu lieu. Le bougre, cependant, tardait un peu; peut-être cherchait-il à stimuler l'impatience du jeune homme. Après tout, le recruteur semblait avoir, à dessein, entretenu sa frustration et froissé son orgueil.

*C'est de bonne guerre, après tout...* Pour Jaros, cette situation était un rapport de force, pas une simple discussion entre partis éclairé; exploiter ainsi les failles de l'autre relevait de l'évidence logique. Restait à appliquer ce constat, constat qui s'effritait dangereusement devant la difficulté que présentait le calme et la maîtrise d'un individu comme Hector Hohenstein, à l'art consommé en ces matières. Restait surtout que cette vision était assez éloignée de la réalité plus concrète des choses. C'était pourtant, avant tout, une offre proprement inespérée qu'on lui présentait.

Mais le jeune homme, pris dans sa fierté blessée comme une mouche dans de la glu, semblait incapable de la voir comme telle. Peut-être même plus que jamais. L'espoir qu'il avait pu avoir avant de parler à Corazon s'était montré totalement vain. Il n'était qu'un gamin, une chose utile, et tout cette situation lui apparaissait comme la moins comique des mascarades, mascarade dont il était le bouffon.

L'idée avait continué de germer en lui, se nourrissant de sa fierté blessée; malgré les problèmes évidents qu'elle soulevait, il ne s'en défaisait pas, au contraire. Comme une plante grimpante, elle s'accrochait de partout, colonisant ses pensées. Au point que...

- Vous êtes bien ponctuel, jeune homme, qualité appréciable.

Expirant un peu bruyamment, le vagabond se retourna pour répondre au recruteur, arrivé sans le moindre bruit ou déplacement d'air.

- Oh, ne vous reprochez pas cela, vraiment. Un léger contretemps, peut-être ?
- Ne vous en faites pas, en ce qui nous concerne, il n'y à plus qu'à s'installer.

Réponse presque cavalière malgré la cordialité appuyée, typique de l'individu. Jaros, d'ordinaire si impassible d'expression, se retint de grimacer devant ce comportement qui l'irritait sévèrement. Il s'assit donc sans un mot, joignit les mains devant lui. Hohenstein, sans se presser, sortit une liasse de papiers pliés, un fusain, et un escargophone qu'il posa entre eux deux. Puis il regarda bien en face le vagabond en face de lui. Malgré son air toujours aussi débonnaire, le petit homme dégageait quelque chose de différent, cette fois, bien plus grave, intimidante.

- Bien... Je crois qu'avant tout, il faudrait que vous me donniez votre décision et vos motivations, Jaros Hekomeny.
- Oh, j'aurais presque crû que vous passeriez cette étape, vu votre assurance !

Le recruteur ne cilla pas face à cette impertinente réplique, si bien qu'il fallut pour le jeune homme faire, lui aussi, comme si de rien n'était. Rassemblant rapidement ses idées, il se lança, d'un ton plus posé.

- Je vais répondre dans le désordre. Mes motivations... Au delà de simplement me sortir de la merde, disons que j'en ai assez de ne rien faire de ma vie. De ne rien faire des idées et des convictions que j'ai. De mes capacités, aussi, d'une certaine manière.
- Et c'est tout à votre honneur.

Tout cela sonnait fort convenu, bien dans le périmètre de ce qui serait attendu d'Hohenstein, ou du moins supposait-il. C'était le but, et si la chose n'avait rien de bien subtil ou inventif, difficile de faire mieux sur le moment. Jaros enchaîna après une courte pause.

- Qui plus est, vous, un recruteur, venez directement à moi, c'en est presque trop parfait. Votre simple avis est suffisant pour ouvrir la porte des services secrets, vraiment ? Ou devez-vous en appeler à quelqu'un en particulier ?

Disant cela, il désignait du doigt l'escargophone somnolant sur la table. Le recruteur sembla tiquer légèrement, sur l'instant. *Quel con...* Comprenant qu'il ne pouvait espérer une réponse, le jeune homme continua rapidement, avant qu'on ne puisse lui faire remarquer.

- Mais oh, ce n'est pas vraiment le moment pour poser ce genre de questions ! Nous avons encore quelques petites choses à arranger, n'est-ce pas ?
- Ne vous inquiétez pas, cela devrait être vite réglé. Si vous voulez bien lire ça, ça et ça.

Jaros, dépliant le paquet de feuilles qu'on lui tendait, s'exécuta, déchiffrant avec peine le texte, tout serré sur les pages littéralement noircies d'encre. Des échelles de salaire, des agréments formulés d'alambiquée manière, dépeignant le rapport entre employeur et employé avec une clarté... inexistante. Rien de bien passionnant, mais de quoi sévèrement s'user les yeux et la patience; la tentation de ne pas tout lire était forte. *"Vite réglé", hein... Qu'on ne me la fasse pas à l'envers...* Le jeune homme, cependant, y résista.

Difficile en revanche pour sa patience de résister à la lecture presque aliénante de cette purge administrative. Les dents serrées et le visage de marbre, le jeune homme passa en revue chaque paragraphe compressé, s'échinant sur les formulations biscornues. Calvaire qui lui parut prendre une éternité, d'autant plus qu'il sentait le regard d'Hohenstein sur lui, prêt à noter le moindre petit froncement, la moindre mimique révélatrice d'il ne savait trop quoi. Une pression dont Jaros se serait bien passé.

Entre deux clauses obscures, un point retint particulièrement son attention, et il le garda dans un coin de son esprit. Point qui concordait tant avec son idée fixe que c'en était presque trop beau. *Si jamais, j'aurais ça à faire valoir...* Le jeune homme s'appliqua à rester de marbre, mais il en aurait jubilé. C'est presque s'il n'oublia pas l'espace d'un instant la pure bêtise qu'il s'apprêtait à commettre.

De même arrivé aux dernières lignes, tant le soulagement d'en avoir presque terminé avec cette purge écrite était grand. Attrapant finalement avec prestesse la mine carbonée qu'on lui avait fourni, il tourna son visage vers le recruteur.

- Bon, ne serait-il pas temps de parler plus concrètement ?
- Avant cela, rien à redire, jeune homme ?


Dernière édition par Jaros Hekomeny le Ven 9 Nov 2018 - 15:02, édité 1 fois
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La question parut bien spécieuse à Jaros. Aurait-il eu réellement quelque chose à redire, qu'est-ce qu cela aurait changé ? Ou ces papiers n'étaient qu'une façade, ce qui semblait improbable sans non plus être totalement fou, de l'avis du jeune homme. Restait que, par la simple énonciation, Hohenstein venait de le mettre dans une situation assez pénible. *Et puis merde...* Se sentant acculé, Jaros se lança.

- Simplement quelques points à discuter. Notamment un petit quelque chose vis à vis de... Ceci.
- Je vous en prie, élaborez.

Ce disant, le jeune homme avait cherché rapidement un des feuillets, et pointait du doigt une partie bien spécifique. Les yeux sombres du recruteur déchiffrèrent avec une vitesse surprenante, son regard allant et venant rapidement sur les lignes serrées; il commenta peu après.

- Vous souhaitez déjà négocier le salaire ?
- Oh, non, pas exactement. C'est cette affaire de grade qui m'intrigue.
- La hiérarchie vous paraîtra plus claire une fois intégrée, je puis vous l'assurer. Sa simplicité fait son efficacité, vraiment.
- Vous le répétez tant qu'on pourrait croire l'inverse ! Non, plus sérieusement, j'ai repensé à ce que vous avez pu dire tout à l'heure, et...

Jaros feuilleta à nouveau, retrouvant le fameux passage ayant retenu son attention. Il se félicita intérieurement de la fluidité d'action dont il faisait preuve, malgré le stress accumulé qui, à présent, fleurissait dans ses nerfs en une tension affreusement croissante, difficile à contenir. Le moment était tout proche, terriblement proche. Il gagna un peu de temps.

- C'est sans doute assez naïf de ma part, mais en un sens vous avez toute ma confiance.

Sa voix perdit sa neutralité dans les derniers mots, pour un ton presque cassant. *Bordel...* Tant pis, il continua dans son élan, pointant toujours le paragraphe du doigt.

- Ce passage m'a fait réaliser quelque chose. Vous avez raison, je pense que je manquais de confiance en moi, également. Mais maintenant je suis assez sûr. Comment l'aviez-vous dit, déjà ? Qu'un jeune homme comme moi n'aurait... Vous vous pensez au dessus de ça, vraiment ? ...aucune difficulté, n'est-ce pas ?

Chose assez marquante, Hohenstein l'avait coupé, et il avait fallu à Jaros toute sa morgue hargneuse pour ne pas s'arrêter en plein milieu de sa phrase. Le moment était crucial, pour le jeune homme, c'est ce à quoi il se raccrochait, la seule chose, même, qui semblait compter pour lui en cet instant. Sa nervosité agressive se voyait à présent dans les plus durcis de sa bouche, ses pupilles dilatés et ses paupières battantes.

- Vous avez un aplomb inattendu, je vous concède ça.
- Votre règlement est pourtant clair à ce sujet, la chose est tout à fait possible. Vu ce que vous avez pu me dire et me faire miroiter, je ne vois pas ce qui pourrait poser problème.

En parlant, il martela ledit passage de l'ongle. Le recruteur plissa un instant les yeux.

- Est en effet autorisé en certaines circonstances d'enrôler un agent sans qu'il ne passe par la formation classique. Cette close est normalement réservée à des profils bien spécifiques.
- Eh bien quoi, je ne serais pas si utile que ça finalement ? Pas si prometteur ?
- La question n'est pas là, jeune homme. Vous n'avez ni les connaissances ni la discipline nécessaire à un agent digne de ce nom.

Tout cela était très sensé, mais Jaros n'en avait cure.

- Alors quoi, le bon petit outil n'est pas prêt à être utilisé, c'est ça ? C'est votre verdict ? Survivre avec ces foutues Familles au cul, se foutre en première ligne à une putain de fusillade dans un hangar et en revenir, c'est peut-être pas grand-chose pour vous ? Probablement, oui. Par contre, vous jouez à celui qu'à l’œil, qui voit le "potentiel caché"... Si vous êtes capable d'affirmer que j'aurais aucune difficulté à votre foutue formation, qu'est-ce qui vous fait penser que j'ai absolument besoin d'y passer ?

Tirade bien longue et émotive, que le chauve écouta avec son calme imperturbable. Son front se plissa brièvement alors qu'il fronçait les sourcils, l'espace d'un instant, avant de répondre.

- C'est une responsabilité que je ne peux assumer, il n'y a rien de plus à dire.
- Justement, vous pouvez. Vous ne voulez pas. Entre nous, vous avez peur que je salisse votre dossier, votre parcours impeccable de recruteur sans faille ?
- Vous commencez à manquer de prudence, jeune homme. Je pense qu'il est préférable de corriger cela dès maintenant.

Dans la composition jusque là impeccablement stoïque d'Hohenstein, le changement subit fit l'effet d'un coup de fouet. Son ton s'était légèrement assombri, trahissant - ou mimant - l'irritation ressentie lorsqu'un sujet sensible était abordé. *Ah, enfin !* Jaros en aurait souri si la menace sous-jacente n'était pas si forte. Impossible d'ignorer cela, mais il n'en démordit pas pour autant. Il posa tout de même le ton.

- Mes excuses, mais je trouve bien étrange de parler de prudence à quelqu'un que l'on cherche à acculer.
- Jouer la victime n'est pas une stratégie bien payante. Surtout ici, de grâce.
- Merci du conseil, vraiment. Maintenant suffit d'insultes. Nierez-vous que vous cherchez simplement à vous éviter de perdre... Un bon investissement "humain", disons ?

Le recruteur ne répondit rien à cela. Son regard, chargé lourdement, était cependant difficile à interpréter pour le jeune homme, qui le tint, les yeux brûlant d'un orgueil à vif. Cela dura une seconde, puis deux, trois... L'instant s'étirait, jusqu'à en devenir improbable. Hohenstein brisa la chose brusquement.

- Vous vous pensez si précieux que cela ? Qu'un jeune homme de votre nature est si difficile à trouver ?
- Non, je ne vous suis en rien indispensable. Mais vous pensez réellement qu'il serait du gâchis de ne pas m'enrôler, n'est-ce pas ?
- Je suis touché que vous me pensiez d'une si grande bonté d'âme. Car après tout, le gâchis pourrait ne concerner que vous, justement.
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Jaros souffla doucement entre ses dents, un tic irrité agitant le coin gauche de ses lèvres, tic totalement inconscient pour lui. *Je suis foutu, maintenant, hein...* Sans vraiment être résigné, le jeune homme ne se voyait plus obtenir quoi que ce soit, à présent, mais se refusait purement et simplement à faire marche arrière. Une fois engagé, abandonner sonnait comme une défaite d'une infamie inégalée.

- J'en oublierais presque que le mot "acculer" n'est pas sensé décrire la situation présente autrement que dans un registre injustement victimisant... Mais qu'importe. Vous êtes pas plus généreux que je suis banquier, par contre vous êtes pragmatique. Entre le temps et la potentielle recrue de perdues, et assumer la responsabilité de m'engager selon mes termes, vous êtes celui le plus à même de déterminer le pire. En ce qui me concerne en revanche, je ne changerai plus d'avis.

Hohenstein souleva un sourcil, mais ne réagit pas plus. Jaros, lui, bouillait intérieurement. Le fiasco était aussi prévisible que total, à la mesure de la bêtise de l'idée initiale. Vouloir négocier quelque chose sans avoir rien à faire valoir pour peser dans la balance, avec pour seule motivation l'outrage fait à une fierté qui se savait mal placée. Tout finalement n'était que le résultat de la dissonance intellectuelle profonde que le jeune homme pouvait ressentir. Cela ne le rendait pourtant que plus acharné.

Alors que de nouveau le silence s'installait de nouveau entre lui et le recruteur, il ne sut quoi penser lorsque l'autre détourna le regard pour se poser sur les feuilles devant eux, comme s'il n'existait plus. *Qu'est-ce qu'il fout, bordel...* Jaros voyait bien qu'il ne lisait pas, mais impossible d'être vraiment sûr. Les yeux fixes, le visage de nouveau lisse et serein, comme s'il ne faisait que laisser passer le temps, tranquillement, jusqu'à ce que son interlocuteur craque. Puis finalement il reprit la parole, sans cependant relever la tête.

- Est-ce donc tout ce que vous aviez à dire ? Ou avez-vous autre chose à ajouter ?

Pas besoin pour le jeune homme de répondre oralement, mais l'expression qu'il affichait en disait bien assez. Hohenstein en prit acte, puis rassembla les papiers en une pile bien propre, qu'il posa devant lui. Puis il attrapa l'escargophone toujours posé sur la table, et, sans un mot, se leva et s'éloigna d'un pas tranquille. *Qu'est-ce que...* Il se dirigea vers l'autre coin du petit rempart de la garnison, son gastéropode dévoyé devant lui, puis commença à parler avec on ne sait trop qui, tournant le dos à Jaros. Ce dernier, perçut vaguement quelques bribes de ce qui pouvait se dire, en tendant l'oreille, mais rien qui ne puisse vraiment être compris. Passé l'instant de surprise, sa colère revenait.

Le jeune homme se leva à son tour, furibond, regardant rapidement où allait le recruteur, hésitant à le suivre et l'interpeller. Hésita. Dans on état, il l'aurait frappé de rage. *Non, fait pas le con, reste calme.* Comme s'il avait sentit la chose, et malgré la distance, Hohenstein se retourna subitement, et lui intima de rester où il était d'un geste brusque de la main. Mauvais choix. Cela ne remonta que plus le vagabond, qui tiqua violemment avant de démarrer d'un pas énergique, mais le cri du mollusque de communication doucha sa colère, le stoppant net.

- HECTOR PUTAIN, TU T'FOUS D'MOI ?!!

Difficile à dire à une quinzaine de mètres, mais Jaros aurait put jurer que ledit Hector grimaça sous l'intensité sonore, avant de se retourner et invectiver à son tour son pauvre escargophone, d'une voix étonnamment forte, puis revint aussi sec à un volume plus raisonnable. Le jeune homme ne se rassit pas tout de suite pour autant. *Comment je suis sensé interpréter tout ça, bordel...* On s'était bien gardé de le renvoyer, mais pour autant il n'arrivait pas à croire que cette parodie honteuse de négociation avait pu mener sur autre chose. Ou du moins, sur quelque chose de positif pour lui... L'idée que peut-être le danger fut imminent s'insinuait dans son esprit, doucement, insidieusement.

Tentant de se débarrasser d'un peu de cette tension, il commença à faire les cent pas, avec énergie, ses doigts se contractant sporadiquement. Rapidement ses pensées prirent une tournure délétère, tourbillonnant d'improductive manière. Il échouait totalement à prendre la moindre once de recul sur la situation, plus encore sur le comportement qu'il avait eu. Même la question la plus prioritaire à ses yeux se perdait dans cette bouillie peu cohérente, grumeleuse. Les feuilles toujours sur la table attirèrent son attention, recentrant un peu ses pensées. Finalement, il grogna entre ses dents.

- Plus rien à perdre de toute façon hein... Quel con. Putain de crétin.

Il répéta ces derniers mots presque distraitement, combattant l'envie qu'il avait de donner un coup sur... sur n'importe quoi, en fait. Cette envie passa rapidement, heureusement. Il attendit, aussi patiemment que possible. La fuite lui semblait futile, dans l'éventualité d'un refus qui revenait, à ses yeux, à une promesse de mort. Au bout de quelques secondes, un rire nerveux vint à Jaros; l'attente constituait une de ses activités principales, ces derniers jours. Pour un moment où il cherchait enfin à cesser de ne rien faire de son existence, voilà qui était cocasse. Ou terriblement révélateur ? La question était trop frustrante pour élaborer une réponse, surtout vu les circonstances.

Les secondes s'égrenèrent, rythmé par les bruits de la garnison, le échos lointains du port, les piaillements des oiseaux. L'impatience se fit rapidement sentir, pour le jeune homme. *Bordel, il va me laisser en plan combien de temps...* Elle n'avait pas vraiment retombé depuis le début de leur entretien, en vérité. Deux minutes, presque trois maintenant. L'érosion mentale atteignait des sommets quand Hohenstein commença à revenir vers Jaros, escargophone toujours devant lui.

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Jaros desserra son ascot, déboutonnant un peu plus son col, et plia le tissu émeraude machinalement, sans avoir besoin de le regarder. Ses yeux étaient fixés sur Hohenstein, seul moyen qu'il trouvait pour se retenir de se lever, et faire radicalement retomber sa frustration; de radicale manière. Mais le bougre semblait décidé à prendre son temps, alignant les pas avec une lenteur insupportablement tranquille. N'y tenant plus, il interpella le recruteur avec véhémence.

- Eh bien alors ?!
- Du calme jeune homme. J'ai eu un petit entretien avec Putain Hector, mon vieux, c'est pour ÇA qu'tu...  Y m'les brises déjà, ce p'tit con.

La remarque désobligeante crachée par l'escargophone, mimant une voix rauque et un brin nasillarde, fit à nouveau grimacer le recruteur. Le vagabond, lui, fut brièvement désarçonné, mais sa colère de descendit toujours pas. Il tenta d'ignorer l'interruption. Hohenstein enfin arrivé à sa hauteur, il se rassit, et Jaros fit de même.

- Un entretien dans l'entretien, donc ? Et avec quoi, à quel sujet ?
- Un des bureaucrates de l'Administrateur de mon Pôle. Il m'a permis de mettre au clair quelques petits points.

Le jeune homme aurait pu se calmer et comprendre les implications de ce qu'on venait de lui dire. Il aurait pu. Ses nerfs à vifs, cependant, le firent sauter sur l'occasion pour lancer une pique au malotru derrière son mollusque.

- Et qu'est-ce qu'un vulgaire rond-de-cuir pouvait éclaircir, au juste ?
- Hé oh, y t'emmerde le rond-d'cuir, princesse !! Tu crois qu'j'ai que'ça à foutre moi ?! J'ai du taf jusqu'au cou, et un dégazonné vient m'chercher des crosses pour un p'tite chialeuse. Hector, tu m'veux quoi encore ?
- Baisse d'un ton avec moi, Piero. Pourrais-tu répéter ce que nous avons dit à l'instant.
- Tranquille Hector, c'pour me détendre un peu, j'le pense pas vraiment. On peut bien plaisanter hein ? Désolé. Bon, euh...

Un peu interloqué, Jaros attendit que le gratte-papier embraye. *Où est-ce que ça va, ce bazar...* Il n'osait trop espérer, mais la situation paraissait presque miraculeuse. On lui tendit l'escargophone, il le prit donc délicatement, sursautant un peu quand il s'anima brusquement, copiant la voix désagréable d'un Piero fouillant probablement dans ses papiers et ses pensées.

- Ah oui ! Parait qu'tu veux abréger ta formation... J'vais pas faire comme si t'était foutu d'lire tout c'qu'on t'a filé, morveux; piger, j'en parle pas. Mais ça s'fait pas d'un claquement d'doigts, tu captes ?
- Bon, on va faire simple, vous dites ce que vous avez à dire, sans plus. Quelles procédures sont requises, plus précisément ?
- Putain de p'tit con... Tu t'prends pas pour d'la merde hein !! Hector, qu'est-ce tu t'fait chier avec un merdeux pareil ? Pourquoi j'devrais m'répéter, tu peux pas juste lui dire toi ? Allez, on s'connait bien depuis l'temps, tu cherches pas à m'foutre en l'air la journée, j'le sais bien. Hector...

Sa voix s'était faite plaintive, presque doucereuse dans une tentative servile de se voir congédier au plus vite. Jaros, jetant un rapide coup d’œil au recruteur, qui ne faisait aucun cas de ces coulantes tentatives. Il lui rendit un regard très égal, dans la ligne maintenant bien connue et bien irritante. *Quoi, tu veux voir comment je me démerde avec ça ou...* Le jeune homme soupira, et continua.

- On a tous envie que ça soit vite réglé, donc magnez-vous, ça vous fera gagner du temps. Il nous faut un papier supplémentaire, voir avec un autre responsable ?

La question, bien que formulée de cavalière façon, restait très pratique. Silence pendant quelques secondes, à croire qu'on avait déserté de l'autre coté de la communication. Puis Piero explosa.

- PUTAIN DE CHIOUNEUSE !! Tu t'sens plus pisser alors que t'es qu'une chiure sur un trottoir ?! Hein, HEIN ?!*BOUM*...bientôt fini de gueuler, Zemina ? Oui monsieur, mes excuses, c'est simplement que... Oui, oui, je vous... Non non, non ! Je...

La chose continua encore un petit peu. Manifestement, tout le monde n'appréciait pas ses montées de volume intempestives. Difficile à dire ce qu'il se passait précisément, l'escargot n'étant pas des plus fiables pour retranscrire ce genre d'actions confuses. Jaros patienta donc, le vague amusement de la déconvenue du fâcheux calmant quelque peu son humeur irritée. Cela lui permit aussi d'enfin réaliser ce qu'il se passait pour lui; et, fatalement, de voir l'importance d'autant plus grande de cette parodie de discussion. *Merde...* De quoi faire revenir au galop un stress bien peu désirable.

- Merci, je vous assure que... Oui, oui. Merci monsieur. J'te retiens, p'tit fumier...
- Autant en finir rapidement, alors.
- Boucle là au lieu d'la ram'ner. Ouais, vous m'prenez beaucoup trop de temps, avec Hector... J't'en veux pas hein, vieux, j'comprend, c'pas ta faute ! C'est l'métier, j'comprend... Bon, la chouineuse ! T'ouvres tes esgourdes, et ta gueule, tu la gardes bien fermée. Hum, bon...

Hohenstein, qu'on s'était empressé d'interpeller avec une sympathie forcée et dégoulinante, se contenta de bouger un sourcil, regardant toujours Jaros. Puis Piero changea complètement de ton, comme s'il reprenait enfin son rôle de professionnel. Voix posée au point d'en être morne, monocorde dans l'égrènement nasillard de mots articulés avec autant de précision que d'un manque de charme, la différence était frappante avec la vulgarité de pilier de comptoir qu'il avait caractérisé jusque là.

- La procédure requiert une clause de décharge de responsabilité, dûment signée et approuvée des partis de l'entente. À savoir, le candidat et l'agent en charge du recrutement. Aucune dérogation ou modification des clauses de ladite décharge ne sont envisageables. Dans l'éventualité de l'implication d'un supérieur à l'agent en charge du recrutement... Bon, ça vous concerne pas mais Pas d'autre responsable à consulter donc, c'est tout ?
- Putain... Hector, tu m'fileras son nom ?
- Tu me demandes encore un service, Piero ?
- Non non non ! Non mon vieux, non, tu penses bien ! Tu... Enfin... Bon, vous avez b'soin d'autre chose ?
- Plus rien, non, merci beaucoup Piero. Oh, et passe le bonjour à Gary de ma part.

Et il raccrocha aussi sec, avant de se fendre de son sourire si particulier et bref. La chose fut si brusque que le jeune homme eut une vague impression d'irréel. Tout cet enchainement manquait cruellement de sens ou de cohérence, de quelque chose à quoi bien se fier. Jaros ne savait même plus vraiment ce qu'il pouvait espérer. Hohenstein, toujours aussi calme, continua d'un ton badin.

- Bien, mes excuses pour cela. Je n'avais pas l'intention de vous faire languir outre mesure.
- Oui oui, bon... Vous l'avez, cette fameuse décharge ?
- Vous acceptez donc ces conditions, jeune homme ?
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Donner une réponse rapide eut été une très, très mauvaise idée, et le jeune homme réalisait au moins cela. Il avait aussi la conscience aigüe du caractère critique de ce moment. Mais surtout, l'impossibilité totale de s'exprimer hors de ce qu'on lui imposait lui semblait si évidente, et dans le même temps si frustrante, qu'il en restait interdit. On le mettait dans une situation bien trop similaire à la précédente, sans qu'il n'ai vraiment négocié quelque chose, et sans qu'il ai la moindre marge de manœuvre. *Non non non, attend...* Quoique, à bien y réfléchir, cette fois il se trouvait bel et bien à la lisière du succès. Jaros se permit une impolitesse.

- Vous ne l'avez donc pas. Et comment l'obtiendrez-vous, alors ?
- Je l'ai en mémoire, jeune homme, le produire ne sera qu'un peu laborieux, mais j'en ai l'autorisation, tant que je respecte les directives administratives.
- Oh, je vois. C'est commode, en effet, très commode...

Difficile de répliquer quelque chose de bien pertinent à cela. Mais le recruteur n'en avait pas fini. Et le jeune homme, à court de choses à mettre sous les dents avides de sa colère maintenant vide de sens et éventée, laissa enfin retomber sa méfiance.

- Mais gaspiller du papier ne m'enchante pas. Je vous le demande donc à nouveau, acceptez-vous les conditions que vous avons énoncé ?
- Je... Oui, je ne vois pas ce que je pourrais y redire sans être d'une totale mauvaise foi.
- Si vous le voulez bien, nous avons un certain nombre de choses à signer, alors.

Sortant une feuille vierge d'une poche intérieure, Hohenstein la déplia soigneusement, puis s'armant de la mine noire, entreprit un méticuleux travail manuscrit. En quelques minutes, la chose fut faite. Survolant la chose des yeux, le jeune homme craint un instant l'entourloupe, mais non. Pas la moindre sensation de satisfaction ou même d'accomplissement ne vint à Jaros lorsqu'il prit entre les doigts la mine bien amaigrie pour signer du griffonnement abscons une fois, puis deux, trois, quatre... Le moment vertigineux du choix enfin fait ne semblait, finalement, jamais devoir venir.

Le tout enfin fini, le recruteur roula avec application chaque feuille, les noua de petits liens sortis des poches apparemment bien nombreuses et remplies de sa veste brune. Le bougre était tout sourire, un sourire miraculeusement durable. Il tendit la main au jeune homme, qui hésita un instant avant de la prendre et la serrer avec raideur.

-  Parfait ! Je vous souhaite bien officiellement la bienvenue, Jaros Hekomeny.
- Hum. Tout cela a un air bien peu officiel, je l'admets, mais merci bien. Je pense que vous pouvez m'appeler Jaros, maintenant.
- Oh, l'officialité apparente viendra plus, ne vous en faites pas, Jaros. Bien, maintenant... En tant que votre supérieur hiérarchique, je me permet de vous informer que nous partirons ce soir, si le vent est favorable.

Voilà qui était bien direct. Déjà qu'il peinait à réaliser le changement pourtant terriblement radical de sa condition, de sa vie toute entière en réalité, que son esprit se remplissait d'images et de sentiments d'une mièvrerie infantile éhontée, on lui annonçait un départ pour une destination inconnue, de manière aussi abrupte que tranquille. Assez peu éloquemment, le jeune homme chercha à obtenir quelques précisions.

- Nous partons, vraiment ? Vous en avez donc fini à Manshon ?
- En effet, oui. Un deux-mâts de la Marine nous prendra à son bord.

Jaros hésita à faire part de sa tendance à avoir l'estomac capricieux sur un bateau, mais il n'en fit rien. Sans être exceptionnelle, ce genre de faiblesse était particulièrement infâme et ridicule. La mer n'était jamais loin, après tout, elle façonnait chacune des sociétés du vaste monde, elle remplissait les imaginaires des aventureux par les merveilles qui se cachaient par delà les étendues liquides, nourrissaient les fantasmes et frayeurs. En ce qui le concernait, elle lui remuait simplement les tripes; mieux valait ne pas trop s'en vanter. *Surtout dans ma situation...*

Il restait encore quelques petites heures avant le soir, dans tous les cas. Le jeune homme se voyait déjà mariner dans le ressassement des événements de cette journée beaucoup trop chargée, entre l'assaut et ceci. L'impression de s'être fait abuser ne passait toujours pas, qui plus est, et s'il s'en était accommodé jusque là, la pression enfin retombée n'aidait pas à se débarrasser de cette affreuse sensation. Hohenstein ne lui laissa pas trop le temps de se plonger ainsi dans ses petits états d'âme.

- L'idée de quitter Manshon ne vous pèse-t-elle pas trop ? Vous y semblez particulièrement attaché.
- Être attaché à l'endroit qui nous a vu naître et grandir est assez banal, me semble-t-il. Qu'est-ce qui vous semble si particulier ?
- Entre l'omniprésence de la mafia et le blocus qui a ruiné l'île, c'est un amour bien vache. Mais je comprend tout à fait que le cœur à ses raisons, évidemment.

Jaros se tut, pensif. Ce qui le préoccupait n'était pas vraiment ce dont ils parlaient, mais plutôt la posture qu'adoptait le recruteur, et que lui devrait adopter en conséquence. Comme on lui avait gentiment souligné, il avait en face de lui un supérieur hiérarchique. Plus encore, il était pour le moment dépendant de cet homme, à un degré désagréablement flou pour le jeune homme. Flou qu'il ne pouvait explorer pour le moment, qui plus est.

Le silence commença à s'installer entre eux deux, un silence rythmé par les bruits de la cour où les soldats s'entraînaient, les cris d'oiseaux marins et le brouhaha distant du port. Une musique organique et vivante, brute, que bientôt ils n'entendraient plus. Avant de glisser dans un sentimentalisme creux, Jaros tenta de continuer un peu la conversation, ressortant un sujet de derrière les fagots.

- Qu'en est-il de cet autre agent du CP4 qu'avait évoqué Corazon ? Partira-t-il avec nous ?
- Je suis étonné que vous ne cherchiez pas à savoir où nous allons nous rendre !
- Vu votre omission, ce n'est pas si étonnant. Mais je ne pensais pas que, même maintenant, on veuille me cacher l'identité de ce collègue.
- Vous le, ou plutôt la rencontrerez bientôt, je puis vous l'assurer. Mais je ne peux vous certifier qu'elle nous accompagne. Elle a une mission et j'ai la mienne, nous ne communiquons que si nécessaire.

Voilà qui avait le mérite d'être clair, mais il en fallait plus pour satisfaire la curiosité de Jaros. *On va quand même éviter d'être trop insistant, mais...* La question piquait particulièrement son inclinaison naturelle, constituant aussi sur le moment une approche rassurante à sa condition nouvelle, pas encore définie organiquement.

- Oh, est-ce tout ce que vous êtes disposé à me dire à son sujet ?
- Non, pas du tout ! Mais sous surestimez sans doute mes connaissances, en l'occurrence.


Dernière édition par Jaros Hekomeny le Mer 28 Nov 2018 - 17:40, édité 1 fois
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Le jeune homme ne put s'empêcher de faire une petite pause, se disant que, décidément, le bougre restait fidèle à ses manières. Chose plutôt fatigante pour l'esprit, à la longue, probablement était-ce un des objectifs; à moins que cela ne soit que façon d'être spontanée, possibilité suffisamment improbable pour être écartée par apriori. Restait à jouer le jeu, donc.

- Permettez moi d'en douter au moins un peu. Est-ce un agent de même catégorie que vous ?
- Non, elle a le même grade que vous, à dire vrai. Contrairement à vous en revanche, elle a gravi les échelons petit à petit.
- Je vois. Agent depuis peu également, donc ? Peut-être est-ce sa première mission ?
- Oui. Et ce si ce n'est pas sa première mission, il est probable qu'on ne lui ai pas confié ce qu'il y a de plus gratifiant.

Malgré l'absence totale d'insistance ou d'inflexion particulière sur le "contrairement à vous", Jaros dut faire un effort conscient pour ne pas se crisper en entendant cela. Ce n'était pas le point important, qui plus est. Hohenstein laissait apparemment entendre que ce n'était que le lot commun des agents néophytes. Information pas réellement étonnante, mais que le jeune homme ingéra tout de même avec avidité. Il n'était jamais trop tôt pour se préparer mentalement à se voir chargé de tâches peu agréables, après tout, même s'il manquait d'informations pour vraiment savoir à quoi s'attendre plus précisément. Mais Jaros n'eut pas vraiment le temps de formuler une nouvelle question que le recruteur s'anima soudain.

- Bon ! Il est encore un peu tôt, mais que diriez-vous d'aller se sustenter un peu avant l'embarquement ? Les cuistots militaires sont rarement les meilleurs.

Un peu décontenancé par le ton surprenamment joyeux, accompagné d'un sourire miraculeusement long et franc, le jeune homme resta interdit une bonne seconde. Sans qu'il soit difficile d'imaginer que derrière l'apparence discrète et lisse du petit chauve se cachait un bon vivant aux désirs simples, le changement de comportement était suffisamment radical pour secouer son homme. Pour autant, il avait compris ce que Hohenstein lui proposait.

- Eh bien... Oui, pourquoi pas. Si vous me faites confiance pour le choix de l'établissement.
- Je compte sur vous, même ! Et puis je pense que nous avons bien assez profité de l'hospitalité forcée de ce vieil Enrique. Je suppose que vous n'avez rien d'autre à faire à la garnison ?

Jaros secoua doucement la tête. Il n'en fallut pas plus au recruteur, qui se leva et, après avoir indiqué au jeune homme qu'il pouvait l'attendre là, descendit dans la cour, se dirigeant vers le bureau du Colonel. Restant tranquillement assis, seul avec ses pensées, un début de rire nerveux s'insinua rapidement en lui. Le contraste avec ce qu'il était, et surtout ce qu'il pouvait il y a vingt quatre-heures à peine frisait le ridicule. Cela s'ajoutant à l'état loin d'être serein dans lequel le laissait l'assaut qu'il avait mené à l'aube, le cocktail était irrésistible.

Il n'en perdait pas de vue les autres impératifs de sa condition présente, mais faire retomber la tension accumulée s'imposait comme le plus urgent. Après une quinzaine de secondes, il se mit à rire un peu plus franchement. Lorsque Hohenstein revint, il avait encore un reste de sourire sur le visage, loin d'être joyeux cependant. L'idée d'aller remercier le Colonel Corazon effleura Jaros, mais il n'était pas assez sentimental pour y décemment y céder. Ils partirent donc vers le quartier des quais, lui prenant la tête, le recruteur sur ses talons.


Plus tard, le soir tombant...


... Un poisson avec une saveur pareille, tout de même...
- Ah, la vache de mer est un met de choix, c'est sûr. Vous ne connaissiez pas cette espèce ?

Le teint encore rosé, Hohenstein hocha négativement de la tête, les yeux toujours dans le vague. Un généreux filet de vache de mer, une pinte, et une discussion paradoxalement assez superficielle sur l'historique du blocus de Manshon plus tard, l'homme si calme et impassible se retrouvait transfiguré, les joues colorées, le regard rêveur et un sourire presque enfantin aux lèvres. La bière et la viande faisaient manifestement partie des plaisirs qu'il goûtait avec une grande joie.

La chaleur de la brasserie dont ils sortaient à peine les entouraient encore, s'accrochant à leurs vêtements, comme à regret de leur départ. Le jeune homme déplorait presque de ne pas en avoir plus profité, mais il n'avait pas perdu de vue ce qui l'attendait ce soir. Enfin, presque pas. Un peu d'alcool et quelques amuse-gueules lui avaient paru dans les limites du raisonnable. Cela ne l'empêchait pas d'avoir le ventre qui, alors qu'ils approchaient du navire militaire à coque renforcée, se nouait d'appréhension malvenue. Refermant les boutons de son col alors que le vent marin les gratifiait de quelques bourrasques, il interrogea enfin le recruteur sur ce qui les attendait; chose qu'il s'était retenu de faire jusqu'à présent.

- Vous pouvez me dire vers quelle île nous allons à présent, je suppose.
- Oh mais bien sûr, Jaros ! Je pourrais vous donner le nom, mais ça ne vous avancerait pas à grand-chose. Disons simplement que c'est un endroit où vous aurez le temps de... vous poser, avant d'être envoyé sur le terrain.
- Sans vouloir être prétentieux, je ne suis pas un péquenot qui ne connait rien passé son caillou paumé...
- Ce n'est pas ce que je dis, Jaros. Cette île n'est pas sur les cartes maritimes habituelles.
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Voilà qui avait du sens, au vu de la nature de l'organisation qui était la leur. *Ben oui, évidemment...*Jaros se garda de dire quelque chose de plus, préférant ne pas trop s'illustrer pour son manque de jugeote et sa susceptibilité. D'autant qu'ils étaient arrivé au deux-mâts. Le jeune homme laissa le soin à Hohenstein de les introduire, ce qu'il fit avec la froideur qu'il réservait manifestement aux Marines, sortant d'une de ses nombreuses poches un papier qui semblait prêt à partir en morceaux tant on l'avait plié et déplié. Un troufion, lâchant le matériel qu'il transportait, alla chercher son supérieur au pas de course, alors que le soleil commençait à flirter avec les vagues, à l'horizon.

Quelques ordres plus tard, Jaros et le recruteur se retrouvèrent conduits vers une cabine. Une sorte de petit dortoir bas de plafond, sous le gaillard d'arrière, très largement suffisant pour deux personnes. *On évite de nous mêler à la gente soldatesque, hein...* Deux lanternes prodiguaient une lumière jaune et douce, un brin tremblotante.

Retirant sa veste, le petit homme chauve la vida d'une quantité impressionnante de paperasses et autres objets divers, puis la plia soigneusement avant de mettre le tout dans le coffre commodément enchaîné au mur, sous ce qui serait d'autorité sa couchette. Le jeune agent, après un instant, fit de même, commençant à sentir le roulis lui chatouiller l'estomac. Il chercha à échapper à la conscience de ce qui paraissait comme une fatalité en reportant son attention sur sa situation. Au delà de sa parodie de négociation, un point spécifique le travaillait.

- Dites-moi, Hohenstein...
- Vous pouvez m'appeler Hector, Jaros, ce sera plus pratique. Et puis, après avoir trinqué ensemble, je pense que c'est de mise !
- Hector, donc. Je préférais ne pas vous embêter avec ça plus tôt, mais il est vrai que j'ai quelques manques à combler, par rapport à la plupart des agents.

Le recruteur perdit brièvement son expression joviale, avant de se fendre d'un de ses fameux sourires rapides. Changement que nota Jaros, sans savoir ce qu'il devait en faire.

- Oh, oui, j'allais presque oublier ! Décidément je manque parfois de sérieux. Cela ne vous dérange pas de commencer ce soir même, je suppose ?
- J'allais vous le proposer, oui, si vous n'avez rien co*BAM*

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Hohenstein, qui se tenait l'instant d'avant à quelques mètres, s'était inexplicablement retrouvé à son contact, apparaissant dans un chuintement étrange, et emboutit son ventre d'un coup de poing remontant à la force démentielle. Si le jeune homme se contracta instinctivement, bien qu'un peu tard, l'impact le décolla du sol - ses cervicales embrassant brutalement le plafond - avant de l'y clouer, à genoux, le souffle court, l'esprit confus. Le recruteur, d'un ton badin, se permit de petites explications en réajustant la manche de sa chemise.

- Au vu de l'accord que nous avons passé, je vous ai à ma charge, et j'ai à cœur que tout se passe pour le mieux entre nous. Mais surtout que tout se passe bien pour vous au Cipher Pol, je vais donc vous donner un petit coup de pouce. Relevez-vous, je me doute bien que vous êtes à peine sonné.

Pas suffisamment idiot pour avoir oublié que sa vie ne dépendait littéralement plus que de cet homme, mais assez pour n'avoir pas vraiment réalisé ces possibles implications lorsqu'il avait signé, il obéit sagement. Jaros mobilisait toutes ses forces pour juguler l'envie de sauter à la gorge du chauve, avant de lui crever les yeux et d'éclater son crâne lisse contre les renforts métalliques de sa petite à malle à effets personnels. Cela devait se voir à son regard, car Hohenstein, levant les yeux, le soutint avec une tranquillité insupportable.

- Comprenez bien que je ne peux me permettre d'avoir un agent insubordonné avec moi. Mais surtout, je pense qu'il vaut mieux vous préparer à l'avance à l'entraînement assez dur que vous allez recevoir.
- Vous... Hrrm, comment... vous avez fait ça ?
- Oh, une chose à la fois, Jaros. Cette technique est assez utile mais plutôt laborieuse à apprendre. Comme les cinq autres, d'ailleurs. Mais ah, je vais tout vous expliquer pendant que je vous entraînerai. Pour le moment...

Il sortit un papier de sa poche, le déplia soigneusement.*Bordel mais il en a combien ?!* Puis, prenant un air fort sérieux, le recruteur s'ébroua, et continua en articulant avec application.

- Hrrm, bon. Le Rokushiki, ou Sixième Style, est un art martial que tous les agents se doivent de maîtriser. Il se déploie sur trois axes basiques et stricts: la défense, la mobilité, et l'attaque. Ici, nous allons commencer par la défense. Vous pouvez me frapper si v*BAM*

Malgré son air impavide, Jaros était furieux, et à peine l'information arrivée à son cerveau qu'il lança un coup digne des combats de rue, presque à la limite du champ visuel adverse, ascendant et droit à la tempe gauche d'Hohenstein, l'accompagnant de tout le poids de son corps en une rotation hargneuse avant l'impact. Cependant quelque chose ne se passa pas comme prévu. La tempe, petite chose molle sur le coté du crâne, sembla sous ses phalanges plus dures qu'un mur de granit marin. Si le coup eut suffisamment de force pour faire bouger Hector, ce dernier resta comme une statue, glissant simplement sur le col. Les doigts rougis, ses os miraculeusement intact, le bruit de l'impact sourd résonnait encore dans sa tête alors que Jaros recula d'un pas, hébété.

- Je n'en attendais pas moins. On appelle ça "Tekkai". Une contraction générale particulièrement extrême, rien de bien extraordinaire en soi, mais... Il faut quelques temps avant que cela ne vienne, chez les quelques personnes que l'on estime apte à l'apprendre. Surtout que l'entraînement est assez rébarbatif.

De là, il n'eut pas besoin d'en dire plus, la suite coulait de source. Le jeune homme s'attendait déjà à se faire rouer de coups, mais ce ne fut pas le cas, l'autre avait encore quelque chose à dire. D'un ton affreusement léger, qui plus est.

- Vous avez failli me prendre de court, vous savez. Je m'attendais à quelque chose, mais pas avec une telle vitesse. Vous avez appris ça dans les rues de Manshon, le coup de l'angle mort ?
- Je l'ai appris à mes dépens, surtout.
- Bon, pour commencer je ne vais frapper que d'un poing, et vous lire quelques petites choses utiles à savoir. Pas de garde, Jaros, contractez-vous juste sous les coups.

C'est ce qu'il fit, encaissant les dents serrées, cherchant à ignorer la douleur, écoutant à peine ce qu'on lui lisait, jusqu'à ce que la nausée le rattrape. Il n'avait pas osé espérer que la chose n'arrive pas, mais elle le prit avec une violence et une rapidité surprenantes. Avant que tout ce que son ventre contenait ne s'échappe par ses narines et sa bouche, il esquiva un coup, chercha à négocier une pause, haletant et livide. Mais Hohenstein ne l'entendit pas de cette oreille, sortit calmement un seau de sous sa couchette, le lui tendit. Jaros n'eut pas vraiment le choix lorsque le flot acide lui envahit l’œsophage. Cela fait, le recruteur reprit son matraquage systématique. La nuit promettait d'être longue...
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