Ceci fait directement suite à cette Mission
- Qu'est-ce que c'est ?
Affichant un air emprunté face à celui interdit de Jaros, le jeune soldat n'arriva pas à répondre; sans doute le ton très froid qu'on lui servait ne l'aidait pas. Il posa donc son fardeau devant lui, et partit un peu précipitamment en rougissant, récoltant les gloussements de ceux présents dans l'infirmerie de la garnison. Le groupe d'hommes aux crânes rasés - ici pour panser les blessures superficielles récoltées lors de l'assaut de l'entrepôt - surtout, s'esclaffèrent bruyamment. L'un d'eux se plia de douleur à cause de cette hilarité trop prononcée, ne faisant que motiver celle de ses camarades; l'un deux en tomba presque à la renverse.
Jaros avait toujours oublié de reboutonner sa chemise, ou plutôt ce qu'il en restait, sur son maigre torse. Sa peau y paraissait plus pâle et nacrée que jamais, à coté du blanc cassé des bandages à son épaule et à son flanc. Refermant distraitement son vêtement, il en nota au passage l'état lamentable. Il venait à peine de récolter sa paie, et revenait pour reprendre l'ensemble de ses affaires, et... il ne savait trop qu'en faire, si ce n'est les jeter. Insensible donc au comique de la situation, le jeune homme, l'esprit préoccupé mais la curiosité reprenant le dessus, regarda le petit tas bien plié qu'on venait de lui apporter. *C'est pas sérieux ça quand même...*
Le petit matelot avait posé sur la couchette du jeune homme ce qui semblait être des vêtements. Prenant la pile, un coup suffit à confirmer au jeune homme la chose. Une chemise grise au col droit, une veste anthracite - au col droit lui aussi - d'aspect strict mais raffiné, un pantalon assorti, et plus étrange encore, une lavallière d'un profond vert émeraude. Incrédule, Jaros les regarda sans rien faire quelques secondes, entendant à peine lorsqu'on l'interpella.
- Jolies sapes ! Tu t'fais rincer par tes p'tites admiratrices mon gars ?
Les rires reprirent de plus belle, à tel point que même le vagabond ne put les ignorer. *Fermez-là...* Retournant prestement et prudemment les vêtements, il chercha la moindre trace suspecte, quelque chose laissé dans les poches, dans les coutures, une épingle coincée quelque part, n'importe quoi. Il allait abandonner lorsque quelque chose l'interpella. Un petit morceau de papier, même pas dissimulé, simplement dans une poche de la veste. Levant la chose, Jaros se demanda l'espace d'un fol instant si... *Non, ce serait complètement ridicule, pourquoi ferait-elle ça...*
Mais non, pas trace du patronyme honni de la mafieuse folle, rien. Pas même le "M" de sa Famille. Amelia Manicelli, malgré la démence perverse qui la caractérisait et l'intérêt tout personnel qu'elle avait porté au jeune homme, n'avait pas laissé sa trace. N'y était sans doute pour rien, finalement. Seule l'humiliation subie avait orienté Jaros vers cette piste, mais à présent...
Levant la petite feuille cartonnée devant ses yeux, le jeune homme regarda au travers à la lumière du matin qui passait par les fenêtres de l'infirmerie. Rien, là non plus. La diminution soudaine du bruit autour de lui le fit changer brutalement son regard de cible. Un homme, la démarche fluide, s'avançait dans l'infirmerie, recueillant des œillades curieuses. Plantant ses yeux dans les siens, Jaros murmura entre ses dents.
- C'est vous n'est-ce pas...
Hector Hohenstein, évidemment affublé de son sourire ténu, vint droit au jeune homme. Ses mains croisées dans son dos, il s'arrêta à quelques pas, jeta un petit regard éloquent aux vêtements dépliés à coté d'eux.
- N'est-ce pas à la bonne taille, finalement ? Avez-vous vérifié, jeune homme ?
- Vous...
Voilà qui le prenait de court, sur l'instant. Un tel aplomb, un tel calme rassurant, sans être mielleux ni excessif, comme si tout ce qui ne relevait pas de la bonhomie était illégitime d'emblée. Jaros se reprit aussi vite qu'il put, mais le début de colère qui avait éclos en lui avait été soufflé par cette simple phrase. Tant mieux, il se devait de jouer le jeu avec sérénité, au moins en surface. C'est l'esprit bien plus calme qu'il répondit donc. Ce petit échange ne rimait cependant à rien, pour lui. Il était clair à ses yeux qu'Hohenstein était responsable de ce cadeau inattendu, mais s'il ne voulait pas l'admettre directement, le jeune homme ne pouvait que prendre cela pour un aveu.
- Ce que je veux vérifier en premier lieu, c'est ce que l'on cherche à accomplir en me donnant cela. Jeter une tenue neuve serait un gâchis sévère, dans ma situation, après tout.
- Ce serait fâcheux, en effet.
- Vous en convenez donc. Peut-être est-il temps de vous expliquer alors ?
Ses propos étaient accompagnés du ballet délicat des mains de Jaros, pliant les vêtements à nouveau avec précaution. Le regard - accompagné d'un petit sourire - adressé à l'homme chauve donnait à la question une teinte faussement innocente; volontairement fausse. Sûr que jamais Hohenstein ne se tromperait là-dessus, le jeune homme jouait à un jeu qu'il ne maîtrisait que peu.
- Au vu de votre situation, il m'a semblé que ce geste était aussi léger pour moi que salutaire pour vous. Si vous voulez me rembourser, jeune homme, j'ai encore la note du tailleur.
Une réponse fort ambivalente pour le vagabond, qui se figea. *Il... Il se fout de moi, c'est pas possible...* Sa fierté fut si piquée sur l'instant qu'il le sentit physiquement, comme une myriade d'aiguilles grattant son crâne d'affreuse manière. Se faire humilier de la sorte - en finesse qui plus est - fissurait dangereusement la contenance du jeune homme, en plus de lui faire perdre la maîtrise fébrile qu'il avait sur ses paroles. Soudain il lâcha la pile de vêtements, sa main volant pour repousser du bout des doigts une mèche un peu trop près de son œil. Jaros ouvrit la bouche, et s'exprima avec un petit temps de décalage.
- Allons... Réglons ça, puis allons ailleurs, voulez-vous ? Nous devons parler.
- Je vous conseillerais tout de même de vous changer, une chemise en lambeaux et ensanglantée ne doit pas être des plus confortables.
Avant qu'Hohenstein ne finisse sa phrase, le jeune la retira d'un coup sec, rageur, arrachant les quelques boutons qui restaient, avant d'en faire une boule aussi dense que possible et la jeter parmi les bandages sales dans le bac qui gisait aux pieds de son lit. Son torse blanc et glabre lui sembla si rachitique et fragile d'aspect, dans la lumière ténue de l'infirmerie, qu'il en fut fasciné, presque gêné. On lui tendait ladite note, qu'il prit et régla en piochant dans les liasses de sa toute récente paie, avant de prendre le paquet de vêtements neuf et jeter un regard à l'armurière - ou infirmière - qui suivait l'échange à distance. Elle tourna la tête et indiqua d'un petit mouvement du menton un coin servant aux opérations délicates, disposant d'un rideau opaque.
- On fait sa timide mon gars ?
Loin de goûter à l'humour des mercenaires qui gloussèrent à la remarque de l'un d'entre eux, Jaros se retourna vers leur petit groupe, et les toisa d'un air glacial. Mis à part les cicatrices, les blessures et leurs vêtements - et leur crâne rasé approximativement-, ils étaient vraiment tous les mêmes, à croire que tous faisaient partie d'une fratrie de sextuplés. La même peau burinée, le même nez busqué, même gabarit ramassé... Ou était-ce le temps passé ensemble à vivre les mêmes choses et travailler en petite équipe qui les avaient modelés ainsi ? En tout cas leur humour peu cordial n'était pas trop du goût du jeune homme.
Après la "blague", tous s'étaient esclaffés gaiement. Captant l'intense et dure froideur dans les yeux du maigrichon, l'un d'eux, diplomate, fit un petit signe de la main à ses comparses, affichant tout de même un sourire canaille que Jaros ne goûta pas plus. *On s'est passé le mot pour se foutre de moi aujourd'hui, décidément...* L'impératif de faire quelque chose pour renverser la situation tiraillait le jeune homme. Rien de très élaboré ne venait, cependant. Il s'avança donc et attendit que leur hilarité se tarisse.
- Oh ça va, t'vas pas jouer la filette, c'pour s'marrer un peu !
- Je voulais juste vous remercier pour ce que vous aviez fait ce matin, vous six.
- C'pas la peine. On est rodé, 'vec mes frangins. Machel, qu'on s'appelle.
- Jaros Hekomeny.
Ce disant, le jeune homme avait tendu la main. Un peu intrigué, la crapule figea son sourire torve, semblant souffleter entre ses chicots en touches de piano - alternant le blanc cassé jaunissant avec un brunâtre prononcé - un rythme saccadé. *Un tic, peut-être ?* Il se redressa, peut-être las d'avoir à se dévisser autant le cou pour répondre au regard de Jaros, et sa paume caleuse claqua contre celle du vagabond, alors qu'il lui serrait la main de vigoureuse manière. Le jeune homme lui rendit de plus vigoureuse façon encore, arrachant avec une joie primaire le sourire de sa face mate et barrée d'une cicatrice. Ceci fait, il se retourna et, attrapant au passage la pile de vêtements neufs, alla droit au rideau, qu'il tira derrière lui. Les éclats de rire reprenaient, plus ténus, mais il n'en avait cure à présent.
Dernière édition par Jaros Hekomeny le Jeu 29 Nov 2018 - 11:20, édité 2 fois