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Le virage professionnel

- Enfin ! Il me tardait de vous rencontrer, monsieur Denuy.

   Oh oui, enfin ! Comme il dit ! Après avoir passé des jours entiers en pleine mer à supporter le rythme de vie de la Marine, avec des sujets de conversation aussi formels que barbants, à nettoyer le pont et éplucher les pommes de terre, à chanter tous les soirs "Mon cuirassé d'croisière" en compagnie de jeunots chouchoutés par les officiers de la capitale, à écouter Emma râler après Abel pour x ou y raison puis faire des bulles avec sa pâte à mâcher... Il était temps d'arriver !
   Et je ne parle même pas de la tempête qu'on s'est tapée avant de rejoindre Calm Belt pour traverser Grand Line : des nuages plus noirs que le plus noir des esclaves de Rhétalia, gros comme un pays et des vagues aussi hautes qu'un monstre marin. Elle était si violente que j'ai vu plusieurs marins vomir leur déjeuner une fois le calme retrouvé... Et je faisais partie de ceux qui ont sursauté en voyant nager juste en dessous un Roi des Mers. Rien que son grondement, audible depuis les profondeurs, a suffit à me faire respecter les soldats du Gouvernement, l'espace de cinq minutes : pouvoir garder consistance face à ça, même en sachant que le granit marin nous protège, suffit à prouver que ces hommes sont les gardiens de la Paix et de la Justice. Ils ont intérêt à avoir les épaules pour tout supporter.
   Comme je l'ai dit, ils ont eu droit à ma sympathie cinq minutes, pas plus.

   Mais je m'égare : la personne qui s'adresse à Abel Denuy, mon homme de main, n'est autre que Peter Jackspear, le Lord-Président de Lone Down. Nous avons été conduits à lui en passant par la base de la Marine. De là-bas, un dirigeable nous a directement récupéré pour nous conduire au monde inversé sans anicroche. En tant que son responsable-sécurité, je me trouve à ses côtés avec Emma.

- Tout le plaisir est pour moi, Lord-Président.
- Qui sont ces personnes à vos côtés ? Ils ne font pas partie de la Marine.
- Je vous présente Dorian et sa compagnie. C'est un homme auquel je dois beaucoup et qui souhaitait rejoindre cet endroit. Je l'ai donc engagé pour assurer ma sécurité, en plus de celle fournie par le Gouvernement pour le déplacement.
- Un manque de confiance ?
- Disons plutôt un excès de prudence. Je ne m'en cache pas.
- Je le conçois ! Et que cherchez-vous ici, Dorian ?

   Peter Jackspear plonge son regard dans le mien. J'ai l'impression de me faire sonder : ses yeux brillent d'intelligence et son sourire diplomatique en dit long sur sa personne. Il a beau se montrer accueillant, je ressens chez lui le calme froid et l'expérience d'un homme désabusé. J'ai intérêt à ne pas le froisser :

- J'suis à la recherche d'un lieu. Une connaissance m'a invité à m'y présenter.

   Je tends la carte d'Elizabeth Butterfly, la célèbre enquêtrice, au Lord-Président, lequel semble réfléchir :

- Ce nom... Que fait votre connaissance au juste ? Est-elle une habitante de l'île ?
- Pas vraiment, il s'agit d'une détective. D'après c'que j'sais, un des bureaux qu'elle a fondé se trouve ici : le MI4 j'crois...
- Le MI4... La Milice ! Vous voulez faire partie de la sécurité intérieure alors ?
- J'veux user d'mes talents à juste titre, voilà tout.
- Dans ce cas, je ne risque pas de vous en empêcher.

   Parce que tu as songé à m'en empêcher ?!

- Quelqu'un va vous y conduire, ne vous en faîtes pas. Je m'occupe de cela. Maintenant, monsieur Denuy : dirigeons-nous vers votre futur chez-vous.

   Lone Down est un endroit unique. Il n'existe aucune île de la sorte sur les Blues : suite à un événement historique, l'ancien royaume s'est retrouvé dans les airs, maintenu par une force mystérieuse et se retrouve encore aujourd'hui complètement retourné. Le sol, les habitats, les personnes... TOUT est littéralement inversé ! Il m'a fallu un moment avant de trouver mes repères et d'habituer mon estomac, comme la plupart de mes accompagnateurs du monde d'en bas.
   A cause de sa position unique, l'île est souvent plongée dans l'obscurité, sa propre masse cachant les rayons du soleil et les nuages chargés d'eau qui l'entourent rendent l'air humide. Un véritable fléau pour le linge à sécher. Cela n'empêche pas l'endroit d'être plutôt attrayant : l'architecture de la grande ville, particulièrement démarquée au niveau de Webmaster, n'est en rien comparable à celle de cités des Blues. Il y a tant de cultures différentes que la remarque semble couler de source, pourtant... En voyant cela de mes propres yeux, je me rends compte à quel point le monde est vaste.
   Et qu'il me reste du chemin à parcourir avant d'atteindre mon objectif.

   Alors que Peter Jackspear conduit personnellement Abel en direction de son bureau dans le centre-ville, je quitte son nouvel habitat en compagnie d'Emma et d'un petit homme en tenue d'officiel que le grand patron a fait appeler pendant le trajet. Celui-ci dit faire partie du MI4. Un des agents formés là-bas et travaillant sur le terrain.
   Nous traversons les rues sombres de la cité de Webmaster quand je ressens tout à coup quelque chose de désagréable dans mon dos. Une sorte de frisson. Sauf que ça ne vient pas de l'humidité :

- T'as senti aussi, Emma ?
- Oui...

   Si ce n'était que moi, j'aurais conclu que c'était ma paranoïa maladive qui était en cause. Mais si un assassin comme elle éprouve la même chose, alors ce n'est pas une erreur.
   On nous observe.


Dernière édition par Dorian Silverbreath le Mer 1 Aoû 2018 - 16:08, édité 1 fois
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Nous venons d'arriver devant le MI4, le quartier général de la Milice sur Lone Down. C'est un grand bâtiment construit dans le même style que les structures alentours. Style que l'on appelle "victorien" apparemment. Les lumières à l'intérieur lui donnent du contraste : on a l'impression de se retrouver devant l'une de ces baraques hantées, mais les ombres qui y gesticulent depuis les fenêtres ont l'air bel et bien vivantes. Le bruit rassure également, car il prouve que l'endroit est rempli et animé
   Nous rentrons, moi et ma tueuses à lunettes laquelle mastique sa gomme à mâcher tranquillement en regardant autour d'elle. Nous n'avions pas réussi à dénicher l'observateur, ce qui avait plombé le trajet. Il a dû comprendre qu'on l'avait senti approcher et s'était fondu dans le décor. Mais je me rappelle avoir ressenti un vif malaise alors qu'il nous suivait : le genre qui survient lorsqu'on se retrouve nez à nez avec un être dangereux...

   A l'intérieur, nous sommes accueillis par un déluge de paperasse volante : deux types plutôt pressés venaient de se rentrer dedans, avec chacun un bras chargé de documents et l'autre main tenant un escargophone. Ils commencent à se chamailler alors que nous les contournons, passons devant l'accueil - lequel me rappelle étrangement ces entrées dans les bâtiments administratifs de la Marine - et longeons un couloir où se trouvent les différents bureaux personnels des membres. Je peux les voir distinctement car il n'y a aucune porte. Les pièces sont ouvertes et empêchent aux hommes à l'intérieur de se montrer discret ou paresseux. La personne à l'origine de cette idée est un génie.
   Finalement, nous atteignons les escaliers, montons quelques étages et arrivons enfin devant le bureau du commissaire-divisionnaire en charge des lieux, celui-ci par contre est fermé d'une porte. Notre guide l'ouvre après avoir frappé deux fois, sans attendre de réponse. Je m'attends presque à voir Elizabeth, cette enquêtrice de renom que j'ai eu la chance de côtoyer sur Inari...

- Bonjour à vous.

   La personne en face est un homme. Un trentenaire aux yeux bleus et à la barbe blonde mal rasée emmitouflé dans un trench-coat gris. Il n'a pas l'air surpris de nous voir, sans doute parce que l'un de ses sbires nous a amenés. Son accueil reste simple, presque froid. J'en déduis juste qu'il est efficace et ne s'encombre pas des détails superflus :

- Bonjour, nous...
- Noms et motifs ?
- Euh... Dorian Silverbreath et Emma Skull. Nous v'nons de South Blue rien qu'pour vous voir.
- Oh ?

   C'était bien un "oh" interrogatif, pourtant tout dans son expression et dans le ton de sa voix était neutre. Difficile de dire s'il était réellement étonné. Je continue :

- J'suis venu car une connaissance m'a invité à r'joindre sa cause. C'était une offre intéressante et ça convient à mon mode de vie alors...
- Qui est votre connaissance ?
- Tenez.

   A nouveau, je sors la carte de mon piston : miss Butterfly. Cette fois, le blond en imper hausse les sourcils et ouvre la bouche. Il me prend la carte des mains et l'inspecte sous toutes ses coutures avant de me regarder à nouveau. Il me la rend enfin après avoir repris contenance et demande :

- Vous connaissez le patron... Fort bien. Vous êtes là pour vous engager, c'est ça ?
- Exactement.
- Mmh... D'habitude, je fais passer un entretien avant de prendre un agent. Il y a la période de mise à l'épreuve et le bizutage aussi...
- Pardon ?
- Mais puisque c'est une invitation officielle de la directrice générale, alors je n'ai pas besoin d'en discuter : vous êtes forcément quelqu'un de capable. Hound, emmène-les au bureau sept, premier étage.
- Celui des détectives privés, monsieur ?
- Oui. Quant à vous deux : voici votre contrat à remplir dans son intégralité et à signer. Je passerai le récupérer plus tard. Bienvenue parmi nous monsieur Silverbreath, miss Skull.
- Merci, monsieur...
- Collins. Commissaire Collins.

   Je salue l'homme d'un signe de tête et nous sortons de la pièce, papiers en main. L'agent Hound nous emmène jusqu'au bureau numéro sept au premier, lequel se révèle être vide. Du moins presque : deux tables et leur chaise respective, l'une en face de l'autre, de chaque côté ; quelques plantes vertes ; un canapé près d'une fenêtre ; deux lampes à huile ; une armoire de rangement... Il ne manque plus que des personnes pour habiter l'endroit. Ce que nous sommes invités à faire.
   Une minute après, l'agent Hound nous salue et s'en va, nous laissant seuls avec notre contrat à remplir. Je croise le regard d'Emma, assise à son bureau en face, laquelle semble circonspecte :

- Ce fut rapide...
- Tant mieux ! J'aime pas perdre mon temps. Au moins un truc qu'on aura en commun, l'commissaire et moi !
- Ça c'est sûr. Par contre, je trouve ça gênant.
- Sa barbe ?
- Non : la distance.
- Plaît-il ?
- Nous partageons le même lieu de travail et sommes quand même séparés.
- Ils doivent se douter que t'essaieras d'empoisonner mon café si tu t'approches.
- Ahah, bien sûr...
- ... Essaie au moins d'me contredire, empoisonneuse de service !
- C'est pour ça que tu m'as gardé, non ?

   Sur ce coup-là, elle a raison.
   Un silence s'installe le temps que nous remplissions le formulaire. D'après ce que j'ai compris : il existe plusieurs grades au sein de la Milice Internationale. Tout le monde est censé commencer agent, sauf s'il s'agit d'un candidat repéré par la directrice générale, ce qui fut le cas pour moi. Dans ce cas de figure, il est directement détective. Emma se retrouve être mon assistante. Viennent ensuite les enquêteurs agréés et le commissaire divisionnaire d'une cellule. Tout en haut de la hiérarchie, il y a le directeur-adjoint et la directrice, lesquels dirigent tout ce beau monde à travers les mers.
   Une fois que nous avons terminé, j'entends l'autre binoclarde soupirer :

- Qu'est-ce que t'as cette fois ?
- C'est gênant.
- La distance ?
- Non : on a pas pu voir qui nous observait.
- Mmh... Pas faux. M'enfin ça m'étonnerait qu'il vienne ici de toute manière. Autant attendre la fin de la journée.
- Et comment saura-t-on que c'est la fin de la journée ?

   Elle me montre l'extérieur en pointant la fenêtre du doigt. Avec nos lampes allumées, nous nous rendons compte à quel point il fait sombre dehors... Tout ça parce que cette île est sens dessus-dessous.
   Alors que je m'apprête à répondre, on frappe contre le mur d'entrée. Nous n'avons pas de porte, nous non plus. Aussitôt se présente devant nous une femme, plutôt mignonne, ni trop jeune ni trop âgée - sans doute dans mes âges - avec un costume onéreux, des lèvres pulpeuses et un regard incisif. Et une queue de cheval, ce qui fait toute la différence entre la bourgeoise snobinarde et la femme de pouvoir.

- Monsieur Silverbreath ? Dorian Silverbreath ?
- Lui-même.
- Je m'appelle Clara Loft, Lady du quartier des fonctionnaires.

   La belle femme me tend la main que je m'empresse de serrer. J'ai appris en route que cet endroit était dirigé par Jackspear et par les quatre autres Lords et Ladies gouvernant les quartiers de la ville dans les airs. Il s'agit donc d'une des figures de l'autorité ici. Je me demande ce qui peut bien l'amener à me rendre visite aussitôt après mon arrivée. Et surtout : pourquoi me connaît-elle ?
   Elle semble comprendre la question en voyant mon regard interrogateur :

- Je vous ai vu lors du débarquement. J'étais présente lorsque le secrétaire d'Etat est descendu rejoindre le Lord-Président.
- Oh ! J'comprend mieux tséhéhé... Qu'est-ce qui vous amène ici, Lady Loft ?
- J'ai entendu dire que vous aviez assuré la sécurité de monsieur Denuy durant le trajet, puis que vous aviez été choisi pour rejoindre le MI4. En tant que responsable des fonctionnaires, je ne pouvais pas passer à côté de ça. Votre arrivée fut plutôt "remarquée".

   Elle avait dit ça de la façon la plus naturelle possible. Sans doute voulait-elle me faire comprendre que j'avais fait bonne figure d'entrée de jeu. Mais je ne pouvais m'empêcher de croire qu'il y avait un sous-entendu... C'est la deuxième fois que j'ai une impression étrange dans la même journée.
   Je souris en retour à la remarque et répond :

- Eh bien, vous m'flattez ! Je n'ai fait que c'que l'on m'a demandé. J'ai surtout la chance de connaître les bonnes personnes.
- Les bonnes personnes, dîtes-vous ? Que diriez-vous d'en connaître davantage, dans ce cas ?

   Cette fois, elle me tend un papier. Il s'agit d'une nouvelle carte de visite, avec l'adresse du bureau des fonctionnaires d'où elle dirige le quartier. Il y a également d'autres succursales d'inscrites dessus, mais les informations les concernant restent vagues...
   Je lui lance un autre regard interrogateur mais elle se contente de me sourire avant de se rapprocher de l'entrée :

- Je voulais voir de mes propres yeux quel genre de personne était notre nouveau détective. Maintenant que les présentations sont faites, je retourne vaquer à mes occupations... Dur est le quotidien d'une Lady ! En espérant vous revoir, monsieur Silverbreath. N'hésitez pas à passer me voir si le devoir vous y oblige... Ou pour d'autres raisons. Faîtes attention à vous.

   Et elle quitte les lieux comme ça, sans attendre de réponse. Je me tourne vers Emma, laquelle réajuste ses lunettes sans trop savoir quoi penser de ce qu'il vient de se passer. Je triture le papier entre mes doigts en prenant un air songeur. Au bout de quelques instants, j'ouvre la bouche :

- Qu'est-ce que tu penses de ça ?
- C'était... Particulier. Ça me rappelle presque les rencontres que j'avais avec certains clients, pour mes "missions".
- Particulier ouais... J'ai jamais compris pourquoi les grands pontes faisaient c'genre de visite de courtoisie à la va-vite. Même par politesse c'est débile.
- Faut pas chercher. Mais elle m'a fait une drôle d'impression, cette Lady loft.
- Oh, toi aussi ?
- C'était bizarre. Un peu comme le malaise de tout à l'heure.
- Tséhéhéhéhé ! J'comprends tout à fait c'que tu veux dire ! Et puis y a un truc qui l'a rend encore plus suspecte.
- Quoi donc ?
- Au début, elle a dit m'avoir vu lorsqu'on est descendu du dirigeable... Sauf qu'avant d'partir, elle a clairement dit qu'elle voulait me "voir de ses propres yeux". Plutôt contradictoire, tu trouves pas ?

   Alors le visage d'Emma s'illumine tandis que la compréhension la gagne. Mes lèvres s'étirent, dévoilant toutes mes dents. Décidément tout va très vite sur Lone Down. A peine installés que nous devons déjà repartir à la pêche aux informations. Il va y avoir de l'action très bientôt, c'est certain.
   Là, ça devient intéressant.
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- Tu m'préviens dès que tu trouves quelque chose. T'auras qu'à rentrer au bureau et m'appeler via escargophone.

   Pratique ces appareils personnels. J'en avais acheté un lors d'un travail il y a quelques temps et je dois avouer que ça facilite nettement l'obtention de clients : certains ne se donnent pas la peine de se déplacer pour venir solliciter mes services. Et ça me permet ici de faire mes recherches seul dans mon coin pendant qu'Emma part voir ailleurs.
   Nous avons rendu nos contrats remplis au commissaire Collins puis nous sommes sortis en attendant d'être "prêts à l'emploi". Cela nous laisse le temps d'en apprendre davantage sur la ville, sur notre suiveur potentiel et sur cette Clara Loft... J'espère seulement en apprendre suffisamment d'ici la fin de la journée : nous sommes arrivés sur l'île en début d'après-midi et ne pas pouvoir se fier au soleil devient un handicap. Je n'ai pas envie d'être déphasé alors que je viens de trouver un travail ! Il ne manquerait plus que j'arrive au bureau avec des cernes jusqu'aux genoux en tirant une gueule de trois mètres de long ! J'ai beau être vu comme une crapule - ce que je ne contredis pas - ça ne m'empêche pas de vouloir rester efficace et ordonné. Un travail bien fait est toujours bien préparé. C'est d'ailleurs ce qui sépare le manuel sans cervelle du penseur malveillant, et j'aime croire que j'appartiens à la deuxième catégorie.

   Je circule dans le quartier des fonctionnaires comme n'importe quel passant, regardant aux alentours à la recherche d'une pancarte ou d'un signe particulier. Mais tout ce que je vois pour l'instant, ce sont des banques, des sociétés, des maisons bourgeoises et des salons d'exposition. Il y a même une guilde marchande établie dans un coin, près des faubourgs. Mais je n'ai pas encore croisé quoi que ce soit qui puisse susciter de l'importance à mes yeux.
   Jusqu'à ce que je tombe devant le Bureau.
   Je vérifie l'adresse sur ma carte et constate qu'il s'agit de la même : c'est bel et bien l'endroit où siège Lady Loft.

   Je regarde à l'entrée et remarque que deux gorilles surveillent la porte. Sans doute des miliciens chargés de la sécurité. Je lève les yeux dans l'espoir de reconnaître la silhouette de ma récente rencontre au travers d'une fenêtre, en vain. Je décide finalement de faire demi-tour.
   Il est trop tôt pour solliciter un rendez-vous, surtout que la dame a parlé d'une affaire à régler. Elle doit se trouver ailleurs à l'heure actuelle et déranger son personnel de service n'y changera rien.
   Je commence à m'éloigner et, en passant près du porche d'un bâtiment administratif quelconque, deux choses se passent : la pluie se met à tomber sans prévenir ; je me sens de nouveau observer.

- Tséhéhé... cette fois j't'aurais.

   Je continue mon chemin, l'air de rien. L'important est de faire croire à mon stalker que je ne me suis pas rendu compte de sa présence. Je marche, il me suit sans un bruit, trahi seulement par le malaise qu'il inspire et par ma prudence maladive. Je tourne à gauche, il tourne également. Je tourne à droite, il fait de même. L'obscurité et la pluie ne semblent pas le gêner et je reconnais son talent : j'ai beau zieuter derrière moi à chaque virage emprunté, je suis incapable de le voir...
   Après m'être suffisamment éloigné des locaux de Lady Loft, je cesse de faire semblant. Je me dirige dans un ultime couloir et me retourne, attendant que l'autre se montre enfin. J'attends là pendant cinq secondes, six secondes... Quinze secondes... Rien. Il ne vient pas. Je commence par me demander si j'ai rêvé. Mais impossible de me débarrasser de ce regard dans mon dos ! On m'observe, c'est certain et pourtant...
   Dans mon dos ?

   Je fais volte-face et distingue alors une silhouette humaine, debout à l'autre bout de la ruelle, en train de regarder vers moi. Il se met à courir dans le sens opposé.

- OH ! REVIENS ICI CONNARD !

   Le genre de réplique qui donne très envie à l'intéressé d'obéir, il faut l'avouer.
   Je perds l'autre de vue lorsqu'il tourne à droite. Je fonce aussi vite que possible jusqu'au carrefour et tourne à mon tour... Sauf que je ne vois personne. Littéralement : il n'y a pas âme qui vive dans la rue et les "ploc" incessants autour de moi m'empêchent d'entendre le moindre bruit suspect. Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Je reste là, comme une andouille, à fixer la route pavée et la pluie qui tombe. A bien y regarder, il n'aurait pas pu atteindre les rues adjacentes à la vitesse où il allait. Ce qui n'est pas logique... Ça a le don de m'énerver.
   Déjà : comment a-t-il fait pour passer dans mon dos alors que je venais d'entrer dans une ruelle étroite ?! Il n'a pas eu le temps de faire le tour, c'est impossible. Ce n'est pas normal ! Il y a quelque chose qui cloche dans tout ça...

   Au moment où je reprends contenance, j'entends un léger frottement plus en arrière, près du couloir où je me trouvais précédemment. Je m'y dirige aussitôt, en espérant que l'averse couvre mon approche. Je surgis d'un coup et agrippe le vêtement qui dépasse légèrement du passage, je le tire vers moi et force son propriétaire à lever la tête :

- Cette fois j'te tiens, enfoiré d'mes...
- At-attendez ! Je ne suis pas là pour...
- Qui t'es et qu'est-ce que tu m'veux, hein ?!

   La personne que je tiens entre mes doigts est vêtue d'un costume basique, ni trop riche, ni trop pauvre. Ses yeux marrons ne dégagent rien de particulier et ses cheveux sont coiffés simplement. Il a le visage ovale, le nez fin, mesure dans les un mètre soixante-dix à tout casser et ne dégage pas grand chose de dangereux non plus... En somme, il parait totalement banal. Mais un détail attire mon attention et me permet de dire qu'il est loin d'être un type lambda : le mini-escargophone pendu à son ceinturon.
   C'est mon homme, pas de doute. Je ne sais pas encore comment il est parvenu à se payer ma tête mais ce n'est pas vraiment le plus important :

- Parle, vite !
- Je... Eh bien...
- Allez grouille !
- C'est-à-dire que...
- J'vais bientôt cogner si tu t'dépêches pas !
- Non non non attendez !
- Trois...
- Je ne suis qu'un intermédiaire et...
- deux...
- On m'a demandé de vous suivre...
- Un...
- Mon commanditaire est à Roublard !

   Je baisse le poing tandis que l'autre se couvre le visage avec ses mains, grimaçant à l'idée de se faire taper dessus. Je lâche un peu de lest, histoire qu'il puisse toucher le sol sans craindre pour son équilibre et l'observe calmement avant de sourire d'un air satisfait :

- Eh bah ! C'était pas si dur.

[...]

   Roublard, un des bâtiments les plus impressionnants sur Lone down à n'en point douter. Toujours la même architecture qu'ailleurs, et pourtant se dégage des murs une sensation étrange, comme si l'établissement avait été conçu pour vous faire sentir petit et ignorant. Il y a quelque chose de mystérieux qui s'en dégage. D'ailleurs, une question naît dans la tête de quiconque le voit pour la première fois : qu'est-ce qu'on peut bien y faire ?
   Mon stalker au physique banal m'invite à m'approcher quand...

   Pulupulupulupulu. Pulupulupulupulu.

   Je décroche :

- Ouais ? Emma, c'est toi ? J'suis sur une piste là...
- Dorian... Rejoins-moi à Roublard.
- ... Bah écoute, tu fais bien d'en parler.

   Je m'apprête à rajouter "Bouge pas, j'arrive." mais décide de raccrocher. Si elle est ici et qu'elle a pu me joindre, c'est qu'on l'a laissé faire. Ou qu'on lui a demandé de le faire... Je sers les mâchoires et rentre à l'intérieur.
   D'abord je ne vois pas grand chose, puis je reconnais un hall. Il est spacieux, plutôt sympathique et bien entretenu. Sauf qu'aucune lumière n'est allumée et que personne n'est là pour m'accueillir. Finalement, c'est le mec normal qui m'indique le chemin à suivre : une double porte située sur le côté gauche, avec marqué dessus "Personnel Uniquement". Il m'explique que la porte est fermée à clé la journée. Seul l'agent en poste peut l'ouvrir...

    Nous ouvrons et tombons sur des escaliers. Nous les descendons et arrivons dans une petite pièce entourée de plusieurs portes. Au centre, une chaise sur laquelle est assise Emma. A côté d'elle :

- Monsieur Silverbreath ! Je ne m'attendais pas à vous revoir aussi tôt.
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- Que voulez-vous ! Faut croire qu'vous m'manquiez déjà... En attendant, j'suis curieux d'savoir comment mon assistante s'est r'trouvé là, avec vous.

    Clara Loft, encore plus attirante que lors de notre entrevue plus tôt - sans doute parce qu'elle s'est débarrassée de la veste qui couvrait ses épaules et sa taille - tient dans sa main droite un escargophone aux yeux clos et a la main gauche posée sur la tête d'Emma. Celle-ci semble évanouie.
    La Lady du quartier des fonctionnaires répond :

- Nous avons trouvé votre amie alors qu'elle furetait de ce côté de la ville. Mes agents ont jugé bon de me l'amener, rien de plus... D'ailleurs, je me permets de vous le demander : que cherchiez-vous, tous les deux ?
- Oh trois fois rien : juste c'que vous manigancez.
- Ce que je manigance ? Expliquez-vous.
- Quand j'suis arrivé ici, j'ai senti qu'y avait un truc pas net. J'ai l'nez pour ça. Alors quand vous avez débarqué dans mon bureau en disant vouloir me "voir"... J'ai fait l'rapprochement.
- Vous n'êtes pas aussi bête que vous le laissez croire.
- ... J'hésite à dire merci.
- Mais vous n'avez qu'à moitié raison.

   Nous nous fixons pendant un moment sans mot dire. Elle reste là à me sourire d'un air moqueur, comme pour se vanter de sa supériorité du moment. Je suis là, dans l'incompréhension, et elle se délecte de la situation. Ça a l'air de l'amuser... Personnellement je tente de garder contenance, même si je me sens particulièrement frustré.

- Je suppose que ce "truc pas net" comme vous dîtes est la raison pour laquelle monsieur Weldone est avec vous.
- Le mec banal ? J'ai compris qu'on m'suivait d'puis un moment ouais.
- C'est assez vexant...
- C'est plutôt impressionnant : ce n'est pas donné à tout le monde de pouvoir sentir la menace. La plupart du temps, les gens se méfient trop de la nuit pour rester sur place ou marcher calmement. Ils ont tendance à déraisonner, ce qui les empêche de se concentrer sur ce qu'il se passe réellement autour d'eux. Même pour les mercenaires expérimentés, le simple fait d'arriver ici et de s'y déplacer pour la première fois trouble leurs sens. Je parie que vous ne vous êtes pas encore habitué à la vie à l'envers, n'est-ce pas monsieur Silverbreath ? Marcher la tête en bas doit vous faire bizarre. Ça ne fait même pas une journée après tout...

   Elle dit vrai. J'ai eu la tête qui tourne et l'impression que le sang afflue vers mon cerveau trop vite à cause de l'inversion. Résultat des courses : un mal de crâne et des nausées dès la première heure. J'ai eu beau me retenir de lever la tête, voir la pluie tomber avec en arrière-plan des aéronefs, une archipel et la mer là où devrait être le ciel... C'est déstabilisant. Mais voilà, je suis moi et j'ai mes problèmes. Ce sont eux qui m'ont permis de garder les pieds sur terre au moment opportun et mon sentiment permanent d'insécurité qui m'a aidé à détecter le mouchard.

- Mais c'est justement ce qui est intéressant. Malgré ce handicap, vous avez senti les regards posés sur vous... J'ai bien fait de me montrer curieuse. Après avoir entendu ce que vous aviez fait sous RedLine, en aidant la Marine, il me tardait d'apprendre à vous connaître davantage. Alors j'ai eu l'idée de vous tester. Je voulais savoir si vous méritiez vraiment cette place au MI4. Qu'elle vous soit servie sur un plateau de la sorte était pour le moins étonnant. Surtout quand on vous regarde...
- Hé ! Vous vous fichez d'moi ?! Espèce de fout...
- Comme quoi ! On ne juge pas un livre à sa couverture. Et je peux vous assurer que j'en ai lu beaucoup. Sans doute plus que vous n'en lirez jamais en l'espace de cent ans. Vous avez réussi à me surprendre. Vous avez même entendu l'incohérence dans mes propos dans votre bureau. C'est ce qui vous a mené jusqu'à moi...
- Vous aviez fait exprès...
- Eh oui ! Tout était entièrement planifié... Même si je confirme le fait que je vous attendais plus tard. Qu'est-ce qui vous a mis sur la piste aussi rapidement ?
- Bah l'type banal là.
- C'est Weldone !
- Je l'ai chopé dans un coin alors qu'il me faisait tourner en bourrique à quelques rues d'ici.
- Qu'il vous faisait tourner en... Oh je vois.

   Cette fois, le visage de la belle devient grave. Pas besoin d'être physionomiste pour comprendre que que quelque chose la dérange dans ce qui vient d'être dit. Elle transperce son agent des yeux et lui se contente de hocher la tête d'un air désolé avant de baisser le regard, pitoyable.
   Je me gratte le coin de la tête. Je n'ai pas le sentiment d'être en danger dans l'immédiat : personne n'a d'intention meurtrière ni quoi que ce soit, mais c'est ce qui rend ma position inconfortable. Je ne comprends pas vraiment ce que je fais là alors que j'y ai été attiré. Les lèvres pulpeuses de Lady Loft s'ouvrent à nouveau :

- Dans tous les cas monsieur Silverbreath, j'aimerais vous demander quelque chose.
- Essayez toujours.
- Détendez-vous : si vous êtes ici, c'est en partie parce que je l'ai souhaité, mais c'est avant tout parce que vous avez réussi mon petit test.
- C'est à dire ?
- C'est très simple : je sais beaucoup de choses...
- ... Mais encore ?
- Vous n'avez pas saisi. Je maîtrise l'information sur Lone Down. S'il se passe quelque chose d'incongru, si un mystère voit le jour, si un inconnu débarque, je suis forcément au courant. Je ne suis pas devenue Lady avec seulement mes talents bureaucratiques ! Et il faut avouer que la Milice Internationale aide grandement mes affaires, avec ses agents de terrain. C'est une main d'oeuvre efficace qui aide beaucoup le Gouvernement Mondial. Alors j'en choisis certains, parmi les plus prometteurs, et je les engage pour qu'ils deviennent encore plus efficaces !
- Alors c'est ça ? Vous voulez dire que...
- Exactement. Je veux vous embaucher, au nom du Gouvernement Mondial, monsieur Silverbreath. Seulement... Je devais m'assurer de vos compétences.
- Et dans quoi est-ce que j'm'engage exactement ?
- Je ne peux pas vous le dire.
- Comment ça vous pouvez pas m'le dire ?
- Comprenez simplement ceci : ce dans quoi vous êtes susceptible de vous engager nécessite une confiance absolue de la part de nos services. Je ne peux pas recruter n'importe qui ! Il faut que l'on ait la preuve de votre bonne volonté, de vos capacités, et surtout de votre intégrité. Votre passif joue en votre faveur pour l'instant, monsieur Silverbreath, mais votre passé et celui de votre collègue ici présente nous est inconnu. Je ne prendrai aucun risque... Ma vraie question est donc la suivante : êtes-vous prêt à subir un ultime test afin de vous engager parmi nous ?
- "Subir" ? Ca m'paraît pas hyper réglo...

   Maintenant, le visage de Lady Loft n'affiche plus rien. C'est la neutralité la plus totale, ce qui la rend encore plus perturbante. Son côté "mignonne" vient d'en prendre un coup mais... Difficile de refuser quand on voit ses lèvres sensuelles et qu'on imagine ce qu'il pourrait se passer dans le meilleur des cas.
   Evidemment ma motivation est toute autre :

- M'enfin ! Qui j'suis pour refuser d'jouer à un jeu dangereux ? Et puis entre nous : c'est parce qu'y a un mystère à élucider que j'peux enquêter à ma guise. Ça s'rait con d'refuser ! Envoyez tout, j'suis prêt à encaisser.
- C'est exactement ce que je voulais entendre. Maintenant, à vous de prouver que vous êtes sincère en réussissant. Je n'ai pas besoin de vous dire ce qu'il risque d'arriver si vous me décevez, n'est-ce pas ?
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Je suis lessivé.

   En soi, la première étape de mon nouveau test n'avait rien de surhumain : un questionnaire d'une cinquantaine de questions bien choisies, à la fois simples et courtes, mais étonnamment lourdes de sens. Du style "Avez-vous déjà tué ? Si oui, pourquoi ?" ou encore "En quoi croyez-vous le plus ?"... Et comme il s'agissait d'un questionnaire lié au Gouvernement, n'importe qui peut se douter vers quoi tout cela s'oriente.
   C'était un examen psychologique. Je me suis trituré les méninges comme jamais pour répondre convenablement, et ce sous le regard pesant d'un gardien de porte très peu loquace. J'imagine qu'il était là non pas pour savoir les réponses à l'avance, ni pour m'empêcher de sortir, mais plutôt pour vérifier combien de temps je mettais pour répondre. Si j'avais fait mine de trop réfléchir, une hypothèse aurait pu naître : monsieur Silverbreath cherche à mentir.
   Malheureusement pour eux, je ne suis pas du genre à mentir. Par contre, je suis très fort pour omettre des précisions et orienter le sens d'une phrase vers une autre. Un peu comme si on me demandait "As-tu touché à ma fille ?" et que je répondais "Non, ce n'est pas moi." A bien y réfléchir, on comprend où cela mène.
   En l'occurence, c'est bien arrivé et j'étais présent. Mais c'est une autre histoire.

   Il n'empêche que ce questionnaire m'a fatigué l'esprit. Une fois sorti de la pièce et amené dans la cour intérieure de Roublard, je me suis mis à douter de certains de mes choix... Non pas parce que je pense avoir mal répondu, mais parce que ces questions, à l'air si innocentes, font le même effet qu'un gosse qui demande à son père "Pourquoi tu m'achètes des vêtements en cuir si tu n'aimes pas qu'on fasse du mal aux animaux ?". La réponse vient toute seule, mais cela remet en question certains de tes principes moraux.
   Et maintenant je me retrouve au milieu d'un groupe de cinq personnes, avec en face Lady Loft, Weldone et un autre vieux bonhomme aux allures d'instructeur : il a le regard dur, les épaules droites malgré son dos voûté, les mains dans le dos et un vêtement impeccable avec un pistolet à la ceinture. Il se met alors à brailler des ordres aux autres types autour de moi, lesquels le saluent et se mettent à faire le tour de la cour au pas de course.
    Lady Loft m'approche et me dit :

- Quant à vous monsieur Silverbreath : vous allez commencer par nous montrer ce que vous savez faire.
   
   S'ensuit une série d'exercices aussi expéditifs que répétitifs. D'abord trois sauts en hauteur, puis en longueur, trois coups de poing dans un mannequin d'entraînement, puis des coups de pied, trois tentatives d'esquives de balles en cuir rembourrées au plomb, trois séries de génuflexion rapides et enfin la levée de plusieurs altères de poids différent, croissant jusqu'à connaître ma limite.
   Le test d'aptitude terminé, la belle m'explique que les résultats du jour vont être analysés le temps que je me rende dans une salle d'interrogatoire.
   Là, je me reçois une nouvelle série de questions à la figure de la part d'un mec à peine plus vieux que moi et pas très souriant. Je réponds tant bien que mal en tentant de garder la tête froide. Il cherche la faille, il cherche à me faire craquer, mais je tiens bon. Quand il se permet de se moquer de ma peur du feu, je résiste à l'envie de lui en coller une. Même lorsqu'il me demande comment j'ai rencontré Emma, je parviens à faire passer ça pour une "histoire de coeur compliquée"... J'appuie toujours sur le fait que ce n'est pas un mensonge. Mais je ne peux pas me permettre de lui dire qu'il s'agit d'une relation à sens unique et potentiellement mortelle pour les deux parties. Encore moins qu'on l'a engagée pour me tuer à la base.

    Au bout d'une heure, on me laisse enfin souffler... Puis Clara revient me voir et me demande à nouveau de la suivre. Nous retournons dans la cour où je retrouve ma tueuse à lunettes intacte. Elle paraît aussi fatiguée que moi. Je suppose que je n'ai pas été le seul à subir des "tests".
   Miss Fonctionnaire 1627 nous lance un grand sourire avant de poser une main sur sa hanche et d'agiter des feuilles devant nos yeux :

- Voici vos résultats respectifs. Je dois dire que vous m'impressionnez tous les deux ! Vous êtes plein de surprise...

   Là encore, une phrase lourde de sens. Je grince des dents, attendant la suite avec une certaine appréhension :

- J'en ai appris pas mal sur votre passé. Deux histoires plutôt tristes il faut l'avouer, mais ce n'est pas le plus important... C'est ce qu'il s'est passé ensuite qui m'interpelle.

   J'espère sincèrement qu'Emma a trouvé une excuse pour ses activités jusqu'à récemment... Mieux vaut qu'elle mente plutôt qu'elle avoue. Sinon, nous sommes foutus.

- Je dois avouer que je ne vous imagine pas assassiner des gens de sang froid, miss Skull.

   OH LA CRUCHE !
   C'est bon, on est mort. Merci. Bravo. Qu'elle est conne qu'elle est conne qu'elle est conne qu'elle est conne qu'elle est conne qu'elle est conne qu'elle est...

- Mais votre histoire à propos de monsieur Silverbreath m'a émue. Et cela a suffit a convaincre tout le monde ici.

   Qu'elle est chanceuse !
   Je me tourne vers Emma en affichant un air niais et interrogateur. Elle se contente de détourner la tête en rougissant légèrement et en réajustant ses lunettes. Lady Loft me fixe maintenant avec insistance :

- Vous êtes encore plus impressionnant que je ne l'imaginais. Vous avez dépassé mes attentes et de loin ! Vous faîtes preuve d'un sang froid hors du commun... A moins que ce soit juste une façade particulièrement réussie.
- Au risque d'vous décevoir, c'est sûrement la deuxième option...
- Cela reste formidable, surtout si c'est sincère : vous faîtes bien de jouer franc-jeu avec nous. Vous savez parfaitement que mentir n'est pas envisageable et qu'il vaut mieux s'attirer notre confiance. N'est-ce pas ?

   Pas besoin de répondre, c'est purement rhétorique.

- Vous avez avoué que votre travail jusqu'à présent n'avait rien de bien reluisant. Mais le test psychologique montre clairement que vous visez toujours plus loin : vous êtes du genre à réfléchir sur les conséquences futures et à avancer pas à pas pour atteindre votre objectif à long terme. La patience est importante, et le courage de s'en tenir à ses principes est respectable. Vous avez un but et vous n'êtes pas du genre à vous arrêter en chemin... Là encore, c'est une qualité. Vous êtes du genre professionnel. J'ajoute que vous êtes venu en aide à la Marine, que vous avez assuré la sécurité d'un homme politique, que vous avez été vu au Royaume de Bliss sur South Blue, là où sort la plupart des navires de la Marine du secteur...

   Cette fois encore, un frisson me parcourt : ce dernier point, je ne l'ai mentionné nul part... Jusqu'où s'est-elle renseignée au juste ?! Elle est foutrement dangereuse la fonctionnaire !

- ... Et enfin je note que vous avez des capacités supérieures à la moyenne initiale. En somme, vous seriez d'ores et déjà prêt à vous faire engager. Seulement voilà...

   Qu'est-ce qu'elle sait ? Qu'est-ce qui la gêne ? Où est-ce que j'ai merdé ? Alors que j'ai choisi mes mots avec rigueur, que j'ai appliqué les cours d'Abel en matière de jeu de rôle et que j'ai vanté les mérites du Gouvernement Mondial, au risque de me dégoûter du plus profond de mon être ?
   La demoiselle aux lèvres pulpeuses sourit de nouveau. Ses yeux brillent alors d'un éclat de malice et j'imagine les atrocités qu'elle se prépare à nous soumettre en guise de châtiment. Je n'ai pas l'habitude de me retrouver dans l'impasse, mais là c'est pire que tout. Je me sens impuissant. Quelque chose me dit que foncer dans le tas ne fonctionnera pas et je ne remets jamais en question mon instinct de survie... La folie est une arme, mais la raison protège de bon nombre de conneries.
   Même si c'est pour un temps.

   Finalement le verdict tombe :

- J'aimerai que monsieur Silverbreath reste ici pour passer un tout dernier test, pour voir si je peux vous faire confiance pleinement.

[...]

- Tu es sûr de toi, Dorian ?
- Un peu que j'suis sûr ! Y a un truc pas normal qui s'trame ici et j'crois qu'tu vas faire partie des dommages collatérals à venir.
- Collatéraux...
- Quoi ?
- On dit collatér...
- On s'en fout ! Emma est en route. Elle va rester avec toi au cas où... Prév'nez-moi si quelque chose arrive !
- Tu t'en fais pour moi ?
- Raconte pas d'connerie.
- Evidemment...
- J'y r'tourne. Amusez-vous bien, monsieur le secrétaire d'Etat.
- Toi de même, roi de pacotille.

   Je raccroche et retourne dans la cour, laquelle sert ici de terrain d'entraînement. Face à moi, l'un des cinq types qui s'échauffaient pendant mon examen approfondi. A côté, les trois mêmes spectateurs, à savoir Weldone, le vieux et la Lady. Celle-ci m'a fait une révélation plutôt intéressante la veille :

- Vous disiez que Weldone vous avait fait tourner en bourrique. Quand exactement avez-vous commencé à vous sentir observé ?
- Juste après être sorti d'chez le secrétaire d'Etat.
- Aucun de mes hommes ne vous surveillait à ce moment-là.

   Ça a eu l'effet d'une claque.

- Y avait quelqu'un ! J'suis sûr !
- Et je le crois aussi... Il se trouve que depuis quelques temps, mes hommes surveillent la ville à cause d'un problème interne.
- Pourquoi surveiller la ville, si c'est interne ?
- Parce qu'il s'agit d'une trahison et que cela risque d'avoir des répercussions à l'extérieur de Roublard.

   Effectivement, ça a du sens.

- Qu'est-ce que ça a à voir avec moi ?
- Weldone a remarqué quelque chose au moment où vous êtes arrivés. Il a aussitôt commencé sa filature... Mais ce n'est pas vous qu'il suivait. C'est un autre agent : le traître.
- Vous voulez dire que...
- Le traître en a après vous. Ou quelqu'un de votre entourage...
- Le secrétaire d'Etat ! Put...
- Si vous avez été bluffé comme vous me l'expliquiez, c'est parce que cet agent est un vétéran de chez nous : il maîtrise quelques "techniques secrètes" assez utiles pour le terrain. J'imagine qu'il vous a fait le coup de disparaître d'un endroit pour apparaître dans votre dos ?
- En effet.
- Geppou et soru...
- Pardon ?
- Rien du tout. Je me dis juste que votre dernier test se précise : c'est vous qui allez vous occuper de ce traître.
- Pardon ?!
- Je ne veux pas que vous l'attrapiez. Je veux que vous le tuiez. Mais attention ! Pas d'arme. Ni de poing. Vous ferez cela avec un doigt seulement.
- PARDON ?!?
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- PUTAIN !!!!!

    Mais merde quoi ! Ça fait un mal de chien ! Et l'autre vieux débris censé m'entraîner est là, en train de se marrer alors que je viens de presque me briser le doigt en tentant de l'enfoncer dans une cible en pierre ! Et il a osé me dire : "Tu es prêt... Sans doute."
   Je lui aurai volontiers arracher les cheveux s'il lui en restait un tant soit peu sur le sommet du crâne ! Surtout après m'avoir fait courir sans raison pendant un heure, m'entraîner à la boxe avec les autres recrues - pas très bavardes elles non plus évidemment - et faire des pompes en appui sur les index ! Pas la peine de préciser que c'est aussi difficile qu'incongru.

    J'ai passé le reste de la journée à enchaîner les séries d'entraînement du formateur en bougonnant et en maudissant chaque personne qui passait dans mon champ de vision. J'ai ainsi promis en pensée la mort du vieux plus de cinq cent fois et celle de mon partenaire d'échauffement, un blanc-bec aux guiboles tremblantes, une bonne cinquantaine de fois également. Le pauvre a dû se sentir particulièrement concerné par mon regard meurtrier car il a fini par prétexter des maux de ventre incontrôlables pour ne plus avoir à me faire face.
    Lorsque je finis par sortir de Roublard, j'aperçois Emma dans un coin, en train de m'attendre :

- T'es pas censée être avec Abel ?
- Il a une réunion avec le Lord-Président aujourd'hui. Ce sont ses gardes qui assurent leur protection en ce moment. J'en ai profité pour passer au bureau du MI4 pour récolter quelques informations sur de possibles mouvements suspects en ville.
- Et donc ?
- Rien du tout. Celui qu'on cherche est particulièrement précautionneux. Les seuls faits rapportés sont les tiens, notés sur une feuille volante, et le témoignage de cet agent Weldone, en tant que civil. Et évidemment, ça n'a commencé que lors de notre arrivée.
- Tout ce qu'on sait déjà, quoi... Bon j'vais voir c'que j'peux faire d'mon côté. Toi, reste bien avec Abel, comme convenu !
- Et moi qui pensais que tu estimais davantage mes talents... Me laisser m'occuper de "ça"...
- Cesse de faire l'enfant ! Vous finirez par vous entendre, qu'ça vous plaise ou non ! C'est un sacré numéro, mais j'en ai besoin alors fais c'que j'te dis.

   Et nous nous quittons. Je peux l'entendre soupirer dans mon dos. C'est fou ce qu'elle peut être râleuse. Pire que moi ! Mais il faut avouer qu'Abel est un véritable maître dans l'art de faire sortir les gens de leurs gonds.
   Je retourne aussitôt au MI4 pour rejoindre mon office et y récupérer du matériel d'investigation : feuilles de note vierges, encre et manteau. Les rues de Lone Done sont plutôt fraiches la nuit et ayant transpiré tout l'après-midi, je ne tiens pas à attraper froid de façon bête... J'aurais peut-être pu prendre une douche avant mais je n'ai pas la patience pour ça. Et ce n'est pas comme s'il y avait foule à l'approche de la nuit, si ce n'est dans les quartiers animés.

   J'arpente ainsi le quartier des fonctionnaires, passant près du bureau de Lady Loft, sans regarder les fenêtres cette fois-ci. Je ne tiens pas vraiment à la voir. Pour l'instant du moins. J'aurai tout le temps de fantasmer sur elle une fois que j'en aurai terminé avec ma mission. Car s'il y a bien une chose sur laquelle je suis parfaitement d'accord concernant mon relevé psychologique, c'est bien le professionnalisme dont je sais faire preuve.
   Mais même avec toute la rigueur dont je suis capable, je me retrouve à errer sans indice, sans piste et, surtout, sans que personne ne me suive ce soir. C'est une soirée infructueuse qui me laisse un goût amer en bouche. Après près de deux heures de marche aléatoire, je finis par baisser les bras et...

Pulupulupulupulu...

[...]

    Cela fait trois jours que je m'entraîne en y mettant toute ma bonne volonté et je n'obtiens aucun résultat probant : je ne sais pas à quoi cela me sert, je ne sais pas exactement ce que je dois prouver en parvenant à perforer un caillou avec mon index et je n'ai toujours rien concernant le traître de Roublard.
   L'appel d'il y a peu venait d'Emma, laquelle avait perçu le danger lors de la réunion du Lord-Président, tandis qu'Abel était à ses côtés. Mais au final, la garde personnelle du chef officiel de Lone Done avait fait fuir l'individu avant qu'il puisse commettre le moindre méfait... Et sans qu'on parvienne à l'identifier clairement. Et malheureusement, on ne saute pas sur des conclusions en se basant sur des suppositions à la Milice : le commissaire a insisté en disant que l'intrus sur les lieux pouvait être n'importe qui, et pas un "espion supposé" échappé d'une école secrète gouvernementale...
   Sauf que je ne suis pas d'accord. N'importe qui ne peut pas en vouloir aux politiciens de la ville, et très peu peuvent s'en approcher aisément.

   Le commissaire semble en savoir pas mal sur les actions cachées de Roublard, mais à chaque fois que je tente de lui faire cracher le morceau, il évite la question et m'occupe avec des broutilles sans intérêt. Je me transforme peu à peu en secrétaire stagiaire. Ô joie.

   Clara Loft est venue me voir aujourd'hui, après avoir discuté longuement avec le vieil instructeur. Tout sourire, elle m'aborde de la façon la plus amicale dont elle est capable :

- Comment allez-vous, monsieur Silverbreath ? J'ai ouïe dire que vous vous en sortiez plutôt bien.
- J'imagine que l'vieux sait faire preuve d'ironie...
- Vraiment ? Ma foi, pensez ce que vous voulez. Mais les faits sont là : vous êtes encore présent, tandis que d'autres non.

   C'était vrai : des cinq autres recrues, il n'en restait plus q'un : mon partenaire d'entraînement. Nous étions les deux derniers à suivre les instructions du maître-formateur dont je ne connais toujours pas le nom... Et il faut avouer que je m'en contrefiche royalement.
   Je hausse les épaules avant d'exhiber les pansements sur mes doigts :

- C'est parce qu'il a l'occasion d'se marrer avec moi. Faut voir sa tête après chaque essai. Faire ça directement sur quelqu'un, j'dis pas, mais de la caillasse... Sérieusement ?
- Vous pensez trop simplement... Ne soyez pas bloqués à cause de la frustration : vous m'avez montré bien mieux le jour de notre rencontre. Réfléchissez sur la façon de faire et sur l'impact que cela aura à l'avenir. Je ne vous demande pas de faire cela sans raison, vous le savez n'est-ce pas ?

   Je ne réponds pas. Nous nous comprenons :

- J'ai besoin que vous me montriez ce que vous valez vraiment, monsieur Silverbreath. En toute honnêteté, c'est une question... D'ego pur et simple. J'ai vu de grandes choses pour vous, alors ne me faîtes pas mentir. Je n'aime pas vraiment être déçue. Et vous y gagnerez certainement beaucoup plus que vous ne le pensez. La puissance d'une personne ne se résume pas simplement à sa force brute... Alors faîtes-moi plaisir et continuez sur cette voie. Soyez efficace et tout ce que vous entreprendrez, vous l'aboutirez avec simplicité et en un temps record. Il ne tient qu'à vous de vouloir être plus rapide.

   Je m'apprête à répliquer quand soudain j'entends le dernier mot résonner en moi... Comme si la donzelle avait fait exprès de l'appuyer. C'était subtil, presque imperceptible, et pourtant j'ai la sensation qu'il s'agit d'un indice de taille. Un détail qu'il ne faut surtout pas oublier. Je hausse les sourcils, ma bouche s'ouvre de plus en plus à mesure que je prends conscience de l'aide qu'elle m'offre, ce qui la fait sourire de plus belle.
   Après un dernier clin d'oeil, à la fois complice et taquin, madame je-sais-tout s'en va la tête haute, fière de l'effet qu'a eu son petit sermon.
    Ragaillardi, je retourne au centre de la cour, prêt à en découdre avec mon partenaire rescapé. Je fais craquer mes articulations et le toise avec un air sadique. Je compte bien lui en faire voir de toutes les couleurs, sous le regard attentionné du vieux... Il déglutit.
    Je m'amuse enfin.
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- J'espère que tu sais ce que tu fais.
- Oh que oui ! T'en fais pas et continue d'marcher en direction du Bureau, Emma couvre tes arrières et j'surveille les lieux d'mon côté.
- Et tu veux que j'ai confiance en quelqu'un qui a des problèmes de vue ?

   Je parviens à entendre la tueuse à lunettes pestiférer. Cela doit bien faire un quart d'heure qu'Abel la bassine avec ses remarques désobligeantes... Je la plains, moi qui suis à l'abri derrière mon escargophone, plus en retrait de leur position. Ils se déplacent en direction du centre du quartier des fonctionnaires, prétextant une fausse rencontre avec Clara Loft.
   J'ai eu l'idée de ce plan la veille, en faisant des merveilles lors de l'entraînement. Avec un regain de confiance et en utilisant au mieux les ressources offertes par la demoiselle de Roublard, j'ai fini par mettre au point un stratagème qui a toutes ses chances de réussir : en supposant que la cible du traître soit le "secrétaire d'Etat" fraîchement arrivé, il suffit qu'il sorte en extérieur pour rencontrer l'une des personnes les plus influentes en ville et, surtout, l'une des responsables de ce centre de formation étrange qu'il a quitté. Avec quelques hommes de la Milice et Emma Skull, ils arpentent les rues tranquillement tandis que je surveille les recoins alentours. Et puisque j'ai aussi été suivi, j'ai également droit à la protection lointaine de Weldone, aussi discret qu'à l'accoutumée.

   Tout le monde garde un oeil sur tout le monde : soit le traître se risque à agir, soit il juge cela trop dangereux et ne se montre pas... Une chance sur deux. En admettant qu'il ne me remarque pas de suite évidemment.

- J'raccroche. Tâche de pas distraire tes gardes du corps, si tu tiens à la vie.
- Allons, tu me connais !
- Justement...

   Katcha.

   Aujourd'hui encore, il y a un peu de brouillard par endroits : les nuages se déplacent au gré des vents et traversent l'île inversée dans les airs... Ce sentiment étrange d'être à la mauvaise place est toujours présent, et parfois mon estomac accuse le coup, mais je garde mes repas pour moi et tiens bon malgré tout. Tant que l'on fait abstraction de la mer au dessus, ça devient supportable. Drôles de choses que les lois de la gravité, il faut l'avouer.
    Je me concentre à nouveau sur la surveillance, me faufilant dans les recoins et les ruelles autour de mon appât. Je cherche le moindre élément suspect, le moindre mouvement dans la brume. Il m'arrive aussi de tourner la tête, par crainte de me faire surprendre par derrière. Mais rien. Et nous arriverons très bientôt devant le bureau de Clara Loft.

   Soudain je le ressens à nouveau : le sentiment désagréable des premiers jours. Je porte ma main à mon ceinturon pour attraper Argument, mon bâton d'argent. De mon autre main, j'effleure le manche de mon pistolet. Puis le relâche : selon Lady Loft, je ne dois pas utiliser d'arme... C'est bien ma veine.
    La sensation disparaît aussitôt. Je cherche dans toutes les directions d'où la menace provient mais l'aura meurtrière s'est évaporée. Ou alors elle est dirigée ailleurs...

- Ah !

   Emma lâche un cri de surprise et se retrouve projetée à terre par quelque chose de rapide que je perçois mal. Aussitôt après, je remarque une silhouette à deux mètres d'elle, derrière le groupe d'Abel. Avant que l'un des Miliciens ne puisse faire quoi que ce soit, la silhouette lève une jambe à une vitesse fulgurante et projette... Quelque chose. Un je-ne-sais-quoi d'informe qui fend la brume sur son passage et qui vient entailler l'épaule d'un des gardes.
   Je n'attends pas plus longtemps pour sortir de ma cachette : je fonce bâton en main et prêt à frapper en direction de l'inconnu, lequel dissimule son visage son un capuchon. Il me voit arriver et esquive l'attaque avec une aisance étonnante. Le coup n'était qu'à quelques millimètres de lui et il est parvenu à se tordre vers l'arrière juste avant que ça ne fasse mouche, comme une feuille se laissant porter par le souffle de l'air.

- Soru.

   Alors que je l'attaque à nouveau, je le perds de vue. Il a littéralement... Disparu de mon champ de vision, alors qu'il était là, à moins d'un mètre de moi ! Impossible. Et pourtant :

- Dorian ! A droite !

   En effet, le voilà qui arrive sur mon flanc à une vitesse fulgurante. J'ai à peine le temps de mettre mon bras en couverture pour encaisser le coup. Je me fais projeter sur le côté et me retrouve à terre sans trop comprendre ce qu'il vient d'arriver.
   Aussitôt, un Milicien fait feu. Le projectile rate sa cible, laquelle bondit dans les airs avant de lancer une nouvelle attaque à distance en brassant l'air avec sa jambe. Un nouvel homme vient de chuter. Il ne reste plus qu'Emma pour assurer la défense d'Abel. Tous deux sortent alors leur propre pistolet et tentent de descendre l'agresseur. Mais rien n'y fait : là où se trouve l'ennemi ne reste plus rien la seconde qui suit. Il est capable de se déplacer à une vitesse folle, même dans les airs, et de lancer des lames avec ses pieds ! Sur quel genre de monstre vient-on de tomber ?!
   Mais je me rends compte d'une chose : il n'est pas impossible à suivre des yeux, une fois qu'on s'y habitue. Je n'ai qu'à le garder en ligne de mire suffisamment longtemps pour m'habituer à ses mouvements, et ce avant que l'un de nous trois perde la vie.

   Facile à dire : une nouvelle attaque éclair percute Emma de plein fouet et la voilà qui roule jusqu'à percuter un mur de maison. Abel enchaîne avec un nouveau tir, en vain. Une goutte de sueur perle sur son front. Il n'est pas du genre à montrer qu'il panique, mais je comprends qu'il est en train de perdre tous ses moyens. Il ne fait même plus attention à sa façon de se tenir : les deux mains sur son arme, les jambes arquées et la bouche grimaçante, il n'a plus rien à voir avec le secrétaire d'Etat qu'il s'amuse à interpréter depuis quelques temps maintenant.
   Personne n'est à l'abri de soi-même lorsque la mort approche.

   Hors de question que je perde un pion ici. Pas avant qu'il ait rempli son rôle ! Je m'approche à nouveau de l'ennemi, aussi vite et furtivement que possible afin qu'il ne me remarque qu'au dernier moment. Cette fois, le coup fait mouche : n'ayant pu bloquer que d'un bras, l'attaque au bâton le projette contre la façade d'un habitat voisin.
    Je m'avance pour frapper à nouveau mais il se relève plus vite que je ne l'aurais cru. Moins blessé que prévu, il plie les jambes, comme prêt à sauter, et s'élance au dessus de moi. Puis il bondit à nouveau... Mais sans toucher le sol. J'écarquille les yeux et le voilà qui recommence ! Il saute d'un pied sur l'autre dans les airs ! J'entends le bruit de ses jambes à chaque impulsion, comme s'il frappait sur de la surface dure, alors qu'il n'y a rien... Je ne comprends pas. Nous sommes tous les trois en contrebas, en train de le regarder s'enfuir de la manière la plus insolite qui soit sans savoir quoi faire.

   Tout à coup, une autre silhouette arrive sur son flanc, se déplaçant de la même façon. Elle parvient à le frapper avant qu'il ne disparaisse derrière un bâtiment. Les deux individus tombent dans la rue voisine.
   Je me tourne vers mes deux acolytes :

- Restez ensembles et attendez les secours ! Avec tout c'tintouin, y a forcément quelqu'un qui aura appelé la garde ou la Milice. Je m'occupe du type volant.

    Je fonce rejoindre le point de chute. A l'approche de celui-ci je vois deux personnes, dont une que je reconnais : l'individu qui nous a attaqué, légèrement amoché, est debout avec le capuchon baissé, laissant apparaître un visage fin, un nez pointu et des yeux ronds. La gorge enserrée par son bras, l'agent Weldone est là, aussi pathétique que d'habitude.
   Il aura au moins réussi à faire atterrir notre drôle d'oiseau.

- Merci pour ton aide Weldone, j'vais m'charger du reste.

   Il parvient à lever le pouce avant que le traître ne l'assomme. Et aussi curieux que cela puisse sembler, ce dernier se met à me sourire d'un air satisfait, les mains sur les hanches.
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- C'est pas souvent qu'on est content d'me voir... D'habitude, ce sont les dames !
- Oh c'est juste que voir ma cible principale foncer seule dans mes bras me fait plaisir. Ça me facilite grandement les choses.
- Alors c'est moi la cible principale hein ?

   Voilà qui est étrange, même si au final ça ne me tracasse pas vraiment : tant que je peux m'en débarrasser, tout le reste n'a pas ou plus d'importance. L'autre lâche Weldone, inconscient, et enchaîne :

- Tu ne te demandes pas pourquoi j'en ai après toi et monsieur Denuy ?
- Pourquoi faire ? C'est qu'un détail...
- A vrai dire j'ai été engagé par quelqu'un que vous connaissez plutôt bien...
- Nan, vraiment je m'en f...
- Une personne qui a déjà tenté de vous tuer par le passé. A cause d'une trahison il me semble...
- Hé oh...
-  Comme quoi ! Le hasard fait bien les choses...
- T'écoutes c'que j'dis ?
- ... Et dire que son dernier assassin a échoué...
- Oh Ducon ?
-  Pire : il a rejoint vos rangs.
- Blablabla...
- Tu as sans doute trouvé la réponse, n'est-ce pas ? Il s'agit du Serpent de Dentelles...
- MAIS FERME TA GUEULE !

    Je me jette littéralement sur lui. Il a tout juste le temps d'esquiver l'attaque et le bout de mon bâton lui effleure le menton.
    C'est pas possible d'être aussi borné ! Il doit vraiment aimer s'entendre parler. Ou alors il est juste ravi de l'effet que ça a d'avoir la main mise sur toute l'information. Un simple problème d'ego qu'il faut faire redescendre au plus vite avant que ça ne s'aggrave. C'est comme le cancer, mais du style pénible pour l'entourage. Et j'ai très envie d'éclater cette tumeur sans mettre les gants.

    Cette fois, l'ancien agent de Miss Fonctionnaire se déplace sur la droite. Comme avant, il disparaît presque. Je remarque cependant qu'il contracte son corps juste avant de s'élancer. C'est rapide, c'est subtil, mais comme n'importe quel coup de piston, c'est indispensable pour signaler le départ. On ne tire pas de balle sans appuyer sur la détente.
    Je bloque l'attaque et s'en suit un début de lutte au corps à corps. Chacun tente de toucher l'autre : lui vise surtout les points vitaux alors que je cherche à l'atteindre où je peux sans me laisser avoir par ses feintes et ses esquives complexes. Là encore, il lui arrive de se tordre de façon étonnante pour éviter mes assauts répétés. Je n'ai pas le temps de me laisser surprendre, mais ça reste frustrant ! Je ne parviens pas à le toucher alors qu'il est à même pas quarante centimètres de ma figure la plupart du temps !
    Et il finit par s'échapper à nouveau d'un bond dans les airs avant de m'envoyer une lame d'air avec le pied. Je m'écarte suffisamment pour être hors d'atteinte mais il enchaîne en fondant sur moi tel un rapace et, cette fois, il m'entraîne au sol.

    A genou sur moi, il me frappe une fois au visage, puis deux, je bloque avec le bras, je contre-attaque et rate mon coup, je lui chope le bras au quatrième essai et écarte la tête au cinquième. Je le fais rouler sur le côté pour prendre l'ascendant à mon tour. Le même scénario se produit plus ou moins. Au final il parvient à se dégager et nous nous observons à une distance raisonnable l'un de l'autre.

- Qu'est-ce que vous cherchez au final, toi et ta bande ? Nous savons tous les deux que ton ami n'est pas secrétaire d'Etat.
- J'suis pas obligé d'répondre. Et puisque t'es au courant : pourquoi ne pas l'avoir simplement dit à quelqu'un ? Un mensonge pareil, ça peut faire suffisamment scandale pour nous valoir la peine de mort.
- Le Serpent souhaite que votre disparition se fasse dans le secret, avec le moins de rumeur et d'informations possibles. Il ne veut pas qu'on remonte jusqu'à lui.
- Normal... Mais pourquoi toi, un type du Gouvernement ?
- Je ne le suis plus : j'ai connu le Serpent grâce à une mission il y a quelques temps. Après avoir décidé de "changer de bord", j'ai repris contact avec lui et on m'a aussitôt demandé de me charger de vous.

   Il n'est pas au courant de tout apparemment, sinon il se serait référer au Serpent de Dentelles en disant "Elle". Mais au moins les choses sont claires désormais. Je n'ai peut-être rien demandé, mais savoir qui tire les ficelles dans l'ombre me motive davantage : j'aurais vraiment dû liquider cette pimbêche du désert la dernière fois.
   Peut-être que mes futurs occupations me le permettront.

   Il revient à la charge. Cette fois, je suis prêt à le recevoir et, rangeant mon bâton, je bloque son bras au dernier moment et lui envoie un coup de boule qui le sonne suffisamment longtemps pour que je lui prépare un beau crochet du droit : le poing part et le choc l'envoie bouler plusieurs mètres en arrière.
   Je me suis habitué à sa vitesse. Il n'est plus capable de me surprendre désormais, à moins de se montrer encore plus fourbe. Aux yeux qu'il a en se massant la mâchoire, je sais qu'il pense la même chose. Sa posture change et il décide de garder ses distances : il m'envoie ses attaques bizarres au pied et je suis contraint de courir pour toutes les éviter. Je tente de réduire l'écart entre nous, mais il finit par "s'envoler" à nouveau pour continuer ses assauts en hauteur. Cette fois, il ne me laisse plus le choix : je dégaine mon pistolet doré et tire.
   Il échappe au projectile en retournant au sol. Je me rapproche. Il s'éloigne... Ça n'arrête pas !

   Une dernière lame à distance me fait lâcher mon arme. Une autre finit par m'entailler la cuisse et je fléchis la jambe en grimaçant. Profitant de ma faiblesse, il ose foncer tête baissée et parvient à me flanquer son poing dans la figure. Je fais quelques roulés-boulés avant de m'arrêter face contre terre.

   J'ai mal. Je ne souris pas du tout. Pourtant... J'ai le coeur qui bat : l'adrénaline, l'excitation, l'ivresse du combat... Tout se mélange et m'euphorise. Mon esprit malsain se nourrit de l'odeur du sang et de la complexité du combat. Ce genre d'adversaire, capable de me tenir tête de la sorte, a le mérite de me donner envie d'en découdre davantage et de me surpasser. J'aime jouer, même ma vie, lorsque l'épreuve en vaut la chandelle. Sans difficulté, un jeu n'a rien d'intéressant.
   Je me relève en m'essuyant le coin des lèvres. La poussière, la sueur et le sang se mélangent sur mon bras et leur odeur emplit mes narines, jusqu'à me monter à la tête. J'ai un peu le tournis mais l'immobilisme m'aide à récupérer.
   J'aperçois mon adversaire, lequel pense être proche de la victoire car il s'approche sans déplacement rapide ni coup de pied à distance : plus besoin d'être prudent selon lui... Grossière erreur. Je suis presque déçu.

   Mais qui n'apprécie pas de pouvoir écraser un insecte quand celui-ci vous arrive directement sous la botte ?

   Je fais mine de tituber. J'ose même un coup de poing foireux histoire de lui montrer que je peux encore répliquer, mais pas trop... Et ça marche ! L'autre n'esquive même pas, il se contente de repousser l'attaque avant de préparer son propre direct du droit.
    Et là, c'est le drame.
   Au moment où il atteint le point de non-retour, je me penche sur le côté et lui agrippe l'avant-bras avec les dents avant de serrer de toutes mes forces.

- AAAAAH !

   Epris de douleur, il tente de se libérer de mon emprise. Je finis par le relâcher quelques secondes plus tard, lui laissant au passage une marque indélébile. Je crache par terre, me délestant de quelques résidus d'hémoglobine et de peau.
   Le traître regarde sa blessure un temps avant de rediriger son attention vers moi. Haineux, il sert les dents et me fixe comme si j'étais responsable du génocide de toute sa famille. J'ai dû véritablement blesser son ego :

- Espèce d'enfoiré...

    Je l'attends. Qu'il vienne, je suis prêt à le recevoir. J'ai compris un truc en le voyant faire ses acrobaties et ses feintes bizarres. Avec ce que j'ai appris durant mon entraînement aux côtés de Clara Loft, j'ai saisi que tout était lié. J'ai aussi trouvé ce qu'il manquait à ma technique pour que ça fasse mouche.
   Décidément, quand il s'agit de tuer des gens, je suis vraiment un génie !

   Une petite impulsion du pied et le voilà quasiment sur moi. Je suis tellement concentré que j'ai l'impression qu'il est plus lent qu'auparavant. De toute manière, mon coup est prêt. Il va vouloir m'enfoncer le poing dans le plexus. Mais j'ai une meilleure allonge : je riposte avec une impulsion à mon tour. Ça a le même effet qu'une gâchette après avoir appuyé sur la détente.
   Avant que son poing ne m'atteigne, mon index le perfore et vient terminer sa course au niveau de son coeur.
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- J'ai eu raison de vous solliciter, Dorian : vous faites preuve d'une efficacité remarquable ! Miss Butterfly serait fière de vous.
- Vous la connaissez ?
- Je connais tout le monde ici.

   Il y a du progrès ! Lady Loft m'appelle par mon prénom désormais. Encore un peu et je finirai par l'intéresser à un autre niveau.
   Nous sommes de retour à Roublard, en compagnie du commissaire Collins, l'agent Weldone, Emma et Abel Denuy. Même le vieux formateur est présent, plus en retrait. Il fait sombre dehors : la nuit est tombée et il est l'heure de finir le souper pour beaucoup. A cause de la saison froide, du givre commence à apparaître sur les vitres des fenêtres alentours et recouvre le sol. La directrice de Roublard nous nargue tous avec son thé chaud à la main :

- Même le commissaire vous approuve. Croyez-moi, il a l'oeil pour reconnaître les personnes talentueuses.

   "Tant qu'ça implique pas ma perversion et mes penchants pour la violence, j'suis à l'abri", pensé-je.

- Et nous sommes d'accord, Weldone, le formateur et moi, pour confirmer votre maîtrise du shigan.
- Le shiquoi ?
- Le shigan : cette technique que je vous ai demandé d'apprendre pour éliminer la cible. Vous y êtes parvenu. C'était notre entente, ainsi que votre dernier test avant d'obtenir toute ma confiance. Mes félicitations !
- Bah ! C'était rien ! Faut avouer que c'est vach'ment pratique en situation d'crise. Non pas que j'sois souvent à court d'arme ou de munitions, mais sait-on jamais ?
- C'est surtout un talent particulièrement intéressant lors d'une mission d'infiltration impliquant fouille au corps... et assassinat.
- "Et assassinat" hein... c'est quoi votre job exactement ?
- Il est temps que je vous le dise en effet ! Mais laissez-moi confirmer cela : acceptez-vous toujours de travailler au nom du Gouvernement Mondial, dans l'intérêt de la Justice, et en jurant de garder secret chacune de vos actions à quiconque ne faisant pas partie de notre organisme ?
- ... Je l'jure.
- Dorian Silverbreath, bienvenue au Cipher Pol.

[...]

   Je suis tranquillement assis derrière mon bureau au MI4. Le commissaire Collins m'a chargé de remplir quelques formulaires pour lui, en attendant qu'une affaire se présente pour moi et mon assistante personnelle, à savoir Emma. Il ferait mieux d'engager une secrétaire, avec la paie qu'il se tape ! Rien que pour la vue au moins...
   J'ai mal dormi cette nuit : il s'était passé tellement de choses la veille que le surplus d'informations a littéralement pris le dessus sur le reste : déjà sujet à de nombreuses élucubrations nocturnes, je me suis surpris à tourner en rond dans ma chambre en me répétant chaque événement afin de faire le tri.

   Tout ce que je voulais, à l'origine, c'était intégrer le cabinet d'enquêteurs international de Miss Butterfly. Grâce à cette couverture toute trouvée, j'avais la main mise sur des documents plus ou moins affriolants et des contacts faciles un peu partout. Tout ça pour atteindre mon but : donner naissance à un groupe suffisamment influent pour mener à la guerre toute une tripotée de mercenaires, pirates, esclaves et autres fripouilles. Avant d'y parvenir, je dois absolument m'assurer le partenariat de personnalités importantes, de préférence antigouvernementales.
   Mais je n'avais pas prévu le regard du Cipher Pol posé sur moi. J'avais attiré l'attention exprès pour faire croire à mes bonnes intentions. J'ai certainement dû aller trop loin.

   Bah ! Ce n'est pas si grave au final : être un agent du Cipher Pol, d'après la jolie Clara, c'est être "celui qui se salit les mains au nom de l'ordre". En somme, c'est être le plus à même d'aller à la pêche aux informations juteuses.
   Lorsque l'on m'a demandé vers quelle branche me diriger - et au vu de mes résultats - je me suis retrouvé affilié au CP5, doté d'une grande polyvalence et avec l'avantage de pouvoir bosser en groupe très réduit.

- Si je comprends bien, je vais devoir rester à mon poste encore un bon moment.
- Ouep. Mais va pas dire que ça t'plaît pas, j'y crois pas une seconde.
- C'est vrai je ne m'ennuie pas. On me remplace même mes jouets quand ils sont usés. Au moins un par jour !
- Tes jouets ?
- Pardon : les petits fonctionnaires qui travaillent sous mes ordres.
- Tséhéhéhé... T'es vraiment qu'une enflure.
- Merci, toi aussi !

   Il est rare que nous en venions à rire ensemble, même si ça ne dure qu'une seconde. Alors quand Abel est dans sa période la "moins chiante", j'en profite avec joie. Ce qui n'est pas au goût d'Emma, plongée dans sa paperasse, les lunettes tombantes :

- Quand monsieur le secrétaire d'Etat aura fini de jouer dans les quartiers de la Milice, peut-être pourra-t-il retourner vaquer à ses occupations que je devine primordiales pour l'intérêt de Lone Done et, en parallèle, de son poste ?
- Ohoh... Est-ce là une remarque innocente et objective ? Ou le résultat d'une once de jalousie ?
- Ferme-là et va-t-en.
- Tu souhaites peut-être que Dorian te porte un peu plus d'attention...
- Dégage !
- Quelle petite culotte lui ferait plaisir aujourd'hui ?
- Oh putain ! Je vais le...

   Avant qu'elle n'ait le temps de lui sauter à la gorge, le fauteur de troubles est déjà à la porte. Aussi agile et sournois que le rat, il se faufile à l'extérieur de la pièce tout en nous offrant son regard triomphant le plus mesquin possible. Sa moquerie me fait pousser un long soupir.

- Et dire que j'voulais lui dire au r'voir correctement cette fois... Il a l'don pour tout gâcher.
- On ne change pas les gens.
- Fais pas comme si t'y étais pour rien.
- Bah voyons ! Il n'a pas besoin de moi pour être exécrable !

   ... Pourvu qu'on nous envoie vite en mission. Je me vois mal supporter les disputes incessantes de ses deux andouilles, rendues aigries par le manque d'action à venir.
   Et si rien ne se produit rapidement, alors je ferai bouger les choses moi-même.
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