Derrière nous, des dragons.
Devant nous, une séparation.
Nous sommes là, Reyson et moi, sur ce bateau qui arrive à Armada. Lentement, il remonte les canaux jusqu'à trouver le chemin vers le débarcadère de la Mascarade. A travers la porte de notre chambre, les marins nous ont informé de notre imminente arrivé.
Mais nous ne bougeons pas. Comme figé dans le temps. Ou le souhaitant de toute notre âme. Car si l'arrivé à la cité pirate est imminente, mon départ de celle ci l'est presque tout autant.
Encore quelques heures... Encore un peu... Rien que nous deux... Je ressers un instant mon étreinte sur son buste, comme si c'était la dernière fois que je sentais sa peau contre la mienne. Comme si notre futur était incertain...
Comme si...
Avec des si, on referait le monde. Là, les "si" ne sont clairement pas de rigueur. Il est fort probable que je n'en revienne pas, que ce soit la dernière étreinte, les derniers instants...
Non ! Je dois chasser ces idées noires ! Ces mêmes idées qui n'ont fait que pourrir notre voyage. On a eu beau se sourire, beau faire semblant d'oublier la réalité de la situation, nos corps ne mentaient pas. Et la tension pensante nous entourant non plus.
Et finalement, le navire s'arrête. La précarité de notre situation en temps que leaders de la cité m'oblige à me faire violence et me lever malgré moi, quittant les bras de l'être aimé. Les quittant, non pas sans une bonne pointe d'énervement qui me fait me cogner plusieurs fois les jambes contre le peu de meuble qu'il y a alors que je me prépare à sortir dans les rues d'Armada. Je jure, je grogne et marmonne.
Cette situation ne me plait pas.
Et pourtant, nous avons tant à faire maintenant, notamment la création de ma vive card...
Si seulement... Si seulement cela pouvait prendre plusieurs jours...
Il y a tant de chose que je voudrais lui dire, tant de choses que j'aimerai lui demander. Et pourquoi ne l'ai-je jamais fait jusqu'à maintenant ? Parce que je n'ai jamais trouvé le bon moment. Et puis, avant de croiser la route de ce fameux Ragnar, nous avions toute la vie devant nous pour que je puisse le questionner.
Maintenant, il ne reste que quelques heures. Quelques heures que je risque de passer à m'angoisser plutôt que de profiter.
Fin prête à sortir au grand jour, je me tourne vers Reyson et plonge mes yeux de braises dans son regard d'ambre. A cet instant, j'aimerai pouvoir être dans sa tête afin de savoir exactement ce qu'il pense de tout cela, sans détours, sans faux semblants.
Incapable de dire un mot, je tends simplement ma main dans sa direction. Signe que je le veux près de moi jusqu'à ce que l'obligation nous sépare.
Et pour combien de temps ? Je ne saurais le dire...
Dernière Danse
Ce que je pense ? Sans détours et faux semblants, tu le sais déjà pourtant. Tu as déjà entendu le fond de ma pensée sur Logue Town et les trois jours passés dans une caverne de Reverse Mountain. Ces trois merveilleux jours où nous n’étions que nous deux, coupés du reste du monde et de nos obligations. Oui, tu le sais déjà. Tu connais déjà mes sentiments à ton égard.
Si tu me demandes si je commence à douter du plan de Ragnar ? Oui. Car je crains de te perdre. De ne plus te revoir. Soit tu seras délivrée de Jotunheim, soit je mourrais en essayant. Et je le ferais sans aucun regret. Seulement… je sais ce que tu feras en apprenant ma mort. Mais, c’est probablement un sentiment égoïste de ma part, ça me fait plaisir au fond de moi. Car soit je te libérerais, soit nous serions unis dans la mort. Finalement, qu’importe la mission, nous serions ensemble. Et peut-être la mort ressemblera-t-elle à ces trois jours sur Reverse Mountain ? Un monde rien que pour nous ? Notre bulle. Une vie à deux. Ou plutôt, un au-delà à deux.
Mais tout cela, je ne peux te le dire. Car j’ai peur que tu penses que je me sois résigné. Que tu remarques que je doute quant au plan de Ragnar. Parce que ce sont mes sentiments pour toi qui me font douter. Qui me font craindre. Ca et notre précédente défaite contre Teach, prouvant que nous ne sommes pas invincibles. Mais Jotunheim n’est pas un Empereur. C’est un nouvel Impel Down, et nous avons déjà vaincu cette prison. Et nous devons le refaire si nous voulons tenir tête à la revanche de l’Empereur. Nous devons le faire pour assurer notre légitimité sur Armada. Pour sauver l’héritage de Red.
Au final, avons-nous vraiment le choix ? Alors je te prends la main, je ressors le buste, et nous retournons dans Armada la tête haute. Parce que nous avons une image à tenir ici. Et aussi parce que non : nous n’avons pas le choix.
Nous avançons dans les rues d'Armada en silence, main dans la main. Sur notre passage, les gens nous observent. Parfois d'un œil inquisiteur, d'autre fois d'un œil rassuré. Il y a ceux qui nous en veulent, ceux qui nous craignent et ceux qui nous respectent, qui comprennent que notre présence est bienfaitrice pour la cité. Et bien que les regards soient autant partager que les avis à notre sujet, aucun n'ose vraiment nous aborder.
Sans doute cette tension qui nous poursuit se dégage de nous et rend l'air presque palpable autour de notre duo. Ou sinon c'est peut être grâce à l'une des femmes à moustache qui nous suit de loin et qui fait des gestes comme quoi, c'est pas le moment pour quiconque de venir nous emmerder. Après tout, les gens de ce cadran ont tous besoin de Reyson. Et tous le respectent au moins suffisamment pour savoir que le contrarier n'est pas une idée à réaliser.
Tandis que nous avançons, mon regard fixe bêtement l'horizon devant moi, sans vraiment faire attention à ce qui nous entoure. Ma tête est pleine de doute. Je n'ai qu'une envie, c'est m'enfuir. M'enfuir très loin de tout ceci en t'enlevant avec moi. Au diable Armada, au diable mes anges, l'idée de mourir m'effraie assez pour me faire souhaiter disparaître de monde de piraterie.
Du moins, jusqu'à ce que mes yeux croisent le regard d'Alfred, mon majordome qui est toujours là quand j'en ai besoin. Oh bien sûr, il se contente de me saluer de la tête, ayant d'autres choses à faire comme aller chercher les otages de Ragnar sur le navire qui vient de nous ramener au bercail, mais sa simple présence, la simple vue de ses deux yeux me fixant me rappelle à l'ordre.
Il a un don pour ça Alfred. Pour me remettre sur le droit chemin, puisse-t-il aujourd'hui me conduire probablement à la mort...
Alors, comme sortant d'une transe de plusieurs jours, j'arrête mes pas et inspire un grand coup pour m'aérer l'esprit. Je ne veux pas que le dernier jour passé à tes côtés ressemble à cela.
Dis moi, Reyson. Je me suis toujours demandée... Comment c'était, de naviguer avec mon père ?
La vérité, c'est que je voudrais tout connaitre de toi. Tout, jusqu'au moindre détail. Je voudrais savoir ce que tu faisais enfant, ce que tu aimais, avec qui tu jouais... Je sais que tes parents sont morts, mais depuis quand ?
Parles moi de ta vie, racontes moi tes souvenirs.
Comme ça, lorsque je serais dans ma prison de glace, je pourrais t'imaginer sous tous tes aspects.
« Naviguer avec Tahar ? »
C’était une question bien curieuse. Serais-tu nostalgique ? Pourtant tu m’avais dit que ton père était encore en vie. Voudrais-tu le revoir ? Il voulait te tuer, selon tes mots. Alors pourquoi cette question ? Malgré tout, elle était la bienvenue, car elle permettait de changer de sujet, et de ne pas penser à ce qui nous attendait.
« Il était mon capitaine. Un vrai pirate. Red était davantage un patron qu’un capitaine. Il n’était pas pirate à la base. Mais Tahar avait tout du pirate tel qu’on se les imaginait. Un marine plonge pour sauver un camarade qui se noie. Lui m’a tout simplement harponné pour me remonter sur le pont. Bon faut dire qu’on descendait le second versant de Reverse Mountain, à l’entrée de Grand Line. Je lui devais la vie, et nous sommes quittes à présent. Il ne faisait pas montre de violence gratuite. Ca c’était plutôt son second, Jack. Tous dans les poings. Non, Tahar était juste. Il se tenait toujours droit et fier. Fort. Un capitaine dont l’autorité ne pouvait être discuté. Il avait son côté effrayant, mais parce qu’il semblait invincible pour nous. Si tu étais dans les clous, tu n’avais pas besoin d’avoir peur.
Jusqu’à ce fameux jour. Ce jour où il affronta un capitaine corsaire, et moi Curtis. Il tint bon pourtant. L’invincible Tahar dont la réputation grandissait. Nous fûmes vaincus et envoyés à Impel Down, tandis que le reste des Saigneurs resta en liberté. Jack, le second, devint même corsaire à son tour. Un traître qui ne profita pas de ce titre pour nous sortir de l’enfer. Tous dans les poings, comme je te l’ai dit…
Et la suite. La suite tu la connais. Après Impel, je ne l’ai plus jamais revu. Mais naviguer sous son drapeau ne me déplairait pas. Un vrai pirate qui faisait acte de piraterie. Red tient davantage de l’homme d’affaire ou d’un général, avec sa cité flottante. Tout est plus… compliqué avec lui. Alors qu’avec Tahar, tout était très simple. »
Tu pillais pour manger, et tu mangeais pour piller. On avançait d’île en île, démontant les obstacles uns à uns en demeurant un seul et même équipage. Les Saigneurs. Oui, tout était si simple. Il suffisait de suivre l’aiguille du log pose. Encore et toujours. Jusqu’au fameux jour.
« Est-ce qu’il te manque ? »
Peut-on vraiment être en manque de ce que l'on ne connait pas ?
Tout en avançant au travers des rues d'Armada, j'écoute Reyson et repense à ce que j'ai vécu avec Tahar.
Il a beau être mon géniteur, je ne l'ai croisé que trois fois dans toute mon existence. Et la première, bien que ce soit celle que je garde comme un précieux souvenir, je ne savais même pas qui il était vraiment pour moi. Il faut dire que j'avais quoi... huit ou neuf ans ? A l'époque tout était simple. J'étais simplement la fille du forgeron et d'une cuisinière, j'apprenais le métier de mon père adoptif que je croyais être mon véritable père, et Tahar a débarqué un beau matin en temps que colonel je crois, pour commander des épées. Et finalement, j'ai réussi à le convaincre de m’entraîner à l'épée. Il a été, pendant deux ou trois jours, mon tout premier professeur d'escrime.
Quand j'ai pris la mer, quittant mon doux foyer, une de mes idées étaient de le retrouver, pour que je puisse lui montrer mes progrès et qu'il puisse encore m'apprendre des choses. En quelques sortes, je l'adulais un peu. Il a laissé une profonde empreinte dans mon esprit, un je ne sais quoi qui me poussais à vouloir le retrouver.
Sans doute le lien du sang. Ce même lien dont il a eu peur et à cause duquel il n'est pas resté avec nous après Impel. Après je te l'ai dis, c'est grâce à lui si je suis libre aujourd'hui. Sans son aide, je ne serai probablement pas sortie de ma cellule de Stymphale.
Sombre époque qui me revient en tête et qui me rappelle que bientôt je serai dans une geôle bien pire que celle des cieux. La mine basse, je m'arrête un instant. Dans ma tête, je revis ce moment où je voulais tout laisser tomber pour suivre Tahar. Ce moment où il m'en a empêché.
Au final, je suis un peu jalouse de toi qui a pu le suivre dans ses aventures. Moi, il ne m'en a jamais laissé le droit. Je lui en veux pour ça. Je suis sa fille, et pourtant, il a préféré s'entourer d'inconnu plutôt que de moi qui ne demandais qu'à l'accompagner, qu'à l'aider, quoi qu'il veuille faire.
Et puis il y a eu ce coup de Denden juste avant Thriller Bark. Il m'a dit être prêt à ce que je fasse parti de sa vie. Mais j'étais trop énervée, alors je l'ai envoyé bouler. Mais... Peut être que... Pour Armada... Ce serait bien que je le recontacte ?
Ne serait-ce que pour apaiser la colère d'un empereur ?
Les pensées se mélangent en moi. Sans doute la peur de l'opération que l'on prépare. Car je doute qu'il vienne me sortir des griffes de mes geôliers cette fois. Et puis, s'il était de notre côté et que la menace de Ravrak était écartée, y-aurait-il vraiment encore des raisons pour participer à cette opération suicide que de libéré un révolutionnaire d'une des trois grandes prisons ?
Toujours est-il que nos pas nous ont mené jusque devant le lieux de conception des vives card, un indice de plus qui rappelle la dure réalité qui s'annonce.
Dernière édition par Izya le Mar 4 Sep 2018 - 22:25, édité 1 fois
« Tahar était colonel ? Il faisait parti de la marine ? »
Un détail qu’il avait soigneusement caché, et qu’il avait bien fait de dissimuler. Si je l’avais su au départ, jamais je ne l’aurais rejoint. Le mythe du véritable pirate s’effondrait dans ma tête, mais je me devais de m’occuper d’Izya d’abord.
« Tu me dis chanceux de l’avoir connu… Mais je ne connais que sa façon de vivre et d’être, quotidiennement. J’ignore tout des événements marquants de sa vie. Je ne savais pas qu’il avait une fille et j’ignorais même qu’il était encore en vie. Toi au moins, il t’a appelé… Moi je n’ai reçu aucun signe de vie de sa part depuis Impel Down. Pas le moindre message, rien. Et pourtant, nous étions du même équipage. »
Peut-être était-ce parce que je me rapprochais de sa fille ? Non. Ca n’était pas encore le cas à ce moment-là, et j’ignorais son affiliation.
« Ta vive card hein ? Nous y voilà. Alors j’aurais vraiment ta vie entre mes mains. Une belle preuve d’amour tu ne trouves pas ? »
Une belle idiotie que ce plan beaucoup trop risqué oui. Mais preuve d’amour était une formulation qui passait mieux.
« A t’entendre parler, on dirait que ton père te manque malgré tout. Tu devrais le rappeler. Pas forcément pour Armada, mais au moins pour toi… Je n’ai pas connu mon père non plus, et bien que mon tuteur ait pris sa place dans mon cœur, je suis devenu un pirate comme lui alors qu’il avait violé ma mère et que tout le monde le détestait. Lui et les pirates. Les liens du sang hein ? C’est possible. »
Bon, il fallait aussi dire que lorsque j’avais embrassé la piraterie, ils étaient déjà tous morts. Mes parents, mon tuteur et mon foyer. C’était la seule option qui me restait. La seule qui me permettait d’exprimer mon ressentiment à ce moment-là.
L'important n'est pas le passé, Reyson, mais bien le présent. Tu as eu l'honneur de le connaitre au quotidien et c'est ça le plus important. Et si tu en doutes, tu n'as qu'à prendre ton propre exemple.
Devant la porte qui s'ouvre sur le fabricant de vive card, je me tourne vers celui qui m'accompagne pour le regarder dans les yeux.
Je ne connais rien de ton passé et pourtant je suis là, aujourd'hui, à me demander si ce que nous allons faire est vraiment la chose à faire, plus par crainte de ne jamais pouvoir te revoir que de rester enfermée à jamais.
Je baisse les yeux un instant. Fuyant son regard. J'ai honte de mes doutes et de mes peurs.
Mais ça n'arrivera pas, hein ? Après tout, j'ai confiance en toi.
Des mots prononcés plus pour me convaincre moi que le rassurer lui. Oui, j'ai confiance en lui, en son amour et sa force. Mais n'est ce pas juste une confiance aveugle démesurée face à la tâche qui l'attend ? Et moi, réussirai-je simplement à survivre assez longtemps dans cet enfer de glace ?
Finalement, je pousse la porte de la boutique et pénètre dans ce lieu dont je ne me soucis gère bien que l'atmosphère y soit presque lugubre. Ou bien est-ce l'ambiance qui émane de moi qui veut ça ? Je ne saurais le dire...
Poliment, je fais part de ma demande à l'homme qui maîtrise la fabrication de ces cartes de vies. Puis sans plus de façon, il me demande de lui tendre ma main et coupe l'un de mes ongles. Ma manucure ainsi détériorée, il m'annonce que cela sera prêt le soir même, mais c'est bien parce que c'est nous.
Si seulement nous n'étions pas nous, juste pour cette fois...
De retour dehors, je prends le temps de réfléchir aux dernières paroles de Reyson. Les liens du sang, hein ? Je me demande si ils influencent vraiment notre façon d'être...
Je ne suis pas sûre d'apprécier cette théorie des liens du sang. Cela voudrait dire que l'on naît prédéfini et que quelque soit notre parcours, nous finirons forcement au but atteint par nos propres parents ? Si telle est le cas, alors à quoi cela sert il d'essayer de faire de notre mieux pour vivre notre vie ? Mais bon, je dis ça alors que je suis reine de l'île céleste parce que ma mère devait la diriger et que je suis pirate comme mon père...
Mais à côté de ça, je ne pense être ni ma mère, ni mon père. Je suis juste moi, et tu es toi. Et je pense que nous nous devons de ne ressembler à personne d'autre que nous même.
Mais c'est vrai qu'il me manque, un peu. De temps en temps. De là à le rappeler pour moi ? Je ne sais pas trop. Je sens qu'il risque encore de me décevoir, je n'en ai pas vraiment envie. Mais bon, je suppose que je vais avoir le temps d'y réfléchir plus amplement...
Qui sait ce que me réserve ce séjour au fin fond d'un iceberg. Car même si je souhaite éviter ce sujet qui me taraude l'esprit, il revient sans cesse sur le tapis.
« Ca n’arrivera pas non. Après tout, nous sommes bien sortis d’Impel Down. Qu’est un glaçon flottant à côté de l’enfer ? »
Des mots prononcés plus pour la convaincre elle que me rassurer.
« On ne nait pas prédéfini, mais ce qui nous entoure nous influence. Le libre arbitre ? C’est ce pourquoi se battent les révolutionnaires. Je n’en suis pas un. Nos choix et nos décisions sont basés par tout ce que nous avons autour de nous, que ce soit des personnes ou des lieux. Je veux abolir le Buster Call. Pourquoi ? Parce que j’en ai connu un. Sans l’autour, il n’y aurait pas eu ce choix.
Pourquoi je suis encore en vie ? Par décision ? Ou pour une raison beaucoup plus simple, moins noble mais peut-être romantique : parce que je t’ai rencontrée. »
Parce qu’elle était là, je m’étais entiché d’elle. Parce qu’elle était là, je n’avais pas mis fin à mes jours. Ces paramètres étaient-ils en mon pouvoir ? Non. Je n’avais aucune influence sur ces facteurs, mais ces derniers avaient déterminé mon avenir. Tous ces facteurs extérieurs nous avaient menés là où nous étions ce jour.
« Si tu m’as parlé de Tahar c’est pour une raison aussi. Si tu ne l’appelles pas par crainte qu’il te déçoive, cette crainte ne se résoudra pas et tu continueras de t’interroger. L’appeler est la seule manière d’avoir une réponse. Et dans le cas où il te décevra, je serais là.
Parce que tu m’as rencontré, je serais là. Et c’est pour cela que tu n’as pas à te soucier de ce qui nous attend, car quoiqu’il arrive, je te retrouverais. »
Que ce soit dans l’au-delà ou le delà.
« Mais en attendant, profitons du temps qu’il nous reste. D’ici demain nos volontaires se seront rassemblés et ils attendront un discours de notre part. Peut-être que d’autre Libres Capitaines se joindront à nous. Cette opération sera cruciale pour l’avenir d’Armada. Pour notre avenir. »
Elle nous permettra d’asseoir nos idées pour Armada, ou au contraire de les démolir en laissant la guilde des Usuriers reprendre la tête. Quoiqu’avec le chantage dont leur chef était victime, c’était à vérifier…
Qu'est ce qu'un gros glaçon à côté de l'enfer ? Je ne pense pas qu'il se rende vraiment compte que cette prison a été créée après Impel Down, pour remplacer cette dernière. Alors... Qu'est ce qu'un ancien enfer à côté d'un nouveau ? Et ne parlons même pas du côté glace, qui est le seul l'ayant traumatisé à Impel Down. Là, nous aurons à vaincre un immense enfer gelé plus fort encore que celui dans lequel il est resté enfermé.
Plus que jamais je doute. Je me mords l'intérieur de la joue, retenant une crise de panique qui menace d'exploser. On a dit qu'on le ferait. On a signé notre arrêt de mort...
Des larmes me montent, je tourne la tête vers le ciel, vers le soleil qui me réchauffe encore. Plus pour longtemps...
Ce discours dont il parle, il le fera seul. Moi, je serai partie. Ce sera plus simple ainsi. Sinon, je ne pourrais qu'exposer mes doutes aux restes de l'assemblée.
Après tout, je n'ai jamais su mentir.
Elle sera cruciale, oui. Surement même décisive. Mais après, qu'est ce qu'on fera ? Et je parle d'après avoir récupérer mes dragons qui renforceront encore notre position sur la citée. Tu as dit que tu aimais voguer comme un simple pirate. Juste aller d'île en île au gré des courants. Je ne suis pas sûre que faire des actes de pirateries basique me plairait, d'autant plus que j'ai les moyens d'avoir ce que je veux sans utiliser la force. Mais... Si c'est ce que tu veux, on pourrait voguer jusqu'au bout du monde et devenir les rois des pirates ?
A nous deux, et si on sort une fois de plus des griffes du gouvernement, je suis sûre qu'on serait capable de réaliser cet objectif impossible.
Je me retiens d'ajouter qu'on pourrait partir faire cet objectif maintenant, là tout de suite, en plombant la révolution et Armada. Est-ce que je cherche simplement à fuir cette réalité qui nous attend ? Possible.
Après tout, je suis déjà Reine, qu'est ce que j'en ai à faire d'un titre de plus...
« J’aime voguer au gré des courants, c’est vrai. Peut-être pour passer le temps, oublier le reste, voire vivre, tout simplement. Mais je garde néanmoins un objectif : celui de devenir suffisamment puissant pour être entendu du gouvernement. Pour qu’ils ne puissent plus m’ignorer et les forcer à abolir le Buster Call, ou les détruire le cas échéant.
Devenir les rois des pirates ? C’est tentant car le gouvernement porterait plus d’attention à mes propos. Par contre, pour devenir roi il faut surpasser les Empereurs, ce qui ne semble pas être le cas pour le moment. »
C’était d’ailleurs pour cela que nous avions conclu cette alliance avec la révolution, que nous chercherions ses fameux dragons pour renforcer Armada et que je souhaitais voir les géants pour négocier un marché avec eux. Avant de surpasser les Empereurs, il fallait commencer par les égaler, et la mort de Red nous avait fait comprendre que nous n’y étions pas encore. Survivre à un assaut, à la revanche d’un Empereur était la première étape de ce long parcours, et c’était là-dessus que nous employions tous nos efforts en ce moment.
Mais peut-être n’était-ce pas ce qu’elle souhaitait ? Peut-être voulait-elle laisser Armada à son sort ?
« Tu as parlé de ce que je veux, mais pas de ce que tu veux toi… Toi qui es ange, pirate et reine en même temps. Fille de Tahar Tahgel et compagne de Reyson D. Anstis. Toi qui es Izya Tahgel, que veux-tu toi ? »
Ce que je veux moi.
Un instant, je le regarde dans les yeux, presque surprise de la question sans pour autant l'être vraiment. Ce que je veux... Le fait est que je n'en ai aucune idée. Je veux continuer de vivre avec lui, ça, oui. Mais en dehors de cela, je n'ai actuellement pas d'ambition, pas de véritable projet qui me pousse vers l'avant.
Détournant les yeux pour regarder devant moi et continuer d'avancer, je réfléchis à la question qu'il m'a posé pour y trouver une réponse. Lorsque j'ai quitté mon foyer, j'avais deux choses en tête. L'une d'elle est déjà accomplie, car je voulais connaitre l'origine de mes ailes et pourquoi j'avais été abandonnée, chose que j'ai découvert grâce à Tahar et mon peuple angélique.
La seconde m'a été refusée par le destin. Mon rêve de devenir suffisamment forte pour traverser les mers à la nage est tombé à l'eau au moment même où j'ai été contrainte de croquer dans le fruit du démon qui m'a donné mes pouvoirs. Au début, j'étais vraiment affectée par ce changement. Mais maintenant, mon fruit fait à tel point parti de moi que je me verrai mal vivre sans. Alors oui, la caresse de l'eau me manque souvent, mais elle a été remplacée par celle de l'air qui est toute aussi douce lorsque je parcours les cieux au gré du vent.
Et puis de toute façon, Reyson est maudit lui aussi, alors l'eau n'est clairement pas quelque chose que nous pourrions partager ensemble.
Et s'il y a bien une chose dont je suis sûre, c'est qu'importe mon objectif, s'il n'est pas à mes côtés pour le réaliser, alors il n'en vaut pas la peine.
Alors quoi ? Au final, qu'est ce que j'aime faire ?
Je souris un instant, la réponse est pourtant simple.
Je veux simplement continuer d'être moi même, avec toi à mes côtés. Mes objectifs du début de mon voyage, je les ai déjà atteint. Où du moins, ce n'est pas quelque chose sur lequel je puisse revenir. Ma vie de reine me plait assez, bien que jusqu'à maintenant, il me manquait cette dose de folie que tu as toujours su amener dans ma vie. Mais il y a ce petit quelque chose... Je crois que j'aime simplement être admirée et crainte à la fois. Après tout, je suis à la fois capable d'aider un pauvre scientifique prisonnier d'un nuage de pluie que de tuer de sang froid un type qui oserait s'en prendre à moi ou ceux que j'aime.
Mon sourire s'efface lorsque mes pensées divaguent jusqu'à retomber sur ce souvenir du jour où j'ai tué Kormor, et où mon père a eu peur de ce que je pouvais devenir.
Mais ce n'est pas assez.
Cette fois c'est le corps de Red que je revois allongé sur le sol, sans vie.
Je refuse simplement de revivre une souffrance aussi vive que la perte d'un être cher. Alors je dois devenir forte, toujours plus, jusqu'à surpasser le monde entier et ainsi ne plus jamais avoir à subir la volonté d'autrui.
Je suis sans doute la pire des égoïstes. Mais le bonheur de ceux qui oseraient se mettre en travers de ma route m'importe peu.
Si tel était le cas, je ne serai clairement pas une pirate.
C'est pour cela que si tu souhaites atteindre Rought Tell et devenir ainsi le roi des pirates, je te suivrais volontiers. Ces Empereurs, oui, ils nous ont écrasés une fois, ils nous ont mis plus bas que terre, mais la prochaine fois, nous serons prêt, et nous les vaincrons, tous autant qu'ils sont. Cela prendra peut être des années, mais qu'importe.
J'ai foi en nous. Ensemble, nous réussirons l'impossible.
A commencer par cette deuxième prison.
« Ensemble nous réaliserons l’impossible… »
J’aime bien cette idée. Surtout le premier mot. Presque exclusivement le premier mot en fait. Ensemble. Tant que nous le restons, tout me conviendra. Ou quasiment tout. En tout cas, Izya semble reprendre du poil de la bête et je me dois de l’encourager dans ce sens. Il ne faut pas que les rôles s’inversent et qu’elle doive me rassurer. Après tout, c’est elle qui risque le plus dans ce projet.
« Et tu deviendras plus forte très bientôt. Avec cette nouvelle aventure : notre prochaine destination au sein d’un iceberg flottant. Un nouvel enfer glacial. Mais nous sommes sortis du premier, ensemble. Alors cette fois aussi nous nous en sortirons. Ensemble.
Et alors tu seras admirée et crainte à la fois. Ou plus encore. Et Armada nous reconnaîtra de nouveau. Alors l’héritage de Rossignol pourra renaître et reprendre le cap qu’il a délaissé. Enfin, nous pourrons aller voir ces dragons qui te tiennent tant à cœur. Ensemble. Toujours ensemble. Pas après pas, étape après étape, nous parviendrons au bout.
Ensemble.
Qu’est-ce qu’un enfer de plus ? Tu es mon monde et il ne reste plus de place pour le reste. Tu prends toute la place. Cet enfer ne saura m’atteindre ni la tête ni le cœur car tu les occupes déjà. Et tu les occuperas encore longtemps…
Alors, plutôt que de s’inquiéter sur un hypothétique futur sinistre, disons-nous plutôt ceci : plus rapidement nous atteindrons cet iceberg, plus vite nous pourrons revenir dans nos quartiers. Et quand je dis nos quartiers, j’entends notre lit… »
Comme celui qui nous attend et dans lequel nous allons passer le temps qui nous reste avant de lever l'ancre. Le lieu où nous pouvons nous rappeler ces trois jours dans la caverne, coupé du reste du monde. Ces instants où nous nous étions ouverts l'un à l'autre pour la première fois et toutes ces autres fois. Ce lit où nos mots sont remplacés par des gestes tout aussi rassurants et aimants, par des promesses et des vœux silencieux.
Ce lit que nous quitterons bientôt pour revoir l'enfer avec une seule idée en tête : y revenir le plus rapidement possible.
Ensemble.