[20 JUIN 1627] : L'AFFAIRE COMDON
Et pendant plus d'une semaine, Philip se mit à bucher non-stop sur les projets qu'on lui avait confiés à lui et à ses collègues. Aussi épuisant que passionnant, le boulot lui plaît, il passe la moitié de son temps sur le terrain, et l'autre à gratter dans son bureau, prendre des notes, échafauder des plans avec, pour relation, architectes et autres spécialistes.
Au final, il ne s'ennuie jamais car tous les jours, les missions qu'il s'impose diffèrent. Le fait de fréquenter tous les jours le même saloon l'aide aussi à se faire des relations un peu partout dans la ville, ainsi, il connaît désormais les services de sécurité (et non de police, qui se serait fait démolir sur le coup, le simple fait de changer de nom permettait de faire passer n'importe quoi à Bull Town), les menuisiers, les mineurs et les chercheurs d'or de la ville. Ce qui représente déjà un bon point de départ, ainsi qu'un bon paquet de gens.
Le problème majeur de sa nouvelle carrière survient à son vingtième jour de travail, alors qu'il calcule les fonds nécessaires à la construction d'un château à bière pour alimenter tous les saloons de la ville, notre héros se rend vite compte que les fonds disponibles ne seront pas suffisants. En effet, pour procéder à la réalisation d'un projet tel que celui-ci, il faudrait normalement vingt millions de Berrys, qui, sur le long terme, en rapporterait trois fois plus (réduction des frais de port et de douane imposé par certaines villes, et bien d'autres avantages).
En temps normal, il devrait avoir accès à cette somme, mais il n'y avait dans la caisse que quatorze d'entre eux. Les six millions de Berrys manquants étaient introuvables. Philip a bien eu l'idée de contacter le service comptabilité et financement, afin de recalculer les chiffres et d'être sur et certains de n'avoir fait aucune erreur. Mais ces derniers ont confirmé la disparition de la somme.
C'est donc tout naturellement que Philip se tourne vers Condom, son premier supérieur direct, les secrétaires n'étant en soi, que des relayeurs.
« On a un problème monsieur, il manque six millions de Berrys à la caisse d'investissement qui devrait normalement être là. »
« D'où cette somme devrait être tirée ? »
« Pringle Street et Hooverdam Avenue, tous les loyers du coin ont disparu. »
« Alors renseignez-vous sur qui tiennent les échoppes, et sur les retards probables. »
« J'ai le droit ? »
« Pour ce qui est du fric, vous avez tous les droits.»
« D'où cette somme devrait être tirée ? »
« Pringle Street et Hooverdam Avenue, tous les loyers du coin ont disparu. »
« Alors renseignez-vous sur qui tiennent les échoppes, et sur les retards probables. »
« J'ai le droit ? »
« Pour ce qui est du fric, vous avez tous les droits.»
Avec cette carte blanche, Philip se sent comme un phénix, il n'avait pas encore mené l'enquête, par manque d'informations sur les libertés que lui offre son poste. Si Condom avait été aussi conciliant, c'est tout simplement que ce dernier avait compris le rapport de forces existant entre eux. Enfin du moins c'est ce que Philip pense.
Ainsi, pendant près d'un mois et demi, Philip a mené son investigation en commençant bien sur, par son saloon préféré, duquel il a pu tirer les adresses et les noms des gérants des boutiques de Pringle Street et Hooverdam Avenue. Il a donc pu se lancer dans une enquête de grande envergure, en contactant les services de sécurité précédemment cités, mais aussi les services comptables, il a pu obtenir tout le soutien nécessaire à la mise en œuvre de son projet.
En tout cas, c'est, comme d'habitude, ce qu'il pense.
L'histoire est en fait autrement plus complexe.
« D'après Wang, Filiponi et facilement six autres commerçants, leur fournisseur commun est un certain Liam, qui n'a ni nom ni adresse, mais qui travaillerait apparemment pour le gouvernement et qui serait en contact avec la Mairie afin de « justifier » ses transactions. Il leur vend alcool, arme, tabac ou encore nourriture en échange de Berrys qui servent à investir dans les infrastructures de l'île. »
Philip aime chuchoter ses pensées afin de les remettre dans le bon ordre. Il pense que cela lui permet de trouver plus rapidement la solution, bien que ça ne soit pas toujours le cas, sinon tout le monde le ferait, vous pensez bien.
Il vient de découvrir l'identité du coupable, enfin plutôt une bribe de l'identité de ce dernier. Qui, d'après ce que les plus renseignés de tous savent, fais le tour de plusieurs villes afin de récolter une partie des loyers pour soutenir financièrement un énorme projet garantissant, à tous les participants, une vie des plus plaisantes d'ici à 10 ans.
Les responsables ont bien sûr été surpris d'apprendre que le dénommé Liam n'avait pas posé la question à tout le monde, et que d'ailleurs, la majeure partie des commerçants n'était pas au courant de son existence. Notre coupable avait en effet bien choisi ses cibles, Pringle Street et Hooverdam Avenue se trouvent toutes deux à l'extrémité du village, plutôt isolé vis-à-vis du reste de la ville, et de plus, les deux rues se trouvent être attenantes, et donc leur commerçant en relation direct.
En choisissant un lieu isolé mais concentrant tout de même une douzaine de commerce, notre marchand de rêve a fait en sorte que même si l'info venait à fuiter, elle ne toucherait que des gens eux-mêmes concerner par cette dernière. En utilisant à son avantage le caractère casanier et peu ouvert des habitants de Bull Town, il s'était cependant trahis, car ici, aucun étranger ne peut se douter qu'en réalité, les habitants ne parlent qu'à ceux qu'ils connaissent et à personne d'autre.
Afin de s'assurer un bénéfice maximum, les commerçants comme les habitants jouent le rôle des « bons hôtes » envers le peu de touristes et d'étranger passant par là, et ce durant deux ou trois semaines. Philip le sait puisqu'il est lui-même concerné par cette façon de faire les choses si particulières à la ville. Au début, tout le monde rigolé avec lui et chercher à savoir qui il était et d'où il venait, maintenant seuls ceux le connaissant déjà lui parlent régulièrement.
Si le nombre de contacts de Philip est grandissant, c'est uniquement parce qu'il a su, inconsciemment, se construire une base de connaissances solide durant le court laps de temps où les habitants lui ont été sympathiques, le liant à plus d'une centaine de personnes et, ce faisant, au cours des conversations avec ces connaissances, à de plus en plus de monde.
Pour savoir utiliser à bon escient cette information, il fallait forcément que notre « Liam » soit de la ville.
C'était une première information des plus importantes, et connaissant le gouvernement et leur façon de faire, de par ses études, Philip peut aisément affirmer que ce dernier est également un menteur, car Hat Island n'est pas un lieu prisé par ce dernier de par la complexité de l'île (autant d'un point de vue géographique que d'un point de vue sociale, les habitants y sont trop farouches), mais aussi parce que pour percevoir les impôts ou l'argent nécessaire à un projet, le gouvernement n'envoie jamais UN seul membre, hormis s'il fait partie d'un quelconque CP.
Mais un membre du CP aurait déjà réfléchi à la possibilité que quelqu'un se rende compte de sa manœuvre.
« Ils sont des forces spéciales après tout, la plupart d'entre eux sont surdoués et très expérimentés, et il s'agit là d'un problème auquel ils auraient trouvé remède. »
Cela dit, la probabilité qu'un membre du CP soit responsable de toutes ses manigances figura sur les plans de Philip.
Notre héros n'est pas du genre à prendre les détails à la légère, chaque étape de son enquête était complété d'un petit écriteau avec des informations supplémentaires, concernant les commerçants, ce qu'ils vendaient et la somme qu'ils avaient donnée au dit Liam. La présence du service de sécurité à ses côtés lui garantissait une certaine protection, et ceux qui ne parlaient pas finissaient généralement par parler, la matraque aidant bien.
Pendant 50 jours, cette histoire ne trouva aucune solution, et les six millions de Berrys restèrent introuvables, à force de tourner en rond, notre héros se découragea plusieurs fois, mais le projet du château à bière serait sa première réussite en tant que membre à part entière de la Mairie.
En effet, les trois dossiers précédemment évoqués étaient déjà en cours de traitement, car notre Philip est un bosseur, il réfléchit non stop, et ne s'arrête que pour fumer une clope ou boire un coup.
Et c'est pendant une énième soirée en compagnie du vieux Jacob, le tenancier de son saloon favori, que notre personnage principal eut le déclic.
« Oï Jacob, comment qui s'appelle l'adjoint au maire ? »
« C'est toi qui bosse là-bas pov'cloche, me demande pas c'que tu devrais savoir. »
« J'te reprends un whisky ! »
« S'appelle Aimal, Rial Aimal, un peu indien mais pas méchant. »
Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ?
« Quel con, cinquante jours sur un rébus d'amateur »
A-I-M-A-L, regardez bien les lettres chers lecteurs et dites-moi ce que vous voyez ! Même R-I-A-L, tout est suspect !
Mais on parle là de l'adjoint au maire et pas du collègue de bureau avec qui on parle femme, café et billard. Ce type-là est le bras droit du grand manitou, et s'il est si discret c'est qu'il sait ce qu'il risque en se mettant trop en avant, enfin, du moins, il en a un peu conscience. Le problème étant que si le numéro 2 détournait des fonds à son avantage, il se pourrait que le numéro 1 soit également dans le coup. Il ne fallait en parler à personne.
C'est alors que dans la petite caboche de notre héros, germa l'idée toute simple mais pourtant géniale, de prendre les devants, et de profiter de l'occasion pour s'assurer une place encore plus au chaud à Bull Town. L'objectif : faire 50/50 avec ce que récupérait l'adjoint, et investir l'argent que lui-même aurait gagné dans ce foutu château à bière.
Pour ce faire, une seule solution, s'attaquer à son point faible.
Pendant près de deux semaines, Philip se concentra sur cet unique objectif, découvrir son point faible afin de pouvoir profiter pleinement des avantages que cette découverte pourrait lui apporter, et c'est au seizième jour de son enquête qu'il saisit enfin quel angle attaqué.
Sa fille.
Ahh l'amour paternel, si ce n'est pas mignon tout plein . Mais notre bonhomme sait pertinemment qu'il s'agit là d'un des principaux points faibles de tout homme ayant eu la bêtise de s'accommoder d'une femme.
L'amour.
Un sentiment si frivole qu'il en est ridicule, trop de gens subissent l'amour plus qu'ils n'en jouissent. Aucun plaisir n'est à retirer d'une telle perte de temps. Mais Philip allait en tirer du plaisir lui, il hésite cependant sur la manière dont il peut s'y prendre, le but étant de prendre un maximum de plaisir !
Un enlèvement entraînerait irrémédiablement sa chute, car tout le monde se sentirait concerné par la disparition d'une jeune fille de 16 ans, et tout le monde détesterait le ravisseur, même si ce dernier employait la séduction et arrivait à rendre amoureuse la jeune fille, les habitants de Bull Town le traiteraient de porc et de pédophile et le traineraient en justice sans plus tarder.
Et tout le monde sait que la justice de Bull Town se rapproche plus d'un traitement vindicatif que d'une cour d'appel.
Et en attendant l'arrivée d'un juge à Bull Town, il purgerait sa peine au trou. Sachant que la justice est rendue de manière itinérante, un juge passant tous les trois mois environ, tout le monde se tient à carreau vis-à-vis des peu de règles en vigueur sur place, et l'enlèvement de jeunes enfants, tout comme la pédophilie est interdite.
A contrario, le tabassage en règle des prisonniers coupables de ces crimes est fortement recommandé, il paraîtrait que ça soulage les nerfs des honnêtes gens.
La solution la plus « valable » est donc de l'attaquer chez elle en l'absence de son père, et de faire en sorte que cette dernière lui serve de point d'appui pour atteindre son père.
« Une solution aussi vicelarde que dégueulasse, m'enfin bon … C'est Dieu qui donne, ça passe ou ça casse.»
Philip, comme tout bon athée, n'est pas croyant mais s'en remet toujours au seigneur dans ce genre de moment où il n'a aucune influence sur le destin et sur la suite des événements, peut-être est-ce par ironie, ou alors tout simplement parce que sa famille était croyante et qu'il s'agit là de parole réflexe ?
Bref, quelle importance au final ?
Notre héros prépara son plan au préalable, il sait où habite l'adjoint au maire et où se trouve la chambre de sa fille, il a accès au plan de la maison de ce dernier, faisant partie du service d'aménagement et d'urbanisme, il a donc aussi accès au dossier de l'aménagement intérieur et, en toute logique, il sait où se situe chaque pièce.
« C'est pas très prudent de laisser ce genre de papier à disposition, monsieur l'adjoint !»
Le plan est en place.
« Je passerai par l'extérieur de la maison, la face nord se trouve sans vis-à-vis et me conduit au cagibi à balais, la vitre est fermée à clé via une serrure, une simple lime suffira à la débloquer. Afin de ne pas éveiller les soupçons et surtout pour éviter de croiser autant la fille que l'adjoint, il faudra que je fasse cela de jour, en prenant des habits d'ouvrier. Je profiterais du fait que leur femme de ménage soit présente l'après-midi pour lui dire, de leur dire, de ne pas fermer la fenêtre qui est défectueuse. Il ne me reste qu'à falsifier les papiers me permettant de tout accomplir dans les normes. Je reviendrais ensuite le soir même, j'aurais laissé, au préalable, l'échelle m'ayant permis d'accomplir le méfait, la fenêtre grande ouverte, il ne me restera plus qu'à prendre la fille en otage le temps que le père rentre.»
Le plan est parfait à quelques détails près, avec des papiers falsifiés ainsi qu'un personnage imaginaire pour tout rôle à jouer, tout est simple à mettre en place.
Afin que tout paraisse parfaitement crédible, notre homme va pourtant devoir dépenser 40.000 berrys et passer près de douze jours à peaufiner chaque détail.