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Doux spectacle

Doux spectacle

I.

Douces retrouvailles.
La guerre s'était finie depuis un mois. La Marine occupait Vindex tout entier, aidant à la reconstruction partielle de l'ancien royaume. L'ombre du conflit planait sur le pays à travers les différents soulèvements de la population, et les répressions sanglantes qui s'en suivaient. Un étrange climat s'installait sur l'île, entre peur et haine. En attendant une solution politique, les marins administraient Vindex.

Les différents secteurs étaient gérés par les divisions de la Marine qui avaient participées à la campagne. Les deux unités qui s'étaient chargées du blocus maritime assuraient la sécurité des différents ports ; tandis que deux nouvelles divisions de la régulière avaient été dépêchées pour renforcer le contrôle du pays. La quarante-huitième, elle, s'occupait de la capitale, Aldebaran, où les dégâts de l'invasion étaient les plus visibles et les plus récents. Mountbatten, confirmé dans ses nouvelles fonctions de commandant d'élite, s'occupait d'un quartier entier, avec sous ses ordres le bataillon Godwin, du nom de l'ancien occupant du poste, décédé lors des violents combats à Ypres.

Le petit quartier général qu'occupait le Fantôme était situé dans un grand immeuble, miraculeusement épargné par les bombardements. L'intérieur était certes abîmé, mais faisait l'affaire. Les anciens propriétaires ne s'étant pas encore manifestés, cela ne posait aucun problème. L'aristocratie vindexoise menait une vie mondaine et baignait dans le luxe ; ce qui s'était répercuté sur le mobilier et les décorations de l'hôtel particulier. Le cadre était plus qu'agréable ; néanmoins, Mount restait de marbre. Ses subordonnés ne savaient pas réellement quoi penser. La Marine avait gagné la guerre, il avait été promu et dirigeait trois cents hommes depuis un des plus beaux appartements de la capitale.

En réalité, il était perdu. Après avoir reçu un énième rapport de patrouille, il décida d'appeler l'une des rares personnes qui avaient encore de la valeur à ses yeux. Il donna l'ordre de ne pas le déranger jusqu'à ce qu'il sorte de la pièce, et prit le Den Den de son bureau. Il composa vainement le numéro, puis se posa confortablement sur son siège, las. Durant la numérotation, il contempla le plafond. Le chandelier de verre, qui illuminait autrefois l'endroit, avait été brisé. Les débris avaient été ramassés, mais il restait toujours là, comme cassé en deux. Il fut tiré hors de ses pensées par une voix à l'autre bout du fil.

- Allô ?

Il ne répondit pas tout de suite. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas entendu sa voix. Trop longtemps. Ça l'avait atteint au cœur, comme si tous les moments de tristesse qu'il avait vécu ces sept derniers mois convergeaient vers cet instant précis.

- Mère, c'est moi.

Il n'avait pas pu l'appeler au cours de la guerre. Il lui avait écrit quelques lettres ; cinq, tout au plus. Rares furent les réponses. Peut-être même que ses écrits n'avaient jamais atteints Marijoa, où résidait sa tendre mère. Matilda Mountbatten, de son vrai nom, fut également émue d'entendre la voix de son fils. Elle s'était faite du souci, mais avait confiance en lui. Elle aussi lui avait envoyé des lettres ; néanmoins, elles s'étaient échouées sur le trajet. Il faut dire qu'il était difficile d'acheminer le courrier dans les conditions qui furent celles du conflit.

Elle laissa s'échapper une larme, et d'une voix tremblante, répliqua.

- Alexander... Comment vas-tu ?

- Je ne sais pas vraiment... Et toi, ça va ? Et père, comment va-t-il ?

- Ça va. Nous étudions simplement... inquiets.

- Désolé de vous avoir inquiété... J'aurai dû donner plus de nouvelles, mais...

- Ne t'inquiète pas, on sait. On a discuté avec plusieurs officiers ; ils nous ont tous dits que c'était difficile pour vous d'envoyer des lettres... Mais bordel... Je n'ai pas arrêté de penser à toi. Tu sais, même si la presse officielle ne parlait que de victoires, on connaissait la vérité des chiffres.

- Ouais... C'était vraiment... l'enfer. Tu ne peux pas savoir à quel point c'était dur... Certaines images sont encore gravées dans ma tête. Elles restent là, pendant quelques temps, avant de repartir, pour revenir plus tard.

Sa mère ne répondit pas. Elle voulait se montrer compréhensive envers son fils ; mais le poids des horreurs qu'il avait vécu était trop lourd pour qu'elle ne change quoi que ce soit. Il avait besoin de parler ; de se délivrer. Ses paroles suivantes venaient avec une difficulté grandissante. Sa gorge se nouait de plus en plus

- ... Maman...

La voix du commandant d'élite faiblit d'un coup.

- ...Louise...

De longues secondes passèrent. Il ravala sa salive et empêcha ses larmes de tomber, pour la première fois depuis longtemps.

- ...est morte.

- ...

Il lâcha un soupir, rempli d'émotion. Il leva les yeux en l'air, encore une fois, comme pour fuir une réalité qui commençait à le ronger. Sa voix tremblait, entrecoupée de soupirs.

- ...Ratzkill... aussi. Tous tués. Je n'ai rien pu faire. Rien.

Matilda sentait que son fils devait parler, se confier à quelqu'un. Elle sentait tout le poids des évènements sur les épaules de son fils. Elle sentait la souffrance qui s'était installé dans son cœur noirci.

- Louise... On s'était promis... de ne jamais se séparer. De ne jamais se laisser tomber... J'ai toujours ce pendentif... A... A l'occasion de ma demande en fiançailles, je lui avais offert la partie droite d'un cœur, tu te rappelles ? J'ai toujours la partie gauche... A chaque fois que je le vois, ça me fait penser à elle. A chaque fois, c'est comme si j'étais vide à l'intérieur. Comme si une partie de moi s'était envolée avec elle.

- ...Je suis désolée... Ne te sens pas responsable. Fais ton deuil ; nous serrons là pour t'aider à le faire.

- ...Oh maman... Ratzkill...

Sa voix se fit plus menaçante, trahissant une rage intérieure qu'il essayait de cacher à tous. Cependant, il n'y arrivait plus. Il avait accumulé tant de haine, et ne l'avait toujours pas expulsée.

- Il est mort sous mes yeux. Sabré par un révo à la con. Sabré par un moins que rien. Je... je n'ai rien fait ! J'ai juste vu la chose... Il est mort devant moi. J'ai... toujours son regard ancré en moi, un regard qui me culpabilise. Tu ne le connaissais que très peu, mais sache... que... c'était un type formidable.

- Je n'en doute pas.

- D'ailleurs... Je ne sais pas si tu as reçu ma lettre disant que j'allais me fiancer avec Louise.

- Je l'ai toujours.

- On avait tant de rêves... Balayés. Elle a été tuée sous une pluie d'obus, à Mekiel. Tu sais, j'ai dirigé la construction de certains cimetières militaires dans la région. J'ai regardé les listes de cadavres, jusqu'à remonter au nom de Louise. Tu sais ce qu'ils ont marqué ?

- Non...

- "Disparue". Alors que j'ai vu son cadavre au front. Je l'ai vu, et ils n'ont même pas été foutus de le garder, pour qu'on l'enterre dignement. Tu te rends comptes de ça ? Elle n'a même pas droit à un soupçon de dignité.

- Qu'est-ce que tu veux que je te dise...

- Je sais bien, tu n'y peux rien... On n'y pourra rien. Dis maman... Ne penses-tu pas que tout ça, c'est n'importe quoi ?

- Que ceux-tu dire par là ?

- Je ne sais pas... Qu'on pourrait vivre autrement, sans toutes ces souffrances, sans toutes ces guerres...

- On pourrait. Mais c'est impossible à cause des pirates, des révolutionnaires et de tous les hors-la-loi qui volent, pillent et ravagent les mers et océans de ce monde.

Le marin lâcha un petit rire nerveux, comme pour montrer son agacement.

- C'est bien maman, tu as bien appris la doctrine du Gouvernement Mondial. Est-ce que tu ne penses pas, que c'est justement lui qui cause toutes ces souffrances ?

- Je ne te suis pas vraiment là... Ne laisse pas ta rage t'envahir. Tu as connu un grand traumatisme ; tu as besoin de repos.

Le débit de parole de Mountbatten augmenta, laissant entrevoir une frustration quant à l'opposition de sa mère.

- J'ai eu plusieurs mois pour réfléchir à la question, j'ai vu ces souffrances. J'en ai souffert aussi. Louise et Ratzkill sont morts pour rien ! Et ça, je ne peux pas le tolérer. Ils sont morts pour satisfaire les ambitions territoriales du Gouvernement Mondial, et même plus ; des Dragons Célestes et des Vénérables Étoiles.

- Écoute Alexander, nous sommes là parce que le monde a besoin d'ordre et de sécurité. Je ne te reconnais pas mon fils...

- Parce qu'avant, j'étais bercé dans un idéal. Et un idéal, ce n'est pas la réalité. Ce monde est violent, maman. Et cette organisation ne fait qu'y contribuer.

- Je pense que tu as tort, et que tu es submergé par tes émotions. Tu dois d'abord faire le deuil, avant de vouloir changer le monde.

- Mon deuil, j'ai eu deux mois pour le faire. J'ai été entouré de personnes en deuil ; aidé aussi, par des personnes spécialisées. Ça fait plusieurs mois que je vois les miens tomber les uns après les autres. J'ai eu le temps pour réfléchir sur le sens de la vie et de la mort, d'accord ? J'ai l'impression d'être plus vrai que je ne l'ai jamais été. Écoute, le problème n'est pas l'objectif du Gouvernement Mondial, car il est respectable, et j'y adhère malgré tout. Mais ce sont ses moyens qui sont mauvais.

- Ne dit-on pas, la fin justifie les moyens ? Je croyais que tu le pensais également. C'est du moins, l'impression que tu donnais. Je ne te reconnais vraiment plus, Alexander. Tu as perdu la raison. Prends des vacances ; tu n'as quasiment jamais pris de congés depuis ton entrée dans la Marine.

- Ce n'est pas le sujet maman, tu le sais très bien... J'espère un jour vous faire changer d'avis...

TOC TOC TOC

- Attend deux minutes, on me dérange.

Posant le Den Den sur la table, le Marijoan s'avança, énervé d'être dérangé, contrairement à ses directives. Il ouvrit la porte et vit un matelot essoufflé.

- Qu'est-ce qu'il y a ?! On ne vous a pas dit de ne pas me déranger ?!

Il se mit au garde à vous, avant de reprendre son souffle.

- Un soulèvement... Encore un... Vers les faubourgs nord.

- Merde. J'arrive.

Il revint à son siège, après avoir fermé la porte, et reprit la conversation.

- Écoute maman, j'ai fort à faire ici. Sache que je ne suis pas rempli de haine comme tu le penses, mais que j'ai beaucoup réfléchi, et mon avis est réaliste.

- Si tu veux changer le Gouvernement Mondial, tu peux très bien le faire de l'intérieur...

- C'est bien mon intention, ne t'inquiètes pas. Je suis peut-être perdu... mais je vous aime. J'espère pouvoir vous voir le plus vite possible.


Dernière édition par Mountbatten le Lun 25 Fév 2019 - 14:14, édité 2 fois
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II.

Dure répression.

Avant d'envoyer ses soldats mater le soulèvement, il avait besoin de quelques indications supplémentaires. Il appela en conséquence son supérieur, le chef de la quarante-huitième : Kimblee. Il lança donc l'appel avec le même Den Den qu'il avait utilisé pour appeler sa mère quelques minutes plus tôt.

- Allô ?

- Ici le commandant d'élite Mountbatten. On m'a informé d'un soulèvement dans les faubourgs nord... Avez-vous des informations utiles à me transmettre avant qu'on s'en occupe ?

- Affirmatif. Le Cipher Pol vient tout juste de me transmettre son rapport... plusieurs foules se seraient constituées devant les quelques magasins de nourriture de l'avenue principale des faubourgs nord, qui étaient pratiquement tous en rupture de stock. Des patrouilles de votre bataillon seraient passées par là et auraient subi des tirs de ce qui est devenu une manifestation générale. Certains habitants possèdent des armes à feu ; mais la majorité n'ont que des armes blanches ou des bâtons, voire rien du tout.

- Doit-on simplement rétablir le calme, ou bien... faire autre chose ?

- Prenez les mesures nécessaires. Sachez que dans quelques heures, une personnalité importante du Gouvernement Mondial va arriver sur l'île. Il nous faut à tout prix stabiliser la situation. Prenez donc les mesures qui s'imposent... Soyez sans pitié.

Le penchant de son supérieur pour la violence était bien connu du Marijoan ; mais il n'arrivait toujours pas à s'y résoudre. Cependant, il n'avait pas le pouvoir de changer les choses. Du moins, pas encore.

- Ce sera fait.

La rue du quartier général du bataillon se remplit progressivement des marins de l'unité. Mountbatten sortit à la hâte de son bureau, armé et prêt à affronter cette nouvelle insurrection, à quelques lieues de là. Le ciel gris se reflétait parfaitement sur les pavés remplis de crasse de l'allée. Plusieurs rangées se formèrent, jusqu'à ce que les trois cents hommes soient en position, prêts à entendre les ordres du commandant d'élite. Il leur expliqua la situation et fit la répartition des sections à travers les faubourgs nord.

Chaque groupe devra limiter ses tirs ; plus il y en aura, plus la population sera mécontente, et agressive. Malgré les ordres du commandant de la division d'élite, le Fantôme n'allait pas se montrer exagérément violent et répressif. Il souhaitait simplement que les manifestants se dispersent. Les troupes se mirent en marche et arrivèrent à hauteur des faubourgs une demi-heure plus tard. Mount s'était chargé du secteur le plus central ; celui où la contestation était la plus forte, afin d'éviter toute effusion de sang inutile.

Une fois arrivés sur place, les marins virent une grande barricade sur l'avenue centrale, dressée à partir de chariots, de caisses et autres débris en tout genre. Quelques rebelles s'avancèrent au-dehors de la barricade pour jeter des pavés de pierre contre les marins, qui avançaient en lignes sur deux rangées.

- Stop !

La ligne s'arrêta net sous l'ordre du commandant d'élite. Les quelques imprudents continuent d'insulter et de provoquer les forces de la Marine. Les fusils de ces derniers étaient pourtant baissés et pointés vers eux ; mais ils attendaient l'autorisation de leur officier. Ce dernier lança une ultime harangue aux défenseurs, leur laissant la chance de partir et d'éviter ainsi de se subir la répression qui allait venir. Néanmoins, ils n'en avaient que faire. Ils avaient faim ; toute réflexion raisonnée étant pratiquement impossible à ce stade-là. Après son ultimatum, il attendit quelques minutes, puis prit enfin la décision de commencer ce pourquoi il était là.

- Messieurs ; en joue !

Les fusils se firent plus menaçants ; chaque marin s'appuya de plus en plus sur son arme pour mieux viser ceux qui n'étaient pas cachés par la barricade.

- Feu !

L'instant d'après, plusieurs dizaines de balles se déversèrent sur le soulèvement. Étant donné que ces coups étaient partis en même temps, les fumées qui sortaient habituellement de chaque frein de bouche s'harmonisèrent en un seul grand amas de gaz grisâtre. Derrière lui, les effrontés qui se trouvaient dans la sorte de no man's land avaient été abattus, sans distinction. Les quelques rebelles qui s'étaient hissés sur la barricade avaient été également touchés. Alors que Mountbatten pensait que cela allait suffire, il se rendit compte que cela n'avait fait qu'éveiller la ferveur des insurgés. Des agitateurs brandirent des fusils et commencèrent à sauter par-dessus les retranchements pour attaquer les marins.

Ceux-ci furent aussi surpris, mais se reprirent et attendirent les ordres de leur supérieur. Face à eux, une horde de foule en furie, armée de bâtons, de couteaux, de râteaux, de faux, et de tout ce qui pouvait plus ou moins faire mal, courut vers eux, déterminée et nombreuse. De surcroît, ils brandissaient les drapeaux du royaume de Vindex, qui avait été aboli par le gouvernement militaire, ce qui constituait un crime majeur.

Ils avançaient de plus en plus, et il fallait faire un choix. Il se rappelait parfaitement des directives de Kimblee, mais sa conscience s'y opposait de plus en plus fermement. Malgré tout, devant l'urgence, il dut céder, une fois de plus.

- Feu à volonté !

Il n'en fallait pas plus aux marins. Ils vidèrent leurs chargeurs, pressés par le temps et leurs propres peurs. Au final, c'était eux ou les rebelles ; le choix était vite fait. Face aux armes semi-automatiques des marins, ils n'avaient pas de chances. Les rangs se firent de plus en plus clairsemés ; jusqu'à qu'il n'y ait plus que des cadavres. Mêmes ceux qui s'étaient découragés en route et qui avaient fait le chemin inverse avaient été tués. Leurs corps gisaient là, sur le pavé.

Les deux heures qui suivirent furent consacrées à une répression violente de la Marine. A partir du moment où une personne était suspectée d'avoir un lien plus ou moins grand avec les événements récents, elle était arrêtée sans sommation. Une courte période de terreur s'installa dans les faubourgs nord, le temps des investigations. Les militaires ne faisaient pas dans la dentelle ; il ne pouvait y avoir de présomption d'innocence, le temps se montrant toujours plus pressant.

Après la fin du soulèvement, Mount repartit, sous bonne escorte, à son bureau pour faire un rapport à son commandant, avant l'arrivée de "l'invité spécial". Il détailla avec précision les chiffres : au moins deux cent vingt-huit morts parmi les manifestants ; trois cent soixante-dix-huit arrestations et seize hommes blessés dans ses rangs, dont deux gravement. Les chiffres parlaient d'eux-mêmes ; les insurgés n'ont eu aucune chance. Aucune chance face à un Gouvernement Mondial devenu surpuissant.
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"Tous ?...
- …Jusqu’au dernier. Morts ou prisonniers, à ce stade ça ne fait plus aucune différence. "

Etienne eu beau fermer les yeux pour contenir son désespoir, une longue trainée de larmes lui échappa. Se pinçant l’arête du nez pour se ressaisir, il se détourna de la messagère et commença à faire les cents pas dans la triste pièce où il était reclus. Son matériel était consciencieusement déballé et rangé de façon thématique sur les meubles de fortune qu’elle abritait, il était là, à attendre depuis la veille, à redouter la moindre nouvelle et tellement impatient qu’on lui en donne.

" J’aurais dû être avec eux… avec lui… "

Le cœur serré, il faisait tout pour ne pas imaginer la scène, mais plus il essayait, plus les images des corps fusillés et mutilés s’imposaient à lui, tous ces cadavres décharnés, leur intérieur mis à nu, tous ces hommes et ces femmes gisant dans la boue et la poussière à qui il avait survécu. Lui qui n’avait jamais eu beaucoup d’imagination n’avait étonnement aucun mal à se représenter le visage de son petit frère sur ces nuques, ces troncs démembrés qui jonchaient à présent tout Vindex.

Un haut-le-cœur faillit le mettre à terre et il rendit au plancher son maigre déjeuner.

"Pourquoi… "

C’était tellement absurde… Tellement monstrueux… Tellement…

La guerre était censée avoir pris fin, les massacres étaient censés être derrière eux. Mais rien n’y avait fait, l’Homme était Homme et tant qu’on ne l’aurait pas complètement brisé, la flamme de la folie continuerait de brûler. Se battre pour la justice. Réprimer pour des idéaux.

"C’était son choix. " tenta de le calmer la jeune femme en lui passant la main sur l’épaule "Nous avons essayé de les calmer, de leur faire comprendre qu’ils nous seraient bien plus utiles dans l’ombre mais ils n’ont rien voulu entendre… Ils ont… "

Elle était impassible, froide et insensible, sa voix ne tremblait même pas. Il avait beau savoir et s’être répété des centaines de fois que par des temps pareils, il devait garder, tout comme les leaders de la rébellion, un sang-froid exemplaire, ses fades mots de réconfort ne lui inspiraient que du dégoût.

Mais avant tout du dégoût pour lui-même.

Caché derrière son matériel. Son équipement de précision qui lui avait valu une réputation sans pareille, son talent inné à viser juste et à ne jamais rater une de ces cibles. Il avait été un chasseur heureux, de ceux qui gagnent la reconnaissance des autres sans collecter des trophées, mais la guerre avait fait de lui un assassin. Un chasseur d’hommes qui attendait patiemment que ses frères d’armes se sacrifient pour avoir le bon angle de tir.

"Reprends-toi. Ils arrivent. "

Cette fois, elle s’était montrée plus sèche.

L’enjeu était important. Aujourd’hui, ils comptaient frapper très fort. Dehors, impeccablement rangée à angle droit par des soldats surarmés, une foule grouillante s’était massée le long de la grande avenue. Des accords militaires résonnaient en cadence, à peine troublés par les menues protestations et huées qu’on faisait bien vite taure.

C’était un opéra de papier, une mascarade en guise d’armistice et le couronnement d’un bouffon.

Il ne devait pas perdre son calme.

Elle avait raison.

Le grand défilé militaire commençait sur la grande place d’Aldébaran, promenant avec emphase la fierté nauséabonde du Gouvernement Mondial jusqu’à la grande estrade, bien en vue, où leurs cibles allaient bientôt apparaître.

Le duc de Mekiel, hédoniste sans aucun sens moral qu’on s’apprêtait à intronisé pour en faire un meilleur pantin.

La vice-amirale Ziva qui menant une grande partie des opérations contre le royaume de Vindex en avait été un des principaux bourreaux.

Mais surtout… Kyozu Vagner. L’étoile. Une des nombreuses raisons pour lesquelles le monde ne tournait pas rond. La répression serait violente, mais le coup porté serait titanesque. Monstrueux même.

Il prit une grande inspiration, appuyé sur une belle table ouvragée, les yeux fermés. La scène repassait dans sa tête. Un tir. Un second tir. Et la poudre qui s’enflammait, le chaos qui sortirait des rangs.

Les cuivres de la parade s’emballèrent, et son accompagnatrice dégagea avec délicatesse et précision la fenêtre par laquelle il devrait tirer, en prenant bien garde de ne pas faire de faux mouvements qui seraient visibles de l’extérieur. Lui s’équipa. Il savait déjà quelles seraient ses armes de mort.

La clameur monta encore en intensité et il sut que le moment arrivait. D’un pas grave, il marcha vers le rendez-vous qu’il avait pris avec ses cibles. Lentement, il s’installa. Elles étaient enfin là. Contemplant leur triomphe usurpé. Attendant patiemment de pouvoir s’en féliciter.

La tête de sa première cible était dans sa visière. Bien entourée, mais à sa portée. Il suffisait que la balle touche un seul point de l’occiput pour le traverser. Une étoile allait s’éteindre avec les derniers accords.

Son doigt sur la gâchette, il sentait son cœur battre si fort qu’il aurait pu rejoindre la cohorte de tambour. Qu’était-il en train de faire. Ses nerfs étaient si tendus qu’il s’étonna lui-même de ne pas trembler, si concentré qu’il n’entendit même pas un courant d’air passer et un corps tomber derrière lui dans un bruit étouffé.

Les trompettes se turent, le cor tint sa dernière note et il commença à presser.

"Shigan"

Puis plus rien.

Le discours de la tête pensante du Gouvernement prit la parole et tandis que la nuque trouée de cinq impacts nets, Etienne s’avachissait dans une mare de sang. Il ne put voir qu’un homme ôter ses gants et avant de poser avec délicatesse son veston sur le dossier d’une chaise.

"Le Cipher Pol prend le relais, merci d’avoir chauffé l’endroit. "

    Doux spectacle

    III.

    Douce mascarade.
    La grande avenue était, ce jour-là, noire de monde. Sur une estrade se trouvait les personnalités venues assister au défilé militaire. Aristocrates vindexois et hauts gradés de la Marine s’y côtoyaient. S’y mêlaient également divers membres de la haute société de Marijoa : entrepreneurs à succès ou directeurs de journaux, beaucoup voulaient une place pour assister au glas de l’insurrection de l’île. Avec l’arrivée d’un nouveau souverain pour le pays, les opportunités allaient être au rendez-vous pour les rapaces qui voulaient en tirer profit.

    En haut de l’estrade, la Vénérable Etoile Kyozu Vagner scrutait les marins, entouré du duc de Mekiel et de la vice-amirale Ziva. Ses yeux espiègles savouraient un tel évènement. C’était un grand jour pour le Gouvernement Mondial : une fois de plus, il avait su prouver au monde entier sa supériorité. C’était aussi un message clair envoyé aux pays membres de l’organisation : ceux qui voulaient se retourner contre lui ne pouvaient connaître que le sang et les flammes.

    Le commandant d’élite Mountbatten prenait part à la parade. De par ses récents états d’âme concernant la finalité du conflit, il avait un sentiment bizarre sur ce qu’il se passait. Ses bottes frappaient fermement les pavés de l’avenue. Il se tenait, stoïque, au-devant de ses hommes. Il ne voulait rien transparaître ; mais n’en pensait pas moins.

    Les marins marchaient à une allure calibrée. Leurs mouvements s’harmonisaient parfaitement ; ils ne formaient plus qu’un. L’individu n’était pas important : on honorait l’unité entière. Sur les côtés, la foule les regardait. Pour la plupart, il s’agissait des habitants de la ville. Peu d’entre eux les acclamaient. Ce manque d’applaudissement trahissait une hostilité latente de la part de la population. Les soldats marchaient en rythme, cadencés par les cuivres qui jouaient quelques musiques militaires.

    Devant la troupe, le porte-drapeau brandissait fièrement l’emblème de l’unité. Certaines s’étaient particulièrement distinguées au cours de la guerre : c’était précisément celles-là qui défilaient. Leurs faits d’armes avaient été récompensés par des décorations, visibles sur l’étendard régimentaire. L’heure était aux récompenses des combats durement menés, et difficilement gagnés. Tout cela, bien sûr, aux dépends des Vindexois et des révolutionnaires.

    Comme l’usage l’indiquait, les chefs de corps étaient les seules personnes habilitées à tourner la tête pour saluer les personnalités qui supervisaient le défilé. Lorsque vint le tour de Mount, c’est la gorge nouée qu’il dût saluer l’Etoile. Leurs yeux se croisèrent ; sur le visage de Vagner, un large sourire. Cela ne fit qu’énerver un peu plus le Fantôme, dont les traits se crispèrent face à un tel hypocrite. Sa main hésita quelques secondes avant de se lever, effectuant le traditionnel salut militaire.

    Lorsqu’il baissa sa main, il vit un changement d’attitude chez Kyozu. Son regard transpirait une condescendance malvenue. Agacé par l’arrogance du dignitaire, le commandant d’élite tourna la tête et continua sa route, suivant le chemin tracé par les bataillons qui le précédait.

    Vagner se pencha vers la vice-amirale, tout en fixant le Marijoan.

    - Mountbatten, c’est ça ?

    - Affirmatif. Une remarque à son sujet ?

    - Oui… J’aimerai savoir son affectation actuelle.

    - A la garnison Nord de la capitale.

    - Parfait…

    Il lâcha un rire sournois. Enfin, il avait trouvé ce qu’il cherchait : le dernier rouage de son plan.

    Lorsque les derniers militaires passèrent devant la tribune, la Vénérable Etoile décida qu’il était temps de faire une dernière annonce. Il se détacha de ses deux autres confrères et s’avança vers un micro. Son allocution, retransmise en direct grâce au réseau Den-Den du Gouvernement Mondial, allait marquer une nouvelle ère pour l’île.

    - Bien ! Nous pouvons chaleureusement applaudir nos vaillants soldats, qui se sont battus pour rétablir l’ordre et la prospérité sur ce magnifique pays. Nous devons penser au futur. Nous devons balayer les décombres et faire renaître la grandeur de Vindex. C’est pourquoi j’invite le duc Van Horn de Mekiel à prendre la parole devant vous.

    Vagner se retourna vers le noble en question, et lui laissa le micro. Ce dernier salua la foule, forcée de l’applaudir. Un malaise ambiant traînait dans les rangs des Vindexois… Toute cette mascarade sonnait terriblement faux.

    - Je vous salue, citoyens de Vindex. Comme l’a-t-il dit, nous devons nous engager dans une nouvelle ère. Une ère de développement, aussi bien économique que social. Néanmoins… pour cela, nous avons cruellement besoin d’une stabilité politique. L’insurrection, menée par un gouvernement voyou et une bande de révolutionnaires avides de pouvoir, a été le plus grand drame que notre nation ait connu. Mais ne vous s’y méprenez pas, c’est une chance pour nous, une opportunité qu’il faut saisir ! Notre pays peut enfin prospérer avec des bases saines, purgé de ses éléments séditieux. D’après le protocole, c’est à moi que revient le pouvoir royal à la suite de la mort du roi, mon neveu Malzahar Ier. C’est avec détermination que j’ai pris la succession de la couronne. Je ne vous décevrai pas.

    - Et puis, comme on dit…

    Le Roi est mort…

    Vive le roi !
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    Le feu crépitait sous leurs yeux. Vagner et Van Horn contemplaient la cheminée du palais royal. Seuls, dans une immense pièce ornée de bibliothèques miraculeusement épargnées, ils allaient devoir discuter affaire. Le duc de Mekiel n’allait en aucun cas être placé sur le trône sans suivi du Gouvernement Mondial. La Vénérable Etoile souhaitait mettre en place un gouvernement fantoche. Il espérait ne pas s’être trompé sur la personne du duc. Fixant les flammes, ils entamèrent la conversation.

    - Maintenant que la fête est terminée, il falloir penser aux relations que nous entretiendront, Van Horn.

    - Bien sûr, cela va de soi.

    - J'ose penser que vous ne referez pas les mêmes erreurs que votre prédécesseur.

    - Il faut dire qu'il n'a récolté que la mort et la désolation dans son pays…

    - C'est exact. J'attends donc que vous vous montriez pleinement coopératifs avec les autorités du Gouvernement Mondial.

    - Vindex ayant retrouvé son siège à l'Assemblée des Nations, il est normal que nous nous montrions coopératifs avec vous, en tant que pays membre de l'organisation.

    - Je crois que vous ne comprenez pas très bien… Votre pays est en ruine, votre prestige bafoué. La Marine et le Cipher Pol s'occuperont donc exclusivement de la sécurité du pays. Le temps que vous développiez une administration autosuffisante, des bureaucrates de Marijoa viendront pour assurer la stabilité et l'ordre dans Vindex.

    - Hum… Sauf votre respect, je ne pense pas que ce soit nécessaire…

    - Ça l'est, je vous l'assure.

    Estomaqué par l'attitude directrice de son interlocuteur, le nouveau roi se résigna. Il se rendit compte que son couronnement était soumis à des conditions secrètes dont il n'avait même pas été tenu au courant. Il était devenu une marionnette pour Vagner, et il ne pouvait le supporter. Cependant, il ne dit rien de plus. Les deux hommes ne parlèrent plus, et le seul bruit de la pièce était le bois qui se consumait. Vindex sonnait le glas de sa souveraineté.

    De nombreux navires étaient déjà en chemin, avec à leurs bords une troupe conséquente d'administrateurs venus mettre sous tutelle le pays. Les divisions de la Marine, nombreuses, pérennisaient leur présence, en construisant des garnisons solides. Des antennes des différents Cipher Pol s'établissaient dans l'ombre. Le port de la capitale Aldebaran recevait un flot continu de marchandise et d'hommes contribuant à rendre le pays encore plus dépendant de l'organisation.

    De nombreux traités avaient été signés entre Marijoa et Van Horn, sans que ce dernier n'ait eu réellement le choix. La justice, la sécurité, la diplomatie et les activités navales avaient été placées sous le monopole des divers organes du Gouvernement Mondial. Les locaux ne pouvaient que constater ce transfert progressif de leur compétence aux nouveaux arrivants. Cela fit naître à la fois une colère patriotique, mais aussi une résignation globale de la population. Vindex n'allait plus être indépendante pour de nombreuses années.

    Le roi était condamné à rester au palais royal, sous bonne garde. Il était surveillé en permanence. Cette tâche fut, par ailleurs, confiée au commandant d'élite Mountbatten. Van Horn ne pouvait pas sortir du palais, sous peine d'être immédiatement reconduit à l'intérieur. Officiellement, il s'agissait de le garder en sécurité, le pays n'étant pas encore stabilisé. Mais cette mascarade ne dupait personne : il était prisonnier là-bas, tandis que le Gouvernement Mondial administrait réellement Vindex.

    En quelques semaines seulement, le contrôle administratif de celui-ci fut quasiment total, sans que le roi légitime puisse y faire quelque chose.

    De retour à Marijoa, l'Etoile Vagner se dirigea sans tarder au Conseil des Cinq. Là, les autres Vénérables attendaient son rapport sur la situation à Vindex.

    - Messieurs, Vindex est à nous.

    - Avez-vous placé un gouverneur ?

    - Non… Ça aurait provoqué la colère de la population. J'ai organisé le couronnement d'un membre de la famille royale. Il dirige donc le pays.

    -  Est-il fiable ?

    - Fiable ? Je ne sais pas, mais je l'espère. Vindex est, de toute manière, dépossédée de ses droits régaliens. L'île a perdu une grande partie de sa souveraineté.

    - Cela nous permettra donc d'accroître notre emprise sur la quatrième voie… Excellent travail Vagner.

    - Mais s'il s'arrête de coopérer ?

    - Nous avons signé une série de traités, qui gravent la perte d'autonomie du pays.

    - Et s'il décide de les annuler ?

    - S'il émet de sérieux doutes, le Cipher Pol décidera de son élimination. Ne vous inquiétez pas, j'ai pris mes dispositions. Si les choses tournent mal, nous avons un bouc-émissaire tout trouvé…

    - Splendide, Vagner. Splendide.
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