Doux spectacle
I.
Douces retrouvailles.
La guerre s'était finie depuis un mois. La Marine occupait Vindex tout entier, aidant à la reconstruction partielle de l'ancien royaume. L'ombre du conflit planait sur le pays à travers les différents soulèvements de la population, et les répressions sanglantes qui s'en suivaient. Un étrange climat s'installait sur l'île, entre peur et haine. En attendant une solution politique, les marins administraient Vindex.I.
Douces retrouvailles.
Les différents secteurs étaient gérés par les divisions de la Marine qui avaient participées à la campagne. Les deux unités qui s'étaient chargées du blocus maritime assuraient la sécurité des différents ports ; tandis que deux nouvelles divisions de la régulière avaient été dépêchées pour renforcer le contrôle du pays. La quarante-huitième, elle, s'occupait de la capitale, Aldebaran, où les dégâts de l'invasion étaient les plus visibles et les plus récents. Mountbatten, confirmé dans ses nouvelles fonctions de commandant d'élite, s'occupait d'un quartier entier, avec sous ses ordres le bataillon Godwin, du nom de l'ancien occupant du poste, décédé lors des violents combats à Ypres.
Le petit quartier général qu'occupait le Fantôme était situé dans un grand immeuble, miraculeusement épargné par les bombardements. L'intérieur était certes abîmé, mais faisait l'affaire. Les anciens propriétaires ne s'étant pas encore manifestés, cela ne posait aucun problème. L'aristocratie vindexoise menait une vie mondaine et baignait dans le luxe ; ce qui s'était répercuté sur le mobilier et les décorations de l'hôtel particulier. Le cadre était plus qu'agréable ; néanmoins, Mount restait de marbre. Ses subordonnés ne savaient pas réellement quoi penser. La Marine avait gagné la guerre, il avait été promu et dirigeait trois cents hommes depuis un des plus beaux appartements de la capitale.
En réalité, il était perdu. Après avoir reçu un énième rapport de patrouille, il décida d'appeler l'une des rares personnes qui avaient encore de la valeur à ses yeux. Il donna l'ordre de ne pas le déranger jusqu'à ce qu'il sorte de la pièce, et prit le Den Den de son bureau. Il composa vainement le numéro, puis se posa confortablement sur son siège, las. Durant la numérotation, il contempla le plafond. Le chandelier de verre, qui illuminait autrefois l'endroit, avait été brisé. Les débris avaient été ramassés, mais il restait toujours là, comme cassé en deux. Il fut tiré hors de ses pensées par une voix à l'autre bout du fil.
- Allô ?
Il ne répondit pas tout de suite. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas entendu sa voix. Trop longtemps. Ça l'avait atteint au cœur, comme si tous les moments de tristesse qu'il avait vécu ces sept derniers mois convergeaient vers cet instant précis.
- Mère, c'est moi.
Il n'avait pas pu l'appeler au cours de la guerre. Il lui avait écrit quelques lettres ; cinq, tout au plus. Rares furent les réponses. Peut-être même que ses écrits n'avaient jamais atteints Marijoa, où résidait sa tendre mère. Matilda Mountbatten, de son vrai nom, fut également émue d'entendre la voix de son fils. Elle s'était faite du souci, mais avait confiance en lui. Elle aussi lui avait envoyé des lettres ; néanmoins, elles s'étaient échouées sur le trajet. Il faut dire qu'il était difficile d'acheminer le courrier dans les conditions qui furent celles du conflit.
Elle laissa s'échapper une larme, et d'une voix tremblante, répliqua.
- Alexander... Comment vas-tu ?
- Je ne sais pas vraiment... Et toi, ça va ? Et père, comment va-t-il ?
- Ça va. Nous étudions simplement... inquiets.
- Désolé de vous avoir inquiété... J'aurai dû donner plus de nouvelles, mais...
- Ne t'inquiète pas, on sait. On a discuté avec plusieurs officiers ; ils nous ont tous dits que c'était difficile pour vous d'envoyer des lettres... Mais bordel... Je n'ai pas arrêté de penser à toi. Tu sais, même si la presse officielle ne parlait que de victoires, on connaissait la vérité des chiffres.
- Ouais... C'était vraiment... l'enfer. Tu ne peux pas savoir à quel point c'était dur... Certaines images sont encore gravées dans ma tête. Elles restent là, pendant quelques temps, avant de repartir, pour revenir plus tard.
Sa mère ne répondit pas. Elle voulait se montrer compréhensive envers son fils ; mais le poids des horreurs qu'il avait vécu était trop lourd pour qu'elle ne change quoi que ce soit. Il avait besoin de parler ; de se délivrer. Ses paroles suivantes venaient avec une difficulté grandissante. Sa gorge se nouait de plus en plus
- ... Maman...
La voix du commandant d'élite faiblit d'un coup.
- ...Louise...
De longues secondes passèrent. Il ravala sa salive et empêcha ses larmes de tomber, pour la première fois depuis longtemps.
- ...est morte.
- ...
Il lâcha un soupir, rempli d'émotion. Il leva les yeux en l'air, encore une fois, comme pour fuir une réalité qui commençait à le ronger. Sa voix tremblait, entrecoupée de soupirs.
- ...Ratzkill... aussi. Tous tués. Je n'ai rien pu faire. Rien.
Matilda sentait que son fils devait parler, se confier à quelqu'un. Elle sentait tout le poids des évènements sur les épaules de son fils. Elle sentait la souffrance qui s'était installé dans son cœur noirci.
- Louise... On s'était promis... de ne jamais se séparer. De ne jamais se laisser tomber... J'ai toujours ce pendentif... A... A l'occasion de ma demande en fiançailles, je lui avais offert la partie droite d'un cœur, tu te rappelles ? J'ai toujours la partie gauche... A chaque fois que je le vois, ça me fait penser à elle. A chaque fois, c'est comme si j'étais vide à l'intérieur. Comme si une partie de moi s'était envolée avec elle.
- ...Je suis désolée... Ne te sens pas responsable. Fais ton deuil ; nous serrons là pour t'aider à le faire.
- ...Oh maman... Ratzkill...
Sa voix se fit plus menaçante, trahissant une rage intérieure qu'il essayait de cacher à tous. Cependant, il n'y arrivait plus. Il avait accumulé tant de haine, et ne l'avait toujours pas expulsée.
- Il est mort sous mes yeux. Sabré par un révo à la con. Sabré par un moins que rien. Je... je n'ai rien fait ! J'ai juste vu la chose... Il est mort devant moi. J'ai... toujours son regard ancré en moi, un regard qui me culpabilise. Tu ne le connaissais que très peu, mais sache... que... c'était un type formidable.
- Je n'en doute pas.
- D'ailleurs... Je ne sais pas si tu as reçu ma lettre disant que j'allais me fiancer avec Louise.
- Je l'ai toujours.
- On avait tant de rêves... Balayés. Elle a été tuée sous une pluie d'obus, à Mekiel. Tu sais, j'ai dirigé la construction de certains cimetières militaires dans la région. J'ai regardé les listes de cadavres, jusqu'à remonter au nom de Louise. Tu sais ce qu'ils ont marqué ?
- Non...
- "Disparue". Alors que j'ai vu son cadavre au front. Je l'ai vu, et ils n'ont même pas été foutus de le garder, pour qu'on l'enterre dignement. Tu te rends comptes de ça ? Elle n'a même pas droit à un soupçon de dignité.
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise...
- Je sais bien, tu n'y peux rien... On n'y pourra rien. Dis maman... Ne penses-tu pas que tout ça, c'est n'importe quoi ?
- Que ceux-tu dire par là ?
- Je ne sais pas... Qu'on pourrait vivre autrement, sans toutes ces souffrances, sans toutes ces guerres...
- On pourrait. Mais c'est impossible à cause des pirates, des révolutionnaires et de tous les hors-la-loi qui volent, pillent et ravagent les mers et océans de ce monde.
Le marin lâcha un petit rire nerveux, comme pour montrer son agacement.
- C'est bien maman, tu as bien appris la doctrine du Gouvernement Mondial. Est-ce que tu ne penses pas, que c'est justement lui qui cause toutes ces souffrances ?
- Je ne te suis pas vraiment là... Ne laisse pas ta rage t'envahir. Tu as connu un grand traumatisme ; tu as besoin de repos.
Le débit de parole de Mountbatten augmenta, laissant entrevoir une frustration quant à l'opposition de sa mère.
- J'ai eu plusieurs mois pour réfléchir à la question, j'ai vu ces souffrances. J'en ai souffert aussi. Louise et Ratzkill sont morts pour rien ! Et ça, je ne peux pas le tolérer. Ils sont morts pour satisfaire les ambitions territoriales du Gouvernement Mondial, et même plus ; des Dragons Célestes et des Vénérables Étoiles.
- Écoute Alexander, nous sommes là parce que le monde a besoin d'ordre et de sécurité. Je ne te reconnais pas mon fils...
- Parce qu'avant, j'étais bercé dans un idéal. Et un idéal, ce n'est pas la réalité. Ce monde est violent, maman. Et cette organisation ne fait qu'y contribuer.
- Je pense que tu as tort, et que tu es submergé par tes émotions. Tu dois d'abord faire le deuil, avant de vouloir changer le monde.
- Mon deuil, j'ai eu deux mois pour le faire. J'ai été entouré de personnes en deuil ; aidé aussi, par des personnes spécialisées. Ça fait plusieurs mois que je vois les miens tomber les uns après les autres. J'ai eu le temps pour réfléchir sur le sens de la vie et de la mort, d'accord ? J'ai l'impression d'être plus vrai que je ne l'ai jamais été. Écoute, le problème n'est pas l'objectif du Gouvernement Mondial, car il est respectable, et j'y adhère malgré tout. Mais ce sont ses moyens qui sont mauvais.
- Ne dit-on pas, la fin justifie les moyens ? Je croyais que tu le pensais également. C'est du moins, l'impression que tu donnais. Je ne te reconnais vraiment plus, Alexander. Tu as perdu la raison. Prends des vacances ; tu n'as quasiment jamais pris de congés depuis ton entrée dans la Marine.
- Ce n'est pas le sujet maman, tu le sais très bien... J'espère un jour vous faire changer d'avis...
TOC TOC TOC
- Attend deux minutes, on me dérange.
Posant le Den Den sur la table, le Marijoan s'avança, énervé d'être dérangé, contrairement à ses directives. Il ouvrit la porte et vit un matelot essoufflé.
- Qu'est-ce qu'il y a ?! On ne vous a pas dit de ne pas me déranger ?!
Il se mit au garde à vous, avant de reprendre son souffle.
- Un soulèvement... Encore un... Vers les faubourgs nord.
- Merde. J'arrive.
Il revint à son siège, après avoir fermé la porte, et reprit la conversation.
- Écoute maman, j'ai fort à faire ici. Sache que je ne suis pas rempli de haine comme tu le penses, mais que j'ai beaucoup réfléchi, et mon avis est réaliste.
- Si tu veux changer le Gouvernement Mondial, tu peux très bien le faire de l'intérieur...
- C'est bien mon intention, ne t'inquiètes pas. Je suis peut-être perdu... mais je vous aime. J'espère pouvoir vous voir le plus vite possible.
Dernière édition par Mountbatten le Lun 25 Fév 2019 - 14:14, édité 2 fois