Si jamais vous vous étiez déjà posé la question : est-ce que les cyborgs transpirent ? Eh bien, en règle générale, Anna vous aurait gentiment répondu que non, les cyborgs ne suent pas. Mais dans un certain cas de figure la chose semblait possible. À Elysia en tout cas, tout semblait possible, absolument tout, même de voir des goûtes de sueur perler sur la peau glabre de la directrice.
Apparemment l'humidité était à blâmer, mais elle n'en était pas si sûre. Des plaques rouges sur ses bras et d'étranges sensations urticantes lui rappelaient les douleurs emblématiques des coups de soleil ; au moins pouvait-elle s'assurer plus chanceuse que la recrue du CP5 et son visage recouvert d'une couche si épaisse de crème solaire qu'elle avait dû creuser des trous pour les yeux.
« - Vous voyez, je vous avais prévenue : toujours avoir son tube de crème solaire sur soi.
- Huhu. Jones, rafraichissez-moi la mémoire : pourquoi sommes-nous ici, déjà ? »
Récemment, elle avait participé à des missions difficiles, incroyablement dangereuses, si terribles qu'elle avait failli y perdre la vie plus d'une fois. Plus d'une fois elle avait du s'aventurer chez l'ennemi et jongler avec le risque. Mais jamais, jamais ne s'était-elle trouvée dans une situation aussi étouffante, irritante et inconfortable. Le cortège n'avait même pas encore atteint la lisière de la forêt qui les surplombait et il semblait déjà à l'albinos que des insectes grouillaient sous ses vêtements, en quête d'ombre ou d'humidité.
Cette fantastique épopée avait commencé deux jours auparavant. Après deux semaines de traversée depuis Marie-Joie, les trois navires du G-5 réquisitionnés pour l'opération atteignaient l'archipel céleste et se préparaient à accoster la première île par ballon pour y décharger cargaisons et voyageurs. Au total, c'était près d'une centaine de personnes qui participaient à l'expédition, tuniques bleues et civils confondus. Et de tous les agents disponibles au sein des dix pôles, c'était Anna qui avait été choisie pour superviser les recherches. C'est à dire qu'on l'avait volontairement arrachée à sa douillette thalasso sur Tortuga pour l'envoyer ici, dans le coin le plus paumé du Nouveau Monde, avec comme principale mission de retrouver une délégation d'agents du CP2 disparus dans les environs quelques mois auparavant.
Depuis lors, le sort s'était acharné. D'abord, on lui avait confié le commandement de plusieurs dizaines de gorilles du G-5 qui ne possédaient la lumière qu'à un seul étage : celui qui éclairait la vaste pièce de leur lubricité. Ensuite, du CP9 elle n'avait pu réquisitionner que l'agent Jones ; les autres étaient en mission ou bien faisaient fi de ses ordres. La directrice avait donc été contrainte de demander à l'un de ses homologues des forces vives pour l'accompagner et celui-ci lui avait généreusement confié une dizaine de larbins et un agent tout juste sorti d'école. Soit.
Mais comme si cela ne suffisait pas, dès le premier pas posé sur l'archipel, une vague de chaleur moite avait inondé le convoi et ralenti le mouvement. Il leur avait alors fallu plusieurs heures pour gagner le campement de la précédente expédition : désert, comme Anna pouvait s'y attendre.
Un an auparavant, le CP2 s'était installé dans la région pour mener des expéditions archéologiques. Le Gouvernement Mondial avait alors déjà eu vent de disparitions ayant eu lieu au cours des précédents siècles, mais il s'agissait pour la plupart de cas d'explorateurs isolés. Jamais personne ne s'était donc attendu à ce qu'une vingtaine d'agents et de civils s'évanouissent mystérieusement dans la nature du jour au lendemain. Mais le plus étrange restait à découvrir.
Lorsque l'expédition d'Anna pénétra dans le camp, un vulgaire conglomérat de tentes, de feux de camp et de poêles à vrai dire, elle ne le trouva pas saccagé par les bêtes sauvages ou victime potentielle d'une soudaine agitation qui aurait pu amener les agents à s'entretuer, non. À vrai dire, même si le temps avait fait son ouvrage et si les intempéries avaient renversé quelques objets et déraciné un pavillon, tout semblait dans un état correct. Sur un poêle se trouvait même, encore, une carafe pleine de café que la moisissure avait investi depuis le temps.
Tout cela était étrange. Aussi Anna le nota-t-elle dans son carnet de bord, qui plus tard lui servirait de rapport.
Il fallut donc un jour entier à l'ensemble de l'expédition pour faire le ménage dans le campement abandonné et l'investir avant que les recherches ne puissent être débutées. Rapidement, Anna fut convaincue de l'intérêt de laisser une quarantaine de soldats en faction à l'avant-poste : déjà car déplacer cent-dix personnes n'était pas une mince affaire, mais aussi car les hommes du G-5 ne lui inspiraient tout simplement pas confiance. À plusieurs reprises, elle avait surpris certains énergumènes lorgner avec avidité les autres femmes de l'expédition, et s'ils faisaient montre d'un peu plus de retenue vis à vis de la directrice, c'était uniquement car elle représentait l'Autorité ici-bas.
Après une première nuit, aussi courte que terrible, passée à côtoyer des insectes de taille exagérée et suffoquer sous la chaleur des tentes, le convoi put enfin se préparer au départ en direction de l'île céleste qui les surplombait. Au petit matin, les porteurs se consacrèrent donc à leur travail, à savoir atteler l'âne au chariot qui contenait les denrées et se départager les vivres. De leur côté, les agents du Cipher Pol étudiaient les cartes laissées par leurs prédécesseurs ainsi que les divers artefacts qui avaient pu être récupérés des précédentes expéditions. Parmi les nombreux carnets de notes figurait même celui d'une antique exploratrice, une certaine Janet Dawson ayant vécu au onzième siècle.
Pour chaque journal, Anna s'était penchée sur les dernières entrées et avait remarqué que celles-ci mentionnaient généralement la présence d'un danger inconnu et invisible balançant avec l'excitation des grandes découvertes. Suivant cette piste-là, elle ne tarda pas à découvrir que de nombreuses mentions renvoyaient à un endroit supposément fabuleux nommé « l'Arche Perdue ». Toutes les descriptions ne corroboraient pas toujours, mais certains étaient plus détaillées que d'autres et, dans la plupart des cas, les témoignages étaient uniques et flous ; un mystère semblait donc planer autour de ce lieu.
Alors que le soleil annonçait midi, le signal du départ arracha la directrice à sa passionnante lecture, qu'elle remit évidemment à plus tard, l'obligeant à rejoindre en vitesse la tête du cortège, aux côtés des autres agents. Là, elle s'attarda pour la première fois sur le visage blanchi par la crème solaire de sa nouvelle recrue et décida secrètement de ne jamais lui adresser la parole.
Durant toute l'après-midi, la longue colonne d'aventuriers serpenta entre ce qui semblait être, à première vue, d'imposantes stries rocheuses poignant hors du sol, mais qui n'était en réalité que les imposantes racines d'un arbre gigantesque perdu dans l'épaisseur de la forêt. Malheureusement, la nécessité de conserver le regard sur le sol ne permit pas à l'albinos de se documenter, sinon elle aurait su qu'il s'agissait simplement de la base du haricot géant planté par le premier explorateur de l'île, mille ans auparavant. C'était grâce à cette plante et à ses nombreuses ramifications que le passage d'une île à une autre était possible.
Finalement, alors que l'orée d'une forêt tropicale se profilait à l'horizon, le charriot situé en queue de file buta contre une racine pernicieuse et se renversa, condamnant dans sa chute le destin du pauvre âne et d'un porteur malchanceux. Une bonne partie des provisions durent ainsi être abandonnées à la merci des bêtes sauvages, au même titre que les corps des deux victimes de l'accident, car déjà le jour tombait et Anna s'avouait désireuse d'atteindre la lisière de la jungle avant la nuit.
Alors que le soleil disparaissait à l'horizon, un épais tapis de mousse, de fougères et d'herbes hautes se substitua aux racines, signe que la forêt n'était plus loin. Et effectivement, il suffisait désormais de lever le regard pour voir les hautes cimes des arbres millénaires qui les attendaient, à quelques centaines de mètres de là. Arrivée un peu plus loin, Anna constata avec surprise ses coups de soleil et soupira lorsque Miss d'Isigny lui suggéra de suivre ses conseils en matière de dermatologie ; pour sa défense, elle ne se doutait évidemment pas que l'épiderme de la directrice était artificiel.
Cette brève conversation permit toutefois à la directrice de marquer une halte, le temps de constater l'état de ses compagnons de voyage. Outre les agents qui pouvaient supporter le mal et la fatigue pratiquement sans broncher, beaucoup de porteurs étaient proche de la déshydratation et l'un d'entre eux semblait atteint d'un mal inconnu, vraisemblablement dû à une piqure d'insecte bénine. Ainsi, même s'ils n'avaient pas atteint l'ombre des arbres, la directrice décida qu'il était de bon ton de s'arrêter là pour aujourd'hui et monter le camp pour la nuit.
Une heure plus tard, alors que la plus-si-jeune femme était occupée à faire son premier compte-rendu, Karen se présenta à l'entrée de sa tente en urgence. Un nouveau danger venait apparemment d'emporter un autre porteur et le médecin de l'expédition, un certain David Bauer, issu de la Brigade Scientifique, la sommait de venir le rencontrer. À son arrivée devant l’hôpital de campagne, la directrice trouva l'Agente d'Isigny déjà sur place, mais ne tint pas compte de sa présence. Toutes les trois entrèrent donc dans la tente pour rejoindre le docteur devant le corps sans vie de son unique patient, allongé et en partie mutilé au-dessus du genou.
Le Dr. Bauer était, selon toute vraisemblance, un homme d'âge mûr, avec un visage marqué par de profondes cernes et une courte barbe blanche. Avec la chaleur et la journée de marche derrière lui, le praticien semblait rongé par la fatigue, constat qui fut renforcé lorsqu'il se passa lentement la main dans ses cheveux poivre-et-sel avant de s'éponger le visage et de se redresser de son siège dépliable avec grande peine. C'est malgré tout avec un grand sourire qu'il accueillit les trois invitées avant de reporter son attention sur la chef d'expédition.
Désormais, il ne souriait plus.
« - Miss Sweetsong, j'avoue ne pas comprendre. Cet homme allait très bien il y a encore un quart d'heure : il était venu pour que j'inspecte sa plaie, vraisemblablement due à une piqûre d'insecte. Puis, assez soudainement, sa jambe a commencé à se gangrener. J'étais donc parti pour la lui couper quand il a été saisi de violentes convulsions qui l'ont mené vers un arrêt cardiaque, il y a tout juste cinq minutes. Dans ces conditions, je n'ai pas pu établir de diagnostic précis, mais j'aurais tendance à mettre cela sur le compte d'un venin très puissant ou d'une soudaine septicémie. Je vous avouerais que je n'ai jamais vu cela de toute ma carrière...
- Je suis persuadée que vous avez fait tout ce que vous pouviez pour sauver cet homme, Dr. Bauer, constata son interlocutrice, dans le but unique de rassurer le pauvre homme. Si ce genre de maladies pouvaient frapper dès le premier jour, il n'était probablement pas au bout de ses peines. Il est regrettable que nous ayons à subir, aujourd'hui encore, une nouvelle perte. Toutefois, je serais intéressée par un rapport d'autopsie. Je veux savoir à quoi nous avons à faire et s'il est possible de nous en protéger. Peut-être est-ce ce mal qui a emporté les membres de la précédente expédition ? »
En disant cela, le regard d'Anna se porta instinctivement sur le corps du défunt. Il s'agissait d'un homme à l'apparence commune, probablement originaire d'une île tropicale au vu de sa peau naturellement bronzée. Celle-ci commençait d'ailleurs déjà à tirer sur le vert pâle et n'importe qui pouvait en déduire qu'il s'agissait d'un empoisonnement ou d'une envenimation. Toutefois, Annabella doutait fortement de la responsabilité d'un tel mal dans la disparition spontanée des agents du CP2, cela semblait trop anecdotique.
Ne voyant rien d'autre à ajouter concernant le tragique évènement, l'agente remercia finalement le médecin pour ses services et lui assura sa disponibilité, dans l'hypothèse d'une nouvelle urgence. Alors, comme les trois agentes se dirigeaient donc vers la sortie, la directrice se décida à prendre en considération leur avis.
Elle avait beau être aux commandes de l'expédition, elle savait qu'elle ne pouvait se fier à sa seule perception. Et il y avait tellement de documents à lire, à éplucher, qu'elle devait se résoudre à solliciter l'aide de ses subalternes pour prévenir de potentiels dangers mortels. Peut-être bien que le mal qui avait emporté ce bougre avait déjà été détaillé dans l'un des carnets, par exemple.
Ainsi, alors que Karen et la dénommée Caramélie se préparaient à prendre congé de Cœur d'Acier, au sortir de la grande tente, celle-ci les stoppa net dans leur élan :
« - Malheureusement mesdemoiselles j'ai encore du travail pour vous, avoua-t-elle dans un demi sourire, partiellement sardonique. J'espère que le sommeil n'est pas une chose qui vous tient à cœur, car vous n'en profiterez pas beaucoup cette nuit. Oui, quelque chose à ajouter Miss d'Isigny ? »
La directrice le sentait depuis tout à l'heure et elle avait refusé de donner l'opportunité à la jeune femme de s'adresser à elle une fois de plus. Mais désormais elle devait s'y résoudre, car les prochains jours, elles devraient les passer à travailler ensemble, voire même pire, à vivre ensemble. Soumise à cette pensée, l'albinos se plaça tout de même la main en visière, au niveau du front, avant même que la jeune zélote n'ait commencé à parler.
Misère, dans quoi s'était-elle encore embarquée ?
Apparemment l'humidité était à blâmer, mais elle n'en était pas si sûre. Des plaques rouges sur ses bras et d'étranges sensations urticantes lui rappelaient les douleurs emblématiques des coups de soleil ; au moins pouvait-elle s'assurer plus chanceuse que la recrue du CP5 et son visage recouvert d'une couche si épaisse de crème solaire qu'elle avait dû creuser des trous pour les yeux.
« - Vous voyez, je vous avais prévenue : toujours avoir son tube de crème solaire sur soi.
- Huhu. Jones, rafraichissez-moi la mémoire : pourquoi sommes-nous ici, déjà ? »
Récemment, elle avait participé à des missions difficiles, incroyablement dangereuses, si terribles qu'elle avait failli y perdre la vie plus d'une fois. Plus d'une fois elle avait du s'aventurer chez l'ennemi et jongler avec le risque. Mais jamais, jamais ne s'était-elle trouvée dans une situation aussi étouffante, irritante et inconfortable. Le cortège n'avait même pas encore atteint la lisière de la forêt qui les surplombait et il semblait déjà à l'albinos que des insectes grouillaient sous ses vêtements, en quête d'ombre ou d'humidité.
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Cette fantastique épopée avait commencé deux jours auparavant. Après deux semaines de traversée depuis Marie-Joie, les trois navires du G-5 réquisitionnés pour l'opération atteignaient l'archipel céleste et se préparaient à accoster la première île par ballon pour y décharger cargaisons et voyageurs. Au total, c'était près d'une centaine de personnes qui participaient à l'expédition, tuniques bleues et civils confondus. Et de tous les agents disponibles au sein des dix pôles, c'était Anna qui avait été choisie pour superviser les recherches. C'est à dire qu'on l'avait volontairement arrachée à sa douillette thalasso sur Tortuga pour l'envoyer ici, dans le coin le plus paumé du Nouveau Monde, avec comme principale mission de retrouver une délégation d'agents du CP2 disparus dans les environs quelques mois auparavant.
Depuis lors, le sort s'était acharné. D'abord, on lui avait confié le commandement de plusieurs dizaines de gorilles du G-5 qui ne possédaient la lumière qu'à un seul étage : celui qui éclairait la vaste pièce de leur lubricité. Ensuite, du CP9 elle n'avait pu réquisitionner que l'agent Jones ; les autres étaient en mission ou bien faisaient fi de ses ordres. La directrice avait donc été contrainte de demander à l'un de ses homologues des forces vives pour l'accompagner et celui-ci lui avait généreusement confié une dizaine de larbins et un agent tout juste sorti d'école. Soit.
Mais comme si cela ne suffisait pas, dès le premier pas posé sur l'archipel, une vague de chaleur moite avait inondé le convoi et ralenti le mouvement. Il leur avait alors fallu plusieurs heures pour gagner le campement de la précédente expédition : désert, comme Anna pouvait s'y attendre.
Un an auparavant, le CP2 s'était installé dans la région pour mener des expéditions archéologiques. Le Gouvernement Mondial avait alors déjà eu vent de disparitions ayant eu lieu au cours des précédents siècles, mais il s'agissait pour la plupart de cas d'explorateurs isolés. Jamais personne ne s'était donc attendu à ce qu'une vingtaine d'agents et de civils s'évanouissent mystérieusement dans la nature du jour au lendemain. Mais le plus étrange restait à découvrir.
Lorsque l'expédition d'Anna pénétra dans le camp, un vulgaire conglomérat de tentes, de feux de camp et de poêles à vrai dire, elle ne le trouva pas saccagé par les bêtes sauvages ou victime potentielle d'une soudaine agitation qui aurait pu amener les agents à s'entretuer, non. À vrai dire, même si le temps avait fait son ouvrage et si les intempéries avaient renversé quelques objets et déraciné un pavillon, tout semblait dans un état correct. Sur un poêle se trouvait même, encore, une carafe pleine de café que la moisissure avait investi depuis le temps.
Tout cela était étrange. Aussi Anna le nota-t-elle dans son carnet de bord, qui plus tard lui servirait de rapport.
Il fallut donc un jour entier à l'ensemble de l'expédition pour faire le ménage dans le campement abandonné et l'investir avant que les recherches ne puissent être débutées. Rapidement, Anna fut convaincue de l'intérêt de laisser une quarantaine de soldats en faction à l'avant-poste : déjà car déplacer cent-dix personnes n'était pas une mince affaire, mais aussi car les hommes du G-5 ne lui inspiraient tout simplement pas confiance. À plusieurs reprises, elle avait surpris certains énergumènes lorgner avec avidité les autres femmes de l'expédition, et s'ils faisaient montre d'un peu plus de retenue vis à vis de la directrice, c'était uniquement car elle représentait l'Autorité ici-bas.
Après une première nuit, aussi courte que terrible, passée à côtoyer des insectes de taille exagérée et suffoquer sous la chaleur des tentes, le convoi put enfin se préparer au départ en direction de l'île céleste qui les surplombait. Au petit matin, les porteurs se consacrèrent donc à leur travail, à savoir atteler l'âne au chariot qui contenait les denrées et se départager les vivres. De leur côté, les agents du Cipher Pol étudiaient les cartes laissées par leurs prédécesseurs ainsi que les divers artefacts qui avaient pu être récupérés des précédentes expéditions. Parmi les nombreux carnets de notes figurait même celui d'une antique exploratrice, une certaine Janet Dawson ayant vécu au onzième siècle.
Pour chaque journal, Anna s'était penchée sur les dernières entrées et avait remarqué que celles-ci mentionnaient généralement la présence d'un danger inconnu et invisible balançant avec l'excitation des grandes découvertes. Suivant cette piste-là, elle ne tarda pas à découvrir que de nombreuses mentions renvoyaient à un endroit supposément fabuleux nommé « l'Arche Perdue ». Toutes les descriptions ne corroboraient pas toujours, mais certains étaient plus détaillées que d'autres et, dans la plupart des cas, les témoignages étaient uniques et flous ; un mystère semblait donc planer autour de ce lieu.
Alors que le soleil annonçait midi, le signal du départ arracha la directrice à sa passionnante lecture, qu'elle remit évidemment à plus tard, l'obligeant à rejoindre en vitesse la tête du cortège, aux côtés des autres agents. Là, elle s'attarda pour la première fois sur le visage blanchi par la crème solaire de sa nouvelle recrue et décida secrètement de ne jamais lui adresser la parole.
Durant toute l'après-midi, la longue colonne d'aventuriers serpenta entre ce qui semblait être, à première vue, d'imposantes stries rocheuses poignant hors du sol, mais qui n'était en réalité que les imposantes racines d'un arbre gigantesque perdu dans l'épaisseur de la forêt. Malheureusement, la nécessité de conserver le regard sur le sol ne permit pas à l'albinos de se documenter, sinon elle aurait su qu'il s'agissait simplement de la base du haricot géant planté par le premier explorateur de l'île, mille ans auparavant. C'était grâce à cette plante et à ses nombreuses ramifications que le passage d'une île à une autre était possible.
Finalement, alors que l'orée d'une forêt tropicale se profilait à l'horizon, le charriot situé en queue de file buta contre une racine pernicieuse et se renversa, condamnant dans sa chute le destin du pauvre âne et d'un porteur malchanceux. Une bonne partie des provisions durent ainsi être abandonnées à la merci des bêtes sauvages, au même titre que les corps des deux victimes de l'accident, car déjà le jour tombait et Anna s'avouait désireuse d'atteindre la lisière de la jungle avant la nuit.
Alors que le soleil disparaissait à l'horizon, un épais tapis de mousse, de fougères et d'herbes hautes se substitua aux racines, signe que la forêt n'était plus loin. Et effectivement, il suffisait désormais de lever le regard pour voir les hautes cimes des arbres millénaires qui les attendaient, à quelques centaines de mètres de là. Arrivée un peu plus loin, Anna constata avec surprise ses coups de soleil et soupira lorsque Miss d'Isigny lui suggéra de suivre ses conseils en matière de dermatologie ; pour sa défense, elle ne se doutait évidemment pas que l'épiderme de la directrice était artificiel.
Cette brève conversation permit toutefois à la directrice de marquer une halte, le temps de constater l'état de ses compagnons de voyage. Outre les agents qui pouvaient supporter le mal et la fatigue pratiquement sans broncher, beaucoup de porteurs étaient proche de la déshydratation et l'un d'entre eux semblait atteint d'un mal inconnu, vraisemblablement dû à une piqure d'insecte bénine. Ainsi, même s'ils n'avaient pas atteint l'ombre des arbres, la directrice décida qu'il était de bon ton de s'arrêter là pour aujourd'hui et monter le camp pour la nuit.
Une heure plus tard, alors que la plus-si-jeune femme était occupée à faire son premier compte-rendu, Karen se présenta à l'entrée de sa tente en urgence. Un nouveau danger venait apparemment d'emporter un autre porteur et le médecin de l'expédition, un certain David Bauer, issu de la Brigade Scientifique, la sommait de venir le rencontrer. À son arrivée devant l’hôpital de campagne, la directrice trouva l'Agente d'Isigny déjà sur place, mais ne tint pas compte de sa présence. Toutes les trois entrèrent donc dans la tente pour rejoindre le docteur devant le corps sans vie de son unique patient, allongé et en partie mutilé au-dessus du genou.
Le Dr. Bauer était, selon toute vraisemblance, un homme d'âge mûr, avec un visage marqué par de profondes cernes et une courte barbe blanche. Avec la chaleur et la journée de marche derrière lui, le praticien semblait rongé par la fatigue, constat qui fut renforcé lorsqu'il se passa lentement la main dans ses cheveux poivre-et-sel avant de s'éponger le visage et de se redresser de son siège dépliable avec grande peine. C'est malgré tout avec un grand sourire qu'il accueillit les trois invitées avant de reporter son attention sur la chef d'expédition.
Désormais, il ne souriait plus.
« - Miss Sweetsong, j'avoue ne pas comprendre. Cet homme allait très bien il y a encore un quart d'heure : il était venu pour que j'inspecte sa plaie, vraisemblablement due à une piqûre d'insecte. Puis, assez soudainement, sa jambe a commencé à se gangrener. J'étais donc parti pour la lui couper quand il a été saisi de violentes convulsions qui l'ont mené vers un arrêt cardiaque, il y a tout juste cinq minutes. Dans ces conditions, je n'ai pas pu établir de diagnostic précis, mais j'aurais tendance à mettre cela sur le compte d'un venin très puissant ou d'une soudaine septicémie. Je vous avouerais que je n'ai jamais vu cela de toute ma carrière...
- Je suis persuadée que vous avez fait tout ce que vous pouviez pour sauver cet homme, Dr. Bauer, constata son interlocutrice, dans le but unique de rassurer le pauvre homme. Si ce genre de maladies pouvaient frapper dès le premier jour, il n'était probablement pas au bout de ses peines. Il est regrettable que nous ayons à subir, aujourd'hui encore, une nouvelle perte. Toutefois, je serais intéressée par un rapport d'autopsie. Je veux savoir à quoi nous avons à faire et s'il est possible de nous en protéger. Peut-être est-ce ce mal qui a emporté les membres de la précédente expédition ? »
En disant cela, le regard d'Anna se porta instinctivement sur le corps du défunt. Il s'agissait d'un homme à l'apparence commune, probablement originaire d'une île tropicale au vu de sa peau naturellement bronzée. Celle-ci commençait d'ailleurs déjà à tirer sur le vert pâle et n'importe qui pouvait en déduire qu'il s'agissait d'un empoisonnement ou d'une envenimation. Toutefois, Annabella doutait fortement de la responsabilité d'un tel mal dans la disparition spontanée des agents du CP2, cela semblait trop anecdotique.
Ne voyant rien d'autre à ajouter concernant le tragique évènement, l'agente remercia finalement le médecin pour ses services et lui assura sa disponibilité, dans l'hypothèse d'une nouvelle urgence. Alors, comme les trois agentes se dirigeaient donc vers la sortie, la directrice se décida à prendre en considération leur avis.
Elle avait beau être aux commandes de l'expédition, elle savait qu'elle ne pouvait se fier à sa seule perception. Et il y avait tellement de documents à lire, à éplucher, qu'elle devait se résoudre à solliciter l'aide de ses subalternes pour prévenir de potentiels dangers mortels. Peut-être bien que le mal qui avait emporté ce bougre avait déjà été détaillé dans l'un des carnets, par exemple.
Ainsi, alors que Karen et la dénommée Caramélie se préparaient à prendre congé de Cœur d'Acier, au sortir de la grande tente, celle-ci les stoppa net dans leur élan :
« - Malheureusement mesdemoiselles j'ai encore du travail pour vous, avoua-t-elle dans un demi sourire, partiellement sardonique. J'espère que le sommeil n'est pas une chose qui vous tient à cœur, car vous n'en profiterez pas beaucoup cette nuit. Oui, quelque chose à ajouter Miss d'Isigny ? »
La directrice le sentait depuis tout à l'heure et elle avait refusé de donner l'opportunité à la jeune femme de s'adresser à elle une fois de plus. Mais désormais elle devait s'y résoudre, car les prochains jours, elles devraient les passer à travailler ensemble, voire même pire, à vivre ensemble. Soumise à cette pensée, l'albinos se plaça tout de même la main en visière, au niveau du front, avant même que la jeune zélote n'ait commencé à parler.
Misère, dans quoi s'était-elle encore embarquée ?
Dernière édition par Annabella Sweetsong le Jeu 21 Fév 2019 - 19:03, édité 2 fois