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Tous à la file indienne, indienne, indienne...

Si jamais vous vous étiez déjà posé la question : est-ce que les cyborgs transpirent ? Eh bien, en règle générale, Anna vous aurait gentiment répondu que non, les cyborgs ne suent pas. Mais dans un certain cas de figure la chose semblait possible. À Elysia en tout cas, tout semblait possible, absolument tout, même de voir des goûtes de sueur perler sur la peau glabre de la directrice.

Apparemment l'humidité était à blâmer, mais elle n'en était pas si sûre. Des plaques rouges sur ses bras et d'étranges sensations urticantes lui rappelaient les douleurs emblématiques des coups de soleil ; au moins pouvait-elle s'assurer plus chanceuse que la recrue du CP5 et son visage recouvert d'une couche si épaisse de crème solaire qu'elle avait dû creuser des trous pour les yeux.

« - Vous voyez, je vous avais prévenue : toujours avoir son tube de crème solaire sur soi.

- Huhu. Jones, rafraichissez-moi la mémoire : pourquoi sommes-nous ici, déjà ? »

Récemment, elle avait participé à des missions difficiles, incroyablement dangereuses, si terribles qu'elle avait failli y perdre la vie plus d'une fois. Plus d'une fois elle avait du s'aventurer chez l'ennemi et jongler avec le risque. Mais jamais, jamais ne s'était-elle trouvée dans une situation aussi étouffante, irritante et inconfortable. Le cortège n'avait même pas encore atteint la lisière de la forêt qui les surplombait et il semblait déjà à l'albinos que des insectes grouillaient sous ses vêtements, en quête d'ombre ou d'humidité.

***

Cette fantastique épopée avait commencé deux jours auparavant. Après deux semaines de traversée depuis Marie-Joie, les trois navires du G-5 réquisitionnés pour l'opération atteignaient l'archipel céleste et se préparaient à accoster la première île par ballon pour y décharger cargaisons et voyageurs. Au total, c'était près d'une centaine de personnes qui participaient à l'expédition, tuniques bleues et civils confondus. Et de tous les agents disponibles au sein des dix pôles, c'était Anna qui avait été choisie pour superviser les recherches. C'est à dire qu'on l'avait volontairement arrachée à sa douillette thalasso sur Tortuga pour l'envoyer ici, dans le coin le plus paumé du Nouveau Monde, avec comme principale mission de retrouver une délégation d'agents du CP2 disparus dans les environs quelques mois auparavant.

Depuis lors, le sort s'était acharné. D'abord, on lui avait confié le commandement de plusieurs dizaines de gorilles du G-5 qui ne possédaient la lumière qu'à un seul étage : celui qui éclairait la vaste pièce de leur lubricité. Ensuite, du CP9 elle n'avait pu réquisitionner que l'agent Jones ; les autres étaient en mission ou bien faisaient fi de ses ordres. La directrice avait donc été contrainte de demander à l'un de ses homologues des forces vives pour l'accompagner et celui-ci lui avait généreusement confié une dizaine de larbins et un agent tout juste sorti d'école. Soit.

Mais comme si cela ne suffisait pas, dès le premier pas posé sur l'archipel, une vague de chaleur moite avait inondé le convoi et ralenti le mouvement. Il leur avait alors fallu plusieurs heures pour gagner le campement de la précédente expédition : désert, comme Anna pouvait s'y attendre.

Un an auparavant, le CP2 s'était installé dans la région pour mener des expéditions archéologiques. Le Gouvernement Mondial avait alors déjà eu vent de disparitions ayant eu lieu au cours des précédents siècles, mais il s'agissait pour la plupart de cas d'explorateurs isolés. Jamais personne ne s'était donc attendu à ce qu'une vingtaine d'agents et de civils s'évanouissent mystérieusement dans la nature du jour au lendemain. Mais le plus étrange restait à découvrir.

Lorsque l'expédition d'Anna pénétra dans le camp, un vulgaire conglomérat de tentes, de feux de camp et de poêles à vrai dire, elle ne le trouva pas saccagé par les bêtes sauvages ou victime potentielle d'une soudaine agitation qui aurait pu amener les agents à s'entretuer, non. À vrai dire, même si le temps avait fait son ouvrage et si les intempéries avaient renversé quelques objets et déraciné un pavillon, tout semblait dans un état correct. Sur un poêle se trouvait même, encore, une carafe pleine de café que la moisissure avait investi depuis le temps.

Tout cela était étrange. Aussi Anna le nota-t-elle dans son carnet de bord, qui plus tard lui servirait de rapport.

Il fallut donc un jour entier à l'ensemble de l'expédition pour faire le ménage dans le campement abandonné et l'investir avant que les recherches ne puissent être débutées. Rapidement, Anna fut convaincue de l'intérêt de laisser une quarantaine de soldats en faction à l'avant-poste : déjà car déplacer cent-dix personnes n'était pas une mince affaire, mais aussi car les hommes du G-5 ne lui inspiraient tout simplement pas confiance. À plusieurs reprises, elle avait surpris certains énergumènes lorgner avec avidité les autres femmes de l'expédition, et s'ils faisaient montre d'un peu plus de retenue vis à vis de la directrice, c'était uniquement car elle représentait l'Autorité ici-bas.

Après une première nuit, aussi courte que terrible, passée à côtoyer des insectes de taille exagérée et suffoquer sous la chaleur des tentes, le convoi put enfin se préparer au départ en direction de l'île céleste qui les surplombait. Au petit matin, les porteurs se consacrèrent donc à leur travail, à savoir atteler l'âne au chariot qui contenait les denrées et se départager les vivres. De leur côté, les agents du Cipher Pol étudiaient les cartes laissées par leurs prédécesseurs ainsi que les divers artefacts qui avaient pu être récupérés des précédentes expéditions. Parmi les nombreux carnets de notes figurait même celui d'une antique exploratrice, une certaine Janet Dawson ayant vécu au onzième siècle.

Pour chaque journal, Anna s'était penchée sur les dernières entrées et avait remarqué que celles-ci mentionnaient généralement la présence d'un danger inconnu et invisible balançant avec l'excitation des grandes découvertes. Suivant cette piste-là, elle ne tarda pas à découvrir que de nombreuses mentions renvoyaient à un endroit supposément fabuleux nommé « l'Arche Perdue ». Toutes les descriptions ne corroboraient pas toujours, mais certains étaient plus détaillées que d'autres et, dans la plupart des cas, les témoignages étaient uniques et flous ; un mystère semblait donc planer autour de ce lieu.

Alors que le soleil annonçait midi, le signal du départ arracha la directrice à sa passionnante lecture, qu'elle remit évidemment à plus tard, l'obligeant à rejoindre en vitesse la tête du cortège, aux côtés des autres agents. Là, elle s'attarda pour la première fois sur le visage blanchi par la crème solaire de sa nouvelle recrue et décida secrètement de ne jamais lui adresser la parole.

Durant toute l'après-midi, la longue colonne d'aventuriers serpenta entre ce qui semblait être, à première vue, d'imposantes stries rocheuses poignant hors du sol, mais qui n'était en réalité que les imposantes racines d'un arbre gigantesque perdu dans l'épaisseur de la forêt. Malheureusement, la nécessité de conserver le regard sur le sol ne permit pas à l'albinos de se documenter, sinon elle aurait su qu'il s'agissait simplement de la base du haricot géant planté par le premier explorateur de l'île, mille ans auparavant. C'était grâce à cette plante et à ses nombreuses ramifications que le passage d'une île à une autre était possible.

Finalement, alors que l'orée d'une forêt tropicale se profilait à l'horizon, le charriot situé en queue de file buta contre une racine pernicieuse et se renversa, condamnant dans sa chute le destin du pauvre âne et d'un porteur malchanceux. Une bonne partie des provisions durent ainsi être abandonnées à la merci des bêtes sauvages, au même titre que les corps des deux victimes de l'accident, car déjà le jour tombait et Anna s'avouait désireuse d'atteindre la lisière de la jungle avant la nuit.

Alors que le soleil disparaissait à l'horizon, un épais tapis de mousse, de fougères et d'herbes hautes se substitua aux racines, signe que la forêt n'était plus loin. Et effectivement, il suffisait désormais de lever le regard pour voir les hautes cimes des arbres millénaires qui les attendaient, à quelques centaines de mètres de là. Arrivée un peu plus loin, Anna constata avec surprise ses coups de soleil et soupira lorsque Miss d'Isigny lui suggéra de suivre ses conseils en matière de dermatologie ; pour sa défense, elle ne se doutait évidemment pas que l'épiderme de la directrice était artificiel.

Cette brève conversation permit toutefois à la directrice de marquer une halte, le temps de constater l'état de ses compagnons de voyage. Outre les agents qui pouvaient supporter le mal et la fatigue pratiquement sans broncher, beaucoup de porteurs étaient proche de la déshydratation et l'un d'entre eux semblait atteint d'un mal inconnu, vraisemblablement dû à une piqure d'insecte bénine. Ainsi, même s'ils n'avaient pas atteint l'ombre des arbres, la directrice décida qu'il était de bon ton de s'arrêter là pour aujourd'hui et monter le camp pour la nuit.

Une heure plus tard, alors que la plus-si-jeune femme était occupée à faire son premier compte-rendu, Karen se présenta à l'entrée de sa tente en urgence. Un nouveau danger venait apparemment d'emporter un autre porteur et le médecin de l'expédition, un certain David Bauer, issu de la Brigade Scientifique, la sommait de venir le rencontrer. À son arrivée devant l’hôpital de campagne, la directrice trouva l'Agente d'Isigny déjà sur place, mais ne tint pas compte de sa présence. Toutes les trois entrèrent donc dans la tente pour rejoindre le docteur devant le corps sans vie de son unique patient, allongé et en partie mutilé au-dessus du genou.

Le Dr. Bauer était, selon toute vraisemblance, un homme d'âge mûr, avec un visage marqué par de profondes cernes et une courte barbe blanche. Avec la chaleur et la journée de marche derrière lui, le praticien semblait rongé par la fatigue, constat qui fut renforcé lorsqu'il se passa lentement la main dans ses cheveux poivre-et-sel avant de s'éponger le visage et de se redresser de son siège dépliable avec grande peine. C'est malgré tout avec un grand sourire qu'il accueillit les trois invitées avant de reporter son attention sur la chef d'expédition.

Désormais, il ne souriait plus.

« - Miss Sweetsong, j'avoue ne pas comprendre. Cet homme allait très bien il y a encore un quart d'heure : il était venu pour que j'inspecte sa plaie, vraisemblablement due à une piqûre d'insecte. Puis, assez soudainement, sa jambe a commencé à se gangrener. J'étais donc parti pour la lui couper quand il a été saisi de violentes convulsions qui l'ont mené vers un arrêt cardiaque, il y a tout juste cinq minutes. Dans ces conditions, je n'ai pas pu établir de diagnostic précis, mais j'aurais tendance à mettre cela sur le compte d'un venin très puissant ou d'une soudaine septicémie. Je vous avouerais que je n'ai jamais vu cela de toute ma carrière...

- Je suis persuadée que vous avez fait tout ce que vous pouviez pour sauver cet homme, Dr. Bauer, constata son interlocutrice, dans le but unique de rassurer le pauvre homme. Si ce genre de maladies pouvaient frapper dès le premier jour, il n'était probablement pas au bout de ses peines. Il est regrettable que nous ayons à subir, aujourd'hui encore, une nouvelle perte. Toutefois, je serais intéressée par un rapport d'autopsie. Je veux savoir à quoi nous avons à faire et s'il est possible de nous en protéger. Peut-être est-ce ce mal qui a emporté les membres de la précédente expédition ? »

En disant cela, le regard d'Anna se porta instinctivement sur le corps du défunt. Il s'agissait d'un homme à l'apparence commune, probablement originaire d'une île tropicale au vu de sa peau naturellement bronzée. Celle-ci commençait d'ailleurs déjà à tirer sur le vert pâle et n'importe qui pouvait en déduire qu'il s'agissait d'un empoisonnement ou d'une envenimation. Toutefois, Annabella doutait fortement de la responsabilité d'un tel mal dans la disparition spontanée des agents du CP2, cela semblait trop anecdotique.

Ne voyant rien d'autre à ajouter concernant le tragique évènement, l'agente remercia finalement le médecin pour ses services et lui assura sa disponibilité, dans l'hypothèse d'une nouvelle urgence. Alors, comme les trois agentes se dirigeaient donc vers la sortie, la directrice se décida à prendre en considération leur avis.

Elle avait beau être aux commandes de l'expédition, elle savait qu'elle ne pouvait se fier à sa seule perception. Et il y avait tellement de documents à lire, à éplucher, qu'elle devait se résoudre à solliciter l'aide de ses subalternes pour prévenir de potentiels dangers mortels. Peut-être bien que le mal qui avait emporté ce bougre avait déjà été détaillé dans l'un des carnets, par exemple.

Ainsi, alors que Karen et la dénommée Caramélie se préparaient à prendre congé de Cœur d'Acier, au sortir de la grande tente, celle-ci les stoppa net dans leur élan :

« - Malheureusement mesdemoiselles j'ai encore du travail pour vous, avoua-t-elle dans un demi sourire, partiellement sardonique. J'espère que le sommeil n'est pas une chose qui vous tient à cœur, car vous n'en profiterez pas beaucoup cette nuit. Oui, quelque chose à ajouter Miss d'Isigny ? »

La directrice le sentait depuis tout à l'heure et elle avait refusé de donner l'opportunité à la jeune femme de s'adresser à elle une fois de plus. Mais désormais elle devait s'y résoudre, car les prochains jours, elles devraient les passer à travailler ensemble, voire même pire, à vivre ensemble. Soumise à cette pensée, l'albinos se plaça tout de même la main en visière, au niveau du front, avant même que la jeune zélote n'ait commencé à parler.

Misère, dans quoi s'était-elle encore embarquée ?


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Jeu 21 Fév 2019 - 19:03, édité 2 fois
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Tous à la file indienne, indienne, indienne... 745a

Cher journal,

Attends, non. Ça ne fait pas sérieux d'écrire "cher journal" alors que je suis une aventurière exploratrice ! Il faudrait un truc qui sonne un peu mieux !

Journal d'expédition, jour 17 (J2 depuis notre arrivée sur l'île)

Nous avons...

C'est peut-être un peu trop impersonnel de juste marquer ça. Attends, j'essaie autrement.


Journal d'expédition, jour 17, le soir

Cher journal,

Voiiiilà, c'est mieux ! Je te disais donc: nous avons finalement posé notre campement après plusieurs heures de marche sous le soleil. Nos porteurs ont posé leurs gros bagages et ont commencé à installer les tentes, préparer le feu, et faire ce genre de choses qui donnent toute sa saveur à un campement d'exploration en terre inconnue ! De mon côté j'en profite pour faire ce que fait une héroïne dans ce genre de situation, à savoir consulter des documents un peu anciens, prendre des notes, avoir l'air pensive en songeant à son objectif, et prendre le temps de compter ses piqûres de moustique. J'en suis à sept, malgré la quantité industrielle de lotion que je badigeonne sur ma peau, plus ma crème solaire !

Tu sais bien que je ne suis pas du genre à critiquer journal... quoi ? Bien sur que non ! Non je ne passe pas mon temps à ça ! Je trouve même qu'en général je fais plus de compliments que de critiques ! Tu es très très médisant journal ! Moi aussi, mais moins que toi !
Bon. Je ne voudrais pas critiquer mes supérieurs, c'est même une mission très prestigieuse pour une agent nouvellement promue comme moi d'avoir sous ses ordres une dizaine de sbires et de seconder une expédition dans le dangereux nouveau monde, mais des fois je me demande si le chef Rei ne m'a pas un peu arnaquée quand même ! Lorsqu'il m'a convoquée pour me confier la mission, j'étais trop occupée à remarquer qu'il avait pris un peu d'embonpoint pour un personnage censément classe et légèrement mystérieux (les effets dévastateurs du travail au bureau, que veux-tu ?!) pour y prêter attention, mais à peu près sûre qu'il m'a dit quelque chose comme... (là, imagine une voix un peu... le type ne se prend pas pour rien quoi. Il est convaincu d'être sympathique mais on parle d'un homme avec les cheveux longs et coiffés en pics qui dirige un bureau d'agents secrets depuis plusieurs années !): "Ma très aimable collègue la directrice du CP9 me demande de lui fournir quelques agents afin de l'épauler dans une mission dangereuse. C'est le genre de tâche qu'une agent nouvellement promue comme vous est tout à fait à même de remplir, agent d'Isigny, d'autant que je n'ai pas l'intention de lui sacrifier -hum hum- de lui envoyer des agents plus expérimentés". J'ai beau ne pas être du genre à médire pour un rien (sans commentaires, merci), je me demande quand même si je ne suis pas un peu la bonne poire d'un échange de vacheries inter-services !

Alors que le crépuscule s'installe peu à peu, nous libérant de l'emprise oppressante du soleil, je peux enfin me débarrasser de mon casque qui, s'il est terriblement classe, donne aussi un peu trop chaud. Vois-tu journal, j'ai fait mes préparatifs avec soin avant de venir. J'ai délaissé mes habituelles tenues de service noires au profit d'un ensemble colonial complet: de belles chemises beiges ou blanches en toile fine, des shorts et/ou jupes beiges à la fois pratiques et féminins, des chaussettes montantes, plusieurs paires de chaussures de marche (on ne sait jamais ce qui peut arriver. Et puis ce n'est pas moi qui les transporte de toute façon !), et évidemment un élégant casque colonial sans lequel je n'aurais l'air que d'une banale vacancière !
C'est tout simple journal: la moitié du succès d'une expédition repose sur la bonne volonté de ses membres, et on ne peut pas prétendre être de bonne volonté si on ne s'investit pas un minimum dans son rôle ! C'est cette consigne qu'ont eue les sbires, qui l'ont tous plus ou moins bien suivie et qui ont pour la plupart adopté un mélange entre le costume-cravate noir habituel et la tenue d'explorateur colonial. J'ai donc à présent sous mes ordres un mélange de chemises à cravates avec des vestes en cuir, certains ont gardé leur complet noir mais avec un short beige et des chaussures de marche, un autre encore porte toujours son chapeau noir mais arbore une tenue d'aventurier complète... c'est un peu déroutant au premier abord mais je salue malgré tout l'effort de mes chers subordonnés qui ressemblent tous à des agents secrets explorateurs !

On ne peut pas en dire autant des deux membres du CP9 qui ont fait beaucoup plus dans la sobriété. Mais de toute façon que veux-tu journal, ça illustre bien qu'on est plusieurs rangs au-dessus d'eux ! Ce n'est pas pour rien que le 5 c'est avant le 9 !
Enfin... c'est le cas, hein ?
Attends journal, tu crois que dans la hiérarchie des Cipher-Pôles, le 9 est au-dessus des autres ? Mais non évidemment, ça n'a pas de... Et puis de toute façon ça ne veut rien dire de hiérarchiser les CP comme ça, on a des missions différentes c'est tout ! Gnagnagna mon CP il est meilleur que le tient, gnagnagna ! Ce que tu peux être immature journal !

♦️♦️♦️♦️


Cher jour

Journal d'expédition, jour 17, une heure plus tard

Cher journal,

On a encore perdu quelqu'un, un porteur dont je ne me souvenais pas de toute façon. Tant pis. Ça fait partie du contrat de toute façon: il faut qu'il y ait quelques revers et quelques pertes pour ne pas donner l'impression que c'était trop facile quand on rentrera ! Il a l'air d'avoir attrapé une maladie tropicale ou un truc comme ça. Je ne m'y connais pas trop mais c'était assez répugnant donc j'ai juste fait semblant de regarder pendant que le médecin faisait ses explications.

La chef ne semble pas être très affectée non plus, cela dit, montrant plus d'intérêt pour la cause du décès que pour le patient lui-même. Peut-être que comme moi elle attribue juste des numéros à ses sbires pour ne pas avoir à retenir leurs noms ? Je devrais lui demander un jour où elle sera bien lunée. Si seulement ça lui arrive d'être de bonne humeur un jour ! Ce n'est pas pour rien, journal, que je l'ai surnommée madame grognon ! Elle est tellement froide qu'on dirait une machine ! Je la comprends cela dit, ils ne sont pas très sympas ses supérieurs de l'avoir envoyée ici alors qu'elle a la peau encore plus pâle que la mienne ! Et puis je croyais que quand on était directrice d'un pôle au Cipher Pol on pouvait refuser les missions pénibles... zut alors, ça remet en cause mes plans de carrière ça ! D'ailleurs, ça a des supérieurs une directrice de CP ?
Malgré son caractère un peu distant, comme je la plains un peu et qu'elle fait partie des rares personnes qui ont un prénom dans cette expédition avec l'agent Karen Jones, le docteur Docteur, et Beurk notre guide (je te reparlerai de lui plus tard), je fais des efforts pour être gentille avec elle.

L'inspection officielle terminée, je m'apprête à rentrer vers ma tente quand madame grognon nous retient avec un sadisme à peine dissimulé:

"- Malheureusement mesdemoiselles j'ai encore du travail pour vous. J'espère que le sommeil n'est pas une chose qui vous tient à cœur, car vous n'en profiterez pas beaucoup cette nuit. Oui, quelque chose à ajouter Miss d'Isigny ?"

Ahem...
Réponse n°1: vous voulez parler des huit heures de sommeil sans lesquelles je suis un vrai zombi ?
Réponse n°2: oui chef, non chef, rien chef, au boulot chef !
Réponse n°3: hihihi moi j'suis trop une fayotte, j'aime bien bosser, et en plus vous avez de trop bonnes idées chef ! Et je n'ai aucune dignité !
Tu en penses quoi journal ? Mh ? Oui, la n°3 me parait bien. Je vais même proposer une bonne idée !

"- Et si pour mieux travailler on demandait aux soldats de nous faire des chaises à porteurs ? Comme ça on ne perdrait pas notre temps à marcher pendant le voyage et à la place on pourrait utiliser notre énergie pour inspecter les journaux de la précédente expédition ?"

Mon sourire pourtant plein d'entrain s'efface à la vue de la réaction de madame grognon, et je poursuis comme si de rien était en affectant un profond sérieux:

"- Tout ça donne à réfléchir. Je ne pense pas que ce soit la cause de la disparition de la précédente expédition chef. Gangrène ou pas, on aurait retrouvé des squelettes."

Le problème des agents qui ont terminé leur formation depuis longtemps -ou qui n'ont jamais eu de formation, puisque le Cipher Pol a tendance à recruter beaucoup de touristes à la loyauté discutable !- c'est qu'ils ont tendance à oublier les bases. Et une des règles élémentaires que j'ai apprise au cours de ma formation, c'est:

"- S'il n'y a pas de corps c'est qu'il n'y a pas de mort. A moins qu'ils n'aient sauté dans le vide leurs cadavres doivent être ailleurs. Et puis bon, si cette maladie a pu contaminer tout le groupe d'un coup on est probablement toutes déjà mortes alors je préfère qu'on trouve une autre explication !"

Je ne risque pas grand-chose pour le moment, mais mes réserves d'anti moustique s'épuisent à une vitesse folle alors je crains le pire ! Je ne vais tout de même pas devoir marcher en gardant mon tekkaï activé toute la journée ?!
Et sur ces (bonnes ?) paroles, nous nous mettons à l'ouvrage.

♦️♦️♦️♦️


Honnêtement journal, tu devrais être reconnaissant de m'avoir comme propriétaire ! Si tu voyais ce que cet agent du CP2 écrit dans ces notes !

Jour 5: Levé, footing, mangé. Parlé avec Steevens, inspecté le plateau. Rien trouvé. Mangé. Entrainement. Attendu. Mangé. Parlé avec Ronnie. Couché.
Jour 6: Levé, footing, mangé. Pas de nouvelles de la colonne. Inspecté le plateau mais pas longtemps parce qu'il y avait des serpents. Mangé. Entrainement. Attendu. Mangé. Parlé avec Ronnie et Steevens. Couché.

Globalement, je dois dire que nos recherches ne nous ont pas appris grand chose sur nos prédécesseurs. On continuera demain j'imagine. Au lieu de dormir.

♦️♦️♦️♦️


Journal d'expédition, jour 18

Cher journal,

Nous avons levé le camp à l'aube et repris notre marche avec entrain. Je ne t'ai pas encore beaucoup parlé de nos compagnons anonymes de la marine, alors voilà: ce sont des personnes très singulières, grossières, sales, peu ou pas éduquées, et avec une notion douteuse de la discipline. On dirait presque des pirates déguisés avec des uniformes de la marine ! Heureusement ce sont de braves garçons, tous très attentionnés et sympathiques ! Enfin sympathiques... juste un peu attachants on va dire. Et puis ils sont un peu trop attentionnés je trouve ! Ou que je sois il y en a toujours plusieurs pour me suivre et vouloir me parler ! Ils font beaucoup de plaisanteries déplacées aussi, mais ils compensent ce trait de caractère navrant par l'intérêt qu'ils ont pour moi et mes collègues agents. Je pense qu'ils ont l'air de me trouver sympathique et ça fait plaisir, parce que c'est vrai que je n'ai pas l'habitude de travailler à visage découvert avec la marine et ça me fait plaisir d'en rencontrer d'un peu plus près.

Nous avons eu beaucoup l'occasion de parler au cours de l'expédition (en tout cas quand madame grognon nous en laissait la possibilité), et je trouve qu'on forme une chouette équipe. Un peu bizarre, plutôt gênante par moments, mais joyeuse et pleine d'entrain ! Tu sais que plusieurs d'entre eux ont même insisté pour m'aider à me mettre de la crème solaire et de la lotion anti moustiques sur le corps ? J'ai refusé bien sur, en plus ils avaient les ongles vraiment sales ! J'ai même un peu menti pour qu'ils n'insistent pas en disant qu'on faisait ça entre femmes et que c'était la chef Sweetsong qui s'en occupait. Comme elle impressionne tout le monde je me suis dit qu'ils n'oseraient pas insister, mais je crois que ça n'a pas eu tout à fait l'effet voulu !

Au cours de mes conversations avec nos gorilles d'expédition, je leur ai aussi laissé savoir que je regrettais que l'on ne chante pas en marchant, comme le ferait toute bonne colonne expéditionnaire. Même si on est en territoire dangereux un chant ça met le baume au cœur quand on avance, ça fait fuir les bêtes sauvages et les serpents, et ça permet que le temps passe plus vite ! Et puis je ne crois pas que l'on puisse attirer un danger pire qu'une centaine d'humains armés jusqu'aux dents !
Les marines du G-5 s'y sont mis avec beaucoup d'entrain, mais je regrette de te dire journal qu'ils ne connaissent que des chansons vulgaires. J'ai dû leur en apprendre quelques-unes, et maintenant on chante pendant la marche pour égayer les trajets !

♦️♦️♦️♦️


♫ Prendre la légende exacte
Et l'histoire, pure réalité,
Nos rêves, une intacte
Et seule vérité
D'un mystère dévoilé,
La mythique antiquité
C'est notre destin...
Tracer le chemin ! ♪

Ils chantent faux. Horriblement faux, avec des voix éraillées d'alcooliques et de brutes ! Mais j'aime beaucoup les efforts qu'ils font, et puis j'aime bien cette chanson.
Soudain, le chant cesse et après un léger flottement la colonne s'arrête. Je quitte mes compagnons, et flanqué de quelques sbires je me dirige vers l'avant du groupe où je retrouve miss grognon, l'agent Jones, et Beurk. Beurk, c'est notre guide. C'est un ange, enfin un natif des îles célestes. Sergent dans la marine, il a été catapulté au poste de guide parce que... bah... il n'est pas né à Elysia bien sûr, personne ne vit ici, mais en tant qu'ange il doit avoir une certaine expérience des îles célestes ?! Hein ? Bien sûr ! Allez, passe devant et agite ta machette l'indigène !

J'ai appris depuis longtemps qu'arriver la dernière en disant "que se passe-t-il ?" c'était le meilleur moyen de passer au mieux pour une boulette, au pire pour l'élément comique et bébête du groupe. Du coup je me contente d'approcher avec un air assuré, exactement comme si je savais déjà ce qui se passait, que j'avais déjà une solution en tête, mais que je me contentais de ne rien dire pour laisser les autres chercher un peu.

L'agent Jones me désigne la forêt dense qui s'étend juste devant nous:

"- On va entrer dans la jungle."

Beurk, qui semble vouloir justifier son statut de guide autrement que par son rôle du pauvre volontaire qui passe toujours devant, ajoute:

"- Nous allons entrer dans la forêt, mad... moiselle."

Effectivement, devant nous s'étend une forêt à la fois magnifique, et en même temps dense, opaque et mystérieuse ! Des arbres exotiques au feuillage d'un vert profond s'étirent vers le ciel, entortillés dans des lianes et des mousses qui pendent dans le passage, et des troncs recouverts de verdure s'étendent au milieu d'une végétation abondante et insolite. Heureusement tout cela semble praticable.
Alors que je me laisse aller à la contemplation de ce qui nous attend, un bruissement agite les feuilles devant nous. Un serpent d'une taille gigantesque glisse d'une branche et apparaît devant nous ! Ses anneaux sont immenses, plus larges que mon buste, et font trembler les fougères et les lianes sur son passage. Sa mâchoire paraît si grande que je suis certaine qu'il pourrait avaler Beurk sans même s'en rendre compte ! Heureusement pour notre guide le serpent, visiblement indifférent à notre présence, poursuit sa route et disparaît dans les profondeurs de la jungle.

Je regarde la directrice qui semble perdue dans des réflexions profondes et importantes elle aussi, lui souris lorsque son regard croise le mien, et dis:

"- Je vais prévenir la troupe pour qu'ils se mettent en formation."

Enfin "faire prévenir" plutôt que prévenir, parce que c'est le rôle des sbires et des officiers de la marine de faire les basses besognes comme de crier, organiser les porteurs, et s'occuper de la logistique.
Après quelques minutes, la marche reprend:
♫ Paradis aux brises exquises
Elysia, terre promise
Septième ciel sous le soleil
Oasis providentielle
Forêt vierge intemporelle
Tu viens nous tendre la main,
Et pour l'enfant de demain...
Tracer le chemin ! ♪



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« - Au moins ne manquerons-nous pas de nourriture. »

Jones à mes côtés acquiesca ; bien évidemment, ce ne serait pas elle qui irait chasser ces animaux gigantesques si jamais nos réserves venaient à s'épuiser. Mais elle était d'accord sur le principe. La petiote aurait probablement réagi différemment et, étant donné son émotivité exacerbée, mieux valait la garder de telles frayeurs. J'avais bien lu la détresse sur son regard lorsque ce serpent nous avait surplombés.

En fil indienne, nous poursuivîmes, traçant notre propre sentier à coup de machette. De temps en temps, des hommes s'égosillaient après avoir ressenti un contact étrange, qui était bien souvent l’œuvre de rampants plus ou moins inoffensifs. Toutefois, après une heure de marche, nous avions à déplorer une nouvelle perte : celle d'un soldat, emporté par une fièvre intense survenue subitement. Notre position ne nous permettait malheureusement pas d'établir un campement et s'intéresser à son cas, aussi son corps fut simplement enrobé dans un grand drap et transporté en attendant de pouvoir lui fournir des funérailles dignes de ce nom.

Il nous fallut encore braver le danger de la forêt hostile pendant deux heures de plus. Nous en vînmes rapidement à comptabiliser les animaux abattus sur notre passage : trois grands tigres qui nous suivaient à la trace et une demi-douzaine de guêpes géantes dont je m'étais occupée sans grande peine. À vrai dire, plus nombreux furent ceux à redouter le soudain tremblement de terre qui survint lorsque je les balayai d'un Rankyaku, demeurant longtemps immobiles avant que je ne donne l'ordre de reprendre la marche.

Et puis enfin, trois heures après avoir pénétré dans l'épais sous-bois, nous en vîmes la fin ou du moins ce qui semblait l'être : une clairière traversé d'un épais cours d'eau. M'assurant que tout le monde était bien présent, je refusai prestement la proposition d'un Lieutenant de dresser un camp.

« - Nous sommes encore loin de notre objectif pour aujourd'hui. Dites à Bauer qu'il a trente minutes pour trouver de quoi est mort ce pauvre bougre, après quoi vous l'inhumerez ici. Nous n'avons pas de temps à perdre. »

Pas si nous voulions nous assurer d'être en sécurité ailleurs qu'au milieu de cette végétation sauvage et ce qui  l'habitait. Mon regard était, à cet effet, porté sur la surprenante rivière... sur une île céleste. Je me tournai donc vers l'agente du CP5 pour tenter d'en savoir plus :

« - Y-a-t'il quelque chose d'écrit au sujet de ce cours d'eau dans votre carnet ? Savez-vous si nous pouvons l'emprunter pour nous rendre aux îles supérieures ? »
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