REPRISE DE SERVICE !
I. Douce routine.
Farros bailla. Il répétait encore et encore la même tâche, comme chaque jour depuis maintenant plus de deux ans. Encore et toujours les mêmes plats, le même menu. Depuis deux ans. Ce n’était pas vraiment ce à quoi il s’attendait lorsqu’il était parti, mais il était persuadé qu’il s’agissait là d’une étape essentielle : il fallait qu’il apprenne à satisfaire pleinement les clients. Et surtout, il lui fallait de l’argent. Un paquet d’argent.
C’était la raison principale pour laquelle il s’était engagé en tant que cuistot dans un petit restaurant ambulant proposant des spécialités à base de… poisson. Quelle originalité. Mais il lui fallait cet argent pour un projet qui lui tenait à cœur depuis tout petit : manger un plat du plus célèbre restaurant des mers, le Baratie. Ce jour allait bientôt arriver, Farros allait avoir une somme suffisante pour se payer un plat de ce restaurant de luxe ET pouvoir reprendre la mer en quête d’aventures culinaires.
Le jeune homme fût coupé dans ses pensées par le capitaine du petit navire qui leur servait de restaurant : « Fin de service les gars, c’est du bon boulot ! Farros, tu viendras me voir tout à l’heure s’il te plaît. ». Il enleva alors son tablier et se dirigea vers la cabine du capitaine. Le capitaine était un homme dodu et d’un certain âge, il était très sympathique mais avait un goût très prononcé pour les Berries. Farros s’approcha :
- Vous avez demandé à me voir, patron ? demanda-t-il.
- Ah, Farros, je t’en pris assieds-toi. J’ai une proposition à te faire.
- Ouaif ?
- Comme tu le sais peut-être, Tony a prévu de retourner sur son île natale pour y ouvrir son propre restaurant. J’aimerais que tu prennes sa place et que tu deviennes chef. En seulement deux ans tu as su nous montrer que tu étais de loin le plus compétent de l’équipage et…
- Désolé patron, j’avais prévu de partir dès demain.
- PARDON ? Et tu comptais nous l’annoncer quand ? s’énerva le capitaine grassouillet.
- Arf… J’avoue que j’y avais pas vraiment pensé… Je pensais que ça changerait pas grand-chose si un de vos cuisiniers quittait le navire.
- Ahh, Farros. Tu changeras donc jamais, hein ? Toujours aussi naïf. Bref, c’est ton choix après tout, mais le resto va en prendre un coup. Enfin bon, je crois que les gars ont beaucoup appris à tes côtés. C’est pas pour rien si le chiffre d’affaire a doublé les deux dernières années.
Le capitaine se leva, grommelant dans sa barbe. Il se dirigea vers son coffre-fort au fond de sa cabine. Il en sorti quelques liasses et retourna auprès de Farros :
- Bon, voilà ton salaire du mois ! dit-il. Plus une prime de départ : ça me fait mal, mais je te dois bien ça.
- Ouaf, merci patron ! répondit le jeune cuisinier. Avec ça j’ai largement de quoi préparer la suite de mon voyage.
- On fait un arrêt sur une petite île demain. Tu devrais trouver de quoi faire quelques courses avant de reprendre la route. Allez, rejoins les dortoirs, tu vas avoir besoin de force pour les jours qui viennent.
- Merci patron.
II. L’opportunité rêvée !
Farros fût réveillé par le cri des mouettes. Il regarda rapidement par le hublot du dortoir. Le navire était déjà arrivé au port de la petite île marchande. Il se hâta de se préparer et de sortir : son excitation était indescriptible. Fini la routine, il allait enfin repartir à l’aventure et il allait commencer par réaliser un de ses rêves d’enfants : goûter un plat du Baratie.
Il espérait pouvoir partir avant le coucher du soleil. L’île sur laquelle le bateau avait fait escale était plutôt petite et seul un autre navire y était accosté. Papriko décida de s’en approcher. Il observa une affiche flanquée sur sa coque : « Venez découvrir les merveilles d’East Blue lors de ce voyage touristique hors du commun ! Succombez à ce que la mer offre de meilleur ! ».
Farros s’approcha davantage dans l’espoir de croiser quelqu’un auprès de qui se renseigner : c’était l’occasion rêvée. Il finit par tomber sur un homme à l’allure longiligne, arborant une fière moustache. Le personnage avait l’air abattu. Le jeune homme décida néanmoins de s’adresser à celui-ci :
- Bonjour monsieur, vous travaillez sur ce navire ? demanda-t-il.
- C’est exact. J’en suis même le responsable si vous voulez tout savoir. Enfin, pour combien de temps encore, je vous le demande ?
- Euh, oui, d’accord. J’aimerais savoir s’il est possible de rejoindre la croisière et…
- Ne comprenez-vous donc pas ? C’est fini ! fi-ni ! Le chef de cuisine est tombé malade et le second vient de me lâcher ! Vous vous rendez compte ? Je suis foutu ! Foutu ! Et dire que la croisière allait bientôt s’achever sur le clou du spectacle : une dégustation au Baratie ! Quelle tragédie ! Comment faire si je ne peux plus nourrir les clients convenablement jusqu’à la fin de la croisière ? S’en est terminé de moi…
- Calmez-vous, calmez-vous ! Vous avez bien parlé du Baratie ? Je cherche justement à m’y rendre ! Ca tombe bien, je suis justement cuisinier !
- Oh ? répondit le moustachu en levant tristement les yeux. Quelle différence ? Vous ne savez pas à quel point mes clients sont exigeants.
- Ne vous inquiétez pas pour ça, répondit Farros en souriant. Je vais vous montrer de quoi je suis capable.
- Bon… pourquoi pas après tout… Au point où j’en suis… Suivez-moi, je vais vous montrer la cuisine.
Farros suivit le morose personnage jusqu’aux cuisines du bateau de croisière. Il n’en cru pas ses yeux quand il posa son regard sur les étagères remplies d’épices et de divers ingrédients. Il allait enfin pouvoir faire parler sa créativité à nouveau !
Il détacha sa poêle au motif de crabe de sa ceinture, la brandît et dit : « On dirait qu’on reprend déjà du service, ma belle ! ».
III. Douce brise et tempête de saveur.
Le jeune cuisinier allait maintenant devoir décider ce qu’il allait préparer pour impressionner le chef. Il ferma les yeux et pris une profonde respiration, essayant de se concentrer sur ce qui l’entourait. Il sentait sur sa nuque la chaleur décuplée par les vitres du grand hublot qui arborait le mur de la cuisine et qui grinçait légèrement au contact du délicat vent qui soufflait à l’extérieur. C’était une belle journée.
Il ouvrit les yeux à nouveau et ouvrit le frigo. Il était plein à craquer et contenait largement de quoi s’amuser un peu. Il sortit les ingrédients nécessaires à sa préparation. Farine, beurre, œufs, lait, crème, et cetera. Tout était là. Il allait pouvoir commencer. Son visage devint sérieux, comme à chaque fois qu’il cuisinait.
Il se lava les mains, sorti un saladier et se lança. Il mélangea farine, beurre, sel et quelques épices pour préparer une pâte brisée. Il ajouta de l’eau jusqu’à ce que celle-ci atteigne une consistance parfaite. Il mélangea le tout à la main avant de laisser reposer et passer au reste de la préparation.
Il préchauffa le four, sorti un jambon fumé qu’il découpa en dés très petits et mélangea œufs, crème et lait dans un grand bol. Il ajouta les cubes de viande à la mixture avant de l’assaisonner. Il avait décidé d’y ajouter des épices particulièrement forte pour contraster avec la salade qui accompagnerait le plat.
Il termina les préparatifs restants avant d’enfourner le tout. Il s’attaqua alors à la salade. Il fît le choix de bouillir des poivrons au préalable avant de les éplucher délicatement. Il disposa le tout dans une petite assiette où se mélangeaient désormais un festival de couleurs jaunes, rouges et oranges. Il se contenta d’y verser de l’huile d’olive et de poivrer et saler très légèrement.
Il sorti le plat du four, disposa le tout sur une assiette et alla servir le capitaine du navire. Les odeurs se mélangeaient et atteignaient le nez de Farros qui laissa échapper un léger sourire :
- Quiche revisitée à la Papriko accompagnée de son carpaccio de poivrons ! Annonça le jeune homme.
- Ah, voyons-voir ce que ça donne… Répondit le grand moustachu sans quitter son air triste.
L’homme longiligne brandit sa fourchette et commença par trancher un bout de la part de quiche qui se trouvait devant lui. Il s’arrêta brusquement lorsque celle-ci atteignit sa bouche. Il marqua un temps de pause et pris une bouchée des poivrons qui l’accompagnaient. Il s’arrêta une seconde fois, beaucoup plus longtemps cette fois. Une larme tomba au milieu de l’assiette et un mot vint briser le silence : « Magnifique. ». Il leva les yeux vers Farros :
- Le goût étonnamment fort et pimenté de la quiche vient entrer en contraste avec la fraîcheur et la douceur du carpaccio de poivrons, formant une parfaite harmonie sur le palais. De plus, tout cela semble s’accorder parfaitement avec l’atmosphère ambiante ! La chaleur du soleil, la délicatesse de la légère brise qui vient caresser les voiles du navire : aucun détail ne semble échapper à ce plat ! Il parvient à éblouir, malgré sa simplicité apparente !
- Herf herf, comme je le dis toujours, tout se trouve dans les épices !
- Sauvé… Je suis sauvé… Comment vous remercier ?
- Mais enfin ! Je vous l’ai dit ! Acceptez moi en tant que chef jusqu’à ce qu’on atteigne le Baratie !
- Il doit bien y avoir quelque chose de plus que je puisse vous proposer !
- Si vous insistez, vous toujours m’acheter une belle tenue pour être présentable quand je me remplirais l’estomac avec un délicieux plat du Baratie, herf herf herf !
- Ha ha ha ! Comme vous voudrez monsieur Papriko !
- Appelez-moi Farros !
- Enchanté ! Mario Beaumoulin, pour vous servir ! Eh bien, si vous n’y voyez pas d’inconvénients, nous devrions pouvoir reprendre la mer désormais !
- J’ai une dernière chose à faire, si vous le permettez…
- Oh… Bien sûr, bien sûr, je vous en prie.
IV. L’heure des adieux.
Le soleil commençait à se coucher quand Farros s’approcha du vieux navire restaurant dans lequel il avait passé les deux dernières années. Il aperçut le capitaine sur le pont et l’interpella :
- Patron ! Je crois que ça y est, c’est l’heure de se dire aurevoir.
- Ah, Papriko. Y’a pas à dire, tu vas manquer à l’équipage. T’es sûr de pas vouloir rester ?
- Certain, je suis resté statique assez longtemps comme ça. J’ai besoin de bouger, tu comprends.
- Ouais. T’as raison vas, c’est pas avec nous que tu vas réaliser ton rêve d’aventures.
- J’ai pas mal appris pendant ces deux années. Merci patron.
- Allez, file. Ils vont finir par partir sans toi si tu t’attardes ici plus longtemps.
- Saluez le capitaine Campscotch de ma part si vous le voyez, d’accord ?
- Ca marche, file j’te dit.
Et c’est ainsi, après deux longues années, que Farros repris sa route vers l’aventure, se rapprochant d’un petit pas de plus vers son rêve : ouvrir le meilleur restaurant des mers et parcourir le monde en quête d’épices et d’ingrédients.
C’est sur une mer aux reflets orangés que le navire de croisière reprend sa route, le jeune cuisinier à son bord, le bruit des touristes fêtards dénotant avec le calme de la mer alentour.