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Quand Peeter part en guerre.

Mais bon dieu de merde, qu'est-ce que je fous là ?!

Qu'un de mes camarades à ma droite lâche alors qu'il vient de s'éclater la gueule à terre, les pieds pris dans la boue, les racines des arbres poussant dans le coin et l'eau. Une plongée forcée dans un bon demi-mètre de flotte, la gueule trempée et crasseuse, comme tout le reste de son corps et de ses fringues, il râle. Et qui irait en vouloir à Tod d'en avoir plein le cul de patauger dans de la merde pour une raison à la con qui nous échappe à tous ? Certainement pas moi. Ni-même les autres gars du groupe, de notre unité toute entière ou encore des autres sections. Parce qu'en réalité, sur la centaine d'enfoirés de militaires bazardé dans ce trou isolé de toute civilisation, y'en a aucun qui est content d'être là. Enfin, je m'emballe un peu. T'as toujours un ou deux connards qui aiment partir faire de fausses guerres pour des terrains de manœuvre à la con.

Raaah ! Il me casse les couilles ce terrain pourri ! Tout ça pour faire semblant d'être opérationnel ! Commandant de merde !

Tod est vraiment en train de vriller, et moi je peux pas m'empêcher de me foutre de lui, il me fait rire. La vérité c'est que j'en ai autant ma claque de cet exercice, foutu stage de survie en milieu hostile. Mais comme je suis un connard, quand les autres pètent un plomb, ça me redonne le moral. C'est toujours plus fendard quand c'est les autres. Mine de rien, je me retiens sévère depuis deux bonnes heures aussi. Nous envoyer sur cet îlot flottant pour des semaines d'entraînement histoire de s'aguérrir, de développer ses capacités physiques et morales et de s'approprier l'environnement. Des fois qu'un jour on soit amené à ratiboiser une île sauvage pour le plaisir, ça nous servira tout ça. Je crache un glaviot, redresse mon fusil et avance, aussi désespéré que frustré.

Payé de la merde pour aller jouer les soldats de l'apocalypse au milieu de nulle part, ils y ont réfléchi longtemps à celle-là ?! Engagez-vous qu'ils disaient !
Smith, ferme-là un peu et avance tête de mort !
Reçu Sergent !


Je ricane, le Matelot de Première Classe Toddy Smith me claque un doigt de loin, avant de poursuivre son effort et continuer de pester à voix basse. J'aime bien ce gars, et pourtant c'était pas gagné d'avance vu nos caractères respectifs. Je suis aux portes de la vingtaine, lui les as franchies depuis quelques années déjà et pourtant, il est plus immature. Il est surtout très nerveux, franc et déteste se sentir rabaissé. Un peu comme moi. Quand je suis arrivé dans la section, on a eu un peu de mal à s'accorder. Depuis, ça va plutôt pas mal. 'Faut dire qu'on peut pas détester ce type, le genre bien sympa mais sur qui la chance déjette des tonnes de merde tous les jours. Sportif comme pas deux, il passe son temps à s'endurcir le corps, le seul soucis c'est qu'il a oublié d'embarquer son cerveau avec lui lors de son engagement, du coup niveau intelligence ça pèche un peu.

Volontaire et motivé, il l'était autrefois, c'est déjà de l'histoire ancienne. Il a eu quelques problèmes dans son parcours qui lui ont plombé le moral et ses ambitions ont pris un grand coup de frein. Maintenant, il préfère critiquer la hiérarchie qui le lui rend bien. Qu'il se fasse remettre à sa place par le Sergent Delouimons n'a rien d'étonnant, c'est plutôt banal même. Pour cette fois, je crois que le Sergent en pouvait plus de l'entendre chialer. C'est que ça durait depuis longtemps. Deux semaines ? Depuis qu'on a posé les rangers ici qu'il l'ouvre pour se plaindre. Aujourd'hui il y a mis les bouchées double, avec cette fausse mission d'infiltration qui nous as été inventé pour l'occasion. Une opération d'envergure, pas un truc de tafiole comme on dit ici. Les officiers, ces braves types adeptes de la branlette intellectuelle et des actions chocs pour se faire bien voir par l'échelon supérieur, c'est à eux qu'on la doit.

Mon avis qu'ils ont dû avoir l'idée entre deux pintes de bière, après le service, ils réfléchissent toujours mieux le cerveau imbibé de gnôle. De sacrés poivrots ces enculés. Et ça vient te donner des leçons quand t'as un petit coup dans le nez au rassemblement du matin.

C'est quand même dingue de pouvoir faire autant de merde en si peu de temps. A croire qu'ils se font chier à la caserne sans ce genre de plan foireux.
Bah ouais ! Leur petite vie minable ! Passe leur temps à picoler, à s'inventer des missions de merde, tout ça parce qu'ils ont pas de vie ou pour lécher les couilles du Colonel !
A en gober les roustons avec.
Et en avaler le bon sirop de corps d'homme !


On éclate de rires, ça fait du bien de déconner, ça permet de relâcher un peu la pression. Le Sergent le sait bien, pour ça qu'il évite de trop nous couper. On continue de progresser. Un groupe constitué de deux trinômes, chacun de ces derniers regroupant trois soldats. Un chef d'équipe et les deux troufions. Plusieurs dizaines de mètres plus loin, on a notre tireur d'élite, notre éclaireur. On lui a filé carte blanche, comme bien souvent. Il progresse, renseigne sur les couilles qu'on pourrait avoir en chemin et traite l'ennemi si besoin et possibilité. Je me perds un instant à zyeuter le décors...

Je voulais tellement pas venir ici...

Une jungle, foutue jungle. Ici, même un moustique peut te buter d'une piqûre sournoise qui te filera une merde cancéreuse qui te feras caner en plusieurs semaines dans d'atroces souffrances. Sans compter le nombre de maladies qui grouillent ici, que ton système immunitaire a pas l'habitude de croiser dans des milieux civilisés, si je sors vivant de ce stage merdique, ce sera un miracle. Oh, on a bien eu la pelle de vaccins pour lutter, mais j'y crois moyen à ces trucs qu'ils t'injectent à coup de quatre à la fois. Un à chaque épaule, les deux derniers sur les cuisses. Carton plein, quatre vaccins pour un passage éclair à l'infirmerie, de quoi te laisser pas bien pour le reste de la journée.

Z'imaginez si on tombe sur un crocodile ? C'est pas avec des balles à blanc qu'on va faire quelque chose...

Oh oui, y'a de ça aussi. Viendez sur l’îlot Flottant, la terre pour petits et grands, garanti grand frisson et paysages déroutants.
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Foutu Julius, il avait besoin de me rappeler que à tout moment je pouvais me faire chopper la jambe par un crocodile ? J'avais réussi à oublier la faune dangereuse de l'île en me concentrant que sur les marécages, l'humidité et la chaleur étouffante. Ici, on transpire à grosses gouttes bien comme je déteste. J'ai trempé mon tee-shirt depuis un moment et commencé à attaquer le haut de mon uniforme. Y'a la raie des fesses qui suintent, les pieds qui baignent dans la flotte ayant infiltrée les godasses et ma casquette censée me protéger du soleil qui se fait lourde, gorgée d'eau depuis que je l'ai mouillé au dernier arrêt. Je crois bien que mon calebard est devenu une serviette hygiénique en période de règles, et pour couronner le tout la sueur provoque des démangeaisons, ça me gonfle.

Alors ouais, j'en ai plein les miches aussi. Et j'avais pas besoin que mon pote m'offre une piqûre de rappel sur une des infinités de possibilité de mort à la con pouvant arriver. Je psychote, arrête pas de me dire que si ça se trouve, au prochain pas qui va venir s'enfoncer dans cette surface liquide à travers laquelle on voit que dalle, y'a une rangée de crocs qui vont venir me déchiqueter le mollet. Les gradés ont causé de comment ça vous mord, puis ça vous entraîne sous l'eau pour vous y noyer et mieux vous bouffer. Vraiment Julius, je te remercie pas sur ce coup. D'ailleurs, je manque pas de lui dire de fermer sa gueule la prochaine fois. Bien amicalement. Je suis là, comme un pauvre type, à guetter le moment où un alligator va surgir pour me becter, ça craint putain.

Sérieux, tu fais vraiment chier Botah !
Mais ouais ! A cause de lui je flippe ma race maintenant ! Sale commis de ses morts !


Il me fait rire ce débile de Tod, chaque fois qu'il cause j'ai l'impression de rien biter, il trouve toujours le moyen de me caler un mot de chez lui, ceux qui veulent rien dire.

Zeeeeubi ! Fais pas le fou toi, apprend à lire une carte avant de l'ouvrir !
Mais qu'est-ce qu'il me dit l'autre berlot ?!
Bouclez-la les têtes de morts ! Trente minutes de pause, je veux deux gars en surveillance, les Caporaux assurez les relais.
Reçu Sergent.


Que les deux désignés répondent d'une même voix, tandis que nous autres sommes déjà en train de souffler, exaspéré. La surveillance, ça va être pour notre gueule, comme d'habitude. J'insulte tout le monde et n'importe quoi intérieurement, 'faut toujours qu'on trouve le moyen de nous emmerder même quand on devrait se reposer. On se regarde avec Smith, avant de ricaner, devinant ce que l'autre pense. Y'a Julius qui tente d'approcher les Caporaux pour se renseigner sur les tours d'observation, pendant que le matelot de Première Classe Dan Lefosser se coltine la première dizaine de minutes. Là-dessus, un calcul très simple que même le déserteur Shlasser, un peu le plus gros abruti qu'on avait pu nous refourguer à la section, aurait pu réussir, s'opère. Observation de dix minutes à répartir sur trente, entre quatre zigues.

Va y en avoir un qui va pouvoir pioncer tranquille, le veinard. Smith vient de piger, et on zieute le malin de Botah qui lui avait anticipé l'action en allant en avance de phase tâter le terrain. Sacré bâtard celui-là, bien trop malin pour deux têtes de nœuds dans notre genre. Sans surprise, c'est lui qui est écarté. Fumier. Toddy mime de sa main un zgeg qu'on fourre de la main pleine bouche et j'y apporte les bruitages d'une visite profonde de l'intérieur de la gorge par ce zgeg. Pour toi, copain Julius.

Allez-vous faire foutre, vous deux.
Ah bien reçu !
Et tu passeras me la pomper quand t'auras fini avec celle du Sergent !
Pi-hi-hi-hi-hi-tah !
Oyééé ! Eh j'en peux plus de vous deux, bande de gamins !


C'est de bonne guerre. Ce gars et moi, on s'entend vachement bien, mais je dois avouer qu'il a une petite réputation de salope entre Premières Classes. Toujours le gars qui est bien vu, qu'on épargne, qui reçoit les éloges, qui va chercher à se mettre en avant. Le genre de petite suceuse qui va rigoler de façon exagérée à une blague pourrie d'un gradé, histoire de. Oh, moi aussi j'y rigole hein, mais parce que c'était tellement pourri que j'en suis plié. M'enfin, il est ambitieux et veut progresser vite, ça se comprend. Reste que c'est un bon pote, qui te viendras en aide s'il t'apprécie, par contre cherche pas son soutien s'il peut pas te saquer. On a juste pas la même vision de choses concernant notre évolution de carrière.

La mienne, je l'imagine plutôt stagnante. Je suis le genre de gars qui n'aime pas avoir trop de responsabilité, ça me fait chier. Trop de pression, et dieu sait comme je n'aime pas en avoir trop sur les épaules, puis plus de travail aussi. En plus de devoir gérer des mecs et ça, rien que de l'imaginer ça me gonfle. Jouer les nounous pour des bitoss pas foutus de savoir nouer les lacets de leurs rangers, non merci. J'ai seulement envie qu'on me foute la paix, qu'on me laisse faire mon taff peinard et rien d'autre.  Je suis venu défendre la veuve et l'orphelin, pas devenir le héros de tout un peuple. J'en ai franchement rien à foutre si d'ici dix ans personne ne connaît mon nom, ma vie en sera pas moins merdique. D'autant que monter en grade, c'est devoir faire encore plus gaffe à ton comportement, montrer l'exemple tout ça, pas du tout mon genre.

Crevé, je balance mon paquetage contre un arbre et m'y écroule dessus, soulagé de pouvoir mettre mes jambes au repos un temps. J'arrête de causer, priorité au repos, ça me fera pas de mal de pioncer un peu tiens.

Putain.
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Dicross ! 1h, 4h, tes secteurs d'observation. Compte rendu de tout mouvement ennemi ou non-identifié dans le secteur. Ouverture du feu si pris à parti ou si l'ennemi pénètre dans la limite d'ouverture du feu. Compte rendu à l'issu.
Reçu Caporal !


J'ai les morts, comme dirait l'autre. Parce que s'il y a bien une mission que je déteste mener en terrain de manœuvre, c'est bien cette foutue observation. Il s'y passe que dalle, en général. Tu viens te planter là, dans ta petite planque que tu viens de débusquer à l’œil, et que t'as pris possession en zieutant avant si y'a pas de plantes à la con qui piquent ou une fourmilière. Une fois ça m'est arrivée de me jeter à plat ventre dans une foutue fourmilière, pensant que c'était juste une grosse motte de terre. Des fourmis rouges, oh joie. On apprend de ses erreurs, certaines sont plus douloureuses que d'autres. Sac devant moi, allongé au sol, le torse appuyé sur le sac, bras tendus et arme au bout des mains, commence la longue et ennuyeuse séquence où tu mires le décors pendant une plombe. Le plus dur dans cet exercice, c'est de ne pas succomber à la fatigue et de finir par pioncer. Quand t'es dans l'excitation du combat et l'adrénaline, tu ressens rien et pète la forme, attends que tout ça redescende et vois ce qui se passe.

Le bon gros coup de barre d'enculé qui t’assommes.

La lutte pour ta survie s'engage dès lors que tu laisses échapper ton premier bâillement. De la survie oui, c'est ta vie que tu mets en jeu en osant fermer les yeux en mission. 'Faut se dire que dans l'institution, baisser sa vitrine est pire que de tringler la femme de ton pote. Alors t'es là, à cogiter comme un pioupiou de deux mois, faire fumer ta cervelle en t'imaginant toutes sortes de conneries qui t'occupes l'esprit et te maintiennes éveillé. Puis quand t'as épuisé le stock de merde improbables qui pourrait arriver et qui n'arriveront jamais, dans ce genre de terrain d'exercice le plus dangereux qui se produira pour toi c'est de trébucher pendant ta course et que ton menton claque sur l'arme, un aller simple pour l’inconscience assurée. Testé et approuvé, pas passé loin de tomber dans les vapes, heureusement que je suis du genre solide au mal. Tu te mets à ressasser de vieux trucs chiants, douloureux, moins chiants, moins douloureux, qui sont arrivés et que tu voudrais corriger, d'autres qui sont pas arrivés et que t'as les boules.

Pour moi, ce sera la belle Selina que j'ai rencontré quelques semaines avant de venir mourir ici, oh quelle femme... Terriblement belle, avec sa longue chevelure ébène, lisse, lui tombant jusqu'au bas des reins. Ses fesses rebondies, ses jambes un brin fine et que l'on aimerait engraisser un peu pour mieux les saisir pendant l'amour. Une petite poitrine, discrète mais efficace en sous-vêtements, ça vous tape à l’œil et vous fait tourner la tête. Comme cette façon qu'elle a de me dévorer du regard, de se mordiller les lèvres de plaisir après avoir embrassé les miennes, sa main passant à l'arrière de mon crâne, l'autre se faufilant à travers mes fringues. Oh. J'en frissonne. Sulfureuse et passionnée, son amour la consume, vous brûle et vous fait vous sentir vivant. Torturé comme je suis, je m'y abandonne, et me donne à ce grain de folie que l'on partage. Tous deux amochés psychologiquement, on se fait autant de bien que l'on s'aime, tout en se déchirant d'un amour qui vire parfois à la haine, trop souvent.

Tout cela en peu de temps oui, ça fait peur, bordel.

Dicross, alors, bien ?
Caporal. Rien à signaler, pour changer.


Il esquisse un sourire, avant de s’asseoir à mes côtés. Un bon gars ce Caporal, à faire le yo-yo entre ses deux subordonnés pour leur tailler le bout de gras et les garder motivés, en alerte. Il a bien conscience que tout ça c'est une énorme blague. Caporal Will Téré, aussi large d'épaule qu'il est grand, le mètre quatre-vingt-cinq,  peau basanée et les paluches aussi épaisses que mes cuisses. Physique monstrueux et intimidant, mais ce qui m'a toujours impressionné chez lui, c'est ses yeux ingurgités de sang en toute circonstance. Quand il vous pose un regard sévère, limite hostile, vous commencez à vous demander si vous feriez pas mieux de foutre le camp avant qu'il l'ouvre. La voix rauque, accentuée de par ses origines que j'aurais dis animale vue comme ça, mais dont je ne sais pas trop d'où qu'elles prennent racines. Le genre que j'évite soigneusement de mettre en rogne. L'avantage, c'est qu'il m'apprécie bien, quand je suis arrivé il m'a même pris sous son aile, ça m'a facilité la vie.
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Bordel d'enculé de merde !

Une spécialité de cette armée, une parmi tant d'autres, l'assaut nocturne dans les environs de deux ou trois heures du matin. Tu sais, genre après t'avoir fait poireauter toute la soirée en surveillance, la nuit bien entamée, c'est là qu'ils viennent te mâchouiller les couilles. Ouais parce que t'as beau t'être relayé avec tes potes premières classes, les gradés faisant pas de tour de garde, déconnons pas, t'es quand même bien gonflé quand t'es tiré de ton sommeil par une pseudo attaque simulée. Alors t'es là, à sortir de ton sac de couchage à la hâte, en calebard, la fiole dans les miches, l'excitation qui grimpe parce que tout autour de toi, ça canarde sec depuis les positions d'observation. T'as ton pote qui vide son chargeur de balles à blanc plus par frustration d'être debout à cette heure que par esprit de devoir. Les sous-officiers qui attaquent les compte rendus, faut bien leur trouver une occupation pendant que les autres se cassent le cul. Toi qui t'actives à enfiler ton treillis, chopper ton flingue pour remarquer que t'es bien le seul couillon du groupe à le faire.

Te fais pas chier gros, c'est déjà fini. C'était bidon, comme d'hab'. Armée de morts.

Tod, je partage régulièrement ton opinion mais là juste, va chier putain. J'ai pas la foi de lui répondre, et de toute façon ce serait pas utile, il est retourné pioncer. Je suis là comme un con, les yeux qui piquent de sommeil, le corps gelé parce que je suis bien le seul troufion à m'être bougé hors de mon sac, à claquer des dents et maudire ce terrain de merde, cette manip' merdique, ces ordres chiants. Je peste, balance mon arme par terre, flippe un coup en jetant un regard paniqué autour de moi histoire de vérifier que personne m'a vu faire un truc pareil, et retourne dormir. Demain, c'est le dernier jours des combats. Le dernier jour dans cet enfer vivant. Je sais même pas encore comment j'ai fait pour ne pas me faire sucer tout mon sang par un moustique géant ou becqueter une jambe par un crocodile, c'est un miracle. J'espère bien que ça va continuer demain, et que cette fois on aura un peu d'action, accessoirement.

En attendant, j'emmerde ce terrain. Mais ça, on commence à le savoir.
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Mais putain de merde, bousillez-lui la gueule à cet enculé !
Sergent, c'est un putain d’alligator !
Et alors ? On l'emmerde ! On est la putain de Marine !
On a des balles à blanc !
Pas tous ! Et le reste ont des machettes !


Je lui claque une gueule blasée, ma machette contre ce truc, sérieux ? Cette merde a failli m'arracher le bras quand elle a déboulée des marécages, ses crocs ont arrachés tout un pan de la manche ! J'ai le cœur qui a failli éclater à l'intérieur, j'ai frôlé l'arrêt cardiaque, et lui il veut que j'aille lui chicoter la tronche avec une pauvre machette ?! Il a bien foutu ses binocles et regardé la taille de la bestiole ? Elle est plus grosse que le Caporal Téré, et j'le vois au coin de l’œil, lui aussi il hésite à s'approcher alors qu'il vient d'un coin où ils bouffent des requins ! Alors si un colosse comme lui, qui se fout sur la gueule avec les gars de son île pour ''se tester'', comme il dit, veut pas tenter le diable, c'est pas moi qui vais m'y filer. Je suis con, un brin irréfléchi, impulsif, mais pas complètement suicidaire. Alors t'es bien gentil Sergent, mais tu vas te démerder solo avec tes balles réelles. Et à bien regarder les autres, ils ont l'air de penser pareil.

Fraternité quand tu nous tiens.

Y'a le crocodile qui claque des dents et qui semble en vouloir au pauvre Julius, qui lui se fout à paniquer et à regarder autour de lui dans l'espoir d'y apercevoir son sauveur. Là, ça change tout si c'est un pote qui est dans la merde. Je commence à me dire qu'il va falloir y aller et resserrer ma prise sur mon arme tranchante quand une masse compacte déboule sur ma droite et fond sur la bête en un éclair. L'action s'est déroulée trop vite, je me suis pas rendu compte immédiatement qu'il s'agissait du Caporal Dumoulin, un des plus anciens en service dans la section, et sans contestation l'un des plus respectés. S'étant jeté sur l'animal pour éviter à Julius de se faire déchiqueter une guibolle, le Caporal a sacrifié sa machette, dont le bois s'est brisé en deux sur le coup. S'en est suivi un face à face qui restera gravé dans nos mémoires.

Lui, du haut de son mètre soixante à peine, debout face à ce montre en puissance capable de lui arracher un membre en une fraction de secondes. Il s’efforce de l'épuiser en lui tournant autour, captivant son attention par des mouvements de bras, des gestes de la main. Un coup au-dessus de la mâchoire supérieure, un autre venant lui caresser le dessous de la mâchoire inférieur, énervant l'animal qui claque violemment des dents dans le vent. Il gesticule, agresse, mais ne fait que dépenser de l'énergie pour rien au final. Le Caporal maîtrise son sujet, et attend patiemment que sa proie soit fatiguée et alors, se jette sur son dos, opérant une pression autour de son cou et sur sa nuque de ses deux mains puissantes. Quand on voit la taille des bras et la grosseur de ses paluches, on comprend pourquoi la bestiole, en plus d'être rincée, se laisse faire.

Plus c'est gros, et plus ça se fatigue vite.

Qu'il lâche simplement, sereinement, alors qu'il maintient encore immobile l'alligator qui doit bien atteindre les deux mètres. Il lui attrape le bout de la mâchoire, lui ferme bien le tout de ses doigts et relève sa tête vers le haut.

Smith, Dicross, vos cordes. On va le museler.

On se fait pas prier pour exécuter l'ordre. Déjà parce que ce gars a plus d'autorité que le Sergent à nos yeux, et surtout parce qu'on est pressé de savoir la bestiole hors d'état de nous nuire. On serre suffisamment pour nous laisser le temps de nous barrer sans crainte, mais pas assez pour qu'il passe des heures avec ce truc lui bloquant la gueule. On sait que ça pourrait finir par lui nuire, ses mâchoires sont ses moyens de défense, on veut pas l'en priver trop longtemps. J'ai le cœur qui bat comme un damné enfermé dans une chambre close, ça résonne dans le crâne. C'est que ce petit épisode m'a pas mis bien, j'ai bien failli me pisser dessus quand le bordel s'est emballé. Je peste intérieurement, adresse un regard mauvais au Sergent, qu'est-ce qu'il peut être con celui-là parfois. Le pire, c'est qu'au fond c'est l'un des rares que je déteste pas. Il a tendance à ouvrir sa gueule quand ça lui plaît pas les ordres, et il dit ce qu'il pense. Mais putain, quel trou du cul par moment.

Je souffle un coup, redresse mon fusil, et me dit que d’ici quelques heures on en aura terminé avec cette vaste blague. J'essaie de rester positif, c'est pas maintenant qu'il faut commence à serrer. Le pire ennemi avec les terrains d'entraînements, c'est ton mental.
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MAIS PUTAIN ! MAIS T'ES SÉRIEUX ?!

C'est l'anarchie. Le foutoir complet, un bordel monstre qui nous a avalé de sa grande gueule, au petit matin, alors qu'on s'attendait à passer une autre longue journée merdique à jouer les plantes vertes dans cette jungle hostile. Et j'ai envie de dire non, allez vous faire foutre. Allez enfiler vos salopes de mères et foutez-moi la paix bande d'enculés. Mais bordel, ça fait trop de sales mots dans de si petites phrases, 'faut que j'arrête de jurer autant. Par contre, faire l'effort de ne pas montrer que j'en ai plein les couilles, ça jamais. J'ai beau savoir que rien est réel hormis les lieux où on se trouve, ça me les brise. Y'a des fusils qui claquent sans arrêt à ma gauche, sur ma droite, droit devant moi. On a atterri en ligne, les silhouettes aplati dans l'herbe, la boue et la flotte, trempé, sali et crevé. Non vraiment, je ferai pas semblant d'être content.

Les premiers ordres ont été brefs, clairs, riposter. On se laisse pas avaler par le nombre d'assaillants même si on est en train de se faire laver, on fait semblant d'y croire et on se montre agressif. L'agressivité, ça je peux faire. Je sais faire. Alors je vide mon chargeur, j’aperçois des têtes qui dépassent et m'imagine en train de les dégommer réellement. Quelque part, ça me défoule. Jusqu'à ce que le Lieutenant Tacbo Marinier, une belle espèce de petite tarlouze rousse, la fiole tachetée de points de rousseur, ambitieux et motivé comme pas deux par ce terrain qui déterminera ou pas sa capacité à diriger cette section, débarque. Il a toujours aimé s'y filer, aller au charbon, quand il s'agit de combat. Moi, de le voir à les côtés ça me rassure pas, j'en ai envie de grimacer même. La dernière fois qu'il m'a dirigé en manœuvre de ce genre, on s'est fait buter comme de vulgaires brèles.

Je le laisse discuter avec le Caporal, et me prépare au pire. Il claque un reçu qui scelle notre sort et pose un regard mi dépité, mi agacé sur moi. Je devine qu'on a reçu des ordres de merde, pour changer. On doit aller se positionner plus en avant, avec le reste du groupe, un bond d'au moins cinquante mètres. Pendant que ça ferraille tout autour, génial. A son signal, c'est la course de notre vie qu'on lâche. Cavaler dans un environnement pareil, avec un sol aussi merdique et le poids du paquetage, ça a rien de facile. Forcément faut que je me viande, la gueule en avant, avec en bonus le menton qui claque sur la carcasse de mon fusil. Je manque de m'assommer, mais je suis complètement à l’ouest. La tête en vrac et le menton en feu, je reste un moment affalé là, à me demander ce qui vient de m'arriver.

Premier réflexe, quand je retrouve un semblant de lucidité, c'est de vérifier que j'ai pas perdu une dent, et que je me suis pas arraché un morceau de langue. Le doute enlevé, je peux envisage de me redresser et aperçoit directement l'épaisse morphologie du Caporal qui me fait signe du bras de venir vers lui. J'ai le droit à une tape sur le crâne et un rire moqueur arrivé sur position.

Dicross merde ! J'ai cru que t'étais mort bouffé par un kaiman ! Tah-hi-hi-hi-hi !
J'emmerde ce terrain.
TAHI-HI-HI-HI-HI-HI 
!

Je vais me poster, sac à dos à terre, le torse appuyé dessus, fusil à l'épaule, œil sur le guidon de mon arme. J'ai le droit à un rapide topo', en gros on vient se placer ici pour couper la retraite à l'ennemi. Des renforts sont en chemin et les forces adverses risquent de chercher le repli une fois en sous-nombre. Les officiers de la Marine, énormément de stratégies basées sur du théorique, un bon gros foutoir en pratique. Il a fallu vingt bonnes minutes pour que l'aide supposée se ramener soit vraiment là. Dire qu'ils étaient pas nombreux aurait été un doux euphémisme, y'avait même pas de quoi remplacer les pertes fictives essuyées par notre section. La raison ? Ces glandus se sont fait décimer leurs rangs en chemin, et faute d'avoir pu vaincre l'ennemi, ils nous l'ont ramené avec eux.

Vous auriez du voir la tête du Lieutenant, tout heureux de voir les renforts arriver, puis de commencer à déchanter en remarquant qu'il n'en restait plus grand-chose. Puis de manquer de s’étouffer quand la vague d'ennemis nous est rentré dans le lard par l'arrière, engloutissant les renforts et nos troupes dans un même élan.

On a pas fait un pli.

L'avantage dans tout ça, c'est qu'on est rentré au campement plus tôt, la manip' était du coup terminée pour nous.
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