Cela faisait deux jours qu'il ne cessait de pleuvoir. En trombes vives, crachin timide, mais il pleuvait, toujours. Les rizières de Kawai étaient comblées, les paysans trempés. Le fleuve, gonflé, d'une peau adipeuse et grêlée des gouttes qui le nourrissaient. C'était au son de cette musique joviale que chantait le claquement sec et répété du bois. Kodaru s'en servait pour se repérer.
Lui non plus, n'avait cessé de parcourir l'île, devançant de quelques heures seulement la première averse. Il avait rencontré les maîtres des différentes écoles, un rite initiatique pour qui briguait la place du sixième senseï, celle de l'école des trois sabres, vacante depuis le décès du regretté maître Musashi. De nombreux prétendants avaient tenté leur chance, sans succès. Maîtriser le combat aux trois sabres était un filtre d'une difficulté rédhibitoire en soi, le savoir s'avérait soit perdu, soit dilué. Mais surtout, il fallait l'aval des autres maîtres. Car être un des maîtres de Shimotsuki, c'était en devenir un pan de culture entier.
L'île était repliée sur elle-même; elle l'avait toujours été. Les étrangers n'étaient pas bien vus. Bruyants, vicieux, égocentrés, irrespectueux. Les natifs les laissaient venir, les traitaient avec égards, mais les canalisaient dans la ville principale, leur y offrant toutes les attractions nécessaires à un bon séjour de dépaysement. Demeuraient bien quelques curieux ou véritables pèlerins, venus se ressourcer dans la retraite passagère ou prendre un cours de sabre dans l'enseigne de leur choix. Ces cas restaient rares et, de toute façon, beaucoup repartaient après avoir appris une leçon précise. Afin de ne pas travestir sa culture endémique, tout en offrant au pays membre de l'Assemblée des Nations une volonté d'ouverture, Shimotsuki assurait le spectacle tout en protégeant ce qui était sa véritable essence. Là était la difficulté d'intégration. Là était la tâche la plus ardue pour quiconque voulait compter parmi les six voix de la voie du sabre en ces terres imprégnées de traditions strictes.
Kodaru voyait enfin la rivière. Avec ces forêt de bambous et giboulée, une ligne horizontale se faisait bien apprécier. Le chapeau tressé lui avait considérablement épargné le haut du visage, mais tout son kimono pesait le triple de son poids. Ses gettas s'empoissaient d'une terre boueuse, la lanière coincée entre ses orteils ne cessait de glisser, à tel point qu'il recroquevillait les doigts à chaque foulée pour s'assurer de ne pas finir la plante enfoncée dans la terre meuble et les copeaux de graminées. On prétendait que ce n'était pas la destination qui importait, mais le parcours. Pour l'heure, Kodaru chérissait la ligne d'arrivée.
Quand il dépassa les derniers poteaux il vit une silhouette. Assis, de dos, dans un épais kimono blanc, Gharr ne bougeait pas. Inflexible, même par ce temps. Kodaru avança avec prudence pour ne pas troubler le méditatif, déjà soucieux d'en apprendre sur sa technique. Hadoc était un maître très apprécié sur l'île, un gradé de la Marine de surcroit. Il représentait une passerelle entre le monde extérieur et Shimotsuki, qu'il avait protégée depuis sa jeunesse tout en formant la 9ème division en garnison. Son école au sabre de bois comportait bien des mystères, à tel point que l'étranger n'en connaissait que les bases. L'art de combattre sans combattre, une philosophie martiale traduite dans la pratique du boken. Néanmoins, les talents du Commodore en tant que pur bretteur n'étaient pas en reste. Avait-il repéré Kodaru malgré sa méditation ? Et ces bruits de bois entrechoqués, étaient-ils ceux de ses élèves ? Probable, personne ne vivait ici. Kodaru songea immédiatement à ce qui apparut une évidence. Hadoc ne méditait pas, il écoutait. Il se repassait le combat dans la tête à la seule audite des coups portés plus en aval du fleuve. C'était grisant, avoir un tel être devant lui ! Il allait apprendre, comprendre l'univers qui l'entoure. Peut-être même développer le haki de l'empathie. Mais chaque chose en son temps et celui des présentations était venu.
Maître Hadoc ?
L'être assis se redressa légèrement à l'appel et se retourna. Le regard sombre, la barbe dense, une carrure épaisse, les paysans n'avaient guère menti quant au descriptif du senseï. Là où les approximations pointaient, c'était sur le reste. Les grosses joues, déjà. Puis, ces épaules massives, mais dodues. Ce kimono doublé d'une fourrure blanche et ces petites oreilles noires contrastant avec les grandes dents blanches occupées à perforer le bambou, dont les miettes pleuvaient sur un menton et un torse couverts de poils. Un panda, c'était un panda. Kodaru sursauta face au gros goinfre indifférent, qui reprit aussitôt son passe-temps favori. Les coups continuaient à se propager et, en longeant le fleuve, l'étranger perçut la silhouette immergée jusqu'aux épaules, à côté du pont qu'elle était en train de bâtir.
Kodaru observa l'ouvrage et l'homme occupé à le réaliser. Oeil sombre, barbe dense et brune, teint mat, espèce humaine, ce devait être lui cette fois. Qui d'autre, de toute façon ? Hadoc construisait un appontement, dont chaque latte de bois était un hémisphère de bambou posé comme une tuile, percé aux extrémités et lié de fibres souples. C'était rudimentaire, mais bien réalisé. Sur la berge, un monticule ordonné laissait imaginer l'ampleur de la tâche finie. Les sons de percutions, c'était l'homme qui fixait et éprouvait ses planches en tapant dessus avec un gourdin de bois semblable à ceux que devaient employer les primitifs avant les premières forges. Du reste, les quelques instruments laissés près du tas de bambous étaient en bois taillé sans fioritures. Rien en métal, l'école au sabre de bois semblait puiser son nom dans sa littéralité.
Comme le maître ne semblait réagir ni à la vue, ni à la voix de Kodaru, ce dernier se résigna à protéger ses cheveux de l'averse et ôta son chapeau, s'en servit de corbeille pour son kimono qui sera au moins protégé de la boue, puis apporta au bâtisseur les tuiles suivantes, ainsi que la corde. Hadoc le remercia d'un hochement de tête et l'inclut immédiatement dans les travaux. Les deux hommes n'échangèrent aucun mot, seulement des onomatopées en coups de marteaux qui répondaient aux rires de la pluie.
Lui non plus, n'avait cessé de parcourir l'île, devançant de quelques heures seulement la première averse. Il avait rencontré les maîtres des différentes écoles, un rite initiatique pour qui briguait la place du sixième senseï, celle de l'école des trois sabres, vacante depuis le décès du regretté maître Musashi. De nombreux prétendants avaient tenté leur chance, sans succès. Maîtriser le combat aux trois sabres était un filtre d'une difficulté rédhibitoire en soi, le savoir s'avérait soit perdu, soit dilué. Mais surtout, il fallait l'aval des autres maîtres. Car être un des maîtres de Shimotsuki, c'était en devenir un pan de culture entier.
L'île était repliée sur elle-même; elle l'avait toujours été. Les étrangers n'étaient pas bien vus. Bruyants, vicieux, égocentrés, irrespectueux. Les natifs les laissaient venir, les traitaient avec égards, mais les canalisaient dans la ville principale, leur y offrant toutes les attractions nécessaires à un bon séjour de dépaysement. Demeuraient bien quelques curieux ou véritables pèlerins, venus se ressourcer dans la retraite passagère ou prendre un cours de sabre dans l'enseigne de leur choix. Ces cas restaient rares et, de toute façon, beaucoup repartaient après avoir appris une leçon précise. Afin de ne pas travestir sa culture endémique, tout en offrant au pays membre de l'Assemblée des Nations une volonté d'ouverture, Shimotsuki assurait le spectacle tout en protégeant ce qui était sa véritable essence. Là était la difficulté d'intégration. Là était la tâche la plus ardue pour quiconque voulait compter parmi les six voix de la voie du sabre en ces terres imprégnées de traditions strictes.
Kodaru voyait enfin la rivière. Avec ces forêt de bambous et giboulée, une ligne horizontale se faisait bien apprécier. Le chapeau tressé lui avait considérablement épargné le haut du visage, mais tout son kimono pesait le triple de son poids. Ses gettas s'empoissaient d'une terre boueuse, la lanière coincée entre ses orteils ne cessait de glisser, à tel point qu'il recroquevillait les doigts à chaque foulée pour s'assurer de ne pas finir la plante enfoncée dans la terre meuble et les copeaux de graminées. On prétendait que ce n'était pas la destination qui importait, mais le parcours. Pour l'heure, Kodaru chérissait la ligne d'arrivée.
Quand il dépassa les derniers poteaux il vit une silhouette. Assis, de dos, dans un épais kimono blanc, Gharr ne bougeait pas. Inflexible, même par ce temps. Kodaru avança avec prudence pour ne pas troubler le méditatif, déjà soucieux d'en apprendre sur sa technique. Hadoc était un maître très apprécié sur l'île, un gradé de la Marine de surcroit. Il représentait une passerelle entre le monde extérieur et Shimotsuki, qu'il avait protégée depuis sa jeunesse tout en formant la 9ème division en garnison. Son école au sabre de bois comportait bien des mystères, à tel point que l'étranger n'en connaissait que les bases. L'art de combattre sans combattre, une philosophie martiale traduite dans la pratique du boken. Néanmoins, les talents du Commodore en tant que pur bretteur n'étaient pas en reste. Avait-il repéré Kodaru malgré sa méditation ? Et ces bruits de bois entrechoqués, étaient-ils ceux de ses élèves ? Probable, personne ne vivait ici. Kodaru songea immédiatement à ce qui apparut une évidence. Hadoc ne méditait pas, il écoutait. Il se repassait le combat dans la tête à la seule audite des coups portés plus en aval du fleuve. C'était grisant, avoir un tel être devant lui ! Il allait apprendre, comprendre l'univers qui l'entoure. Peut-être même développer le haki de l'empathie. Mais chaque chose en son temps et celui des présentations était venu.
Maître Hadoc ?
L'être assis se redressa légèrement à l'appel et se retourna. Le regard sombre, la barbe dense, une carrure épaisse, les paysans n'avaient guère menti quant au descriptif du senseï. Là où les approximations pointaient, c'était sur le reste. Les grosses joues, déjà. Puis, ces épaules massives, mais dodues. Ce kimono doublé d'une fourrure blanche et ces petites oreilles noires contrastant avec les grandes dents blanches occupées à perforer le bambou, dont les miettes pleuvaient sur un menton et un torse couverts de poils. Un panda, c'était un panda. Kodaru sursauta face au gros goinfre indifférent, qui reprit aussitôt son passe-temps favori. Les coups continuaient à se propager et, en longeant le fleuve, l'étranger perçut la silhouette immergée jusqu'aux épaules, à côté du pont qu'elle était en train de bâtir.
Kodaru observa l'ouvrage et l'homme occupé à le réaliser. Oeil sombre, barbe dense et brune, teint mat, espèce humaine, ce devait être lui cette fois. Qui d'autre, de toute façon ? Hadoc construisait un appontement, dont chaque latte de bois était un hémisphère de bambou posé comme une tuile, percé aux extrémités et lié de fibres souples. C'était rudimentaire, mais bien réalisé. Sur la berge, un monticule ordonné laissait imaginer l'ampleur de la tâche finie. Les sons de percutions, c'était l'homme qui fixait et éprouvait ses planches en tapant dessus avec un gourdin de bois semblable à ceux que devaient employer les primitifs avant les premières forges. Du reste, les quelques instruments laissés près du tas de bambous étaient en bois taillé sans fioritures. Rien en métal, l'école au sabre de bois semblait puiser son nom dans sa littéralité.
Comme le maître ne semblait réagir ni à la vue, ni à la voix de Kodaru, ce dernier se résigna à protéger ses cheveux de l'averse et ôta son chapeau, s'en servit de corbeille pour son kimono qui sera au moins protégé de la boue, puis apporta au bâtisseur les tuiles suivantes, ainsi que la corde. Hadoc le remercia d'un hochement de tête et l'inclut immédiatement dans les travaux. Les deux hommes n'échangèrent aucun mot, seulement des onomatopées en coups de marteaux qui répondaient aux rires de la pluie.
Dernière édition par Gharr Hadoc le Mar 26 Mar 2019, 17:02, édité 1 fois