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Montrer les dents (Partie II)

MONTRER LES DENTS (Partie 2)



I. Mission infiltration



                  Farros commençait à avoir mal au dos à force d’être assis par terre, recroquevillé derrière des caisses pour éviter de se faire repérer. De plus, il commençait à faire chaud. Ça faisait quelques heures maintenant que le jeune homme et une trentaine de marins patientaient en silence dans ce bateau pirate.

Le groupe était parvenu à embarquer clandestinement en direction du repère du terrible pirate Lokiri Gootey, un escroc doublé d’un voleur. Farros avait promis à Campscotch qu’il l’aiderait à récupérer son navire, et il comptait bien tenir sa promesse. Sans oublier le pauvre Moglo, dont la sœur était retenue prisonnière. Il espérait d’ailleurs que le colosse ne craquerait pas une fois sur l’île des bandits.

Il fallut encore patienter quelques heures avant de pouvoir entendre le bruit de l’ancre qui venait d’être jetée. Farros pouvait sentir le stress de ceux qui l’accompagnaient. Comment leur en vouloir, après tout ? Ils s’apprêtaient quand même à attaquer un repère de pirate.

Farros devait faire vite et rester discret. La réussite du plan pesait sur ses épaules, et des vies étaient en jeu. Il sortit la tête en dehors de la cale, cherchant du regard le rouquin qui les avait amenés sur l’îlot à son insu. Il l’aperçut en compagnie de Moglo : ils avaient déjà posé le pied sur la petite île.

L’endroit était bien inhospitalier, et l’on pouvait deviner sans peine qu’il s’agissait là d’un campement de fortune. Rien d’étonnant de la part d’un groupe de pirates. L’îlot était majoritairement composé de rochers, de très peu de sable et la seule végétation que l’on pouvait relever était la mousse qui recouvrait les pierres. Le bon côté des choses, c’est que l’endroit ne manquait pas de cachettes.

Farros repéra un rocher particulièrement grand à une vingtaine de mètres du bateau. Il en fit part à ses camarades, qu’il invita à aller se cacher derrière. On ne savait jamais, il n’était pas exclu que quelqu’un aille chercher quelque chose dans la cale du bateau. Le groupe de pêcheur prit soin d’emporter avec eux les deux hommes que Farros avait assommé. Ils pouvaient servir d’otage, même s’il était peu probable que Lokiri soit du genre à s’inquiéter de pareils détails.

Le jeune homme dut insister pour que Campscotch accepte de le laisser partir seul en éclairage. Avec sa jambe en bois, le capitaine aurait eu vite fait de les faire repérer.

Farros ne lâchait pas l’envoyé de Lokiri, restant toujours à une certaine distance. Plus il avançait et plus il se retrouvait entouré par des pirates, tantôt assis autour de feux de camp, tantôt montant la garde sur des plateformes de bois improvisées.

Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils étaient bruyants. Et odorants. Point intéressant, Farros ne semblait pas apercevoir de femme parmi le groupe de bandits. Sans doute ne faisaient-elles pas long feu, s’ils les traitaient toutes comme la sœur de Moglo.

Le jeune cuisinier s’arrêta soudainement lorsqu’une voix l’interpella. Elle était bien trop aiguë pour qu’il s’agisse d’un homme. Et trop vulgaire pour qu’on en retranscrive les propos. Il tourna la tête dans la direction d’où venait la voix féminine. Il vit alors une fille à la chevelure noire en train de déverser tout un flot d’insultes vers celui qui semblait être son geôlier :

- Tu vas la fermer toi ! T’as de la chance que ton frère ramène des sous au patron, sinon j’t’aurais déjà buté depuis longtemps ! Hurla le gardien.

- J’aimerais bien voir ça ! Lui répondit la jeune femme, lui crachant au visage.

Farros devina qu’il s’agissait là de Mogla. C’était le moment, il devait lancer le signal. Il jeta un bref coup d’œil autour de lui. Ce qu’il cherchait ne devait pas être difficile à trouver dans un endroit pareil.

Mogla, la sœur de Moglo:

En effet, son regard se posa sur un pistolet, posé sur une boîte de munitions. Ses camarades n’étaient pas loin, et devraient rappliquer rapidement. Après avoir vérifié qu’il n’était dans le champ de vision d’aucun des pirates malodorants, il attrapa le pistolet et vérifia qu’il était bien chargé. Il n’avait aucune expérience avec les armes à feu, mais pour ce qu’il allait en faire, il n’en aurait pas besoin.

La prison dans laquelle se trouvait Mogla, la sœur de Moglo, était dans une grotte creusée à l’intérieur d’un rocher relativement grand. Farros l’escalada, prenant soin de ne pas glisser. A cette hauteur, la chute pouvait déjà être un problème.

Une fois au sommet du rocher, il brandit le pistolet et tira trois coup en l’air. C’était le signal. Ses partenaires de combat seraient là d’un instant à l’autre. Le jeune homme se hâta de renverser le contenu d’une bouteille d’huile d’olive – qu’il avait accroché à sa ceinture de cuisinier – autour de lui, rendant la roche particulièrement glissante. Comme quoi, le combat contre Moglo lui aurait appris une technique.
Il était hors de portée des balles de ceux qui se trouvaient dix mètres plus bas, et les pirates ne parviendraient pas à atteindre le sommet du rocher. Pour descendre par contre, rien de plus facile : il lui suffisait de glisser sur la surface huileuse en espérant ne pas faire de chute mortelle. Super.

Au bout d’une minute, Farros entendit enfin les cris de ses camarades qui fonçaient au combat. Il était loin de se douter qu’il venait de s’engager dans une bataille qui le marquerait à vie.


Dernière édition par Farros le Dim 31 Mar 2019, 15:16, édité 3 fois
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II. Au cœur de la bataille



                 Les pirates avaient fini par abandonner l’idée de grimper sur le rocher huileux pour atteindre Farros. C’était l’occasion pour le jeune homme d’en descendre et prendre part au combat.

Il se laissa glisser avec précaution. Une fois au sol, il se hâta vers l’entrée de la grotte qui servait de prison. Elle n’était pas très grande, ainsi la cellule en occupait toute la superficie. Mogla n’était pas la seule à être enfermée ici. Une dizaine de femmes l’accompagnaient, sans doute d’autres victimes de la barbarie de ces pirates.

Farros se fraya un chemin avant de tomber nez à nez avec le garde de la prison. Il était certes armé d’un fusil, mais c’était un lourdaud, et le jeune homme n’eut aucun mal à le mettre hors d’état de nuire.

Il attrapa le trousseau de clé que le pirate gardait dans sa poche et s’attela à déverrouiller les cellules. Mogla se contenta de lui jeter un regard suspicieux avant de s’adresser à ses camarades de cellules :

« Bon les filles ! On va récupérer des armes sur ceux qui sont déjà à terre ! Battons-nous ! ».

Un groupe d’hommes s’approcha, persuadés d’être en situation de force face à Farros et aux prisonnières. Ils s’étaient bien trompés, et c’était peu dire. Les femmes se débrouillaient plutôt bien avec une arme à la main, en particulier Mogla. Maniant le sabre, elle désarmait ses adversaires en un rien de temps. Elle prit un malin plaisir à en balancer quelques-uns dans la cellule dont elle venait de sortir. C’était à se demander comment ils étaient parvenus à l’enfermer.

Farros avait à peine le temps de souffler. Ses adversaires n’étaient pas particulièrement forts, mais ils étaient nombreux. Alors qu’il faisait mordre le sol à l’un des pirates, un des marins de l’équipage de Campscotch vint l’interpeller :

- Ah ! Farros ! Enfin je te trouve ! Il fallait que je te prévienne. Pendant qu’on attendait près du gros rocher, on a vu quelques pirates s’approcher du bateau dans lequel on est arrivés. Ils cherchaient peut-être de la marchandise, mais comme ils en sont ressortis bredouilles, je pense qu’ils cherchaient plutôt autre chose !

- Arf… Tu crois que Moglo a vendu la mèche ?

- Possible.

- Moglo ? Vous avez vu mon frère ? Intervint Mogla.

- Euh, oui, dit Farros, essayant de se concentrer malgré la bataille qui faisait rage. C’est lui qui nous a guidé jusqu’ici pour te libérer.

- Non. Non, non, non. C’est pas possible. Il est bien trop à la botte de Lokiri pour avoir fait une chose pareille. Le connaissant, même avec une armée de cent géants, il n’aurait pas osé.

- Tu veux dire que ?

- On doit le retrouver avant qu’il ne fasse une connerie.

- Arf…

Farros lui fit signe d’ouvrir la marche : elle en savait bien plus sur l’endroit. Il fallait rester en mouvement pour éviter de se prendre des balles. Heureusement pour eux, il semblait qu’une bonne partie des pirates avaient un petit coup dans le nez. Farros cru même en apercevoir un tirer sur son compagnon.

Mogla lui montra une espèce de cabanon, un peu plus loin : « Tu vois là-bas ? C’est ici qu’habite Lokiri. Si Moglo est allé quelque part, c’est sans doute par là. ». Farros avait du mal à comprendre ce qui était en train de se passer. Moglo n’aurait jamais eu l’intention de s’allier avec lui depuis le début ? Il avait du mal à se faire à une telle idée. Peut-être le colosse était-il moins niais qu’il le semblait.

Alors que Farros et Mogla s’apprêtaient à atteindre le bastion de bois, un homme vint leur barrer le chemin. Il s’agissait de l’homme à la chevelure rousse qui les avait conduit jusqu’ici. Il les interpella :

- Alors comme ça vous pensiez que c’était si facile de me berner ? Et bien figurez vous que ce n’est pas pour rien que je suis l’homme en qui le Capitaine Lokiri a le plus confiance ! Eh oui ! Ça vous en bouche un coin, hein ? Moi, le terrible Saarlo, celui dont les légendes content les exploits ! Lui-même ! J’ai bravé mille tempêtes, vaincu mille monstres marins, combattu contre…

- Tu parles beaucoup, le coupa Farros, penchant la tête sur le côté.

- Dis nous où est Moglo, sale chien ! L’insulta Mogla.

- Laisse les chiens en dehors de tout ça, glissa Farros.

- Il est avec le capitaine en ce moment, si tu veux tout savoir. Mais peu importe ! Tu n’auras plus l’occasion de lui parler puisque tu es Face au terrible Saarlo, la terreur des mers ! L’homme qui…

- Ça suffit !

Mogla se lança sur le rouquin, qui, bien qu’il fût une grande gueule, savait manier le sabre. Malgré tout, d’un geste habile, Mogla fendit l’air de son sabre, ouvrant en deux le ventre proéminent de son adversaire.

Farros laissa échapper une grimace. Il n’avait pas l’habitude de voir ce genre de scène. « Va falloir que tu t’y habitues, si tu compte continuer à aider des gens que tu connais pas. » lui lâcha Mogla sur un ton de critique.

Une fois arrivé à la cabane de bois, ils ouvrirent la porte. A l’intérieur, on y trouvait un petit salon composé de vieux meubles. Il n’y avait personne. Mogla s’avança et déplaça une planche qui camouflait l’entrée d’un escalier souterrain.

Ils descendirent jusqu’à arriver dans une caverne agencée pour que la vie y soit possible : lit, bain, la totale. Au centre de la pièce, face à eux, se trouvaient trois hommes. Les deux inconnus étaient assez grands pour tenir tête au colosse qui les accompagnait.

« Ah, te voilà enfin, Mogla ! Oh ! Et qui vois-je ? Tu as amené un petit copain ! Laisse moi me présenter dans ce cas. Je suis Lokiri Gootey, enchanté. Mais appelle moi Lokiri, je t’en prie. Et toi, jeune homme, quel est ton nom ? »

Le capitaine Lokiri Gootey:
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III. L’odeur du sang



                   C’était donc lui. L’exécrable Lokiri Gootey. L’homme devait avoir la cinquantaine, il portait une tenue de qualité, mais ne l’entretenait visiblement pas. Il avait du la voler à quelqu’un, elle aussi. Il avait des cheveux plutôt longs, ébouriffés, une barbe mal taillée et un sourire sadique qui ne lui quittait pas le visage.

« Et bien alors ? Tu es muet, jeune homme ? Dis-moi, qu’est-ce qui t’as pris de sauver une diablesse comme Mogla ? As-tu seulement la moindre idée du caractère de cette jeune femme ? » ria le capitaine pirate.

Farros fronça les sourcils. Quelque chose chez cet homme le dérangeait particulièrement. Ce n’était pas qu’un escroc, non. C’était aussi un sacré connard, visiblement. Mogla ne pu pas s’empêcher de lui répondre :

- Ta gueule, tête de fouine !

- Mogla, Mogla, Mogla… Est-ce bien là une façon de parler devant ton grand frère ? Lui dit Lokiri en faisant la moue.

- Moglo… Tu comprendras donc jamais ? Lokiri est un connard ! Il se sert de nous depuis des années ! On a enfin l’occasion de s’enfuir, alors allons-y ! Viens !

- Mogla… Lokiri nous a aidé quand maman est morte… Sans lui on serait mort aussi… Pleura le colosse.

- Aidé ? Aidé ?! Non, Moglo ! Il nous a acheté à papa pour qu’on le serve ! C’est tout ce qu’il a fait !

- Voyons, Mogla… Tu sais bien que votre père ne serait jamais parvenu à subvenir à vos besoins… Ton frère à raison, vous me devez la vie !

- Pourriture !

- Et toi, là, jeune homme ? Tu ne m’as toujours pas dit mot ? Est-ce le fait de me rencontrer qui te tétanise ?

- Rendez moi le navire de Campscotch, répliqua Farros en grinçant des dents.

- Campscotch ? Ha ! Haha ! C’est donc ce vieux loup de mer qui t’envoie ? Il aurait pu me le dire, quand on s’est revus…

- Comment ça ?! Où est le capitaine ? Répondez !

- Le capitaine ? En voilà un bien grand mot pour qualifier ce marin d’eau douce… Tu veux son bateau ? Soit. As-tu les Berries que j’ai demandé ?

- Connard…

- En voilà un bien vilain mot ! Vois-tu, Mogla ? Vous vous connaissez à peine depuis un moment et tu as déjà une mauvaise influence sur lui.

Lokiri dirigea son regard vers le troisième homme, sans jamais lâcher son sourire malsain. « Hortis, mon frère, veux-tu bien faire sortir notre vieil ami de sa niche ? Il s’est assez reposé comme ça. » lui dit-il. Le dénommé Hortis ne lui répondit pas et se contenta de s’exécuter. Si Lokiri avait un sourire malsain, son frère quant à lui avait un sourire bestial, presque diabolique.

Hortis Gootey, le cadet:

Hortis se dirigea vers une grande caisse en bois et souleva le couvercle. Ce qu’il en sortit fit s’hérisser les poils de Farros. Il jeta la masse sur le sol. Campscotch gisait là, à moitié inconscient, le corps recouvert de bleus. « Tu ne m’en voudras pas, mon petit frère s’ennuyait en vous attendant tous les deux. Je l’ai donc laissé s’amuser un peu. » lança Lokiri à Farros.

Le jeune homme commençait à sentir ses muscles se crisper, son sang bouillir. Farros n’acceptait pas que l’on touche à ses amis, et ce qu’il était en train de voir le révoltait plus que tout. Il se prépara à se jeter sur les ignobles pirates. Avant qu’il ne passe à l’attaque, une voix l’arrêta :

- N-non Farros… Pars, ce n’est pas la peine de risquer ta vie pour le vieux débris que je suis…

- Capitaine ! Hurla Farros.

- Je… Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler comme ça…

- Comme c’est émouvant ! Dis-moi, Campscotch, j’ai une proposition à te faire. Et si tu m’échangeais ce jeune garçon contre ton navire ? J’en profiterai pour récupérer la petite teigne au passage, bien sûr…

- Jamais ! Plutôt mourir ! Farros ! Enfuies-toi !

- Mourir ? Mais quelle drôle d’idée !

- Qu’est-ce que tu comptes faire de moi ?

- Bonne question, bonne question. Tu es certain ne pas vouloir me vendre le jeune homme ?

- Par pitié ! Fais ce que tu veux ! Vends-moi en tant qu’esclave, si tu le souhaites !

- Te vendre ! Voyons, Campscotch… Ne sois pas ridicule… Qui voudrait d'un vieillard comme toi ? Non, je préférais clairement ta première proposition… Occupe-toi de lui, Hortis.

Tout se passa si vite. Le frère de Lokiri brandit une sorte de gourdin équipé d’un pic tranchant sur le côté et, d’un geste brut, éventra le Capitaine Campscotch.

La vision de Farros se troubla. Ses pupilles rétrécirent face au spectacle auquel il venait d’assister. Mogla pointa un pistolet sur Lokiri qui aurait probablement tenté de s’interposer. Farros bondit de plusieurs mètres, sans qu’aucun élan ne soit nécessaire. Il n’avait jamais été aussi rapide, il ne s’était jamais senti aussi fort. Il ressentait une rage sans pareil. Il désarma Hortis d’un violent coup de pied, avant de rouer son visage de ses poings.

Tout se passa si vite. Le frère de Lokiri était mort.

Pourtant, Farros ne pouvait pas retenir ses coups. Il continuait de frapper sans jamais s’arrêter. Il frappait à s’en abimer les phalanges. Ses larmes se mélangeaient au liquide rouge qui s’échappait du visage du défunt. Et cette odeur nauséabonde… Aucun doute, c’était l’odeur du sang.
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IV. Savoureux souvenirs



                 Un homme déboula des escaliers, criant, joyeux : « Farros ! Capitaine ! On les a tous eu ! On a gagné ! ». Lokiri profita de ce moment de distraction pour foncer en direction de la sortie. Il se doutait sûrement qu’à deux contre trente, ils ne gagneraient pas. Il attrapa rapidement une boîte sur un tonneau avant de monter les escaliers, tranchant la gorge du pauvre marin au passage. Moglo le suivit, malgré les cris de protestation de sa sœur.

Farros ne réalisait même pas qu’il venait de tuer un homme. Il se pencha au-dessus du capitaine Campscotch, qui respirait encore difficilement :

- Campscotch ! Vous allez survivre, n’est-ce pas ?

- Mon p’tit Farros… Merci pour tout ce que tu as fait pour moi… Maintenant, oublie cette histoire et retourne à tes aventures. Tout ça ne te concerne plus… Tout ça ne t’a jamais concerné, à vrai dire… Quel égoïste je fais…

- Arf, Campscotch… Taisez-vous…

- Au revoir, Farros… Je te souhaite une vie heureuse.

- Campscotch… souffla le jeune homme sans contrôler les larmes qui coulaient de son visage.

- Tu veux dire capitaine Campscotch… Rit le vieux loup de mer.

Ce sourire ne quitterait jamais le visage du capitaine Campscotch, qui venait de faire ses adieux à Farros.

Mogla aida le jeune homme à se lever, visiblement choquée par la scène à laquelle elle venait d’assister. Elle s’adressa à lui : « Allez, viens. Il faut qu’on rattrape ce salaud. On n’a pas le temps de faire notre deuil maintenant. ». Farros lui lança un regard vide. Tout se chamboulait dans sa tête. Qu’est-ce qui venait de se passer ? Jusque-là, le seul deuil qu’il avait eu à faire, c’était celui de son grand-père.

Malgré tout, il n’opposa pas de résistance lorsque Mogla lui rappela que le temps pressait. Il lui demanda juste de l’aider à soulever le cadavre du capitaine, qu’il porta tant bien que mal sur son épaule. Il se fichait d’être couvert de sang. Le capitaine devait avoir droit à un enterrement digne de ce nom. Seulement, ils n’avaient pas le temps pour ça et il le savait. Mogla n’avait pas besoin de lui rappeler.

La jeune femme courait aussi vite que possible derrière Lokiri, qui avait déjà pris pas mal d’avance. Farros la suivait aussi vite que possible, mais le poids et l’émotion le ralentissaient.

C’était trop tard lorsqu’il arriva sur la plage rocailleuse. Lokiri avait déjà pris le large, accompagné par le colosse. Mogla pesta : « Merde ! Bon. On va prendre ce bateau de pêche, là. Je vais dire à tous les marins de monter à bord, j’ai une idée de la direction que prend ce sale rat. ».

Elle se retourna, constatant l’absence de réponse de Farros :

- Hého ? Tu m’as entendu ? Faut qu’on se bouge !

- Laisse moi un instant, lui répondit Farros.

- On n’a pas le temps !

- Tu as bien dit que tu avais une idée de la direction qu’avait pris Lokiri, non ? Lui dit-il sèchement.

- Oui, mais…

- Dans ce cas, laisse moi un instant. Je serais rapide.

- Et merde, fais ce que tu veux.

Farros passa les dix minutes suivantes à préparer une cérémonie pour Campscotch. Il détacha la chaloupe du bateau de pêche, allongea le vieux capitaine dedans et lui ferma les yeux. Autour de lui, les marins commençaient à se rassembler, en pleurs. Une fois qu’il eût fini, il la rattacha au navire.

Plus tard, alors qu’ils avaient quitté l’île depuis un moment déjà, le jeune homme invita l’équipage à se rassembler. Tous avaient eu le temps de se décrasser et de se débarrasser du sang qui leur couvrait le corps. Ils effectuèrent une minute de silence devant l’embarcation qui emmènerait le capitaine Campscotch loin d’eux, définitivement. Farros invita les pêcheurs à verser le contenu de leurs bouteilles d’alcool dedans. Au moins, il n’en manquerait plus, désormais. Il déposa un drap blanc sur l’ensemble du corps du capitaine et détacha la barque qui tomba à l’eau.

Le capitaine n'était pas le seul à avoir perdu la vie pendant cette bataille. Les pêcheurs pleuraient aussi leurs compagnons. Cette modeste cérémonie était lourde de sens pour l'équipage.

Une fois la chaloupe à quelques mètres d’eux, le jeune homme y lança une allumette. Le rafiot de bois prit feu aussitôt. Le navire continuait à s’avancer, s’éloignant peu à peu de l’embarcation enflammée.

Mogla était elle aussi restée silencieuse. Elle était surtout concentrée sur le navire de Lokiri, qui n’était plus qu’un point à l’horizon. Farros s’approcha :

- Merci.

- Pourquoi ?

- Arf… Je sais qu’on a perdu du temps à cause de tout ça, mais ça me tenait à cœur.

- C’est normal. Je… Je suis désolée pour ce qui est arrivé à ton ami.

Farros resta silencieux. Il ne savait pas vraiment quoi dire, et parler de Campscotch lui serrait le cœur. Il lui faudrait encore du temps. Il changea de sujet, pointant du doigt la carte entre les mains de Mogla :

- Donc tu es navigatrice ?

- Exact. Tu sais, j’ai un peu appris à mes dépens. Cette pourriture de Lokiri a commencé à m’apprendre ça quand j’avais six ans. Il avait besoin de quelqu’un qui puisse s’en occuper à sa place pendant qu’il buvait ou batifolait avec ses putains. Ironie du sort, j’ai bien l’impression que ça va se retourner contre lui.

- Ah oui, c’est vrai. Tu disais que tu avais une idée de la direction qu’il prenait ?

- Shell Town. Il a un magot sur cette île, et le bougre aime bien trop l’argent pour le laisser là-bas en sachant que je connais cette cachette et que je pourrais bien aller récupérer tout ça pour ma pomme. Le seul problème, c’est que je connais pas son emplacement exact. Il a certainement l’intention de le récupérer puis de l’amener sur une autre île.

- Shell Town, tu dis ? C’est là-bas que j’suis né. Je connais quelqu’un qui s’y rend de temps en temps et qui pourrait bien nous aider.

- Qui ça ?

- Aleister, un ami que je me suis fait à Pétales. Il vient de Shell Town, lui aussi, et y passe pas mal de temps. Il va peut être croiser Lokiri. On le remarque facilement, après tout.

- Je vois.

Farros aurait bien sûr pu envisager de demander de l’aide à sa famille, mais il voulait les préserver de cette histoire.

Le temps passait et il faisait nuit, désormais. Les marins informèrent Farros qu’ils avaient pêché de quoi cuisiner. Le jeune homme leur dit de le laisser faire, qu’il s’en occuperait. Ça lui rappelait les repas qu’il avait pu faire quand l’équipage du capitaine Campscotch l’avait accueilli, il y a maintenant plus d’un an.

Il fit griller le poisson fraîchement pêché, ajoutant les quelques épices qui lui restaient dans sa ceinture. Un délicieux fumet se dégageait de la préparation, réconfortant le cœur de l’équipage en deuil. Il était parvenu à dorer magnifiquement le poisson, sans en cramer le moindre recoin.

Le rire du capitaine raisonnait dans sa tête. Il se rappelait les soirées arrosées où le vieux Campscotch mettait l’ambiance à lui tout seul. Ils avaient aussi vécu quelques aventures. Il n’était pas prêt d’oublier la fois où ils s’étaient fait attaquer par un monstre marin. Désormais, il ne le reverrait plus. Quelques larmes vinrent s’évaporer sur la braise où grillait le futur repas.
Il invita les autres à passer à table.

Prochaine destination : Shell Town. Le jeune homme aurait aimé retourner sur sa terre natale dans d’autres conditions.
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