Le jour où tout a basculé
I.
A la rencontre de Van Horn.
Le commandant d'élite Mountbatten est demandé dans le bureau du commandant Kimblee.I.
A la rencontre de Van Horn.
Le réseau d'escargophones installés dans la base répétait cet ordre, dicté par une voix nasillarde. Les soldats s'affairaient dans tous les sens et ne réagissaient pas, continuant leur tâche. Seul le concerné fut interpellé. Une visite dans le bureau de son supérieur n'était jamais qu'une visite de courtoisie, d'autant plus que les deux hommes ne s'appréciaient guère. Alors, il traversa le camp, enjambant les flaques, essayant de ne pas trop s'enfoncer dans la boue. Une véritable base, faite de matériaux solides, étant en cours de construction. Jusque-là, les marins devaient se contenter d'un gigantesque campement abritant tout une division, avec des installations de fortune qui avaient du mal à tenir face à une telle pluie.
Mount parvint jusqu'à la tente de Kimblee. Le chef de la quarante-huitième occupait l'un des rares édifices solides que comptait la garnison. C'était une maison, qui n'avait pas non plus été épargnée par les marques de la guerre. Le toit s'effritait, des balles se logeaient encore dans les murs extérieurs. Mais au moins, c'était bien plus confortable que les tentes réglementaires de la Marine. Le Marijoan entra dans ce modeste bâtiment gris, se faisant saluer par les deux gardes à l'entrée. Il gravit les marches et arriva à l'étage, où se trouvait les parties personnelles de son chef.
TOC TOC TOC.
- Entrez !
Il active la poignée et se mit au garde à vous devant l'homme au chapeau blanc. Kimblee Fujimi était un grand pâle, qui affectionnait particulièrement les vêtements aux couleurs claires, même quand le temps ne s'y prêtait pas. Celui-ci balaya d'un revers de la main les manières du Fantôme, et l'invita à s'assoir, sans même prendre le temps de le regarder dans les yeux. Il écrivait un énième rapport. Le poste de chef de division s'apparentait aussi à celui de bureaucrate ; et c'est précisément pourquoi il souhaitait devenir colonel d'élite le plus vite possible. Moins d'obligations, plus de liberté d'action. Un poste en or pour un tel chient fou, qui méprisait les tracas administratifs et l'enfermement dans un bureau.
- Commandant Mountbatten, je vous informe de votre nouvelle affectation. Comme vous le savez, le duc Van Horn a récemment été placé sur le trône, succédant au roi Malzahar.
- Affirmatif.
- C'est vous et votre unité qui serez en charge de sa protection au palais royal d'Aldebaran. Avec plus ou moins trois cents hommes sous la main, j'imagine que vous saurez le défendre contre tous les risques qu'il encoure. N'est-ce pas ?
Kimblee leva pour la première fois les yeux vers son interlocuteur, marquant ainsi ses dernières paroles d'une solennité singulière. Son regard perçant, naturellement agressif, marqua Mountbatten. Il leva inconsciemment un sourcil vers le haut. Il avait l'impression qu'il ne lui disait pas tout.
- Bien sûr, mon commandant.
- Bien. Vous prendrez vos fonctions demain, le temps d'informer vos hommes de leur nouvelle mission.
- Combien de temps resteront nous en place ?
- Le temps que les choses se calment sur Vindex, le temps que nous supprimions les derniers ennemis du Gouvernement Mondial de l'île. Cela peut prendre… quelques semaines, à quelques mois.
- Autant de temps ?!
- Je comprends votre frustration. Je me suis plains à l'administration qu'on nous a envoyé, en leur martelant que ce n'était pas le rôle de la Marine d'élite que d'assumer de tels rôles. Mais bon, ça n'a rien changé.
- Et bien… De toute façon, je crois qu'on n'a pas le choix…
- Tout à fait. Mais ne prenez pas cette mission à la légère… Qui sait ce qui pourrait arriver au roi. Sur ce, vous pouvez disposer.
L'officier se leva et, saluant une dernière fois son supérieur, sortit de la pièce, l'air perplexe. Déjà qu'on lui infligeait une telle mission, il avait en plus l'intime conviction qu'on lui cachait quelque chose. Ce n'était pas clair, et l'attitude de Kimblee n'avait fait que renforcer son intuition. Quelque chose louchait. Mais quoi ? Il n'en avait pas la moindre idée.
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Ce matin, à précisément huit heures, se tenait la relève de la garde. Des éléments de la quatre-vingtième division de la Marine assuraient, jusqu'à ce moment-là, la protection de Van Horn, nouvellement intronisé. La cérémonie était très codifiée, et de nombreux curieux étaient venus l'observer. Le ciel était encore une fois couvert, et les rares rayons du soleil se reflétaient sur les pavés de l'esplanade du palais. Les supérieurs de chaque contingent s'avancèrent l'un vers l'autre, et, dans un salut tout bonnement symbolique, marqua la relève de la garde du palais royal. Après quelques dizaines de minutes, les marins de la quarante-huitième se mirent en position autour de l'édifice.
Mountbatten vint se présenter auprès du roi Van Horn, qui l'attendait, confortablement installé sur son trône. A ses côtés, ses ministres scrutaient de la tête au pied le dernier venu. Il le salua, effectuant une révérence. Il avait été habitué à ce genre de posture, lui qui avait vécu au sein de la petite noblesse de Marijoa lors de son enfance. Alors, le geste était devenu si naturel qu'il impressionna la salle, la plupart des militaires se contentant d'un garde à vous rustre et maladroit.
- Altesse Van Horn, je me présente : commandant d'élite Alexander Mountbatten, pour vous servir.
- Enchanté commandant.
- Je serait donc en charge de la protection du palais entier, et en particulier de votre personne.
- Bien. Je souhaite que vous soyez à l'aise ici ; intendant! Faites-en sorte que ces braves soldats soient correctement traités par le personnel du palais.
- Cela va de soi, Altesse.
- Commandant, je vous propose de vous joindre à notre table ce soir, afin que nous fassions plus ample connaissance.
- J'accepte avec joie cette invitation. Bien, merci de votre accueil. Je retourne dès maintenant à mon poste. Ce fut un honneur de vous rencontrer, Altesse.
Des sourires protocolaires furent, comme à l'accoutumée, de mise. Après une dernière révérence, le Fantôme sortit de la grande salle, rejoignant ses fidèles hommes.