LA DANSEUSE AU CLAIR DE LUNE
I. Un sommeil réparateur
Farros eût l’impression d’avoir dormi toute une saison lorsque la lumière du soleil le réveilla, la chaleur décuplée par le hublot de sa cabine. C’est d’ailleurs ce que voulurent lui faire croire les pêcheurs de l’équipage.
La bonne humeur régnait sur le navire. Plutôt que de pleurer, l’équipage se réjouissait de pouvoir bientôt rendre honneur à leurs camarades décédés. Cinq hommes étaient morts sous les coups de Lokiri et de ses pirates. Parmi ces hommes figuraient le capitaine Campscotch, mais aussi quatre valeureux pécheurs qui avaient risqué leur vie pour récupérer leur navire. Ils avaient fait preuve d’une immense loyauté envers leur capitaine. Farros se disait que s’il y avait une leçon à retenir de toute cette histoire, c’était ça.
Les pêcheurs avaient dû improviser un dortoir dans la cale du navire, laissant aimablement le leur aux femmes qui avaient été libérées de la prison de Lokiri. Maintenant que tout s’était calmé, Farros put compter à tête reposée le nombre de personne à bord afin de préparer une quantité suffisante de nourriture. Il y avait vingt-huit pêcheurs et dix femmes. Les talents en médecine de certaines d’entre elles avaient permis de soigner ceux qui avaient été blessés au combat.
Parmi elles figurait Mogla. Elle avait pris la décision de suivre Farros pendant un moment, jusqu’à ce qu’elle se lasse. Elle avait d’ailleurs promis au jeune homme de lui apprendre à se battre. Il s’approcha alors d’elle, baillant :
- Salut Mogla, bien dormi ?
- Pas aussi bien que toi, apparemment. J’ai bien cru que tu attendrais le crépuscule pour te réveiller, répondit-elle l’air moqueur.
- Herf, herf, herf. Les derniers jours ont été fatigants. Alors, dis-moi, quand veux-tu qu’on commence notre entraînement ?
- Ah oui, ça m’était presque sorti de la tête… Que dirais-tu de commencer tout de suite ? Attrapes ce bâton, il te reste un peu de temps avant de filer préparer le repas de midi.
- Un bâton ? Je sais bien qu’on me surnomme le Cabot, mais tout de même. Pourquoi tu me filerais pas plutôt une épée ou un sabre ?
- Tu risquerais de te blesser, crétin. Pourquoi ce surnom, d’ailleurs ?
- Eh bien, je crois que c’est parce que les gens m’associent souvent à un chien. A cause de mon comportement, et puis de mon odorat.
- Ton odorat ?
- Ouaif, j’ai un odorat surdéveloppé depuis tout petit. Comparable à celui d’un chien. C’est pratique pour la cuisine, et puis pour d’autres choses.
- Ça explique la sympathie qu’avaient les clebs de Shell Town à ton égard. Pourquoi ne pas t’avoir surnommé le Limier, si ton odorat est si impressionnant ?
- Il faut croire que la plupart des gens n’ont pas ton imagination, herf herf.
- Allez, on arrête les bla-bla, en position. On commence. Essaye de parer mes coups, triple buse.
Farros et Mogla échangèrent les coups de bâton pendant un moment, sans que Farros ne parvienne une seule fois à atteindre la demoiselle. Elle faisait preuve de rapidité et de grâce dans ses mouvements. Sa manière de manier le sabre était plus élégante que sa façon de parler, ça ne faisait pas de doute. Habile, sa lame fictive semblait être comme une prolongation de son bras. De plus, ses pas étaient légers et sa manière de combattre ne faisait pas naître le moindre bruit.
Le jeune homme tenta de l’assaillir de différentes façons, mais aucune ne s’était montrer concluante. Mogla était silencieuse quand elle se battait. Ce n’était pas plus mal, cela leur permettait de se concentrer sur leur entraînement. Chaque fois que Farros pensait avoir une opportunité de placer un coup de bâton, la jeune femme le parait d’un geste vif et assuré.
C’est épuisé que Farros sortit de cet entraînement. « On remet ça demain, tête de nœud ! » lui lança Mogla. Il se dirigea vers sa cabine pour se rafraîchir un coup avant de rejoindre les cuisines. Il fit signe à quelques marins de le suivre afin de l’aider à préparer le repas.
Au menu, du poisson, encore une fois. A bord d’un navire de pêche, ce n’était pas chose rare. Cependant, cela satisfaisait le jeune homme. Il y avait toute une variété de poissons, ce qui permettait des possibilités culinaires infinies. Pour ce midi, il avait décidé de préparer des tourtes.
Il lui fallut plus d’une heure, le temps de les préparer et les laisser reposer. C’était du boulot, de nourrir autant de personne à lui tout seul. Néanmoins, ça en valait la peine : Farros était ravi de voir le sourire sur les visages salivants des membres de l’équipage à la vue de leur repas.
La bière coulait à flot pour accompagner le met préparé par Farros. Le jeune homme se demandait d’ailleurs comment faisait l’équipage pour toujours garder sa lucidité. On lui passa une chope. Il leva les yeux. Mogla se tenait là, souriante.
Farros n’avait pas beaucoup eu l’occasion de la voir sourire jusqu’à ce qu’ils n’arrêtent le capitaine Lokiri Gootey. La jeune femme avait troqué ses braies de prisonnières contre une robe longue noire qu’elle enfilait par-dessus un chemisier blanc. Cette tenue élégante ne l’avait pas empêché de mettre la pâté à Farros lors de leur entraînement.
- Mogla:
Ils discutèrent un moment, avant que le visage de Mogla ne s’assombrît légèrement :
- Dis-moi, Farros, j’ai une faveur à te demander.
- J’t’écoute ! dit-il.
- Eh bien, que ce soit l’honneur ou la religion, je crois pas trop à ces choses-là, mais… Tu crois qu’on pourrait aussi faire une cérémonie discrète pour mon frère ? Peu importe où, on a jamais vraiment eu de chez-nous de toute façon.
- Bien sûr, je vois pas pourquoi tu demandes mon approbation. Je préviendrai l’équipage si c’est ce que tu veux.
- Non, surtout pas ! Je voudrais que seuls ses proches soient présents. Et ça t’inclue toi, tu étais son ami, il l’a dit lui-même. Et puis… Je sais pas trop comment faire à vrai dire. J’ai jamais vraiment fait ça, mais je t’ai vu faire pour Campscotch.
- Aucun problème Mogla, on pourra faire ça cette nuit, quand tout le monde sera couché, si tu le souhaites.
La jeune femme se redressa, donna une tape sur l’épaule de Farros et retrouva son sourire : « On se reparle plus tard alors, le clebs ! » dit-elle. « Je préférais le Limier ! » lui cria Farros alors qu’elle s’éloignait.
Quand il eût terminé de manger, le jeune homme se dirigea vers sa cabine. Il devait s’endurcir : il savait que s’il voulait parcourir le monde, il devrait faire face à plus d’un danger. Les pirates n’étaient pas la seule chose dangereuse qui parcourait les mers, il en était conscient. S’il voulait être capable de se défendre et protéger ses camarades, il devait se préparer.
Après avoir griffonné quelques idées de recettes dans son cahier de notes, il se retira de son bureau et se rendit auprès de l’équipage pour voir si tout se passait bien. Il avait de la peine pour eux, ils avaient l’habitude de travailler pour Campscotch, qui était du métier, et se retrouvaient désormais sans réelle supervision. Il fallait vite trouver un remplaçant au capitaine.
Le reste de son après-midi fut dédié à aider les pêcheurs. C’était un travail difficile, mais enrichissant. Cela permettait à Farros de mieux connaître les aliments marins. L’équipage avait une grande connaissance dans ce domaine et était d’une grande aide pour le curieux jeune homme. Comme ils ne pouvaient pas se rendre tout de suite dans un port pour vendre leur marchandise, ils firent fumer ou sécher la majorité des poissons pêchés. D’autres étaient conservés au frais pour les futurs repas préparés par Farros.
Ainsi, le reste de la journée se déroula de cette manière, dans l’odeur du poisson. Quand le travail fut terminé et que le soleil commençait à se coucher, tous trinquèrent avec une chope de bière bien fraîche. Le jeune homme se retira et, après s’être lavé, s’allongea dans son lit. Il avait beau avoir beaucoup dormi la nuit dernière, il était encore épuisé par les péripéties des derniers jours. Il attendit que la nuit soit totale pour rejoindre Mogla sur le pont.