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Vous reprendrez bien un peu de sel ?

Comandant Volkof. Ça sonne bien non ? Oui moi aussi je trouve. Je viens d’être promu à ce grade ainsi qu’au commandement d’un croiseur de la marine. Tout un bâtiment naval sous ma juridiction. D’ailleurs aujourd’hui, c’est le jour où je prends la mer. Pour le moment, je suis encore dans la base à faire mes affaires. Quelques vêtements et uniformes en plus, mon trident, quelques bouquins et surtout Robert, ma petite statuette que j’ai eu sur pétales lors de ce fameux concours de cuisine. Je m’en rappelle encore comme si c’était hier, je n’avais jamais était aussi stressé de toute ma vie.

J’aurais très bien pu prendre le commandement d’une des bases de la marine, mais j’avoue que la liberté qu’offre le croiseur n’est pas des moindres. Avec un bateau, je suis quand même libre de faire tout ce que je veux, voguer sur les mers autant que je le désire, ce sentiment de liberté, il n’a pas de prix !

Bon, vérifions, j’ai tout pris, pas de perte, tout est bon ! Faudra que je pense d’ailleurs à un nom pour le bateau, c’est toujours plus cool de donner un nom à un bâtiment, ça rend le truc un peu plus personnel. Mais vu que je n’ai jamais été doué pour les noms donc avant de faire une énorme bêtise on va attendre.

- Vous nous quittez déjà Commandant ? C’est dommage, avec les autres on s’était dit qu’on pourrait faire une bouffe avant votre départ, ça aurait fait plaisir à tout le monde !

- J’avoue que moi aussi j’aurais bien aimé… Mais on m’attend sur le bateau et il doit déjà être au port. Mais ne vous en faites pas Caporal, j’essayerais de repasser dés que je le peux. Je ne sais pas dans combien de temps, mais je viendrais vous rendre visite s'est promis.

Je lui donne une petite tape sur l’épaule en souriant. Ces gars-là vont me manquer effectivement, mais c’est la vie de soldat. Même si j’ai passé de bons moments ici, le devoir m’appelle ailleurs. La marche jusqu’au port ce fit tranquillement. Accompagné de deux Caporaux qui sont mutés sur le navire avec moi.

Une fois arrivé à destination, le bateau n’est pas difficile à repérer. Un croiseur de la marine, ce n’est pas rien, c’est une sacrée construction. Ce genre de chose m’a toujours fasciné, je devrais peut-être me renseigner sur les charpentes et comment les bateaux sont fabriquer un jour tient.

Nous montons donc à bord, accueilli par un caporal, qui m’explique comment cela se passe. Nous serons en mer la plupart du temps à patrouiller. On peut recevoir des ordres plus clair à n’importe quel moment par escargophone. Nos missions principales vont d’escorter un navire marchand à arrêter des pirates par exemple, tout un panel de missions assez différentes les unes des autres.

J’aquièce alors, tout en prenant note, je suis nouveau au commandement d’un tel bâtiment et j’espère en être à la hauteur. J’ai le cœur qui bat à cent à l’heure, les mains qui tremblent un peu, comme mes jambes d’ailleurs. L’air frais caresse doucement mon visage. Je prends une grande inspiration qui me permet de retrouver mes moyens. Je remercie le caporal et me dirige ensuite vers mes quartiers. En tant que Commandant, je dispose d’un bureau, d’une chambre et d’une salle de bain privée. La belle vie. Je pose mes affaires un peu partout pour commencer, je ferais du rangement un peu plus tard.

Après quelques minutes d’installation, je sens que le navire bouge. Nous sortons du petit port pour nous rendre en mer. J’ai déjà une petite idée de notre première destination. J’ai une semaine de quartier libre pour me familiariser avec le bateau avant que les premières missions ne commencent. Je vais en profiter pour rendre visite à un ami.

Je contacte donc Farros pour lui annoncer ma promotion. Je le remercie car c’est en grande partie grâce à lui. En effet, ce qui m'a valu ma promotion, c’est la capture de Lokiri et de son acolyte, deux pirates primés, ça fait du bien sur le dossier. Je lui propose donc de le retrouver à Cocoyashi pour fêter ça dignement dans un bon restau, c’est moi qui régale ! Il accepte donc naturellement et je raccroche. Je n’ai malheureusement pas trop le temps de lui parler pour le moment. Les hommes m’attendent sur le pont pour un discours. C’est la tradition. Je ne peux pas passer outre après tout. Je me rend donc sur le pont, devant une centaine de soldats.

- Bonjour à tous. Je suis le Commandant Aleister Volkof. Nouvellement nommé à la tête de ce navire. Je sais que vous aimiez beaucoup votre ancien Commandant, mais maintenant qu’il a pris sa retraite, c’est à moi que reviens la lourde tâche de commander ce bâtiment. Je ferais tout pour que cela se passe bien et en accord avec nos objectifs, j’espère que vous en ferrez de même. N’hésitez pas à venir me parler si vous avez besoin de quoi que ce soit, mon bureau est toujours ouvert. Merci, rompez.

J’espère que mon discours leur a plu. Je pense avoir été assez convainquant dans l’ensemble. Et pour un premier discours je pense qu’il n’est pas trop mal. J’informe donc l’équipage de notre première destination et pars me coucher un peu. Cette journée est assez épuisante.

Le reste du voyage se fit sans encombre, aucune mauvaises rencontre à signalée. Nous arrivons au port de Cocoyashi sans problèmes. Je dis à mes hommes qu’ils ont la journée de libre. Quant à moi, je prends uniquement Robert la statuette que je mets dans ma poche et je me dirige vers le restaurant « A la bonne cuillère » où j’ai donné rendez vous à Farros. Un établissement assez chic, je pense qu’on va se tendre le bide comme il faut !
    Le soleil réveilla Farros, l’éblouissant par sa lumière. Mais qui avait eu l’idée de placer ce fichu hublot en face de la banquette qui lui servait de lit, à la fin ? Le jeune homme se fit propre et enfila des vêtements. Il était retombé sur le bandana ocre qu’il avait porté à Pétales pour se préserver des violentes effluves de parfum. Il l’enfila autour du cou : cela lui évoquait des souvenirs agréables.

    Il sortit de sa cabine, saluant au passage ses camarades pêcheurs. Ils étaient finalement arrivés sur l’île de Cocoyashi, connue mondialement comme étant la première exportatrice de mandarines. Ces fruits étaient cultivés et commercialisés par la Belmer Corp. Farros était bien placé pour le savoir : en tant que cuisinier, il avait plus d’une fois acheté ces mandarines en vue de la réalisation d’un dessert.

    Les deux marchands qu’il avait rencontré la veille s’étaient eux-aussi rendus sur Cocoyashi. Leur petit bateau était amarré non loin du navire de pêche. Alors qu’il s’affairait à donner quelques instructions à l’équipage de pêcheurs, Mogla vint interpeller le jeune homme :

    - Eh, le Limier ! J’ai une lettre pour toi, apportée par mouette.

    - Ah ? De qui ? demanda Farros en penchant la tête, intrigué.

    - Qu’est-ce que j’en sais, moi.

    - Allez, ne fais pas semblant de ne pas l’avoir déjà ouverte, herf herf.

    - C’est Aleister. Il a eu une promotion, il voudrait fêter ça. Il t’a laissé un numéro d’escargophone pour le contacter, regarde…

    Le jeune homme jeta un œil au papier. Il trouverait bien un escargophone à Cocoyashi pour l’appeler, dans un bar par exemple. Il fit part de son idée à Mogla qui parut plutôt emballée par la perspective de poser pied sur l’île. Sans doute la jeune femme était-elle excitée à l’idée de profiter de sa liberté rudement gagnée.

    Farros avait vu juste, après quelques minutes de marche à peine, il tomba sur un bar à la devanture orange. Sans doute n’était-ce pas le plus renommé de Cocoyashi, mais il devait bien y avoir des escargophones à disposition. Une fois à l’intérieur, le jeune homme commanda des boissons pour lui et sa camarade, ne serait-ce que pour la forme. Il s’adressa ensuite au tenancier qui lui indiqua l’emplacement des escargophones, non loin des toilettes de l’établissement. Il ne restait qu’à espérer que son appel ne serait pas coupé par des… bruits parasites.

    Le son typique des escargophones se fit entendre, puis :

    - Commandant Aleister Volkof à l’appareil.

    - Commandant, hein ? Je vois que t’as pas chômé, herf herf.

    - Farros ! Ça fait plaisir de t’entendre, le Cabot ! Tu as reçu ma lettre ?

    - Ouaif ! Je suis à Cocoyashi pour un moment, si jamais tu veux passer.

    - Ça serait sympa, oui. Et puis, je suis à la tête d’un navire à présent…

    La discussion dura encore quelques minutes jusqu’à ce que Farros n’arrive à court de crédit. Peu importe, Aleister avait compris le message : dans quelques jours, à Cocoyashi. Le jeune cuisinier retourna rejoindre Mogla qui patientait, sirotant son cocktail à la mandarine, les jambes tendues sur la table. Les deux partenaires terminèrent leur rafraîchissement. Farros insista pour payer la boisson de Mogla. C’était parce qu’elle avait prévu de prendre ses jambes à son cou dans le cas contraire, certes, mais tout de même.

    La jeune femme fit savoir à Farros qu’elle le retrouverait plus tard car elle allait trouver un moyen de se faire quelques Berries en vendant le « cadeau » du capitaine Lokiri, un collier doré serti de pierres précieuses. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’il ne s’agisse pas de camelote.

    De son côté, le jeune homme fit en sorte de trouver un établissement qui pourrait l’embaucher en cuisine. Ça ne devait pas être compliqué, l’endroit était assez touristique. Cocoyashi était une belle ville, une certaine sérénité semblait planer dans l’air. Le soleil éclatant qui habillait le ciel ne venait que renforcer ce sentiment. Çà et là, des parasols venaient offrir aux habitants et aux visiteurs des coins d’ombres dont ils pouvaient profiter de la fraîcheur. Un cadeau précieux, lors d’une journée comme celle-ci.

    La petite ville était bondée. De temps en temps, le jeune homme croisait des guides touristiques qui proposaient aux passants une visite de Gosa, le village voisin. Farros passa par plusieurs restaurants, essuyant des refus : il semblait que personne ne manquait de cuisinier. Hors de question de gagner sa croûte en participant à des combats illégaux, cette fois-ci : il avait eu sa dose. L’effet papillon ne manquerait pas de faire son œuvre une fois de plus. Le jeune homme ne désespérait pas, cependant. Il trouverait bien quelqu’un qui aurait besoin de ses talents.

    Alors qu’il poursuivait sa recherche, le jeune homme manqua de percuter une personne qui se trouvait sur son chemin. Quand il regarda au-devant, il découvrit une longue queue qui s’étendait jusqu’à la devanture d’un bâtiment. Curieux, le cuisinier s’empressa d’interroger l’homme avait qui il avait failli entrer en collision.

    « Nous attendons notre tour pour manger dans ce restaurant, "A la bonne cuillère", il est réputé, dans la région. » lui répondit-on. Farros le remercia rapidement, avant de se diriger vers la porte d’entrée. C’était sa chance : un établissement de cet acabit était probablement à la recherche de mains. De nez, en l’occurrence. Il n’avait encore croisé aucun cuisinier qui n’avait été tenté de satisfaire sa curiosité suite à l’évocation de l’odorat spectaculaire du jeune homme. Il ne s’en ventait pas, c’était de naissance, mais c’était un atout non-négligeable.

    Ça ne manqua pas. Farros demanda un entretien rapide avec le chef, qui, à la démonstration de ses talents, fut séduit par l’idée d’embaucher Farros pour une durée indéterminée. « On a toujours besoin de bons cuistots, ici. J’espère pour toi que tu sauras suivre le rythme. » avait-il dit. Ainsi le jeune homme passa-t-il plusieurs jours à travailler dans ce restaurant, donnant rendez-vous à ses camarades en fin de service, et dormant dans une modeste auberge non loin de là.

    C’était fatiguant, le rythme était autrement plus rapide de ce dont il avait pris l’habitude dans son petit restaurant familial à Shell-Town, mais il avait été habitué à pire à plusieurs reprises. Au moins, il ne s’ennuyait pas. Ça le changeait un peu, de ne pas cuisiner du poisson chaque jour de la semaine. Lors d’une pause, Farros rappela Aleister afin de lui dire où il pourrait le retrouver une fois à Cocoyashi :

    - Ok, c’est parfait, je devrais pas tarder à arriver. On a qu’à se faire une bouffe là-bas, quand je serai arrivé. Tu penses pouvoir te libérer une soirée ?

    - Ouaif, ça devrait pas poser de problème. Je vais voir avec le patron pour un congé.

    - Ça marche, à bientôt dans ce cas !

    - A bientôt, herf herf.

    Une fois avoir raccroché à l’escargophone, Farros se rendit à nouveau en cuisine. Il avait hâte de pouvoir partager un bon repas avec son ami.

    « Commandant Aleister, hein ? Herf, herf. ».


    Dernière édition par Farros le Lun 5 Aoû 2019 - 15:00, édité 2 fois
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    Ce qui est génial à Cocoyashi, c’est qu’il y a des mandarines absolument partout. La belmer est vraiment une entreprise florissante, ça fait du bien de voir des boites qui marchent autant que celle-là. Plus je marche dans la ville, plus j’en vois l’influence. Des magasins de souvenirs, des étals un peu partout, l’air est parfumé de cette fragrance d’agrume, je dois dire que ça fait du bien.

    En cette journée ensoleillée, le soleil tape fort, j’aurais peut-être dû prendre une casquette, mais tant pis que voulez vous, c’est la dure loi du temps qu’il fait dehors. Même si j’aurais pu faire attention, je suis vraiment une tête en l’air.

    Autour de moi, des enfants jouent dans la rue au ballon, d’autre font une marelle. Cela me fait plaisir de voir leurs sourires, c’est pour ça que je me bats contre toutes les méchancetés du monde, pour que ces enfants puissent continuer de sourire sans risque. Quel beau métier que je fais quand même, je ne l’échangerais pour rien au monde.

    Je trépigne d’impatience et je sens mon cœur palpité. Je n’ai pas revu Farros depuis l’histoire avec Lokiri il y a quelque temps et quelle histoire mes amis ! Une saloperie de pirate de la pire espèce, tuant, volant et faisant des choses encore pires. Heureusement que nous l’avons mis hors d’état de nuire lui ainsi que son compère, rien que de les imaginer dehors, cela me rends malade. Ce genre de personne est mieux mort ou enchaînée. Et c’est à ça que je sers, à rendre la justice pour le peuple.

    Bref assez parler de ce beau métier qu’est soldat ! Il faut que je me dépêche je ne vais pas faire attendre ce pauvre Farros trop longtemps, cela ne se fait pas. Je me dirige donc rapidement vers le restaurant. Il n’est pas trop difficile à trouvé, une grande enseigne et une queue digne d’un des plus grands films de tout les temps. Je retrouve donc Farros devant, je l’accueille en souriant et en le prenant dans mes bras.

    - Farros sale cabot ! Tu m'as manqué ! Comment vas-tu depuis tout ce temps ? Tiens, Mogla n’est pas avec toi ? Rassure-moi, tu ne l’a pas foutue dehors quand même ?!

    - Herf herf ! Moi aussi ça me fais plaisir de te voir mon ami ! Et bien sûr que non, elle voyage toujours avec moi, elle avait juste des choses à faire, elle nous rejoindra plus tard pour boire un coup je pense ! Mais tu as vu la queue ? Même si je travaille ici, je ne pense pas avoir le droit de doubler tout le monde comme ça ! On va mettre une plombe à rentrée !

    - Halala Farros, tu me connais non ? Ne t’en fais pas, j’ai tout prévu, je ne suis quand même pas un amateur ! Je m’approche alors de la réceptionniste, visiblement débordée. - Bonjour Commandant Aleister Volkof, j’ai réservé une table pour midi pour deux personnes.

    Elle fouille rapidement dans le registre, sous le regard emplie de colère des clients attendant leurs tours. Je sais que leurs passer devant, ce n’est pas très cool, mais bon, il faut bien qu’être Commandant à ses avantages aussi ! Après quelques secondes, elle me sourit et me fait rentrer. Farros dit bonjour au personnel, j’avais oublié qu’il travaille ici pour quelque temps, au moins il pourra me conseiller quel plat prendre.

    On s’installe donc à une des tables et je sors Robert de ma poche, le posant sur la table, regardant le regard amusé de Farros.

    - Tu as vu, je n’ai pas oublié Robert ! Il reste tout le temps avec moi, même sur le bateau , normalement il me sert de cale papier sur mon bureau, mais je me suis dis, je vais le prendre, ça nous rappellera nos aventures sur Petales. D’ailleurs, pas mal le nouveau look, même si je ne suis pas persuadé par le cache oreille ahah.

    - Ce bon vieux Robert herf herf ! Ouais, j’aime bien moi ce nouveau look, ça change un peu. Et oui aussi Petales ! Quelle belle aventure, ce concours de cuisine de fou et Robina qui nous criait dessus pour un rien ! Je me demande ce quelle devient d’ailleurs elle aussi !

    - Boarf, elle doit continuer de cuisine partout ou elle le peut en hurlant sur tout ce qui bouge ahah !

    La discussion se passe tranquillement, comme deux amis ne s’étant pas vu durant des années. Des anecdotes, des histoires de l’un et des autres, personne n’aurait pu prédire ce qu’il allait se passer dans ce foutu restaurant, moi y compris.
      Ale avait l’air ravi de retrouver Farros, c’était à croire qu’ils ne s’étaient pas vus depuis des années ! Le Cabot comprenait : en tant que membre de la marine, entretenir des relations amicales autre que hiérarchiques avec des individus devait être un bien précieux. Les deux camarades ne manquaient pas d’entrain dans leur discussion, se remémorant notamment des anecdotes sur leur participation au concours de cuisine de Verminia. Farros regrettait que Robina n’ait pas été là elle-aussi : il était sûr qu’elle aurait apprécié l’endroit.

      Ils commandèrent auprès du serveur et choisirent tous deux le canard à la mandarine, spécialité du restaurant. Le commandant de la marine avait toujours avec lui son affreuse statuette représentant un chameau à trois bosses : décidément, il y tenait. Aleister n’avait pas non plus manqué de relever son nouvel accessoire. Farros n’avait pas jugé pertinent de lui faire part des problèmes d’audition qu’il encourait suite à leur mésaventure à Shell Town et qui expliquaient qu’il porte un cache oreille pour se protéger jusqu’à ce qu’il en guérisse. Enfin, s’il guérissait un jour. Gisèle, l’infirmière de bord, lui en avait conseillé l’utilisation afin d’éviter que son état ne s’aggrave. Il avait eu raison de l’écouter, les maux de tête étaient beaucoup moins fréquents depuis.

      La discussion continua ainsi sans jamais s’arrêter. Farros raconta également à son ami qu’il s’était mis à s’entraîner au combat tous les jours avec Mogla. Aleister n’avait bien sûr pas pu s’empêcher de lui répliquer : « Tu t’entraînes pour rejoindre la marine, hein ? ». Ça aussi, il y tenait. Ils parlèrent également de Cocoyashi, de ce qu’ils aimaient sur cette île. Ale semblait être un amateur d’agrumes : peut-être en cultivait-il dans sa ferme natale ?

      Enfin, leur plat arriva. La viande de canard était parfaitement colorée par la mandarine, sa texture était sublime et son goût absolument exquis. Il n’y avait pas à dire, ils savaient y faire. Durant les semaines qui avaient précédé, le jeune cuisinier avait d’ailleurs beaucoup appris avec les cuisiniers du restaurant, notamment sur l’utilisation du sucré-salé dans les plats.

      Farros jeta un œil aux clients du restaurant, autour de lui. Tous étaient sur leur trente-et-un. Sans doute ne pouvaient-ils pas souvent se permettre souvent de manger dans un établissement de renom tel que celui-ci, comme c’était le cas de Farros d’ailleurs. Il était marrant, Ale, à lui proposer de manger ici, il n’avait pas un salaire de commandant, lui ! Peu importe, travailler à Cocoyashi lui avait permis de se faire un nombre raisonnable de Berries, il pouvait bien se permettre une petite folie ! Et puis, le plaisir de manger, ça n’avait pas de prix.

      Alors que son regard continuait de satisfaire sa curiosité, un groupe de personnes entra dans le restaurant. Ils étaient cinq, habillés en ouvriers, transportant une énorme boîte sur laquelle on pouvait apercevoir le logo de la Belmer Corp. Le patron du restaurant s’empressa d’aller à leur rencontre, furieux : « Non, non, non ! Vous savez bien que les livraisons se font à l’arrière du restaurant, pas en plein milieu du hall ! Vous voulez me faire perdre des clients ? Allez, vite, suivez-moi, je vous emmène à l’entrepôt. ». Ainsi, le groupe s’éloigna avant de disparaître derrière une grande porte au fond de la salle, le patron s’excusant maladroitement auprès de chacun des clients qu’il croisait.

      C’était étrange, Farros n’avait senti aucune effluve d’agrumes s’échapper de la grande caisse de bois ramenée par les ouvriers de la Belmer Corp. Peut-être l’entreprise était-elle aussi spécialisée dans l’isolation anti-odorat surdéveloppé de la muerte, mais le jeune homme en doutait. Enfin bref, il devait se faire des idées de toute façon. Lui et ses mauvais présentiments qui s’avéraient vrais une fois sur cinq. Pas la peine de déranger Aleister avec cette histoire. D’ailleurs le marine semblait avoir remarqué que Farros avait arboré une mine plus sévère l’espace d’un instant et le fixait en fronçant les sourcils :

      - Bon, on se commande une petite bière ? Demanda le Cabot pour laisser couler.

      - Avec plaisir ! Ca nous rappellera celle qu’on a partagé dans ce bar, à Rosetta.

      - Herf herf ! On n’est pas prêts de l’oublier celle-là ! Et Robina non plus si tu veux mon avis !

      Les deux amis partirent dans un fou-rire qui ne s’arrêta que lorsqu’un événement vint bouleverser la tranquillité du repas des clients du restaurant « A la bonne cuillère ».
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      D’habitude, je ne suis pas un fan du sucré salé, je n’ai jamais compris le principe. Mais là, avec ce canard à la mandarine, je dois bien avouer m’être totalement trompé. La viande est tendre et juteuse, la mandarine venant relevé le goût un peu plus. Un vrai délice, je comprends maintenant pourquoi ce restaurant est considéré comme un des meilleurs sur les Blues. On commande également une petite bière, le serveur nous les apportant rapidement, le service est impeccable en plus, faudra que je revienne manger là plus souvent.

      Tout se passe bien, à part une petite mésaventure pour le patron de l’établissement. Apparemment, les livreurs de la Belmer se sont trompé de coter pour livrer, ça arrive, pas la peine d’en faire tout un plat. Mais bon, pour un endroit de ce prestige, je peux comprendre que le patron tienne à ne pas montrer l’envers du décor, on ne sait jamais ce qu’il se passe en cuisine. Même si je ne doute pas que tout soit parfait.

      - Du coup, je me doute que Mogla aille bien aussi ? C’est bien qu’elle a décidé de te suivre ! Ça te fais de la compagnie. Moi depuis que j’ai pris la tête du croiseur, je n’ai plus une seule seconde à moi, des papiers par ci, des dispute par là, gérer l’équipement et les commandes, si j’avais su, j’aurais refusé ma promotion ahah ! Tout en buvant une gorgée de ma bière.

      - Herf herf, pourtant Commandant Volkof, ça sonne bien. Et ouais elle est restée avec moi, elle m’apprend le maniement du sabre, elle est vraiment très douée tu sais ! Quant à toi, je n’en reviens pas que tu ai gardé Robert le chameau, j’étais persuadé que tu allais le laisser là bas.

      Laisser Robert tout seul ?! Et puis quoi encore. C’est comme un fils pour moi ! Bon, ok, j’exagère peut-être un peu, mais je t’assure que j’y tiens à cette babiole, ça me rappelle notre aventure au sultanat des Petales, c’était vraiment bien. Même si ça m'a dégoûté de la cuisine pour un bon moment.

      La discussion était joyeuse et continua comme cela pendant quelques minutes quand tout à coup, les cinq personnes étant arrivées un peu plus tôt sortirent de l’entrepôt fusil à la main, le patron du restaurant étant ligoté. Personne n’avait pour le moment remarqué, jusqu’au moment ou un des terroriste tira en l’air, provoquant au passage une vague de panique dans le restaurant, les clients hurlants et se réfugiant au sol presque instinctivement. Farros et moi étant à une table éloigné prés de la cuisine, je réussis à le tiré rapidement dans celle-ci. Nous accroupissant auprès des cuisiniers eux aussi mort de peur. Je fais signe à Farros de ne pas faire de bruit, essayant d’entendre les paroles d’un des hommes.

      - Nous sommes le commando de libération des mandarines ! Nous voulons la fin de l’empire tyrannique de la Belmer cette entreprise démoniaque ! Nous allons détruire et tuer tous ceux ayant un rapport avec cette compagnie horrible qui ne permet pas la liberté des mandarines, les forçant à se faire manger ! MANDARINES LIBRES ! MANDARINA LIBERATA !

      Bordel de merde. On est tombé sur des fanatiques des mandarines. Farros me regarde à la fois inquiéter et totalement abasourdi par cette révélation. Je le regarde aussi en haussant les épaules. C’est une situation compliquée, mais va falloir s’en chargé nous-même je pense. Bordel, tout ce que je voulais c’était dîner avec mon ami et voilà que je me retrouve entouré d’un commando de libération de mandarine. Non mais sérieusement, il n’y a que moi qui trouve cette idée débile ?

      - Bon Farros, je n’ai pas pris mon escargophone, je n’ai donc au moyen de contacté mes hommes. Sur ce coup va falloir qu’on se débrouille toi et moi. Et assez rapidement, avant qu’ils ne commencent à tuer les vic…

      Je n’ai pas le temps de finir ma phrase qu’un des hommes du restaurant tente de sortir en courant. Il est immédiatement abattu par un des membres du groupe, le reste des clients restant sans voix devant un acte de barbarie aussi gratuit. Je serre les poings, sentant le dégoût m’envahir. Prendre une vie humaine, pour une raison aussi futile. Ces hommes méritent la pendaison et je vais tout faire pour les stopper.

      Je regarde Farros. Je lui fais signe de me suivre dans la réserve qui se trouve juste à coté de la cuisine, on pourra discuter d’un plan d’action plus facilement. Le chemin fut facile, les cinq terroristes étant occupés à attachés tout les clients. Une fois dans la réserve je regarde autour de moi. Rien qui pourrait faire office d’arme.

      - Farros, toi qui es cuisinier, tu dois bien avoir des idées pour fabriquer des armes avec des produits de cuisine non ? Je compte sur toi pour le coup, je sèche complètement.
        Le cœur du jeune homme battait à cent à l’heure. Les évènements s’étaient enchaînés à une vitesse folle. On était passé d’un groupe de fanatiques sectaires adorateurs de mandarines au meurtre d’un innocent. Trop de questions venaient brouiller l’esprit du Cabot. Qui étaient ces personnes ? Comment avaient-ils trouvé ces armes ? Quelles étaient précisément leurs motivations ? Il avait l’impression d’être en plein cauchemar. Une situation à la fois dangereuse et absurde.

        Au diable toutes ces questions, seul une chose comptait, désormais : survivre. Et Aleister qui semblait lui aussi avoir perdu la tête. « Fabriquer des armes avec des produits de cuisine » ? Farros ne put contenir une expression faciale qui trahissait son incompréhension totale. Soudain, une idée vint éclairer son esprit et donner du sens aux paroles du marine. Il avait raison, ils ne pouvaient pas attendre là d’être secourus alors que des innocents étaient en danger.

        Grâce à la réaction rapide d’Aleister, tous deux étaient parvenus à quitter la salle principale et à rejoindre la réserve du restaurant. Les cinq imposteurs déguisés en ouvriers étaient tous là-bas, ce qui signifiait que le reste du bâtiment devait être sans danger, en théorie. Cela dit, rien ne leur assurait que personne ne leur viendrait en renfort après la prise de contrôle du restaurant. Il fallait agir vite. Dans un coin de l’entrepôt, quelque chose attira l’attention de Farros : la caisse de la Belmer Corp que transportaient les fanatiques.

        Il se dirigea vers la caisse de bois, suivi par Aleister. Elle était désormais ouverte, mais complètement vide. Le commandant lâcha un soupir, serrant ses doigts contre le rebord du contenant :

        - Quelque-chose m’intrigue. Ces fous-furieux n’ont pas pu se procurer toutes ces armes tous seuls, c’est impossible. Quelqu’un les leur a forcément procuré.

        - Ouaif, mais pourquoi quelqu’un de sensé accepterait de financer ou même soutenir un groupe comme celui-là ?

        - Je ne sais pas. Qui aurait un intérêt à faire ça…

        - Quelqu’un qui en voudrait à la Belmer Corp ?

        - Bingo. La Belmer Corp dispose d’un quasi-monopole sur le marché des mandarines. Si quelqu’un peut en vouloir à cette entreprise, c’est certainement un concurrent…

        Le bruit d’un coup de fusil vint couper court à la discussion, venant leur rappeler que le moment n’était pas à l’enquête. Ils devaient se dépêcher, s’ils ne voulaient pas que d’autres innocents ne perdent la vie.

        Fabriquer des armes ? Farros ne voyait rien qui pourrait rivaliser avec des fusils, pas même les couteaux de cuisine. Ils n’auraient pas même le temps de faire un pas avant que leurs corps ne soient criblés de balles. Il fallait jouer tout ça en finesse, et la finesse, ce n’était pas forcément le point fort du Cabot. Il se gratta la tête, cherchant désespérément une solution :

        - Déjà, je pense qu’il faut qu’on prenne avantage de l’étage supérieur. Un escalier peut nous y conduire depuis la réserve.

        - Il y a un étage supérieur dans ce restaurant ?

        - Oui, il est réservé aux employés, j’ai pu m’y rendre à plusieurs reprises. L’étage ne fait pas la totalité du bâtiment, c’est pour ça que tu ne l’as pas remarqué. Il s’agit uniquement d’un large couloir dessinant le contour de l’immeuble. A certains points, des fenêtres pourraient nous donner une vue sur ce qui se passe en bas.

        - Et ensuite, comment on se débarrasse d’eux ?

        - Tu voulais qu’on fabrique des armes, hein ? Je crois que j’ai ma petite idée. Promets-moi juste une chose, tu leur fera manger les restes quand ils seront prisonniers. J’ai horreur du gaspillage.

        Ils se rendirent dans la cuisine, Ale sur les talons de Farros, se demandant probablement quel plan farfelu lui était venu à l’esprit. Il fallait se rendre à l’évidence, ce plan avait assez peu de chance de fonctionner. Ce n’était pas comme s’ils avaient beaucoup d’alternatives, de toute façon. Le Limier jeta un œil à ce qui l’entourait. Tout ce que nécessitait son plan était présent. Enfin, presque tout :

        - Ale, tu as bien appris à monter et démonter des armes lors de ta formation ?

        - Bien sûr.

        - Tu crois que tu serais capable de fabriquer quelque chose qui puisse tirer un projectile assez fort pour assommer quelqu’un ? Je sais pas moi, un truc qui comprime l’air ou quelque chose comme ça.

        - Quel genre de projectiles ?

        - Des patates.
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        Une petite voix dans sa tête laissait Farros penser qu’ils s’apprêtaient à faire une énorme connerie. Pourtant, il voyait mal ce qu’ils pouvaient faire d’autre. Passer à l’offensive semblait être le seul moyen de stopper ces malfaiteurs.

        Au bout d’un certain temps, Aleister était parvenu à fabriquer deux armes de fortune. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’elles fonctionnent correctement : ça passe ou ça casse, comme dit le dicton. Farros ne pouvait s’empêcher de ressentir une petite boule au ventre à l’idée de s’attaquer à ces fanatiques. Il aimait se battre, certes, mais là, tout de même, ils avaient des armes à feu, fallait pas déconner.

        Les deux jeunes hommes échangèrent un bref regard, empreint de peur et de détermination. Prenant leur courage à deux mains, ils se dirigèrent vers le balcon qui surplombait la salle principale. Ils avançaient, comme au ralenti, d’une allure déterminée, les pistolets à patate sur l’épaule. Les lumières du restaurant étaient désormais éteintes, seules quelques bougies disposées par les sectaires pour un quelconque rituel venaient éclairer la scène. Ça, et la faible lueur lunaire qui traversait la fenêtre.

        La fenêtre…

        « Merde ! » s’écria le Limier intérieurement. Il tira le marine par le bras juste à temps pour l’empêcher de lancer l’assaut. Il se retourna vers lui, l’air effaré :

        - Qu’est-ce qui t’arrive, le Cabot ? chuchota-t-il.

        - On est vraiment trop cons, Ale. L’absurdité de la situation nous a totalement fait oublier notre bon sens !

        - Explique toi !

        - On a pas eu une réaction rationnelle. Ecoute, je te propose un changement de plan.

        - Vas-y, il peut difficilement être plus risqué que celui-là de toute façon.

        - Je vais me glisser par l’une des fenêtres du restaurant, en m’arrangeant pour pas me faire repérer. On est à l’étage supérieur, mais la chute ne devrait pas être trop violente pour moi. Une fois dehors, je vais prévenir la marine et ramener du renfort. Toi, pendant ce temps, tu restes ici et tu t’assures que la situation ne dégénère pas davantage. Et surtout, assure toi que personne ne soit à l’étage quand je serais de retour. Si tout se passe bien, on devrait éviter d’autres drames.

        - Ça me parait cohérent. Dépêche-toi, Farros, le temps est contre nous.

        Le jeune cuisinier acquiesça d’un mouvement de tête avant de se diriger vers une fenêtre. Il ne devait pas sauter par n’importe quelle fenêtre, et il savait pertinemment laquelle privilégier. Il s’avança, dos au mur, s’assurant de n’être ni dans le champ de vision des fanatiques, ni dans celui des clients du restaurant. On ne savait jamais quelle pouvait être leur réaction dans un état de stress pareil.

        Une fois à côté de la fenêtre, il s’arrêta pour analyser la situation. Il lui fallait une diversion. Avec ce silence de mort, le bruit de la fenêtre qui s’ouvre risquait d’attirer l’attention sur lui. Il jeta un œil discret par-dessus la rambarde. Les adorateurs de mandarines se tenaient en ligne, dos au bougies qu’ils avaient disposés plus tôt. Cela fit germer une idée dans l’esprit du cabot.

        Une chance pour lui, il avait tout ce qu’il fallait pour mettre à bien son plan d’évasion. Il se précipita vers les cuisines, où Ale lui lança un regard intrigué qui semblait signifier « Déjà de retour ? ». Il fouilla l’une des armoires. « Bingo ! » lança le Cabot en trouvant ce qu’il recherchait. Une bouteille d’un alcool de cuisine particulièrement fort fabriqué à Sanderr.

        Farros s’empressa de reprendre sa position, surplombant la bande de fanatique. Il débouchonna rapidement la bouteille et en déversa le contenu sur les bougies auxquelles les adorateurs de mandarine faisaient dos. La taille de leurs flammes se décupla aussitôt celles-ci entrées en contact avec le liquide. La diversion parfaite.

        D’abord pris de panique, les sectaires se tournèrent vers l’incendie soudain. Sans doute le plan de Farros n’aurait-il pas aussi bien fonctionné si l’un d’entre eux ne s’était pas mis à se faire des films : « MES AMIS ! Cela ne peut être qu’un signe de la grande mandarine elle-même, qui nous fait savoir combien la flamme qui brûle en nous est forte. Joignons nous et chantons sa gloire éternelle ! » avait-il crié à ses camarades.

        Ainsi, Farros s’extirpa de ce merdier sur fonds de chants religieux, qui sonnaient étonnamment juste, d’ailleurs. Il sauta par la fenêtre, sa chute amortie par les sacs poubelles stockés à cet endroit. Il échangea un bref regard ahuri avec un raton laveur, surpris pendant son pillage. « Désolé de t’avoir dérangé. » glissa le jeune homme, le souffle légèrement coupé par son saut. Il se faufila discrètement, loin des regards des quelques personnes louches positionnées devant le bâtiment. L’un d’entre eux pesta avant d’entrer faire remarquer à ses compagnons que leurs envolées lyriques risquaient d’attirer l’attention des passants. Peut-être n'étaient-ils pas tous si idiots que ça, finalement. Quoique, après réflexion, si, c'était probablement le cas.

        La nuit se faisait de plus en plus sombre dans les rues de la touristique Cocoyashi, et le Limier devait se dépêcher s’il voulait éviter un carnage.
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        A partir de maintenant, c’était une course contre la montre. Il allait falloir faire preuve de rapidité et de discrétion. Qui sait si ces fanatiques n’étaient pas implantés plus largement dans tout Cocoyashi. Farros n’était pas le seul à déambuler dans les rues de la ville aux mandarines. Quelques habitants et touristes en sillonnaient également les passages pavés. La lune elle-même semblait briller d’une lueur orangée, ce soir.

        Le jeune homme avait décidé de se rendre sur le bâtiment de la marine de Aleister. Là-bas au moins, il était sûr de trouver des membres de la marine. Il arriva aux abords du navire militaire sans embûches. Les soldats qui se trouvaient là lui jetèrent un regard inquiet lorsqu’ils constatèrent l’absence de leur commandant à ses côtés.

        Après un bref résumé de la situation, ceux-ci se décidèrent à le suivre. Pas étonnant, vu la situation. Quelques-uns furent désignés pour garder le navire, tandis que d’autres se dispersèrent en ville pour prévenir la garnison locale et s’assurer que rien de louche n’avait lieu. Le reste des troupes accompagna Farros en direction du restaurant.

        Le plus gros défi allait être d’approcher le restaurant sans se faire repérer par les sectaires montant la garde. Le Cabot avait une petite idée pour ça. Un plan risqué, pour changer. Il fit signe aux soldats de rester en retrait et s’approcha du restaurant, marchant devant comme s’il était un simple passant. Il croisa le regard d’un des fanatiques et sortit une mandarine de sa poche – il l’avait récupérée sur le chemin, rien de très difficile à Cocoyashi – qu’il commença à éplucher.

        L’adorateur se tourna alors vers l’un de ses collègues, demandant approbation pour agir. Farros tourna au coin du bâtiment, lâchant quelques épluchures jusqu’à un bosquet non loin de là. Quelle fût la surprise de son poursuivant quand il se retrouva nez à nez avec les fusils des soldats embusqués dans un buisson. Farros ne se fit pas prier et, d’un geste vif, l’assomma d’un gros coup de poêle dans la face.

        Il s’empara de sa longue robe rituelle d’une couleur orange très vive arborant trois mandarines comme motif et l’enfila, laissant tomber sa capuche sur son visage. Il était désormais temps de montrer ses talents d’acteur. Malgré le contexte délicat, le jeune homme devait bien avouer que cela l’amusait de se mettre dans la peau d’un personnage aussi ridicule.

        Il se rapprocha du bâtiment assailli, s’efforçant de garder son sérieux. Le Cabot avançait tête baissée, jetant de temps à autre un œil par dessous le tissu coloré de sa robe cérémoniale. Il se trouvait au seuil du  restaurant quand une voit l’invita à s’arrêter. « Et merde ! Si près du but ! » pesta Farros intérieurement. Vu la voix du sectaire, il devait s’être coincé une mandarine au fond de la gorge :

        - Mon frère ! As-tu vu le haut-frère Birgul ? Il est parti s’occuper d’un profanateur depuis un moment déjà et il n’est toujours pas revenu.

        - Non, mon frère. Il est peut-être… allé aux toilettes ?

        - En pleine garde ? Tu sais bien que c’est interdit.

        - Euh, oui, bien sûr.

        - Dis-moi, avant que tu rentres, je ne t’ai jamais vu. Tu es nouveau dans la confrérie ?

        Manquait plus que ça, il allait se faire démasquer par se gros lourdaud à l’air patibulaire. Et il fallait se dépêcher de lui répondre, s’il voulait éviter les soupçons. Un détail l’intrigua sur la robe du bavard adorateur : seule une mandarine était brodée, au lieu de trois sur celle de Farros :

        - As-tu des problèmes de vue, mon frère ? Tu vois bien que je suis un haut-frère, regarde ma robe.

        - Toutes mes excuses haut-frère ! Je ne voulais pas paraître insolent !

        - Tu es pardonné. Maintenant veux-tu bien me laisser entrer ?

        - Oui, seulement… Que faites-vous ici ? Aucun haut-frère autre que Birgul n’est sensé être présent à Cocoyashi.

        - Je… Je viens de la paroisse de Shell-Town. On m’a demandé de venir vous délivrer un message.

        - Oh ! Je… Mais alors… Vous devez être le héros annoncé par la prophétie de la Grande Mandarine ! On ne vous attendait pas avant des semaines !

        - Je…

        - Pas un mot de plus ! Je vais vous conduire au Grand Prophète ! Quel honneur !

        Le benêt attrapa le Cabot par le bras et l’attira à l’intérieur. Décidément, Farros ne pouvait vraiment pas entreprendre quoique ce soit sans que la situation ne lui échappe. « Arf… Me voilà maintenant  envoyé divin de la Grande Mandarine... ».
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        Le jeune homme se retrouvait une fois de plus dans un sacré pétrin. Ça allait tout de suite être beaucoup plus compliqué de retrouver discrètement Ale à l’étage pour permettre aux marines de s’infiltrer. Le limier dû laisser sa panique de côté un moment pour faire face à la situation : tous les regards étaient tournés vers lui, ceux des fanatiques comme ceux des victimes. Et, comme il put le constater en levant la tête, celui de Aleister aussi. C’était une bonne chose, ça allait lui faciliter un peu la tâche, si tant est que le jeune marine l’avait reconnu sous son accoutrement.

        Un homme, qui se distinguait par le collier de pierres – oranges, bien sûr – qu’il portait autour du cou, s’approcha du Cabot. Il tendit les bras vers le ciel, singé par ses disciples, et se mit à genoux, proférant des paroles mystiques dans un langage inconnu du jeune cuisinier. Ça, en revanche, ça n’annonçait pas du bon, et Farros espérait qu’ils n’attendaient pas de lui d’en faire de même. Il prit son courage à deux mains et se lança, sachant très bien que c’était du quitte ou double :

        - Mes frères, mes frères ! Je viens vous transmettre la parole de la Grande Mandarine. Je vous demande de m’écouter en silence. Elle a exigé que je m’exprime en langage commun pour que quiconque autour de moi, fidèles comme pêcheurs, puisse entendre la divine parole.

        - Faites-donc, héros, lui répondit le grand prophète.

        Était-ce de la jalousie qu’il avait perçu dans sa voix ? Peu importe, le jeune homme n’avait pas le temps de prêter attention à ce genre de détails futiles. Il devait trouver un moyen de faire passer un message à Aleister, et vite. Heureusement pour lui, ces fanas des mandarines n’avaient définitivement pas l’air très malins :

        « Ouvrez grands vos yeux, mes frères, et laissez le zeste divin vous envahir ! Ouvrez la fenêtre vers le monde psychique qui vous habite… »

        En prononçant cette phrase, il détourna le regard vers la position où il avait vu Aleister pour la dernière fois. Heureusement, il s’y trouvait toujours. Il ne mit pas longtemps à comprendre que ces paroles s’adressaient en fait à lui.

        « … Oui, vous ! C’est en vous que vous trouverez cette fenêtre. Sur votre gauche, vers le cœur… N-Non, non, l’autre gauche... »

        Des regards interloqués commençaient à apparaître sur les visages des sectaires, alors qu’Aleister se dirigeait peu à peu vers l’issue dont parlait Farros.

        « … Bien, maintenant que vous avez ouvert cette fenêtre, laissez vous envahir par la force cachée à l’extérieur… Euh, non, l’intérieur de votre âme… Laissez-la combattre le mal qui ronge ce monde ! Oui, mes frères ! Car la Grande Manda- ».

        Le Limier n’eut pas le temps de terminer sa tirade et fût coupé en pleine prestation par le même fanatique qui l’avait fait entrer plus tôt. À côté de lui se trouvait un homme chauve au teint orange arborant une unique mèche drue de couleur verte au sommet de son crâne lisse. Il paraissait intrigué par la scène qui venait d’avoir lieu sous ses yeux. Le serviteur benêt, l’air à la fois furieux et paniqué, s’écria :
        « Ce n’est pas le héros envoyé par la Grande Mandarine ! C’est un imposteur… Le vrai héros… Il vient d’arriver ! ».

        Farros se tourna vers les expressions haineuses des fanatiques, laissant échapper un sourire canin gêné :
        « Bon, bon, sur ce, je vais pas vous déranger plus longtemps, hein. Bonne journée, Orangina Libre et tout le tralala... ».

        Aussitôt avait-il terminé sa phrase qu’il bondit sur plusieurs mètres derrière une caisse de bois. Il ne se serait pas cru capable d’une telle performance : ses entraînements commençaient à porter ses fruits !

        Les fanatiques n’eurent pas même le temps de mettre la main sur leurs armes qu’une voix puissante résonna : « MARINE DE COCOYASHI ! Les mains en l’air, que personne ne bouge ! Vous êtes en état d’arrestation ! ». Des soldats de la marine tenaient en joug les Adorateurs de la Mandarine, disposés un peu partout à l’étage supérieur.

        Farros restait allongé là, derrière les caisses, totalement affalé, riant nerveusement. Cette histoire ridicule allait enfin prendre fin.
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        Farros se retrouvait spectateur de la scène. La marine avait pris en main la situation, prenant bonne note des informations données par Aleister. Elle avait également pris soin d’interroger tous les témoins avant de les laisser partir : le Cabot avait essayé de n’omettre aucun détail, suscitant parfois l’étonnement des interrogateurs, rien d’étonnant vu l’absurdité de la situation.

        Le jeune homme avait envie de se réjouir : enfin, c’était la fin du cauchemar. Cependant, il ne pouvait s’empêcher de penser aux victimes, en particulier l’homme abattu de sang froid pour avoir tenté de s’échapper. Sans parler de la curiosité morbide qui lui criait d’essayer d’en savoir plus sur cette fameuse secte. Ce n’était sans doute pas la dernière fois qu’on en entendrait parler dans la région.

        Les interrogatoires durèrent une bonne partie de la nuit et le ciel noir étoilé commençait à laisser place à un bleu abyssal exempt de tout nuage. Aleister avait lui aussi fini de faire son compte-rendu à ses collègues et se dirigeait à présent vers son bâtiment naval. Farros l’accompagna, il rattraperait son sommeil par une bonne sieste de toute façon.

        Une fois au navire militaire, le jeune cuisinier discuta avec Ale un moment, tous deux encore un peu perturbés par leur aventure peut-être un zeste trop mouvementée. Ils furent coupés dans leurs blablas par les cris désespérés de leurs estomacs :

        - C’est vrai qu’on a pas vraiment pu profiter de notre repas, dit Farros.

        - On est passés au dessert un peu vite, ouais.

        - Je pense que je vais plus avaler de mandarines avant un moment.

        - C’est qu’ils t’auraient convaincus, dis-donc !

        - Herf, herf, herf ! Non, c’est juste que je peux plus les voir en peinture. T’as pas idées du nombre de mandarines qui peuvent être brodées sur leurs robes. Trop de orange. C’est… particulier, comme code vestimentaire.

        - Désolé que tout ne ce soit pas passé comme prévu. En plus de ça, le restaurant où tu bosses risque d’être fermé pendant un petit moment, du coup.

        - T’en fais pas pour ça, va. Je vais plus rester sur cette île très longtemps de toute façon. J’ai quelques emplettes à faire avant de partir, mais ça se limite à ça. Bon, en parlant d’emplettes, tu crois qu’on peut se procurer à manger quelque part à cette heure-ci ? Que je nous prépare quelque chose vite fait bien fait.

        Il passa donc la demi-heure qui suivit à préparer un poisson acheté auprès d’un lève-tôt de passage, amateur de pêche matinale. Ce repas improvisé fut pour les deux compères l’occasion de continuer leur discussion de la veille :

        - Bon, du coup, c’est quoi la suite du programme pour toi ? Tu comptes refaire un tour à Pétales un de ces jours ?

        - Qui sait où le métier va m’amener ! Non, plus sérieusement, je pense prendre encore un peu de repos. La journée d’hier n’a pas été si réparatrice que je le pensais, finalement.

        - T’as raison, prends le temps qu’il te faut. Tu reviendras en force et aucun criminel ne pourra te barrer le passage, herf herf.

        - Surtout si tu rejoins les rangs de la marine d’ici là !

        - Tu lâcheras jamais l’affaire, hein ?

        - Héhéhé, qu’est-ce que tu veux, j’essaye juste de t’ouvrir les yeux, ta place est dans la marine !

        - Encore un peu de sel  ?

        - Je veux bien, merci.

        Ainsi discutèrent les deux amis, assez longtemps pour que la lumière du soleil vienne éclairer leurs visages fatigués. Les adieux sont toujours difficile, mais le Limier était sûr qu’il recroiserait le chemin de son ami bien assez tôt.

        Farros allait encore passer quelques jours à Cocoyashi, où il espérait trouver quelqu’un pour racheter le navire de pêche de Campscotch et engager les pêcheurs qui l’accompagnaient depuis un moment maintenant.

        Quant à Aleister, qui savait quelles aventures lui réservait l’avenir ?
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