Ça détend de voir les gens se démener à la tâche. Y'en a encore pour qui la notion de travail veut dire quelque chose. Se lever, s'investir, donner de sa personne. L'homo faber s'épanouit dans ces carrières, ça se voit, il exploite son plein potentiel. Ça change de cette petite génération de branleurs qui vient et qui veut tout, livré sur un plateau d'argent avec la petite pipe qui va avec. Non, là, on retrouve le vrai peuple industrieux qu'a bâti des civilisations. Des hommes vigoureux, des femmes courageuses. Des enfants aussi. C'est bien de mettre les marmots au turbin. Y'a que comme ça qu'on en fera de vrais hommes.
Après... on trouvera toujours des mauvaises langues pour venir vous dire qu'ils travaillent pas de leur plein gré, que l'âge de mortalité est ridiculement bas et gnagnagna.... Faut bien que je jeunesse se passe j'ai envie de dire. Et c'est parce qu'une bande de peigne-cul, logés au chaud dans leurs bureaux loin de tous les malheurs du monde, a soudain un cas de conscience que je me retrouve ici à devoir faire un rapport. Un rapport sur l'esclavage. Je vous en foutrais. Ces gens là ont été capturés dans les règles de l'art, y'a pas eu de triche, alors faut qu'ils arrêtent d'être mauvais joueurs. T'es esclave, t'es esclave, t'avais qu'à pas te faire choper. Mais non. Noooon ! On trouve toujours une excuse à tout le monde. Qu'est-ce qu'ils m'ont demandé en plus ? C'était marqué sur leur putain de papelard, je lis ça.... ah oui, me préoccuper de «la dignité de leurs conditions de détention».
Sont vraiment aux fraises du côté du G.M. Là, c'est le début de la pente savonneuse. Au début, on cause dignité de détention et avant qu'on ait eu le temps de dire «ouf», l'esclavage est illégal. Je veux bien - enfin, non, je veux pas - mais si on arrête avec l'exploitation humaine, on a pensé à l'après ? C'est pas avec la jeunesse qui arrive qu'on maintiendra l'embarcation à flot. Alors soit on tend à minima vers l'autoritarisme - juste histoire de former la jeunesse à la dure - soit on se dit qu'au fond... les esclaves... bon... c'est pas trop mal finalement.
Pour ma part, pas envie que le G.M devienne despotique. Ça me ferait trop de travail en plus. J'aime pas bosser. Moi, transporter des cailloux par un temps de chien dix-huit heures par jour comme les autres cons là-bas, ça m'a jamais botté. Donc pour des raisons pratiques, mieux vaut que ça soit eux qui s'en chargent plutôt que des types comme moi. Ça vaut mieux pour tout le monde. Surtout pour moi.
Bon, c'est pas tout ça. Faut que je justifie mon salaire. Je vous jure. Je leur file quatre plans pour détourner du pognon et renflouer les caisses noires et ils filent le boulot à des autres. Toutes ces petites gueguerres internes au CP 2 m'ont foutu sur la touche. Pour peu, je deviendrais révolutionnaire tiens ! Mais se pose toujours la question du salaire. Ces cons là préfèrent vivre d'amour et d'eau fraîche. Tu m'étonnes qu'y perdent la guerre contre le G.M.
Maintenant que je me suis arrangé avec les autorités locales et les gardes - des gars en or - je peux me promener au milieu du cheptel. L'année dernière, on a perdu mille têtes de bétail. Le premier attardé venu arrive, y crie «révolution» et y s'en va comme un prince avec la marchandise. C'est pas un rapport d'enquête sur les conditions de détention qu'y faut mais des renforts qu'y faut envoyer. Et y servent à quoi tous ces putains de colliers explosifs hors de prix ?! Des libérateurs de mon cul arrivent ? Bah tu fais sauter tout le monde sur un kilomètre à la ronde. C'est malheureux d'en arriver là, mais au moins ça dissuaderait les autres cons de venir jouer les héros deux fois l'an. Ces révos je vous jure... chaque fois qu'y sont à court d'idée, t'en as un qui s'écrie «Et si on libérait des esclaves ?». Le hic, c'est qu'y z'ont jamais d'idées, alors y passent périodiquement nous lourder de la marchandise. J'aime autant vous dire que si j'étais en charge de la gestion, ça rigolerait moins.
Allons un petit peu au contact de la populace. On m'a dit de faire attention à eux, mais rachitiques comme y sont, ça va, je suis à l'aise. Je descends la pente rocailleuse de plusieurs centaines de mètres qui me sépare des esclaves et pis je commence mon «enquête».
- Ça va gadjo ? que je demande au gamin sur ma route.
Faut bien commencer la discussion d'une manière ou d'une autre. Moi, j'ai le sens de l'humain, c'est mon truc. Pour ça que j'ai pas besoin de tuer, je suis trop sympa pour en arriver là. Bien simple, si je venais me taper la mariée pendant sa noce, me faudrait vingt minutes de blabla pour que tout le monde - époux et parents compris - me servent sa rondelle sur un plateau. Le sens de l'humain que je dis, ça mène partout.
- J'ai... j'ai mal au dos... NnNnh
Et y chouine. Bien ce que je dis, cette génération qui vient trouve toujours le moyen de se plaindre. On n'a pas mal au dos quand on a huit ans enfin, faut quand même arrêter de dramatiser. Peuuuuuut-êêêêêêtre que la hotte sur son dos qui fait sa taille et remplie de cailloux peut justifier un léger engourdissement des vertèbres. Mais de là à parler de mal de dos... Ne nous énervons pas, c'est qu'un gosse après tout.
- C'est p'rce que tu portes 'vec ton dos. Faut porter avec les jambes. T'plies les genoux et tu te redresses, faut pas que le dos prenne la charge.
Y s'écroule. Non. Là. Y'a de la mauvaise volonté. Je donne des conseils et lui y s'évanouit sous mes yeux. Du cinéma tout ça. Qu'est-ce qu'y font pas comme drame à cet âge pour ne rien glander. Voilà un garde qui arrive. Enfin des gens raisonnables dans la place.
- Y'a le chiard qui vous importune m'sieur Derrick ? Voulez que je le bouillave ? Moi c'est simple, une béquille et tout rentre dans l'ordre.
Ça fait plaisir de voir du personnel dévoué. On sent que le type a le sens du devoir. Je l'écrirai dans le rapport : «Personnel attentionné et disponible, toujours débonnaire et agréable». Surtout que lui, je l'aime bien, c'est un gars qui en veut. L'a pas pu entrer dans la marine à cause des test de Q.I ; bah y s'est pas laissé démonter. De ce qui me disait à mon pot d'accueil, y lui arrive de fouetter ces branleurs jusqu'à s'en faire saigner la paume. Non... moi je dis ça ce niveau là, y'a pas de mot, c'est juste admirable, ça force le respect.
- Mais non Gorgie, mais non. De toute façon l'est à terre.
- Ça me dérange pas vous savez ! J'en ai maté des plus faibles que lui.
Et y commence à mettre des coups de fouets au merdeux qu'est la gueule dans la poussière. On voit le savoir-faire, poignet souple, dos bien droit, lui y sait se tenir correctement, m'étonnerait qu'il ait mal au dos en bossant. Y'a pas de secret, faut plier les genoux.
Pis.... chapeau l'artiste. On voit bien que le gosse... sa perte de connaissance... c'était du chiqué. Le voilà déjà qui se relève - en larmes, évidemment, toujours à chouiner - et qui ramasse ses cailloux. Bah moi, je trouve ça digne. On redonne le goût du travail à ceux qui l'ont perdu. Des gestes simples qui sauvent des carrières. Des carrières de pierre surtout. Faudra que je la ressorte à Gorgie, elle est pas mal celle-là.
- Pas tout ça, mais y'a d'autres chats à fouetter.
Voilà que Gorgie avec ses gros yeux de dingue se met à regarder frénétiquement à droite à gauche.
- Où ça ?!
Bon, on sent qu'il a pas terminé ses études. Et qu'il les a pas commencées non plus. Mais vraiment, brave gars. Le cœur sur la main, généreux, surtout avec les coups de fouet.
- Non c'est... c'est une expression Gorgie. Ça veut dire qu'j'ai du pain sur la planche.
Y me regarde avec ses yeux vides et sa bouche ouverte prête à gober des mouches.
- Vous voulez du jambon avec votre pain ? Ou de la confiture p't'être ?
Encore une fois, c'est un bon gars. Il a déjà ça pour lui. Je lui tape sur l'épaule, j'y dis de retourner bosser - parce qu'à la longue y me tape sur les nerfs ce gogol - et je continue mon inspection. Où est-ce que je vais trouver de la dignité humaine dans toute cette chiasse humaine ? Sont tous occupés à casser des cailloux et à les ramasser. J'approche un vieux qui cogne à la pioche comme un dément, y te pète des morceaux entier de la falaise au fond de laquelle y croupit. L'a la niaque l'ancien ! Ça fait plaisir. Les anciennes générations, y'a que ça de vrai. Ça turbine, ça fait pas chier et quand c'est trop vieux pour bosser, ça meurt. Le cycle de la vie en somme.
Alors j'approche mon barbu avec une gourde d'eau - parce que lui y l'a méritée - et je commence à tailler le bout de gras.
- 'tention l'ancien, si tu continues de bosser comme ça, on aura vite fait d't'app'ler l'dromadaire warf warf warf !
Une rasade d'eau fraîche, une petite vanne, juste de quoi briser la glace et je peux dire qu'on va devenir les meilleurs amis du.... je rêve ou c'est des menottes en granit marin qu'il a ?
Après... on trouvera toujours des mauvaises langues pour venir vous dire qu'ils travaillent pas de leur plein gré, que l'âge de mortalité est ridiculement bas et gnagnagna.... Faut bien que je jeunesse se passe j'ai envie de dire. Et c'est parce qu'une bande de peigne-cul, logés au chaud dans leurs bureaux loin de tous les malheurs du monde, a soudain un cas de conscience que je me retrouve ici à devoir faire un rapport. Un rapport sur l'esclavage. Je vous en foutrais. Ces gens là ont été capturés dans les règles de l'art, y'a pas eu de triche, alors faut qu'ils arrêtent d'être mauvais joueurs. T'es esclave, t'es esclave, t'avais qu'à pas te faire choper. Mais non. Noooon ! On trouve toujours une excuse à tout le monde. Qu'est-ce qu'ils m'ont demandé en plus ? C'était marqué sur leur putain de papelard, je lis ça.... ah oui, me préoccuper de «la dignité de leurs conditions de détention».
Sont vraiment aux fraises du côté du G.M. Là, c'est le début de la pente savonneuse. Au début, on cause dignité de détention et avant qu'on ait eu le temps de dire «ouf», l'esclavage est illégal. Je veux bien - enfin, non, je veux pas - mais si on arrête avec l'exploitation humaine, on a pensé à l'après ? C'est pas avec la jeunesse qui arrive qu'on maintiendra l'embarcation à flot. Alors soit on tend à minima vers l'autoritarisme - juste histoire de former la jeunesse à la dure - soit on se dit qu'au fond... les esclaves... bon... c'est pas trop mal finalement.
Pour ma part, pas envie que le G.M devienne despotique. Ça me ferait trop de travail en plus. J'aime pas bosser. Moi, transporter des cailloux par un temps de chien dix-huit heures par jour comme les autres cons là-bas, ça m'a jamais botté. Donc pour des raisons pratiques, mieux vaut que ça soit eux qui s'en chargent plutôt que des types comme moi. Ça vaut mieux pour tout le monde. Surtout pour moi.
Bon, c'est pas tout ça. Faut que je justifie mon salaire. Je vous jure. Je leur file quatre plans pour détourner du pognon et renflouer les caisses noires et ils filent le boulot à des autres. Toutes ces petites gueguerres internes au CP 2 m'ont foutu sur la touche. Pour peu, je deviendrais révolutionnaire tiens ! Mais se pose toujours la question du salaire. Ces cons là préfèrent vivre d'amour et d'eau fraîche. Tu m'étonnes qu'y perdent la guerre contre le G.M.
Maintenant que je me suis arrangé avec les autorités locales et les gardes - des gars en or - je peux me promener au milieu du cheptel. L'année dernière, on a perdu mille têtes de bétail. Le premier attardé venu arrive, y crie «révolution» et y s'en va comme un prince avec la marchandise. C'est pas un rapport d'enquête sur les conditions de détention qu'y faut mais des renforts qu'y faut envoyer. Et y servent à quoi tous ces putains de colliers explosifs hors de prix ?! Des libérateurs de mon cul arrivent ? Bah tu fais sauter tout le monde sur un kilomètre à la ronde. C'est malheureux d'en arriver là, mais au moins ça dissuaderait les autres cons de venir jouer les héros deux fois l'an. Ces révos je vous jure... chaque fois qu'y sont à court d'idée, t'en as un qui s'écrie «Et si on libérait des esclaves ?». Le hic, c'est qu'y z'ont jamais d'idées, alors y passent périodiquement nous lourder de la marchandise. J'aime autant vous dire que si j'étais en charge de la gestion, ça rigolerait moins.
Allons un petit peu au contact de la populace. On m'a dit de faire attention à eux, mais rachitiques comme y sont, ça va, je suis à l'aise. Je descends la pente rocailleuse de plusieurs centaines de mètres qui me sépare des esclaves et pis je commence mon «enquête».
- Ça va gadjo ? que je demande au gamin sur ma route.
Faut bien commencer la discussion d'une manière ou d'une autre. Moi, j'ai le sens de l'humain, c'est mon truc. Pour ça que j'ai pas besoin de tuer, je suis trop sympa pour en arriver là. Bien simple, si je venais me taper la mariée pendant sa noce, me faudrait vingt minutes de blabla pour que tout le monde - époux et parents compris - me servent sa rondelle sur un plateau. Le sens de l'humain que je dis, ça mène partout.
- J'ai... j'ai mal au dos... NnNnh
Et y chouine. Bien ce que je dis, cette génération qui vient trouve toujours le moyen de se plaindre. On n'a pas mal au dos quand on a huit ans enfin, faut quand même arrêter de dramatiser. Peuuuuuut-êêêêêêtre que la hotte sur son dos qui fait sa taille et remplie de cailloux peut justifier un léger engourdissement des vertèbres. Mais de là à parler de mal de dos... Ne nous énervons pas, c'est qu'un gosse après tout.
- C'est p'rce que tu portes 'vec ton dos. Faut porter avec les jambes. T'plies les genoux et tu te redresses, faut pas que le dos prenne la charge.
Y s'écroule. Non. Là. Y'a de la mauvaise volonté. Je donne des conseils et lui y s'évanouit sous mes yeux. Du cinéma tout ça. Qu'est-ce qu'y font pas comme drame à cet âge pour ne rien glander. Voilà un garde qui arrive. Enfin des gens raisonnables dans la place.
- Y'a le chiard qui vous importune m'sieur Derrick ? Voulez que je le bouillave ? Moi c'est simple, une béquille et tout rentre dans l'ordre.
Ça fait plaisir de voir du personnel dévoué. On sent que le type a le sens du devoir. Je l'écrirai dans le rapport : «Personnel attentionné et disponible, toujours débonnaire et agréable». Surtout que lui, je l'aime bien, c'est un gars qui en veut. L'a pas pu entrer dans la marine à cause des test de Q.I ; bah y s'est pas laissé démonter. De ce qui me disait à mon pot d'accueil, y lui arrive de fouetter ces branleurs jusqu'à s'en faire saigner la paume. Non... moi je dis ça ce niveau là, y'a pas de mot, c'est juste admirable, ça force le respect.
- Mais non Gorgie, mais non. De toute façon l'est à terre.
- Ça me dérange pas vous savez ! J'en ai maté des plus faibles que lui.
Et y commence à mettre des coups de fouets au merdeux qu'est la gueule dans la poussière. On voit le savoir-faire, poignet souple, dos bien droit, lui y sait se tenir correctement, m'étonnerait qu'il ait mal au dos en bossant. Y'a pas de secret, faut plier les genoux.
Pis.... chapeau l'artiste. On voit bien que le gosse... sa perte de connaissance... c'était du chiqué. Le voilà déjà qui se relève - en larmes, évidemment, toujours à chouiner - et qui ramasse ses cailloux. Bah moi, je trouve ça digne. On redonne le goût du travail à ceux qui l'ont perdu. Des gestes simples qui sauvent des carrières. Des carrières de pierre surtout. Faudra que je la ressorte à Gorgie, elle est pas mal celle-là.
- Pas tout ça, mais y'a d'autres chats à fouetter.
Voilà que Gorgie avec ses gros yeux de dingue se met à regarder frénétiquement à droite à gauche.
- Où ça ?!
Bon, on sent qu'il a pas terminé ses études. Et qu'il les a pas commencées non plus. Mais vraiment, brave gars. Le cœur sur la main, généreux, surtout avec les coups de fouet.
- Non c'est... c'est une expression Gorgie. Ça veut dire qu'j'ai du pain sur la planche.
Y me regarde avec ses yeux vides et sa bouche ouverte prête à gober des mouches.
- Vous voulez du jambon avec votre pain ? Ou de la confiture p't'être ?
Encore une fois, c'est un bon gars. Il a déjà ça pour lui. Je lui tape sur l'épaule, j'y dis de retourner bosser - parce qu'à la longue y me tape sur les nerfs ce gogol - et je continue mon inspection. Où est-ce que je vais trouver de la dignité humaine dans toute cette chiasse humaine ? Sont tous occupés à casser des cailloux et à les ramasser. J'approche un vieux qui cogne à la pioche comme un dément, y te pète des morceaux entier de la falaise au fond de laquelle y croupit. L'a la niaque l'ancien ! Ça fait plaisir. Les anciennes générations, y'a que ça de vrai. Ça turbine, ça fait pas chier et quand c'est trop vieux pour bosser, ça meurt. Le cycle de la vie en somme.
Alors j'approche mon barbu avec une gourde d'eau - parce que lui y l'a méritée - et je commence à tailler le bout de gras.
- 'tention l'ancien, si tu continues de bosser comme ça, on aura vite fait d't'app'ler l'dromadaire warf warf warf !
Une rasade d'eau fraîche, une petite vanne, juste de quoi briser la glace et je peux dire qu'on va devenir les meilleurs amis du.... je rêve ou c'est des menottes en granit marin qu'il a ?
Dernière édition par Derrick Oletto le Lun 24 Juin 2019 - 11:33, édité 1 fois