C'est un manoir. On a du mal à voir l'intérieur, entre le muret, la grille dessus et les buissons derrière qui entourent le jardin, mais y a plus beaucoup de doutes. Y en a même aucun si on accepte ma brillante théorie sur le nom. Et il n'y a aucune raison de ne pas accepter cette théorie, puisqu'elle est brillante.
Ou alors c’est une villa, mais je saurais pas faire la différence.
Je baille. J'ai un petit coup de pompe moi. Bah, ça ira mieux une fois lancés dans l'action.
Je demande ce qu'on fait en premier pour entrer. Y a plusieurs solutions, par exemple :
- On fait quoi, on va les appeler depuis la porte d'entrée ?
Le sergent Taumassen n'est pas d'accord. Pour lui, se présenter avec nos uniformes pourrait être gênant si quelqu'un nous observait. Mais là on est juste dans la rue d'à côté, on est en uniforme et on est visible comme le nez de Pipo. Et pourquoi on se cacherait ? Je veux bien être discrète, mais il y a agir sans faire trop de bruit et agir en secret comme si on était des criminels. C'est pas nous les criminels, c'est eux, c'est les contrebandiers. On va pas se cacher des contrebandiers, ça serait bête vu qu'on cherche à les capturer.
Après un débat un peu trop long à mon goût, on décide de couper la poire en deux. Je vais à la porte et demander qu’on me laisse entrer, accompagnée d’Écorcheur et Taumassen. Les autres vont escalader la grille pour entrer par le côté jardin pendant ce temps. Comme ça ils sont à l’intérieur s’il faut entrer ou s’il y a un problème, et moi je peux entrer facilement si la porte reste close.
Gianna aurait aimé que Taumassen reste avec eux, mais j'ai besoin de lui. C'est lui le local, il aura à discuter avec Tabernacolle ou ses valets ou ses hommes de main.
Alors je fais le tour du jardin et j’arrive sur la partie où le manoir donne sur la rue. Rez-de-chaussé aveugle et les volets au premier étage sont fermés … au second étage il y en a quelques-unes ouvertes, beaucoup de fermées. D'ailleurs ils ont l'air vachement hauts ces étages, vu l'écart entre les fenêtres. Elles sont toutes ouvertes au troisième, mais même, je ne crois pas que je vais trop pouvoir entrer. Enfin .. pas avec l’accord du propriétaire. Pour entrer par effraction j'ai des méthodes. Isidore Tabernacole doit être parti en vacances.
Ou avoir abandonné les lieux sans pour autant vouloir que ça soit trop facile pour des voleurs de venir ? Ou … je ne sais pas. Il y a plein de possibilités, non ?
En tout cas quand je toque à la porte, personne n’ouvre. Même en tapant très fort.
- On défonce la porte ? propose alors Écorcheur.
- On peut sûrement faire autrement, objecte le sergent Wilberg Taumassen.
- J'ai un bazooka !
- Voilà, on a qu'à utiliser le bazooka du boss.
- Mais .. on cherche à l'interroger, pas à détruire la propriété, continue de s'opposer Wilberg.
- En même temps, il veut pas être interrogé, personne nous ouvre.
- On va quand même pas s'ouvrir une entrée avec un bazooka.
- Mais j'ai jamais l'occasion de m'en servir...
Il est pas drôle. Je fais la moue. Écorcheur sort un couteau et se met à tabasser la porte avec.
- Eh eh, tu fais quoi ? Ça va pas détruire la serrure ça. T'en as pour des heures.
Il donne encore plusieurs coups, en tournant la tête vers moi.
- Alors tu proposes quoi Boss ?
- On passe par la fenêtre.
Taumassen semble un peu dubitatif.
- C'est un peu haut quand même. Il faudrait aller chercher une échelle.
- Pas besoin, je vous porte !
- Euh ... sauf votre respect, Scorone ...
- Mais non mais non. Une minute, j'ouvre la fenêtre puis je vous fais monter.
Je fais apparaître un bras au second étage, puis je place un œil dessus. En tournant le bras, je peux voir l'intérieur de la baraque. Ce qui me permet de placer un œil à l'intérieur. Et j'utilise celui-ci pour un bras sur la fenêtre, qui se charge d'en tourner la poignée. Voilà, fenêtre déverrouillée !
- Faudra juste la pousser un peu. Allez Écorcheur, toi le premier.
Je me sers de bras que je fais apparaître le long de la façade pour le soulever et le faire monter, un peu comme une échelle où ce seraient les barreaux qui font monter la personne. Sauf que les barreaux c'est moi ! Je suis la meilleure. Une fois Écorcheur dans la place, c'est au tour de Wilberg. Qui ne s'approche pas du bas de "l'échelle".
- Allez-y, n'ayez pas peur.
- C'est que ... c'est bien sûr ce machin ?
- Mais oui, vous l'avez bien vu. Il est arrivé en haut sans soucis. Allez, c'est votre tour.
- Me lâchez pas hein ..
- Comme si j'allais faire ça.
Bon, c'est vrai que ça fatigue un peu et je commence à avoir faim. Alors qu'on vient de manger. Mais j'ai encore plein d'énergie ! Et puis j'ai l'habitude que réfléchir me donne faim. Et utiliser mon pouvoir. Et faire du sport. En fait tout me donne envie de manger. Sauf dormir. Parce que qui mange dort, ou quelque chose comme ça. C'est un proverbe.
Nous voilà à l'intérieur et il fait tout noir. Tiens, il est passé où Écorcheur ? Je pose la question à Taumassen, mais :
- Aucune idée, il a dû partir en reconnaissance.
Peut-être ... il y a pas mal de portes fermées. Mais aussi plusieurs ouvertes. Écorcheur a dû passer par l'une d'elle. Je vois pas pourquoi il aurait refermé la porte s'il y était passé.
Une minute passe, je me suis reposée, Écorcheur n'est pas revenu.
Alors je propose à Wilberg d'aller le chercher.
- Nous ferions mieux de l'attendre, non ? Si nous partons le chercher alors qu'il revient, nous risquons de nous tourner autour.
- .. C'est juste. Mais je peux ouvrir la porte et jeter un coup d’œil dans les pièces quand même.
- Faites donc Lieutenant.
J'ouvre la première porte à côté, sympa la baignoire. Par contre ce carrelage, jamais je pourrais mettre un truc pareil chez moi. C'est trop clinquant, ça fait moche. La porte en face, étant déjà ouverte, j'ai vu qu'elle contenait une chambre, de taille moyenne, avec deux lits. Y a un certain nombre de dominos par terre, renversés. Est-ce qu'ils ont caché des explosifs sous les lits ? Cette nuit Gianna a pu faire exploser une maison, même si c'était plutôt une cabane. Et moi je peux toujours pas utiliser mon bazooka.
Des fois la vie, c'est pas juste.
- Y a des dominos ici, je préviens Taumassen.
- Des dominos ? Faites voir.
- Gaffe. La dernière fois qu'on en a croisé c'était juste avant l'explosion de cette nuit.
- Il y avait un mécanisme à base de dominos pour provoquer l'explosion ?
- Oui. Exactement.
- J'avais entendu dire que c'était l'un d'entre vous qui avait tiré dans une caisse d'explosif.
- Oui, aussi. On a désactivé le système. Mais on se méfiait. Alors on s'est éloignés pour éviter les problèmes. Et on a eu raison, la preuve, ça a explosé.
- ... Vous êtes vraiment des bourrins dans la marine d’Élite.
- C'est notre rôle, répondis-je simplement.
On nous paye pour ça. Eux maintiennent l'ordre. Nous le rétablissons, par la force en général. Eux fournissent le nombre, nous les spécialistes, la force de frappe, le poignard par rapport au marteau de la marine régulière. C'est un plutôt bon arrangement, en général.
- Alors du coup, les dominos ici ? Un piège ?
- Sûrement.
- On fait quoi ?
- On va voir ailleurs.
- Au cas où ça explose ?
Avant que je ne puisse répondre à cette question, nous entendons un long cri. Et je reconnais cette voix, c'est celle d'Écorcheur.
- Par-là, vite !
Je m'élance, Taumassen sur les talons, dans le couloir. Nous courrons en direct du cri, jusqu'à arriver devant une porte fermée.
- Pour moi, ça vient soit d'ici soit de la pièce d'à côté.
- Vous croyez sergent ?
- C'est l'impression que j'ai en tout cas.
- Essayons, on va bien voir.
Taumassen appuie sur la poignée. Le sol s'ouvre sous ses pieds. Je le rattrape de justesse avec mon pouvoir, en faisant apparaître des bras nombreux pour le rattraper, tout en forçant l'ouverture de la trappe. Et j'aide le marine à remonter ensuite. Je suis fatiguée par cette utilisation précipitée de mon fruit du démon, mais c'est pas grave, je récupère vite. Tout va bien.
Il souffle fort, je crois que Wilberg a eu une grosse frayeur. Je le comprends, remarque. Je n'aimerais pas non plus si on me retirait le plancher de sous moi.
J'attends que le sergent ait repris une contenance, même si je sais pas exactement ce que ça veut dire, puis je pars ouvrir l'autre porte. En me tenant à côté de la porte, pour pas me faire avoir si une trappe s'ouvre encore.
Ça semble aller. Je pousse la porte en restant sur le côté, Taumassen derrière moi. Je m'attends à un piège. Peut-être des dominos ?
On entend un "toc".
"toc, toc, toc, toctoc, toctoctoctoc".
Dominos.
Un tir de fusil traverse le couloir, là où j'aurais pu me trouver si je m'étais pas méfiée, avant de s'enfoncer dans le plâtre en face.
- Misère ...
J'aimerais bien entrer, mais le toc toc des dominos se fait toujours entendre. Alors je décide de m'écarter du mur et faire "entrer" un œil dans la pièce par la porte ouverte. Même si elle est dans la pénombre, j'arrive à distinguer suffisamment l'intérieur pour pouvoir y utiliser mon pouvoir.
. . .
Trois secondes plus tard je crie à Taumassen de se jeter à terre tout en faisant de même et en utilisant mon pouvoir pour lui faucher les jambes afin de le faire tomber plus vite.
. .
Deux secondes plus tard, à une ou deux secondes près, le mur éclatait au-dessus de nous tandis qu'un canon fumait après avoir tiré son boulet, et un autre canon faisait de même de l'autre côté.
Je reçois plein de plâtre et de brique dans les cheveux ! Ils sont tous sales ! Et Taumassen et nos uniformes s'en sortent pas mieux.
- Des canons dans une maison ? Ils sont fous ! Ils veulent nous tuer ?!
- Je pense que oui, m'explique Wilberg d'un ton las.
- Eh bien c'est ... c'est ... il y a des choses qui ne se font pas !
On veut juste les emmener en prison et devant un tribunal, c'est complétement disproportionné qu'ils essayent de nous tuer. De mon œil toujours présent dans la pièce, je vois trois choses.
D'abord, qu'il n'y a plus de dominos en train de tomber. Ensuite, que la pièce est essentiellement vide, même s'il y a des chaises entassées dans un coin.
Et dernièrement, qu'Écorcheur est dans une cage là. Enfin Écorcheur .. la moitié d'Écorcheur. C'est horrible ... je me demanderais plus jamais à quoi il ressemble quand il est tout nu.
Et je m'étais jamais posée la question avant !
- Oh salut Boss, me dit Écorcheur en souriant bêtement quand il me voit entrer dans la pièce. Il est à peine gêné de cette situation. Je tourne la tête vers la fenêtre, envoyant deux bras l'ouvrir et ouvrir les volets, histoire qu'on y voie plus clair dans cette pièce. Avec d'autres bras, je fais sortir le marine de sa cage.
- Salut soldat. Où est passé votre uniforme ? Belles cicatrices au fait.
- Merci. La déchirure sur le côté droit je la sors de la dernière bataille sur Jaya, les coutures sur le bras me viennent d'un esclavagiste homme-poisson, une sacrée mâchoire, même à moitié mort. Quand à ..
- Je m'en fiche, merci. Votre uniforme ?
- Ben tu vas pas me croire mais j'en sais rien. Je m'étais à peine avancé dans une chambre pour y jeter un oeil que je me retrouve à tomber dans une trappe. Puis ensuite y a eu des ressorts qui m'ont propulsé en l'air, un toboggan, puis des mécanismes que dans l'ombre je n'ai pas vu ce que c'était, à part que c'était très inconfortable et que je n'aurais pas aimé être un gros lard. À la sortie mes fringues étaient en morceaux et mes armes étaient pas dans un meilleur état, alors je me suis désapé avant d'avancer dans un corridor devant moi. Là y a eu plusieurs virages, puis j'ai à un moment fini dans un espèce de seau qui montait et qui m'a déposé dans un conduit bien dix mètres au-dessus du point de départ, alors comme le chemin derrière moi était bouché je suis allé vers l'avant. Là je me retrouve devant l'ouverture ici, juste au-dessus de cette cage. Dans le noir je vois pas bien mais j'ai bien vu qu'il y avait un trou, alors je me prépare à descendre avec précaution ... et là y a quelque chose qui m'a poussé dans le dos et je suis tombé ici.
- En criant ?
- En criant. C'est comme ça que vous m'avez retrouvé non ?
- Uhuh. Tu n'avais rien touché ?
- Non non. .. Enfin .. juste une statuette dorée. Qui a déclenché le mécanisme, maintenant que j'y pense.
Taumassen se décide à entrer dans la conversation, en félicitant Écorcheur. Je crois qu'il est ironique, mais l'autre ne doit pas avoir compris.
- Merci Sergent. Vous pouvez me prêter votre veste ? Je commence à me les cailler un peu. Et si vous pouvez me faire sortir, ça serait sympa aussi.
- Je ne sais pas. Qu'en dites-vous Lieutenant Scorone ? On pourrait aussi le laisser ici un peu, en guise de leçon.
- Faites comme vous voulez. Dans tous les cas tu marches derrière Écorcheur, je t'interdis de me passer devant.
- Ahah, sûr Boss. J'te pensais pas prude comme ça.
- Je ... ta gueule soldat. J'ai un bazooka.
J'aurais préféré que ça soit Wilberg plutôt qu'Écorcheur, voilà tout. Je suis sûre qu'il aurait été plus agréable à voir.
Oui, voilà.
Prude moi ? Je ne sais même pas ce que ça veut dire.
... Peut-être que je devrais lire un dictionnaire un de ces jours. On sait jamais.