Dunkan ouvrit ses yeux, qui contemplèrent l’obscurité. Depuis combien de temps était-il réveillé ? Deux minutes ? Cinq heures ? Avait-il seulement dormi ? Sans doute que oui, mais pas longtemps. Tant pis, c’était déjà ça. Il se redressa sans bruit sur son coude, jetant un coup d’œil dans la direction de la fenêtre. Sa forme fantomatique apparaissant furtivement, flottant dans les ténèbres environnantes. Il releva son oreiller et s’assit sur son lit, fixant le volet qu’il devinait dans l’encadrure. Il la regarda se détacher petit à petit, sortir de la grisaille du monde. Lentement, sans qu’on ne puisse vraiment dire quand cela commença, un mince rai de lumière vient éclairer la pierre du dortoir, mettant à jour les imperfections de la pierre. Ici, l’on voyait une teinte plus sombre, là un tailleur trop zélé avait créé un léger trou, ailleurs un éclat de mica scintillait vainement. Quand le petit éclat de pierre fut tout à fait dévoilé, le rayon s’avança pas à pas, presque timidement. On aurait presque dit qu’il avançait juste trop lentement pour que l’œil ne puisse le saisir. Et lui le regardait d’un regard aigu, comme s’il tentait de percer les mystères de cette lumière impromptue. Et la lumière continuait d’avancer de ses pas discrets. Au bout d’une éternité surprenamment courte, il avait conquis toute la distance jusqu’à la rainure du premier carreau et s’attaqua alors à franchir le second, d’une propreté presque aussi inhumaine que le premier. Quelque part au milieu de la poursuite du troisième, le silence explosa.
Le son cuivré des trompettes, ce son savamment strident, se répercuta à travers les couloirs déchirant le voile du rêve des dormeurs. Ce son trop familier semblait annoncer avec ironie l’arrivée de cette lumière grise, camer avec dédain la venue de son glorieux empire. Sans y avoir réfléchi, mué par l’ancienne mécanique de ses habitudes, il s’était levé au milieu des autres soldats et dirigé vers son placard pour enfiler son uniforme, cet uniforme rêche qui était sa vraie peau. Il n’aurait plus été capable de dire comment il faisait pour l’enfiler : il le mettait, c’est tout. Il se levait de son sa couche, enfilait son uniforme puis, tel un automate, prenait le chemin du terrain d’entrainement, puis courrait. Il courrait à en perdre le souffle, il courait comme s’il voulait distancer son ombre. Puis, au bout de la course, dix kilomètres plus loin, il s’arrêtait, toujours aussi vide. Ce vide béant et insatiable que même l’épuisement ne parvenait pas à combler. Ensuite venait la revue. Il parcourait ces couloirs, qu’il ne connaissait que trop pour surveiller le travail de ces hommes, qu’il ne connaissait pas. Il marchait, une ombre qui en surveillait d’autres, vérifiant les aptitudes de son peloton de femmes de ménages.
Ce que ni les cuivres ni la fatigue n’avait su faire fut finalement accompli par la consistance molle et le goût étrange mais bien connu du petit-déjeuner. Tandis que le brouhaha ambiant pénétrait peu à peu le brouillard qui verrouillait ses oreilles, il relevait lentement les yeux de cette bouillie que les cantiniers appelaient « nourriture ». Son regard traversa lentement la table, pour venir se fixer sur la chaise libre en face de lui. Il s’en détacha au bout de quelques secondes pour balayer des yeux la salle bien organisée. Elle était bien entretenue et régulièrement rénové, mais elle n’avait pas changé depuis toutes ces années. La salle était restée la même, mais les occupants avaient changés. Il ne connaissait plus le quart des soldats présent et tous les anciens s’en étaient allés. Maintenant, c’était lui qui était un ancien et, bientôt, ce serait son tour de s’en aller.
Les recrues se regroupaient dans la cour, sentant sur eux le poids des regards de tous les officiers et sous-officier qui allaient encadrer leur instruction. Au-dessus d’eux, le ciel grisâtre semblait hésiter entre laisser éclater une lourde pluie ou se dissiper en léger nuages. A croire que le ciel lui-même avait le sens des traditions. Ou bien peut-être lui faisait-il ses adieux de manière indirecte. Ce jour-là, quand tout avait commencé, c’était à leur place et sous ce même ciel qu’il s’était présenté. Une vie était passée et rien n’avait changé… Enfin… Il allait falloir remplir son devoir, une dernière fois, avant que tout s’arrête.
Il était là, dans ses vêtements trop grands, hésitant entre la peur de l’inconnu (s’il savait…) et la joie d’avoir échappé à la vie de pauvreté qui l’attendait (s’il avait sût…), tentant difficilement de faire montre d’un maintien militaire. Il était fier, alors, fier de sa force, fier de servir… Il n’avait aucune raison d’avoir cette fierté. Mais il se tenait là, confiant en l’avenir, effrayé par ces hommes aux visages fermés, le temps lui-même était à la jonction, le feu et l’eau se disputant son espace. Il avait cru au symbole d’un changement de l’ombre vers la lumière, là où il ne fallait voir que les influences de ces vents qui allaient ponctuer ses nuits les plus sombres. Il se revoyait droit, les mains dans le dos, peinant à rester tranquille, écoutant le discours du colonel sur l’honneur, le devoir et le sens de la vie de militaire. A l’époque, il l’avait trouvé très inspirant, porté par des idéaux, porté par ses idéaux.
Puis il avait rencontré son sergent instructeur comme eux le faisaient désormais et, malgré tous les efforts de ce dernier, il ne l’avait pas haï. Il avait compris le sens de ces cris, de cette autorité débordante, de ses injustices. Il l’avait même admiré pour la manière dont il tenait son rôle. Le vieil homme avait feint de ne pas remarquer cette admiration et ne lui avait jamais offert que des regards vides, dépourvu de la moindre étincelle d’intérêt, le même regard que devait subir de plein fouet cette fille au premier rang.
Le son cuivré des trompettes, ce son savamment strident, se répercuta à travers les couloirs déchirant le voile du rêve des dormeurs. Ce son trop familier semblait annoncer avec ironie l’arrivée de cette lumière grise, camer avec dédain la venue de son glorieux empire. Sans y avoir réfléchi, mué par l’ancienne mécanique de ses habitudes, il s’était levé au milieu des autres soldats et dirigé vers son placard pour enfiler son uniforme, cet uniforme rêche qui était sa vraie peau. Il n’aurait plus été capable de dire comment il faisait pour l’enfiler : il le mettait, c’est tout. Il se levait de son sa couche, enfilait son uniforme puis, tel un automate, prenait le chemin du terrain d’entrainement, puis courrait. Il courrait à en perdre le souffle, il courait comme s’il voulait distancer son ombre. Puis, au bout de la course, dix kilomètres plus loin, il s’arrêtait, toujours aussi vide. Ce vide béant et insatiable que même l’épuisement ne parvenait pas à combler. Ensuite venait la revue. Il parcourait ces couloirs, qu’il ne connaissait que trop pour surveiller le travail de ces hommes, qu’il ne connaissait pas. Il marchait, une ombre qui en surveillait d’autres, vérifiant les aptitudes de son peloton de femmes de ménages.
Ce que ni les cuivres ni la fatigue n’avait su faire fut finalement accompli par la consistance molle et le goût étrange mais bien connu du petit-déjeuner. Tandis que le brouhaha ambiant pénétrait peu à peu le brouillard qui verrouillait ses oreilles, il relevait lentement les yeux de cette bouillie que les cantiniers appelaient « nourriture ». Son regard traversa lentement la table, pour venir se fixer sur la chaise libre en face de lui. Il s’en détacha au bout de quelques secondes pour balayer des yeux la salle bien organisée. Elle était bien entretenue et régulièrement rénové, mais elle n’avait pas changé depuis toutes ces années. La salle était restée la même, mais les occupants avaient changés. Il ne connaissait plus le quart des soldats présent et tous les anciens s’en étaient allés. Maintenant, c’était lui qui était un ancien et, bientôt, ce serait son tour de s’en aller.
Les recrues se regroupaient dans la cour, sentant sur eux le poids des regards de tous les officiers et sous-officier qui allaient encadrer leur instruction. Au-dessus d’eux, le ciel grisâtre semblait hésiter entre laisser éclater une lourde pluie ou se dissiper en léger nuages. A croire que le ciel lui-même avait le sens des traditions. Ou bien peut-être lui faisait-il ses adieux de manière indirecte. Ce jour-là, quand tout avait commencé, c’était à leur place et sous ce même ciel qu’il s’était présenté. Une vie était passée et rien n’avait changé… Enfin… Il allait falloir remplir son devoir, une dernière fois, avant que tout s’arrête.
Il était là, dans ses vêtements trop grands, hésitant entre la peur de l’inconnu (s’il savait…) et la joie d’avoir échappé à la vie de pauvreté qui l’attendait (s’il avait sût…), tentant difficilement de faire montre d’un maintien militaire. Il était fier, alors, fier de sa force, fier de servir… Il n’avait aucune raison d’avoir cette fierté. Mais il se tenait là, confiant en l’avenir, effrayé par ces hommes aux visages fermés, le temps lui-même était à la jonction, le feu et l’eau se disputant son espace. Il avait cru au symbole d’un changement de l’ombre vers la lumière, là où il ne fallait voir que les influences de ces vents qui allaient ponctuer ses nuits les plus sombres. Il se revoyait droit, les mains dans le dos, peinant à rester tranquille, écoutant le discours du colonel sur l’honneur, le devoir et le sens de la vie de militaire. A l’époque, il l’avait trouvé très inspirant, porté par des idéaux, porté par ses idéaux.
Puis il avait rencontré son sergent instructeur comme eux le faisaient désormais et, malgré tous les efforts de ce dernier, il ne l’avait pas haï. Il avait compris le sens de ces cris, de cette autorité débordante, de ses injustices. Il l’avait même admiré pour la manière dont il tenait son rôle. Le vieil homme avait feint de ne pas remarquer cette admiration et ne lui avait jamais offert que des regards vides, dépourvu de la moindre étincelle d’intérêt, le même regard que devait subir de plein fouet cette fille au premier rang.
Dernière édition par Anna Cherchelune le Sam 10 Aoû 2019 - 11:17, édité 1 fois