North Blue, XXXXX, 1628
Le Professeur Vimmel a toujours aimé se donner un petit genre atypique. Et pour ça, il redouble d’effort ; il prend soin de choisir une tenue qui dénote totalement avec son environnement, de se coiffer d’une coupe unique au monde, et d’agir d’une drôle de façon. Tout ça dans l’unique but d’attirer l’attention sur lui. Qu’on dise de lui qu’il est spécial. Qu’il attise la curiosité. Et aussi pour attirer la clientèle. Son métier, c’était toute sa vie. Son gagne-pain, son hobby. Aujourd’hui encore, il va sonder la psyché d’une pauvre femme en détresse. Entre autres choses. La consultation du jour est programmé pour dix heure du soir. Après tout, la plupart des gens n’ont que très peu envie que l’on sache qu’ils consultent. Le Professeur Vimmel a l’habitude, et ça l’arrange bien.
Il se regarde dans le miroir. Ses cheveux d’un noir profond ont été parfaitement disposés de façon à lui donner un air décoiffé. Son costume est droit et parfaitement propre. Il applique une dernière petite touche de maquillage sous ses yeux. On toque à sa porte au moment même où il range son crayon noir.
Vingt-deux heures.
Il se lance un clin-d’œil à lui-même, puis sort d’un petit placard deux verres, qu’il remplit d’eau fraîche. Il ajoute même à l’un un ingrédient secret. C’est celui-ci qu’il tend à sa nouvelle cliente, qu’il invite à entrer dans son humble bureau. Il ne peut refréner le sourire qui lui tire le visage ; l’air parfaitement neutre, presque mécontente d’être là ; la jeune femme qui vient de rentrer ne va pas s’ouvrir si facilement, et Vimmel se fait une joie à l’idée d’affronter un nouveau défi.
« Mettez-vous à l’aise ! »
La jeune femme ne se fait pas prier, et se pose dans le fauteuil qui, s’il ne paye pas de mine, s’avère tout à fait confortable.
« Vous êtes Klara, c’est ça ? »
Elle hoche la tête. Il sourit en retour. Mettre le client à l’aise, c’est la première étape d’une session réussie. Vimmel s’installe lui aussi, derrière son bureau, les doigts croisés sous son menton. Il observe, tout d’abord. La vingtaine. Les cheveux tiraillés entre le blanc et le gris. Une ignoble cicatrice sur le visage, qu’elle tente vainement de cacher avec du maquillage. Mari abusif ? Il prend des notes. Elle, elle a le regard fuyant.
« Bien. Commençons. En quoi puis-je vous aider ? Des problèmes particuliers ?
– Euh… »
Elle sert son bras droit de la main gauche, et détourne le regard. Vimmel écrit. Peur de s’ouvrir.
« Commençons par une question simple alors. Êtes-vous heureuse, Klara ?
– Je… Non.
– Fort bien. Avez-vous une idée de la raison de votre malheur ?
– …
– Hm. A quoi pensez vous en réveillant, le matin ? Et en vous endormant, le soir ? »
Il prend une lampée d’eau fraîche, et soupir.
« … Je pense à… Ça représente quoi, ce tableau derrière vous ?
– Ah ! »
Le Professeur se retourne dans un geste théâtrale. La jeune femme en profite pour verser une partie de son verre d’eau dans le pot de la plante verte qui se situe juste à côté d’elle.
– Son auteur a voulu représenter une forme… de folie. Les traits étirés, les couleurs, son travail est vraiment remarquable. »
Il se retourne. Klara soupire en faisant mine d’apprécier sa boisson. Voyant cela, le Professeur s’affale un peu plus sur sa chaise, confiant.
« Vous n’avez toujours pas répondu à ma question, Klara. Vous savez que vous pouvez me faire confiance ?
– … Le matin, je pense à mon travail.
– Hmhm… Et le soir ?
– Le soir, je pense à mon travail.
– Rien d’autre n’occupe votre esprit ?
– Non. Pendant la journée non plus. »
Vimmel continue de prendre des notes. Et se dit que sa patiente prend confiance plus rapidement que prévu. Peut-être est-ce là un effet secondaire de son ingrédient secret.
« Vraiment ? Pas une pensée pour… je ne sais pas, votre famille ?
– Inexistante.
– Vos amis ?
– Pareil.
– Pas de hobbys ?
– Si. Mon travail.
– Ah ! Cela nous fait un point commun. Votre travail doit être bien exaltant, Klara. »
Vimmel ne fixe plus sa cliente, mais la petite horloge située contre le mur derrière elle. A ce stade, la boisson devrait commencer à faire véritablement effet. Déconcentration, tout d’abord. Puis fatigue. Et enfin… Klara semblait au contraire prendre de plus en plus ses aises.
« Vous pouvez m’en dire plus, à propos de ce travail ? Des soucis avec vos collègues peut-être ? Votre patron ?
– Profession libérale. Pas de patron. Pas de collègues. Enfin, plus maintenant…
– Aah ! Voilà qui éclairci un peu la situation, Klara.
– Vraiment ? »
Le Professeur Vimmel prend de plus en plus de note, sans même quitter des yeux l’horloge. Le temps passe. Et il commence à comprendre. Les dosages ont pourtant été respectés au nanogramme près.
« Pardonnez ma curiosité mais… Quelle genre d’activité est-ce que vous pratiquez ? »
La boisson ne fait pas effet parce qu’elle n’a pas été ingurgitée. Et la cliente n’est pas de plus en plus à l’aise. Elle perd simplement patience.
« Je chasse la vermine. »
Bien que peu violent, Vimmel a toujours prit soin de garder plusieurs armes disséminées un peu partout dans les différents logements qu’il a pu habiter au cours de sa carrière. La première est dissimulé sous son bureau. Et elle est placée de sorte à ce qu’il puisse la récupérer en un simple mouvement. Il n’a jamais eu à s’en servir, auparavant, mais il faut bien une première fois à tout.
Le coup est sorti comme la foudre, et Klara ne l’a esquivé que de peu, en se jetant hors du fauteuil. Un fusil gros calibre, mais lent à recharger. Elle en profite pour lui jeter son verre d’eau droit sur le visage. Il se protège, les deux mains devant son visage. Quand il les baisse, la seule chose qu’il voit, c’est sa cliente bondissant vers lui. Il se jette sur le côté et court vers la pièce d’à côté. Le poing de la chasseuse manque de peu le visage de sa cible, et vient s’abattre sur le joli bureau qu’il occupait quelques secondes auparavant. Le bois se fend, et les feuilles volent. Elle retire sa main des débris, puis dégaine la dague qu’elle avait dissimulée sur elle, qu’elle jette en direction du Professeur, qui venait de détacher un petit pistolet de la cheminée.
L’arme blanche l’atteint directement dans sa main armée, et le tir est dévié. La vitre derrière la jeune femme se brise, sans qu’elle n’y prête attention. Son adversaire se précipite dans la pièce derrière lui, et ferme la porte. Il utilise toute ses forces -c’est à dire pas grand chose- pour pousser une armoire et se barricader.
D’un coup de pied, Klara réduit ses efforts à néant. Mais se retrouve décontenancée en voyant la troisième arme cachée du Professeur Vimmel. Bien qu’inadapté dans la plupart des domaines, Vimmel n’en démord pas, et s’essaye régulièrement à de nouvelles expérimentations, plus ou moins réussies. Et son obsession du moment, c’est l’hypnose.
« Vous êtes fatiguée, t-très fatiguée ! »
Surprise, Klara s’arrête et ne peut s’empêcher de fixer la pendule qu’il agite lentement devant elle.
« Laissez vous porter… Q-quand j’arriverais à zéro, vous tom-tomberez dans un profond s-sommeil… 3… 2… »
Klara cligne des yeux, et reprend ses esprits. Vimmel n’a jamais été talentueux pour quoi que ce soit. Ayant bien vite réalisé que ça ne marcherait probablement pas, le Professeur n’attends pas de finir le décompte pour se jeter à travers la fenêtre. Et pour courir. Courir comme jamais. Pendant un moment, un court instant, Vimmel se sent rapide et libre comme le vent. Personne ne l’arrêtera, ni ce soir, ni jamais. Il jette un coup d’œil en arrière, pour narguer sa poursuivante.
La jeune femme le rattrape avec une facilité déconcertante. En sport non plus, Vimmel n’a jamais vraiment brillé. Il dévie sa trajectoire pour zigzaguer entre les arbres, ce qui s’avère parfaitement inutile. Klara parvient finalement à sa hauteur, et fend l’herbe du pied en le balayant, avant de presser son avant-bras sur le cou du Professeur, et de l’immobiliser au sol.
« Soucis… de gestion… de la colère… Je vois…
– La ferme. »
Klara lui assène un coup bien placé, et pour l’éminent Professeur Vimmel, tout devient noir.
Il a les mains liées dans le dos. Les jambes aussi, mais pas suffisamment pour l’empêcher de marcher. Il s’est prit un sacré coup, et il peine à recoller les morceaux. Derrière lui, quelque chose le pousse et l’incite à avancer plus vite. Ah, oui.
« Aouch… Vous savez, malgré les circonstances, je peux toujours vous aider !
– Non merci, criminel.
– Mais enfin, je reste avant tout un professionnel.
– Qui drogue ses patients. Ou ses patientes seulement ?
– Allons, vous savez très bien que je vaux mieux que ça. Je suis tout de même diplômé…
– Ben voyons. »
Elle a pourtant vu juste. La véritable passion de Vimmel, ça a toujours été de fouiller dans la tête des gens. Passion pour laquelle, et encore une fois comme pour tout le reste, il s’est avéré particulièrement mauvais, et dangereux, par dessus tout. Viré de l’académie de Boréa en l’espace de quelques semaines, celui qui s’est auto-proclamé Professeur n’a jamais vraiment réussi à comprendre comment fonctionne la psychologie humaine. Alors, il a volé le travaux de ses pairs, et s’est mit à expérimenter de plus en plus sur ses malheureux patients. Il commence par les droguer, puis les enferme quelque part. Après ça, il les force à leur dévoiler tout leurs petits secrets, leurs angoisses, leurs envies, leurs espoirs. Il ne les libère qu’après avoir prononcé un diagnostique tout à fait incohérent et les avoir traumatisé pour un bon moment. Ensuite, il quitte le pays quand les gens se mettent à trop parler de lui. Et il recommence ailleurs.
Et pour ses multiples séquestrations, le Professeur Vimmel s’est vu attribué une petite prime de trois millions de berrys.
« Vous souffrez manifestement d’isolation social, dit-il après avoir marché un petit moment en silence. J’en suis navré.
– Hein ?
– Mais ! Ce n’est pas une fatalité !
– Mais ferme-là.
– V-vous avez mentionné d’anciens coéquipiers ?
– Un seul. Mort.
– Ah… Quel dommage, il aurait été instructif de pouvoir lui parler !
– C’est toujours possible. »
Elle se retourne, et fait mine de s’apprêter à lui fendre le crâne.
« Non non non, c’est bon, j’ai changé d’avis !
– Super.
– Mon diagnostic reste cependant exact. Sans compter le manque évident de confiance en vous… Vous est-il arrivé malheur il y a peu ?
– Pardon ?
– Voyons ! Je vous ai vu, fendre en deux mon magnifique bureau d’un simple coup de poing… Et le reste… Pourquoi vous en prendre à moi, un pauvre médecin ? Pour ne pas prendre de risque ? Douteriez-vous de vos capacités ? Ah, si seulement vous m’aviez laissé mon carnet… »
Elle ne lui répond pas, et se contente de le guider dans sa marche forcée. Il avait choisi une petite île, et avait bâti son établissement en dehors de la ville, forçant ainsi ses patients -ou plutôt ses victimes- à s’isoler. Malheureusement pour lui, il existe tout de même un petit avant-poste de la Marine à proximité du port de l’unique cité de la région. Et ils sont presque arrivés.
« Tu n’auras qu’à réfléchir à la question dans ta cellule. »
« Et voilà. Heureusement qu’il est pas bien primé, vot’gars, parce qu’on avait quasi rien dans les coffres. »
Klara récupère le sac d’argent sans prêter attention aux dires du soldat de service.
« Merci. »
Un peu plus loin, au fond de la pièce, le Professeur s’agite dans sa cellule temporaire.
« Rohlala ! Dites, vais-je avoir des compagnons de cellule ? L’esprit de criminels doit être particulièrement intéressant !
– Dites, l’est drôlement bizarre celui-là ! »
Klara adresse au soldat un sourire froid avant de prendre le large. Malgré son désintérêt habituel pour à peu près tout et n’importe quoi, elle ne peut s’empêcher de repenser à ce que Vimmel lui a dit. Après tout, il paraît que même une horloge cassée donne l’heure deux fois par jour.
Le Professeur Vimmel a toujours aimé se donner un petit genre atypique. Et pour ça, il redouble d’effort ; il prend soin de choisir une tenue qui dénote totalement avec son environnement, de se coiffer d’une coupe unique au monde, et d’agir d’une drôle de façon. Tout ça dans l’unique but d’attirer l’attention sur lui. Qu’on dise de lui qu’il est spécial. Qu’il attise la curiosité. Et aussi pour attirer la clientèle. Son métier, c’était toute sa vie. Son gagne-pain, son hobby. Aujourd’hui encore, il va sonder la psyché d’une pauvre femme en détresse. Entre autres choses. La consultation du jour est programmé pour dix heure du soir. Après tout, la plupart des gens n’ont que très peu envie que l’on sache qu’ils consultent. Le Professeur Vimmel a l’habitude, et ça l’arrange bien.
Il se regarde dans le miroir. Ses cheveux d’un noir profond ont été parfaitement disposés de façon à lui donner un air décoiffé. Son costume est droit et parfaitement propre. Il applique une dernière petite touche de maquillage sous ses yeux. On toque à sa porte au moment même où il range son crayon noir.
Vingt-deux heures.
Il se lance un clin-d’œil à lui-même, puis sort d’un petit placard deux verres, qu’il remplit d’eau fraîche. Il ajoute même à l’un un ingrédient secret. C’est celui-ci qu’il tend à sa nouvelle cliente, qu’il invite à entrer dans son humble bureau. Il ne peut refréner le sourire qui lui tire le visage ; l’air parfaitement neutre, presque mécontente d’être là ; la jeune femme qui vient de rentrer ne va pas s’ouvrir si facilement, et Vimmel se fait une joie à l’idée d’affronter un nouveau défi.
« Mettez-vous à l’aise ! »
La jeune femme ne se fait pas prier, et se pose dans le fauteuil qui, s’il ne paye pas de mine, s’avère tout à fait confortable.
« Vous êtes Klara, c’est ça ? »
Elle hoche la tête. Il sourit en retour. Mettre le client à l’aise, c’est la première étape d’une session réussie. Vimmel s’installe lui aussi, derrière son bureau, les doigts croisés sous son menton. Il observe, tout d’abord. La vingtaine. Les cheveux tiraillés entre le blanc et le gris. Une ignoble cicatrice sur le visage, qu’elle tente vainement de cacher avec du maquillage. Mari abusif ? Il prend des notes. Elle, elle a le regard fuyant.
« Bien. Commençons. En quoi puis-je vous aider ? Des problèmes particuliers ?
– Euh… »
Elle sert son bras droit de la main gauche, et détourne le regard. Vimmel écrit. Peur de s’ouvrir.
« Commençons par une question simple alors. Êtes-vous heureuse, Klara ?
– Je… Non.
– Fort bien. Avez-vous une idée de la raison de votre malheur ?
– …
– Hm. A quoi pensez vous en réveillant, le matin ? Et en vous endormant, le soir ? »
Il prend une lampée d’eau fraîche, et soupir.
« … Je pense à… Ça représente quoi, ce tableau derrière vous ?
– Ah ! »
Le Professeur se retourne dans un geste théâtrale. La jeune femme en profite pour verser une partie de son verre d’eau dans le pot de la plante verte qui se situe juste à côté d’elle.
– Son auteur a voulu représenter une forme… de folie. Les traits étirés, les couleurs, son travail est vraiment remarquable. »
Il se retourne. Klara soupire en faisant mine d’apprécier sa boisson. Voyant cela, le Professeur s’affale un peu plus sur sa chaise, confiant.
« Vous n’avez toujours pas répondu à ma question, Klara. Vous savez que vous pouvez me faire confiance ?
– … Le matin, je pense à mon travail.
– Hmhm… Et le soir ?
– Le soir, je pense à mon travail.
– Rien d’autre n’occupe votre esprit ?
– Non. Pendant la journée non plus. »
Vimmel continue de prendre des notes. Et se dit que sa patiente prend confiance plus rapidement que prévu. Peut-être est-ce là un effet secondaire de son ingrédient secret.
« Vraiment ? Pas une pensée pour… je ne sais pas, votre famille ?
– Inexistante.
– Vos amis ?
– Pareil.
– Pas de hobbys ?
– Si. Mon travail.
– Ah ! Cela nous fait un point commun. Votre travail doit être bien exaltant, Klara. »
Vimmel ne fixe plus sa cliente, mais la petite horloge située contre le mur derrière elle. A ce stade, la boisson devrait commencer à faire véritablement effet. Déconcentration, tout d’abord. Puis fatigue. Et enfin… Klara semblait au contraire prendre de plus en plus ses aises.
« Vous pouvez m’en dire plus, à propos de ce travail ? Des soucis avec vos collègues peut-être ? Votre patron ?
– Profession libérale. Pas de patron. Pas de collègues. Enfin, plus maintenant…
– Aah ! Voilà qui éclairci un peu la situation, Klara.
– Vraiment ? »
Le Professeur Vimmel prend de plus en plus de note, sans même quitter des yeux l’horloge. Le temps passe. Et il commence à comprendre. Les dosages ont pourtant été respectés au nanogramme près.
« Pardonnez ma curiosité mais… Quelle genre d’activité est-ce que vous pratiquez ? »
La boisson ne fait pas effet parce qu’elle n’a pas été ingurgitée. Et la cliente n’est pas de plus en plus à l’aise. Elle perd simplement patience.
« Je chasse la vermine. »
Bien que peu violent, Vimmel a toujours prit soin de garder plusieurs armes disséminées un peu partout dans les différents logements qu’il a pu habiter au cours de sa carrière. La première est dissimulé sous son bureau. Et elle est placée de sorte à ce qu’il puisse la récupérer en un simple mouvement. Il n’a jamais eu à s’en servir, auparavant, mais il faut bien une première fois à tout.
Le coup est sorti comme la foudre, et Klara ne l’a esquivé que de peu, en se jetant hors du fauteuil. Un fusil gros calibre, mais lent à recharger. Elle en profite pour lui jeter son verre d’eau droit sur le visage. Il se protège, les deux mains devant son visage. Quand il les baisse, la seule chose qu’il voit, c’est sa cliente bondissant vers lui. Il se jette sur le côté et court vers la pièce d’à côté. Le poing de la chasseuse manque de peu le visage de sa cible, et vient s’abattre sur le joli bureau qu’il occupait quelques secondes auparavant. Le bois se fend, et les feuilles volent. Elle retire sa main des débris, puis dégaine la dague qu’elle avait dissimulée sur elle, qu’elle jette en direction du Professeur, qui venait de détacher un petit pistolet de la cheminée.
L’arme blanche l’atteint directement dans sa main armée, et le tir est dévié. La vitre derrière la jeune femme se brise, sans qu’elle n’y prête attention. Son adversaire se précipite dans la pièce derrière lui, et ferme la porte. Il utilise toute ses forces -c’est à dire pas grand chose- pour pousser une armoire et se barricader.
D’un coup de pied, Klara réduit ses efforts à néant. Mais se retrouve décontenancée en voyant la troisième arme cachée du Professeur Vimmel. Bien qu’inadapté dans la plupart des domaines, Vimmel n’en démord pas, et s’essaye régulièrement à de nouvelles expérimentations, plus ou moins réussies. Et son obsession du moment, c’est l’hypnose.
« Vous êtes fatiguée, t-très fatiguée ! »
Surprise, Klara s’arrête et ne peut s’empêcher de fixer la pendule qu’il agite lentement devant elle.
« Laissez vous porter… Q-quand j’arriverais à zéro, vous tom-tomberez dans un profond s-sommeil… 3… 2… »
Klara cligne des yeux, et reprend ses esprits. Vimmel n’a jamais été talentueux pour quoi que ce soit. Ayant bien vite réalisé que ça ne marcherait probablement pas, le Professeur n’attends pas de finir le décompte pour se jeter à travers la fenêtre. Et pour courir. Courir comme jamais. Pendant un moment, un court instant, Vimmel se sent rapide et libre comme le vent. Personne ne l’arrêtera, ni ce soir, ni jamais. Il jette un coup d’œil en arrière, pour narguer sa poursuivante.
La jeune femme le rattrape avec une facilité déconcertante. En sport non plus, Vimmel n’a jamais vraiment brillé. Il dévie sa trajectoire pour zigzaguer entre les arbres, ce qui s’avère parfaitement inutile. Klara parvient finalement à sa hauteur, et fend l’herbe du pied en le balayant, avant de presser son avant-bras sur le cou du Professeur, et de l’immobiliser au sol.
« Soucis… de gestion… de la colère… Je vois…
– La ferme. »
Klara lui assène un coup bien placé, et pour l’éminent Professeur Vimmel, tout devient noir.
*
Il a les mains liées dans le dos. Les jambes aussi, mais pas suffisamment pour l’empêcher de marcher. Il s’est prit un sacré coup, et il peine à recoller les morceaux. Derrière lui, quelque chose le pousse et l’incite à avancer plus vite. Ah, oui.
« Aouch… Vous savez, malgré les circonstances, je peux toujours vous aider !
– Non merci, criminel.
– Mais enfin, je reste avant tout un professionnel.
– Qui drogue ses patients. Ou ses patientes seulement ?
– Allons, vous savez très bien que je vaux mieux que ça. Je suis tout de même diplômé…
– Ben voyons. »
Elle a pourtant vu juste. La véritable passion de Vimmel, ça a toujours été de fouiller dans la tête des gens. Passion pour laquelle, et encore une fois comme pour tout le reste, il s’est avéré particulièrement mauvais, et dangereux, par dessus tout. Viré de l’académie de Boréa en l’espace de quelques semaines, celui qui s’est auto-proclamé Professeur n’a jamais vraiment réussi à comprendre comment fonctionne la psychologie humaine. Alors, il a volé le travaux de ses pairs, et s’est mit à expérimenter de plus en plus sur ses malheureux patients. Il commence par les droguer, puis les enferme quelque part. Après ça, il les force à leur dévoiler tout leurs petits secrets, leurs angoisses, leurs envies, leurs espoirs. Il ne les libère qu’après avoir prononcé un diagnostique tout à fait incohérent et les avoir traumatisé pour un bon moment. Ensuite, il quitte le pays quand les gens se mettent à trop parler de lui. Et il recommence ailleurs.
Et pour ses multiples séquestrations, le Professeur Vimmel s’est vu attribué une petite prime de trois millions de berrys.
« Vous souffrez manifestement d’isolation social, dit-il après avoir marché un petit moment en silence. J’en suis navré.
– Hein ?
– Mais ! Ce n’est pas une fatalité !
– Mais ferme-là.
– V-vous avez mentionné d’anciens coéquipiers ?
– Un seul. Mort.
– Ah… Quel dommage, il aurait été instructif de pouvoir lui parler !
– C’est toujours possible. »
Elle se retourne, et fait mine de s’apprêter à lui fendre le crâne.
« Non non non, c’est bon, j’ai changé d’avis !
– Super.
– Mon diagnostic reste cependant exact. Sans compter le manque évident de confiance en vous… Vous est-il arrivé malheur il y a peu ?
– Pardon ?
– Voyons ! Je vous ai vu, fendre en deux mon magnifique bureau d’un simple coup de poing… Et le reste… Pourquoi vous en prendre à moi, un pauvre médecin ? Pour ne pas prendre de risque ? Douteriez-vous de vos capacités ? Ah, si seulement vous m’aviez laissé mon carnet… »
Elle ne lui répond pas, et se contente de le guider dans sa marche forcée. Il avait choisi une petite île, et avait bâti son établissement en dehors de la ville, forçant ainsi ses patients -ou plutôt ses victimes- à s’isoler. Malheureusement pour lui, il existe tout de même un petit avant-poste de la Marine à proximité du port de l’unique cité de la région. Et ils sont presque arrivés.
« Tu n’auras qu’à réfléchir à la question dans ta cellule. »
*
« Et voilà. Heureusement qu’il est pas bien primé, vot’gars, parce qu’on avait quasi rien dans les coffres. »
Klara récupère le sac d’argent sans prêter attention aux dires du soldat de service.
« Merci. »
Un peu plus loin, au fond de la pièce, le Professeur s’agite dans sa cellule temporaire.
« Rohlala ! Dites, vais-je avoir des compagnons de cellule ? L’esprit de criminels doit être particulièrement intéressant !
– Dites, l’est drôlement bizarre celui-là ! »
Klara adresse au soldat un sourire froid avant de prendre le large. Malgré son désintérêt habituel pour à peu près tout et n’importe quoi, elle ne peut s’empêcher de repenser à ce que Vimmel lui a dit. Après tout, il paraît que même une horloge cassée donne l’heure deux fois par jour.