La première personne que Farros croisa à son retour au navire de pêche fut Mogla. La jeune femme étudiait une carte, adossée à un tonneau de rhum. Elle fronçait les sourcils, visiblement perturbée. Le jeune homme ne s’en soucia pas pour autant et vint lui apporter la grande nouvelle :
-
Mogla, prépare-toi, j’ai une nouvelle qui devrait te faire plaisir, herf herf.
-
J’t’écoute, Toutou.-
J’ai trouvé un acheteur.-
Sérieux ? Qui ça ?-
Asseton. Il a dit qu’il était prêt à nous l’acheter 4 millions de Berries. Tu te rends compte ?-
Sacrée somme, bien joué ! Même si je dois avouer que je m’y connais pas trop, le groupe de Lokiri volait la plupart des bateaux qui formaient leur flotte...-
Ouaif, je suppose que ça devrait être largement suffisant pour qu’on se paye un nouveau bateau. Autre problème, c’est que j’ai aucune connaissance dans le domaine.-
Compte pas sur moi pour ça, je sais naviguer, mais ça s’arrête là.Les deux partenaires se retrouvaient donc dans une impasse quand une voix vint donner une toute autre tournure à la conversation :
«
Je pourrais vous aider, moi, puisque apparemment aucun de vous deux n’est capable de différencier un galion d’une chaloupe. »
De toutes les personnes possibles, il fallait que ce soit lui. Farros en avait les oreilles qui sifflent :
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Arf… Tu ferais ça ?-
A une condition.-
On t’écoute, vas-y.-
Vous me laissez vous accompagner en mer pendant quelques temps. J’ai un projet perso qui nécessite que je voyage un peu.-
Ça va pas être po-…-
OK, affaire conclue.-
Mais-…-
Bien, on se retrouve demain matin huit heure au même endroit, dans ce cas. Soyez à l’heure, si c’est pas trop vous demander. N’est-ce pas, Farros ?Le Cabot laissa échapper un grognement avant de se retourner vers Mogla :
-
Mais qu’est-ce qui t’as pris ?!-
Ben quoi, il aurait pu nous demander des Berries ! Au lieu de ça il a juste exigé de nous accompagner ! Des dizaines de pêcheurs qui puent contre un blondinet, moi, ça me va.-
J’aurais préféré des pêcheurs qui puent… Grommela Farros en se dirigeant vers lesdits pêcheurs puants pour leur annoncer la nouvelle à leur tour.Et c’est ainsi que le jeune homme passa le reste de la journée ainsi que la nuit à fêter avec l’équipage du navire de pêche, ou plutôt, dans son cas, à boire pour oublier le malencontreux imprévu qui venait gâcher les réjouissances. Il n’arrivait pas à croire qu’il allait devoir se coltiner cette tête de nœud encore plus longtemps…
Enfin, peu importait ce petit inconvénient, demain allait être une superbe journée puisqu’il allait finalement se débarrasser de ce paquebot qu’il traînait avec lui depuis un moment maintenant.
La journée commençait d’ailleurs plutôt bien : Farros avait été épargné de toute migraine et autres maux ayant tendance à apparaître suite à des nuits comme celles-ci. Il s’étira de tout son long avant de se laisser glisser hors de son lit et de quitter sa cabine après s’être soigneusement rafraîchi. Le soleil était haut dans le ciel en cette belle matinée. Peut-être bien parce qu’il ne s’agissait bientôt plus de la matinée. «
Arf, je suis en retard pour notre rendez-vous ! » s’écria Farros.
Non pas que cela ne l’embêta de faire attendre cet abruti d’Obelon, non, il voulait avant tout ne pas lui donner de raisons de plus de le prendre de haut, lui et son air supérieur. Il se précipita donc pour retrouver Mogla et Obelon à l’endroit prévu. Ce dernier ne se fit pas attendre pour souligner le retard du jeune homme :
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Ah, j’ai bien cru que tu pointerais jamais le bout de ta truffe. Alors comme ça t’as fait la fête hier soir ? Parce que tu bois, en plus ? T’as vraiment rien pour toi, mon pauvre…-
Tu nous excuseras, on a commencé sans toi.-
Arf…-
Et… Fini ! Je vous laisse jeter un coup d’œil, puis on bouge voir mon contact. Un vrai pro. Le meilleur constructeur de navire du coin. Du genre à se lever tôt le matin.-
Mais… J’ai pas mon mot à dire ?-
T’inquiète, Farros. Tu m’as tellement bassiné les derniers temps que je pense avoir bien capté de quel genre de véhicule tu rêves.-
Laisse-moi voir ça.Le jeune cuisinier s’approcha alors du schéma préparé par Obelon. La première face de la feuille regroupait tout un tas d’informations techniques qui dépassaient totalement Farros. Le dessin qui figurait au dos était autrement plus explicite.
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Eh bien, à part quelques détails qui m’interpellent, je dois ben avouer que c’est exactement la description que j’avais pu te faire, Mogla. On dirait bien que je parlais pas dans le vent, finalement, herf herf. Comment t’as réussi à mettre la main sur un des croquis que j’avais préparé pour la voile ?-
T’occupe pas de ça, p’tite tête. L’important c’est que j’ai fait un travail incroyable, comme d’habitude, n’est-ce pas ?-
Ouaif, on va dire ça…-
Bon je vous laisse gribouiller quelques notes, j’en prendrai pas compte de toute façon. Je reviens dans cinq minutes !-
Très drôle…-
Tu vas où comme ça ?
-
Je vais chier ! Tu veux m’accompagner ?«
Quel con. » pensa Farros avant de noter les quelques remarques qui lui venaient à l’esprit. Le croquis semblait correct, mais on pouvait voir que celui-ci avait été fait en vitesse, à main levée, et sans vraiment se soucier des proportions. Il ne manquerait pas de le relever auprès d’Obelon.
- Croquis d'Obelon:
Même si ce n’était pas parfait, il devait avouer qu’il lui faisait confiance pour la suite des événements. La famille d’Obelon et d’Asseton avait le bras long et il ne faisait aucun doute qu’ils avaient l’habitude de travailler avec des personnes douées, quelque soit le domaine. Il profita de son absence pour discuter avec sa partenaire de route :
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On aura moins de place pour les entraînements, c’est sûr, mais je pense qu’on sera bien mieux à bord de ce navire.-
Ça me fait chier de l’admettre, mais je crois bien que t’as plus besoin de mes conseils en matière de combat.-
Tu veux dire que l’élève a dépassé le maître ? Herf herf !-
Rêve pas, sale cabot ! Répondit-elle avec un sourire moqueur.
-
Tu paries ?-
Tu sais bien que tu me prends par les sentiments, là. C’est d’accord, approche, que je te botte le derrière.-
Et les bâtons d’entraînement ?-
Tu comptes quand même pas te battre avec des bâtons toute ta vie, si ? Allez, combat à mains nues, à l’ancienne.Farros se mit en position défensive. Il connaissait assez son adversaire pour savoir qu’elle avait tendance à frapper en premier. Son intuition fut bonne. Mogla lui tomba dessus avec toute la vitesse et la légèreté qui caractérisait son style de combat. La danseuse au clair de lune, comme Farros s’amusait à l’appeler secrètement, faisait une démonstration impressionnante de son art, mêlant grâce et puissance.
Le jeune homme intercepta de justesse le premier coup à quelques centimètres de son visage. En revanche, il ne fût pas assez vif pour celui qui suivit : un bon coup de pied dans le flanc gauche qui le propulsa au sol. Il ignora les provocation de Mogla et, en une roulade, se remit sur pieds. Il s’accorda une demi-seconde pour réfléchir, puis fonça sur son insolente camarade. S’il voulait avoir une chance contre elle, il allait falloir la battre à son propre jeu : la vitesse.
La danseuse évita aisément, le premier coup, puis le deuxième, puis le troisième. Ça allait être difficile, certes, mais il en était capable, il en était sûr. Il encaissa encore quelques coups avant de pouvoir en infliger un à son tour. Néanmoins, Mogla s’en remis vite et paraissait imperturbable. Elle avait plus d’expérience au combat, c’était indéniable.
Soudain Farros se rendit compte d’une chose : peut-être était-il parti sur la mauvaise technique depuis le début. S’il voulait battre Mogla à son propre jeu, ce n’était pas sur la vitesse qu’il devait se concentrer. S’il voulait gagner, il devait danser, lui aussi. Alors que son adversaire s’apprêtait à l’envoyer bouler pour la énième fois, il lui attrapa la main, geste pour le moins surprenant lors d’un combat. La surprise ne manqua pas d’apparaître sur le visage de la navigatrice.
Il s’approcha alors, comme lors d’une valse, et la fit tourner sur elle même plusieurs fois – assez pour lui faire tourner la tête – avant de se placer dans son dos pour lui bloquer les bras. Malheureusement pour lui, avant qu’il ne puisse en faire tant, Mogla lui glissa un poignard sous la glotte :
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Bien essayé, tête de nœud, dit-elle, le visage rougi par ce que Farros supposait être de la fureur.
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C’est un coup bas ça… On n’avait pas dit « à mains nues » ? fit-il remarquer en laissant paraître son fameux sourire canin crispé.
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Parce que c’était pas un coup bas, toi, peut être ? Grogna-t-elle.
Une voix vint les couper dans leur confrontation :
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Eh ben, je vais aux chiottes cinq minutes et vous êtes déjà sur le point de vous égorger ? Quelle équipe.-
Oh toi, la ferme. Allez, on y va, lui rétorqua Mogla en s’éloignant des deux jeunes hommes.
Farros et Obelon se hâtèrent donc à sa suite. «
Tu sais même pas vers où on va ! » lui cria le fils du marchand alors que celle-ci marchait toujours plus vite. Bientôt, le groupe pourrait reprendre la mer à bord d'un tout nouveau bateau. L'idée réjouissait le jeune cuisinier, et la présence d'Obelon ne suffirait pas à lui faire perdre son enthousiasme.