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Le secret d'Obelon

LE SECRET D'OBELON



             Un réveil de plus dans la belle Cocoyashi. Pour être tout à fait honnête, Farros avait assez hâte de se barrer d’ici. L’endroit était beau, c’est sûr, et les gens charmants – excepté les adeptes de la Grande Mandarine, une longue histoire – mais le jeune cuisinier commençait à se lasser. Voilà maintenant plusieurs mois qu’il était ici, bien plus que ce qui était prévu à l’origine. À la base, s’il était parti de Shell Town, ce n’était pas pour s’installer ailleurs. Il lui fallait sa dose de voyages et d’aventures, et vite. Seulement, le Cabot était confronté à un problème de taille : il s’était retrouvé à la tête d’un navire de pêche par la force des choses. Une longue histoire, encore une fois, et assez triste : il avait succédé au Capitaine Campscotch, son grand ami, mort par les mains de l’affreux pirate Lokiri.

Mogla, quant à elle, semblait trouver son compte à Cocoyashi, et revenait chaque soir avec largement assez d’argent pour subsister. Farros ne savait pas vraiment d’où il venait et, en y réfléchissant bien, il préférait ne pas savoir. Celle qui était désormais sa navigatrice – ainsi que sa professeure de combat – avait passé la plus grande partie de son existence sous les ordres de Lokiri, malgré de nombreuses tentatives d’évasion et de rébellion. Elle aussi se remettait d’un deuil, celui de Moglo, son frère jumeau. Bien que son fort caractère ne laissa rien transparaître, il était évident qu’elle en souffrait énormément. Il était la seule famille qui lui restait depuis qu’ils avaient tout deux été séparés de leurs parents. Ne sachant pas où aller, elle avait accepté se suivre Farros, qui avait risqué sa vie pour la libérer et avec qui elle partageait cet esprit libre et rêveur.

Quelques jours avant leur arrivée à Cocoyashi, l’équipage avait fait la connaissance d’Asseton et d’Obelon, deux marchands ambulants avec qui ils avaient eu l’occasion de faire affaire. Asseton était un homme énorme de par sa taille et de son envergure, arborant une moustache rose et dont les cheveux en partageaient la couleur. Obelon, son fils, se distinguait de son père par sa sveltesse et son dynamisme. Sans parler de son arrogance, qui déplaisait quelque peu à Farros. Ils avaient continué à les fréquenter une fois arrivés sur l’île, car les deux personnages appréciaient la cuisine du jeune homme et faisaient souvent appel à ses services. C’était des heures supp’, certes, mais après tout, le Cabot ne s’en lassait jamais et avait de l’énergie à revendre.

L’objectif du jour était clair, et toujours le même : vendre le navire et trouver un emploi aux pêcheurs par la même occasion. Farros avait décidé de passer la nuit dans une vieille auberge, ne supportant plus l’odeur de sueur qui s’accumulait dans le navire depuis quelques jours. Mogla l’avait devancé depuis un moment déjà. Elle avait toujours un tour d’avance, comme elle se plaisait à le rappeler au jeune homme pendant leurs entraînements. Le Cabot se leva donc, les planches fragiles du parquet crissant sous ses pas. Si seulement le métier de cuisinier lui rapportait plus. Enfin, ça aurait pu être le cas, s’il s’était installé quelque part et n’avait pas autant la bougeotte.

Il se toiletta rapidement, arrangea sa chevelure ébouriffée et quitta sa chambre. Le soleil tapait fort à l’extérieur, et était probablement le principal responsable de l’accumulation d’odeurs pestilentielles dans le navire de pêche depuis quelques temps. Il se demandait où commencer ses recherches aujourd’hui quand une voix irritante l’interpella :

- Ah, Farros, te voilà enfin. Qu’est-ce que tu glandais ? Mon père m’a envoyé à ta recherche. Ça fait un moment déjà que je te cours après.

- Arf, tiens, Obelon…


Dernière édition par Farros le Sam 7 Sep 2019 - 13:03, édité 4 fois
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C’était étrange, tout de même. Il était rare que Farros ne s’entende pas avec quelqu’un, mais avec Obelon, il y avait clairement quelque chose qui clochait. Était-ce son arrogance ? Probablement pas. Après tout, Mogla aussi était une grande gueule, et le Cabot s’entendait très bien avec elle. Non, c’était autre chose. Probablement encore son sixième sens qui lui jouait des tours. Ce n’était pas la première fois que ça lui arrivait, le pauvre facteur qui passait par son quartier quand il était enfant pouvait en témoigner. En fait, ce n’était pas vraiment de la haine, mais plutôt une méfiance constante.

« … Donc comme je te le disais, mon père te cherche… Il aimerait que t’aille le voir, si t’es pas trop occupé à rien foutre. ».

Bon, OK. Peut-être qu’il l’énervait un peu aussi. Il avait très envie de déclencher une bagarre, mais une petite voix lui disait qu’il fallait mieux garder de bonnes relations avec un riche marchand comme Asseton, le père d’Obelon. À vrai dire, cette petite voix, c’était Mogla. Elle était assez douée pour ce genre de calculs, sans doute avait elle appris ça lors de ses années dans les rangs des pirates de Lokiri.

Farros se dirigea donc vers le port, dans l’objectif d’y trouver Asseton. Étrangement, contrairement à son fils, le Cabot n’avait aucun mauvais pressentiment contre l’homme à la moustache rose. Il le retrouva comme prévu auprès de son embarcation marchande, donnant des directives à des dockers qui se chargeaient probablement de lui apporter des stocks de marchandises en tout genre. Asseton s’apparentait en quelques sortes à un grossiste, il n’était pas spécialisé dans le commerce d’un type de marchandise en particulier.

Quand il aperçut le jeune cuisinier, le commerçant l’accueillit avec un grand sourire, comme à son habitude :

- Ah, Farros, vous voilà ! Je vous cherchais justement.

- Ouaif, c’est votre fils qui m’a prévenu.

- Oh, bien, bien. Écoutez, j’ai cru comprendre que vous cherchiez à vendre votre navire de pêche. Je crois avoir une affaire qui pourrait vous intéresser.

- Ah ? Super, j’vous écoute.

- Eh bien, j’aimerais développer mon commerce. Seulement, j’ai besoin d’être fourni régulièrement, ce qui nécessite une main d’œuvre conséquente. Je pensais donc vous racheter le navire et embaucher les pêcheurs. Après tout, vu leur connaissance dudit bâtiment, ils doivent être très efficaces. Qu’en dites vous ?

- Il faut que j’en parle aux principaux concernés, mais je suis sûr qu’ils en seront plus que ravis !

Et voilà que Farros jouait les commerçants. Leur discussion continua un moment, énumérant les diverses possibilités qui s’offraient aux deux négociants et cherchant à se mettre d’accord sur les prix. On n’allait pas se mentir, Asseton avait un sacré avantage : il s’y connaissait. Le Cabot, lui, n’avait aucune idée du prix d’un tel bâtiment, mais tant que les recettes lui permettaient d’acheter un plus petit navire, ça lui allait.

- Bon, au vu de ce que l’on a pu dire… Disons… 4 millions de Berries, ça vous irait ?

Farros crut avoir une attaque. C’était une véritable fortune ! Il n’avait jamais eu une telle somme entre les mains. Il s’empressa d’accepter le prix, mais l’informa qu’il ne pourrait lui donner confirmation qu’après s’être mis d’accord avec l’équipage. Asseton lui répondit par un geste approbateur.

Il fit d’abord mine de se rendre au navire de pêche d’une démarche normale – son manque de naturel était perceptible à des kilomètres –, puis se mit à courir à tout allure dès qu’il fut assuré qu’Asseton ne le verrait pas. Quelle fantastique nouvelle ! Les choses allait enfin bouger ! Bientôt il reprendrait la mer, et bye bye Cocoyashi ! Il pouvait déjà renifler cette odeur qu’il aimait tellement. Cette odeur, aucun doute, c’était celle de l’aventure !


Dernière édition par Farros le Mer 4 Sep 2019 - 16:50, édité 2 fois
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                      La première personne que Farros croisa à son retour au navire de pêche fut Mogla. La jeune femme étudiait une carte, adossée à un tonneau de rhum. Elle fronçait les sourcils, visiblement perturbée. Le jeune homme ne s’en soucia pas pour autant et vint lui apporter la grande nouvelle :

- Mogla, prépare-toi, j’ai une nouvelle qui devrait te faire plaisir, herf herf.

- J’t’écoute, Toutou.

- J’ai trouvé un acheteur.

- Sérieux ? Qui ça ?

- Asseton. Il a dit qu’il était prêt à nous l’acheter 4 millions de Berries. Tu te rends compte ?

- Sacrée somme, bien joué ! Même si je dois avouer que je m’y connais pas trop, le groupe de Lokiri volait la plupart des bateaux qui formaient leur flotte...

- Ouaif, je suppose que ça devrait être largement suffisant pour qu’on se paye un nouveau bateau. Autre problème, c’est que j’ai aucune connaissance dans le domaine.

- Compte pas sur moi pour ça, je sais naviguer, mais ça s’arrête là.

Les deux partenaires se retrouvaient donc dans une impasse quand une voix vint donner une toute autre tournure à la conversation :
« Je pourrais vous aider, moi, puisque apparemment aucun de vous deux n’est capable de différencier un galion d’une chaloupe. »

De toutes les personnes possibles, il fallait que ce soit lui. Farros en avait les oreilles qui sifflent :

- Arf… Tu ferais ça ?

- A une condition.

- On t’écoute, vas-y.

- Vous me laissez vous accompagner en mer pendant quelques temps. J’ai un projet perso qui nécessite que je voyage un peu.

- Ça va pas être po-…

- OK, affaire conclue.

- Mais-…

- Bien, on se retrouve demain matin huit heure au même endroit, dans ce cas. Soyez à l’heure, si c’est pas trop vous demander. N’est-ce pas, Farros ?

Le Cabot laissa échapper un grognement avant de se retourner vers Mogla :

- Mais qu’est-ce qui t’as pris ?!

- Ben quoi, il aurait pu nous demander des Berries ! Au lieu de ça il a juste exigé de nous accompagner ! Des dizaines de pêcheurs qui puent contre un blondinet, moi, ça me va.

- J’aurais préféré des pêcheurs qui puent… Grommela Farros en se dirigeant vers lesdits pêcheurs puants pour leur annoncer la nouvelle à leur tour.

Et c’est ainsi que le jeune homme passa le reste de la journée ainsi que la nuit à fêter avec l’équipage du navire de pêche, ou plutôt, dans son cas, à boire pour oublier le malencontreux imprévu qui venait gâcher les réjouissances. Il n’arrivait pas à croire qu’il allait devoir se coltiner cette tête de nœud encore plus longtemps…

Enfin, peu importait ce petit inconvénient, demain allait être une superbe journée puisqu’il allait finalement se débarrasser de ce paquebot qu’il traînait avec lui depuis un moment maintenant.

La journée commençait d’ailleurs plutôt bien : Farros avait été épargné de toute migraine et autres maux ayant tendance à apparaître suite à des nuits comme celles-ci. Il s’étira de tout son long avant de se laisser glisser hors de son lit et de quitter sa cabine après s’être soigneusement rafraîchi. Le soleil était haut dans le ciel en cette belle matinée. Peut-être bien parce qu’il ne s’agissait bientôt plus de la matinée. « Arf, je suis en retard pour notre rendez-vous ! » s’écria Farros.

Non pas que cela ne l’embêta de faire attendre cet abruti d’Obelon, non, il voulait avant tout ne pas lui donner de raisons de plus de le prendre de haut, lui et son air supérieur. Il se précipita donc pour retrouver Mogla et Obelon à l’endroit prévu. Ce dernier ne se fit pas attendre pour souligner le retard du jeune homme :

- Ah, j’ai bien cru que tu pointerais jamais le bout de ta truffe. Alors comme ça t’as fait la fête hier soir ? Parce que tu bois, en plus ? T’as vraiment rien pour toi, mon pauvre…

- Tu nous excuseras, on a commencé sans toi.

- Arf…

- Et… Fini ! Je vous laisse jeter un coup d’œil, puis on bouge voir mon contact. Un vrai pro. Le meilleur constructeur de navire du coin. Du genre à se lever tôt le matin.

- Mais… J’ai pas mon mot à dire ?

- T’inquiète, Farros. Tu m’as tellement bassiné les derniers temps que je pense avoir bien capté de quel genre de véhicule tu rêves.

- Laisse-moi voir ça.

Le jeune cuisinier s’approcha alors du schéma préparé par Obelon. La première face de la feuille regroupait tout un tas d’informations techniques qui dépassaient totalement Farros. Le dessin qui figurait au dos était autrement plus explicite.

- Eh bien, à part quelques détails qui m’interpellent, je dois ben avouer que c’est exactement la description que j’avais pu te faire, Mogla. On dirait bien que je parlais pas dans le vent, finalement, herf herf. Comment t’as réussi à mettre la main sur un des croquis que j’avais préparé pour la voile ?

- T’occupe pas de ça, p’tite tête. L’important c’est que j’ai fait un travail incroyable, comme d’habitude, n’est-ce pas ?

- Ouaif, on va dire ça…

- Bon je vous laisse gribouiller quelques notes, j’en prendrai pas compte de toute façon. Je reviens dans cinq minutes !

- Très drôle…

- Tu vas où comme ça ?

- Je vais chier ! Tu veux m’accompagner ?

« Quel con. » pensa Farros avant de noter les quelques remarques qui lui venaient à l’esprit. Le croquis semblait correct, mais on pouvait voir que celui-ci avait été fait en vitesse, à main levée, et sans vraiment se soucier des proportions. Il ne manquerait pas de le relever auprès d’Obelon.

Croquis d'Obelon:

Même si ce n’était pas parfait, il devait avouer qu’il lui faisait confiance pour la suite des événements. La famille d’Obelon et d’Asseton avait le bras long et il ne faisait aucun doute qu’ils avaient l’habitude de travailler avec des personnes douées, quelque soit le domaine. Il profita de son absence pour discuter avec sa partenaire de route :

- On aura moins de place pour les entraînements, c’est sûr, mais je pense qu’on sera bien mieux à bord de ce navire.

- Ça me fait chier de l’admettre, mais je crois bien que t’as plus besoin de mes conseils en matière de combat.

- Tu veux dire que l’élève a dépassé le maître ? Herf herf !

- Rêve pas, sale cabot ! Répondit-elle avec un sourire moqueur.

- Tu paries ?

- Tu sais bien que tu me prends par les sentiments, là. C’est d’accord, approche, que je te botte le derrière.

- Et les bâtons d’entraînement ?

- Tu comptes quand même pas te battre avec des bâtons toute ta vie, si ? Allez, combat à mains nues, à l’ancienne.

Farros se mit en position défensive. Il connaissait assez son adversaire pour savoir qu’elle avait tendance à frapper en premier. Son intuition fut bonne. Mogla lui tomba dessus avec toute la vitesse et la légèreté qui caractérisait son style de combat. La danseuse au clair de lune, comme Farros s’amusait à l’appeler secrètement, faisait une démonstration impressionnante de son art, mêlant grâce et puissance.

Le jeune homme intercepta de justesse le premier coup à quelques centimètres de son visage. En revanche, il ne fût pas assez vif pour celui qui suivit : un bon coup de pied dans le flanc gauche qui le propulsa au sol. Il ignora les provocation de Mogla et, en une roulade, se remit sur pieds. Il s’accorda une demi-seconde pour réfléchir, puis fonça sur son insolente camarade. S’il voulait avoir une chance contre elle, il allait falloir la battre à son propre jeu : la vitesse.

La danseuse évita aisément, le premier coup, puis le deuxième, puis le troisième. Ça allait être difficile, certes, mais il en était capable, il en était sûr. Il encaissa encore quelques coups avant de pouvoir en infliger un à son tour. Néanmoins, Mogla s’en remis vite et paraissait imperturbable. Elle avait plus d’expérience au combat, c’était indéniable.

Soudain Farros se rendit compte d’une chose : peut-être était-il parti sur la mauvaise technique depuis le début. S’il voulait battre Mogla à son propre jeu, ce n’était pas sur la vitesse qu’il devait se concentrer. S’il voulait gagner, il devait danser, lui aussi. Alors que son adversaire s’apprêtait à l’envoyer bouler pour la énième fois, il lui attrapa la main, geste pour le moins surprenant lors d’un combat. La surprise ne manqua pas d’apparaître sur le visage de la navigatrice.

Il s’approcha alors, comme lors d’une valse, et la fit tourner sur elle même plusieurs fois – assez pour lui faire tourner la tête – avant de se placer dans son dos pour lui bloquer les bras. Malheureusement pour lui, avant qu’il ne puisse en faire tant, Mogla lui glissa un poignard sous la glotte :

- Bien essayé, tête de nœud, dit-elle, le visage rougi par ce que Farros supposait être de la fureur.

- C’est un coup bas ça… On n’avait pas dit « à mains nues » ? fit-il remarquer en laissant paraître son fameux sourire canin crispé.

- Parce que c’était pas un coup bas, toi, peut être ? Grogna-t-elle.

Une voix vint les couper dans leur confrontation :

- Eh ben, je vais aux chiottes cinq minutes et vous êtes déjà sur le point de vous égorger ? Quelle équipe.

- Oh toi, la ferme. Allez, on y va, lui rétorqua Mogla en s’éloignant des deux jeunes hommes.

Farros et Obelon se hâtèrent donc à sa suite. « Tu sais même pas vers où on va ! » lui cria le fils du marchand alors que celle-ci marchait toujours plus vite. Bientôt, le groupe pourrait reprendre la mer à bord d'un tout nouveau bateau. L'idée réjouissait le jeune cuisinier, et la présence d'Obelon ne suffirait pas à lui faire perdre son enthousiasme.


Dernière édition par Farros le Sam 7 Sep 2019 - 13:02, édité 2 fois
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« Arf, Mogla, attend un peu, tu veux ? Il fait une chaleur d’enfer, et je transpire déjà bien trop pour me dépêcher davantage ! » suppliait Farros alors que le curieux trio marchait depuis un moment déjà sous le soleil de plomb de Cocoyashi.

L’arrogant Obelon n’avait d’ailleurs pas pu s’empêcher de faire des remarques sur l’odeur corporelle du jeune homme aux airs de canidé depuis le début de leur trajet. Pour être tout à fait honnête, l’odorat inégalable du Cabot avait du mal à démontrer le contraire. Pour sa défense, Obelon n’était pas vraiment en situation de se permettre une réflexion. Il fallait dire que cette foutue canicule n’était pas des moindres, et Farros remerciait les cieux de ne pas être dans le bateau de Campscotch en ce moment, en compagnie de ses sympathiques mais pas moins pestilentiels camarades pêcheurs.

« C’est là ? » demanda la sabreuse, alors qu’elle s’était arrêtée devant ce qui semblait être une petite boutique à l’aspect, il fallait bien le souligner, on ne peut plus lugubre. La maisonnette était faite d’un bois sombre, presque noir, dont la morosité était appuyée par les toiles d’araignées qui décoraient les fenêtres partiellement brisées qui l’habillaient. En somme, l’endroit semblait pouvoir supporter quelques coups de balai. Obelon s’approcha, paraissant étrangement nerveux :

- Ouais. Pas de doute, c’est bien ici.

- C’est pas pour faire la rabat-joie, mais t’as pas trouvé un endroit plus miteux ? Demanda Mogla.

- Ça paye peut-être pas de mine, mais le type qui travaille est un vrai pro. C’est un ancien collègue de mon p-…

Obelon s’arrêta en pleine phrase, son visage se crispant légèrement avant de se reprendre : « Enfin, bref. Entrons vite. ». Tous trois pénétrèrent donc la vieille baraque, le fils de marchand ouvrant la marche.

Farros jeta un œil rapide autour de lui. L’endroit était plutôt exigu et plus sombre encore qu’à l’extérieur. Seuls les rayons du soleils qui traversaient les vitres crasseuses et une ampoule défectueuse venaient éclairer la scène. La boutique se composait uniquement de quelques tabourets à la solidité contestable et d’un comptoir en bois de pain sur lequel reposait tout un tas d’objets tous destinés à la réalisation de croquis.

« Hé ! C’est Obelon ! Y’a quelqu’un ? » gueula le jeune homme, d’une voix étrangement tremblante. S’en suivirent des grincements ainsi que des bruits de pas particulièrement lourds. C’est alors qu’un vieil homme passa la tête par la porte qui se trouvait derrière le vieux comptoir. C’était quelqu’un de très large et de très grand, dont le corps avait probablement été conservé par un travail physique régulier. Son visage s’illumina à la vue d’Obelon :

- Sapristi, mon petit ! J’aurais jamais cru te revoir de sitôt ! J’ai ben cru que je devenais dingue en entendant ce prénom ! Et cette tête ! Y’a pas à dire, tes bien le fils de ton père. Son portrait craché. Enfin, avant que toutes ces merdes arrivent et qu’il déconne complètement. M’enfin, c’était un sacré personnage à l’époque…

- Ne parles pas de mon père s’il te plaît.

- Ah, je vois que tu lui en veux toujours. Je peux pas vraiment te blâmer, moi-même je…

- C’est bon.

- Bien, bien. Oh, et qui sont tes deux amis ? demanda-t-il alors que son regard se posait sur Farros et Mogla.

- Arf, je sais pas si on peut vraiment dire qu’on est amis, non… Je dirais même qu’on en est très loin…

- De simple collègues. Je vais prendre la mer avec eux un petit bout de temps.

- Tiens-donc ? Ça m’étonne de toi. Du coup, je suppose que tu n’es pas venu me rendre une simple visite de courtoisie, p’tit gars ?

- Tu supposes bien.


Obelon se mit alors à dérouler son plan sur le meuble qui le séparait du vieil homme : « Alors, voilà. On pensait partir sur un petit bateau de ce type, une coque de noix améliorée, si tu veux. Alors, faudrait juste revoir les proportions parce qu’on est un peu serrés, là, mais en gros, c’est ce qu’il nous faut... ». Il continua ainsi pendant au moins une heure, discutant des différentes options avec sa vieille connaissance.

Farros ne mit pas longtemps à sortir prendre l’air, l’atmosphère poussiéreuse étant particulièrement insupportable pour le fin limier qu’il était. Il préférait encore attendre devant la porte sous le soleil tapant. En plus de ça, il trouvait qu’Obelon s’était comporté de manière étrange. Il était persuadé d’avoir senti une certaine angoisse chez le garçon quand le propriétaire lui avait parlé de son père. Il en avait fait part à Mogla qui s’était contentée de soupirer et de lui conseiller de soigner son obsession. Peut-être n’avait elle pas tord. Peut-être se faisait-il des idées. C’était la première fois qu’il était à ce point en conflit avec quelqu’un. Peut-être n’avait-il simplement pas l’habitude ?

Et puis, il fallait l’avouer, il se passait tellement de choses dans sa tête en ce moment. Il n’aurait jamais cru ça possible, mais son envie de voyager et l’appel de l’aventure étaient si puissants qu’il était prêt à tout plaquer. Même la cuisine. En fait, ayant grandi en cuisinant, il avait toujours considéré ça comme sa passion, son objectif, ce qui le définissait. Pourtant, depuis son départ, il avait découvert de nouvelles choses et perdait de plus en plus d’intérêt pour ce qui avait pourtant jusque là bercé sa vie. Une chose en particulier ne lui sortait plus de la tête depuis un moment déjà…

- Eh, tête de nœud ! Tu rêves ou quoi ? Ça fait trois fois que je t’appelle. Je crois qu’Obelon et le vioc en ont fini avec les plans, j’ai pensé que ça pourrait t’intéresser d’y jeter un œil.

- Ben ouaif, j’espère bien, c’est quand-même mes Berries à la base !

- Alors grouille-toi de bouger ton cul ! Dit-elle l’air toujours moqueur.


Dernière édition par Farros le Sam 7 Sep 2019 - 13:06, édité 1 fois
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Farros s’empressa de suivre la jeune femme à l’intérieur de la vieille baraque, où il retrouva les deux spécialistes penchés sur leur nouveau croquis. Le vieil homme en détacha son regard pour s’adresser à lui :

- Ah, vous r’voilà. Écoutez, on a terminé un premier croquis. Avec le budget que vous m’donnez on va pouvoir faire quelque-chose de bien. Vous aurez jamais vu une coque de noix pareille ! Avec ça, vous braverez même les plus grandes tempêtes, j’vous l’dit !

- (Je suis tombé sur un baratineur ?) Arf, d’accord. Super, super. Et vous pensez que ça prendra combien de temps ?

- Eh bien, j’ai déjà une bicoque de cette taille qu’il me suffira de rafistoler et d’améliorer… En plus de ça j’ai toute une équipe de jeunes travailleurs sous la main. Des gars motivés, pour sûr. Disons qu’en quelques mois, ça devrait être réglé. Vous trouverez un travail de cette qualité pour un temps aussi court nulle-part ailleurs.

- Bien, merci beaucoup, herf herf. J’essaierai de prendre mon mal en patience d’ici-là.

- Je vais rester ici pendant ce laps de temps. Histoire de m’assurer que le résultat final soit le plus proche de ce qu’on a décidé.

- Arf, étrangement… C’est une bonne initiative de ta part, Obelon. (Et puis si je peux l’avoir en dehors de mes pattes pendant plusieurs mois, ça m’arrange.)

- Bon, je suppose que je vais devoir me débrouiller pour trouver de quoi m’occuper pour quelques mois encore… Et dire que je m’imaginais déjà loin de toutes ces mandarines. Je peux plus les voir en photo. Et toi, Farros ? Tu vas chercher à te faire embaucher un peu plus longtemps ?


- Non, je pense avoir de quoi tenir quelques mois encore. Je vais en profiter pour continuer à m’entraîner. T’auras même le plaisir de m’aider encore un peu, si tu veux !

- Quelle chance ! J’en frémis d’impatience rien que d’y penser. Dit-elle en forçant sur le ton ironique.

Le vieil homme, qui se présenta comme s’appelant « Le vieux Rick », leur expliqua pendant le quart d’heure qui suivit comment il allait procéder pour la construction du petit navire.

Quand vint l’heure de quitter la boutique, Farros et Mogla saluèrent Rick et Obelon avant de se diriger vers le centre de Cocoyashi. Le Cabot s’arrêta cependant au palier avant de se retourner :

- Au fait, Obelon. Merci de prendre la peine de t’assurer du bon déroulement de la construction.

- Eh, si je peux éviter de crever en mer en votre compagnie.

- Bon argument.

Comme prévu, Farros passa les mois qui suivirent à s’entraîner davantage. Il savait à quel point prendre la mer pouvait s’avérer dangereux, d’autant plus quand on était que trois sur un bateau. La prochaine fois qu’il voudrait venir à bout d’une bande de pirates, il n’aurait pas tout un équipage de pêcheurs sous la main.

Il avait, chaque jour, un programme précis. Le matin : course à travers Cocoyashi. L’après-midi : entraînement au combat avec Mogla. Le soir : développement de son odorat, qui consistait essentiellement à déambuler dans les rues et deviner les fragrances que percevaient ses narines.
Il ne manqua pas une seule fois à son programme. Seul un jour par semaine était dédié à d’autres activités. C’était à la fois épuisant et, il le sentait, très bénéfique.

Le Cabot se surprit même à aller prendre des nouvelles du bateau de temps à autre, alors qu’il avait prévu de profiter de ce laps de temps pour être le plus loin d’Obelon possible. Étonnamment, ce dernier se montrait particulièrement impliqué dans son travail et moins désagréable que d’habitude. Peut-être la présence du vieux Rick avait-elle un effet bénéfique sur le jeune homme. Les travaux avançaient bien, et voir son futur navire prendre forme faisait frémir d’impatience Farros.

A y réfléchir plus longuement, il y avait bien un jour où ce quotidien éreintant fut interrompu. Farros était justement à la boutique du vieux Rick quand l’événement eut lieu. Alors qu’il cherchait Obelon pour lui parler d’un projet – la mise au propre du croquis du symbole qu’il avait mis au brouillon lors de la préparation des plans – il le surprit en pleine discussion avec le constructeur naval, derrière la porte de la cabane dans laquelle il logeait. Il allait faire demi-tour pour attendre la fin de cette conversation lorsqu’un détail captiva son attention :

- Oh, allez ! Je suis sûr que tu as une petite idée de l’endroit et de la personne qui a coffré mon père ! Pourquoi tu refuses de m’en parler ?

- Je te l’ai déjà dit, je pense pas que ce soit une bonne idée que tu revoies ton père, p’tit gars !

Farros était perdu. Revoir son père ? Obelon n’était donc pas le fils d’Asseton ? Ça expliquait leur différence physique, certes, mais le Cabot était à mille lieux de se douter de ça. Ça non, il ne l’avait pas senti venir.

- Ah ! Donc tu sais où il est !

- Je… Écoute, si ça se trouve, ton père va crever en taule. Tu es vraiment sûr de vouloir aller le voir juste pour lui dire ses quatre vérités ?

- Et comment ! Ce connard nous a laissé tomber, ma mère et moi ! Je vais partir d’ici quelques semaines en mer. J’espère que tu changeras d’avis d’ici-là.

- Obelon ! Lokiri… Enfin, ton père... La vie n’a pas toujours été facile non plus pour lui, tu sais !

- Bouh-ouh-ouh ! Le pauvre a eu une vie difficile ! Du coup, je vais me contenter de fermer ma gueule, hein ! J’oubliais que t’avais le droit d’être un connard à partir du moment où t’en as bavé. Bien ! Du coup je vais faire pareil, hein ! Si tu me dis pas où il est, je vais tranquillement aller dire à la marine qu’il y a un pirate qui vit sa petite retraite à Cocoyashi !

Farros sentit son cœur s’accélérer. Il espérait avoir mal entendu. Il ne connaissait que trop bien un certain Lokiri. Celui-là même qui avait tué le frère de Mogla et son grand ami et mentor, le capitaine Campscotch. Impossible. Il devait avoir mal compris. Le Cabot ne savait plus quoi faire : devait-il faire demi-tour immédiatement, tout raconter à Mogla et se barrer d’ici, avec ou sans bateau ? Non, non. Il devait en avoir le cœur net. Absolument.

Impossible de bouger. Il sentait chaque partie de son corps se crisper. Ses mains tremblaient, il était complètement incapable de garder son calme. C’était un nom qu’il aurait souhaité ne plus entendre de si tôt. Ne plus jamais l’entendre. Toquer à la porte du cabanon lui demanda un effort impressionnant.

Soudain, un silence plomb envahit l’endroit. Obelon ouvrit la porte, le vieux charpentier en profitant pour s’éloigner, visiblement troublé. Il l’observa :

- T’arrives pas au meilleur moment, Farros. Je suis pas vraiment d’humeur à parler.

-

Alors qu’il s’apprêtait à lui fermer la porte au nez, le Cabot la bloqua brusquement avec sa main : « Je sais qui a coffré Lokiri. ».


Dernière édition par Farros le Sam 7 Sep 2019 - 13:11, édité 2 fois
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- Arrête tes conneries. Je suis vraiment pas d’humeur. Et depuis quand t’écoutes aux portes toi ?

- Je te dis que je sais qui a capturé Lokiri Gootey.

L’expression d’Obelon changea du tout au tout. Ses traits se crispèrent et même son ton parut plus grave :

- Comment tu connais le nom de mon père ?

- Je le connais parce que j’ai participé à sa capture.

- Si tu continues à te foutre de ma gueule, je vais sérieusement m’énerver. Il faudrait quelqu’un d’autrement plus puissant que toi pour venir à bout de ce salopard.


- J’y suis pas parvenu seul. J’étais accompagné d’un gars de la marine, Aleister Volkof. Et aussi de Mogla. Mogla… Elle était prisonnière de ton père depuis son enfance.

- Je… Même si ce que tu me dis est vrai, et que tu as effectivement été aidé par la marine. T’as une autre preuve de ce que tu avances ? Je trouve ça quand-même carrément gros d’essayer de me faire croire que je suis tombé par hasard sur la personne exacte que je recherchais.

- ...

- Ben quoi, tu me réponds ?

- C’était pas un hasard, n’est-ce pas ?

- Quoi ?

- Tu savais pour Mogla.

-

- Crache le morceau.

- C’est vrai. Je la cherche depuis un moment sur East Blue. Des années, en fait. Alors quand mon oncle et moi sommes tombés sur vous… J’ai bien cru que j’hallucinais.


- Et pourquoi tu veux retrouver ton père ?

- T’as pas à le savoir.

Le sang du Cabot ne fit qu’un tour et, chose assez rare pour le préciser, il perdit patience. Il attrapa le fils du pirate par le col, le plaquant contre un mur :

- J’ai toutes les raisons de vouloir le savoir, tu m’entends ? Toutes les raisons. Maintenant, parles.

- On dirait que le toutou montre les crocs…

Farros le cogna contre le mur, furieux.

- Réponds-moi !

- Bien, bien… t’as un sacré problème, toi. J’ai simplement l’intention de le voir une dernière fois pour tourner la page. Si tu m’as entendu tout à l’heure, quand tu nous espionnais comme un fourbe, t’as du entendre les raisons qui me poussent à détester ce salaud. Je veux le regarder dans les yeux et lui demander des explications.

Lâchant prise, Farros recula d’un pas et se laissa tomber à terre, adossé au mur. Obelon n’eut pas de réaction particulière, si ce n’est de s’asseoir à son tour. L’espace d’un instant, il laissa toute arrogance de côté :

- Donc, t’as l’intention de m’aider ?

- Je peux te dire où il est emprisonné, si c’est ce qui t’intéresse.


- Donc… Tu me fais confiance ?

- Pas totalement, non. J’accepte de t’y conduire seulement si je peux garder un œil sur toi.

- Ça me va.

Ils restèrent là en silence pendant un petit moment, le temps de se remettre de leurs émotions. Le fils de Lokiri brisa ce calme :

- Tu comptes le dire à Mogla ?

- Oui.

- Je comprends.

- Attends toi à ce qu’elle soit moins clémente que moi. Attends toi à te faire casser la gueule, en gros.

- Ouais, j’vois l’dessin.

- … Et une fois que t’auras parlé à ton père, c’est quoi le programme ?

- J’sais pas vraiment quel genre d’avenir on réserve au fils d’une ordure pareille. J’suppose que continuer à bosser avec Asseton serait le plan le plus sûr, mais bon. J’ai jamais été un très bon commerçant. Le contact avec la clientèle, tout ça, c’est pas mon truc.

- Tu m’étonnes.

Farros se leva, puis se dirigea vers la sortie du cabanon:

- Je te laisse. Je suppose que tu vas avoir une nouvelle conversation avec Rick ?

- En effet. On se revoit bientôt pour prendre la mer, du coup.

- Ouaif. A plus.

Le Cabot prit alors la direction du centre-ville. Exceptionnellement, il s’arrêterait là pour aujourd’hui. Une bonne bière dans une taverne ne lui ferait pas de mal, et Mogla serait certainement intéressée par cette perspective. D’ailleurs, il avait quelque-chose à lui expliquer.
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