. .Le bar à goujats. Un ramassis de mécréants et de malotrus. Des chaises espacées pour éviter les querelles inutiles dues aux gesticulations malencontreuses, une vaisselle incassable à l’épreuve du lancer d’assiettes et du balayage de table, des tables littéralement clouées au sol pour ne pas pouvoir être renversées suite à une dispute de cœur et un service clientèle qui porte plus de couteaux et de pistolets cachés sur soi que d’assiettes et de plats. Un vrai repaire de malfrats. La clientèle, essentiellement masculine, vient avant tout pour s’abriter de la justice qui leur pend au nez, mais aussi pour se rincer l’œil sur la toute nouvelle barmaid qui ravit les cœurs avec sa mini-jupe et son sourire ravageur. Belle, jeune, elle est bien plus féminine que la plupart des femmes de ce bar. Certes, certaines ressemblent plus à des gorilles qu’à des femmes mais ça ne lui enlève rien ! Elle a de pétillants yeux verts et de longs cheveux roux qu’elle laisse libres comme l’air et, surtout, elle s’habille très légèrement. Si légèrement que les regards des clients ne s’attardent pas toujours sur ses beaux yeux, non, mais un chouïa plus bas pour constater l’absence d’une certaine partie de la garde-robe féminine et essayer tant bien que mal de voir ce qu’il y a en dessous. Mais il faut dire qu’il fait chaud, dans le bar à goujats. Les murs épais qui assurent l’insonorisation et l’absence de fenêtres dignes de ce nom y sont peut-être pour quelque chose, mais ce qu’il se passe à l’intérieur doit rester à l’intérieur. L’ambiance sombre, aidée par ces minuscules fenêtres à hauteur de plafond et un éclairage minimal, offre un relatif anonymat très apprécié des clients. La seule personne qui n’est pas anonyme est en fait la tenante du bar, copieusement éclairée pour une raison qui a déjà été expliquée plus haut.
. .Le bar à goujats, comme partout où l’on trouve autant de criminels, est un lieu exécré des justiciers. Bien sûr, ils y sont les bienvenus s’ils viennent pour consommer mais s’ils commencent à chercher des noises à un client, ils ont tendance à se faire raccompagner jusqu’à la sortie et, s’ils insistent, il y a une option d’expulsion en petits morceaux, offerte par la clientèle bien entendu. Vous pourriez vous demander pourquoi le sultan ne fait rien contre ce genre de comportements. Eh bien premièrement il a d’autres chats à fouetter ; deuxièmement, si une grosse partie du personnel a récemment été arrêtée (l’autre s’étant volatilisée mystérieusement), c’est peut-être qu’il y avait une raison. Troisièmement, le sultan n’a pas spécialement envie d’envoyer des recrues à l’abattoir juste pour s’entendre dire « Qui ça, le sous-fifre Machin ? Jamais entendu parler. Vous êtes sûr qu’il n’est pas allé dans le bar d’à côté plutôt ? ». Cette absence de preuves ne permet pas de justifier une intervention en force, et en fait une telle intervention n’est vraiment pas profitable pour les forces de l’ordre qui, en cas de besoin, n’ont qu’à surveiller l’entrée du bar jusqu’à l’arrivée de la cible, bloquer toutes les sorties sauf une et cueillir la personne recherchée à la sortie. Au final ce bar est bien pratique pour attraper les criminels qui en valent la peine et pour les autres… tant pis, ils finiront bien par se faire avoir de toute façon. Une attaque en force ferait fuir définitivement les habitués qui ne s’y sentiront plus en sécurité, ce qui conduirait au bout du compte à plus de dangers publics en liberté.
— Tu me sers un verre ?
— Ouaip. Tu veux quoi ?
— Comme d’hab.
— T’as les sous ?
— Tu me demandes toujours de payer en avance depuis le temps ?
— Désolée, avec tous ceux qui se font dézinguer, dépouiller ou qui partiraient bien sans payer vaut mieux prendre ses précautions. Pis c’est pas moi qui décide.
— Ok. Tu vois le mec là-bas ?
— Non.
— C’est un chasseur, ainsi que ses deux comparses. Ils sont après ce type, là, dans le coin.
— Pas moyen ! Qu’est-ce qu’ils font là ? Ils ont le droit ?
— Non. Quand il sortira, ils le suivront et il va passer un sale quart d’heure. On ne le reverra pas.
— C’est comme ça.
— Mais si ça se trouve il s’était racheté une conscience ! Si ça se trouve il vivait normalement ! Pourquoi est-ce que tu dois te faire rattraper par des crimes que tu as faits il y a cinq, dix ans ?
— Ça s’achète pas, les consciences. La justice c’est la justice. Tu dois assumer tes actes même si ça fait longtemps. Ce que j’entends, c’est le discours d’un lâche. Si tu n’es pas prêt à assumer tes conneries alors t’en fais pas, c’est tout.
— Mais j’étais jeune : il y a prescription !
— Tu veux un autre verre ?
— Ouais, vas-y, tiens. Écoute, avant je ne pensais qu’à moi. Quand je voulais un truc je le prenais, point. J’ai violé, pillé, tué, massacré. Ma tête est mise à prix. À l’époque j’étais plutôt badass.
— Et t’es fier ? Tu parles comme si t’avais quatre-vingt balais mais t’as quoi là ? Trente-cinq ?
— Tu me flattes. J’ai reçu un coup et j’ai perdu l’usage de ma jambe droite.
— Mais non ?
— Ouais, on dirait pas hein ! C’était il y a vingt ans. Maintenant je peux boitiller mais je ne pourrais plus jamais me battre.
— Pauvre petit chou. Tu veux un autre verre ?
— Ouais, merci. Tiens. Tu sais, je regrette ce que j’ai fait. J’aimerais pouvoir me racheter.
— Qu’est-ce qui t’a changé ?
— Attends, j’y viens. J’vais pisser. Bref, file-moi un verre. Alors, j’étais capitaine d’un équipage de pirates, les Rold Gogers ! Pas très original je sais mais on était une sacré bande de canailles. On s’entendait bien. On avait des rêves de richesse et de gloire, mais au final partout où on allait il y avait la Marine pour nous accueillir. Pas moyen de se la couler douce et de profiter de la vie. Et dans les villes pirates c’est encore pire ! N’importe qui peut te poignarder dans le dos pour te piquer ta fortune. On a perdu Milly comme ça d’ailleurs. Pauvre Milly. Merci. Un sans alcool steuplait. Abricot. Merci. Un jour, mon équipage s’est dissout à cause de ça. Personne ne voulait continuer les atrocités parce qu’au final ça ne servait à rien. À quoi bon amasser les richesses quand on a déjà plus d’argent qu’on peut en dépenser ? Et puis le One Piece tu sais… j’y crois plus. C’était il y a vingt ans. Au final ça m’a servi à rien. J’aurais préféré mener une honnête vie dans la lumière et pouvoir me balader tranquillement dans la rue sans avoir peur de me faire coffrer quitte à avoir moins de sous. À la place je croupis dans l’ombre de peur de me retrouver en taule. J’ai pris la mer en rêvant de liberté mais la liberté, c’est moi qui l’ai perdue. J’lai trouée de balles et déchirée au couteau ! Ben… ouais. Tu as raison. Les conséquences de mes propres actions. Si c’est pas malheureux ça. Ben, c’est rien, c’est juste un contre-amiral qui m’est tombé dessus pendant que je faisais mes courses. Il m’a tiré dans la jambe et ça s’est infecté, fin de l’histoire. Comme j’étais criminel, pas moyen de soigner ça avant belle lurette et c’était pas beau à voir. J’ai refusé qu’on m’ampute, pas le courage. Mais à force d’y croire ça a fini par guérir, j’ai bien fait au final. Non, ça n’a rien à voir, tu ne comprends pas. Ok, je vais tout te dire. Voilà, je suis amoureux. Je ne pense plus qu’à moi. Tu sais, j’aimerai fonder une famille, avoir des enfants ! Vivre normalement quoi.
— Arrête…
— Anatara, épouse-moi !
Dernière édition par Anatara le Lun 12 Aoû 2019 - 2:36, édité 4 fois