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Les chroniques du B.A.G., partie 1.



.         .Le bar à goujats. Un ramassis de mécréants et de malotrus. Des chaises espacées pour éviter les querelles inutiles dues aux gesticulations malencontreuses, une vaisselle incassable à l’épreuve du lancer d’assiettes et du balayage de table, des tables littéralement clouées au sol pour ne pas pouvoir être renversées suite à une dispute de cœur et un service clientèle qui porte plus de couteaux et de pistolets cachés sur soi que d’assiettes et de plats. Un vrai repaire de malfrats. La clientèle, essentiellement masculine, vient avant tout pour s’abriter de la justice qui leur pend au nez, mais aussi pour se rincer l’œil sur la toute nouvelle barmaid qui ravit les cœurs avec sa mini-jupe et son sourire ravageur. Belle, jeune, elle est bien plus féminine que la plupart des femmes de ce bar. Certes, certaines ressemblent plus à des gorilles qu’à des femmes mais ça ne lui enlève rien ! Elle a de pétillants yeux verts et de longs cheveux roux qu’elle laisse libres comme l’air et, surtout, elle s’habille très légèrement. Si légèrement que les regards des clients ne s’attardent pas toujours sur ses beaux yeux, non, mais un chouïa plus bas pour constater l’absence d’une certaine partie de la garde-robe féminine et essayer tant bien que mal de voir ce qu’il y a en dessous. Mais il faut dire qu’il fait chaud, dans le bar à goujats. Les murs épais qui assurent l’insonorisation et l’absence de fenêtres dignes de ce nom y sont peut-être pour quelque chose, mais ce qu’il se passe à l’intérieur doit rester à l’intérieur. L’ambiance sombre, aidée par ces minuscules fenêtres à hauteur de plafond et un éclairage minimal, offre un relatif anonymat très apprécié des clients. La seule personne qui n’est pas anonyme est en fait la tenante du bar, copieusement éclairée pour une raison qui a déjà été expliquée plus haut.

.         .Le bar à goujats, comme partout où l’on trouve autant de criminels, est un lieu exécré des justiciers. Bien sûr, ils y sont les bienvenus s’ils viennent pour consommer mais s’ils commencent à chercher des noises à un client, ils ont tendance à se faire raccompagner jusqu’à la sortie et, s’ils insistent, il y a une option d’expulsion en petits morceaux, offerte par la clientèle bien entendu. Vous pourriez vous demander pourquoi le sultan ne fait rien contre ce genre de comportements. Eh bien premièrement il a d’autres chats à fouetter ; deuxièmement, si une grosse partie du personnel a récemment été arrêtée (l’autre s’étant volatilisée mystérieusement), c’est peut-être qu’il y avait une raison. Troisièmement, le sultan n’a pas spécialement envie d’envoyer des recrues à l’abattoir juste pour s’entendre dire « Qui ça, le sous-fifre Machin ? Jamais entendu parler. Vous êtes sûr qu’il n’est pas allé dans le bar d’à côté plutôt ? ». Cette absence de preuves ne permet pas de justifier une intervention en force, et en fait une telle intervention n’est vraiment pas profitable pour les forces de l’ordre qui, en cas de besoin, n’ont qu’à surveiller l’entrée du bar jusqu’à l’arrivée de la cible, bloquer toutes les sorties sauf une et cueillir la personne recherchée à la sortie. Au final ce bar est bien pratique pour attraper les criminels qui en valent la peine et pour les autres… tant pis, ils finiront bien par se faire avoir de toute façon. Une attaque en force ferait fuir définitivement les habitués qui ne s’y sentiront plus en sécurité, ce qui conduirait au bout du compte à plus de dangers publics en liberté.

— Tu me sers un verre ?
— Ouaip. Tu veux quoi ?
— Comme d’hab.
— T’as les sous ?
— Tu me demandes toujours de payer en avance depuis le temps ?
— Désolée, avec tous ceux qui se font dézinguer, dépouiller ou qui partiraient bien sans payer vaut mieux prendre ses précautions. Pis c’est pas moi qui décide.
— Ok. Tu vois le mec là-bas ?
— Non.
— C’est un chasseur, ainsi que ses deux comparses. Ils sont après ce type, là, dans le coin.
— Pas moyen ! Qu’est-ce qu’ils font là ? Ils ont le droit ?
— Non. Quand il sortira, ils le suivront et il va passer un sale quart d’heure. On ne le reverra pas.
— C’est comme ça.
— Mais si ça se trouve il s’était racheté une conscience ! Si ça se trouve il vivait normalement ! Pourquoi est-ce que tu dois te faire rattraper par des crimes que tu as faits il y a cinq, dix ans ?
— Ça s’achète pas, les consciences. La justice c’est la justice. Tu dois assumer tes actes même si ça fait longtemps. Ce que j’entends, c’est le discours d’un lâche. Si tu n’es pas prêt à assumer tes conneries alors t’en fais pas, c’est tout.
— Mais j’étais jeune : il y a prescription !
— Tu veux un autre verre ?
— Ouais, vas-y, tiens. Écoute, avant je ne pensais qu’à moi. Quand je voulais un truc je le prenais, point. J’ai violé, pillé, tué, massacré. Ma tête est mise à prix. À l’époque j’étais plutôt badass.
— Et t’es fier ? Tu parles comme si t’avais quatre-vingt balais mais t’as quoi là ? Trente-cinq ?
— Tu me flattes. J’ai reçu un coup et j’ai perdu l’usage de ma jambe droite.
— Mais non ?
— Ouais, on dirait pas hein ! C’était il y a vingt ans. Maintenant je peux boitiller mais je ne pourrais plus jamais me battre.
— Pauvre petit chou. Tu veux un autre verre ?
— Ouais, merci. Tiens. Tu sais, je regrette ce que j’ai fait. J’aimerais pouvoir me racheter.
— Qu’est-ce qui t’a changé ?
— Attends, j’y viens. J’vais pisser. Bref, file-moi un verre. Alors, j’étais capitaine d’un équipage de pirates, les Rold Gogers ! Pas très original je sais mais on était une sacré bande de canailles. On s’entendait bien. On avait des rêves de richesse et de gloire, mais au final partout où on allait il y avait la Marine pour nous accueillir. Pas moyen de se la couler douce et de profiter de la vie. Et dans les villes pirates c’est encore pire ! N’importe qui peut te poignarder dans le dos pour te piquer ta fortune. On a perdu Milly comme ça d’ailleurs. Pauvre Milly. Merci. Un sans alcool steuplait. Abricot. Merci. Un jour, mon équipage s’est dissout à cause de ça. Personne ne voulait continuer les atrocités parce qu’au final ça ne servait à rien. À quoi bon amasser les richesses quand on a déjà plus d’argent qu’on peut en dépenser ? Et puis le One Piece tu sais… j’y crois plus. C’était il y a vingt ans. Au final ça m’a servi à rien. J’aurais préféré mener une honnête vie dans la lumière et pouvoir me balader tranquillement dans la rue sans avoir peur de me faire coffrer quitte à avoir moins de sous. À la place je croupis dans l’ombre de peur de me retrouver en taule. J’ai pris la mer en rêvant de liberté mais la liberté, c’est moi qui l’ai perdue. J’lai trouée de balles et déchirée au couteau ! Ben… ouais. Tu as raison. Les conséquences de mes propres actions. Si c’est pas malheureux ça. Ben, c’est rien, c’est juste un contre-amiral qui m’est tombé dessus pendant que je faisais mes courses. Il m’a tiré dans la jambe et ça s’est infecté, fin de l’histoire. Comme j’étais criminel, pas moyen de soigner ça avant belle lurette et c’était pas beau à voir. J’ai refusé qu’on m’ampute, pas le courage. Mais à force d’y croire ça a fini par guérir, j’ai bien fait au final. Non, ça n’a rien à voir, tu ne comprends pas. Ok, je vais tout te dire. Voilà, je suis amoureux. Je ne pense plus qu’à moi. Tu sais, j’aimerai fonder une famille, avoir des enfants ! Vivre normalement quoi.
— Arrête…
— Anatara, épouse-moi !


Dernière édition par Anatara le Lun 12 Aoû 2019 - 2:36, édité 4 fois
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_____Comment je me suis retrouvée là ? Eh bien, ça faisait longtemps que je voulais explorer Pétales, une nation entière qui vit d’amour, de fleurs et de parfums exotiques. Arrivée sur place, je ne fus pas déçue parce que le décor sortait tout droit d’un conte de fées. Des champignons-maisons, une végétation magique aux fleurs mystérieuses et aux lianes qui bougeaient, des champs magnifiques, des villes oniriques construites à même la forêt… Le rêve, quoi ! Et surtout, des magasins de fleur. Il y en avait à ne plus savoir quoi en faire ! Je me suis baladée toute une journée à faire tous les magasins en me demandant ce que j’aurais pu emporter comme souvenir, revendre, acheter pour ma propre utilisation… Et tous les magasins vendaient des choses différentes, c’était tout bonnement incroyable ! Dans l’un d’entre eux, je suis passée trois fois devant le rayon « herbes folles », je l’ai visité, fait demi-tour, changé d’avis, j’ai pris un brin d’herbe au hasard pour voir s’il avait une odeur et finalement j’ai posé la question que je pose partout quand je fais du tourisme :

« Est-ce que vous avez quelque chose d’exotique ? »

_____Sur ces mots, le vendeur m’a regardée intensément, m’a posé des questions que je n’ai pas comprises, s’est frotté les mains et m’a présenté des feuilles jaunes séchées de la taille de ma paume. Il m’a expliqué comment en faire des infusions, comment les broyer en poudre et m’a chuchoté les effets vertueux qu’elles auraient sur moi puis m’a réclamé une somme rondelette. Bien sûr, je ne me suis pas laissé faire ! Je l’ai regardé d’un air suspicieux. Son visage marqué par le temps affichait un grand calme et une certaine bonhomie. Il n’argumenta pas très longtemps, se contentant de phrases concises et professionnelles. Sa voix était douce et ferme à la fois, un rassurant mélange qui me donnait envie de le croire sur parole. Au bout du compte, il me dit de revenir une fois que je les aurais testées et me les a vendues à un prix raisonnable… quoi que, c’est toujours l’impression que j’ai eu en comparant avec le prix qu’il m’avait demandé au début ! Bref, je me suis fait embobiner, comme d’habitude. Mais revenons-en à notre histoire. Par la suite, j’ai eu la merveilleuse idée de visiter le palais de Tricastin, dont une grande partie est ouverte aux touristes. Quel merveilleux palais que voilà : le siège du pouvoir, le souverain de la nation ! Malheureusement, je ne pus voir que l’extérieur car, bien sûr, j’ai eu le droit à une fouille intégrale avant d’entrer.

« Vous avez un certificat, pour la feuille, m’a-t-on demandé.
— Pardon ?
— Un certificat. Vous n’êtes pas sans savoir que vous n’avez pas le droit de circuler avec des feuilles de Barbican sans certificat.
— Euh, ah bon ? »

_____Apparemment, la vente de feuilles de Barbican est régulée et les vendeurs doivent fournir des certificats à leurs clients, sans quoi ces derniers deviennent des hors-la-loi. Malheureusement, l’armée sans bannière ne peut pas lutter contre la recrudescence des réseaux illégaux, et peut-être qu’elle s’en fout un peu d’ailleurs. Cela dit, avoir le monopole est toujours intéressant donc si elle pouvait démanteler un réseau ou deux, ça lui ferait plus de parts de marché j’imagine… Parce que, oui, elle vend bien des feuilles jaunes dûment certifiées, elle. Mais de tout ça, je ne savais rien il y a quelques semaines. Le garde m’a donc accompagnée dans un hôtel de luxe avec un repas par jour, des murs qui protègent totalement des méfaits du Soleil ainsi qu’une hygiène assurée par l’absence totale de contact avec l’air frais, vecteur de toutes sortes d’allergènes dans le royaume de Pétales. Fort heureusement, j’ai pu lever le malentendu assez facilement. D’abord, j’ai guidé mes geôliers jusqu’au fameux magasin où le vendeur a eu le culot de tout nier en bloc en me regardant droit dans les yeux. La perquisition n’ayant rien donné, je m’attendis à retourner toute seule dans mon trou à rats ; mais de toute évidence le sultanat des Pétales n’a pas vraiment de notion de « présomption d’innocence », aussi le marchand fut-il enfermé, lui aussi. Il n’a pas tenu deux jours avant de cracher le morceau et j’ai été relâchée juste après. Ils m’ont foutue dehors à coups de pieds dans le derrière en me disant que je n’avais pas intérêt à les recroiser, et j’ai dû m’acquitter des « frais d’incarcération »… un vrai scandale ! Je n’ai rien fait, je me fais enfermer dans une cellule miteuse et en plus je dois payer une amande ? C’est moi la victime nan mais oh ! Ils devraient me remercier, au contraire : je les ai aidés à démanteler le réseau ! Franchement, on n’a jamais vu la Marine traiter quelqu’un comme ça. Que cette île est incivilisée, bon sang ! C’est dommage qu’elle n’appartienne pas au Gouvernement Mondial.

_____J’ai donc erré quelques heures dans les rues de Rosetta et c’est là, à la lisière de la forêt, que j’ai compris à quel point j’étais à côté de la plaque. Je suivais le sentier dans l’espoir d’en apprendre plus sur cet étrange bois aux Djinns et j’allais m’y engouffrer quand quelqu’un m’est littéralement tombé dessus. Cela m’a coupé le souffle et je me suis retrouvée plaquée contre le sol. D’un ricanement, mon agresseur s’est saisi de mon col et de mon bras droit et a placé ses genoux à la naissance de mes fesses afin de mieux m’immobiliser. Puis j’ai senti sa main remonter le long de mon bras jusqu’au poignet et il a commencé à tirer pour me forcer à tendre le bras. Ah, non ! Je connaissais cette technique : il allait me compresser les tendons avec son cubitus et Dieu sait ça fait un mal de chien ! Je me suis débattue, je me suis retournée. Trouvant une force insoupçonnée dans mes battements de cœur qui me cognaient la poitrine, je lui ai décoché un formidable coup de poing.

_____L’homme était habillé d’un long manteau noir. Il était mal rasé, mal coiffé, mal soigné. Toujours sur moi, il me rendit coup pour coup mais je finis par m’en débarrasser d’une impulsion du bassin. Je me suis relevée, j’ai dégainé mon épée et j’ai bien failli l’avoir… mais d’autres personnes ont débarqué, toutes vêtus de ce même manteau noir. Ils étaient tous des hommes, ils avaient tous le visage à découvert. Mafieux, trafiquants, mercenaires, ils avaient la tête du métier, ils me regardaient avec haine et envie, avec des pulsions d’amour et de mort. Ils étaient nombreux. Je pris mon arme à deux mains et je présentai mon flanc pour offrir un minimum de surface à leurs coups. J’ai esquivé, paré, contre-attaqué. Battant en retraite, je ne les ai pas laissé m’encercler. Quand quelqu’un faisait mine de me contourner, je sautais vers lui et le repoussais. Quand l’un partait hors de portée, je partais dans la direction opposée. Au contact, je parvenais à n’avoir qu’un ou deux adversaires à la fois et avec ma maîtrise de l’épée, c’était parfaitement gérable. Mais je fatiguais, je ne pouvais pas continuer indéfiniment. Il me fallait contre-attaquer.


Dernière édition par Anatara le Sam 10 Aoû 2019 - 1:07, édité 7 fois
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_____Après avoir fait quelques pas dans la forêt où leur avantage numérique se faisait moins sentir, je me suis rendu compte que deux personnes avaient réussi à se placer derrière moi. Ce fut un violent bruissement qui m’avertit. Mon cœur ne fit qu’un tour. Sans lâcher mon épée, je décochai un magnifique coup de pied retourné arrière en poussant de toutes mes forces sur l’autre appui. J’entendis un craquement sinistre et ma victime ne se releva pas, ou du moins pas tout de suite. Déséquilibrée, je posai ma main forte au sol et repoussai celui qui me faisait face d’un coup d’épée maladroit. Plutôt que de lutter contre mon élan, je décidai d’en tirer parti et, d’une nouvelle impulsion de la jambe gauche, je me retrouvai les deux jambes en l’air, à faire un sec et brutal mouvement de toupie qui fit reculer l’un et rata complètement l’autre. Stylé, ce mouvement. Je vais l’appeler « Le vol de la grue qui fait la roue ». Ou vol-groue, ça ira plus vite.

« Chopez-la ! »

_____J’ai roulé sur le côté et je me suis relevée d’un bond. D’un puissant coup d’épée circulaire, je fis reculer mes poursuivants, laissant alors une ouverture à celui qui était derrière moi. Il s’est jeté sur moi. Il avait une grande tenaille qu’il utilisait alternativement comme une masse ou comme de redoutables ciseaux. Cela dit, ce n’était pas des ciseaux qui coupent mais des ciseaux qui attrapent. Une tenaille, quoi. Il abattit son arme de toutes ses forces pendant que je faisais volte-face. Impossible d’esquiver. Parant du mieux que je pus, je fis glisser son arme contre la mienne et, d’un puissant bond, je me collai à lui de manière à lui interdire de réutiliser son arme contre moi. Surpris, il me saisit la manche mais ça, ça n’a jamais fait de mal à personne. Profitant de sa confusion et me souvenant très clairement de mes cours avec Misjah, je lui fis une prise de judo qui l’envoya directement au tapis. Le temps qu’il se relève, je m’étais engouffrée bien plus profondément dans la forêt… où encore plus d’ennemis m’attendaient.

_____J’étais encerclée, toute seule avec mon épée face à eux, armés jusqu’aux dents, forts d’une bonne vingtaine de personnes et bien déterminés à avoir ma peau. Là, je me suis un peu découragée, je me suis dit que ma meilleure option était de me rendre et à partir de là, cette seule pensée m’a privée de toutes mes forces. Moi qui pouvais, quelques instants plus tôt, surclasser facilement la plus épaisse de ces brutes, je me fis malmener par la moindre d’entre elles. Le combat était perdu d’avance, surtout depuis que le moral n’y était plus. Qu’avais-je alors en tête ? Est-ce que je pensais vraiment qu’en les laissant me capturer, ça aurait été mieux ? Plutôt mourir que de tomber entre les mains de ces pourceaux ! Plus facile à dire qu’à faire. Mais là, quand j’ai contemplé les portes de la mort, quand j’avais encore l’occasion de franchir le seuil de l’oubli, quand je pouvais encore m’échapper et leur filer définitivement entre les mains, ma volonté de vivre fut la plus forte. Je ne voulais pas mourir, et je ne voulais plus me battre. Ils m’ont désarmée, empoignée et si je suis encore en vie aujourd’hui, c’est parce que leur chef a décidé de me revendre comme esclave, pour bien me faire payer ou un truc comme ça. Ça m’a laissé un peu de sursis, parce que du coup ils ne m’ont pas trop abimée… mais c’est là que j’ai perdu tous mes vêtements.

_____Avec leurs grosses mains pleines de doigts, leurs mains innombrables qui me touchaient et qui me tâtonnaient, ils ont arraché des morceaux entiers de ma robe. Celui qui semblait être leur chef, un vieux monsieur bien détestable avec une barbe grise en pointe, une large cicatrice qui lui barre l’œil droit et une oreille en moins, m’a fixée bien intensément avec sur ses lèvres vicelardes la satisfaction perverse de voir ses rêves inavoués sur le point de se réaliser. Mais, Dieu soit loué, il ne laissa pas ses hommes m’humilier plus longtemps. « Pour cela, rentrons. », avait-il ajouté avec la même lueur satisfaite dans le regard. Je me suis détestée, je me suis dit que je n’aurais pas dû me rendre, et que je l’avais bien mérité. Mais surtout, je les ai détestés tous. L’humiliation d’avoir été traitée comme une bête, une marchandise, je ne l’oublierai jamais. Une partie de moi s’est envolée, ce jour-là, et avec elle mon candide amour de tout un chacun. Non, je n’ai pas décidé de haïr le monde entier parce que je sais que tout le monde n’est pas pareil et non, je n’ai pas juré vengeance contre le genre humain mais je me méfie des hommes, maintenant. Parce que je n’oublierai pas ce qu’ils m’ont fait, jamais.

_____J’ai laissé le temps s’écouler. Ils m’ont forcée à marcher à leurs côtés pendant un certain temps, et je n’ai pas fait attention. Je n’étais plus que mouvements. Je n’avais plus de conscience, plus de volonté. J’étais déjà morte. Un corps sans vie, prêt être usé et utilisé. Mais lorsqu’ils m’ont lancée sur ce fétu de paille, les mains attachées dans le dos et peu d’espoir de m’en sortir indemne, la vie et la mort se sont confondus dans ma tête. Une seule personne, sûre d’elle, hautaine au point d’en enlever son manteau, son débardeur et son pantalon, s’approcha de moi avec un couteau. Vagues de sanglots et amers regrets, tourbillons de peur et désespoir muet. Il me saisit par l’épaule et entreprit de découper ce qu’il me restait de dignité. J’avais peur, j’étais paralysée. Mon instinct me disait que je pouvais encore survivre, qu’il ne fallait pas bouger. Faire la morte. Mais je ne voulais être morte. D’un rugissement, j’ai pris appui directement sur le sol à travers le chaume et j’ai battu le record du monde du grand écart en lui distribuant trois coups de pied monumentaux.

_____Surpris, l’homme qui était si sûr de lui vit mon apparente docilité se transformer en fureur acharnée. Il se retrouva séquentiellement émasculé, édenté et dégagé. Mon dernier coup lui vida les poumons et l’estomac, et il resta immobile, à genoux dans son vomi, à cracher du sang ; hébété, engourdi de douleur et incapable de respirer. Il avait lâché son couteau. Je plongeai dans la paille pour à la fois me soustraire aux regards des autres et récupérer l’arme qui pouvait me sauver. Je dus me contorsionner pour la mettre dans ma main et, quand je la saisis enfin, quelqu’un agrippa ma robe et chercha à me relever mais mes pauvres vêtements lui restèrent dans la main, ce qui m’offrit le temps de réagir. J’étais alors allongée sur le ventre, à me tortiller pour essayer de couper mes liens ; je roulai sur le côté et me cachai sous trois malheureux brins où j’entrepris de ramper à reculons pour m’éloigner le plus possible. Mais il me prit par le cou et me souleva de sa force herculéenne. J’étouffais.

_____À ce moment, je vis qu’il y avait face à moi un homme brun au regard sérieux et plein de reproches, avec dans son dos trois ou quatre spectateurs qui ricanaient bêtement. La personne que j’avais agenouillée, je ne la voyais plus. Sans doute avait-il été écarté par ses comparses. Mais le plus intéressant, c’est que je n’avais pas l’impression qu’un seul d’entre eux fût armé. Ils me prenaient vraiment pour acquise, et ils allaient le regretter. Désormais libre de mes mouvements mais à deux doigts de la suffocation, je tranchai la gorge de mon étrangleur. Aussitôt, sa poigne se fit moins forte et de minces filets d’air vinrent à la rescousse de mes poumons naufragés. Incrédule, il porta la main à sa gorge et me regarda, paniqué. Il voulut dire quelque chose mais il s’étouffa dans son sang. Je renchéris en frappant au hasard dans son torse. La lame ricocha contre sa cage thoracique, je frappai une nouvelle fois, en plein dans le bide, cette fois. Je le tirai vers moi et nous tombâmes l’un sur l’autre.

_____Les autres riaient, ils n’avaient pas compris ce qu’il s’était passé, pas encore. L’homme leur avait masqué la vue. J’en profitai pour reprendre tant bien que mal ma respiration, j’avais peur. Il m’avait tant écrasé la gorge que j’avais du mal à respirer. Je pris de grosses et bruyantes inspirations qui provoquaient chacune des réactions lubriques de la part du public ; j’avais mal. Lorsque je n’eus plus l’impression de devoir mourir d’asphyxie d’une seconde à l’autre, je me débarrassai du cadavre d’un revers de bras et bondis sur les cinq spectateurs. Car ils étaient cinq. L’homme que j’avais mis à genoux était toujours là, juste derrière celui que je venais de tuer. Je le percutai de plein fouet. Tous deux surpris, nous luttâmes quelques secondes pour la suprématie du couteau mais deux puissants coups de poing le convainquirent qu’il lui fallait rattraper son manque de sommeil. Et ce n’est qu’à ce moment-là que les quatre autres comprirent la situation.


Dernière édition par Anatara le Ven 9 Aoû 2019 - 19:50, édité 5 fois
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— Appelle les autres !
— Attrapez-la !
— Ne la laissez pas s’échapper !

_____Je m’enfuis en courant le long du mur. C’était une grande maison en pierre blanche qui tirait sur le jaune, de bien dix hommes de long et au moins autant de large. Elle était haute de deux étages, avec un toit triangulaire fait de planches de bois. Pourvue de nombreuses fenêtres, elle était isolée dans une clairière au beau milieu de la forêt. Contrairement à ce à quoi je m’attendais, ce furent quatre personnes qui se lancèrent à ma poursuite, aucun d’entre eux n’ayant eu le courage d’aller annoncer aux autres que leur prise était en train de se faire la malle. Ils pensaient pouvoir me gérer à eux seuls et rétablir la situation ni vus ni connus, et j’allais en profiter.

_____Il me fallait faire face, et tout de suite. Armée de mon couteau, je n’eus aucun mal à les tenir en respect, car personne n’osait s’avancer le premier. Mais plus je perdais du temps, plus je prenais le risque que les autres s’aperçussent de quelque chose. Et avoir des gens en sus, je ne le voulais pas. Il me fallait faire vite, et me débarrasser d’eux quatre en même temps, avant qu’ils eussent compris que j’étais dangereuse. Car le moment où ils le comprendraient, ils appelleraient à l’aide et c’en serait fini de moi. Malheureusement, je n’avais pas le temps de réfléchir à tout ça ni d’échafauder un semblant de plan. Mon cerveau refusait de me laisser réfléchir. Il carburait de lui-même, me dictait ma conduite et me lança toutes griffes dehors à l’assaut de mes quatre adversaires.

_____Surpris par mon soudain revirement de comportement, mon premier poursuivant ne put empêcher la collision frontale. D’un violent coup d’épaule, j’enroulai mon bras autour de son cou pour me saisir de ses vêtements, je plaçai correctement mes appuis et, d’un fauchage majestueux, nous entraînai tous les deux au sol. Le souffle coupé, il n’eut pas l’air de vouloir se relever tout de suite, aussi l’achevai-je d’une lame dans le front. Mes yeux virent, mais l’information ne fut pas traitée par mon esprit. Une image de plus, sans signification. Ebahis, les trois autres freinèrent des quatre fers et restèrent un instant silencieux, interdits. Je capitalisai sur cette précieuse ressource pour me relever et les jauger.

_____Un nain qui ne m’arrivait pas à la poitrine, un gros tas de muscles et un homme blond, à la frange bien marquée qui arborait un sourire cruel et triomphant. J’effectuai une roulade dans sa direction, évitant ainsi les bras de Musclor. De nouveau sur pieds, tel un ressort, je détendis mes jambes, poignard en avant et manquai de peu d’éborgner ma cible qui recula au dernier moment, gardant une profonde coupure sur la joue qui lui arracha un cri de douleur et de surprise. À ce moment-là, il n’était plus question de discrétion.

_____Hurlant de rage, je luttai contre l’armoire à glace qui tentait de m’immobiliser en m’encerclant de ses bras, et le contact de son corps contre mon corps me répugna au plus haut point. Le blond, la main gauche portée au visage, eut la présence d’esprit de se saisir de mon bras armé pour empêcher un nouvel assassinat et le nain, qui jusque-là était en reste, sauta pour abattre ses deux mains jointes en plein sur le sommet de mon crâne. Mais je tirai de toutes mes forces et ce fut Musclor qui reçut le coup à ma place. Puis je transformai soudainement ma traction en poussée, profitant de la force diminuée de celui qui m’embrassait depuis trop longtemps. Je glissai mes jambes entre ses jambes pour lui faire simultanément deux croche-pattes et l’empêcher de reculer pour reprendre ses appuis. Nous nous retrouvâmes tous deux à terre, j’arquai mon dos en piétinant l’abdomen du gros-bras puis j’entrepris de pousser de toutes mes forces afin de me dégager de cette étreinte mortelle.

— Qu’est-ce qu’il se passe, ici ? Où est la fille ?
— Là, derrière : ça vient d’ici !

_____Mais le nain frappa de nouveau de ses deux mains jointes, et cette fois-ci ce fut pour ma poire. Explosion de douleur et de rage. Papillon de nuit qui prend feu. Simultanément, le blond joignit sa deuxième main à la lutte pour le couteau, et il n’eut pas de mal à défaire ma poigne doigt par doigt. Panique salée, déchaînement de violence endiablée. Je fis pleuvoir des coups de pieds sur le gros baraqué qui finit par me lâcher, juste au moment où le blond récupérait l’arme blanche. Le nain me sauta alors dessus, mais à la vue de mon torse nu, il fut déconcentré. Mon talon vint s’enfoncer au-dessus de son nez sur plusieurs centimètres, et cette paire de seins fut donc la dernière chose qu’il vit ce jour-là.

— Elle est là ! Pierre ! Qu’est-ce que tu fous ?

_____Le blond, qui s’appelait donc Pierre, était à ce moment-là en train de s’acharner sur moi avec son couteau. J’avais sauté, donné un magistral coup de pied retourné circulaire de la jambe gauche, continué ma vrille, repris appui sur le rebord de la fenêtre et, malgré les nombreuses coupures qui se multipliaient sur mon thorax, je bondis pour l’assommer d’un puissant coup de genou. Courte victoire. Accalmie orageuse, déferlement de cris et de bousculades : ils étaient là. La partie était terminée… devais-je me rendre à nouveau ? Non, mes espoirs étaient minimes, mon horizon s’arrêtait juste devant moi. Quitte à mourir, autant essayer de s’échapper.

_____Je pris donc la fuite, avec à ma trousse une dizaine de poursuivants qui n’avaient pas tous pris la peine d’aller chercher une arme. Décidément, ils m’auraient sous-estimée jusqu’au dernier moment ; c’est ce qu’il se passe quand un supérieur passe ses nerfs sur celui qui lui annonce les mauvaises nouvelles : ses subordonnés font alors tout pour gérer les imprévus d’eux-mêmes et la chaîne de l’information s’en retrouve brisée. Courir à moitié nue n’est pas forcément une expérience agréable, peut-être encore plus quand c’est cette moitié-là. Mais j’ai profité de leur stupeur et de leur désorganisation. Je réussis à rejoindre la forêt mythique où ils durent réfléchir à deux fois avant de se lancer à ma poursuite, et peut-être que je les ai semés à ce moment-là, ou peut-être qu’ils ont considéré que je n’en valais pas la peine.

_____Au bout de quelques pas seulement, la végétation devint dense. Il y avait des ronces, des branches, des baies de toutes les couleurs, des filaments qui faisaient la connexion entre des hêtres qui attendaient patiemment le printemps ; du bois mort, des nids de fourmis, des toiles d’araignées et, bien sûr, des champignons. Sur ma droite, je vis une curieuse plante haute comme moi ou presque, avec de longues feuilles vertes et des fleurs blanches et violettes qui dégageaient une odeur sucrée et entêtante. Elle donnait envie de s’en approcher et de la respirer, mais les petites dents qui se devinaient sur les côtés de ses pétales creuses, ainsi que ses racines qui ressortaient du sol et semblaient bouger imperceptiblement, me décidèrent à ne pas la déranger. Endormie par l’hiver, la forêt n’était pas morte pour autant et je n’osais pas imaginer à quoi elle devait ressembler pendant les beaux jours. Parfois, j’apercevais une étrange lueur blafarde qui clignotait au loin, dans de diverses couleurs. Parfois, il y en avait plusieurs, comme si elles se répondaient. Je marchai sur quelque chose de mou et j’entendis un grand ksssst !, comme le feulement d’une bête, comme le bruit d’un chat qui crache. D’instinct, je m’éloignai aussitôt pour découvrir que j’avais involontairement fait des ravages dans une colonie de champignons blancs. Il était déjà trop tard : j’avais respiré quelque chose d’épais et de poisseux.

_____Les formes se déformèrent, les couleurs se mélangèrent et je sentis mon esprit s’embrumer, s’endormir. J’avais la tête lourde, je me sentais fatiguée. Je décidai de m’asseoir au pied d’un pommier pour reprendre ma respiration qui devenait de plus en plus saccadée, de moins en moins salvatrice. Avant de perdre conscience, j’ai entendu un cri, un énorme cri qui a retenti dans la soirée. Un cri de douleur, inhumain, qui supplie que ça s’arrête, qui demande à être mis à mort. Je ne savais pas qu’on pouvait pousser un tel cri. Peut-être que je délirais déjà, rendue folle par les effluves empoisonnées. Je tombai dans les pommes.


Dernière édition par Anatara le Dim 8 Sep 2019 - 9:26, édité 5 fois
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_____C’était une petite chambre basse de plafond avec un plancher craquelé et attaqué par les termites, d’un bois sombre qui tirait sur le noir et qui semblait absorber la lumière. Une fenêtre ronde et grillagée luttait contre ce phénomène en offrant une luminosité rassurante. Je fus réveillée par une alléchante odeur de thé au gingembre et au citron. Sur ma gauche, un tabouret miteux qui paraissait sur le point de tomber en poussière. Dessus trônait un verre épais qui servait de support au bâton d’encens responsable de ce parfum. Des cendres et d’autres résidus non comestibles se mélangeaient au fond du verre dans un liquide jaunâtre.

_____Je me redressai doucement, faisant tomber le lange encore humide qui reposait sur mon front. J’étais brûlante de fièvre mais je parvins à m’asseoir sur le bord du lit. Un sac en cuir vert était posé près de la porte et des bruits étouffés de conversations parvenaient à mes oreilles. Dans mon délire, j’entendais même de la musique, une petite musique d’ambiance qui donnait envie de se poser et de siroter un jus. Je claudiquai maladroitement pour parcourir la distance insurmontable qui me séparait de mon sac. Après avoir failli tomber deux ou trois fois, j’arrivai enfin à destination et je le serrai très fort contre moi, réveillant alors des douleurs atroces qui me lancinaient le ventre et les jambes. Les coups de couteau. Je portais un pyjama gris et trop grand pour moi et, après une brève inspection de ce qu’il y avait en-dessous, je constatai que j’étais en un seul morceau mais couverte de bandages, dont certains dégageaient une odeur peu avenante. J’avais très largement entrepris d’enlever les plus moches lorsqu’il pénétra dans la chambre.

_____C’était un grand homme brun, avec des cheveux en pagaille et des yeux bleus étincelants. Entre deux âges, il se tenait bien droit et ce fut à peine s’il esquissa un mouvement de recul en découvrant mon intimité. Il bougeait peu, mis à part son diaphragme qui se soulevait régulièrement, au rythme de ses respirations ; flux et reflux, calme souverain, influence hypnotique. Il avait de méchantes cicatrices sur sa lèvre inférieure et sa joue gauche, signes de glorieuses batailles du passé. Après une respiration, il m’aida à me lever en me murmurant des paroles rassurantes ; il me dit de ne pas m’inquiéter et qu’il ne me voulait pas de mal. Il me força à me rasseoir sur le lit et entreprit de s’occuper de changer mes pansements, avec professionnalisme et déférence.

« Je m’appelle Imilga Nortan, mais je préfère que tu m’appelles Émile. Et toi, tu t’appelles comment ?
— Anatara.
— Tu seras en sécurité ici. Personne ne viendra te chercher. Tu ferais mieux d’y rester quelques temps, histoire de te faire oublier. Tu as de la chance : le patron recrute, en ce moment. »

_____Il m’avait emmenée dans une sorte de place renforcée en bordure de ville, un grand bâtiment bien sinistre avec de minuscules fenêtres en meurtrière. Construit tout en bois, il était d’un sombre de mauvais augure. Patchwork de différentes plaques de différentes teintes collées les unes sur les autres pour reboucher les trous qui apparaissaient régulièrement dans ses murs, il ressemblait à une cabane de sorcière retapée et respirait la malveillance. Je n’avais aucune envie d’y rester mais sans savoir pourquoi, j’obéis à celui qui m’avait sauvé la vie. Il m’expliqua que personne ne mettait jamais les pieds dans les environs et que je ne risquais pas d’y faire de mauvaises rencontres. « C’est un bar, avait-t-il rajouté : seuls les clients y viennent. » Et c’est ainsi que je fis mes premiers pas dans le bar à goujats.

_____Pour la suite, vous l’avez devinée. Encore traumatisée par les événements récents, j’ai fait profil bas et j’ai obéi à Émile au doigt et à l’œil. Je n’ai pas mis un seul orteil en-dehors de ce taudis pendant deux semaines, le temps que mes blessures guérissent. Comme je n’avais plus de vêtements, j’ai dû demander au patron de m’en acheter et j’ai dû faire avec ce qu’il m’a donné. Au début, il m’a offert un sac à patates et j’étais bien contente de pouvoir me cacher dedans. Au fil des jours, j’ai réappris à m’aimer moi-même et à porter des vêtements normaux. Puis le patron m’a baratinée en me disant que je ne surmonterais jamais mon traumatisme si je n’essayais pas de porter des tenues plus légères. L’ambiance familière et rassurante du bar a fait le reste.

_____Émile, c’est quelqu’un de gentil qui écoute attentivement tout ce que je lui dis, qui a plein de choses à m’apprendre et qui m’a patiemment expliqué que j’avais fourré mon nez là où il ne fallait pas. Le marché noir fleurit partout où les autorités tentent d’abuser d’un certain monopole, y compris celui des fleurs. De véritables réseaux se sont établis aux quatre coins des rues, et les boss de ces mafias ne sont pas du genre à laisser tranquilles les indicateurs qui balancent leurs précieux distributeurs. Le mec qui m’a fait capturer, c’était justement le sous-chef d’une de ces mafias, « un ancien ami », m’a dit Émile. Il avait une vendetta personnelle à régler avec lui et c’est pour ça qu’il a débarqué, ce soir-là. Coïncidence. D’ailleurs, il me remercie chaudement car apparemment je lui ai offert une diversion de rêve avec mon évasion. Je ne lui ai pas posé plus de questions, à vrai dire son histoire ne m’intéressait pas. Je lui étais vaguement reconnaissante de m’avoir ramené mon sac mais, surtout, j’étais juste contente d’être vivante.

_____Le bar à goujats, c’est une grande famille avant d’être un lieu de consommation. Les gens s’y retrouvent pour y discuter, s’y reposer, pour oublier leurs soucis et s’y sentir en sécurité. C’est un lieu familier, respectueux de ses clients et de leurs désirs de se faire discrets et de rester incognitos. Malgré mes premiers a priori et le fait que j’y suis perpétuellement mise en avant, je m’y sens presque comme chez moi. Les clients, même s’ils ne me regardent pas toujours comme il faut, me manifestent par ailleurs beaucoup de respect et m’ont rapidement acceptée parmi eux. J’ai eu le droit de participer à de nombreuses conversations que je n’ai écoutées qu’à moitié mais qui m’ont arraché quelques sourires. Mais les goujiens (c’est comme ça que s’appellent les habitués du bar, à ne pas confondre avec les goujats) n’ont pas d’histoire et n’aiment pas parler d’eux. Ils sont là pour partager ce qu’ils ont en commun : le présent et le futur. Le passé – ou du moins celui des autres, est donc un sujet tabou et je n’ai pas vraiment fait connaissance avec qui que ce soit.

_____À part Émile, le seul qui m’ait parlé de son passé c’est Tim, un des nombreux habitués qui vient essentiellement le mardi. Tim, c’est un modeste gredin qui commence à se faire vieux mais qui s’est bien conservé. Vraie force de la nature, il sait se montrer dur et sec quand les autres se moquent ouvertement de ses crises de larmes qui lui viennent de temps en temps, lorsqu’il regrette ce qu’il a perdu et les enfants qu’il n’a pas vus grandir. D’après ce qu’il m’a raconté, Tim est un ancien vendeur de fausses brosses à chats. Ses produits relevaient du miracle pendant les deux premiers jours, après quoi ils se cassaient mystérieusement du fait de leur piètre qualité. Le pire dans tout ça, c’est qu’il parvenait à baratiner ses clients pour leur faire croire qu’ils avaient mal utilisé l’instrument. Il parvenait souvent à leur vendre deux ou trois fois la même pacotille avant qu’ils se rendissent comptent de la supercherie.

_____Un jour, il a eu les yeux plus gros que le ventre et a franchi la fine barrière qui sépare les arnaqueurs des voleurs. Il a en effet signé un contrat avec le Gouvernement qui incluait toute une cargaison de brosses à chats, mais il n’avait pas vu la petite mention « satisfait ou remboursé ». L’histoire a dégénéré et il s’est retrouvé avec une prime sur la tête, avec marqué « mort ou vif » sur l’affiche. Ensuite, il a fait profil bas et il s’est reconverti dans le commerce de vis et de boulons avec sa fiancée, une ancienne trafiquantes d’espèces protégées. Mais sa femme et ses deux mômes se sont fait avoir par la Marine alors qu’ils visitaient un parc d’attraction qui venait d’ouvrir. Aigri, il a un temps embrassé la cause révolutionnaire avant une histoire sordide de livraison de dentifrice qui a mal tourné. Contrairement à Émile, il n’a jamais regretté ses actions et a même manigancé sa vengeance à plusieurs reprises. Malheureusement, tous ses amis sont morts dans différentes opérations qui ont connu plus ou moins de succès et depuis, il noie son chagrin dans l’alcool et l’opium.

_____Alors nous voilà de retour au présent, dans le bar à goujats. Émile vient de me demander en mariage et je lui ai dit qu’il avait trop bu, ce qui était fort vrai. Il est reparti sans s’offusquer et je suis en train de nettoyer le bar, prête à finir ma journée. Et c’est alors qu’une troisième personne fait son entrée dans notre histoire. Lana Drukli, chasseuse de prime. Habillée d’un manteau à capuche vert dont la fourrure couvre un costume noir en cuir moulant, qui lui-même cache sans doute une certaine panoplie d’armes et d’ustensiles morbides. Elle entre dans le bar d’un pas décidé, provoquant des murmures et des sifflements d’admiration qu’elle fait taire d’un regard meurtrier. Elle s’arrête devant moi et pose brusquement une affiche sur le comptoir. Elle représente un homme brun avec des cheveux en bordel et des yeux bleus. Il porte une cicatrice sur la lèvre et une autre sur la joue.

— Imilga Nortan, vous connaissez ?


Dernière édition par Anatara le Lun 12 Aoû 2019 - 2:34, édité 4 fois
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_____Cent millions de berries ! Eh ben dis-donc, il vaut une petite fortune ce cachotier. Pas étonnant qu’il soit venu se réfugier sur Pétales. N’étant pas à proprement parler affiliée au Gouvernement Mondial, cette nation ne fait pas autant la chasse aux pirates que les autres. Ici, il peut se la couler douce et profiter d’une vie relativement paisible sans avoir peur de se faire zigouiller au moindre carrefour.

— Jamais entendu parler.
— J’ai entendu dire que tous les malfrats de l’île passaient par ce bar.
— Qu’est-ce qui vous fait croire qu’il est sur cette île ?
— J’ai mené ma propre enquête. Il est sur cette île.
— Eh bien bonne traque alors. En tous cas on ne l’a jamais vu, ici.
— En es-tu sûre ?
— Oui.
— Vraiment.
— Oui.
— Et là, tu en es toujours aussi sûre ?
— Oui.
— Vraiment ?
— Ça te sert à quoi de me menacer ? Je te dis que je ne l’ai pas vu, je ne l’ai pas vu, c’est tout. Tu préfèrerais que je te donne de fausses indications peut-être ? Eh bien vas-y, perds ton temps ! Surveille ce bar et viens tous les soirs si ça te chante mais ça ne changera rien.

_____Elle se retourne avec un petit sourire et repart, satisfaite. Pfff, je ne sais vraiment pas mentir. J’ai essayé de rester de marbre mais je ne peux pas m’empêcher de trembler… Cette fille me fait flipper, franchement. Et puis pourquoi je lui ai dit qu’il venait tous les soirs, je suis conne ou quoi ? J’espère qu’il va s’en sortir… C’est marrant, juste au moment où il me fait un discours sur les erreurs du passé qui vous rattrapent, il y a cette chasseuse qui se pointe, et puis il y a cette demande en mariage qui sort de nulle part, aussi… Est-ce qu’il était au courant ? Est-ce qu’il savait que ses jours paisibles à Pétales étaient menacés, est-ce qu’il a décidé de fuir et a tenté de me convaincre de venir avec lui ? Non, il était clairement bourré, il n’est sans doute au courant de rien… La prochaine fois que je le vois, je devrais sans doute lui dire.

« Ana, tu me sers un verre steuplait ?
— Tu veux quoi ?
— Comme d’hab.
— T’en as pas marre de prendre tout le temps la même chose ? Il y a au moins cinquante boissons différentes dans ce bar et tu prends toujours la même ! Moi à ta place je les essaierais toutes !
— Mais s’il y en a une que tu préfères vraiment ?
— Je suppose que je la prendrais plus souvent… »

« Ana, tu me serres un verre steuplait ?
— Ouais. Tiens.
— Dis-moi, Ana, est-ce que tu as fait de grosses bêtises quand tu étais petite ?
— Euh, ouais pourquoi cette question ?
— Dis-moi tout.
— Hum… Un jour je jouais au chat perché avec un ami qui s’appelle Hadiren et c’était moi le chat. Le problème c’est qu’il restait tout le temps perché à une fenêtre et ce n’était pas drôle, alors je lui ai tiré sur le pied pour qu’il descende. Il est tombé et il s’est ouvert le crâne.
— Ah ouais ? Il est mort ?
— Non, il a été soigné et on est restés amis comme si de rien n’était.
— Il ne t’en a pas voulu ?
— Il aurait pu mais non, je ne crois pas.
— Et toi, tu t’en es voulu ?
— Non, je ne savais pas et puis je ne voulais pas lui faire mal.
— Je vois…
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Moi non plus, je ne savais pas…
— Arrête de te torturer avec ça. Si vraiment tu peux pas te blairer, rends-toi à la Marine.
— Écoute, je ne pensais qu’à moi, je ne me rendais pas compte du mal que je faisais.
— Quand tu violes une femme, tu perds ton humanité. J’ai bien failli être violée ce soir-là et c’était assez abominable comme ça. J’ose à peine imaginer l’horreur que tu as fait vivre à ces pauvres femmes. Alors tes petits regrets à la con, ils ne vont pas les aider à se reconstruire une vie. Si vraiment tu as des remords sache que l’annonce de ton exécution dans le journal pourra légèrement les soulager, elles ainsi que toutes les familles que tu as détruites.
— Tu as tort, Ana. On ne cesse jamais d’être humain. Je vais te le prouver. »

« Tu sais, Ana… je n’ai jamais tué d’enfants. Les parents qui protégeaient leurs enfants, oui mais les enfants qui protégeaient leurs parents, je n’ai jamais pu. Je les laissais et je leur laissais même l’argent que j’étais venu chercher. Oui, je sais, ce sont des excuses, tout ça… Mais c’était il y a vingt ans tu sais ! Je n’ai pas commis la moindre infraction depuis vingt ans, je suis un honnête homme maintenant !
— Mais tu vis des infractions du passé. L’argent que tu dépenses chaque jour, n’est-ce pas le fruit de tes larcins ? Tant que tu continueras de l’utiliser, tu n’auras pas le droit de dire que tu es honnête. Donne-la aux pauvres et aux démunis, va retrouver les familles que tu as dépouillées et repens-toi. Vis ta vie avec de l’argent gagné honnêtement, tu auras moins l’impression d’être un déchet.
— Mais je ne peux pas, je ne peux plus voyager ! Ma jambe est foutue, tu as oublié ?
— Des excuses, tout ça. Des excuses. »

« Dis, Ana ? C’est quoi ta couleur préférée ?
— Le rouge, je dirais. J’aime bien les couleurs chaudes, mais je suppose que c’est l’harmonie des couleurs qui est important plus que la couleur en elle-même. »

« Ana, tu me sers un verre steuplait ? Merci. Tiens, j’ai un cadeau pour toi.
— Oh, merci ! Oh, c’est super gentil. Attends, je vais la mettre.
— Si tu la mets le patron ne sera pas content tu sais.
— Oh, qu’il aille se faire voir. J’en ai marre que tout le monde me regarde comme un morceau de viande, c’est malaisant, à force. Je suis un être humain bordel !
— Elle te va bien.
— N’est-ce pas ! C’est pour ça que tu m’as demandé ma couleur préférée ?
— Ben, ouais.
— Mais comment t’as fait pour connaître ma taille ?
— J’ai l’œil.
— Non, en fait je ne préfère pas savoir. Merci. »

« Ana, tu me sers un verre steuplait ? Merci. Tu vois la blonde qui est au fond de la pièce ?
— Non.
— Elle est jalouse parce que son mari fricote avec la dame qui est là-bas.
— Où ça ? C’est une dame ? Je la vois pas.
— Tout à l’heure, on va avoir le droit à une grosse dispute.
— Ah oui, effectivement. Je vais les sortir. Bon, mais comment tu as su ?
— J’ai l’œil. Tu sais, j’ai repensé à ce que tu m’as dit la dernière fois et je pense que tu as tort. Je ne suis plus égoïste, je ne pense plus qu’à moi. J’ai des rêves, maintenant, et je n’ai pas l’intention de moisir dans ce trou en attendant que la mort vienne me chercher. Je suis prêt à affronter le monde, et j’assumerai mes responsabilités s’il le faut.
— Ah oui ? Tant mieux ! C’est quoi ton rêve ?
— C’est un secret. »

« Ana, tu me chantes une chanson, steuplait ?
— J’ai l’air d’une chanteuse ?
— Allez, si tu me chantes une chanson je te dirai mon secret.
— Mais je m’en fous de ton secret tu sais !
— Alors ça, ce n’est pas gentil ! Chante-moi une chanson pour me consoler.
— Bon, d’accord. »

_____Pourquoi est-ce que je pense à toutes ces conversations, tout d’un coup ? Cela fait deux semaines qu’Émile ne s’est pas montré : il a disparu le jour même où la chasseuse a fait son apparition. Ce type, ce n’est pas n’importe qui. Il est plein de ressources. Il savait. En même temps, pouvoir survivre vingt ans avec une prime de cent millions sur la tête, ce n’est pas donné à tout le monde. À la place d’Émile, la chasseuse qui répond au nom de Lana vient désormais tous les soirs, et depuis il y a de moins en moins de clients. Il faut dire qu’elle n’est pas commode et qu’elle a tendance à taper tous ceux qui la contrarient, et les autres aussi d’ailleurs. En plus, il y a marqué chasseuse de prime sur son front alors tous ceux qui ont des primes un peu grosses sont partis, j’imagine. Enfin pas tous : certains habitués ont arrêté de venir, mais d’autres ont fièrement continué leur routine comme si de rien n’était. Ils me manquent, surtout Émile. Depuis qu’il n’est plus là, il y a moins de gens pour me faire la conversation et je m’ennuie profondément. Je pense que je devrais repartir, en fait. Il n’y a rien qui me retient ici. Mes plaies sont guéries, alors pourquoi est-ce que je reste plantée dans ce bar, paralysée par mon inertie ? Il faut croire qu’il n’y a pas que mon corps qui a besoin de guérir…

— Dis, la rouquine ? Tu ne sors donc jamais ?

_____Elle me fait face d’un air déterminé. Le rictus sur son visage ne peut être que de mauvais augure…

— Non, je finis par répondre.
— Tu viens avec moi.
— Pardon ?
— Écoute, ça fait quinze jours que ton ami ne s’est pas pointé et d’après ce qu’on m’a dit, il avait un faible pour toi. Alors tu viens avec moi.


Dernière édition par Anatara le Dim 8 Sep 2019 - 9:27, édité 4 fois
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_____Aussitôt, trois personnes se lèvent, puis deux autres, à l’imitation. Ça me fait chaud au cœur. Moi, je ne sais pas quoi répondre. Je suis paralysée par la peur et l’aura malsaine qui se dégage de cette femme. Elle, il vaut mieux ne pas la contrarier. Certains ont payé de leurs dents pour l’apprendre, et j’étais là quand c’est arrivé. Elle ne me menace pas explicitement avec des armes, pas pour l’instant, mais sa gestuelle est pleine de tensions. C’est comme un avertissement. Au moindre faux pas, son regard me dit que je vais me retrouver avec la tête qui roule sur le sol, et le corps encore en place. Est-ce que j’aurais le temps de voir mon propre corps avant de mourir ? Beurk, mais pourquoi je pense à ça c’est dégueulasse !

— On peut savoir de quoi vous parlez, les donzelles ?
— Mêle-toi de ce qui te regarde, sac à viande !

_____Là, tout se passe si vite que je ne saurais pas dire qui attaque le premier. L’homme fait apparaître un couteau d’un tour de poignet et la fille sort… une cravache ? Oui, c’est bien une cravache. Elle frappe aussi vite que l’éclair mais il esquive d’une torsion du cou. Elle dévie son arme d’un coup de paume et il enchaîne sur un coup de genou qui le rapproche dangereusement mais il s’arrête au dernier moment pour éviter un coup de cravache qui lui aurait arraché les yeux. Elle manie son arme comme un fouet et fait pleuvoir des coups sur son adversaire qui est bien obligé de battre en retraite. Il se réfugie derrière une chaise. Un autre homme arrive, et moi je reste hébétée derrière mon comptoir. Lui, il sort une épée qui se détend comme un ressort alors elle sort… une matraque ? Une loooongue matraque rétractible qu’elle allonge dans un sournois bruit métallique. Les lames s’entrechoquent, elle pulvérise la chaise qu’on abat sur elle d’un coup de pied, tient son premier adversaire en respect avec sa cravache et ferraille avec le deuxième, elle a le dessus, elle ne va pas tarder à le désarmer quand… un troisième larron rejoint la bataille. Il se jette sur elle dans son angle mort alors elle sort… sa ceinture ? Par l’opération du saint esprit, sa ceinture se desserre et, d’un coup de hanche, elle la déroule et l’envoie gifler la joue de son assaillant qui pousse un cri de surprise. D’autres personnes se lèvent. Ils sortent des armes diverses et variées, que je ne peux pas toutes identifier à cause de la pénombre qui s’empire de plus en plus au fur et à mesure que les chandelles et les bougies sont victimes des dégâts collatéraux de leur combat.

_____Qu’est-ce que je dois faire ?

_____Ils sont maintenant quinze autour d’elle, mais manifestement elle arrive à tous les gérer. Elle manipule sept armes à la fois. Dans sa bouche, une sarbacane qui tire des fléchettes manifestement empoisonnées, sur ses coudes des pointes en acier qui semblent pour le moins mortels à en croire les corps gémissants qui s’accumulent sur le sol, ses coups de pieds sont en eux-mêmes des armes redoutables, et sur sa tête un fil relié à une sorte de bilboquet qu’elle fait tournoyer d’une impulsion du cou pour faire reculer ses adversaires.

_____Qu’est-ce que je dois faire ?

_____On tente de profiter du nombre pour se saisir de ses bras mais elle se dégage avec de puissants coups de pieds, on tente de la poignarder par derrière mais sa ceinture vient s’enrouler autour de la poignée pour faire voler l’arme dans le noir, on lui assène un coup de poing mais elle dévie la frappe d’un coup de cravache qui fait un claquement de la fin du monde. Impossible de gagner contre elle, elle est trop forte. Chacun de ses coups de coude fait un cadavre de plus, je…

_____Qu’est-ce que je dois faire ?

_____Quelqu’un se saisit du fil de son bilboquet et le sectionne d’un coup de dague, on lui arrache sa sarbacane, elle croule un instant sous le nombre, sa ceinture glisse sur le sol et est perdue dans la cohue. On lui brise une bouteille sur la tête, et dieu sait qu’elles sont pourtant incassables, ces bouteilles, enfin moins que son crâne manifestement. Elle reste sonnée quelques secondes et on en profite pour l’attaquer tous en même temps mais elle se réfugie sous la table et joue des coudes pour faucher une paire de jambe puis court à quatre pattes pour se mettre dos au mur. Des coups de feu retentissent mais les balles ricochent simplement sur sa matraque, sans l’inquiéter plus que ça. Les hommes hésitent. Elle fait un sourire carnassier et passe à l’attaque. Quelqu’un se saisit de sa cravache qu’elle lâche aussitôt pour la remplacer par une aiguille qu’elle plante dans la main du coupable, un homme brise l’une de ses piques de coudes d’un puissant coup de batte, un sabreur voit se fait désarmer par un coup de matraque qui brise un crâne et une clavicule au passage. Leurs propriétaires respectifs s’effondrent, l’un mort et l’autre terrassé par la douleur. La femme sort une lame de poing de sous son manteau, un homme l’attaque avec un sabre, faisant de larges coupures. Des bruits métalliques se font entendre, signe de tout le matériel mortel qui se répand sur le sol. Handicapée par des bouts de tissus, la femme s’en débarrasse et ses adversaires restants en profitent pour lui placer quelques coups. L’un parvient à la saisir à la hanche, l’autre immobilise son coude mortel, un troisième lui saisit une jambe et le quatrième abat son arme mais elle se protège de sa fourrure et se débarrasse de deux adversaires en leur assenant simultanément un coup de coude et un coup de talon. Si je ne l’avais pas vue faire, je n’aurais pas cru que c’était possible.

_____Qu’est-ce que je dois faire ?

_____C’est du quatre contre une, maintenant. Elle se prend un coup magistral au niveau du plexus et rend une certaine quantité de bile, elle saigne du nez. Elle encaisse un coup de pied de plein fouet, en plein dans la tempe, elle est déstabilisée. On l’attaque par derrière mais il lui reste un de ses coudes. Il vient s’embrocher dans un bruit indescriptible qui me donne envie de vomir. Mais il ne meure pas sur le coup et il continue de la frapper, de la frapper encore et encore jusqu’à se vider complètement de ses forces. Il finit par s’effondrer, le sourire aux lèvres, fier d’avoir eu la gloire dont il rêvait en secret. La pointe qui l’a terrassé s’est cassée et reste enfoncée entre ses côtes. Le sabreur engage un duel avec la matraque pendant que les deux autres tentent de la prendre à revers. Elle les gère nonchalamment avec des coups de pieds et de coude bien minutés.  L’épée vole, il y a quelque chose accroché à sa garde. La femme vient de sortir un poignard de nulle part, et son adversaire ne l’a pas vue faire. Il regarde ses avant-bras d'un air ahuri, comme s'il ne pouvait pas en croire ses yeux. Puis il hurle de douleur et de supplice, mais seule la mort lui est réservée. Des hommes s’enfuient en courant, d’autres se réfugient dans la pénombre, dans un coin de la pièce. Je suis seule face à elle, maintenant.

_____Qu’est-ce que je dois faire ?

— Tu viens avec moi, répète-elle comme s’il ne s’était rien passé.
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_____Non. Pas question que je vienne avec un tel monstre ! Qu’est-ce qu’elle compte faire de moi, m’utiliser comme appât ? Pour quelle durée ? Je suis restée trop longtemps dans ce bar, j’ai mis trop de temps à faire le légume. J’ai eu peur, j’en ai fait des cauchemars, et tout ça m’a paralysée. Mais rester inactive ne m’a rien apporté car maintenant, le cauchemar continue. Et pas question que je le laisse m’avaler. Fallait-il que tout le monde meure à cause de moi, me fallait-il un tel spectacle pour me libérer de ma torpeur, de ma mort cérébrale ? Qu’est-ce que j’ai fait pendant tout ce temps ? Je suis restée seule, à m’apitoyer ! Et tous ces gens ont payé ma lâcheté de leur vie ! Je suis infâme, je suis infâme, et pourquoi est-ce que je suis restée sans bouger ? N’aurais-je pas pu les arrêter, lui dire que j’allais la suivre ? Tous ces gens sont morts par ma faute, par ma faute, par ma faute… BOUGE. Fais quelque chose et bats-toi, arrache ta liberté et repars. Repartir… Mais en vrai, je suis terrifiée, je tremble de tous mes membres, je sens des gouttes poisseuses parcourir mon dos, je suis pétrifiée… J’ai vu ce qu’elle fait à ceux qui la contrarient et je suis morte de peur, morte de peur parce que je sais que je n’ai pas de bonne solution ; que j’accepte ou que je refuse, j’aurai affaire à elle. Mais hors de question que je me rende une nouvelle fois ! Plus jamais ! Se rendre, c’est remettre sa vie entre les mains de son adversaire, c’est abdiquer de sa liberté, c’est se retrouver nue avec des porcs concupiscents.

_____La meilleure option reste la fuite. J’ai laissé mes affaires dans ma chambre, à l’étage, mais j’ai sur moi mon pistolet et mon épée, au cas où. Ça devrait le faire. Maintenant, par où sortir ? La porte de derrière, la porte du côté ? La porte-fenêtre qui est sur le toit, peut-être ? La sortie secrète ? J’y réfléchirai plus tard : le plus important c’est de courir ! Je me retourne du plus vite que je peux et je profite du comptoir qui nous sépare pour prendre une précieuse avance. Je déboule dans la cuisine, prends la première trappe de secours que je trouve et prends soin de la refermer derrière moi au cas où elle ne m’aurait pas vue faire. Elle débouche sur un sombre et étroit couloir dans lequel je progresse à tâtons et dont la déclivité me ramène lentement à la surface. Mais lorsque j’essaie d’ouvrir la porte de sortie, elle reste bloquée !

_____Furieuse, paniquée, je fais des pieds et des mains pour me sortir de là mais rien à faire : l’issue bel est bien condamnée. Mince ! Il faut que je fasse vite, elle ne va pas tarder à me rattraper… Dois-je faire demi-tour ? Non, j’ai peu de chance de lui échapper si je fais ça… il faut que j’ouvre cette porte ! Mais elle s’ouvre d’elle-même.

— Allez, sors.

_____Hypnotisée, je sors sans broncher. L’air libre, enfin. L’air libre que je n’avais pas respiré depuis si longtemps. Il fait donc encore jour, et le ciel est donc bleu ! Je prends une grande inspiration, je me sens libérée d’un grand poids. Mais un poids, j’en ai un juste devant moi. Il est gris, il est long, cylindrique, taché de sang et cabossé par endroits. Il se dresse fièrement sur le sol puis se soulève, décrit des cercles menaçants et tapote la main de sa propriétaire, provoquant des claquements bien sinistres. La peur au ventre, je déglutis puis je trouve le courage de regarder dans les yeux celle qui se trouve en face de moi. Son uniforme noir est couvert de taches diverses, mélange immonde de sang, de vomi, de bière et d’assiettes renversées. Déchiré par endroits, ce cuir moulant lui donne des aspects de prostituée malfamée que pour rien au monde je n’aurais fréquentée de peur d’attraper je-ne-sais-quelle maladie. Son visage est boursoufflé et couvert de bleus. Ses sourcils saignent. Alors franchement, ses yeux noirs comme la mort, ils ne me font pas peur.

— Désolée mais je ne viens pas avec toi.

_____Tu peux m’enlever, ça ne te servira à rien, il ne viendra pas. Il doit avoir quitté l’île depuis longtemps, à l’heure qu’il est. Moi, j’ai d’autres projets que je de me faire tabasser et de t’accompagner à gauche et à droite. Je suis libre, maintenant. Je quitte Pétales.

— Ah oui ?

_____Elle fait tournoyer sa matraque en visant ma tête mais je me baisse juste à temps. Je finis de m’extirper de cet arbre-champignon géant qui déguisait une des nombreuses issues de secours du bar et échappe à un nouveau coup de matraque d’une roulade sur le côté.

— Mais tu vas arrêter de bouger, oui ?

_____Ah non ! ça, il n’y a pas moyen ! Je file à la six-quatre-deux mais elle me suit de près, elle me talonne, elle me rattrape. À ce rythme, je n’aurai pas le temps de rejoindre le chemin de dalles dorées et encore moins de retrouver la ville ; je me ferai briser le crâne bien avant. Un coup d’œil en arrière me confirme que je ne vais pas pouvoir éviter la confrontation. Je me retourne et évite la mort d’un magnifique pont arrière improvisé que j’enchaîne sur un double coup de pieds qui la touche à la poitrine. Je me relève bien maladroitement et esquive les coups de matraque suivants qui ne semblent pas du tout gênés par la végétation. Elle découpe – ou déchire, plutôt – les troncs arbres comme s’ils étaient en beurre (ou en carton du coup ?) et pulvérise tout ce qui a le malheur de se trouver sur la trajectoire de son arme dévastatrice. Craignant de tomber à nouveau sur un champignon mortel, je bats en retraite en direction du sentier, plus que quelques mètres…

_____Alors c’est comme ça que je vais mourir ? Mourir… Non, c’est hors de question ! Faisant place à mon instinct, je me nourris de ma peur et je fais face à sa prochaine attaque. Tout se déroule au ralenti. Je place mes jambes pendant qu’elle se jette littéralement sur moi, toutes griffes dehors. De ma main gauche, je dévie sa matraque et l’attire vers moi, je me saisis de son uniforme de l’autre main et place mon coude sous son aisselle tout en lui présentant mon flan. Surprise, elle ne peut s’arrêter dans son propre élan et je lui fais barrage d’un coup de pied arrière bien placé. Coup de hanche, traction sur la matraque… Nage waza ! Mais comprenant qu’elle ne peut plus éviter la chute, mon adversaire effectue une élégante roulade avant et ressort complètement indemne ! Mince ! Mais au moins, elle a dû lâcher sa matraque, sinon elle se serait tordu le poignet. La matraque, c’est moi qui l’ai maintenant !

_____Sans plus attendre, je balance son arme de toutes mes forces et je pars dans la direction opposée. Hélas, elle a plus d’une corde à son arc et se munit de saïs qu’elle vient de sortir de son… en fait je préfère ne pas savoir d’où elle les a sortis ! Cette fois, elle ne plaisante plus : elle combat pour tuer. Et maintenant qu’elle est sur ses gardes, je vais avoir du mal à lui placer une nouvelle technique ! J’esquive autant que je peux mais je reçois quelques blessures. Mince ! J’ai l’impression que ça me brûle, c’est horrible ! Pourquoi est-ce que ça fait aussi mal ? Elles ne sont pas profondes j’espère ! Mon cœur s’emballe. Mon corps bouge de lui-même. Maintenant, j’ai compris que ce n’est plus qu’une question de survie. Tuer ou être tuée, mon épée est dégainée et mon pistolet sorti. Mon doigt appuie sur la gâchette, mon épée tient la furie à distance mais elle est trop rapide. Faisant un mouvement de contorsionniste improbable, elle longe mon sabre et mon bras puis balance son poing mais d’une torsion mon corps suit et les lames s’entrechoquent. Car mon pistolet fait aussi office de couteau et c’est bien pratique. Mon bras gauche se déroule, la lame vient se coincer dans la garde du saï qui commence une savante rotation, mes jambes me font sauter en arrière, mon bras se rétracte. Elle revient à la charge, mon doigt appuie sur la gâchette. D’un mouvement ample, elle fait s’envoler Steeve – mon pistolet – dont la perte me ramène à moi quelques instants ; mais je parviens tout de même à lui mettre mon poing dans la tronche !

_____Elle recule, nous ferraillons, dansons, virevoltons, mais d’où elle tire toute cette énergie bon sang ? Moi, je me sens de plus en plus faible, je vois de plus en plus flou, mes blessures me brûlent de plus en plus. J’empoigne la garde à deux mains et je redouble de vigueur, y mettant l’énergie du désespoir. Je hurle de rage, mes forces se démultiplient ! D’un coup puissant, j’envoie voler l’un de ses saïs qu’elle remplace aussitôt par un autre. J’enchaîne, je prends le dessus, je fais déferler sur elle une avalanche de coups toujours plus puissants et plus rapides. L’une de mes attaques porte et manque de la couper en deux, mais elle ne semble pas grièvement blessée. J’épuise mes katas, j’invente des mouvements, je mets à profit toutes mes ressources mais ma lame ne peut pas rivaliser en vitesse contre ses deux dagues et mes blessures se multiplient. Etonnamment, mon instinct me permet toujours d’éviter une blessure fatale au dernier moment : je me recroqueville pour protéger ma tempe, je monte le genou pour protéger mes hanche, je fais un petit saut pour éviter une coupure trop profonde mais ça ne suffit pas, je suis quand même touchée. Épuisée, je finis par poser un genou à terre et je manque de m’évanouir. J’ai mal au ventre, j’ai de la fièvre. Des hauts-le-cœur violents manquent de me faire vomir, je suis prises de spasmes incontrôlables, je manque de m’évanouir. Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Ne me dîtes pas que… C’est du poison ?
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_____Lorsque je reprends connaissance, je suis ligotée à un pied de champignon, toujours nauséeuse mais vivante et en un seul morceau. La rosée qui fait frissonner ma peau ainsi que la luminosité pâlichonne m’indique qu’on est le matin. Je viens de passer la nuit attachée ici, et la seule raison qui fait que je ne suis pas morte de froid c’est que ma ravisseuse a eu la délicatesse de m’emmitoufler dans une couverture qui me protège à la fois du sol et de l’air glacial de cette matinée d’hiver. Apparemment, je possède une meilleure valeur en tant qu’appât quand je suis vivante. Mais combien de temps va-t-elle me garder, comme ça ? Transie, je me demande si je vais d’abord mourir du poison, du froid, de la faim ou de l’épuisement. En tous cas, je n’ai jamais été aussi mal de toute ma vie, et de très loin d’ailleurs ! Je me surprends à espérer qu’Émile revienne, parce qu’après elle n’aura plus de raison de me laisser attachée et elle va me libérer n’est-ce pas ? Qu’est-ce que je peux faire ? Je peux me tortiller comme un vers, bouger les doigts de pieds, pousser le sol pour essayer de me lever et faire trembler le champignon en donnant des impulsions, chtoum. Tiens, c’est marrant il est élastique en fait, chtoum.

_____Autour de moi, des plaines à perte de vue. Des champs de mahonias, de chèvrefeuilles, de jasmins, d’hellébores, de viornes et d’osmanthes, des camélias, des daphnés et des chimonanthes qui s’allient dans une farandole de couleurs, c’est magnifique ! Donc elle a opté pour une surface dégagée, alors ? Impossible de s’approcher sans se faire repérer à trois kilomètres, à moins de pouvoir ramper sous des fleurs hautes comme trois pommes. D’ailleurs, comment ils font pour toutes les ramasser ces fleurs ? Ils les cueillent une par une ? Ça doit être incroyablement fastidieux ! C’est pour ça qu’elles sont aussi chères en fait !

_____Après quelques heures qui semblent durer des jours, je me dis que je vais mourir ici, et certainement de soif. C'est peut-être plus d'une nuit, que j'ai passée attachée ici, en fait. Vu comment je suis mal foutue, ça ne m'étonnerait pas. Émile de viendra pas, c’est une certitude. Peut-être que Lana s’en est rendu compte et qu’elle m’a abandonnée ici, peut-être qu’elle s’est dit que j’étais un fardeau inutile. En tous cas, je ne dois pas compter sur les autres, je ne peux compter que sur moi-même ! J’ai déjà remarqué que mon pied de champignon a une certaine élasticité. Il me suffit donc de pousser de toutes mes forces pour m’enfoncer dedans et donc échapper aux cordes qui m’y lient ! Mais je suis épuisée, au bord de la mort. C'est déjà un miracle que j'aie pu me réveiller... J'ai peur. Allez, bouge-toi, ne reste pas comme ça, bats-toi ! La faim, la peur, le froid, la soif, la fatigue, tous ces signaux bouillonnent en moi dans un déchaînement d'une rare violence. Non, je ne veux pas mourir ! Mobilisant une puissance surhumaine, je pousse, je pousse, je pousse et craaaac ! Mon champignon en est déraciné !

_____Je glisse pour m’extirper de là et, les mains toujours attachées, je fais glisser la corde qui maintient mes genoux et j’entreprends de défaire le nœud qui emprisonne mes chevilles. Je m’y connais en nœuds mais à l’aveugle et vu comme il est serré, c’est particulièrement difficile. Soudain, un grand claquement métallique. Un cri dans le lointain. Une explosion dont le souffle agite les fleurs tout autour de moi. Il semble qu’une bataille fait rage, à moins que la minutieuse Lana ait posé des pièges qui se seraient déclenchés sur de malheureux malchanceux ! Il y a encore quelques explosions mais rien à proximité. Je parviens finalement à me libérer les pieds, bien : je ne ressemble plus à un saucisson ! J’ai toujours les mains attachées mais à moins de défaire le nœud avec les dents, je ne peux rien y faire. Je me relève et regarde autour de moi.

_____Pas âme qui vive. Mon champignon accuse un énorme trou, au niveau de son pied. Il est déchiré sur toute la largeur mais de minces filaments le lient toujours au sol. Il est à l’agonie… pauvre champignon. Je scrute l’horizon mais je ne vois rien ni personne. Je n’ose pas trop m’éloigner de peur de déclencher un piège ; il me faudrait une canne ou un bâton. Mais il n’y a rien, à part quelques brindilles. Bon, je suppose que c’est mieux que rien… Qu’est-ce que je dois faire, les enfoncer dans le sol, appuyer suffisamment fort ? Il ne se passe rien. Bon, ça veut dire que je peux poser mon pied ici, n’est-ce pas ? Cool, j’ai fait un pas ! Plus que trois mille six cent soixante-treize et je pourrai sortir de ce champ. Au loin, la bataille semble terminée parce que ça fait un moment que je n’entends plus personne crier. Je suis toujours seule, pas de signe de la chasseuse de tête. Pas de signe de personne non plus, d’ailleurs. Tout ça me semble irréel, je ne sais pas trop quelle direction prendre. Je suppose que c’est une mauvaise idée de m’enfoncer dans ce champ où il me sera impossible de repérer les pièges, alors je longe mes rangées de fleurs en espérant rejoindre un sentier, un repère, une ville. Au bout de quelques mètres, j’arrête de sonder le sol avec mes bouts de paille parce que franchement c’est de la paranoïa : avec autant de surface, il est impossible de mettre des pièges partout ! D’ailleurs je n’en ai trouvé aucun, alors s’il faut, il n’y a pas de pièges du tout, c’est juste moi qui m’imagine des trucs.

_____Sur ma droite, je repère une ombre suspecte dans le champ de fleur, il y a quelqu’un ! Une silhouette en émerge et me fait signe de me baisser puis de le rejoindre, qui est-ce ? Habillé de tissus légers couleur terre, il est grand, imposant même. Ses courts cheveux noirs sont coiffés d’un bob vert aux motifs de fleurs et son visage maquillé le rend difficilement reconnaissable. Asmeratim Barauld, le pleurnichard célibataire du mardi soir ? Qu’est-ce qu’il fait là, comment est-il arrivé ici ? Soulagée de voir une tête familière, je m’empresse de le rejoindre.

— Viens, dépêchons-nous ! Je vais te sortir d’ici.
— Tim, tu es venu !

_____Il entreprend de défaire mes liens tout en m’expliquant que le spectacle qu’il a découvert lorsqu’il s’est rendu au bar hier ne lui a pas du tout plu. Je note mentalement qu’on est donc mercredi et que j’ai bien passé deux nuits complètes dans les méandres de l’inconscience. D’après Tim, certains des goujiens sont encore en vie, mais d’autres n’ont pas eu cette chance. Furieux, il a rassemblé des amis pour entreprendre de remonter la piste de celle qui a osé profaner son sanctuaire. Ça n’a pas été difficile puisqu’elle a délibérément tout fait pour qu’on puisse la suivre. Partagée entre le soulagement et la culpabilité, je me fonds en larmes et me confonds en excuse, mais le vieux Tim n’est pas d’humeur à pleurer, aujourd’hui.

— — Ana, ce n’est pas pour toi qu’ils se sont battus, ce soir-là. C’est pour le BAG. Dans le BAG, les gens n’ont pas d’histoire et personne n’a le droit de te chercher des noises pour ce que tu as fait et ce que tu n’as pas fait. On y tient et on a systématiquement foutu dehors les chasseurs de prime qui ne comprennent pas ce concept. S’ils veulent nos têtes, c’est très bien mais qu’ils attendent à l’extérieur ! Si on l’avait laissé faire, notre soi-disant havre de paix n’aurait plus aucune valeur. Nous sommes tous prêts à nous battre pour ça. Protéger notre chez-nous. Alors arrête de tirer cette tête et te crois pas si importante.
— Mais… pourquoi vous êtes venus me sauver, alors ?
— Ça te pose un problème ?
— Non, non, pas du tout…

_____Finissant de me détacher, il met donc fin à la conversation en me tournant le dos puis en partant d’un pas rapide. Je le suis. Tim, c’est un ancien resquilleur qui a plus d’une magouille à son actif, un homme sournois totalement indigne de confiance, mais c’est ma seule carte pour l’instant.

— Et, euh… Émile, il va bien ?
— Émile ? tu te préoccupes encore de ce vieux chenapan ? Ne t’en fais pas, il en a vu d’autres. C’est un dur à cuir, et sa prime n’est pas là pour rien. Alors oublie-le, il est sans doute parti de toute façon.

_____Oh. Pourquoi est-ce que je m’étais imaginé qu’il viendrait me sauver ? Est-ce que j’ai été touchée par ses belles paroles et sa soudaine demande en mariage ? Au fond, un pirate reste un pirate et ne pourra jamais devenir un prince charmant, j’imagine. Mais pourquoi est-ce que je suis déçue ? Je m’attendais à quoi, au juste ?

— Et Lana, vous savez où elle est ?
— — Lana ? C’est qui ? La chienne qui nous a attaqués ? T’en fais pas, on aura bientôt sa peau. Les sbires qu’elle a engagés pour te surveiller ont arrêté de pleurnicher, ça veut sans doute dire qu’ils ont parlé ou qu’ils sont morts. Retourne au bar et reste en dehors de ça.

_____Alors voilà, j’ai fait mes affaires et, après un dernier regard sur le bar en pleine reconstruction et un salut silencieux au propriétaire qui va encore devoir renouveler son personnel, j’ai quitté le bar. Quelque part, Émile est sans doute en train de distribuer sa fortune aux destitués ou de décharger les riches des possessions qu’ils ont en trop, qui sait ? Ou peut-être qu’il fait la cour à une autre charmante demoiselle en lui disant qu’il veut fonder une famille, qu’est-ce que ça peut bien me faire ? Dans peu de temps, la seconde bataille entre Lana et les goujiens ne va pas tarder à éclater mais ça, c’est une autre histoire.

_____Soucieuse, je refais le trajet qui sépare le bar et le chemin de dalles dorées, sentier balisé par les stigmates de mon affrontement avec Lana. Je fouille quelques minutes et retrouve des dagues, des trombones, des taches de sang, des bouts de tissus, des aiguilles et – Dieu soit loué !, je finis par récupérer Steeve. Quel soulagement ! Depuis que ma vie n’est plus directement en danger, je n’ai pas arrêté de penser à ce couteau. C’est bête et puéril mais quand je l’ai sur moi, je me sens en sécurité et j’ai l’impression que papa est là pour veiller sur moi. Je le serre fort contre moi puis le range minutieusement dans mon sac. Bien. Il me faut reprendre la mer, bouger. Bouger pour ne pas faner, pour ne pas prendre racine ou m’impliquer dans des embrouilles qui me dépassent et qui ne me regardent pas. Encore marquée par mon séjour sur Pétales, j’embarque dans le premier navire venu sans même me préoccuper de sa destination.
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