Je vous apporte la carte des desserts ?
Farros se plaisait à Cocoyashi, et c’était tant mieux, puisqu’il semblait qu’il soit parti pour y rester un petit moment. Comme chaque matin depuis déjà plusieurs semaines, il se rendait au travail, prêt pour une journée de cuisine au rythme effréné que provoquait la réputation du restaurant.
Le jeune homme avait su impressionner ses supérieurs par son efficacité et son talent. Bien sûr, son odorat sur-développé lui assurait une avance non-négligeable sur ses collègues, comme cela avait d’ailleurs été le cas la plupart du temps pour lui. Cependant, sa bonne humeur constante lui assurait une bonne réputation auprès des autres cuisiniers, qui ne semblaient pas nourrir la moindre rancœur à son égard.
Tout ça manquait certes d’adrénaline, mais cela lui convenait pour le moment. C’était peut-être la raison qui allait l’amener à accepter immédiatement lorsque la perspective d’un nouveau défi lui apparut lors de cette nouvelle journée de boulot.
Alors qu’il entamait les préparatifs, son patron vint l’interpeller :
- Ah, Papriko, vous voilà.
- Vous me cherchiez, m’sieur ? Répondit le jeune homme, tout en continuant à trancher de sa lame affûtée divers légumes de saison.
- Oui. Vous devez être au courant que nous sommes à la recherche de nouvelles recrues, notamment en ce qui concerne les spécialités sucrées.
- C’est vrai qu’on a du mal à reprendre la cadence depuis que les frères Mascarpi sont partis.
- Ben, justement. Il me faut quelqu’un pour s’occuper des recrutements. Le chef n’aura pas le temps et on se disait que vous aviez largement les compétences pour vous en occuper.
- Ouaif, ça marche. Vous pouvez compter sur moi.
- Merci, vous m’ôtez une épine du pied. Le recrutement aura lieu demain soir dans l’arrière-salle du restaurant. Ça fait quelques semaines maintenant qu’on a commencé à distribuer des annonces, donc vous devriez avoir pas mal de candidat. Je compte sur vous.
L’idée enchantait Farros. Il allait avoir l’occasion de rencontrer des passionnés et, en plus de ça, de s’essayer à quelque chose de nouveau. Il ne cherchait pas de promotion, au grand dam de son patron qui lui avait déjà proposé à plusieurs reprises, puisqu’il ne comptait pas rester dans les environs éternellement : faire ses preuves n’était donc pas sa priorité, mais sa curiosité inébranlable avait pris le dessus. Il avait bien l’intention de reprendre la mer dès qu’il aurait trouvé le moyen de vendre le navire de pêche à quelqu’un – une longue histoire –, mais toute expérience restait bonne à prendre.
Désormais, il fallait trouver un moyen de mettre à l’épreuve les prétendants au poste. Il avait besoin de personnes qualifiées, il le savait, A la bonne cuillère était un restaurant d’un certain prestige. Ainsi, le soir venu, le jeune cuisinier ne cessa pas de se triturer la tête sur le chemin du retour. Il ne voyait pas par quel moyen il pourrait s’assurer de vérifier toutes les qualités qui étaient nécessaires à la préparation d’un dessert. Autre problème, il n’avait pas l’habitude de faire preuve de beaucoup d’autorité, habitué à prendre les choses à la légère. Mais là, on parlait de cuisine, c’était du sérieux.
Décidément, quel casse-tête ! Farros croyait qu’il ne s’en sortirait jamais lorsque la solution lui apparut soudainement, comme un message divin englobé par la lumière salvatrice du soleil. Cette solution miraculeuse prenait la forme de… Roger, l’un des employés du navire de pêche.
« Mais bien sûr ! C’est ça, le plus important dans la cuisine, après tout ! Merci Roger, MERCI ! » s’écria-t-il, tout en se précipitant vers sa cabine, sous le regard perdu et éberlué du pauvre vieux pêcheur.
Il savait ce qui lui restait à faire. Il en était certain, avec cette technique, il arriverait à savoir qui a une vraie âme de cuisinier sans aucun souci. Il était plus que prêt pour demain et l’excitation commençait à l’envahir.