Les méfaits de l’alcool
Trois jours déjà que Farros, Mogla et Obelon avaient pris la mer, quittant Cocoyashi pour faire un dernier détour vers Shell Town, qui s’avérait être le lieu de naissance de Farros ainsi que celui où Lokiri, le père d’Obelon, était emprisonné pour ses terribles crimes. La mer avait été plutôt clémente jusque-là, et le Cabot était ravi d’avoir à nouveau l’occasion de naviguer au gré des flots. Alors que Farros préparait le repas du soir, Obelon vint l’interroger :
- Dis voir, tu sais si il reste des glaçons, par hasard ?
- Tu souffres toujours du coup que t’as reçu sur le crâne ? Je t’avais dit que ça plairait pas à Mogla d’apprendre que tu nous avais menti sur ton compte depuis le début.
- …
- Et encore, tu t’en es bien sorti.
En fait, Farros sentait bien que Mogla était contrariée depuis leur départ. Comment pouvait-il en être autrement ? Apprendre qu’Obelon était le fils de celui qui lui avait volé une partie de sa vie et tué son frère, c’était déjà difficile à avaler. Prendre la route avec lui comme si de rien n’était, ça l’était d’autant plus. Elle n’avait plus confiance en Obelon, et Farros était loin de la blâmer pour ça. Lui-même avait toujours été assez soupçonneux à son égard. Étrangement, apprendre la vérité sur son passé avait plutôt eu l’effet inverse pour le Cabot. Il avait passé cet état d’éternelle querelle qui avait jusque-là caractérisé ses relations avec le fils du pirate.
En somme, l’ambiance à bord de leur nouvelle embarcation avait été pour le moins morose depuis leur départ. Adieu les beuveries. Maintenant, c’était chacun dans son coin. Autant dire que pour Farros, c’était la mort. Ils arriveraient à Shell Town d’un jour à l’autre, de toute façon. Après ça, Obelon partirait de son côté, et tout reviendrait à la normale.
Le Cabot s’interrogeait sur ce que lui même ferait par la suite. Il savait que ses rêves d’enfant avaient changé. Il repensait à ce que son ami Aleister lui disait, essayant de le convaincre de rejoindre la marine. Peut-être n’était-ce pas une si mauvaise idée, finalement ? Il avait envie d’aider les gens comme Mogla, ou même Obelon, qui avaient souffert des actes de personnes cruelles. Il pouvait aussi opter pour devenir un chasseur de prime, cela dit. Non, monnayer chacun de ses faits et gestes lui semblait trop peu naturel. Il se connaissait, il était bien trop gentil : la faillite l’attendait s’il optait pour cette voie. Il cessa de tirer des plans sur la comète lorsque son partenaire de route s’adressa une nouvelle fois à lui, tout en fouillant à la recherche de quelque-chose qui puisse atténuer ses douleurs :
- T’as toujours pas l’intention de me dire où on va ? T’as toujours peur que je m’enfuie ?
- Comment ça ?
- Allez, je suis pas débile, hein. Je vois bien que vous me faites pas confiance. C’est pas étonnant, tu m’diras. ‘Fin bon, on est au beau milieu d’East Blue. Je peux pas aller bien loin.
- Shell Town. C’est là-bas qu’il est enfermé. Il avait pris la fuite là-bas avant qu’on réussisse enfin à lui mettre la main dessus.
- J’ai jamais été à Shell Town. Je me demande ce qui l’a poussé à aller là-bas.
- Il avait quelques alliés là-bas, et…
Farros eut un déclic. Il se rendit compte que toutes ces émotions lui avaient complètement fait sortir de la tête une information qui avait toutes les chances d’intéresser Obelon. Il se retrouvait dans une situation délicate :
- Quoi ?
- Et une fille. Lokiri avait une fille, là-bas.
- Oh. Je vois. J’ai donc une demi-sœur. Je dois avouer que ça m’étonne qu’à moitié. J’aurai pu m’attendre de la part d’un pirate qu’il aille batifoler aux quatre coins d’East Blue. J’ai un grand-frère, tu sais ? Un pirate, lui aussi. J’ai jamais vraiment compris ce qui l’avait poussé à suivre les traces de notre père. Il lui a toujours voué une admiration ridicule. Pas une journée ne passait sans qu’il ne parle du jour où il serait aussi influent et fort que lui.
- Vous vous entendiez bien ?
- On se disputait souvent. Et pourtant, c’est la seule personne en qui j’ai toujours eu confiance. C’est quand il a pris la mer pour réaliser son objectif de toujours que j’ai décidé de partir moi aussi, avec ma propre idée en tête.
- Trouver Mogla et faire en sorte qu’elle te mène à ton père.
- Ouais.
- Et comment tu savais, pour Mogla ?
- Un jour, je fouillais dans le bureau de mon père. Une salle dont l’accès m’était interdit, évidemment. J’avais beau fouiller, tout ce que j’avais pu y trouver, c’était un dossier contenant plusieurs portraits de Mogla et de son frère, accompagné de différentes caractéristiques physiques et d’autres notes à leur égard. J’ai tout de suite compris de quoi il s’agissait…
- Il voulait les vendre en tant qu’esclaves.
- Ouais. Je me suis dit que si je tombais sur l’un d’entre eux, il saurait sûrement où je pouvais trouver mon père. En revanche, quand j’ai enfin trouvé Mogla, j’ai été foutrement étonné de constater qu’elle avait pas les fers aux pieds.
Tout devint silencieux à nouveau. En dehors du crépitement du poisson dans la poêle et du frottement des vagues sur le bateau, rien. Habituellement, Farros aurait trouvé ça relaxant, mais là, il était juste mal à l’aise. Il reprit la parole :
- Bon. Je vais ramener une assiette dans la salle de navigation pour Mogla, et j’en profite pour nous ramener de quoi nous désaltérer un peu. Ça peut pas nous faire de mal.
- Pourquoi pas.