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Suicide assisté - Partie 2

Tout se passait trop vite. Alors qu'elle était sur le point d'éclairer la chose avec ses coéquipiers, s'infiltrant dans la base en profitant de la pluie et de son corps résistant à l'eau et à l'hypothermie en se faufilant sous les pontons, l'équipe avait soudainement été convoquée par le contre-amiral Nelson lui-même.

Zola frissonna pour la première fois de la soirée, malgré son corps trempé de l'eau glaciale du port boréalin jusqu'au cou. Prenant une large inspiration, elle réfléchit, assise sous la pluie à l'aspect féerique. Attendre les membres de son équipe était une bonne idée (la seule idée qu'elle avait en tête), mais il fallait faire attention à ce qu'ils ne soient pas suivis; auquel cas, les guetter depuis une distance sûre était la meilleure idée à suivre. La frégate de Strauss, encore amarrée, était quasi désertée; et les vigies n'allaient sûrement pas surveiller l'intérieur-même du bateau. De plus, avec une pluie pareille, elle n'avait qu'a s'asseoir sagement dans un coin et attendre discrètement sans que personne ne vienne la remarquer.

C'est ce qu'elle fit donc, s'infiltrant à l'intérieur de la frégate étant assez facile par la proue qui faisait face à l'océan. Elle monta donc sur le navire, attendant patiemment le retour de ses coéquipiers. La présence du document dans la chambre expliquait tout : le faux suicide de Durieux, ce que Strauss voulait et les intentions de la Révolution et du Gouvernement quant à Boréa... Il ne lui restait qu'à trouver l'assassin, et son innocence était prouvée. Et son équipe allait se prouver indispensable pour ce faire.

Zola guetta attentivement le pont. Si seulement Banks était là ! Il aurait pu servir d’intermédiaire... Hélàs, il était resté à la base militaire, où une nouvelle mise à jour attendait Judith. Les heures se succédèrent lentement, dans un calme seulement troublé par une averse glacée. La rouille menaçant, la lieutenante fugitive considéra l'idée de se trouver un gîte pour la nuit, mais c'est alors qu'elle entendit la voix de Dole.

"Tout à l'heure. Elle était là. Juste en dessous du ponton. Elle y est peut-être encore. Zola ? Mon lieutenant ? "

Si elle avait été sous ce pont glacé, elle aurait peut être répondu présent. Mais depuis la frégate, Zola pouvait clairement voir que Dole, Attano et Taré n'étaient pas seuls. Peut-être avaient-ils convaincu la Marine de son innocence ? Mais ce qu'elle vit ensuite lui ôta tout espoir de cela.

Taré braqua son arme sur le ponton. Les deux autres s'exécutèrent également, suivi du reste de la patrouille. Judith jura. Les enfoirés comptaient l'embarquer ! Le contre-amiral avait du les faire changer d'avis. Mais comment ? Pourquoi ? Elle se redressa doucement pour quitter l'endroit le plus vite possible. Mais c'était sans compter les planches mouillées et grasses qui lui firent manquer un pas, la faisant glisser et en provoquant un léger brouhaha qui n'échappa aux oreilles vigilantes du caporal Tarnotevsly, son ancien , qui tourna son effrayant masque droit vers l'origine du bruit, localisant immédiatement Judith.

"J'ai trouvé Athéna. Proue de la frégate."
Il mit son fusil en joue. Dole dégaina également son arme. Judith ne bougea pas, paralysée par la réaction de ses coéquipiers. Athéna ? Vraiment ?

"Vous faites une grosse boulette. J'ai un truc à vous dire et c'est..."


Un Den Den sonna. Le soldat opérateur passa l'escargot à Attano. "On a Athéna en visuel, mon amiral."

"Eh bien, qu'est-ce que vous attendez ? Vous avez vos ordres, sergent."


De sa grosse et grave voix, Attano déclama alors, sans une once d'hésitation :

"Unité. A mon commandement."

Les soldats s'alignèrent, Dole et Taré rentrant dans le rang. C'était une ligne d'infanterie.

"Attano ? Dole ? Euh... Les gars ? "

Aucune réponse. Si une once d'hésitation avait apparue plus tôt, ils avaient désormais l'air absolument convaincus.

"En joue..."

Nelson était un homme intelligent et charismatique, mais qu'est-ce qu'il leur avait dit ? Quel mensonge avait-il pu déblatérer pour les rendre aussi convaincus ? Et Athéna ? Judith repensa à son dossier, avant de faire tilt. Athéna... Oh non...

"Bande d'encu-"


"FEU !"


Judith se jeta en arrière pour éviter le gros de la salve à la dernière seconde. Son corps, tête excluse, pouvait se permettre d'encaisser quelques balles. La Marine ne voulait même pas l'entendre. Elle serait exécutée à vue; il n'y avait plus rien à faire ici. Courant à toute vitesse sur le pont du navire, de part en part, il fallait qu'elle regagne l'anonymat de la ville de Lavallière le plus vite possible. Sautant du pont arrière du navire, ses articulations mécaniques amortissant le gros de la chute, elle se lança éperdument dans les docks, s'assurant d'avoir une couverture constante. Plusieurs salves se firent entendre. Agile, Zola grimpa les 3 mètres de murs utilisant une poubelle non loin et son élan surhumain; l'alarme retentissait dans toute la base. Profitant d'un instant de calme temporaire, Judith arma sa lame, la considérant quelques secondes avant de la rétracter. Si elle prouvait son innocence pour cette affaire mais qu'elle tuait un marine innocent, tout cela ne servait à rien. Elle jura à nouveau. Zola était dans de beaux draps.

Une patrouille la repéra. Les mariniers vidèrent le contenu de leur fusils en direction de Zola, et cette fois sans sommations ni formations. Gagnant une ruelle, grimpant et sautant sur les murs, elle atteignit la sécurité des toits. La lieutenante connaissait exactement le modus operandi de la Marine dans le cas des poursuites. Les officiers traçaient déjà les cartes et coordonnaient les opérations de battues sur toute la ville, profitant du moindre signalement de celle-ci pour tracer les itinéraires probables. Aujourd'hui, un périmètre sera créé pour l'encercler et l'isoler. Demain et cette nuit, les descentes fouilleront tout bâtiment où elle pourrait se cacher. Lavallière n'était plus sûre. Prenant soin de ne laisser aucune trace, et prenant de vitesse la marine qui mettrait du temps à se déployer sur l'ensemble des quartiers, il n'y avait aucun doute que Judith puisse gagner la fin de la ville. Mais que faire à partir de là ?

Au milieu de ses réflexions, elle s'arrêta. a une vingtaine de mètres, sur un toit un homme agitait un drapeau. Un drapeau noir.

"Athéna ! Par là !"
fit-il.

Athéna, encore ? Même les révolutionnaires s'y mettaient ? Elle rejoint l'homme en quelques secondes, qui la redirigeait vers une fenêtre. "Ils vont bientôt vous retrouver. Sautez. Vite !"

"Merde, merde, merde."

Elle s'exécuta et s'engouffra dans la lucarne ronde. Un groupe de révolutionnaires lui firent signe :

"C'est bien Athéna ?"


Révolutionnaires, c'était du moins ce qu'elle supposait. En réalité, il semblait plutôt s'agir d'un jeune couple.

"Oui, la cape et tout. C'est elle !"

"Athena, fit la femme du couple, prenez le couloir et la porte à droite. Surtout, ne vous arrêtez pas !"

Judith suivit les ordres de la dernière voix. Derrière elle, elle entendait des tambourinement de portes. Et la Marine qui demandait d'ouvrir. Au moment où elle entra dans la nouvelle salle, la porte d'entrée s'ouvrit, les marins n'ayant pas remarqué l'entrée hâtive de la nouvellement nommée Athéna. Dans la nouvelle salle, un homme âgé l'attendit, avec d'autres instructions, et le même ton paniqué, lui demandant cette fois de sauter par la fenêtre vers le toit plat d'une auberge en face, de continuer jusqu'à l'autre bout du toit, où sa destination l'attendait. Elle prit une longue inspiration. Jura à nouveau, et sauta; mais les marins venaient d'ouvrir la porte. Depuis la fenêtre, un des soldats visa la nuque d'une Judith qui courait à toute haleine vers la fin du bâtiment, et il l'aurait bien eu si le vieillard n'eût pas sauté dans un élan désespéré pour la sauver.

Judith sauta alors, gagnant une petite allée terminée par un cul de sac. Tournant sa tête vers la rue principale, des torches projetaient l'ombre d'une vingtaine de marine. Judith était piégée.


Mais pourtant, lorsque les marins arrivèrent à la rue, ils ne trouvèrent personne.
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Depuis qu'elle était entrée par une grille d’égout située en plein milieu du cul-de-sac de tout à l'heure, guidée par deux autres révolutionnaires, elle avait perdue toute notion du temps et de l'espace. Les couloirs étaient malorodorants, sinueux, et n'en finissaient pas. Après une éternité de zigs et de zags anarchiques, ils empruntèrent un couloir qui menait directement à une grille et à une trappe; ladite trappe qui, après quelques coups frappés à un certain rythme -sûrement un code, pensa Zola.

Montant les dernières marches de l'échelle, Judith s'aggrippa à un bras tendu, mais s'arrêta net lorsqu'elle vit le canon d'un pistolet pointant sur son visage.

"La fameuse Athéna, hein... Et qui nous dit que c'est toi ?"


"Du calme, Richter. La moitié de la ville la recherche. Le gouvernement a envoyé un contre-amiral pour enquêter. Le colonel est mort sans laisser de traces. C'est elle, c'est sûr. "

Mais les arguments bien étranges à entendre pour Judith, mais parfaitement rationnels pour une oreille révolutionnaire, ne suffirent pas à convaincre le propriétaire de l'arme pointée sur elle.

"Ta lame."

"Ma lame ?" répéta-t-elle, confuse.

"Tu es de l'Umbra, non ? Alors si c'est le cas, prouve-le. Montre ta lame."

Judith hésita un instant. Voulait-elle vraiment prétendre qu'elle était cette 'Athéna' ? Le document était clair, précis, et sans équivoque sur son identité, et elle l'avait entièrement lu. Athéna était en effet un assassin de l'Umbra, d'une carrure similaire à la sienne, avec un style de combat au corps-à-corps que Judith avait suivi. Peut-être que ce n'était pas un hasard. Peut-être que Strauss voulait que Judith incarne ce personnage... Et au vu du rapport, il y avait peu de chances que la vraie Athéna vienne à Boréa crier à l'imposteur.

Elle était morte, après tout.

Judith sourit. "Bien sûr." Le kit tactique V0-L4R "Volare", qu'elle avait équipé avant de rejoindre Boréa, disposait justement d'un tel armement, calqué sur l'armement des assassins de l'Umbra. La coïncidence en était presque effrayante.

"C'est bon, fit-il, après avoir vu la lame de poignet s'engager et se désengager. Bienvenue chez la révolution Boréaline... Athéna. Je suis Richter, et je m'occupe de la section à Lavallière. Et vous avez foutu un sacré merdier. Qu'est-ce que vous foutiez dans la base de la Marine ? Vous vouliez tuer le contre-amiral également ?"

Judith termina de monter l'échelle. Alors qu'elle décida de répondre, il le fit à sa place.

"Bordel, vous les gars de l'Umbra, vous en faites qu'à votre tête. On vous a dit seulement Strauss, putain. Non pas que vous auriez été de taille pour Nelson... Mais vous pigez bien que le Gouvernement Mondial qui appelle un Buster Call sur Boréa, c'est un peu le 'contraire' de ce qu'on veut ici."


"De toute manière, ici, c'est trop chaud. On va devoir calmer le jeu sur Lavallière, et votre présence n'est plus requise. Du coup, on vous a préparé une escorte. On a un contact là-bas, la Dame Blanche, qui coordonne toutes les cellules entre elles. Elle a dit qu'elle avait besoin de vous et de vos... services. Si ça vous tente, bien entendu."


Judith y songea un instant, avant d'opiner du chef. La coordinatrice des révolutionnaires boréalins ? Si elle ne savait pas ce qui se tramait, alors personne ne le saurait. "Bien sûr. Si c'est pour la cause."

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Plutôt que de l'emmener directement à Bourgeoys, les routes étant sans doute sur le point de grouiller de soldats du Gouvernement Mondial, Les révolutionnaires entrèrent dans la forêt avoisinante, avant d'arriver sur une baie dissimulée par cette dernière ainsi que par des rochers. La pluie ayant finie pour la nuit, le groupe était beaucoup plus visibles sur les grandes routes.

"On va devoir prendre un détour. Des gars nous disent que les routes allant de Lavallière à Bourgeoys ont déjà été barrées. Si on navigue jusqu'à la faille de la Ferté-Galadris, nous devrions pouvoir rejoindre la route de Jalabert demain matin, beaucoup moins surveillée."


"Sinon... Je suis désolé pour tout à l'heure. C'est pas commun de voir des gars de l'Umbra pointer, et sûrement pas de votre pointure, m'dame. Vous avez fait du bon boulot, et c'est bien plus que ce que l'on pouvait demander."

Judith joua le jeu et opina du chef. L'assassinat de Strauss avait été commandité, par la révolution, pour Umbra. Autant soutirer un maximum d'informations à Richter tant qu'il était là.

"Il n'y a pas de soucis. J'ai l'impression que la ville était sous tension bien avant que je sois là."

"En effet, ouais. Depuis le suicide du dernier gars, Durieux, tout est parti en sucette. Durieux était un local; et depuis Morneplume, avait commencé à traiter avec nous. Il voulait calmer le jeu avec le Gouvernement Mondial, de sorte à ce que plus personne ne refait un massacre comme l'autre taré. De l'autre côté, on évitait que des gars comme Alrahyr explosaient et foutaient un bordel sans nom. En gros, on conservait la paix."

Tout cela expliquait beaucoup de choses... Voilà donc ce que Strauss expliquait lorsqu'il disait que Durieux était là pour "calmer le jeu"... Il collaborait avec les révolutionnaires afin de faire en sorte qu'ils filent doux.

"Le problème, c'est que depuis sa mort, c'est de plus en plus difficile de garder la tête froide. Y'a des gars qui réclament vengeance pour les agissements de Morneplume. Y'en a d'autres qui voulaient faire comme l'Umbra à Goa, mais en mieux; en gros, assassiner les ennemis de la Révolution en douce, sans pour autant réveiller les soupçons de la Marine."


Judith acquiesça : "C'était là le problème sur Dawn. Ils... Nous avons frappé trop fort et trop vite. Personne n'attendait l'arrivée d'un vice-amiral de la Marine aussi tôt. Il est évident que nous referons pas la même erreur."



"Et pourtant, c'est ce qui est en train d'arriver ici-même."


La réponse vint naturellement. "Je ne fais que suivre les ordres. Je suis tout autant intriguée que vous, pour être honnête. Tuer un officier de la marine deux mois après un suicide suspect n'est que rarement une bonne idée."

"C'est à la Dame qu'il faut dire ça. Depuis Morneplume, la révolution est organisée en cellules. Personne ne connaît son identité. La seule manière de la rencontrer, c'est via le Carrosse."


"Le Carrosse ?"


"Vous verrez. Une équipe vous attendra au village de la Ferté à six heures. Ne perdez pas de temps. Le Carrosse - et la Dame blanche - n'attendent pas. Bonne chance pour la suite, Athéna. Vous en aurez besoin."


Sur ces mots, Zola, accompagnée de deux hommes de mains, quittèrent la baie à l'aide d'une barque. La nuit noire allait encore aider pour quelques heures. les deux révolutionnaires ramèrent donc, laissant Judith à ses pensées. Profitant de cet instant de repos, Judith visualisa mentalement la carte de Boréa. Nelson n'organiserait pas un déploiement des forces de la Marine sans l'accord de Maximilien, le roi boréalin; néanmoins, il pourrait se servir des différentes forces locales pour d'éventuels barrages, tout en complétant les patrouilles avec ses propres forces jusqu'au feu vert inévitable du roi. Le timing de Judith était donc serré. Combien de temps avant l'émission d'un signalement, voire d'une prime ? Judith retira le document de Strauss de la poche de sa cape imperméabilisée. Ce document possédait, en grande partie, la preuve de son innocence. Mais quelques éléments manquaient, et il fallait absolument que Judith élucide le mystère de la mort de Strauss pour que tout connecte, pensa-t-elle.

Ses réflexions chavirèrent petit à petit au rythmes des vagues, ne laissant place qu'à la rêverie distraite et somnolente puis, rapidement, au sommeil à part entière. Demain était un autre jour.
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La matinée était passée comme la brume boréaline, floue, confuse, soporifique. Judith se souvenait à peine du transfert au lieu-dit de la Ferté-Galadris, de la barque à la charrette, se rendormant sous un ciel grisâtre et triste. Mais ce tronçon de route était court, et c'était durant un tout aussi terne après-midi que les contrecoups des roues et de la route menèrent Judith à bon port, à un petit kilomètre de la ville de Bourgeoys, visible au loin. La calèche s'arrêta alors, à quelques mètres de la route, et les Révolutionnaires l'invitèrent à descendre. Les deux compagnons de route de Judith sortirent une malle d'en dessous la calèche.

"Il y a un puit pas loin. Vous trouverez du savon dans la mallette. N'utilisez pas le nécessaire de beauté inclus; nous nous en chargerons. Nous avons des consignes strictes à suivre, et le Carrosse arrivera dans une heure. "

"D'accord. Mais... Vous pouvez m'expliquer en quoi ce Carrosse consiste ?"


Les deux hommes se regardèrent. La vérité, c'était qu'aucun révolutionnaire boréalin, s'il était au courant du processus, ne voulait révéler le seul moyen de rencontrer en personne le contact révolutionnaire Boréalin principal, coordinatrice des opérations sur l'île et le Royaume. Mais ne comprenant qu'il n'y avait guère le choix -elle allait emprunter le moyen en question de toute manière, l'un d'entre eux décida finalement de parler.  

"Vous voyez Bourgeoys ?" Fit-il en pointant les murailles de la ville du doigt. "Vous voyez comment c'est blindé de loin ? De près, c'est pire. L'entrée de la ville ainsi que les murailles sont surveillées en tout temps. Il est impossible de faire entrer une personne sans invitation ni vérification. Même les gardes acquis à la cause n'oseraient pas faire une chose pareille. La garde royale veille, la marine d'élite veille, le Cipher Pol lui-même veille -du moins c'est ce qu'on soupçonne. Le seul moyen de faire entrer quelqu'un, c'est en vous remplaçant par une autre. Une demoiselle de la cour de la Dame Blanche est en promenade, et ne tardera pas à nous rejoindre. Les habits contenu dans cette malle sont une copie conforme de ceux qu'elle porte. Elle portera également un masque pour changer les traits de son visage. La malle en contient un identique. Dépêchez-vous de vous préparer; la promenade est réglée au quart de poil de fion. Vous loupez le coche -littéralement, et c'est pas avant trois mois que l'on pourra vous en proposer un autre. Oh, et une dernière chose : vous devrez venir désarmée. Nous vous redonnerons votre équipement dès votre retour. Vous recevrez tout le nécessaire sur place. "

Judith s'élança immédiatement vers la direction indiquée du puits, situé non loin d'une cabane de chasseur à une demi-douzaine de minutes de la route. L'eau était glacée, mais plus que suffisante pour nettoyer la sueur et la crasse du voyage. Le savon avait un parfum fruité; et était d'une bien meilleure facture que tous les savons qu'elle n'avait jamais utilisé jusqu'ici; le produit était clairement destiné à une clientèle patricienne. Concluant rapidement son bain, elle s'habilla du corset, de la robe aux couleurs de fleurs et de dentelle comme elle n'en avait jamais vu au Grey Terminal, mais que trop souvent dans les quartiers huppés de Goa. Détestant ce genre d'accoutrement, Judith prit le temps de pondérer l'intérêt de continuer cette mascarade.

Et si ces prétendus Révolutionnaires l'envoyaient droit dans la gueule du loup par ce biais plus que capillo-tracté ? Et si tout cela ne l'aidait pas à prouver son innocence? Que comptait-elle faire à Bourgeoys une fois entrée ? Allait-elle fausser Compagnie à la Révolution ?

Les mains dénudées et sans gants, Judith tenta d'activer le la lame de poignet, qui, bien sûr, lui sortit d'une fente située à l'intersection entre la paume et l'avant bras. Elle disposait donc d'une carte maîtresse : l'effet de surprise. Quant à son deuxième joker... Là où tout boréalin de bonne éducation ne songerait à palper, était dissimulé le rapport de Strauss. Le gant servait à utiliser des fléchettes, mais son stock était épuisé; et elle doutait que la Marine accepterait de lui en redonner en ce moment.

Une fois retournée à la calèche, il ne restait qu'une dizaine de minutes aux révolutionnaires pour appliquer le masque et le maquillage, mais cela était amplement suffisant. Le masque était légèrement laid, affichant Judith avec un nez épaté et rugueux, ainsi qu'un imposant grain de beauté sur la pommette droite; tout autant de détails sensés accrocher l'attention du garde pour ne pas se concentrer sur d'autres effets du corps et du visage.

"Attention ! Le Carrosse arrive. Dépêchez-vous ! Rejoignez-le. Et bonne chance, Athéna"


Judith Zola se retourna pour voir apparaître une majestueuse voiture au cochet élégant et aux roues sur-élevées, tirés par deux magnifiques chevaux de trait à la robe crème. La portière s'ouvrit, laissant apparaître la demoiselle sosie, qui lui fit un bref hochement de tête en signe de reconnaissance, avant de sortir complètement de l'ombre de la voiture pour rejoindre la calèche.

"Bon sang de bordel, jura la demoiselle, ces bourges ont failli me rendre dingue."
Jetant un bref regard vers sa direction, Judith nota qu'elle avait déjà retiré le masque et se déshabillait déjà sous les sarcasmes de ses collègues, sans considération pour sa nudité. Les révolutionnaires de Boréa, en plus d'une organisation plus qu'irréprochable, disposaient d'un sens de la camaraderie plus que conventionnel pour une section révolutionnaire. L'officier nota cela mentalement, en plus des autres informations concernant la révolution de Boréa. Tout autant de données qui pourraient être utile plus tard, pour sa pomme et pour le gouvernement, pensa-t-elle.

Le carrosse fit alors demi-tour, et commença le trajet vers Bourgeoys. Judith, seule dans la voiture, patienta silencieusement, regardant le paysage bucolique de Boréa par la fenêtre, avant de se décider de lire le rapport de Strauss, qui fondamentalement, expliquait ce qui se passait; la mort de Strauss, les ordres de Judith, et cetera. Judith fut troublée par la lecture, mais décida de mettre la chose de côté pour un moment. Une trentaine de minutes plus tard, l'on demanda quelque chose au cocher, ce qui était sans doute les avis d'entrée et de sortie de la ville. Puis on frappa à la porte de la voiture. Judith ouvrit la porte.

"Bonjour Madame. Pourriez-vous ôter votre chapeau, s'il vous plaît ? Simple contrôle d'identité." Judith s'exécuta, sa coiffure identique à celle de la dame qui était entrée auparavant. L'homme, qui avait demandé la chose par habitude plus que par méfiance, acquiesça. La laideur de la femme était assez difficile à contempler, et il signala au cocher le feu vert pour rentrer dans la ville.

"Bon retour à Bourgeoys, mademoiselle."


Le Carrosse entra alors à Bourgeoys, où Judith allait découvrir l'un des secrets les mieux gardés de l'île. La meneuse de la section locale, l'énigmatique Dame Blanche de Boréa. Roulant dans la majestueuse ville, Judith profita de ces derniers instants de solitude pour contempler ce qu'il lui restait à faire. Elle pouvait tuer la Dame Blanche. Si elle était assez faible, Zola pouvait profiter de l'effet de surprise due à sa lame dissimulée à même son corps pour la poignarder durant un moment de distraction. Mais cela n'aurait aucun sens. Judith resterait une fugitive du Gouvernement Mondial.

Les Révolutionnaires pensaient qu'Athéna avait accomplit l'assassinat de Strauss. Peut-être que la vraie Athéna était présente sur l'île, toute cette histoire tarabiscotée sur la Dame Blanche n'étant guère plus qu'une mascarade destinée à piéger Judith et à la confronter. Mais en vérité, elle n'avait pas le choix. Quelqu'un avait assassiné Strauss. Or les révolutionnaires, d'après les dires de Richter, semblaient avoir demandé de l'aide de l'Umbra pour ce meurtre, commandité par nul autre que la Dame Blanche. Elle seule possédait les réponses que Judith voulait. Elle seule possédait la preuve du salut et de l'innocence de Judith, sinon une piste menant à celle-ci. Sortant du Carrosse aux arrêts, la porte fut ouverte par un domestique qui lui demanda de descendre.

"La Dame vous attend, mademoiselle. Si vous voulez bien me suivre, elle vous attend dans l'atrium."


Judith s'exécuta, son excitation presque palpable. Entrant dans le manoir, elle vit une magnifique femme, à l'allure élégante et patricienne, malgré sa tenue d'équitation et le pistolet qu'elle portait sur sa hanche. C'était bien elle.

"La Dame Blanche de Boréa, c'est bien vous ?"


Une flèchette frappa alors la nuque de Judith, et le sol s'approcha à grande vitesse de son corps. Une voix se fit entendre.

"Elle dispose d'un rapport important. Fouillez-la, et retrouvez-le. Faites attention aux lames de poignets : elles sortent de son corps. Pas de ses gants."
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