Puru puru.
Normalement, si vous avez suivi, vous devez comprendre de quoi il s'agit.
Chlak.
Pareil.
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Mh... Allô ?C'est comme ça qu'on se salue lors d'une communication à distance. Voilà la preuve de la sophistication d'une civilisation : s'embarrasser à créer deux modalités de salutation selon la distance à laquelle s'opère le contact. Civilisé, l'homme qui décrocha l'était. C'est en tout cas ce qu'on rapportait dans les milieux dédiés.
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Monsieur Shirel, cou-cou~ ♪.Son interlocuteur l'était moins. Beaucoup moins. C'est en tout cas ce que laissait présager la manière dont il avait engagé l'appel. Il sembla au brave Shirel que la température venait soudain de diminuer à la simple manière lancinante avec laquelle le son «s» avait été prononcé par le sinistre appelant. Pourtant, à se prélasser au soleil comme il le faisait, rien ne laisser supposer une intempérie d'aucune sorte. Pas à un début d'ère glaciaire en tout cas.
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À qui ai-je l'...-
Votre employeur, hin-hin.Chlak.
Ça faisait le même bruit au moment de raccrocher. Parce qu'il avait raccroché.
Pal Shirel, l'agioteur. Pal Shirel, le spéculateur. Pal Shirel, le requin de la finance. Pal Shirel, l'enfoiré notoire. C'était à lui qu'on avait téléphoné pour simplement se permettre de le prendre de haut. Lui n'avait travaillé pour personne depuis ses treize ans ; ce n'était pas pour s'entendre dire plus d'un demi-siècle plus tard qu'il était le larbin de qui que ce soit. Car c'est au larbinat qu'il associait la condition de salarié. Versé qu'il était dans le milieu du travail, l'homme savait de quoi il parlait.
Et c'est précisément un de ces larbins qui revînt vers lui la peur au ventre.
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Monsieur Shirel... il continue d'appeler.-
Et vous continuez de m'emmerder pendant ma sieste..! À chacun ses tourments.Il en était à remettre son masque de sommeil sur les yeux quand ses mains se crispèrent dans ce mouvement qui se voulait assuré.
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Mais monsieur... c'est Joe Biutag.Capitaine Corsaire ou non, le sexagénaire pimpant n'allait pas s'abaisser au niveau de toute la crasse qui pouvait se laisser porter par les flots. Atteindre les sommets comme il l'avait fait impliquait de ne plus jamais avoir à toucher terre. Alors la mer...
D'un geste de la main bref et impérieux, il ordonna qu'on lui remette l'escargophone. Un Biutag dans ses bons jours se voulait aussi radieux qu'une épidémie de peste noire. Ça ne coûtait rien de l'écouter un instant. Le temps de l'envoyer chier dans les règles de l'art. Celles dictées par la civilisation si chère à monsieur Shirel.
Chlak.
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Biutag, vous avez quinze secondes.-
J'ai quinze secondes et vingt kilos de documents compromettants.Oui, il semblait que la température chutait brutalement.
Bondissant presque sur sa chaise longue, le boursicoteur s'assit vivement, mains fermement serrée autour du combiné. Sa réaction laissait supposer que le délai qu'il avait accordé venait de se proroger considérablement. Sans émettre un son, on pouvait deviner le sourire du cafard à l'autre bout du fil. Le même que sur toutes les photos de lui dans les journaux, celui qui lui déchirait la gueule d'une oreille à l'autre.
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Foutaises !Comme s'il avait ordonné qu'on lui fasse la narration desdits documents, le capitaine corsaire obéit promptement. Il récita alors les relevés comptables qui devaient paraître prochainement au tribunal pour ce qui aurait dû devenir le procès du siècle. Ça, et les transcriptions dendenphoniques rédigées par greffier.
La narration parut durer une éternité alors que Shirel restait l'auditeur impuissant de la liste des chefs d'inculpations qui planaient au-dessus de sa permanente impeccablement coiffée. Mais Joe finit par se lasser d'une lecture si rébarbative et coupa court son récit.
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...entre nous mon petit Pal.... tu permets que je t'appelle Pal ? Bien sûr que tu le permets ! Eh bien... entre nous... ce n'est pas la providence qui a mis le feu aux archives de ton procès. En tout cas, j'ai pas souvenir que Dieu me l'ai commandé Ya-hin-hin-hin !Parce que procès du siècle, il n'en avait plus été question quand, il y a un mois, lors du malheureux transfert des archives, ces dernières avaient rencontré un obstacle sur la route. En hauts lieux, on s'était rejeté la faute à la gueule pendant des semaines. Le pire spéculateur boursier de la planète, l'homme qui manipulait jusqu'à la valeur du berry par ses habiles tours de passe-passe, celui-là se retrouvait innocenté parce qu'on n'avait pas estimé nécessaire d'escorter le navire chargé de transporter toutes les preuves de ses méfaits.
Il s'en était fallu de peu. D'un cafard en pleine mer.
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Qu'est-ce que vo...-
Maintenant, tu travailles pour moi. C'était une mauvaise manie qu'avait Joe de ne pas laisser ses interlocuteurs terminer leur phrase avant de les couper sèchement. Certes, il ne s'agissait pas là de son pire travers ; en attestait l'épave ayant transporté les relevés comptables de
Pal Shirel et associés. Celle-ci et tant d'autres.
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J'envoie le contrat d'embauche à tes loufiats - salaire minimum, ça va de soi. Tu commences dans une semaine. Quand je dis «ça monte», tu fais monter les cours. Quand je dis ça baisse....Le silence s'instaura dans un instant de suspense.
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Quand je dis que ça baisse ?....La voix se faisait déjà aigrie. Hostile même. Pal n'avait pas saisi qu'il était tenu de terminer la phrase. Son patron assurait sa domination. Le verbe lui suffisait, les mousquets n'étaient là que pour le folklore.
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...je vais baisser les cours boursier...Ricanement satisfait et strident en guise de réponse. Le cafard était content de lui.
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Je te laisse recruter qui tu veux pour te faciliter la tâche. Maintenant, tes intérêts économiques se confondent avec les miens. Garde bieeeeeeen~ ça en tête ou je risque d'y loger autre chose. Hin-hin.Peut-être que les mousquets n'étaient pas là QUE pour le folklore.
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Ce sera tout ?Les dents serrées, la rancœur transpirant dans sa voix ; Pal savait qu'aussi longtemps qu'il serait question de
Greed, «Non» serait un terme à bannir de son vocabulaire. Cette perspective avait quelque chose d'inconvenant.
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Ouais. Euh... attends ! Non. Oublie pas de mettre une cravate. Pas parce que c'est de la radio qu'il faut être négligé. Y'a le respect de l'auditeur, Pal. Le respect, merde, ça te connaît, non ? Au pire, je t'apprendrai, ya-hin-hin.Ne perdant jamais une occasion de mieux appuyer la semelle de sa botte contre la gorge de ceux qui étaient sous sa coupe, Biutag conclut sur ces mots. Il avait fait d'un ponte de la finance une gagneuse sans fierté en un appel et sa journée n'était même pas terminée. Elle ne faisait d'ailleurs que commencer alors qu'il continuait frénétiquement de réunir son cheptel pour - en bon berger - répandre la bonne parole via les ondes.