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Step three !



Du fait de ne voyager qu’à trois, il n’était guère utile d’affréter un gros navire. Cela permettait à nos voyageurs d’être discrets et relativement rapides. Cela ne nécessitait pas non plus une grosse main d’oeuvre pour le faire avancer. Ragnar seul suffisait à la besogne habituelle des petits matelots. Mandrake se chargeait de la navigation, alors que Rafaelo, lui, semblait se perdre dans ses songes. La mer pouvait sembler apaisée, mais aucun d’entre eux ne doutait du court répit que leur était accordé. Les fuyards d’Arcadia sont poursuivis par les flottes de la marine d’élite. En effet, comme le prévoyait Jonas, ces derniers ne tardèrent pas à découvrir le pot aux roses. Ils semblaient les avoir semé. Ils semblaient être sortis d’affaire. Pourtant, en ignorant l’état de l’assassin, aucun des deux autres ne semblaient être soulagés. Au plus profond d’eux et probablement grâce à leur mantra, ils se sentaient plus en danger que jamais.

- Alors, Ragnar ? Quels sont tes pronostics ? demanda Mandrake d’un air plutôt serein. En ce qui me concerne, j’ai déjà affronté des armées entières, seul, aussi bien en mer que sur terre. Malheureusement, je n’ai plus ma force d’antan depuis ma capture et notre plus grande force semble être totalement submergée par des souvenirs passés. Alors je te le demande, Ragnar l’ambitieux, quelles sont nos chances de survie selon toi ?

La question laissa le jeune homme, d’ordinaire si bavard, songeur. Ce que laissait sous-entendre Mandrake, au-delà du danger qui les guettait, n’était autre que la responsabilité qui reposait sur les épaules de Ragnar. Était-ce un test ? Rafaelo n’aurait aucun mal à se ressaisir si le danger devait surgir, pensait-il.

- Tu préfères prendre le pari que le grand assassin, Rafaelo Di Auditore, te sauvera encore une fois les miches, enchaîna le « libérateur ».

L’homme aux cheveux rose se tourna vers son camarade, celui même avec lequel il avait maintenant passé quelques temps, toujours le regard dans le vide et penseur. Il ne put répondre à son interlocuteur, comme bloqué, pris dans une profonde décision intérieure.

- Cet homme a vécu des choses que tu n’imagines pas. Sa réputation n’est pas survenue par hasard. Tu penses avoir vécu de grandes aventures ? Ragnar Etzmurt, laisse-moi te dire que tu n’as rien vécu. Rien. La vie détruit un homme. Elle le blesse. Parfois même qu’elle le ravage. Mais elle le reconstruit aussi. Cela ne veut pas dire que certaines plaies sont totalement refermées, ou qu’elles ne se rouvrent jamais.

Son regard est une fois encore orienté vers son camarade immobile.

- Alors je te repose la question : que vas-tu faire ? continua une énième fois la vieille femme.

Écoutant Mandrake en observant toujours autant son camarade, Ragnar saisit son paquet de cigarettes dans lequel ressortit une d’entre elles. Il rangea le paquet et sortit une boite d’allumettes. La cigarette allumée, il tira une belle bouffée avant de renvoyer la fumée vers son acolyte. Il s’accouda au petit mât du petit navire, leva la tête vers ce beau ciel bleu qui s’assombrit peu à peu.

- Je fumerai ma clope. Quand celle-ci sera entièrement consumée, des gros cuirassés apparaîtront après la pointe de cette falaise, à environ cinq mètres de notre position. Une effroyable épreuve nous attend, là, droit devant nous. Les dieux ne soutiennent pas forcément cette entreprise et la météo nous le prouve. En plus de nos ennemis, nous ferons face à une terrible tempête. Les pouvoirs de Raf’… Tu m’entends Raf’ ? Hem. Prions pour qu’il m’entende. Les pouvoirs de Raf’ devront nous permettre de créer une légère brume pour séparer l’ennemi qui traversera aisément cette tempête. Va-t-on survivre ? Je l’ignore. Mon mantra m’empêche de voir au-delà. Diviser l’ennemi pour les abattre un par un. Notre voyage sera peut-être un peu plus long que prévu mais nous ne pouvons pas arriver à destination avec ces connards à nos trousses…

- Ton mantra a évolué depuis notre rencontre, lâcha Jonas en esquissant un léger sourire. Puissent les dieux nous venir en aide, hein.

Ragnar fuma sa cigarette presque entièrement, comme convenu dans ses prédictions, c’est là qu’apparurent les cuirassés. Le révolutionnaire se mit au travail. Il tendit la voile au maximum et ainsi permettre à leur petit embarcation de prendre de la vitesse. Devant eux se trouvaient le carnage, l’apocalypse. La mer commençait à fortement s’agiter, tandis que des éclairs surgissait de tout horizon. Le vent soufflait si fort que cela en rendait la navigation bien trop difficile. Le matelot d’infortune continuait de jouer avec la voile, sur la raideur de celle-ci pour permettre au voilier de se mouvoir dans cet enfer. Bien que le pont était assez étroit, il courrait dans tous les sens et réalisait le travail de plusieurs hommes à lui seul. Loin d’être un navigateur, il acquit ces connaissances par le biais de Suelto, son bras droit qu'il a abandonné depuis des mois pour la mission.



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- Cramponnez-vous, camarades ! Un mauvais geste et nous finirons au fond de cet océan !… Si tant est qu’un monstre marin ne nous ait pas englouti avant.

Un véritable carnage se dessinait devant eux. L’horizon n’était plus visible. Seuls les vagues qui se déchaînaient, le gris et les éclairs étaient perceptibles. L’as de la révolution disait vrai quant aux risques qu’ils encouraient à voguer dans ce tourbillon de rage. Sans même prendre en compte leurs poursuivants, le simple de fait naviguer en ces eaux colériques était un danger de taille. Ragnar suivait de près l’outil de navigation volé avant de s’en aller. Il sentait aussi que ce périple s’annonçait extrêmement long et rude pour ses organismes. S’assurer de suivre le bon cap, manoeuvrer, surveiller les flancs… Une bonne s’imposerait à la fin de ce tour de manège. Mais toutes ces pensées furent balayées par l’apparition soudaine d’un des cuirassés. C’était totalement prévisible. N’oublions pas qu’il s’agissait là de très bons marins, avec de très bons navires. La cuirassé ennemi rattraper nos révolutionnaires assez rapidement. Le combat frontal n’était pas conseillé avec leur petite embarcation, qui n’était d’ailleurs même pas armée. Un voyage avec le strict minimum.

- Raf’.

Aucune réaction.

- BORDEL, RAF’ !

Il redressa subitement la tête. Ragnar n’était pas persuadé que ce fut le son de sa voix qui le fit réagir, mais plutôt l’approche imminent du danger.

- Dieu merci, souffla le navigateur par intérim. C’est à toi d’jouer mon vieux !

D’une réactivité qui surprendra toujours ceux qui ont un jour eu la chance de travailler à ses côtés, Rafaelo analysa parfaitement la situation avant de propager un nuage de fumée dans lequel l’ennemi devait se perdre. En ce qui concerne le groupe de révolutionnaires, leur destination est indiquée sur le tri-log, mais les cuirassés qui ne firent que les suivre vont immanquablement se perdre. Les courants étaient capricieux et la chance pouvait malgré tout les mener à notre trio. L’essentiel était avant tout de garder le cap et il s’agissait de la seule préoccupation de Ragnar. Il entendit des coups de canons, probablement tirés à l’aveugle, à moins que ce soit entre eux, mais aucun boulet n’arrivait ici. De l’eau tentait de s’infiltrait à bord du rafiot, forçant Jonas à user de ses forces pour égoutter tant bien que mal. Au sortir de ce nuage de fumée, alors que le navigateur par intérim semblait s’en satisfaire, son visage se figea de nouveau. Une immense vague semblait s’abattre sur eux. Une réactivité digne des plus grands pour les trois hommes. Tandis que Ragnar lâcha la barre, Mandraka s’en saisit aussi, et Rafaelo, bas sur ses appuis et les bras en arrière, semblait préparer quelque chose. L’ennemi naturel maintenant à quelques petits mètres, le révolutionnaires aux cheveux colorés dégaina ses deux dagues pour balancer des lames d’air, alors que Rafaela lança, simultanément, comme une sorte de gros rayon de fumée qui s’abat contre la vague. Les deux attaques synchronisées fendirent la vague en deux, leur laissant un passage et, malheureusement pour ces messieurs, endommagea tout l’arrière-train d’un… cuirassé.

- Voilà. C’est d’ta faute. À chaque fois, c’est toujours la même chose, tu tapes trop fort. Dis-lui, Jonas, t’as vu la même que moi, insista le jeune en pointant du doigt l’assassin.

Le membre du DRAGON qui occupait le siège de la Guerre ne songea même pas répondre à ses balivernes. Et l’assassin, lui, en fit bien évidemment de même. Ragnar était habitué à se prendre des vents par ses deux acolytes. Les voyages pouvaient parfois sembler très long pour lui. Néanmoins, pour en revenir à la situation actuelle, elle n’avait rien glorieuse. Certes, le cuirassé prenait l’eau, mais tous les yeux étaient maintenant rivés sur la petite embarcation, mise en joue par les soldats à bord. Rafaelo s’envola aussitôt s’en prendre la peine de dire un mot. Après avoir pris suffisamment d’altitude, utilisant la gravité et profitant de la vitesse emmagasiné, il s’écrasa violemment sur le navire provoquant une déferlante de fumée à haute densité qui frappa tout ce qui se trouvait autour de lui. Le jeune révolutionnaire, encore sur le rafiot, semblait admiratif. Il pouvait l’être car l’assassin ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin. Conscient qu’à son bord, se trouvait un officier de la marine, il savait pertinemment que, quel qu’il soit, il ne ferait qu’une bouchée de leur embarcation. C’est alors qu’il créa une prison, une dôme de fumée, qui aveugla tous ceux encore debout. À son tour, l’utilisateur du logia de l’encre se fondit dans la masse et se repéra grâce à son mantra qui agissait comme un sonar. Sa priorité était de neutraliser tous les canons, discrètement. La cuirassé continuait naturellement sa descente dans les fonds marins. Le tout était de gagner le maximum de temps possible. Ainsi le travail rapidement effectué, il monta  au pont principal s’assurer que son compagnon se portait bien. Pis surtout éviter l’eau montante à vitesse grand V.  Mais il repéra une présence fortement menaçante qui s’apprêtait à charger l’assassin. Armant son bras pour asséner un coup au révolutionnaire, Ragnar mit fin à son initiative en saisissant son bras à l’instar lasso. Un des avantages de son logia. Il ramena l’individu vers lui et lui planta presque instantanément sa dague dans son flanc gauche. La blessure n’était pas mortelle. Une fois la prise lâché, il saisit son camarade épuisé par l’enchaînement des techniques et sautèrent du pont en atterrissant directement sur l’embarcation dirigée par Jonas lui-même.

Le temps que la fumée se dissipait, c’est-à-dire une fois que la présence de Rafaelo était suffisant, les révolutionnaires se trouvaient déjà hors de portée. Le regard porté vers le navire de la marine qui coulait, les trois hommes pouvaient entendre des appels au secours pour la « Commandante Bathory » qui était touchée. Cependant, juste avant d’être hors de vue, ils aperçurent l’arrivée d’un second cuirassé, provoquant la joie du personnel du navire coulant, qui clamait le nom d’Ethel Crowley.

- Bonté divine. On l’a échappé belle, souffla Ragnar.

Une chose était sûre, Ethel Crowley, dont la réputation n'était plus à faire, semblait être le genre de personne que l'on ne voudrait pas croiser.


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La navigation était longue et laborieuse, interminable et périlleuse. Naviguer en eau trouble n’était pas une mince affaire, surtout quand il n’y avait pas à bord un personnel qualifié pour cela. L’alimentation pouvait également sembler difficile. Ragnar n’était pas un excellent pêcheur, bien au contraire, et c’était bien pour cela que les repas n’étaient pas bien garnis. En eau trouble, il ne fallait pas s’attendre non plus à croiser beaucoup de poissons. Heureusement pour lui que ses deux camarades ont vécu des tas d’aventures et, sans être des experts en la matière, ils avaient acquis quelques compétences pour survivre. L’école de la vie, rien que cela, pour faire de vous une personne accomplie et capable de survivre dans ce monde cruel. De nombreuses péripéties attendaient le jeune révolutionnaire, dans la mesure où il les surmonteraient toutes, car seule la mort l’attendrait dans le cas contraire.

Tous, étaient exténués par l’ennui et le dureté de ce voyage. Tantôt calme, tantôt agitée, cette mer était un véritable en enfer. Mais c’était aussi l’occasion, pour ces trois hommes, de réfléchir à l’avenir qu’ils visaient. Évidemment, Ragnar prit le temps s’interroger sur son parcours et ses ambitions futures. Une vie remplie de tumultes, de sang, d’erreurs, de regrets, d’échecs… Mais aussi des rencontres, des rires, des fêtes, des voyages, des découvertes. Si ce dernier devaient peser sa vie sur une balance, elle serait probablement équilibrée entre le bien et le mal. S’il fallait faire un bilan sur ses actes, ce qu’il fit, le conflit était plus important. En effet, le révolutionnaire prônait un monde idéal, où l’égalité demeure et les inégalités balancées aux oubliettes. Un monde parfait où chacun à sa place et où personne ne se trouve au-dessus d’un autre. Ceci n’était pour l’heure qu’une douce utopie et il en avait pleine conscience.

Ce qu’il dût faire pour être ici, à bord de ce rafiot, était pourtant aux antipodes de la paix qu’il désirait ardemment. Entre les nombreuses et épouvantables batailles effectuées, les interrogatoires sanguinolents menés aux côtés de certaines pontes de la révolution, des infiltrations suicidaires, des meurtres plus macabres les uns que les autres, des actions qui n’en faisaient pas un bon samaritain. Se battre pour ses idées, agir pour ce qui semblait juste… Était-ce la bonne voie à suivre ? Était-ce justifié ? Tout se mal pour un bien. Était-ce réellement un bien ? Au fil de ses atrocités, le jeune homme aux cheveux colorés tentaient de se remettre en question. Notamment quand il s’aperçut que tout était normal, qu’il le faisait pour la bonne cause, sans ne jamais ressentir un quelconque remord. Toutes ces vies arrachées impunément. Non pas par plaisir mais simplement pour une cause qui lui semblait juste. La véritable question était de savoir si elle était réellement juste. Il s’agissait ici d’un conflit idéologique entre ce que prônait la révolution et ce que prônait le gouvernement.

Étant embarqué dans cette aventure, il se devait de la mener jusqu’à son terme. Cela faisait bien longtemps qu’il partageait son aventure avec ses deux nouveaux partenaires, avec lesquels il avait maintenant partagé de nombreux moments importants de sa jeune vie. Que se passera-t-il une fois arrivé à Méga-Rêva ? Rafaelo et Ragnar devront retourner vaquer à leurs occupations avec les remerciements du DRAGON ? D’ailleurs, Méga-Rêva, cette base de la révolution, comment y accéder ? La question se posait car Jonas leva la tête pour annoncer leur approche. Ils n’étaient plus très loin. Peut-être à quelques noeuds tout au plus. Le jeune homme se retourna vers le vieil homme en attendant des réponses. D’un simple geste de la main, il signala subitement l’arrêt du navire.



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Ils savent que nous sommes là. Reste à attendre.

Jonas finit d'observer les alentours et expira. L'hoziron s'était changé en une série de buttes de terre de formes et garnitures variées. Certaines chauves, d'autres étoffées d'une coupe afro d'arbres feuillus. Pour n'importe quel quidam, cette escale forcée de trois jours n'était qu'une opportunité de pêcher, tuer le temps et espérer qu'aucun monstre marin ne vienne croquer son navire durant le séjour. Certaines têtes de roche avaient toujours des carcasses échouées qui tanguaient faiblement au gré des vagues. Ni vraiment accueillant, ni profondément malin, Mega-rêva était une de ces îles qui n'avaient trouvé aucun minerai, aucune plante, aucune espèce animale susceptible d'intéresser les investisseurs, biologistes ou même réfugiés d'ailleurs. La fadeur y régnait et un sentiment d'ennui emplissait l'air dès son arrivée, comme un hall de gare annonçant le retard de son Puffing Tom de trois jours.

Les trois héros devaient admettre qu'en dépit de la raison précise de leur visite, le  non-charme de l'île fonctionnait sur eux alors même qu'ils n'y avaient pas posé le pied. Il était plus palpitant d'attendre en pleine mer la venue de quelqu'un plutôt que s'ennuyer à accoster pour constater que le grain de la plage est froid et sans personnalité, qu'aucun coquillage n'y émet de couleur ravissante et que même le vent soupire mollement.

C'est un peu long, je le sais. Mais vous verrez, le Charybde, le navire de Freeman lui-même, s'enthousiasma Mandrake, désireux de vaincre le sentiment de lassitude et de ragaillardir ses compagnons. Ce n'est pas un simple navire. Il peut voyager sous l'eau, broyer les cuirassés, changer le sens du courant. C'est un dieu des mers, gigantesque et terrifiant. A son arrivée, cramponnez-vous, car il faudra aux pilotes du Charybde toute l'attention du monde afin de ne pas nous détruire dans son ascension. Messieurs, nous approchons d'un moment historique !

Aussi usé et expérimenté qu'était Jonas, la simple présence du navire du plus célèbre révolutionnaire au monde lui redonnait la fébrilité de ses dix ans. Dès lors, chaque remous dans l'eau semblait être la respiration, le mouvement lointain de ce monstre inconnu devenu monture d'un cavalier mythique. Rafaelo et Ragnar purent sentir, pour la première fois, une pointe de peur dans le coeur de Mandrake. Lui qui avait démontré, nonobstant son piteux état, le pouvoir d'un ponte de la révolution, laissait son âme s'adonner à l'émoi à la simple perspective de revoir son leader. Une peur saine, comme celle du fils craignant de décevoir son père. De fait, les choses avaient changé pour lui. Son image en avait pris un coup et, de par sa libération, une guerre ouverte avait débuté entre le Gouvernement et eux. Qu'à cela ne tienne, es choses n'allaient pas s'arranger autour d'une discussion de gentilhomme. Mandrake ne regrettait pas la situation actuelle. Ce qui le déchirait, c'était de ne plus être capable d'assurer la première ligne à présent qu'il était détruit.

La pensée du Conseiller de la Guerre fut interrompue par l'émersion soudaine du vaisseau révolutionnaire. Sa peau d'acier formait une agglomération de plaques uniquement brisées par des phares, hublot ou encore la longue crête qui lui servait tant à fendre les eaux qu'à parfaite son apparence animale. Puissante machine d'ingénieurs avant-gardistes, le monstre venu sans crier gare répandit une grosse vague tout autour de lui dont l'onde ne fit stoppée que par la lutte acharnée d'une plage en marée haute. Enfin, une grosse vague relative à la taille du bâtiment de guerre, mesurant cinq à six mètres de longueur et guère plus de largeur. C'était un petit sous-marin. Très joli, mais guère plus qu'un petit sous-marin. L'unique Hublot se souleva pour laisser apparaître un petit homme barbu et armé d'une crayon face à visage médusé de Mandrake.

Mais que.... Great-A ? Tu as ramené Great-A au lieu de Charybde ?

Step three ! 64595810

Charbybde.., cilla le barbu.

Tu as pris le vaisseau le plus petit et insignifiant pour venir nous récupérer ? Comment oses-tu ?  

Tu n'imagines pas ce que coûte un bâtiment de cette taille, Jonas. J'ai adapté le matériel au calibre de la mission. Cependant, à te voir jacasser comme une dame en mauvaise semaine, j'aurais dû investir un petit surplus pour des bouchons d'oreille. Surtout, ne dites pas aux autres que j'ai dit ça, on est entre hommes apr....

Il observa l'apparence féminine de Rafaëlo, avant de soupirer.

Cela explique beaucoup de choses. Bien, bonjour les filles, "bonjour Sarioshi", ravi de vous connaître, oui c'est une bonne condition révolutionnaire et, oh mais il se fait tard, et si vous embarquiez avant que le sel ne ronge cette coque ? Pressons mesdames et messieurs, je suis sûr qu'une douche chaude et des cookies vous raviront une fois à destination. Peut-on ?

Demanda-t-il en tapotant le bord du hublot de son crayon. Une rampe descendit telle une langue du compartiment équipage, très lentement, tandis que le Conseiller des Affaires chipotait à un tas de boutons pour mettre en fonction son transport. Le trio à bord, la langue se ravala et la porte se verrouilla. Quatre sièges occupaient la majeure partie de l'habitacle guère plus spacieux que les voitures de cochers. Avec une probable déception, les rescapés virent le petit appareil fondre sous les eaux. Au moins, il allait vite.

Spoiler:

Great-A s'enfonça dans les profondeurs percées de ses lampes et croisa bien plus de carcasses de navire, d'animaux réduits à l'état d'ossements gigantesques et autres vestiges de violences que la surface ne fait que suggérer sans conviction. A mesure qu'ils gagnaient les abysses, la sensation d'ennui se dissipait pour offrir, peu à peu, lumières naturelles de bio-organismes et mouvements de monstruosités qui ne se ressentaient que par la déviation du vaisseau de sa trajectoire initiale. Après s'être arrêté à côté d'un rocher, le sous-marin tira un harpon devant lui, éclairé de son phare pour désigner un gros hameçon en forme de méduse luminescente.

Nous somme dans le couloir des poissons-fusée. Plus qu'à attendre que l'un d'eux morde et nous économiserons temps et carburant sur notre trajet. Cela aurait-il été possible d'après vous avec le Charybde ? Tu penses que ça aurait été possible Jonas ? Question rhétorique, la réponse est non.

Mon "cher"  Sarioshi, puisqu'on parle économies, ne gaspille-ton pas nos réserves d'oxygène en parlant plutôt qu'en la fermant !

Le pilote arqua les sourcils, se tourna vers les deux compères révolutionnaires à l'arrière et leur dit, d'un ton enjoué:

Voilà qu'il se met à réfléchir. Vous me l'avez transformé ! Vos nouveaux corps féminins, plus légers que ceux des hommes que vous étiez supposés être, consomment 13,7% moins d'oxygène que prévu. Voyez cette conversation compensée par le surplus comme un cadeau de bienvenue, et avouez que je me suis surpassé !

Il ne plaisantait pas.


Hasta la victoria siempre.
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À l’arrivée du transport sous-marin, Ragnar ne put s’empêcher de rire en voyant le visage décontenancé de Jonas. C’était bien trop d’émotions d’un coup. Sarioshi, le Conseiller des Affaires, avec qui il avait conversé à distance pour la réalisation d’une mission sur Hungeria. Il ne l’imaginait néanmoins pas si peu… charismatique. Un petit gabarit aux cheveux longs et touffus, d’une barbe épaisse et d’un corps assez frêle. L’as de la révolution se doutait qu’on ne lui demandait d’aller à la guerre, alors il relativisa et jugea qu’un cerveau vaut parfois mille soldats. Celui de Sarioshoi, en l’occurence, en valait nettement plus. Sa manière de s’exprimer, un peu-dehors du monde, démontrait que sa réflexion dépassait la notre de très loin. Un génie comme il est communément appelé dans les rangs de l’armée révolutionnaire. Un individu qui ne payait pas de mine mais ô combien important pour la structure.

Ainsi, les trois camarades entrèrent dans ce qui devait être une machine incroyable, mais qui n’était en réalité qu’un minuscule sous-marin, étroit, peu confortable, mais diablement mobile. Évitant de passer son temps dans les fonds marins, Ragnar prenait le temps d’observer, non sans un peu d’admiration, ce bel univers plus lumineux qu’il l’imaginait. Entre cet ascension extraordinaire et les querelles entre les deux pointures, le révolutionnaire passait plutôt un agréable moment. Voir Jonas Mandrake s’agaçait face à un petit barbu, c’était trop beau pour être une réalité. Comment un homme de sa trempe, qui a vécu à moult de batailles, qui a survécu à l’enfer de Jotunheim et qui est resté tout à fait calme durant le reste de notre aventure, peut à moitié perdre cette sérénité face à cette petite chose barbue ? L’image était hilarante. Rafaelo lui-même semblait relever les sourcils face à cette surprenante scène.

Les voici tractés par un dénommé « poisson-fusée » qui accéléra considérablement la vitesse de déplacement. Peu rassuré, Ragnar se cramponna à son siège, avec l’espoir et la volonté d’arriver le plus vite possible. Une fois en mer, l’homme à l’apparence si virile, était en réalité effrayé à l’idée d’y perdre la vie, et ce, depuis qu’il détient les capacités de son fruit du démon. Il vécut une fois l’horrible expérience de tomber dans la flotte, et c’était sans compter sur le secours de Suelto, son bras-droit, pour le repêcher à toute vitesse. Ragnar était autrefois bon nageur, mais réalisant sa plus grande faiblesse, il se méfiait de l’océan comme la peste. Il s’imagina évidemment qu’un monstre marin puisse avaler d’un coup ce « Great-A », qu’un impact puisse y ouvrir une brèche, qu’un manque de carburant puisse les laisser pour morts au fond de ce - magnifique - fond marin. Cependant, il fut aussitôt bousculé par le violent ralentissement de déplacement de l’appareil.

Sarioshi lâcha les commandes et se retourna vers ces derniers.

- Mesdames et messieurs, observez attentivement ce devant quoi nous approchons, c’est ici que nous nous arrêterons.

Ragnar semblait avoir des étoiles dans les yeux en voyant ce qui se rapprochait de plus en plus de ses yeux enfantins. Mandrake connaissait déjà les lieux et resta posé sur son siège, bras et jambes croisés. Un dernier détail amusa le jeunot de la troupe, quand il observa l’assassin impassible, qui adopta sans le savoir la même posture que celui qui occupait le siège de la Guerre. Il se retrouva rapidement rattrapé par la beauté du paysage, lumineux, dans lequel ils entrèrent. Ils dépassèrent des espèces d’îlots flottants, protégés par des bulles qui empêchaient l’eau de pénétrait. Ces bulles étaient, à l’intérieur, illuminées par les habitations présentes, toutes suspendues aux branches d’une sorte d’arbre. On croirait voir des cabanes cinq étoiles dans une ambiance tamisée. Chaque îlot était relié à d’autres par des passerelles. À son centre, une bulle bien plus volumineuse que les autres, plus éclairées et dont l’architecture en son intérieur était plus majestueuse, contenait un magnifique palais qui représentait le QG du conseil du DRAGON.

- Comment diable avez-vous fait pour construire une telle merveille ? se demanda le jeune révolutionnaire, une fois encore ébloui par la beauté de ce travail.
- Du temps… Beaucoup de temps, répondit Jonas.
- Et des moyens, conclut celui géra très probablement l’aspect financier de ce projet. Sans débloquer certains fonds, cela nous aurait été impossible de réaliser un tel trésor. Nous ne sommes pas une entreprise à but lucratif, mais il nous faut tout de même générer des bénéfices pour des raisons évidentes.
- Heureusement, brave Ragnar, poursuit de nouveau Jonas, la révolution possède de nombreux donateurs qui oeuvrent à leur manière à l’avancement de notre lutte.

L’assassin acquiesça. Ragnar se sentit un peu seul puisqu’il ignorait cette information. Il n’a connu aucun de ses généreux donateurs. Il n’avait d’ailleurs jamais réalisé que la Révolution était une grande entreprise qui devait subvenir à ses propres besoins, que ce soit pour former l’armée, la nourrir, concevoir des armements, des villes aquatiques, des navires de guerre… En somme, tout ce qui était utile pour une nation, un groupuscule, pour se défendre face aux plus hautes autorités de ce monde. Un claquement de doigts ne suffirait pas. Loin d’ignorer toutes ces logiques propres à une société, il ne les avait pour autant jamais prises en compte dans ses réflexions. Il apprit en quelques semaines plus que dans tout son vécu jusqu’à ce jour. Côtoyer des personnages emblématiques, expérimentés et intelligents, était de loin une formation très efficace.

Alors que la question de savoir comment on entrait dans les petits villages se posait, on pouvait voir tous les sous-marins se rendre sous chaque bulle où se trouvait un ascenseur, qui représentait en réalité la racine de l’arbre, par lequel se fixait chaque moyen de transport. Le palais n’était évidemment pas constitué à partir d’un arbre, mais un long tunnel qui donnait directement accès au palais. Évidemment, la petite embarcation sous-marine l’emprunta jusqu’à pénétrait dans l’antre des dirigeants, jusqu’à trouver un port dans lequel ils stationnèrent. Cela rappela évidemment les cavités de Dead End où Ragnar passa quelques nuits à bord de son navire. La rampe descendit de nouveau pour permettre aux voyageurs de sortir. Ils furent accueillis par des gardes, notamment Mandrake, qui soulagea ces messieurs par sa simple présence. Il ne fallait pas oublier que ce dernier avait disparu de très longs moins durant et qu’on le pensait mort. Rafaelo et Ragnar reçurent à leur tour de grands sourires, comme on le fera à des héros qui ont n’ont pas démérité dans ce labeur. La vérité était, pour ces jeunes gens, que sans ces deux révolutionnaires, Mandrake serait peut-être encore enfermé et mort. Néanmoins, oublier l’aide de toutes ces précieuses personnes, pirates pour la plupart, serait un manque de respect. Ragnar n’oubliait pas qu’il avait une dette éternelle envers qu’il comptait bien remplir une fois sa mission terminée.

- Nous y sommes presque. Dernier effort. Je vous prie de bien vouloir me suivre, dit Sarioshi sans perdre un seul instant.

L’heure de vérité approchait. La brute sans pression que représentait le personnage de Ragnar commençait à ressentir une boule au ventre à l’idée de rencontrer tous ces cadors.





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Perdu dans les réminiscences de son passé, l’assassin avait passé le trajet à broyer différentes nuances de noir, en dépit du gris habituel. Il fallut toute l’amplitude de la voix de Ragnar pour le tirer de ses songeries et mettre un terme à ses pensées et ses errances. Céline, ses enfants, son avenir dans la guerre qui se profilait. Le nouveau visage de la révolution. Se préparer à cette rencontre, à la force des titans. Méga-Rêva, on n’y entrait pas si facilement. Il n’était qu’un As de la révolution, un soldat parmi les autres. Pouvait-on dire qu’il avait participé à changer la donne ? Certainement. Mais ses débuts avaient été chaotiques … et même si cela faisait plus de dix ans que son frère et lui avaient vu leur chemin se séparer … il se demandait toujours si le sacrifice en valait la chandelle.

Evidemment. Sinon, à quoi bon ?

Ce fut sur ces pensées qu’il dû émerger des miasmes brumeux de son esprit, pour répondre une fois de plus à l’appel de la bataille, laissant derrière lui les ombres de son existence d’assassin. Ils firent un carnage, exprimant tout le potentiel de leurs pouvoirs et de leurs haki de l’armement. La gangue de fumée renforcée était plus que suffisante pour percer des cuirassés. Où était donc l’époque où courir sur les toits l’essoufflait, où les cieux lui étaient inaccessibles ? Assurément lointaine. Etaient-ils encore humains, au fond ? Mandrake accusa leur performance d’un signe de la tête, une sorte d’assentiment teinté de férocité. D’un guerrier à un autre. D’un tueur, à un autre. Inutile de se leurrer sur les beaux lauriers révolutionnaires.

Son mutisme retrouvé par une traversée mouvementée, l’assassin se mura dedans comme un arbre dans son écorce. Il s’était rappelé détester la mer, et naviguer un navire de cette envergure à trois nécessitait toutes les difficultés que l’on pouvait imaginer, en dépit de sa fumée malléable.

« Charybde … » murmura-t-il, en voyant le petit navire émerger, haussant un sourcil.

Sa frimousse se tordit dans un masque adorable, tranchant avec sa voix glaciale. Cela faisait des jours qu’il essayait de joindre sa famille, sans succès. Ses enfants avaient quatre ans, maintenant. Et ils n’avaient jamais vu leur père. Ou mère, enfin, Rafaelo. Ce fut le seul membre du DRAGON qu’il n’avait jamais croisé autrement que par escargophones interposés qui vint les chercher. Le maître des chiffres.

« Cette apparence est … temporaire. » répondit Rafaelo, en salut le révolutionnaire d’un signe de la tête.

« Les cookies feront l’affaire. J’ai mal au ventre et je suis pas d’humeur. »
grogna-t-il, en massant son abdomen.

Il emboîta le pas de Sarioshi, passant après Ragnar et Mandrake. Il sentait la tension lui nouer les tripes, l’enjeu était énorme. Pour lui, pour les siens. Pour ce qu’il avait fait de sa vie. Pour son avenir. La Lune était pleine, remarqua-t-il, avant de s’asseoir dans le petit compartiment. Sobre, efficace. Rien n’était superflu, pas même la mousse qui revêtait les sièges auxquels ils s’attachèrent. L’assassin ne releva pas la boutade de Sarioshi, pas plus que les remarques de Mandrake. Si ce dernier avait changé, c’était avant tout ce qu’il avait vécu en prison. Ce qu’ils prirent soin de taire en paradant derrière ces quelques échanges amicaux.

La dernière fois qu’il était monté dans un sous-marin, cela devait remonter à quand Mandrake et lui avaient traversé les blues après les événements de South blue, près de 9 ans plus tôt. Le jour où Yusuf Tazim lui avait pris son bras. Ce fut sa première rencontre avec le fluide de l’armement. Jonas lui avait sauvé la vie.

« C’est en effet impressionnant. » conclut l’assassin face aux structures métalliques qui constituaient le quartier général.

Un chantier d’une telle envergure … comment avaient-ils fait pour ne pas attirer l’œil du Gouvernement ? Une question qui n’aurait pas de réponse, assurément. Pas pour l’instant du moins. Ce genre d’information était certainement aussi secrète que le secret lui-même.

Ils furent accueillis par quelques révolutionnaires d’élite, qui ouvrirent des yeux ronds face à Mandrake, mais aussi à destination des deux hommes qui l’avaient délivré de Jotunheim. Et un soupçon d’incompréhension aussi. Rafaelo, l’assassin barbu avait une frimousse à faire fondre pas mal de cœurs. Et il vit cette lueur qu’il avait appris à détester s’allumer dans le regard de certains. Les hommes resteraient des hommes. En l’état, lui n’était qu’une femme. Une femme capable de couler un cuirassé, bien plus forte que bien des hommes. Mais une femme à leurs yeux. Il les sonda droit dans les yeux. Ils détournèrent leur regard. Pas besoin d’une barbe pour avoir l’air patibulaire.

Une odeur métallique régnait dans les couloirs aux décorations parsemées de rivets et de vitres qui donnaient une vue imprenable sur les océans. Rapidement ils rejoignirent la roche dans laquelle la structure s’enfonçait et une lumière issue d’étranges ampoules bleutées les fit cligner des yeux. Le son de leurs bottines claqua sur le sol métallique, à mesure qu’ils avançaient dans le dédale de couloirs. Bien souvent, quelques hommes vinrent s’attrouper à des coins pour observer la petite délégation, contempler le retour de Mandrake et l’intronisation des deux hommes qui l’avaient sauvé. Evidemment, ils étaient connus jusqu’ici. Mais il était rare de parvenir à un tel coup d’éclat que celui qu’ils avaient réalisé à Jotun. Surtout dans les circonstances décrites … si certains récusaient leurs actes … le résultat était là. Et un tel résultat à l’aune d’une guerre contre un Empereur … c’était prometteur.


Peu à peu, la perception du mantra de Rafaelo se fit petite, jusqu’à ne plus capter que les êtres environnants, comme étouffée par la roche et le métal. Ils finirent par arriver devant une grande porte. Solide, ferme. Impénétrable. L’assassin déglutit. Un frisson glacé lui couru le long de l’échine. Ils étaient arrivés. Arrivés devant la salle du conseil. Devant … le DRAGON.

Les portes coulissèrent lentement, grinçant sur d’épais gond. Une table ronde dans un métal lourd, résonnant d’une étrange aura mystique. Six sièges, faisant face à six lettres. Les crédos révolutionnaires tapissaient les murs, et une baie vitrée immense laissait entrevoir une gigantesque structure métallique, abritant un ost révolutionnaire phénoménal. La carte du monde connu trônait au centre de la table, où des îles jusqu’à lors inconnues de l’assassin étaient dessinées. Il régnait là une ambiance pesante, millénaire. Il y avait dans cette pièce quelque chose d’inexorable, une impression de puissance non dissimulée. Le cœur du monde révolutionnaire se tenait là. Sur ces sièges. Les portes achevèrent de grincer et frappèrent avec brutalité sur les murs. Ils y étaient parvenus, la consécration. Il s’avança après Jonas et Sarioshi, faisant face aux autres sièges.

Un poing sur le cœur, une courte révérence, pourtant marquée de respect.

« Rafaelo di Auditore, sous les ordres directs d’Ombre. Conformément à vos ordres, me voilà, Adam. »
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« Dans la salle de réunions, un homme vêtu de blanc vous attendra. Tu l'appelleras Adam Freeman. »

Ainsi avaient résonné les mots dans la tête de Rafaelo durant leur progression dans les dédales de couloirs. La voix et le pouvoir employés lui étaient familiers; il avait identifié Nicklas Aldo, qui semblait les suivre sans qu'aucun mantra ne dénonce sa présence. L'Assassin avait été le seul à recevoir le message. Ragnar était trop fébrile, trop noué pour ne pas se trahir si Nicklas l'avait contacté. Quant à Mandrake, impossible de savoir.

La traversée avait offert bien peu d'informations sur les lieux, mais certaines têtes étaient connues. Des primés, des révolutionnaires déclarés morts, des gens qui dégageaient sentaient l'expérience au premier coup d'oeil. Plusieurs furent surpris de la venue du trio et saluèrent le convoi. Ragnar et Rafaelo pouvaient redouter un piège s'ils cartographiaient l'endroit dans leur tête, car Sarioshi leur faisait faire des détours et toutes les coursives annexes à leur chemin étaient verrouillées et souvent gardées. La sécurité ne badinait pas avec ces trois agents traités autant comme des héros que des suspects.

Fort heureusement, le représentant des Affaires détendit un brin l'atmosphère en parlant du nombre de de clous de tel couloir, des millions de centimètres cubes de diverses matières déclinées en molécules chimiques de telle porte, ou encore de l'évolution des brasses de fond selon tel ou tel niveau dans la base à quatre décimales près. Si le charabia n'avait pas la capacité à être un divertissement, l'attitude enjouée du petit homme chevelu offrait une bulle de relaxation. Son point d'orgue fut au moment de s'arrêter à un vendeur de kiosque pour acheter quatre bouteilles de "revolvic" à un libraire moustachu dont tous les articles de journaux affirmaient que la révolution était une théorie du complot. Il avait même assuré, en distribuant les rafraichissements, qu'il n'était pas au courant que l'eau existait et refusa l'argent d'Ataké car non, il se trompait, il n'était pas vendeur et on devait le confondre avec quelqu'un d'autre.

Arrivés devant l'épaisse porte de la salle de réunions, la tension reprit à plein régime. Il y avait bien un homme vêtu de blanc de l'autre côté, debout, ainsi que l'homme qui activait l'ouverture et la fermeture. Les révolutionnaires le reconnurent à sa tenue.

Step three ! Payne_10

Payne Ultimo, un révolutionnaire qui sévissait depuis vingt ans et avait débuté aux Blues. Son truc, c'était se planter devant un poste de la marine et leur donner un ultimatum pour quitter les lieux ou l'arrêter, sans quoi il rasait tout sitôt le compteur arrivé à zéro. Payne avait saccagé plusieurs avant-postes et poussait le culot jusqu'à embarquer clandestinement dans les navires militaires pour leur rejouer son rituel sitôt en mer. Il n'avait jamais été arrêté, mais avait connu une défaire face à Kindachi Tetsuda, à l'époque où il était encore contre-amiral. La rumeur de ses partisans voulait qu'il ait perdu car il lui était impossible de ne pas tuer le haut gradé. Bien que Payne avait beaucoup de sang sur les mains, il n'avait, à ce jour, ôté la vie d'aucun marine.

Soyez les bienvenus, Rafaelo di Auditore, Ragnar Etzmurt et ravi de te revoir, Jonas Mandrake. Oui, il manque du monde. Mais nous ne sommes pas en retard, pas plus que nous sommes en avance. La réunion a été, à la demande de l'As Payne, suspendue. J'en entendis ses raisons et jugeai qu'un point devait être éclairci, avant de nous rassembler. Payne Ultimo, explique à nos hôtes la raison de ta présence. Ensuite, nous commencerons.

L'homme vêtu de blanc laissa place au gaillard qui n'affichait aucune sympathie envers les nouveaux arrivants. Mais s'il salua poliment Ragnar, Rafaelo et Sarioshi, son chef demeura immobile à l'égard du chef de Guerre, face à qui il se postait.

Jonas Mandrake est mort.


La nouvelle, lancée d'un claquement froid, surprit le convoi ; l'interpelé compris. Plutôt que lui reprocher d'oser s'adresser ainsi à un supérieur, qui plus est dans un Elysée, le rescapé de Jotunheim fit un signe léger de la main pour appeler les autres révolutionnaires à le laisser gérer et il sourit finement à Payne, pour lui répondre d'une voix acérée, enveloppée d'un faux amusement.

J'ai toujours aimé ton style, Payne. Tu as du cran et tu es direct. Je me félicite encore aujourd'hui de t'avoir recruté. C'est pourquoi, en hommage, tu as un ultimatum de cinq minutes pour t'expliquer. Ce délais expiré, si tu fais encore barrage, tu seras chassé de force.


Par provocation, Ultimo laissa s'écouler les premières secondes en pure perte. Derrière sa visière opaque, on devinait qu'il fixait Mandrake droit dans les yeux, sans ciller. Chaque seconde fut faite de plomb, mais enfin l'As s'exprima:

Je me suis permis de joindre "le Juste" pour une raison de sécurité. Les rapports des agents ne voient aucune raison de douter que tu sois toi, les As Rafaelo et Ragnar auraient probablement détecté si quelque chose coinçait. Et pourtant, ta venue en cette base est un erreur. Tu as été emprisonné, torturé, usé dans un centre réputé pour ses expériences et son désir de "rééduquer" les prisonniers. Izya Tahgel elle-même, pourtant d'une puissance phénoménale, a failli basculer dans la folie après un séjour bien moindre que le tien.

Je t'accuse de ne plus être un révolutionnaire, mais un pion du Gouvernement. Je t'accuse de ne plus avoir le discernement nécessaire à juger ta force et tes capacités. Quand bien même tu serais là de bonne foi, sans volonté de collaborer avec le Gouvernement Mondial, je t'accuse d'être incapable de voir les ficelles qui te manipuleraient. Car tu es faible, fou et, de par ta présence ici, dangereux envers tes frères. Tu peux prendre de mon temps pour répondre.


Jonas serra le poing et s'assombrit. Bien sûr qu'il était plus faible, bien sûr qu'il devait laisser sa place. Mais l'injure faite par cet homme réveillait sa fureur de guerrier. Mourir, il l'avait voulu. C'était même son ultime requête faite à Ragnar quand celui-ci avait forcé la porte de sa cellule. Une requête refusée, qui convainquit Jonas d'opérer un ultime voyage en tant que Guerre du DRAGON. Pour démissionner proprement, tenir en échec le Gouvernement malgré son acharnement à vouloir le faire plier, mais aussi pour offrir au DRAGON le soutien envers Ragnar quant à sa succession. Le bonhomme avait beau manquer de confiance et parfois de finesse, c'était un coeur vaillant et il avait réussi ce qu'aucun membre du conseil n'avait pu faire avant lui. Avec son enseignement, il ferait un bon chef et apprendrait à résorber ses failles. A son souvenir, aucun membre actuel des plus hautes fonctions n'avait pris son siège sans commettre d'erreurs. C'était un risque nécessaire, comme celui de parvenir une dernière fois ici, pour garantir son héritage.

Regarde, Ultimo. Deux révolutionnaires entrent dans une prison légendaire, trois en ressortent. Tu ne sais pas de quoi tu parles, parce que tu n'as affronté que des bases de la marine et non du cipher pol. Tu manques d'informations et fantasmes une omniscience qui n'existe pas. Les expériences de Jotunheim ? Des sérums de torture et une corruption des prisonniers par un agent prototype, visible et sans finesse. C'était une prison de bouchers avec des fioles d'alchimistes. Elle était à ce point surcotée que l'amirale en chef elle-même n'a pu être sur tous les fronts et empêcher un échec. Son plus haut fait est d'avoir mis en difficulté Rafaelo qui a très bien joué son rôle pour la retarder. Voilà, la réalité du terrain que tu ne connais pas et la toute-puissance du Gouvernement que tu loues car tu as toujours eu de la sympathie pour les forces de l'ordre; fussent-elles ennemies. Cela ne fait pas de toi un traître, mais tu légitimes un pouvoir en place en lui attribuant l'invincibilité à chaque zone d'ombre. Oui le Gouvernement est un monstre, mais il saigne et il a peur. Crois-tu que l'appel à la ratonnade de révolutionnaires lancée par le Conseil des Nations soit autre chose qu'un mouvement de panique ? Ils échoueront, encore une fois.

Ces révolutionnaires que tu montres ont bien bossé, je n'ai jamais remis leur talent en cause, mais le tien. Pour moi, c'est "deux révolutionnaires entrent, deux ressortent avec un colis". Tu n'as été rien d'autre. Ils t'ont protégé durant toute la route qui menait ici, là où toi tu les as mis en danger et as compromis leur couverture. Tu es devenu nonchalant, rigolard et risible. Peut-être qu'un Cavalier de talent moyen sera émerveillé de te croiser, toi, la légende. Mais tout As un peu doué verra au premier coup d'oeil que tu es vide, brisé et tragique. Tu es une starlette de quarante-cinq ans qui veut encore croire qu'elle est belle et que les gens ne fantasment pas ce qu'elle était. Tu sais, le fameux "elle est encore bien, pour son âge" ?

Le problème, c'est qu'ici tu parades non pas pour ta beauté, mais pour le feu que tu entretiens chez tes frères. Je ne connais peut-être pas le Gouvernement aussi bien que toi, mais j'ai mon expérience de terrain et elle m'indique qu'un symbole souillé cause plus de tort que l'absence de symbole. Aucun équipage n'est aussi fort et uni lorsque son drapeau flambe. Tu penses servir la révolution en venant ici, avec un joli cadeau et de la gouaille, mais tu ne fais qu'infiltrer dans l'esprit de ceux qui te croisent un "bon sang, alors même Mandrake ne peut pas tenir face au Gouvernement". De nous deux, c'est toi qui renforces l'ennemi.

Ton escorte, elle te respecte trop pour te dire que t'es fini. Elle veut que tu meurs en paix, convaincu de céder ta place avant ton dernier combat. Mais tu as déjà eu ton combat de trop et je ne peux pas laisser notre organisation risquer sa peau pour flatter l'ego d'un ancien grand guerrier qui ignore qu'il n'est pl...


...temps écoulé !

Après avoir laissé glisser la bouteille le long de sa doigts, Jonas la tint comme un sabre et la chargea de haki pour un usage similaire. De tous les bretteurs du monde, Mandrake était un des meilleurs. Une baguette pouvait trancher plusieurs navires ou briser un meitou si c'était lui qui la manipulait. Même amoindri, il demeurait supérieur à la plupart des combattants connus.

Il géra la puissance de son cou, car il ne voulait pas couper Ultimo en deux, ni abîmer la salle. Il évita de frapper la tête, pour ne pas défoncer le casque ou lui briser les cervicales. La bouteille devenue arme esquiva de peu le bras ballant de l'As pour l'atteindre aux côtes, le soulever et l'envoyer valdinguer. Bien sûr, plusieurs d'entre elles allaient rompre, mais c'était un prix plus que modéré pour l'outrecuidance dont il venait de faire preuve. Mandrake frappa, dans un bruit sourd qui fit trembler la structure de la salle. Payne ne put esquiver et encaissa le coup de plein fouet. Il vacilla, puis plus rien.

...plus rien.

Ultimo fixait Mandrake, courbé pour opérer l'arc de cercle de son attaque. L'arme redevint bouteille et éclata dans la poigne du chef de Guerre. L'homme devant lui n'avait pas pris la peine d'esquiver, ni de parer. Ce n'était pas nécessaire. Tandis que Jonas restait pétrifié, réalisant l'écart qu'il y avait entre lui et lui-même, il sentit ses jambes se dérober sous lui et s'agenouilla pour gérer son vertige. Ses yeux rivés au sol trempé d'eau, il entendit la porte s'ouvrir lourdement derrière lui et entendit un «lève-toi» dans sa tête qui balaya le vertige. Une injonction sereine et amicale. Jonas ne répondit pas à Niklas par la voix, mais par le geste en faisant l'effort de se relever de se tourner. Il affronta la honte d'être une épave face à son égal Sariochi, face à ses aspirants Ragnar et Rafaelo et même celui qui lui tenait la porte et venait de le remettre à une nouvelle place désormais sienne. Il marcha sans hâte comme les fantômes errent. Le regard perdu à un horizon sans lointain. Machinalement, sa main se posa et s'appuya sur l'épaules des As qui l'avaient escortés et il eut un dernier mot pour Payne:

Le Jonas Mandrake dont tu parlais t'aurait vaincu avec ce coup.

Le Jonas Mandrake dont je parlais ne m'aurait pas vaincu avec ce coup. Jonas Mandrake n'aurait pas eu à m'attaquer vu que je n'aurais jamais osé lui faire face. Jonas Mandrake n'aurait pas attaqué dans un Elysée par orgueil. Jonas Mandrake n'aurait pas été mis en échec, tant sur la force que la stratégie.

Il se tut; il n'y avait plus rien à dire. Quand Jonas parvint de l'autre côté, Payne ferma à nouveau la lourde porte.

Spoiler:


Hasta la victoria siempre.
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Sitôt fait, l'As de l'ultimatum prit les sièges devant chaque lettre du DRAGON pour les disposer autour de la lourde table ronde, dans un silence religieux que seules les pieds rompaient. Cela fait, il reprit place aux côtés des autres As et attendit que l'homme en blanc s'exprime.

C'était cruel, mais sans sadisme. Il était nécessaire que Jonas soit court-circuité pour que nous nous assurions de sa sécurité, ainsi que de la nôtre.

Tout ce qui va suivre à présent ne devra jamais lui être révélé. Je vous demande de faire l'effort d'oublier le membre du conseil du DRAGON. Libre à vous de rester en contact avec lui si cela vous sert, mais que les choses soient claires : Jonas Mandrake est désormais à la retraite et ne devra plus être remis en fonction.

Quant à moi, j'ai accompli ma tâche. Il est temps de vous présenter aux membres du DRAGON.

Adam rectifia un pays sur la carte gravée sur l'immense table, ce qui occasionna un déclic et fit coulisser le tube prolongeant le meuble vers le plafond. L'ascenseur dévoila trois personnes. Emilie Knox, l'enthousiaste rousse de l'Orientation, Raven, la pragmatique petite dame du Renseignement et Nicklas Aldo, l'élégant télépathe du Développement. Derrière l'épaule de Raven, un escargophone noir avec une capuche observait les choses en se cachant à moitié dans son cou. Rafaelo reconnut immédiatement l'appareil d'Ombre, le mystérieux dirigeant de la Négociation que seuls lui et Freeman avaient rencontré en personne. Concernant ce dernier, il remplaça les membres du DRAGON dans la cage et salua de la main les As avant de disparaître sous le sol. Raven plaça l'escargophone d'Ombre sur le haut du dossier de son siège. Sarioshi rejoignit le sien et invita les As et monter sur la carte du monde qui était suffisamment redescendue pour ne plus être qu'une marche de podium. De toute façon, le métal découpant les îles ne risquait pas de plier sous leur poids. Lorsque les trois convives furent installés, Nicklas pris la parole.

« Désolé de vous avoir fait attendre. Je vous prie d'excuser l'absence d'Ombre et Freeman et de n'y voir aucun manque de respect. Simplement, aucune réunion ne rassemble l'ensemble des membres du DRAGON; mesure de précaution. Ombre, nous reçois-tu bien ?  »

-Impeccable !

« Alors je déclare cette réunion ouverte. Rafaelo, Ragnar, Payne, Bienvenue au nom de toute l'équipe. Vous êtes tous là pour formuler une demande et avez mérités toute notre attention. Nous vous écoutons. »


« Moi aussi, je suis en train de te lire, Invité.»


    Ragnar progressait le long de ces denses couloirs de pierre, l’estomac noué, en espérant se détendre une fois la réunion commencée. Il était de ceux qui emmagasinaient la pression tout le long, généralement avant une bataille ou un match, puis qui se libéraient de toute pression dès les premières secondes ou minutes passées. De nombreuses têtes loin d’être méconnues dardaient les deux nouveaux révolutionnaires. Nouveaux, uniquement en ce lieu sacré, car leurs noms n’avaient rien de nouveaux dans l’organisation. Il fut étonné de voir certains visages et d’autres un peu moins. Il ne connaissait pas tout le monde. Il ne connaissait même que trop peu de monde dans cette grande famille. Agissant seul, ou plus exactement avec ses plus proches alliés, il s’était presque volontairement coupé des autres. Seuls les ordres de certains membres du conseil lui parvenaient via des appels sécurisés. Le seul qu’il eut la chance de rencontrer n’était autre que Niklas Aldo, le télépathe, dans le seul but de trifouiller le cerveau d’une pauvre demoiselle. Les quelques blagues de Sarioshi n’y faisaient rien. L’As était plongé dans ses souvenirs, sans doute pour un effet d’anti-stress, le temps de cette longue balade.

    Celle-ci s’interrompu brutalement à la vue d’un colosse : Payne Ultimo. Un des As de la révolution, peut-être le plus puissant de tous en terme de force pure, loin d’être méconnu de ses confrères. Chacun son registre. Rafaelo excellait dans l’assassinat, Payne dans le… massacre. Mais ce n’était pas ce qui laissa perplexe le jeune As, qui ne comprenait pas tout à fait ce qu’il se passait devant lui. Le dénommé Freeman qui accueillit les arrivants laissa Payne expliquer la raison de sa présence ici. Une requête à l’encontre de Mandrake. Ses paroles furent brutales, sanglantes et inattendues. Ragnar resta bouche-bée face à cette scène. Il ne se sentait pas légitime pour rétorquer quoi que ce soit et laissa gérer le chef de la Guerre qui ne semblait pas avoir perdu son assurance. Néanmoins, la réponse de l’Ultimo fut encore plus violente que sa prise parole précédente. L’As serra les poings. Il avait aussi manqué de respect à Jonas, il y a de cela quelques mois, quand ils étaient sur Armada. Depuis ce temps écoulé, il apprit à connaître l’individu et à le respecter malgré sa puissance éteinte. Enfin, peut-être pas entièrement éteinte. En effet, alors qu’il entacha la réputation de cet homme en exposant des faits tout à fait justifiés, celui-ci se sentit de lui montrer qu’il n’en était rien. Le temps imparti était épuisé, il devait être « chassé de force ». L’attaque lancée par Jonas semblait être remarquable, à tel point qu’elle fit vaciller le colosse. Néanmoins, Rafaelo et Ragnar se regardèrent, les visages pâles. Le coup n’eut pas l’effet escompter. Pire encore, elle sonna la fin d’un mythe, de manière brutale et humiliante. Pour une raison qu’il ignorait encore, la peur, la crainte, le stress, Ragnar n’eut pas le courage de réagir. Jonas Mandrake n’était plus celui dont la Révolution avait besoin selon ses paires. La sentence était irrévocable. Ce dernier le savait et ne préféra pas insister davantage.  Il tapota les épaules de ses deux acolytes et s’en alla doucement, sans dire un seul mot. Ragnar voulut le retenir de toutes ses forces, mais il n’y parvint pas. Une légende qu’il admirait tant s’éteignit sous ses yeux impuissants.


    Mais nous sommes venus ensemble, pensa Ragnar sans pouvoir le formuler oralement.

    Il ne pouvait le laisser partir ainsi. Il commença à retrousser ses pas pour le rattraper quand il fut immédiatement interrompu par des paroles que lui seul entendait.

    Vous avez fait votre part du travail, dit une voix dans sa tête qui lui était familière, laissez-nous nous occuper du reste.

    Ainsi, Jonas Mandrake n’était plus l’homme fort du conseil et il fallait l’accepter. Pendant l’installation des diverses chaises, Ragnar voulut discuter de ce qu’il venait de passer, ne serait-ce qu’avec son acolyte, Rafaelo, mais il serait aussitôt réprimandé par Niklas Aldo qui semblait réellement lire dans l’esprit de tous. Mais tout fut balayé quand il vit l’activation de l’ascenseur s’enclencher et l’apparition des derniers protagonistes. Son coeur flancha quand il vit Émilie Knox arriver. Entre Raven et Knox qu’il n’avait jamais vu, il sentit laquelle était celle avec laquelle il avait échangé par voie téléphonique. Il retrouva rapidement son sérieux quand Freeman s’en alla en saluant ses acolytes. C’était de loin de le pas mystérieux de tous. Sa présence, sa tenue, tout est énigme chez lui. Pourquoi ne restait-il pas ? Cette réunion n’était-elle pas capitale ? La situation de Mandrake l’avait tellement préoccupé qu’il ne s’intéressa même pas, dans un premier temps, au personnage le plus emblématique de la Révolution. Il chercherait plus tard réponse à ses questions. L’heure n’était pas à ses pensées stériles et le Télépathe prit en main la suite de cette concertation. Maintenant que tout le monde était autour de cette table, c’était autour des As de s’exprimer. Pris d’un excès de courage, Ragnar s’élança sans trop savoir où aller.

    - Bonjour à tous, commença timidement l’As. Je vais aller droit au but, ça ne dérangera personne hein, je pense que c’est ce qui est préféré. Si l’on passe le traitement accordé à Jonas Mandrake, fit-il en dardant Payne du regard, je souhaiterais vous soumettre une première requête en lien avec ce dernier. Vous n’êtes pas sans savoir que, Rafaelo et moi-même, avons passé de nombreux mois avec Jonas après l’avoir aidé à s’échapper de cette prison de glace. Sans avoir besoin de l’humilier, et parce qu’il en avait lui-même conscience, nous avons pu constater les dégâts causés par son incarcération et savions déjà qu’il ne pourrait plus assurer sa fonction à vos côtés. Du moins, pas avant de nombreuses séances de kiné, fit Ragnar en esquissant un sourire en direction de son comparse, avec lequel il dût se moquer de la condition de leur mentor. Encore une fois, je le répète, insista-t-il en dévisageant une énième fois le colosse, il était conscient de ses faiblesses et venait justement vous en faire part.

    Il inspira et expira discrètement, retrouvant son calme habituel. Il n’était plus l’aveugle alcoolique qui ne manquait pas de se faire remarquer. Il jouait maintenant dans la cour des grands.

    - De ce fait, probablement poussé par les liens créés avec Jonas, de ses nombreux conseils apportés ces derniers mois, de ma profonde volonté d’aider la cause, comme certains ici présents pourront l’attester, je souhaiterais humblement récupérer ce poste désormais vacant. Oui, vous l’aurez compris, mon voeu est de succéder au grand Jonas Mandrake. Reprendre le flambeau de cet homme qui a donné sa vie pour ses camarades. Tenter d'être la lumière qu'il était pour permettre à ses alliés d'agir dans l'ombre, le fer de lance et le nerf de la guerre de cette armée.  

    En scrutant autour de lui, il supposa néanmoins que cela ne serait pas chose aisée, car ce dernier ne semblait pas être le candidat idéal pour ce poste ô combien important. D’autant plus que Payne Ultimo n’était certainement pas là par hasard et que sa volonté de défaire Jonas démontrait bien qu’il souhaitait également récupérer sa place. Si cette supposition était juste, s’il désirait vraiment ce poste, le petit protégé de Mandrake, durant ces quelques mois agités, ferait tout pour l’en empêcher.  Ce n’était surtout pas le moment de baisser sa garde et de se relâcher. Le vautour n’hésiterait pas une seconde pour l’achever. Cette adversité, finalement, redonna la confiance qui lui manquait précédemment.





    Dernière édition par Ragnar Etzmurt le Sam 2 Mai 2020 - 15:49, édité 1 fois
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    Le bon vieux temps des formalités et des rapports hiérarchiques. Voilà quelque chose que l’assassin avait eu le temps d’oublier au fur et à mesure du temps, dans la relative liberté d’action que lui avait laissé Ombre. Cette rivalité, cette puissance de conviction à défendre la cause fit vibrer chaque fibre révolutionnaire de son cœur. S’il avait voulu agir, il n’en aurait rien fait : cette affaire ne le concernait pas. Il n’était qu’un homme ayant demandé audience. Il avait reçu ses instructions, il s’y plierait. Il n’était pas là pour négocier ou faire valoir sa place : il jugeait avoir depuis longtemps démontré jusqu’où il irait pour la cause. Du moins, les affiches et les épitaphes en témoignaient. Qu’il le regrette ou pas … il ne pouvait changer les choses. Après tout, il avait été conditionné depuis son plus jeune âge. Ainsi ne broncha-t-il pas face aux accusations de Payn, qu’il avait salué d’un léger signe de tête – après tout ils ne se connaissaient que de nom. Il ne put que sentir une sourde colère gronder en son sein, ne lui rappelant que trop bien le jour où l’Umbra s’était scindée et qu’Uther Dol avait corrompu l’idéologie de son ordre. Le jour où la Confrérie de l’assassin s’était effondrée à cause des rats qui avaient grimpé dans le navire. Pas à cause du Gouvernement, pas à cause de la Cause. Non, à cause de l’avidité, de la nature humaine. A cause sa propre faiblesse.

    Ainsi comprenait-il Payn. Ainsi comprenait-il ce besoin d’avoir des leaders infaillibles. Il avait cheminé à côté de Mandrake. Il l’avait vu se remettre de Jotunheim. Petit à petit. Mais il ne pouvait nier une chose : il avait changé. Jonas en avait été conscient lui aussi, peut-être que le respect dont l’avaient bercé Ragnar et Rafaelo lui avait permis d’oublier un instant ses cicatrices ? L’assassin était heureux d’avoir pu lui permettre de se sentir chef encore un peu, ces dernières semaines. Mais Ultimo avait … raison. Qu’aurait-il fait, lui, s’il avait eu des doutes sur l’allégeance d’Ombre ? Exactement la même chose. Il ne détourna donc pas les yeux, et croisa le regard de Jonas. Il lui offrit toute la compassion qu’il pouvait lui adresser dans un seul regard. Il sentit sa main sur son épaule, témoignage d’un acte de passage, d’une marche vers un nouveau monde. Un instant en suspens … qui ne s’éternisa pas. L’austérité et la puissance du cœur révolutionnaire s’imposa de nouveau. Ils étaient au centre du monde, de leur monde à eux.

    Pour ajouter à la symbolique, la carte s’ouvrit sous leurs pas, pour se trouver face aux membres du DRAGON. Freeman n’était pas là, Ombre non plus. Quoi que connaissant Ombre, il aurait pu être là et agir ainsi. Quant au leader … même si Rafaelo l’avait rencontré une année auparavant, il avait toujours ce petit doute quant à sa réelle existence. C’était … à l’image du personnage. Il remercia Niklas d’un geste de la tête, et pris le temps de sonder chacun des membres du DRAGON qu’il n’avait pas encore rencontré. Il salua Raven d’un geste de la tête, se remémorant leur rencontre lors de la sécurisation de la base d’extraction de granit à Syrdaha, à Alabasta. Elle lui avait permis d’embarquer pour rencontrer Freeman après tout. Ils se retrouvaient donc naturellement à la fin du chemin.

    Face à l’invitation, l’assassin se maintint volontairement en retrait par rapport à ses camarades. Il n’avait pas la prestance guerrière de Payn ou le courage brutal de Ragnar. Mais ce n’était pas un geste de politesse de sa part. Personne n’était dupe au sein du DRAGON. Les vieilles habitudes avaient la vie dure, et il devait absolument se fondre dans le rôle qu’on lui avait attribué, afin que sa demande demeure cohérente. Il souhaitait parler en dernier, et pour cause …

    La déclaration de Ragnar fit place à un léger silence. Evidemment, Payn n’était pas là pour rien et sa velléité à destituer Jonas l’avait prouvé. Mais dans les histoires de Cause et de combat révolutionnaire, l’amitié n’avait plus rien à voir. Soit on était capable, soit on laissait sa place. Le rouquin avait eu la chance de pouvoir le faire de son vivant, enfin si on pouvait appeler cela une chance. Il grimaça intérieurement face aux demandes de Ragnar. Il avait toujours la manie de demander la permission, et il espérait que Payn n’en profite pas pour s’imposer face à lui en démontrant sa violence et sa force. Mais il préférait de loin quelqu’un qui ne penche pas pour les massacres, c’était évident : il avait suffisamment pêché par ce côté lui aussi. On ne l’appelait pas vraiment le Boucher de Goa pour rien. Il aurait été hypocrite de se défier de Payn sur ce sujet. Sauf que lui avait le sang d’innombrables marines sur les mains. Il révoquait toute forme d’ordre basé sur un autre principe que le mérite et le dévouement.

    Avant qu’Ultimo ne prenne la parole, l’assassin fit un pas en avant, se rapprochant des deux invités à la table du DRAGON.

    « Je ne suis pas venu pour ce siège-là. » annonça-t-il simplement.

    Phrase lourde de sens et de sous-entendus. Qui n’eut pas l’effet de déstabiliser le DRAGON. Soit ils étaient déjà informés, soit ils étaient … égaux à eux-mêmes. Il ne devait pas être le premier à faire preuve d’une telle arrogance devant eux. Il se recula, pour laisser le débat se dérouler : il n’avait pas vocation à parler au nom du DRAGON et ne le ferait pas. Il désirait simplement que sa demande soit traitée seulement face aux membres du Conseil et il ne parlerait pas devant autre qu’eux.

    Payn croisa son regard et s’y accrocha, du moins à ce que pouvait en voir l’assassin sous son masque : il ressentit une tension effroyable dans le regard de cet homme. De la puissance brute, un code de l’honneur sans faille. Il lui rendit son regard avec autant de force. C’était à Ultimo de parler, à présent.
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    Raven observa les trois compères du podium, d'un regard fixé au vide qui voyait tout le monde en même temps. La tension était palpable, mélange de stress et de vifs sentiments, ou ressentiments. Aucun membre du Conseil ne semblait dérangé. Niklas restait enfoncé dans son siège de façon tout à fait détendue, un léger sourire malicieux qui voulait tantôt signifier une bon, tantôt mauvais présage. Raven avait appris à décoder ses mimiques et constatait qu'il s'amusait de la vie apportée dans cette salle par le sang neuf. Mais Aldo avait la réjouissance vive et les mobiles toujours obscures. De temps en temps, il projetait des informations à l'esprit des membres siégeant. Avec le temps, chacun avait appris à traiter l'intrusion comme si le Télépathe leur parlait de vive voix. Il leur arrivait même de converser une soirée entière sans avoir à ouvrir la bouche. Ce que se demandait toujours Raven, c'était jusqu'où cet homme, chef officieux des assemblées, pouvait sonder leurs esprits.

    Emilie semblait neutre, mais Raven sentait sa gêne. L'idée de chasser Mandrake l'avait choquée, quand bien même elle y avait consenti. Pour elle, la méthode n'était pas la bonne et un mouvement qui sacrifiait la dignité de ses membres, qu'il soient de haute fonction ou non, se déshonorait autant que lui. Mais le DRAGON était-il supposé honorable ? Personne, aux extrémités des tables, n'avait l'esprit tranquille de ses premiers pas. Les réunions avaient occasionné des désaccords, des sacrifices et des actes auxquels il était douloureux de repenser. Emilie était une idéaliste et ses idéaux tenaient bon en dépit des expériences. Elle s'accrochait au but, tâchant au mieux de faire abstraction des méthodes. Parfois, il lui arrivait même de faire plier le Conseil. Raven la trouvait magistrale lorsqu'elle y parvenait.

    Quant à Sarioshi et Ombre, ils demeuraient impassibles. Le premier parce qu'il opérait une multitude d'opérations et continuait à travailler en écrivant notes sur notes sur son carnet. Des notes ? Non, ce serait trop simple. Des chiffres, des équations et symboles mystérieux qui, pour lui seul, voulaient dire quelque chose. Sarioshi avait créé son propre langage qu'il modifiait constamment. Selon l'heure, la période et d'autres éléments cryptés, il savait à quelle clé correspondait quelle note. Un bureau de milliers de synapses savants n'oeuvrant que pour transmettre des informations dans cet esprit aussi brillant qu'illuminé. Mais de tous les membres présents, il était le plus fiable. Autant qu'une horloge qui se remonte toute seule pouvait l'être.

    Ombre ne montrait rien car son escargophone n'avait pas de silence à interpréter. Elle ne l'avait jamais vu, mais ils avaient beaucoup parlé. Ombre l'avait défiée d'établir son identité sur une simple conversation. Une gageure, car Ombre changeait de personnalité comme s'il n'était qu'une balle lancée d'un membre d'une foule à une autre. A tel point qu'elle se demandait toujours s'il n'était pas le Freeman. Et s'il ne l'était pas, comment ces deux entités géraient leur relation ? Une fois, après avoir obtenu la certitude que Ombre n'était pas un jouet de Niklas, elle lui demanda s'il pensait que le Télépathe était Freeman. La réponse fut non et, sans qu'elle sache expliquer pourquoi, elle le crut.

    Rafaelo laissant la prieur à Ultimo, ce dernier répondit à Nicklas, droit devant lui, les mains rangées derrière la taille comme ces soldats au garde-à-vous.

    J'ai le même objectif que L'As Ragnar Etzmurt.

    La déclaration ne surprit personne. C'était une bonne chose, que tout ne soit pas si simple. La rivalité entre les deux hommes allait même offrir bien plus d'informations qu'un simple entretien. Raven était alerte et entendit qu'Aldo lui avait dit de se détendre par message télépathique. Ce que Payne ne fit pas, son maintien était un principe chez lui. Agacée par les interventions de Nicklas en ce lieu où tout devait être dit à voix haute, elle lui parla dans le coin de sa tête qu'il écoutait.

    Laisse les tranquilles, Nicklas. Au prochain message télépathique, tu sors.


    La menace était amusante, d'autant qu'il était enfantin pour l'homme souriant de frauder. Toutefois, il ne sous-estimait pas la perspicacité de Raven et n'était pas homme à faire des messes-basses pour parasiter le bon déroulement des choses.

    « Très bien, dit-il à voix haute sans quitter les As des yeux, plus de télépathie pour ce soir. »

    En prenant la parole, Raven vit Payne se tourner vers elle, en gardant la même position de garde-à-vous. Il allait en faire, des tours.

    « L'un de vous s'est contenté de dire ce qu'il ne voulait pas, reprit Raven. Rafaelo, l'heure n'est plus aux mystères. »


    Step three ! Nru3
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    L’assassin déglutit, puis laissa le silence s’installer. Il n’avait pas vraiment prévu de parler de cela tout de suite. Il était derrière Ultimo et Ragnar et avait pensé réserver ses paroles au Conseil dans son ensemble, et pas nécessairement à ceux qui n’étaient que prétendants. Que ses propositions soient acceptées ou non, elles devraient demeurer sous le seau du Secret. Payn le regarda de bas en haut quand il s’avança, dans son corps de frêle jeune fille. Dans son éternelle tenue noire, armé de son gantelet métallique, la fumée suintant de chaque articulation de l’objet. Le bourdonnement de la cité révolutionnaire enfouie s’imposa entre l’assassin et le Conseil quelques secondes, avant qu’il ne se décide à parler.

    « Bien … Si tous ici sont dignes de confiance, alors je pense pouvoir parler librement. »
    commença-t-il, ce qui tira un grognement à certains des membres présents.

    Il repoussa une mèche grise derrière son oreille, révélant son œil diaphane barré d’une cicatrice. Triste souvenir d’une trahison.

    « J’ai passé les dix dernières années à infiltrer et disposer mes agents dans l’ensemble des branches révolutionnaires. »

    Certaines mains se dirigèrent machinalement vers les armes à disposition. Des yeux se plissèrent. Quelques-uns esquissèrent un sourire amusé, voire intrigué. D’autres avaient déjà deviné les intentions de Rafaelo. Ou avaient connaissance de ce fait.

    « Des hommes fidèles et dévoués à la Cause, arborant le crédo de notre Confrérie et luttant selon les objectifs révolutionnaires portés par le Freeman. Chacun de mes plus anciens lieutenants m’a régulièrement tenu informé des diverses évolutions au sein de chacune de vos branches respectives. » continua-t-il.

    Cela frisait la trahison, mais n’était-ce pas dans les méthodes d’Ombre d’agir ainsi, de surveiller systématiquement ses pairs ? Bien entendu, ses lieutenants n’avaient jamais eu de rôles pouvant mettre en danger les opérations révolutionnaires et beaucoup de choses étaient ignorées. Mais c’était justement pour cela qu’il était présent. Pour faire changer les choses.

    « Et pourtant, cela n’a pas empêché l’Umbra de s’effondrer sur elle-même en 1624, cela n’a pas empêché la capture de Jonas, cela n’a pas empêché certaines personnes de mettre un pied dans notre mouvement et d’en tirer parti jusqu’à nous trahir. »


    Où voulait-il en venir, pouvaient se demander certains. Pourquoi raconter cela ? Ragnar l’observa d’un œil circonspect, c’était un aspect qu’il n’avait pas révélé. Payn, lui, semblait le prendre beaucoup moins bien. L’assassin soupira.

    « J’ai donc pris la décision de dissoudre l’Umbra et de mettre fin aux activités de ma Confrérie d’assassins et d’informateurs. »

    Le silence s’imposa, un léger sourire en coin se glissa sur les lèvres de Rafaelo. Il n’avait pas fait tout ce chemin pour annoncer cela. Il voyait les calculs se faire dans l’esprit du maître des chiffres. Des engrenages complexes se lier dans sa machinerie cérébrale. Même le silence d’Ombre était lourd de sens.

    « J’ai pris la décision de dissoudre l’Umbra car notre Révolution est un mouvement disparate. Car nous ne pouvons avoir une seule idéologie qui prône et acceptons diversité et liberté. A la condition que nous soyons unis dans un seul but : mettre à bas ce Gouvernement corrompu et vicié. Qui tire les peuples vers le bas, qui abuse de ses citoyens et promeut des lois à l’encontre des personnes mêmes qu’il est censé protéger. »


    Ce faisant, il fit un signe vers Payn et Ragnar, pour illustrer son propos. Ils avaient le même objectif mais étaient différents de bien des façons. Mais ce qu’il venait d’annoncer n’était que l’évidence même.

    « Mais dans la nature même de notre combat, nous laissons bien des individus venir à nous. Des meurtriers, des traîtres, des sadiques, des violeurs. Des êtres qui salissent notre combat, qui nuisent autant à notre Cause qu’à ceux que nous cherchons à aider. Des félons qui servent d’arme à nos ennemis pour nous désigner et faire régner la terreur au-dessus de notre aura révolutionnaire. Nous sommes pourris de l’intérieur, et de bien des manières. Mais lorsque la gangrène guette … » termina-t-il dans un murmure.

    Tous connaissaient ses activités, tous savaient le chaos que son mouvement avait causé à Goa. En grande partie manipulé par Uther Dol et Mendoza. Une révolution qui avait mal tourné, qui avait causée beaucoup de morts. Mais qui avait fini par mettre un révolutionnaire à la tête de la cité, tout en ciblant l’assassin comme coupable idéal. Il était appelé le Boucher de Goa après tout, ce qui le mettait dans la première catégorie d’ennemis à la Cause. Avait-il réellement appris de ses erreurs ?

    « Ainsi vous vous retrouvez avec deux problèmes : des membres de la révolution qui ne devraient pas y être, qui ne respectent rien ni personne sinon le pouvoir que leur procurer notre Cause. Et le second problème … des hommes et femmes dévoués à un code ancien, infiltrés dans vos rangs. Des personnes qui sont convaincues de l’intérêt de notre combat, mais perdent peu à peu foi dans la pureté de la Cause pour laquelle ils sont prêts à sacrifier leur vie. »


    De nouveau, Rafaelo chercha à ménager son effet. Il se gratta une absence de barbe. Il ne pouvait cacher être nerveux : annoncer de telles choses devant les grands dirigeants de la Révolution pouvait tout aussi bien le précipiter vers une fin anticipée de sa carrière.

    « Tu voulais que je mette fin aux mystères, Raven. C’est chose faite. »
    trancha-t-il.

    L’assassin ouvrit les bras, paumes vers le haut. Un geste théâtral.

    « Mais je suis venu vous proposer une solution. Ou plutôt, vous faire une proposition. Le Freeman l’a déjà entendue, c’est la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui. Je l’ai dit tout à l’heure, je ne suis pas venu pour le siège de la Guerre, ni pour aucun des vôtres. Je suis venu pour celui qui n’existe pas, le dernier siège des DRAGONS. Le siège du Secret. Je suis venu réhabiliter les Services Secrets Révolutionnaires, et plus précisément la police secrète révolutionnaire. »

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    Ils savaient. A moins de tous pouvoir feindre l'étonnement, tout du moins l'intrigue, ils savaient. Le petit escargophone encapuchonné regarda l'As de son ordre de ses yeux globuleux fenêtres de paupières dont même elles étaient en meurtrières.

    « Les prétendants ont entendu la proposition. A eux d'en délibérer comme s'ils siégeaient à la Guerre. Mais rappelez-vous ceci: Un membre du DRAGON parle en son nom, mais aussi en celui du DRAGON. L'avis et l'analyse doivent cohabiter.
    -Pardon ? Sursauta Sarioshi comme s'il venait d'entendre une chose qui n'existait pas. Le petit escargophone le fixa avec ce regard perçant.
    -Je paraphraserai Ombre, reprit Sarioshi, en soulignant qu'un avis est, certes, indispensable au maintien de l'humanité du DRAGON. Mais l'avis fait partie des données analysées, alors les distinguer...
    -Parce que même si nous agissons avec raisonnement, le ressenti est le coeur de ce qui nous constitue, recouvrit Emilie. C'est l'envie qui nous fait agir. Par le devoir, pour l'envie.
    -Exact, admit le petit chevelu. Ce que nous voulons vous dire, Ragnar et Payne, c'est qu'il faudra à la fois nous parler avec le coeur, mais aussi avec la tête. Par exemple, nous dire que vous mangez tel plat parce que vous avez faim et que vous l'avez préparé de telle façon pour telle raison. Juste nous dire que vous mangez, que vous avez faim ou que vous faites la cuisine sans lier ces données rendra le propos incomplet. Ou si vous préférez un autre...
    -...Je crois qu'ils ont compris, coupa Raven en levant la main.  »

    L'analyste reprit sa position initiale sans marquer la moindre frustration. On aurait dit un cyborg rebooté. Le groupe put naturellement s'attendre à ce que ce soit Niklas, jusqu'ici silencieux, qui recentre la question. Pourtant, Ombre poursuivit, d'une nouvelle intonation un brin enjouée.

    « Ragnar, tu es conseiller à la Guerre et l'As Rafaelo te soumet cette proposition ! Qu'as-tu compris ? Qu'est-ce qui est ou non pertinent ? Comment accueillerais-tu cette idée et pourquoi ? Offre-nous ta stratégie ! »


    Maintenant, tu sais.
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    Ragnar esquissait un sourire suite aux déclarations de Rafaelo. Il connaissait vaguement son projet, ayant échangés dessus au cours de leur long voyage. Malgré l’assassin qu’il était, les mains couvertes de sang, il n’était cependant pas dépossédé de bon sens. Bien au contraire. Leur duo fonctionnait bien car il était le calme et son équipier la tempête. Il était suffisamment calme et réfléchi pour tenir tête à l’amirale en chef. Personne ici, autour de cette table ou en ce bas, pouvait se vanter d’une telle prouesse. Alors oui, Rafaelo était un homme qu’il fallait écouter, que l’on soit DRAGON ou pas.

    La Révolution, comme toute organisation, comprenait évidemment des branches spécifiques, d’ailleurs plus ou moins gérée par chaque membre du conseil. D’un bout à l’autre, d’un soldat à un autre, d’une mentalité à une autre, les pensées et idéologies ne sont pas les mêmes, et encore moins interprétées de la même manière. L’homme encre avait par le passé, notamment au début de sa jeune carrière, rencontré des hommes qui se revendiquaient révolutionnaires mais qui ne semblaient pourtant pas agir pour le bien de la cause. Qui avait véritablement raison ? Probablement celui qui se trouvait ici, en ce lieu secret, face à ces hommes et femmes exceptionnels, pensait-il. Le gouvernement possédait sa propre police internes, il n’était de ce fait pas illogique que la Révolution en fasse de même.

    Mais les diverses pensées furent rapidement balayées par l’intervention d’un homme dont on attendait pas forcément la venue : Ombre. Le test était donné et il fallait assurer sa place. Ragnar devait commencer son discours et, pour enterrer son concurrent, il devait faire forte impression dès maintenant. Penser avec le coeur, hein. Des deux postulants, l’homme aux cheveux roses avait certainement le plus gros organe des deux. En connaissance des antécédents de son adversaire du jour qui, de son côté, semblait réfléchir avec sa rage uniquement. Mais la scène vécue quelques minutes plutôt à l’encontre de Jonas démontrait tout de même une certaine maîtrise du sujet. Ragnar ne pouvait même pas se permettre de paniquer car Niklas Aldo le sentirait instantanément. Il était déjà certainement en train de sonder son esprit.

    - Merci de m’accorder la parole, Ombre, dit-il avec assurance.

    En effet, s’il souhaitait récupérer cette place, il n’était pas question de se rabaisser tel un moins que rien. Il était leur égale.

    - La proposition de l’As Rafaelo, continua le révolutionnaire en esquissant un sourire en direction de son camarade, nécessite effectivement une certaine réflexion. Créer divers organismes gravitant autour de notre pensée, c’est comme employer des sous-traitants pour faire un boulot qu’on ne veut pas faire. C’était plus ou moins le cas avec l’Umbra.

    Il resta fort et fier face à son public, mais gardant tout de même un doute sur la pertinence de ses propos. Ses pensées furent tous les récits qu’il entendit autour de cet homme, cet assassin que l’on appelait aussi le « boucher de Goa », laissant imaginer le carnage provoqué par ce seul personnage. Au fil de son discours, ses mains partait dans plusieurs directions pour illustrer son propos.

    - Nous avons tous au moins un exemple d’un camarade, que l’on pensait loyal et fiers de combattre pour la cause, mais qui n’était en réalité qu’un sbire du Gouvernement. Nous avons tous l’exemple d’un camarade, avec lequel nous avons partagé moult missions, mais qui a un jour franchi la limite de ce que l’on peut tolérer, et que nous avons dû tuer ou appréhender nous-même ensuite. Nous avons tous l’exemple de ce sentiment d’impuissance déjà ressenti quand on se retrouve nu face à l’une ou l’autre de ces situations. Ce que propose l’As Rafaelo, notamment avec la réhabilitation de sa police interne, c’est justement de gérer toutes ces dérives que, nous autres, ne contrôlons pas forcément.


    Son regard se tourna lentement en direction de « l’Oeil du Juste ».

    - Raven, tu es l’oeil droit de Freeman, celui de la Révolution, celle qui nous guide en ces eaux troubles. Rafaelo serait alors son oeil gauche, celui de la Révolution, celui qui nous permettra, en interne, de nettoyer notre belle pensée de ceux qui la salissent.

    En terminant, il observa une nouvelle fois tout le monde d’un oeil bienveillant, laissant presque apparaître un sourire heureux.

    - Mes frères, mes soeurs, dites-le moi, à quoi bon se battre si nous ne sommes pas liés ensemble ? À quoi bon se battre si notre mouvement est dispersé dans toutes les directions ? À quoi bon allumer des lumières si d’autres, chez nous, les éteignent ?

    Le sourire s’échappa brièvement pour laisser place à un regard plus sérieux.

    - Comportons-nous en bons Pères, soyons justes et bienveillants envers nos frères. Tous les faits cités par l’As Rafaelo doivent être sanctionnés, et non aveuglément acceptés, sous prétexte que l’individu est utile à la Cause. Il ne l’est pas. C’est d’ailleurs le contraire quand on fait les comptes. Alors laissons à cet homme, dont l'expérience, la maîtrise et la fidélité ne sont plus à démontrer, réaliser cette tâche que lui seul peut accomplir.

    Il conclut sur ces mots. Il replaça de nouveau ses mains dans le dos, attendant la réponse du jury. Il ne savait pas s'il disait juste, mais il parlait néanmoins avec le coeur.


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    Dans le silence total de la pièce, le pas de Payne sembla tonitruant. Lui qui avait tenu un silence religieux, y compris lorsqu'il était pris à parti, respira profondément, mains sur les hanches, avant de s'adresser au Conseil, face tournée vers l'escargophone d'Ombre.

    En tant qu'As, je m'en fiche. Je pense que ma branche s'est déjà occupée de scanner mon dossier, alors que ça soit fait par mes supérieurs ou une branche dédiée à ça, c'est votre truc à vous. J'ai confiance. Sur le plan personnel, je suis assez impressionné par ce qu'a fait Rafaelo et trouve qu'il a des couilles de venir dire qu'il a infiltré des branches autres que la sienne. J'avoue que je l'ignorais, ça a eu son petit effet dans mon casque. Mais c'est bien d'avouer, visiblement c'est la soirée confidences. Je vais moi aussi jouer cartes sur table en prenant la parole en tant que futur Conseiller de la Guerre théorique.

    Ultimo parla pour tous, en pivotant après quelques phrases pour n'offrir son dos à personne. Il incluait également les deux égaux aux escale de son tourniquet.

    Sur ce plan, j'ai un tas de questions qui gravitent dans ma tête. La première, c'est de savoir pourquoi Rafaelo respire encore ? Un tissu qui se déploie là où il n'est pas supposé aller, c'est ce qu'on appelle une tumeur. J'imagine que le DRAGON a identifié sa nature bénigne, mais quand même, pourquoi l'avoir laissé se répandre au lieu de simplement l'inviter à garder sa place ? Première question.

    La seconde, c'est qu'est-ce qu'il cherche ? Suffit pas de te signaler qu'on t'a inoculé un produit sans que tu le saches et que ce produit aurait pu te nuire pour prouver que t'es honnête. Il l'est aujourd'hui, mais son honnêteté se marchande en échange d'une place au Conseil. J'appelle pas ça être un bon As de la révo, j'appelle ça manœuvrer pour creuser son trou. Sur ce plan, je préfère Ragnar, qui demande humblement une place au lieu de fourrer son nez où il ne doit pas.

    Troisième question: de quelle révolution il parle, au juste ? J'ai l'impression de lire un beau prospectus où tout le monde il est beau tout le monde il est gentil, mais qui y croit, à son projet ? Détruire un organisme corrompu et vicié, le Gouvernement Mondial. Soit, je signe. Mais si le but est de démolir tous les organismes corrompus et viciés, c'est pas un Conseil du Secret que Rafaelo va devoir prendre, c'est la tête du Freeman pour phagocyter son propre organisme.


    C'était là le moment que Payne avait choisi pour se tourner vers Rafaelo. Derrière sa visière opaque et son corps si bien fixé au sol que même Mandrake avait peiné à le faire bouger, seule son épaisse mâchoire bougeait, pour lancer des paroles froides et constantes.

    Je n'exclus pas que ce soit son objectif à terme, du reste. Il a constaté son échec de nettoyage parfait et d'informations infaillibles avec plusieurs mésaventures, soit. Un soldat normal en aurait fait son parti et aurait voulu apprendre de ses erreurs. Rafaelo, il se dit que s'il avait plus de pouvoir, ça irait mieux. C'est ce que font tous les dictateurs, ils ne connaissent la remise en question que par la même méthode, mais avec plus de puissance. C'est aussi à peu près la définition qu'on donne aux fous et pas deux des jeux d'échecs cette fois. Mais revenons à son projet, en souhaitant qu'il soit réalisable.


    Il décrocha de Rafaelo pour lui tourner le dos et poursuivre son exposé. Puisqu'on demandait d'être complet, il jouissait d'une liberté de parole qu'il prenait sans se faire prier.

    Comment ? C'est beau de dire qu'on veut assainir nos rangs, mais c'est quoi la formule magique pour un truc qu'aucune organisation de plus de mille personnes n'a jamais réussi à faire ? On parle de politique là, pas de morale. Tu veux jouer la police avec un taré qui prend plaisir à tourmenter les agents du Gouvernement capturés ? Très bien, lui chatouiller les pieds mettra plus de temps, mais on aura les mains propres. Tu veux confier la torture à des gens qui sont tout beaux tout propres ? Ben t'auras pas les mêmes résultats en fait, en plus du risque de les rendre tarés. Tu veux des gentlemen à la guerre, qui ne violent pas et ne tuent pas plus que de raison ? Faudra un agent derrière chaque soldat rien que pour ça, sans parler du fait qu'on a dans nos rangs des gens qui ont subi ce qu'on leur reprocherait de faire, pire encore. Je suis pas sûr que le type qui a tiré six ans à Tequila Wolf et s'engage chez nous, parce que sa famille a nourri des chiens et son village un incendie volontaire, accepte facilement d'être jugé par un gentil petit monsieur en costume qui vient lui expliquer que la rage, c'est mal m'voyez ?

    Notre armée révolutionnaire est composée de tarés, d'enragés et de fanatiques. Il faut être de base un marginal et un désaxé pour s'opposer à un puissante machine qu'est le système; je veux dire s'y opposer activement, l'arme à la main. Nous sommes tous l'héritage d'un Gouvernement qui nous a poussé à bout. Et il faudrait aujourd'hui juger ces gens qui n'ont pas d'autre moyen de s'exprimer que la violence ? En quoi pensons-nous être le bien, au juste ? Parce que l'autre camp dit que c'est lui et qu'on n'est pas d'accord ?

    La dernière question, c'est sur ce qui concerne ses critères de sélection. Je n'ai pas arrêté de me faire soupçonner d'être un arriviste depuis qu'on est ici, potentiellement un traître, par celui qui veut être la police de demain. De ce que je peux imaginer, ça veut dire que je suis déjà dans sa mire alors que mes états de service sont plutôt bons et qu'il n'a vu de moi qu'un type qui sécurise cette réunion avec l'aval du Freeman. On peut me penser arriviste et faux, mais je viens de dresser un portrait tout aussi peu reluisant de Rafaelo et de quoi largement avoir son dossier en tête de pile du chef du Secret.


    « Nous avons compris, Ultimo. »  coupa doucement Knox en levant la main. Elle se leva de son siège en chuchotant presque qu'elle en avait pour trente secondes. Emilie attendit même le signe de tête de l'As pour parler, ce qu'elle fit avec une voix cristalline et fraiche, de celles qu'on ne trouve que chez les jeunes femmes au cœur pur.

    « J'avoue moi non plus ne pas beaucoup aimer voir nos trois As s'entredévorer, que ce soit de façon directe ou en sous-entendus. Personne ici n'est soupçonné de trahison. Vous avez tous notre confiance. S'il vous plait, défendez vos places, mais pas en fustigeant les autres. C'est pénible. Pensez que deux d'entre vous seront peut-être bientôt collègues, égaux et une des têtes du DRAGON, ou DRAGONS. Pour toutes les questions personnelles, faites-nous confiance. Arrêtez vos regards en chiens de faïence, s'il vous plait. Cela ne donne envie à aucun d'entre nous de vous avoir à nos côtés. Merci de m'avoir écoutée. »

    Elle reprit place comme une souris se réfugie dans son trou. Pour autant, Knox n'en n'a pas l'allure frêle. Elle était plutôt cette personne qui possède la force et veille à ce qu'elle n'incommode personne. Resté sur elle, Ultimo hocha de la tête, avant de reprendre, lui aussi, sur son autorisation.

    Très bien, je retire mes accusations envers Rafaelo et lui adresse mes excuses. Restent les doutes sur sa méthode, mais je vais parler de mon propre exemple en le projetant.

    Ce qui me permet de tenir, c'est de ne pas tuer de marines. Il y en a qui trouvent ça con. Pour moi, ce sont des soldats qui font leur boulot, comme nous, et c'est à eux de se juger entre eux. Comme nous. Mais la plupart, sinon la quasi totalité des révolutionnaires en tuent. Pas le choix, je ne reproche rien. Faut sacrément dominer son terrain pour avoir le choix entre épargner ou non. Un luxe extrêmement rare. Mes actions sont souvent couronnées de succès, mais de par mes principes, je ne peux en accomplir beaucoup. Trop de temps passé à étudier mes cibles.

    Si moi je pense que tuer des marines fait mal voir le DRAGON, est-ce que j'ai pour autant le droit, les moyens et de la pertinence en sommant les collègues de ne pas le faire ? Ou de justifier chaque meurtre ? Ma police voudrait, avec les meilleures intentions du monde, un organisme propre, qui ne fait pas de victime collatérale. Et tout ce que j'engendrerais, ce seraient de faux rapports, des arrangements entre les soldats pour coller à ce que le Secret veut, mais sans oublier la réalité du terrain. Je nous priverais aussi d'une part de bonnes recrues qui ne sont bonnes qu'à tuer autrui et même mon idée de promouvoir une révolution propre ne collerait pas. Car chaque échec serait mis en avant par le Gouvernement au détriment du reste, sinon inventé dans les organismes de presse pour affirmer qu'on tue des innocents et qu'il faut nous arrêter. On ne peut pas assainir un tel organisme, c'est trop complexe. C'est ça, que je dénonce.

    Rafaelo ne devrait pas tenter de purger nos rangs selon ses critères à lui, pas même ceux d'une tête unique qu'est celle du Freeman. Notre leader est humain, suppose-t-on. Donc lui aussi se trompe parfois. Si la police est répandue dans chaque branche, c'est précisément pour permettre au DRAGON, dans son ensemble, de statuer. Laisser un pouvoir d'enquête sur les autres secteurs par un qui se voudrait immaculé, j'y crois difficilement. Il faudrait très peu de soldats en son sein, une transparence totale et régler les guerres de services. S'assurer entre chaque repas que les membres principaux du Secret sont absolument sûrs aussi, sans quoi tous les services seraient compromis. J'ignore si nous sommes capables de ça. Je finirai sur ce flou, ma conclusion n'est ni pour ni contre car le concerné n'a pas encore eu l'occasion de répondre à mes réserves.


    Il se tut et reprit une position de soldat en attente d'instructions. Nicklas avait attendu la fin de l'exposé pour faire coulisser dans un petit grincement de plastique sa bouteille, avec laquelle il se servit un verre.

    « Vous avez été judicieux de prendre des bouteilles d'eau.  »

    Son ton chantonnant, hors du cadre, fit sourire quelques têtes. D'autres en profitèrent pour se désaltérer. Cette petite pause improvisée permettait de faire un point rapide à chacun. Ceux qui voulaient boire purent constater que leur eau, sans devenir glacée, était refroidie et les parois du plastique marquées de quelques flocons de neige. Emilie en profita pour laisser la neige tomber dans la sienne au rythme de sa fonte, ce qui offrait un petit effet de sablier aux grains lents. Elle reprit la parole, avec cette éternelle douceur humaine dans le timbre.

    « Merci pour vos retours, à tous les deux. Rafaelo, il y a eu beaucoup d'éléments apportés. Il est clair que ce n'est pas un interrogatoire et que tu ne peux rebondir sur chaque phrase. Néanmoins, une chose m'a interpellée plus particulièrement. Le comment. Ta demande t'a demandé un temps de réflexion. Je ne doute pas que la question du comment te soit venue avant de venir en parler avec nous. Donne-nous plus de détails là-dessus s'il te plait.
    - J'aimerais que la même question soit posée à Ragnar, si le Conseil est d'accord. Ragnar veut siéger à la Guerre et a bénéficié d'un guide de premier plan pour assurer la relève. Comment compte-t-il opérer ?
    - C'est un problème à trop d'inconnues, Aldo. Il n'a même pas eu accès aux dossiers des affaires en cours.
    -Jonas non plus n'en possédait pas quand il a rejoint le DRAGON, contra avec sourire le Télépathe. Allons. Ce n'est pas une question qualificative. Appelons ça de la curiosité. »


    - Notre monde vaut la peine qu'on se batte pour lui !

      Si les mots de Ragnar étaient teintés par l’amitié qui liait les deux individus, l’assassin pris sur lui pour ne pas laisser exsuder l’agacement que lui valait Ultimo. Il serra les dents, tordant son minois en un masque aussi neutre que possible mais malgré tout teinté de colère. Il se garda bien de répondre, et espéra que son mantra ne coulait pas trop hors de lui, révélant ses sentiments quant à cette intervention. Peu avaient réagi à son annonce. Et comme le disait Ultimo, s’il respirait encore, c’était que les choses étaient plutôt connues en ce sens. Il valait mieux, au fond. Cela simplifierait les choses. Maintenant qu’il avait avancé les pions, il ne restait plus qu’à faire entrer les autres pièces dans la danse de l’échiquier. Il ne put se retenir un sourire en coin, lorsque Payn en arriva à sa diatribe d’excuses et d’auto justification. Il resta bien sage, les bras croisés. Il attendait son tour. Il remercia Emilie d’un geste de la tête, non sans remarquer qu’ils étaient loin d’être les seuls à être dotés de grands pouvoirs. Et de grandes responsabilités, bien entendu.

      « Merci Emilie. Et ne t’excuse pas, Ultimo, tu parles avec ton cœur et en cela je te remercie. Ton franc parler t’honore. »
      répondit l’assassin, sans sourire.

      Ses yeux le trahissaient. Peut-être aussi glacés que pouvait se révéler Emilie en des temps moins … propices. Il n’en avait pas fini avec le prétendant au trône de la guerre pour autant.

      « Je vais tout de même revenir sur un point qu’a soulevé Payn. Quelque chose qui lui fera peut-être réaliser que nous sommes très nombreux à mener le même combat. Je suis un assassin. J’ai le sang d’innombrables Marines sur la main. Que ce soit sur le champ de bataille, ou dans les allées sombres, j’ai tué de nombreuses personnes. J’ai trop de fois été juge et bourreau et comme tu le dis, tant de pouvoir fait tourner la tête à bien des gens, raison pour laquelle ces éléments ne devraient pas être entre les mains d’une seule personne. Uther Dol en est l’exemple. En cela, cette tumeur a dû être excisée. Mais toute mutation n’est pas cancer. Ce n’est pas l’outil qu’il faut cibler, mais l’artisan. En cela, je ne viens faire qu’une chose ici : vous proposer un nouvel outil. Car je pense à une chose, Payn. Que ferons nous, après avoir gagné ? Que ferons nous, une fois le Gouvernement mis à mal ? J’ai affronté l’amirale en chef, il y a peu. Et j’ai survécu. N’est-ce pas là une preuve qu’un jour, même quelqu’un comme moi, issu des fanges du Grey Terminal, pourrait changer quelque chose à ce monde ? Alors imaginez donc nous tous … » conclut-il en embrassant l’assemblée d’un geste de la main.

      Il s’avança et se posta à côté du soldat, puisqu’il transpirait cette impression de tous ses pores.

      « Je ne parle pas d’une surveillance systématique, je ne parle pas d’un ombre derrière chaque héraut de la Révolution. Je parle de limiter les débordements. Nous ne sommes pas ici pour encourager les criminels à piller et brûler sur la simple opposition au Gouvernement. Sinon, nous ne valons pas mieux que les pirates, avec qui j’ai fait bien trop de concessions ces derniers temps. Nous ne sommes des criminels que dans l’essence de notre combat. Nous ne sommes des désaxés que dans notre opposition au Gouvernement. Mais nous ne sommes pas dans la Révolution pour lutter pour neutre seul égo, du moins pour la plupart. Si nous n’avons pas à cœur d’œuvrer pour la majorité, alors cela ne sert à rien de continuer. »
      continua-t-il d’un ton amer.

      Il inspira, se saisit de la bouteille d’eau avant d’en boire quelques gorgées. Il s’apprêtait à parler, et plus que d’habitude, ce qui n’était pas peu dire. L’assassin expira, replaça une énième mèche grise de cheveux derrière ses oreilles et toucha pensivement sa cicatrice. Personne ne lui avait encore demandé à quoi il devait cette apparence et il les en remerciait. Il espérait juste qu’ils étaient déjà au courant et qu’il n’aurait pas à se justifier. Le prix pour aider Jonas avait été … élevé. Et la suite s’annonçait pire encore. Teach … Enfin bref.

      « Le comment … »
      murmura-t-il avant de prendre une grande inspiration.

      « Le comment est déjà en place, pour être honnête. Mon ordre avait pour objectif de collecter les données sur certaines cibles gouvernementales pour cibler et établir la culpabilité de certains d’entre eux. En les disséminant sur les autres branches, ils ont principalement servi d’espion et parfois d’assassins. Chaque personne rejoignant la Révolution est notre force vive. Mais nous devons être un mouvement structuré pour permettre une unité et faire face à la force militaire de la Marine et du Gouvernement. Ça, c’est votre rôle, entre autres. »
      fit Rafaelo, en désignant Payn et Ragnar, sans prendre parti.

      « Ce que je propose, c’est que tous les cas dissidents soient évalués. Et que des sanctions soient appliquées : apporter de l’ordre et de la cohésion en cessant d’être un mouvement disparate face à la machine gouvernementale. Je ne parle pas de Justice, Payn, je parle bien d’unité. Et crois-moi, je sais ce que faire parler un homme veut dire. Et tu as raison : il y a des choses que notre lutte nous force à faire … Bref. Je n’ai pas de meilleur exemple à vous opposer que les armes de notre adversaire : le controversé et vicieux Cipher Pol 0. Une police des polices. Un organisme qui permettrait que les têtes pensantes de notre Révolution soient des personnes intègres et ayant à cœur notre combat : minimiser les pertes civiles, faire face au Gouvernement, aptitude à commander. Que cette force vive soit un relai d’information sur nos troupes et nos hommes, remontant directement aux DRAGONS et leur apportant information et indices sur nos troupes, nos mouvements et nos hommes dans l’ensemble des branches. Ombre est tourné vers notre ennemi, mais le fait de diriger notre regard dans une direction nous oblige à tourner le dos à l’autre direction. »
      poursuivit l’assassin avant de marquer une pause.

      Un mince rayon de fumée s’échappa de ses doigts, alors qu’il dessinait un cercle dans les airs. La fumée prit la forme d’un serpent qui s’entortilla et tourna sur lui-même avant de se mordre la queue.

      « Au sein de l’Umbra, ce projet avait pour nom Ourobouros. Seuls mes plus fidèles lieutenants en avaient connaissance. Ceux qui sont restés après le schisme et qui m’ont aidé à traquer et éliminer les dissidents de mon organisation. En cela, Payn, tu n’avais pas tout à fait raison : je ne suis pas venu avec la même méthode, ni avec les mêmes objectifs. J’ai appris que chaque homme avait son prix, et que je préférai le découvrir avant que lui-même ne le découvre. S’en est suivi un nombre incalculable de dommages. Raison pour laquelle, il me semble, qu’il est impératif d’anticiper les failles et de limiter l’infiltration de nos ennemis dans nos rangs. Tout comme il est impératif d’assurer que nous suivions tous la même ligne. Ainsi donc, cette police des polices rendrait compte aux DRAGONS, ayant pour responsable le siège du Secret. En ayant des hommes dans toutes les branches, il y aurait deux bénéfices : remonter des informations plus rapidement que sous toute autre voie, et s’assurer d’une vision globale pour l’ensemble des DRAGONS. Car si le Secret serait à la tête de cette division, les décisions reviendraient aux DRAGONS dans l’ensemble, notamment dans les cas les plus graves.

      Comme tu le dis, Payn. Il est utopique d’appliquer ces principes à l’ensemble du mouvement. Mais il y a beaucoup d’affaires non traitées qui reviennent souvent à mes oreilles : des massacres inutiles, des revendications déguisées pour décrédibiliser notre mouvement, des pillages et autres réjouissances. Ces éléments nous sont nocifs. Mais la guerre … c’est la guerre, certes. Quant aux actions de certaines personnes ayant des postes à responsabilité dans notre organisation, pouvant faillir à tout moment … je pense qu’il est important d’avoir un œil dessus. C’est en cela que réside le Secret. Ce n’est pas une chasse aux sorcières que je vous offre, mais la possibilité de regarder au sein de nos hommes et de séparer une partie du bon grain de l’ivraie.

      Pour l’opérationnel, il s’agit simplement d’un centre de communication crypté en plusieurs endroits et plusieurs relais, avec des rencontres en face à face selon les besoins. Ce dispositif est encore à l’état d’embryon, il s’agit d’un service de renseignements interne qui ne peut se développer qu’avec l’aval des DRAGONS. Donc, même si je vous expliquai comment je souhaite mettre en place le Secret, cela ne pourrait se faire sans votre aval à tous, et votre propre connaissance de vos branches. C’est pour cela que révéler mes plans n’était pas … si problématique. Car sans votre soutien à tous, cela ne pourrait se faire. Et quelle meilleure façon de procéder que d’unir les DRAGONS dans cette démarche … »
      termina-t-il.

      L’assassin se recula d’un pas et rappela le serpent de fumée d’un geste au sein de son gantelet métallique. Il glissa ses pouces à sa ceinture, et attendit sa sentence. Il en avait beaucoup dit sans rien dire non plus. Principalement parce que la méthode pour mettre cela en place serait coûteuse en moyens, qu’il n’avait pas pour l’instant. D’autant plus que ce serait inféodé aux divers fonctionnements des branches, ce qui rendrait cette uniformisation un peu plus complexe, mais apporterait tout de même une forte cohésion, de son propre avis. A l’époque de l’Union Révolutionnaire, il avait tout d’abord refusé de joindre l’organisation car trop disparate à son goût et pas adaptée à sa propre vision des choses. Il avait été formaté depuis son plus jeune âge à la manière des membres du Cipher Pol, à tel point qu’il en arrivait presque à en proposer un pendant Révolutionnaire. Mais même si l’ennemi restait l’ennemi, il ne fallait pas jeter aux orties toutes leurs idées … Tant que cela servait la Cause, c’était juste. La question du maintien ou non d’un tel siège viendrait après la victoire.
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      Le sensation d’être dans octogone avec un combattant enragé en face de lui. C’était ce que pensait Ragnar en cet instant. Payne représentait un adversaire redoutable et, en temps de guerre, il serait très heureux de se retrouver à ses côtés. Néanmoins, serait-il qualifié pour ce poste ? Ragnar l’était-il plus que lui ? Bien trop tôt pour en juger. Ce n’était pas sans compter su Émilie pour détendre l’atmosphère. Elle avait raison sur ce point et il ne put s’empêcher de sourire bêtement. Cette chère Émilie Knox, il en était tombé dès le premier où sa voix résonné à travers un escargophone sur cette foutue île de Little Garden. Cette petite pause fit du bien aux méninges de chacun. L’As lui-même put souffler un peu et c’était pour cela qu’il pouvait songer à son avenir aux côtés de la demoiselle. Mais les entretiens devaient reprendre et on ne perdait pas de temps à se remettre en scelle. Ce pauvre Rafaelo, venu discrètement, était au coeur des débats. Mais il ne se démonta pas et entama vaillamment sa défense. Calme, posé et précis, comme toujours. L’homme aux cheveux roses ne put s’empêcher de se gratter la tête quand camarade pointa du doigt les concessions faites avec les pirates. Il était plus ou moins fautif de cela. L’assassin recula le temps de laisser les membres du Conseil délibérer, mais il semblerait que ces derniers attendaient encore quelque chose, surtout Niklas. Le prétendant au poste du siège de la Guerre avança d’un pas et fit face à ses possibles futurs collègues.

      - Question intéressante quand on sait qu'elle fut l'un de nos sujets de conversation avec Jonas. Étant le plus clair de mon temps sur le terrain, je vais d’abord vous parler de mon expérience personnelle. Les choses ont un peu changé depuis que je me suis engagé dans l’armée, notamment avec la création d’Aden, qui est un véritable havre de paix. Sur les mers bleues, un nouveau partisan ne se sentira pas seul. Ce n’était pas forcément le cas autrefois. J’ai commencé seul et dû faire mes armes seul, sans l’aide de personne. Je me suis fait des amis, qui me sont fidèles et qui combattent toujours à mes côtés. Sans trop m’étaler, j’ai presque toujours agit de mon propre chef, participé à des batailles parce qu’elles me semblaient justes, ou tout simplement monté des milices moi-même.

      Il se retourna vers Émilie Knox.

      - Ce fut le cas jusqu’au jour où Émilie me contacta. Peut-être que cette décision fut d’ailleurs prise collectivement. Bref. J’ignorais encore à cette époque qu’il existait un DRAGON. Je m’informais peu à l’époque. Suelto Visconti, mon fidèle compagnon, était mon journal personnel. Mais mon cas n’est évidemment pas isolé. D’autres se battaient et se battent encore seuls, dans leur coin, sans ligne directive. Ils attendent peut-être un appel de l’un d’entre vous. Actuellement, nous n’avons rien. Pas de projet, si ce n’est un but assez vague, peut-être trop ambitieux pour un pauvre novice. Anéantir le Gouvernement est une chose, camarades, mais nous n’y arriverons pas ainsi. « Step by step », m’a dit un type.

      Le regard intense dans lequel on pouvait y voir un brasier, Ragnar se tourna vers l’ensemble des personnes présentes.

      - Moi, occupant du siège de la Guerre, je réorganiserai les objectifs de nos troupes. Nos occupons plusieurs zones géographiques et chacune aura des objectifs clairs et précis, du plus simple au plus complexe. Donner des objectifs, c’est avant tout rassembler des hommes vers un but commun. Ce qui n’était pas réellement le cas jusqu’à présent. Chacun agissait de son côté, demandant des renforts par-ci et par-là, pour mener sa propre Vendetta. Moi le premier, camarades, c’est pour cela que je tiens à en parler. Ne serait-ce que pour sauver Jonas, j’ai dû m’allier à des pirates. Mais je reviendrai dessus un peu plus tard.

      Il poursuivit sans s’arrêter.

      - Moi, occupant du siège de la Guerre, je tiens à revoir le système hiérarchique mis en place et le rendre plus stricte, dans l'idée surtout de le rendre plus compréhensible. Là, encore et toujours dans le but d’unifier nos hommes, les amener à s’unir pour être meilleur. Des grades réfléchis avec des responsabilités pour chacun d’entre eux. En guerre, si nous ne sommes pas coordonnés, nous courrons à notre perte. Sans savoir qui dirige et qui doit obéir, c’est déjà très mal engagé. Notre armée n’est absolument pas organisée. Nous sommes des enfants dans une cour de récréation qui courent derrière un ballon pour marquer un but. Sauf qu’il n’y a pas de poste et d’organisation tactique. Chacun souhaite marquer son but, peu importe comment.

      Ragnar leva la tête vers le plafond et songea quelques instants. Pis il retrouva son aplomb.

      - Moi, occupant du siège de la Guerre, je souhaiterais dès maintenant vous soumettre une suggestion. Penser que notre seul ennemi est le Gouvernement serait une erreur cruciale. En effet, vous n’êtes pas sans savoir que certaines personnes dans ce bas monde peuvent se montrer plus impitoyables que notre ennemi. Avant de m’intéresser à la lutte de l’armée Révolutionnaire, je combattais essentiellement pour la libération des esclaves. Évidemment, l’essentiel de ce commerce était détenu par le Gouvernement, mais il serait naïf de penser qu’ils en ont le monopole. Des individus comme Manfred D. Teach sévirent et répandent le Mal dans ce monde. Esclavagisme, trafics d’organes, d’enfants et de femmes. Ils n’ont absolument aucune limite et fermer les yeux dessus serait une insulte à notre idéologie.

      Reprendre son souffle s’impose.

      - Ainsi, moi, occupant du siège de la guerre, je continuerai évidemment la lutte contre le Gouvernement, mais je ne fermerai jamais les yeux sur ce qu’il se passe autour de nous. Je lutterai, pas sans votre accord, avec toutes les forces dont je disposerai, aussi bien dans notre vivier qu’ailleurs, pour éradiquer la gangrène et couper les mauvaises herbes. Vous l’aurez sans doute compris, mais si certaines situations extrêmes l’exigent, s’il me faut m’allier avec des pirates dont les idées se rapprochent des nôtres, je n’hésiterai pas. Si même un membre de la marine propose son aide pour une bataille commune, je n’hésiterai pas. J’exagère volontairement l’idée mais vous avez compris.

      Ses yeux continuaient de brûler intensément. On pourrait croire que jamais la flamme ne s’éteindra.

      - Moi, occupant du siège de la Guerre, m’engage à honorer mes fonctions et à donner tout ce qu'il y a de meilleur en moi pour la Révolution. Je tâcherai de faire au moins aussi bien que le dernier occupant, ne serait-ce que pour lui rendre hommage.  


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      Ainsi parlèrent les trois. De longs discours, ponctués d'un silence qui semblait plus long encore. En chaque esprit, les têtes du DRAGON devisaient sans mots, sondaient, considéraient les paroles prononcées comme des incantations invoquant une décision, proche et inaltérable. Raven fut la première à le voir, mais tous comprirent tour à tour. Aldo, Président du Conseil, allait bientôt appeler chacun à décider du destin des prétendants. Tous n'accueillaient pas l'instant avec la même sérénité.  Seul Ombre semblait imperturbable, au point de songer qu'il coupât son escargophone pour se résoudre à la plus pudique des réflexions. La vois du télépathe reprit place, offrant un délai supplémentaire à qui en aurait encore besoin.

      « Aux alentours de Suna Land vivait une vieille fabricante de poupées. Elle en cousait les vêtements, cuisait elle-même la porcelaine de leur peau et allait jusqu'à chasser de ses mains les animaux aux poils suffisamment soyeux pour servir de cheveux à ses modèles. Le résultat était sans précédent, car là où nous voyons tous à quoi ressemble la froideur de ces poupées, ici la peau semblait chaude, les traits criant de réalisme et certains juraient même voir les jouets changer de mimique, selon les subtilités de l'éclairage. Mais surtout, elles étaient belles, d'une beauté qu'aucun autre fabricant, fut-il isolé ou machine, ne pouvait reproduire.

      Les enfants qui s'amusaient au parc d'attractions de Suna Land adoraient le petit stand modeste de la vieille dame, car en plus de les exposer et de les émerveiller, elle les mettait en scène comme une marionnettiste. Les poupées avaient toutes leur nom, leur caractère et même la voix, vieille et usée de la dame âgée, prenait des tons diaphanes et puissants comme seules les jeunes enfants peuvent en produire. Malice de sorcière alchimiste ? mécanisme caché ? fruit du démon ? Rien de tout cela. La fabricante ne devait ses prouesses techniques qu'à l'amour du travail et du merveilleux qu'elle voulait apporter à ces enfants, dont elle avait fait partie il y a si longtemps.

      Un jour, un être, lui, mystique, admira la collection de poupées. Il la trouva si épatante qu'il offrit une poudre à la vieille dame, avec l'assurance que si elle en distillait dans sa terre au moment de la cuire, la poupée prendrait vie. La fabricante voulut faire plaisir en honorant le cadeau qui lui était fait et, un jour, elle employa la moitié de la poudre. Sa poupée, sitôt achevée, l'appela "maman", d'une voix que l'artisane n'avait jamais entendue. Surprise, puis émerveillement! La poupée bougeait, riait et aimait seule, sans personne pour lui dicter ses faits et gestes. La vieille dame avait littéralement donné vie à ses créations.

      Elle exposa son modèle vivant. Les enfants n'en crurent pas leurs yeux. Ils en voulaient tous une. Comment le leur reprocher ? La vieille fabricante ne pouvant se résoudre à vendre sa première-née, elle employa le reste de la poudre, en quantités infimes, pour façonner d'autres êtres vivants. Et à sa grande surprise, le résultat fut, sinon aussi merveilleux, tout autant efficace que celui de sa fille à elle. Une petite troupe de jouets automates remplaça toutes les anciennes créations et, à la fin de sa journée, son échoppe était vide et les rues remplies de rires d'enfants de chair et de porcelaine. La seule chose à laquelle la vieille dame veillait était de vendre ses modèles à des bambines responsables et accompagnées de leurs parents. Car les poupées, pour rester en vie, réclamaient parfois de l'eau ou des haricots crus. Elle ne voulait pas que ces créatures, même si elles étaient des jouets, soient maltraitées.

      Malheureusement pour la fabricante, quand elle revint le lendemain avec des poupées classiques, plus personne n'en voulait. Où sont les poupées qui parlent, demandaient les uns ? Je mettrai trois fois le prix que vous en demandez, clamaient les autres. Mais la vieille fabricante n'avait plus de poudre miracle, elle n'avait plus que ses dons de l'artisane la plus douée au monde. Cela ne suffit guère et, cette fois, elle ne fit plus aucune vente, pas plus que le lendemain, ni le surlendemain. Elle qui était si douée pour imiter la voix égayée des enfants, voilà qu'à présent les visiteurs, de plus en plus rares, regardaient avant tout si la voix venait du jouet ou des fines lèvres ridées de la fabricante. Le stand ferma et la dame usée s'attira les mauvais mots des gens qui n'avaient pas reçu le don des poupées vivantes.  Elle n'avait plus pour lien que sa petite poupée, toujours rieuse, toujours prête à lui remonter le moral et lui changer les idées. Elle jouait avec, lui servait à manger et lui racontait des histoires pour l'endormir. Jusqu'à ce qu'un jour, la première-née ne s'éveille plus.

      La fabricante pensa d'abord à un sommeil lourd, puis à une maladie. Mais avec un effroi qui lui glaça le sang, elle réalisa que sa petite était bel et bien morte. Morte, comment était-ce possible ? Elle s'en était occupée comme il le fallait, mieux encore que s'il avait s'agit d'une enfant de chair. Dans le déni, elle attendit au chevet de sa poupée. Jusqu'à ce qu'elle remarque qu'une pointe verte lui ressortait d'une manche. C'est en se résolvant, les yeux irrités, les mains tremblantes, à ouvrir le corps de sa petite qu'elle comprit. Les haricots avaient germé, dans un mélange de coton et d'eau. Ils n'étaient pas mâchés. Comment auraient-ils pu l'être ? La petite n'avait jamais mangé devant elle, mais s'ouvrait le corps pour y cacher les repas dont elle ne pouvait bénéficier. Elle avait intensifié ses demandes d'eau les derniers jours, mais toujours la laissait couler contre ses lèvres scellées et souriantes. La vieille dame comprit alors que jamais la poupée n'avait cessé de ressentir les effets de la faim et de la soif. Elle ne s'était jamais plaint de ne pas combler ce manque. Il était fort probable que ce fut par amour qu'elle fit croire à la vieille dame qu'elle était en bonne santé, que ses attentions répondaient à ses besoins vitaux. L'artisane décéda dans la nuit, de suicide ou de chagrin. Ce fut la marine qui la trouva au petit matin, alors que les soldats venaient l'arrêter car, par sa faute, de nombreuses familles géraient des crises suite au décès de jouets hantés. Son atelier fut détruit, toutes ses créations brûlées. »

      Il se tut de façon abrupte et confirma, par un long silence satisfait, qu'il avait fini.

      « Et alors,  s'impatienta une Emilie marquée par la tristesse du conte?»

      « Hmm ? »

      « C'est quoi la conclusion ? Qu'il ne faut pas aller au-delà de ses compétences ? »

      « Oh! On peut voir ça aussi. Personnellement, j'en conclus que j'ouvre toujours les poupées que j'achète pour vérifier que personne n'y a laissé trainer ses haricots. »

      Elle hoche de la tête, navrée de servir l'amusement du conteur fier de sa blague.

      « Que veux-tu que je te dise, reprit-il plus sérieusement, ce que tu dois penser ? Tout le monde conclut ce qu'il veut. D'ailleurs, j'ai une question à vous soumettre, à vous les As. Vous savez que nous savions la raison de votre venue. Vous savez qu'il y a un, sinon deux postes à pourvoir. Or, vous êtes trois. Pourquoi, à votre avis ? »

      L'attention replacée sur les membres au centre de la table mis un terme au conte d'Aldo. Mais tous le savaient, le télépathe avait beau être farce et désinvolture, jamais ce qu'il disait n'était à prendre à la légère.


      « Moi aussi, je suis en train de te lire, Invité.»


      Dernière édition par Niklas Aldo le Ven 13 Nov 2020 - 19:46, édité 1 fois


        Ce brave Niklas était un bel orateur pouvant envouter toute une assemblée. C’était exactement ce qu’il fit en prenant la parole. L’histoire qu’il conta sortit un peu de son contexte. On ne sut pas réellement s’il s’agissait d’une pause cognitive pour détendre l’atmosphère ou s’il y avait réellement un message à saisir. Dans le doute, Ragnar resta concentré et écouta le récit jusqu’au bout. Pis par moment, il fit un bond dans le passé, jusqu’à un sacré séjour passé à Suna Land où il rencontra une jeune pirate dont il ne se rappelait plus le nom. Aiko, pensa-t-il, après un certain moment d’absence. Depuis cet événement, sa vie a pris une toute autre direction, le forçant à oublier certains moments amusants qu’il a vécu. Aussi loin qu’il s’en souvienne, il y avait eu des affrontements avec la marine, des hommes-poissons, un véritable bordel sans nom. C’était la belle époque. Une vie sans aucune responsabilité ni réelle décision. Seulement survivre dans ce monde de fou. Rien d’autre n’était demandé. Maintenant, l’As était un peu plus populaire, un peu plus responsable, avec des attendus et des ambitions, des personnes qui attendaient des choses de lui, des personnes qui l’admiraient…

        Il fut stoppé dans ses pensées par l’intervention d’Émilie Knox qui cherchait à savoir la suite de l’histoire, ou du moins la morale à en tirer. Celle qu’elle supposa était loin d’être hasardeuse et hors sujet, au contraire. Ragnar avait-il les épaules et les compétences pour endosser ce rôle ? Son rival et adversaire du jour n’était-il pas plus qualifié ? Sa carrure, sa voix, sa posture, son autorité… Tout en faisant un chef légitime et respecté. Qu’avait fait Ragnar ? Secourir le pauvre Jonas Mandrake ? N’aurait-il pas été plus sage de la laisser mourir ? Il serait peut-être mort sans ne jamais parler. Et encore, sans les alliés de luxe dont il a pu recevoir l’aide, ce sauvetage n’aurait jamais eu lieu. En quoi cet As, qui se prétendait humblement ici, en ce lieu sacré de la Révolution, et qui se présentait comme digne successeur de l’illustre Jonas Mandrake, était-il légitime ? Qu’avait-il accompli de particulier ? Me v’là en train de douter à cause d’un récit à la con, bravo Niklas, pensa fortement le jeune officier de la révolution. Il savait que le télépathe sondait son esprit et il put apercevoir l’esquisse qui se dessiner sur ses lèvres.

        Néanmoins, il était trop tard pour cogiter. Trop tard pour douter. Bien trop tard pour faire demi-tour. Le jeune partisan se trouvait maintenant ici, face à ces personnes de renom, et ne devait absolument pas échouer après tout ce chemin parcouru. Pour Jonas, pour Rafaelo, il se devait de tout donner jusqu’au bout et ne pas franchir. Pas uniquement pour ces deux-là, mais tous les révolutionnaires qui attendent la lumière de Ragnar pour les guider dans cette obscure destinée qui les attendait. Saisissant son courage à deux mains, le jeune homme pris ses responsabilités et tenta d’entamer une réponse à cette fameuse question.

        - Je n’ai aucun doute sur le fait que vous ayez anticipé notre venue et la raison de celle-ci. La raison de nos trois présences n’est certainement pas un hasard non plus, dit Ragnar d’un air songeur. Il prit même le temps de regarder les deux autres d’un oeil bienveillant et doux. C’est marrant, dit-il. J’ai l’impression de retrouver des camarades de promo pour se disputer un poste. Il y a au centre de cette assemblée les trois As les plus actifs de la révolution à ce jour, voire même les plus puissants. Un poste est vacant, un autre peut éventuellement se créer,  les plus « prometteurs » y postulent. Sauf que là, contrairement aux politiciens ou hommes d’affaire, nous ne cherchons ni argent ni honneur. Une décision difficile vous incombe. Quoi de mieux de confronter les partis pour se faire une idée ?

        Ragnar agrandit subitement mais élégamment son bras, grâce aux pouvoirs de son fruit, puis tapa amicalement, avec force, le dos imposant du géant Payne. Il lui afficha un grand sourire, comme si les propos précédemment évoqués s’étaient envolés.

        - Je ne suis pas là pour faire la guerre à qui que ce soit ici. Si j’occupe ce siège, celui de la Guerre, alors la guerre se fera partout dans le monde contre nos véritables ennemis. Payne est un allié, un frère d’arme, et par-dessus tout, je suis persuadé qu’il serait le plus heureux du monde de bosser sous ma tutelle, hein mon cher Payne, conclut-il avec un léger clin d’oeil adressé à son rival du jour. Quoi de mieux qu’une bonne concurrence, saine, pour tirer chacun de nous vers le haut ? Qu’en penses-tu Niklas ? Je ne sais s’il y a une réponse à ta question, si une réponse particulière est attendue, peut-être pas.

        Ragnar était Ragnar. Moins impulsif qu’il y a quelques temps, plus posé, plus réfléchi, mais on ne changera jamais son brin provocateur. Pour avoir travaillé quelques à ses côtés, sur l’île de Jaya, Ragnar commençait à cerner la subtile malice de Niklas Aldo. Néanmoins pas gratuite. Un but se cachait toujours derrière ses paroles. Un art difficile à maîtriser.

        - C'est tout pour moi, messieurs et dames. Loin de moi l'idée de monopoliser le temps de parole. Sauf peut-être celui de Payne, dit-il fièrement et calmement, en regardant l'assemblée d'un air heureux et stupide. Émilie Knox plaqua désespérément l'une de ses mains contre son front, repensant certainement aux premiers échanges qu'elle eu avec Ragnar. À l'époque, elle eut si peu de patience qu'elle préféra poursuivre le dialogue avec le bras-droit de l'As. Au moins, tous autant qu'ils étaient, ne purent reprocher au jeune d'apporter un peu gaieté à cet entretien. Surtout quand on repensait à la manière dont il avait débuté. Quoi qu'il en soit, Ragnar Etzmurt avait enfin retrouvé son assurance, pour la joie de certains, la peine des autres.

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        L’assassin grinça des dents. Le ver était dans la pomme ? Les haricots, ce besoin de nourrir sans cesse l’ego et le besoin des autres pour finir dévoré par ses propres ambitions. Car c’était cela qu’il avait entendu au travers de l’histoire de Niklas. Parfois, il fallait savoir s’arrêter et se satisfaire de ce que l’on avait, avant d’être dévoré de l’intérieur. En soi, c’était ce que proposait l’assassin, d’éviter de se faire dévorer de l’intérieur. Mais il restait à savoir si les ingrédients nocifs étaient déjà dissimulés au sein de la révolution, ou si c’était lui qui proposait de les y incorporer. Il accusa le coup, comme si ce conte n’était qu’une pique destinée aux As présents. Mais cela pouvait, tout autant, ne rien vouloir dire.  Rafaelo plissa les yeux, inspecta l’escargophone d’Ombre. Il s’impatientait, et détestait par-dessus tout se savoir testé sans connaître les règles du jeu.

        Emilie prit la parole, haussa le ton pour reprendre le dérouler de la réunion. Niklas s’en amusa. Mais ses mots étaient empreints de ruse, comme à son habitude. L’assassin savait qu’il pouvait lire ses pensées, arpenter les méandres tortueux de son esprit. Il savait que Niklas percevait les remous qu’avaient causé son histoire. Souffrir d’une faim et d’une soif éternelle, ne jamais pouvoir l’étancher. C’était peut-être une métaphore envers leur Cause, envers leur combat qui ne serait jamais fini. Penser à la victoire, certes, mais que construire après ? Par essence, vaincre le Gouvernement signifiait tuer la Révolution. Que faire, après, de ceux qui s’étaient aussi durement battus, ceux qui n’avaient pour vie que le combat et l’opposition ?

        En cela, l’assassin avait sa réponse. Faire en sorte que seuls ceux qui luttaient dans le sens du peuple puisse assurer un futur. Ne pas laisser les pourris et les criminels s’infiltrer dans leurs rangs. Ne pas laisser le monde s’effondrer dans la pluralité des combats. Pour le peuple, par le peuple. Et bientôt, du peuple. Voici comment le pouvoir s’exercerait. Or, pour cela, il était évident que Rafaelo n’aurait pas sa place dans le monde d’après. On n’avait que faire d’un assassin et d’une police secrète en temps de paix. Si les choses devaient être menées par le peuple, alors le peuple déciderait. Et cela incluait son sort à lui aussi. Triste bilan.

        Rafaelo laissa le temps s’étioler après la déclaration de Ragnar. Payne devait préparer sa contre-offensive. Ou pas. Un sourire en coin lui mangea le visage. Il bénéficiait d’un avantage certain par rapport à ses concurrents : il avait déjà rencontré Freeman. Ou pas.

        « L’avis de Ragnar est pertinent. Mais j’en ai une autre analyse. Pourquoi nous avoir réunis, nous trois ? Car tout ceci est, et restera, un test. Il existe plusieurs possibilités. Des théories que j’ai déjà pu étayer de nombreuses fois, mais qui arpentent la mythologie révolutionnaire. Déjà, il est assez étonnant que Payne ait été présent ici, pile au moment où Jonas et nous sommes revenus. Cela témoigne de deux choses : un hasard incroyable, ou un opportunisme crasse. » commença-t-il en levant son index, puis son majeur.

        L’assassin au visage de femme s’avança, affronta le regard du Justicier. Il occultait volontairement le fait que les membres du Conseil aient pu le convoquer.

        « J’ai déjà eu l’honneur de rencontrer Freeman, ainsi que la plupart d’entre vous durant le passé. Or, je pense que là est le nœud du problème. Encore une fois, deux possibilités sont en vogue chez nos ennemis et dans nos propres rangs : Freeman n’existe pas, ou plutôt vous êtes FREEMAN. L’autre possibilité est que son identité est tenue secrète par vous, voire que vous-même, mis à part Niklas, vous ignoriez son identité, ou ses identités. Et Ombre, bien entendu. » fit l’assassin en se frottant le menton.

        « Or, si j’ai déjà rencontré Freeman, il y a un an, cela invalide la première théorie. Sauf … si ce n’était pas Freeman. » trancha-t-il.

        Il fit un signe en direction de l'ascenceur qu'avait pris l'homme en blanc. Individu qu’il ne pensait pas réellement être Freeman mais un simple homme de paille. Destiné à tromper Mandrake ? Destiné à ajouter un peu de flou dans tout cela ? Mais en ce cas, pourquoi Payne avait-il participé à le destituer ?

        « En l’occurrence, je me demande encore pourquoi c’est Payne qui a destitué Mandrake, et pas le conseil. Certes, c’était nécessaire. Mais jamais un As n’aurait eu cette outrecuidance. A moins, encore une fois, d’avoir un sens bien placé de sa propre importance. Ragnar et moi sommes arrivés en candidats, Payne est venu en conquérant. Or, je me demande encore s’il a quelque chose à conquérir … » s’amusa-t-il, avant de se retourner vers l’As Ultimo.

        Il se racla la gorge avant de continuer. Encore, il leva deux doigts puis se retourna pour affronter le regard du révolutionnaire.

        « Encore une fois, deux possibilités. Soit tu n’es pas Ultimo, que je n’ai jamais rencontré et tu as simplement profité d’un habit facile à reconnaître pour nous laisser croire cela. Or, Jonas t’a reconnu. Donc, tu semblerais bien être Payne Ultimo. Mais peut-être es-tu bien plus que Payne Ultimo … quelle meilleure couverture, ceci dit ? »
        s’amusa-t-il, avant de hausser les épaules.

        « Ou je me trompe, et tu es bien ici pour le siège de la Guerre, avec une idée bien placée de ta propre importance et tu avais déjà anticipé notre venue. »


        Ce faisant, Rafaelo se retourna vers l’assemblée. Il croisa les bras. Payne l’avait déjà poussé dans ses retranchements et analysé la situation avec une terrible justesse. Le pouvoir que l’assassin voulait mettre en place aurait besoin d’être muselé à tout prix, contrôlé par l’ensemble des membres des DRAGONS. Il ne le voudrait pas autrement, bien entendu, mais il n’était pas assez fou pour se penser intouchable. La mort avait déjà essayé de le cueillir plusieurs fois. Et certains pouvoirs pouvaient faire bien pire que de le tuer …

        « Je pense donc que nous sommes réellement deux pour deux potentiels sièges. Et que cela est un test pour voir, entre autres, comment nous nous comporterions lorsque nos positions sont mises au défi. On n’accorde pas un siège à la légère. Et si Freeman est bien réel, il est évident qu’il a son mot à dire. Encore plus pour une modification structurelle, comme celle que je propose. Donc, désolé Ultimo, ou qui que tu sois, mais je ne crois pas à ta réelle candidature. »
        conclut-il tout en essayant d’obtenir des indices sur ce qu’il avançait en observant le faciès de Niklas.

        Que sa théorie soit fausse ou non, elle était vraisemblable et c’était ce qui importait en cet instant.

        « Mais, bien entendu, je peux encore me tromper. Et en ce cas, ce ne serait qu’un simple entretien d’embauche avec un panel de candidats restreint qui s’opposent pour voir le quel serait le mieux taillé pour le poste. Or, si nos parcours sont connus, nos motivations profondes le sont un peu moins. Ce que Niklas pourrait aisément sonder pendant que nous sommes face à lui. Mais il n’y avait pas besoin de nous réunir pour cela. Voilà mon avis, chers membres du Conseil. »
        termina-t-il.

        Rafaelo se recula de deux pas pour se mettre de nouveau en retrait par rapport aux deux autres prétendants. Enfin, si Payne en était vraiment un.
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