Rappel du premier message :
Du fait de ne voyager qu’à trois, il n’était guère utile d’affréter un gros navire. Cela permettait à nos voyageurs d’être discrets et relativement rapides. Cela ne nécessitait pas non plus une grosse main d’oeuvre pour le faire avancer. Ragnar seul suffisait à la besogne habituelle des petits matelots. Mandrake se chargeait de la navigation, alors que Rafaelo, lui, semblait se perdre dans ses songes. La mer pouvait sembler apaisée, mais aucun d’entre eux ne doutait du court répit que leur était accordé. Les fuyards d’Arcadia sont poursuivis par les flottes de la marine d’élite. En effet, comme le prévoyait Jonas, ces derniers ne tardèrent pas à découvrir le pot aux roses. Ils semblaient les avoir semé. Ils semblaient être sortis d’affaire. Pourtant, en ignorant l’état de l’assassin, aucun des deux autres ne semblaient être soulagés. Au plus profond d’eux et probablement grâce à leur mantra, ils se sentaient plus en danger que jamais.
- Alors, Ragnar ? Quels sont tes pronostics ? demanda Mandrake d’un air plutôt serein. En ce qui me concerne, j’ai déjà affronté des armées entières, seul, aussi bien en mer que sur terre. Malheureusement, je n’ai plus ma force d’antan depuis ma capture et notre plus grande force semble être totalement submergée par des souvenirs passés. Alors je te le demande, Ragnar l’ambitieux, quelles sont nos chances de survie selon toi ?
La question laissa le jeune homme, d’ordinaire si bavard, songeur. Ce que laissait sous-entendre Mandrake, au-delà du danger qui les guettait, n’était autre que la responsabilité qui reposait sur les épaules de Ragnar. Était-ce un test ? Rafaelo n’aurait aucun mal à se ressaisir si le danger devait surgir, pensait-il.
- Tu préfères prendre le pari que le grand assassin, Rafaelo Di Auditore, te sauvera encore une fois les miches, enchaîna le « libérateur ».
L’homme aux cheveux rose se tourna vers son camarade, celui même avec lequel il avait maintenant passé quelques temps, toujours le regard dans le vide et penseur. Il ne put répondre à son interlocuteur, comme bloqué, pris dans une profonde décision intérieure.
- Cet homme a vécu des choses que tu n’imagines pas. Sa réputation n’est pas survenue par hasard. Tu penses avoir vécu de grandes aventures ? Ragnar Etzmurt, laisse-moi te dire que tu n’as rien vécu. Rien. La vie détruit un homme. Elle le blesse. Parfois même qu’elle le ravage. Mais elle le reconstruit aussi. Cela ne veut pas dire que certaines plaies sont totalement refermées, ou qu’elles ne se rouvrent jamais.
Son regard est une fois encore orienté vers son camarade immobile.
- Alors je te repose la question : que vas-tu faire ? continua une énième fois la vieille femme.
Écoutant Mandrake en observant toujours autant son camarade, Ragnar saisit son paquet de cigarettes dans lequel ressortit une d’entre elles. Il rangea le paquet et sortit une boite d’allumettes. La cigarette allumée, il tira une belle bouffée avant de renvoyer la fumée vers son acolyte. Il s’accouda au petit mât du petit navire, leva la tête vers ce beau ciel bleu qui s’assombrit peu à peu.
- Je fumerai ma clope. Quand celle-ci sera entièrement consumée, des gros cuirassés apparaîtront après la pointe de cette falaise, à environ cinq mètres de notre position. Une effroyable épreuve nous attend, là, droit devant nous. Les dieux ne soutiennent pas forcément cette entreprise et la météo nous le prouve. En plus de nos ennemis, nous ferons face à une terrible tempête. Les pouvoirs de Raf’… Tu m’entends Raf’ ? Hem. Prions pour qu’il m’entende. Les pouvoirs de Raf’ devront nous permettre de créer une légère brume pour séparer l’ennemi qui traversera aisément cette tempête. Va-t-on survivre ? Je l’ignore. Mon mantra m’empêche de voir au-delà. Diviser l’ennemi pour les abattre un par un. Notre voyage sera peut-être un peu plus long que prévu mais nous ne pouvons pas arriver à destination avec ces connards à nos trousses…
- Ton mantra a évolué depuis notre rencontre, lâcha Jonas en esquissant un léger sourire. Puissent les dieux nous venir en aide, hein.
Ragnar fuma sa cigarette presque entièrement, comme convenu dans ses prédictions, c’est là qu’apparurent les cuirassés. Le révolutionnaire se mit au travail. Il tendit la voile au maximum et ainsi permettre à leur petit embarcation de prendre de la vitesse. Devant eux se trouvaient le carnage, l’apocalypse. La mer commençait à fortement s’agiter, tandis que des éclairs surgissait de tout horizon. Le vent soufflait si fort que cela en rendait la navigation bien trop difficile. Le matelot d’infortune continuait de jouer avec la voile, sur la raideur de celle-ci pour permettre au voilier de se mouvoir dans cet enfer. Bien que le pont était assez étroit, il courrait dans tous les sens et réalisait le travail de plusieurs hommes à lui seul. Loin d’être un navigateur, il acquit ces connaissances par le biais de Suelto, son bras droit qu'il a abandonné depuis des mois pour la mission.