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Gueules de squales

La foudre déchirait le voile noir de la nuit. L'océan se déchaînait sur l’Émérite, lui assénant des frappes colossales. Les marins s'agrippaient de toutes leurs forces aux cordages et à la mâture. Il n'y avait pas un badaud sur le pont. Sur les deux cents hommes qui naviguaient à bord de la frégate, une bonne demi-douzaine avait déjà disparu au milieu des flots couleur charbon. Tenko se tenait à la barre de toutes ses forces. Des haut-le-coeur lui soulevait la poitrine. Ses vêtements imbibés d'une pluie chaude lui pesaient lourdement sur le corps. Ses muscles le tiraillaient à force de rester accroché à la barre. Grinçant des dents, il ne pouvait rien faire d'autre que de maintenir le cap vers Gueule de Requin. Et ça le frustrait. Les Requins naviguaient depuis cinq bonnes semaines et ils allaient bientôt épuiser leur provisions. Les soldats ne se rasaient plus, pour des raisons de rationnement. Une ambiance presque morose planait sur la frégate. Chaque journée avait réservé ses surprises, et les nuits, elles non plus, n'avaient pas fait exception. Mais les marins n'en pouvaient plus d'être ballotté d'un événement à l'autre, d'une tempête cataclysmique à une accalmie assourdissante. Cela leur pesait sur l'esprit aussi sûrement que sur le corps. Les soldats étaient fatigués de leur voyage. Et leur officier commandant ne faisait pas exception. Ils touchaient supposément au but. Les derniers échanges qu'il avait pu avoir avec le G-9 l'en avait garanti. Mais ils n'en pouvaient plus.

Tenko jeta un regard autour de lui. Il était le seul homme présent sur le château. Il ne put s'empêcher de sourire. Il adorait ces moments de solitude, c'était pour lui comme des séances méditatives. Lui, le navire et l'océan. Il arrivait, dans ces rares instants, à ne se focaliser que sur ces trois choses-là. Il ressentait comme un contact profond avec le bois de la barre, comme si le vaisseau était un prolongement de sa main. Il pouvait sentir l'eau qui résistait contre la coque jusque dans le mécanisme du gouvernail. Les marins, qu'ils au cordage, à la voilure ou dans la mâture, partageaient tous ce moment de communion avec leur navire. Un flash lumineux, droit en proue, vint sortir le Commodore de sa transe. Il donna un léger tour sur bâbord, pour s'offrir un meilleur angle de vue. La vigie ne tarda pas à sonner la cloche depuis son nid-de-pie.

"Signal à bâbord!"

Ce fut à peine si sa voix put courir la distance. Le jeune officier gardait les yeux rivés vers la source de lumière. Il était de nouveau sombre. Il amorça une longue courbe pour venir mettre une distance raisonnable entre l’Émérite et l'origine du signal. Moins d'une minute après l'avoir perçu, il lâcha ses ordres, usant de toutes ses forces pour déployer sa voix sur le pont.

"Aux postes d'artillerie, on réduit l'allure et on vide le pont au plus bas!"

Dans une organisation relative, les ordres furent relayés et le navire commença à ralentir. Le temps fut comme suspendu. La fréquence des vagues rythmait plus la perception du temps des Requins que les secondes ou les heures. Ils vivaient cette expérience familière à tout les combats, quand le temps ralentissait et donnait cette vision tunnel à tous ceux qui en étaient acteurs. Un instant comme une éternité, ils attendirent, silencieux, prêt à envoyer les flammes et l'acier vers l'ennemi. Puis le flash reparut, plus distant mais avec une fréquence régulière. Tenko ne put s'empêcher de sourire.

"Remettez de l'allure, le phare a peu de chances de nous atteindre!"

Quelques rires fusèrent, aussi nerveux que libérateurs. Ils allaient bientôt pouvoir poser le pied à terre, après plus d'un mois en mer. L'Eternal Pose pointait droit vers la lueur, qui s'épaississait à mesure que la frégate crevait les remous aqueux dans sa direction. Tenko fit appeler un timonier et rejoignit la salle de commandement. Karnak était assis à la table centrale, lisant les dernière informations qui circulaient. Il leva à peine les yeux quand le jeune homme rentra dans la pièce et reprit la lecture des brèves.

"On y sera d'ici quelques heures, Bill."

Le lieutenant décrocha enfin son attention de son journal, ce qui se rapprochait le plus d'un sourire sur son visage. Lui aussi avait souffert du voyage. Ils s'étaient sans cesse relayés à la barre et avaient chacun û affronter nombre de situations complexes. Ils se considéraient presque comme des amis, tout en gardant l'écart que les conventions exigeaient. Mais cela n'enlevait rien à leur relation.

"Je vais enfin pouvoir rencontrer notre charmante commandante alors."

Les deux hommes rirent un peu mais finirent par se taire. Ils restèrent silencieux pendant quelques instants, comme si le soulagement leur avait posé une couverture sur les épaules. Plus tard, ils discutèrent des formalités, organisèrent le débarquement. Puis ils sortirent sur le pont, en même temps qu'une bonne partie des marins. Leurs yeux se posèrent sur un spectacle aussi désolant qu’impressionnant. Des pics rocheux s'élevaient au dessus de la surface des flots, formant comme un ensemble sur lequel se réverbéraient tant la lumière du phare que celle des éclairs lointains. Plus loin, à l'intérieur du cercle irrégulier et inconstant que formaient les éperons lithiques, l'île se dressait au dessus de la mer comme un morceau de lune sali par l'usure. Il n'y avait pas de végétations apparente à sa surface. D'où ils étaient, les soldats pouvaient cependant apercevoir la grande baie qui précédait l'entrée de la base fortifiée. Une gigantesque ouverture dans la roche venait refermait l'avancée de mer, cloisonnée d'une immense porte d'acier. L'artillerie était apparente en tout endroit. Quiconque voulait prendre l'édifice devait préparer une armada toute entière. L’Émérite se glissa tout doucement vers son nouveau port d'attache.


Dernière édition par Tenko Sozen le Mer 26 Fév 2020 - 0:36, édité 1 fois
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La frégate passa l'embouchure de la baie sans encombres. Très vite, l'opérateur radio communiqua les informations nécessaires à l'admission des Requins. Lentement, la porte métallique s'écarta pour laisser passer l’Émérite. Un système d'écluse se dévoila petit à petit, interdisant à tout navire de forcer le passage sans faire naufrage. Les installations intérieures contrastaient par leur netteté avec l'aspect extérieur, usé, décapé, de toute l'île. L'embarcation des soldats glissa à l'intérieur de l'édifice et des barques s'approchèrent pour la remorquer jusqu'à son quai. L'installation militaire était cyclopéenne. Partout où le regard de Tenko se posait, l'espace était occupé ici par un bâtiment, là par des défenses et ici encore par un terrain d'entraînement. La base entière reflétait la différence fondamentale entre les océans extérieurs et Grand Line. Il était autant question de dissuader que de posséder les moyens de vaincre sur cette mer. Karnak ne put s'empêcher de retenir un sifflement.

"Ah bah ça alors..."

Alors que les marins de pont s'empressaient de dégréer pour l'amarrage, le reste de l'équipage se préparait à descendre en grande pompe. Les deux commandants avaient déjà pris le temps de revêtir leurs uniformes de parade et ils observaient avec admiration leur nouvelle base. Tenko ne s'était jamais trop laissé impressionner par le béton armé et l'acier, mais il avait du mal à rester indifférent face à un tel étalage de puissance. La Marine était loin d'avoir perdu toutes ses chances face aux révolutionnaires. Tout était flambant neuf, à la pointe de la technologie. Il se sentait minuscule, lui et son équipage, à côté de ce que pouvait accomplir les trois divisions qui gardaient l'endroit. Le navire se rapprocha d'un quai et les barques passèrent le relais à des soldats à terre. Les marins leur jetèrent les amarres et l'ancre alla se figer sous la surface de la baie. Le ponton fut abaissé et les troupes émergèrent en rang serrés du navire, guidés par leur chaîne de commandement. Une délégation de moyenne importance attendait le groupe de combat à quelques dizaines de mètres. Les Requins s'immobilisèrent sur le quai, disciplinés, jusqu'à ce que leur commandant descende à son tour. Tenko marcha au milieu de ses hommes et vint se placer en avant du cortège qui s'appliqua à se caler sur son pas. Ils défilèrent jusqu'à une dizaine de mètres de la délégation. Là, le jeune homme s'arrêta. Karnak, se tenait deux pas en retrait sur sa droite. Il se retourna vers les cent-quatre vingt hommes qui restaient impassibles.

"Présentez... Armes!"

Dans un mouvement synchronisé, les Requins portèrent leur arme à l'épaule droite, puis posèrent leur main gauche sur le canon, le doigts tendus, juste en dessous de la fixation à baïonnette. Les officiers portèrent leur main à la tête, saluant la Vice-Amirale qui se tenait devant eux. Kandy Ziva faisait partie des douze individus qui venaient former le troisième cercle hiérarchique de la Marine. C'était une femme plutôt jeune, mais elle dégageait une impression de force assez particulière. Son œil droit était couvert d'un cache-œil. Sous son manteau d'officier, elle portait un uniforme complètement noire. Son regard était aussi froid que l'acier et aussi dur que le béton. Une personnification de la base qu'elle avait pour mission de diriger. Tenko salua à son tour. La Vice-Amirale ne sourcilla pas. Son état-major dégageait un aplomb particulier, mais aucun de ses membres ne donnait une aussi forte impression que leur commandante. Kandy se détourna enfin, suivie par une bonne partie de son état-major. Une autre femme resta sur place.

"Rompez les rangs!"

Jana et les hommes qui s'étaient occupés de l'arrimage de l’Émérite se rapprochèrent alors que les Requins, dépités, retournaient vers le navire pour récupérer leurs affaires. Karnak se plaça au même niveau que Tenko, qui lui resta silencieux.

"Décidément, on sait vous accueillir, Tenko."

"Ils ne savent pas encore ce que les Requins ont sous la dent."

"C'est surtout qu'ils s'en foutent. Ils ont du en voir passer des arrivistes avant nous."

Ses deux compagnons restèrent silencieux. La femme qui était resté en retrait se rapprocha enfin. Ses galons la présentait comme une Contre-Amirale. Elle avait un visage plutôt petit, assez rond dans ses formes. Ses cheveux noirs étaient attachés en une longue queue de cheval qui lui tombait dans le dos. Un sabre était pendu à sa ceinture. Elle donnait une plus impression de douceur que de violence. Elle s'arrêta à une bonne cinquantaine de centimètre de Tenko, un sourire sur le visage.

"Bienvenue, Commodore Sozen. Veuillez bien excusez notre accueil austère, mais nous n'avons que peu de visites et elles sont généralement de courte durée."

"Nous ne nous en sommes pas formalisés, Contre-Amirale. Merci d'être venue à notre rencontre cependant."

"Hanae Tsukotsu. Contre-Amirale, c'est trop formel selon moi. Je vais vous montrer vos nouveaux quartiers."

Sans lui laisser le temps de répondre ni même d'introduire ses compagnons d'armes, la jeune femme se retourna avec insouciance, toujours ce sourire collé sur le visage. Tenko dévisagea tour à tour Karnak et Jana, avant d'emboîter le pas à  son supérieur. Ses camarades ne se formalisèrent pas; ils étaient trop épuisés par le voyage pour s'arrêter à ça. Les deux marins marchèrent pendant quelques minutes, laissant défiler les bâtiments tant sur leur gauche que sur leur droite. Ils restèrent silencieux, jusqu'à ce que la jeune femme s'arrête devant ce qui ressemblait fort à un entrepôt, long d'une soixantaine de mètres, profond d'une bonne quinzaine et assez haut pour comporter deux étages. Elle se tourna alors vers son subalterne.

"Nous y voilà! Nous avons installé une mezzanine à l'étage pour le corps des officiers, et des dortoirs de 20 places pour les sections d'infanterie."

"On a connu pire."

Le jeune homme restait abasourdi. Son arrivée était prévue depuis un bon bout de temps et personne n'avait pris la peine d'aménager un véritable bâtiment fonctionnel pour loger ses soldats. Il essya de ne pas en tenir rigueur à Tsukotsu. Elle lui rendit un sourire gêné, visiblement consciente du logement spartiate que le G-9 offrait à ses nouveaux venus. Elle tenta un trait d'humour.

"Bienvenue chez les gueules de squale!"

Tenko lui rendit un sourire épuisé, qui laissait transparaître le besoin de repos du jeune homme. Un peu plus loin, les hommes commençaient déjà à approcher avec leurs bardas sur le dos. Ils se contenteraient de ça, ils avaient l'habitude des endroit inconfortables où jeter leur bivouac. La Contre-Amirale salua le jeune homme et commença à s'éloigner. Quelques mètres plus loin, elle se retourna cependant.

"La Vice-Amirale Ziva tient à vous voir demain, à huit heures claquantes."

Le sérieux dominait sa voix, qui avait presque perdu de sa douceur. Elle se détourna de nouveau et Tenko en profita pour soupirer. Le sommeil réparateur, ce ne serait pas pour cette nuit-là.


Dernière édition par Tenko Sozen le Mer 26 Fév 2020 - 23:39, édité 1 fois
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Les dortoirs s'étaient emplis d'un bruit de fond calme. Depuis la mezzanine, les officiers pouvaient entendre leurs soldats discuter à voix basse. Certains jouaient tranquillement aux cartes, d'autres buvaient une bouteille de rhum rapportée de chez eux. Tous profitaient de ce repos serein qui leur était accordé. L'ambiance, malgré le manque de confort, était plutôt apaisante. Tenko marchait tranquillement au milieu des chambres improvisées, jetant un œil distrait sur les hommes et les femmes qui les occupaient. Ça lui rappelait ses débuts dans l'armée, ces moments de chambrée. Il s'arrêta au hasard d'un mur de préfabriqué et posa son regard sur la pièce qui s'ouvrait en face de lui. Un homme, entre deux âges avait déjà trouvé le sommeil sur une des couchettes superposée. En dessous, un homme plus jeune et une femme sensiblement du même âge étaient assis sur les lits inférieurs opposés.

Le jeune officier remarqua, sur l'unique table de chevet au centre des couches, une simple photographie posée contre des livres d'instruction militaire. C'est là qu'il remarqua les douces larmes qui coulaient sur les joues du jeune fusilier. La femme restait de marbre, mais elle dégageait cette sensation de tristesse caractéristique du deuil. Tenko entra dans la pièce, sans bruit, et vint s'agenouiller devant le portrait. Les soldats esquissèrent un mouvement mais il leva la main, solennel, pour leur demander de rester. Il observa le visage et ne tarda pas à le reconnaître. Certains marins étaient passé par dessus bord pendant leur voyage, au gré des tempêtes. Il avait vu la liste et avait signé les lettres d'information aux familles. Mais il ne s'était pas adressé aux escouades qui avaient perdu leurs compagnons d'armes. Les cheveux blonds frisés, les yeux bleus. C'était ce marin là qui l'avait prévenu de leur arrivée sur Grand Line, à leur sortie de la Flaque. Il s'en souvenait maintenant. Il ferma les yeux et joint ses mains sur ses genoux. Il n'était pas religieux mais il tenait à se recueillir pour ses hommes. Ils restèrent silencieux pour quelques instants. Il finit par se relever et se tourna vers les deux vétéran.

"Comment s'appelait-il?"

"Eric nous a rejoint juste avant Las Camp. C'est notre escouade qui vous a récupéré après le combat dans la base. On s'est battus comme des lions ce jour-là."

Tenko garda le silence pendant quelques secondes. La jeune femme attendit sobrement sa réponse. Il n'y avait pas d'animosité dans sa voix. C'était un simple constat. Le Commodore réalisait qu'il avait manqué d'attention envers ses troupes. Ces hommes et ces femmes ne suivaient que ses ordres et ils n'hésitaient pas à se jeter dans les bras de la mort pour permettre à leur cause de décrocher la victoire. Il s'était oublié sur le chemin. Depuis son réveil au Don des Saints, après le coma dont il avait été victime, il reconsidérait son rôle, sa mission au sein de ces hommes. Il n'était pas au-dessus d'eux, il était le premier d'entre eux, celui qui ne devait pas hésiter à se porter à leur secours.

"Merci."

Il se retira, sobrement, laissant ses soldats à leur deuil. Il alla se coucher sans plus tarder. Progressivement, les discussions s'estompèrent et les lumières finirent par être éteintes. Les Requins se laissèrent tomber dans les bras de Morphée. La nuit fut courte pour tout le monde. Les chefs de section levèrent leurs troupes pour les familiariser avec leurs nouvelles occupations. Pendant ce temps-là, Tenko rejoignait l'état-major de la base. Il entra dans un bâtiment aux dimensions cyclopéennes. Le bureau de la Vice-Amirale se tenait en son sommet, avec une large baie vitrée qui permettait d'englober la baie dans son intégralité. Le Commodore patienta quelques instants dans la salle d'attente qui y était adjointe. Un sous-officier, assigné aux tâches administratives, finit par l'introduire dans la pièce. Le jeune homme ne s'attendait pas à l'ameublement qui se trouvait dans la pièce. On aurait dit un salon plus qu'un bureau officiel. Cela tenait sûrement de la nécessité pour la commandante de la base de pouvoir recevoir des officiels dans un cadre qui ne les dépaysait pas trop. Un cadre moins abrupt que celui qu'offrait habituellement l'armée.

"Commodore Sozen, installez-vous je vous prie."

"Je préfère restez debout, madame."

La Vice-Amirale, penchée par dessus des cartes, hocha doucement la tête. Elle finit par planter son regard droit dans celui du jeune officier, sans chercher à l'impressionner. Elle aimait simplement à parler directement à son interlocuteur. Elle se leva à son tour et l'invita à la rejoindre près de la baie vitrée. Kandy Ziva évita les formalités pour rentrer dans le vif du sujet.

"Gueule de Requin a longtemps été un territoire contesté. Nous l'avons reprise en 1624. Mais les fondations de cette base, comme celle de la mer qu'elle protège, ne sont pas stables. Les révolutionnaires gagnent du terrain, jour après jour, au moins sur le plan idéologique. Alors, comme on les tient en respect par le feu, ils se sont cachés là où notre acier et nos mains ne peuvent pas aller les chercher."

Elle s'interrompit quelques instants alors que la gigantesque porte d'acier s'ouvrait pour laisser se faufiler une escadre de trois cuirassés sur le départ. Tenko attendait patiemment la suite de son exposé. La voix de Kandy Ziva restait neutre; mais l'énergie qu'elle dégageait exprimait sa résolution.

"Il faut faire preuve d'autant de ruse qu'eux pour les déterrer. Il faut que vous compreniez ça si vous voulez survivre, avec votre équipage."

"Je m'efforce d'agir dans ce sens."

"Alors, redoublez d'efforts. Vous êtes sur Grand Line maintenant."

La remarque piqua Tenko au vif. Il n'aimait pas la condescendance. Mais il essaye de relativiser: ils venaient d'arriver, ils allaient pouvoir faire leurs preuves. Et une piqûre de rappel ne faisait jamais de mal. Au final, il ne se formalisa pas. La Vice-Amirale ne semblait pas être du genre à dire les choses sans raison. Elle se rapprocha de son bureau et attrapa une enveloppe.

"Vous partez pour le Royaume de l'Absurde dans trois jours. Leurs troupes manquent d'entraînement et vous allez les recadrer. Enseignez leur le combat urbain comme vous l'avez vécu à Las Camp."

"Nous ferons de notre mieux, Vice-Amirale."

Tenko salua et tourna les talons, l'enveloppe entre les mains. Il passa la porte et redescendit les escaliers, avant d'atteindre l'extérieur du bâtiment. Il s'appuya contre le mur et prit une grande respiration.

"Ils nous prennent pour des nazes..."
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"Ah ça pour nous prendre pour des nazes... Nous envoyer former des bleubites!"

"J'avoue que sur ce coup-là, je suis plutôt d'accord avec Bill"

Bill et Jana étaient assis à la même table que Tenko. Ils s'étaient ouvert une bouteille de rhum, une tradition que les Requins avaient institué avant chaque départ en mission. Les trois comparses étaient partagés entre l'apitoiement et l'envie de rire. Ils avaient quitté leur mer natale pour se voir relayer à l'équivalent de la corvée de chiottes pour une base aussi grande que G-9. L'officier supérieur posa la bouteille et regarda à travers la maigre fenêtre qui garnissait la pièce. Il pouvait apercevoir l’Émérite, reluisante après une journée de bricage. Ils ne tarderaient pas à reprendre la mer à son bord, voguant de nouveau vers une île inconnue. Ils n'avaient de toute manière que de ça devant eux, de l'inconnu.

"Honnêtement, ça me dépasse."

Il venait de résumer leur pensée en quelques mots. Jana hocha la tête alors que Bill Karnak se balançait doucement sur sa chaise. Les vapeurs du rhum commençait à leur monter à la tête. Il venait tout droit de Las Camp. Une bouteille que le lieutenant avait emporté avec lui en rejoignant les Requins. Sans même prononcer un mot, le lieutenant attrapa un jeu de cartes et le lança sur la table. La médecin-chef le tria machinalement. Le commodore distribua. Ils jouèrent toute la soirée et Karnak finit même par s'allumer un cigare, qu'il partagea sans rechigner. La nuit passa tranquillement.

Au réveil, Tenko dirigea le réapprovisionnement de son navire. Puis, alors que les opérations allaient bon train, il décida de rejoindre l'espace d'entraînement dédié aux officiers. La salle état déserte à l'heure du déjeuner. Le jeune homme entra dans la pièce et vint se placer au centre, seulement vêtu de l'ensemble basique de la Marine. Il attrapa son reflet dans le miroir. Ses muscles n'étaient plus ce qu'ils étaient avant son coma. Même s'il avait commencé à récupérer, il sentait bien qu'il n'atteignait plus les performances qui avaient pu être les siennes. Il attrapa un sabre en bois et le soupesa quelques instants. Son pouvoir semblait avoir disparu, lui aussi. Il avait entendu parler de personnes qui avaient perdu leurs capacités après un choc aussi brutal que celui qu'il avait enduré. Mais peut-être se terrait-il en lui, quelque part, attendant d'être débusqué. Seul le temps pouvait lui en donner la certitude.

"Vous êtes partant pour une passe?"

Le jeune homme se retourna vers Hanae Tsukotsu. A cet instant, la beauté de la jeune femme le percuta. Il remarqua la couleur qui oscillait du marron au vert à l'intérieur de ses yeux, les fines rides qui fermaient le coin de ses lèvres. Ses cheveux venaient souligner la finesse de ses traits. Tenko sentit un frisson le long de son dos. Il déglutît discrètement avant de répondre, surpris.

"Si vous voulez bien me donner la réplique."


La jeune femme se saisît d'un sabre d'entraînement et ils se firent face. Le jeune homme expira lentement mais la contre-amirale n'attendit pas pour engager le combat. D'un mouvement aussi rapide que précis, elle vint abaissa son sabre vers sa tête. D'instinct, il leva son arme pour parer le coup. Hanae dévia son coup pour venir le frapper au poignet. Il lâcha son arme.

"Vous êtes rouillé, Sozen."

Abasourdi, le jeune officier ramassa le bout de bois. Il n'avait pas été si mauvais que ça. C'était tout simplement elle qui était trop douée pour le combat au sabre. Il décida de ruser pour le prochain round. Il feinta à son tour mais la jeune femme para ses coups sans trop de difficultés. Ils s'engagèrent dans un entraînement relativement intense. Au bout d'une grosse heure, Tenko sentait tout ses muscles le tirailler, mais il avait retrouvé quelques réflexes. Hanae avait finalement dominé une bonne partie des affrontements, même s'il avait touché à quelques occasions.

"C'était à Las Camp la dernière fois."

"J'ai failli y laisser la vie."

La jeune femme reposa son arme sur le râtelier et il en fit de même pour la sienne. Puis, alors qu'ils approchaient de la sortie, elle se tourna vers lui avec ce regard plein de tendresse qui aurait pu suffire à la décrire toute entière.

"Peu de gens reviennent de l'endroit où vous étiez. Prenez le temps de réfléchir à l'endroit où cela vous mènera."

Ils se séparèrent et elle laissa au jeune un sourire qu'il n'arrivait pas à effacer. Il retourna s'occuper des préparatifs pour le départ. Une nouvelle nuit passa. Ils embarquèrent à l'aube, alors que la plupart des marins dormaient encore. La base restait silencieuse à cette heure-là. Les dernières équipes de nuit somnolaient en attendant que la paire d'heures qui leur restait à servir s'achève. L’Émérite se détacha du quai et commença à remonter la baie intérieure, chargée de tout ses hommes. Accoudé à la balustrade du pont, Tenko observait le G-9 et ses bâtiment rétrécir. Ils passèrent la porte de métal et se laissèrent glisser sous un crachin qui laissait faiblement transparaître la lumière du jour.

"J'suis déjà content de lever l'ancre."

"La prochaine fois qu'on passera cette porte, on aura fait nos preuves et des lits chauds et confortables nous attendrons."

Karnak lâcha un rire. Tenko ne put s'empêcher de rire à son tour. Ils avaient de l'ambition, ils allaient la mettre à profit. Si les révolutionnaires étaient si actifs sur cette voie, ils allaient leur faire passer un mauvais quart d'heure à chaque occasion qui se présenterait. Ils ne leur feraient pas de quartiers, la guerre était déclarée et des fronts s'ouvraient partout. Ils allaient prendre leur part de gâteau.
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