Changement de cap.


_____Il y a quelques jours, après un voyage périlleux et un combat épique, ma partenaire Caramélie et moi-même avons mis la main sur la légendaire couronne d’Émeraude de la reine Kalida, devenant ainsi multimillionnaires ! Sur ce haut fait, j’ai décidé de retourner sur Sirup afin de fêter ça dignement. Là-bas, après une arrivée discrète, j’ai retrouvé ma famille et mes proches qui – pour une fois, ne m’ont pas assommée de questions sur mon aventure. J’avoue avoir été frustrée parce que je brûlais d’envie de leur raconter ! J’ai même ressassé l’histoire trois ou quatre fois pendant le retour afin de trouver la meilleure formulation…

_____À la place, ils m’ont servi du boudin aux pommes et de la tarte à la rhubarbe comme si de rien n’était et ils m’ont longuement parlé de mon petit frère Liam qui, tout fièrement, se hissait dans la hiérarchie familiale. Après avoir proposé des réformes sur la gestion des terres paysannes et l’harmonisation des impôts, il a réussi à faire reconnaître son titre de Baron qu’il tient de maman. Franchement, je suis fière de lui – surtout que, techniquement, ça fait aussi de moi une Baronne… non ?

_____Le lendemain, j’ai compris que leur comportement n’était pas dû à un manque d’intérêt mais, comme d’habitude, à une incroyable sollicitude. Parce que c’est toute l’île de Sirup qui est venue se presser à notre porte pour me voir. « Hein, quoi ? » fut ma réaction lorsque j’ai appris que j’étais devenue une célébrité locale, et que certains de mes exploits étaient de notoriété publique dans tout East Blue ! Incroyable… je n’ai pourtant rien fait d’exceptionnel ! Bon, à part le coup du trésor et tout, mais ça en principe personne n’est encore au courant. Peut-être que mes parents en ont parlé à leur entourage, et que ça a fait le tour des mers ?

_____Chouette ! Je suis célèbre ! Avec un peu de trac mais une immense fierté, j’ai parlé à des gens, j’ai raconté mon histoire, j’ai montré des pièces du trésor (les plus belles, évidemment) et j’ai expliqué comment j’ai mis une dérouillée à toute une armée de pirates à moi toute seule ! Bon, j’en ai peut-être un peu rajouté mais sur le coup de l’émotion… mais tous ces gens se sont déplacés pour me voir, alors autant que ça vaille le coup et que je leur raconte une histoire mémorable, non ? Grand Line ! Ce n’est pas tout le monde qui peut s’en vanter, quand même !

_____La météo, les courants, les créatures monstrueuses (j’ai omis de préciser qu’il s’agissait d’un chat, ça devient tout de suite moins impressionnant) et même Ashikoi, l’épéiste mystérieuse avec qui nous nous sommes disputé le trésor : j’ai tout raconté. Essoufflée, j’avais encore plein d’étoiles dans les yeux lorsque Mélanie est venue me voir.

_____Mélanie, c’est une amie avec qui j’ai grandi mais qui pourtant garde sa part de mystère. Espiègle et cachotière, elle n’est pas très expansive et garde ses sentiments pour elle, si bien qu’il est impossible de savoir à quoi elle pense. De plus en plus présente dans la vie de famille, elle a très certainement une histoire qui commence avec Liam et je la charrie régulièrement pour savoir où ils en sont. Malheureusement, elle se débrouille toujours pour esquiver la question !

_____Mais cette fois, elle s’est assise à côté de moi, sans détour, et m’a posé la question de manière directe. « Alors, qu’est-ce que tu comptes faire, maintenant ? ». Venant d’elle, ça veut tout dire. Elle sait. Elle sait que derrière les belles histoires que j’ai racontées, il y a eu des mois et des mois de galère, à travailler dans des étables pour des salaires de misère, à devenir la cible d’autochtones xénophobes ayant décidé que je devais les épouser et à compter ceux qui ont perdu la vie par ma faute dans une énième bataille… par ma faute… Maman m’a dit que ce n’était pas ma faute et que je n’avais pas à m’en faire, et elle a raison. Je n’étais pas responsable de leur sécurité ni de rien. J’aurais pu rester cachée avec les autres qu’on n’aurait rien eu à me reprocher. Pourtant je me suis battue et j’ai sauvé des vies, alors je n’avais pas à m’en vouloir. Non, ce n’était pas ma faute. Ils ont pris le risque de venir sur la route de tous les périls et ils l’ont payé de leur vie… Mais c’est tellement cruel ! Pragmatique, certes, mais cruel ! D’accord je n’y peux rien mais quand même. Parfois je pense à leur famille qui attend encore leur retour et à qui on n’a pas jugé utile d’annoncer leur décès, et ça me peine.

_____Mélanie me regarde et je me dis que je n’aurais peut-être plus à vivre tout ça. Elle me demande ce que je compte faire mais en fait elle me demande si je compte rester sur Sirup, si j’ai assez voyagé. J’avoue que c’est tentant ! Dans la profondeur de ses yeux je mesure à quel point les vraies relations, les gens que l’on connait et à qui on peut faire confiance, sont meilleures que les petites rencontres. Parce que des rencontres, j’ai en faites, et pas que des bonnes ! Mais si on ne fait pas les pires rencontres, comment se rendre compte de la valeur des meilleures ?

_____Certes, j’en ai bavé mais à aucun moment je n’ai ressenti le désir de rentrer. Je n’ai rien lâché, je me suis confrontée à la vie et j’y ai gagné un fabuleux trésor. Et ce trésor, ce n’est pas seulement des berries mais la conviction qu’avec un peu de volonté on peut y arriver, on peut surmonter les difficultés, faire fi des pauvres cons qui nous pourrissent la vie et profiter du voyage. Il y a tant de choses à découvrir, tant de mers à explorer, avec sur chacune des milliers d’îles et tout autant d’histoires, tout autant de trésors ! Je ne peux pas m’arrêter ici. Je ne peux pas rester sur Sirup. Pas plus de quelques mois.

_____Alors je suis repartie. J’ai mûrement réfléchi. J’en ai parlé à mon père qui m’a dit de faire ce que je voulais, à ma mère qui m’a fait un sourire mystérieux et à mon frère qui m’a dit de lui ramener un autre trésor, et j’ai pris ma décision. Mes décisions. D’une part, maintenant que j’ai un peu d’argent, ce ne sera plus la peine de galérer comme j’en avais l’habitude. A moi la belle vie ! Adieu les hôtels minables et les auberges décaties, oubliées les tavernes populaires et les petits boulots à deux sous ! Maintenant à moi la qualité, la propreté, le confort ! Et comme la chasse aux trésors ça me réussit bien, j’ai désormais de quoi devenir une marchande indépendante. Oui, vendre les trésors que j’aurais moi-même trouvés me semble une merveilleuse idée.

_____Mais pour cela il me faut de quoi les transporter. Pour devenir véritablement indépendante, il me faudrait un équipage, un navire ! C’est quelque chose que je n’avais jamais imaginée… avoir mon propre navire… Capitaine Anatara, ça sonne bien ça ou pas ? Hum, je sais pas trop. Oui, non ? Peu importe. Capitaine ! Voilà quelque chose qui sonne bien. Alors, après avoir fait mes adieux à mes proches, je partie pour Shell Town. La prochaine fois que je viendrai sur Sirup, ce sera avec mon propre navire.
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— Comment ça vous n’avez pas de navires ?

_____Le gros barbu est tout aussi scandalisé qu’occupé. Ecrivant un compte-rendu d’une main, il feuillette un gros catalogue de l’autre, tout en écoutant attentivement ce que lui chuchotte l’escargophone installé sur son épaule. Avec ce qu’il lui reste d’attention et entre deux phrases adressées à son interlocuteur, l’homme à tout faire s’efforce de me répondre le plus poliment possible.

— Je suis navré mademoiselle, mais un navire ce n’est pas quelque chose que l’on garde en boutique !
— Ah bon ? Et pourquoi ?
— Il faut le commander, le faire fabriquer, vous comprenez ?
— Mais… vous en avez bien un ou deux qui est prêt à prendre la mer, non ?

_____Pour la troisième fois, l’homme passe en revue les différents bâtiments qui peuplent son catalogue et secoue la tête. Après avoir murmuré des paroles incompréhensibles à son escargophone, il reprend la parole d’un franc « Non. »

— Celui-ci a été vendu hier, celui-ci est pour la Marine, celui-ci ne sera pas prêt avant deux mois et celui-là… celui-là… tiens, il sort d’où, celui-là ? Ah oui : il est en réparation.

_____Je reste quelques secondes, un peu dépitée devant cette mauvaise nouvelle.

— Mais, vous n’êtes pas les meilleurs de tout East Blue ? Comment ça se fait que vous n’ayez que quatre modèles ? Et c’est quoi tous les autres navires de votre catalogue ?

_____Alors que je tends le bras pour m’en emparer, il le referme et le range d’un geste sans appel.

— C’est notre collection, dit-il pour toute réponse.

_____Dépitée, je le quitte sans même lui dire au revoir et je rumine ce premier échec. Zut alors, je n’y avais pas pensé ! C’est vrai, quoi : un chantier naval ce n’est pas une boulangerie. On ne peut pas y entrer et dire « Bonjour, je voudrais un navire pas trop cuit, s’il vous plait. – Oui, avec ceci ? – Ça sera tout, merci. » Bon. Cette équipe étant très occupée, je suppose que je vais devoir m’adresser à la concurrence. Je raye l’enseigne de ma liste et je passe à la suivante.

_____Les rues sont serrées avec des maisons construites les unes sur les autres. Quand j’y marche, je me sens toute petite, comme un petit pétale de fleur tombé dans un torrent fulgurant. Et en général, il y a toujours une cascade pas loin dans ces cas-là alors ça me met mal à l’aise. Heureusement, j’ai pris quelques notes sur les endroits que je devais visiter et je n’ai aucun mal à trouver mon chemin. Je longe d’abord la rue des épices où s’étalent des produits pas très frais mais tout en couleur, à tel point que ça ne fait pas très naturel. Plus loin, des tavernes pas très fréquentées attendent leur heure au milieu des restaurants dont les terrasses commencent doucement à se remplir alors que la matinée se termine.

_____Pas de flâneurs, dans cette ville. Des gens pressés qui circulent et qui crient comme le jour du marché, des hommes qui étendent leur linge et des enfants qui échappent à leurs parents pour aller se perdre dans la foule en riant. La foule s’écarte, un monsieur attrape le mauvais garçon par le poignet et le restitue à sa mère en lui rendant son sourire. « Mais ce n’est rien, je vous en prie », dit-il tout gêné, sous le charme d’une rencontre qui ne se concrétisera jamais. Moi ça m’amuse de regarder ça et je m’imagine des trucs, je lui prête des pensées et des rêves qu’il n’aura très certainement pas, tout ça à partir de regards qui se croisent et de mains qui s’effleurent. Ah, ben j’y suis.

_____La boutique est tout aussi petite que la précédente. Un parloir, une chaise, à peine la place d’y rentrer à deux. Des maquettes de bateaux décorent les armoires et les étagères pleines à craquer de livres qui traitent de choses qui m’échappent totalement. De l’autre côté du comptoire, un petit garçon aussi jeune que mignon semble mourir d’ennui. Tout à coup, alors que je me rapproche d’une étagère pour essayer de décrypter le jargon technique qui figure sur le livre du haut, il se rend soudainement compte de ma présence et se redresse tout aussi sec.

— Bonjour madame ! Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
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_____Madame, comment ça madame ? Je ne suis pas si vieille, si ? Alors que je me pose des questions existentielles, le petit garçon penche la tête sur le côté d’un air interrogateur. Ses yeux tout ronds et tout noirs se baladent un peu partout sans jamais rien fixer, et je me demande s’il est curieux ou juste complètement fou. Brun, bouclé, il cligne frénétiquement des yeux puis redresse la tête avant de m’adresser un sourire des plus sincères.

— Viendriez-vous pour passer commande, madame ?
— Mademoiselle.
— Oh, je suis confus.

_____N’ayant pas l’intention de m’embarquer dans le débat, j’attends une seconde règlementaire et j’enchaîne avec mon plus beau sourire.

— Bonjour, alors euh… oui, du coup je viens pour un bateau.

_____Je ne sais pas si c’est un tic ou quoi, mais de nouveau il cligne des yeux. Il semble abasourdi et répète mes deux derniers mots, comme s’il avait peine à y croire.

— Oui, un bateau., je confirme.
— Bien sûr bien sûr ! Vous êtes au bon endroit mademoiselle ! Je me présente : je me nomme Vivien, fondateur de Navivres.
— Navivres ?

_____Leur logo est un N calligraphié suivi de deux mouettes en plein vol. Maintenant que je le regarde de plus près, on peut bien y lire Navivres. Alors que je me demande si c’est un navire qui trouve les aubes navrantes, si c’est un jeu de mot avec le verbe ou si ça vient du prénom de l’autoproclamé fondateur, ce dernier acquiesce d’un chaleureux « Pour vous servivre ! ».

— Euh… d’accord ? Et du coup…

_____Sans me laisser finir ma phrase, le petit garçon déboule de derrière le comptoir et ouvre une porte sur le côté.

— Mais attendez, je vais vous présenter à l’équipe. ALICE ! On a une cliente ! Ne vous en faîtes pas, elle ne va pas tarder à arriver.

_____Son esprit fonctionne visiblement trop vite pour moi qui suis restée coincé à la phrase d’avant.

— Votre équipe ?
— Mais non, Alice. Le reste de l’équipe n’est pas ici. Il y a Bob qui est à l’atelier et Charlie qui est rentré chez lui il y a dix minutes.
— A… attendez. Vous êtes combien dans l’équipe ?
— Ben, vingt-six. Alice, Bob, Charlie, Damien…
— C’est bon, c’est bon merci ! Et vous exercez depuis combien de temps ?
— Avant-hier.
— Hein ? Mais… comment ?
— Comment ça se fait que vous ayez déjà entendu parler de nous alors qu’on a commencé avant-hier ?

_____Il a dit ça sur un ton extrêmement peu naturel. Long, monocorde, comme s’il parodiait un enregistrement.

— Ouais.
— C’est parce que j’ai repris l’enseigne du vieux Möhrnã, celui qui tenait boutique avant. Il était très fort pour faire des bateaux et tout mais il était trop vieux alors j’ai pris sa place.
— Attendez, qui ça ?
— Möhrnã, vous connaissez pas ?

_____Je relis vite fait mes notes et y retrouve mention d’un certain « Morna ». Je corrige en rajoutant des annotations qui rendent au mieux l’aspect imprononçable de son patronyme et je relève les yeux vers mon interlocuteur.

— Maître, vous m’avez fait mandé ?
— Ah, te voilà ! Mademoiselle, je vous présente Alice, un élément indispensable à l’équipe. Si vous voulez commander, c’est avec elle que vous devez traiter en premier.

_____Contrairement à Vivien, Alice a visiblement dépassé l’adolescence et fait au moins trois têtes de plus que lui. Brune, droite mais humble, elle semble réservée et pas très sûre d’elle, contrairement à son partenaire qui déborde tellement d’énergie que ça devient presque gênant.

— Je m’appelle Anatara, lui dis-je en lui serrant la main.

_____Toute confuse, je me rends compte que je n’ai pas donné mon prénom à Vivien quand il m’a donné le sien, et je me sens gênée par mon impolitesse.

— Mais bien sûr, dit-elle en inclinant la tête comme si je venais de lui demander un service.

_____Vivien, qui s’est emparé d’un trousseau de clefs et d’un porte-monnaie, m’indique la sortie du plat de la main et m’invite galamment avec les mots suivants.

— Eh bien, chère Anatara, que diriez-vous de nous retrouver autour d’une table afin de discuter affaires ? Je connais un très bon restaurant qui saura ravir vos papilles. C’est moi qui vous invite, bien entendu.
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_____Alice me bafouille quelques explications en se passant nerveusement la main sur le nez. C’est un geste qu’elle fait souvent, presque trois fois par phrase. Malgré son absence de confiance, je vois qu’elle sait de quoi elle parle car elle emploie des termes techniques et qu’elle pense d’elle-même à des problématiques auxquelles je ne songe pas forcément. Il faut dire que j’ai beau savoir comment fonctionne un bateau, ça ne me dit rien sur la manière de les construire.

— Donc, si j’ai bien compris vous n’avez jamais construit de bateau ?
— Mais si, mais si !, s’exclame Vivien, outré : Alice a travaillé la moitié de sa vie pour Möhrnã. Elle sait de quoi elle parle, je vous assure !

_____D’accord, d’accord, mais pourquoi ce n’est pas elle qui a repris la tête de l’entreprise ? Une question de confiance en soi, j’imagine ? En attendant je ne suis pas sûre de pouvoir leur faire confiance. Et si leur navire ne valait pas un sous ? Je m’apprête à dépenser presque tout mon argent, et ce n’est pas une décision que je dois prendre à la légère.

— Bon, soit, mais je pense que je vais contacter les Amarres &…
— Non non non, surtout pas ! Ces gens sont des charlatans ! Faîtes-nous confiance, vous ne le regretterez pas !

_____Vivien me regarde droit dans les yeux avec tout le sérieux du monde, mais son expression contraste tellement avec son âge que ça en devient presque comique. Je ne peux pas leur faire confiance : ils n’ont même pas de produit fini à me présenter. Je ne sais pas ce qu’ils valent… avant de les engager, j’aimerais au moins voir ce qu’ils sont capables de faire.

— Vous n’avez pas un modèle à me présenter ? Un navire que vous auriez construit par le passé ?
— Alice, je t’en prie.

_____Celle-ci sort un gros catalogue de son sac à dos. C’est une sorte de manuel annoté où chaque chapitre résume les différentes étapes de la construction d’un bateau, images à l’appui. Elle ouvre le livre au trois-quarts et se passe la main sur le nez d’un rapide geste vertical, de bas en haut.

— C’est le dernier modèle que nous avons conçu à l’époque de Möhrnã. Les clients ont signé ici, vous pouvez voir les messages de remerciement.

_____Je parcours du regard les différentes images du produit fini qui m’a l’air tout à fait correct et je lis rapidement les quelques mots qui ne tarissent pas d’éloge envers Möhrnã par-ci, Möhrnã par là… Lorsqu’elle voit que je ne lis plus que par politesse, Alice se permet de tourner quelques pages en arrière, pour me présenter un autre modèle de bateau, plus ancien.

— Nous l’avons conçu il y a quelques années. L’équipage nous a envoyé une carte postale il y a quelques temps, et et et…

_____Elle semble perdue dans ses pensées quelques secondes comme si elle n’arrivait pas à mettre de l’ordre dans ses pensées. Son regard se perd dans la contemplation du mur du fond, comme s’il me passait au travers. Pendant ce temps, je lis la carte postale qui montre une de ces îles incroyables de Grand Line, où leur bateau fait escale en attendant la prochaine aventure. D’après ce qui est écrit, la durabilité du bâtiment est irréprochable ! Au bout de quelques secondes, le regard d’Alice revient vers moi et elle reprend sa phrase comme si de rien n’était.

— … l’équipe des constructeurs n’a pas vraiment changé, depuis.

_____Je hoche la tête, à peu près convaincue de leur savoir-faire.

— En tous cas, reprend Vivien, la seule chose qui a changé depuis l’époque de Möhrnã, c’est que c’est moi qui suis aux commandes ! On a dû remplacer deux ou trois employés mais ceux qui ont conçu l’Inflexible sont ceux qui construirons La Pyrphidée. C’est bien comme ça que vous désirez l’appeler, n’est-ce pas ?
— Euh, oui. Enfin je ne suis pas encore sûre, mais oui.
— Très joli, comme nom. Ça m’évoque un peu un nom de fleur…
— Bon, d’accord, mais n’empêche que je vais quand même faire un devis chez les concurrents, histoire de comparer les prix.
— C’est tout à votre honneur. Revenez demain, Bob se chargera de vous donner le détail de la facture.

_____Le lendemain, je suis Bob m’a fait une proposition des plus honnêtes, si bien que j’ai eu du mal à me décider entre son devis et celui que je venais d’obtenir de l’entreprise concurrente. Finalement, ce qui m’a fait choisir Navivres c’est le petit côté excentrique de Vivien, son aspect humain, entrepreneur et optimiste. Et, surtout, le fait qu’il ait accepté de me faire une petite ristourne contre un gros coup de pub. Parce que oui, je commence à être connue sur East Blue, bien plus que ce que j’imaginais. Alors dire que c’est son entreprise qui a fait le bateau de l’aventurière Anatara, ce n’est pas rien ! Ainsi, je lui ai promis que je publierai des écrits après chacune de mes aventures, où je ne manquerais pas de souligner que « Si nous avons réussi dans notre entreprise, c’est uniquement grâce à Pyrphidée ! Je tiens donc à remercier Vivien et son entreprise Navivres, qui ont su produire ce bâtiment exceptionnel. »

_____Franchement, ça m’embête un peu d’avoir à faire ça mais c’est le jeu, comme on dit. Et puis j’en ai vraiment besoin, de ce rabais : je ne peux pas dépenser tout mon argent dans la construction du bateau. Il me faut aussi recruter un équipage, acheter des vivres, verser des salaires et réunir des informations sur les contes et légendes ! Qui sait quand je vais trouver mon prochain trésor ? Dans un mois, un an ? Mais certainement pas demain. Alors en attendant, aussi dommage que ça soit, il me faut garder quelques économies.
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— Bonjour, assieds-toi. Comment tu t’appelles ?
— Bote Juagi.

_____L’homme qui me fait face est un trentenaire au visage pas très bien entretenu, aux yeux fatigués et à la voix fragile. Pour tout dire, il ne donne pas une bonne première impression et ne semble pas s’en préoccuper.

— Quelles sont tes aspirations dans la vie ?

_____Il regarde intensément le plafond, hausse les épaules et se gratte la tête.

— Rien, je veux juste avoir de quoi me nourrir, moi et mes trois enfants.
— Vous avez des enfants ?
— Oui, trois.
— Vous savez que nous allons voyager beaucoup, et que vous ne pourrez pas forcément les revoir ?

_____L’homme se crispe légèrement, comme s’il n’avait pas pensé à ce « détail ».

— Ben, dans l’idée j’aimerai leur ramener un trésor, quoi. Comme vous quand vous êtes rentrée au bercail.
— Je vois.

_____Je lui pose encore quelques questions sur ses compétences, ses espoirs et ses peurs. Il me faut des gens avec un bon mental pour ne pas qu’ils décrochent ou qu’ils abandonnent en cours de route. Inversement, s’ils ont trop d’ambition ou s’ils ont trop confiance, ils risquent de remettre en cause mon autorité voire faire des mutineries. C’est ce que m’a dit le bon vieux capitaine quand je lui ai demandé comment il avait recruté son équipage. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec lui mais vaut mieux suivre les conseils de quelqu’un qui sait de quoi il parle plutôt que d’en faire qu’à sa tête… Qui je suis et qu’est-ce que j’ai fait d’Anatara ? C’est toujours moi ! Mais il y a des moments où il ne faut pas prendre les choses à la légère, comme par exemple quand on dépense toutes ses économies pour monter un équipage. Après avoir pris quelques notes, je le remercie et appelle le candidat suivant, qui se trouve être une candidate.

— Wesh. Alors c’est toi l’Urami.

_____Il s’agit d’une grande femme aux cheveux courts et au sourire ravageur. Grande, ça veut dire qu’elle fait deux têtes de plus que moi. À partir de trois ça rentre dans la catégorie « géants » ; autant dire qu’il y a beaucoup de grands dans ma classification personnelle. Cette femme a tout ce qu’il faut pour plaire. Elle est sûre d’elle, elle se soigne, elle s’habille bien et simplement et, surtout, elle a un physique qui dépote ! Cette taille ! et la largeur de ses épaules ! Incroyable. Bon, certains diraient que ce n’est pas forcément ce qu’ils recherchent chez une femme mais qu’ils se détrompent : il y a de tous les goûts par-delà les mers. Moi, je préfère les garçons mais n’empêche qu’elle me séduit d’entrée de jeu, sans avoir encore rien dit.

— Moi c’est Bifrine, dit-elle.
— Anatara, enchantée.

_____Je lui sers vivement la main et j’écris son nom sur une feuille vierge.

— Je viens pour l’entretient, se sent-elle obligée de rajouter pour briser le silence.

_____Oui, je me doute. Trop intimidée par sa carrure, je garde cette remarque pour moi et me contente de poser les questions d’usage sur son passé, ses ambitions, ses peurs, ses compétences et tout un tas d’autres trucs qui n’ont pas leur place dans un entretien d’embauche. Sans gêne, elle me répond le plus simplement du monde, de manière directe et sans artifice. Parfois, elle met dans le mille et je me dis « waouh, c’est exactement la personne qu’il me faut », mais parfois je ne peux retenir un sourire gêné mêlant incompréhension et déception. Oui, cette personne est on ne peut plus bizarre. Pas parfaite, pas naze, mais un peu un mélange des deux. Elle est incontestablement humaine, avec ses qualités et ses défauts. Là, par exemple, elle est en train de me faire la liste de toutes les fois où elle a eu un avertissement pour insubordination.

— Le major voulait qu’on rembarque au p’tit matin mais moi, j’étais en finale du tournois d’poker, tu t’rends compte ? J’allais tout défoncer, aucune chance que j’laisse filer. Alors j’me suis glissée hors du dortoir et j’ai joué pendant la nuit. Et j’ai gagné, t’y crois toi ? J’ai gagné gros ! Le problème c’est que j’ai trop bu et que j’me suis endormie, alors non seulement ils m’ont tout piqué, mais en plus je me suis fait engueulée, j’vous raconte pas. Et qu’y faut pas boire pendant l’service, et qu’y fallait lever l’camp y’a trois heures, et qu’j’ai dû retourner toute l’île pour te retrouver et patati et gnagnagna, et moi tout ce qui m’mettait en rogne c’est qu’ces salopiauds d’truands m’avaient roublardisée, et que toute l’argent qu’j’avais gagné au poker avait disparu. Ça m’apprendra tiens. Alors j’lui ai dit « Mais m’sieur, c’était pas pendant les heures de services ! » C’est vrai quoi l’service ça commençait à la demi et alors ça l’a mis en roooogne, mais t’imagine même pas !

_____Apparemment « Svinette », de son prénom, n’a pas vraiment la bonne notion de la hiérarchie et du service ! Heureusement pour elle, je ne recrute pas des soldats. La rigueur militaire n’a rien à faire sur mon navire et si un tel incident devait se produire, on en rirait plus qu’on la disputerait… sauf si elle avait perdu l’argent de l’équipage et pas son propre argent, bien entendu ! Svinette, je ne sais pas trop quoi en penser. D’un côté ses « insubordinations » me font craindre qu’elle remette en cause mon autorité, mais de l’autre elle n’a jamais vraiment désobéi aux ordres. Elle a juste fait plein de conneries qui manifestent une certaine absence de bon sens. Et pourtant, dans plein d’autres occasions, elle en a fait preuve, du bon sens ! Quand on lui parle dans les termes qu’elle connait, elle sait gérer la situation. Son expérience dans l’armée, ainsi que ses aptitudes au combat, seront précieuses. Clairement, j’ai besoin d’elle et puis qu’est-ce qu’on va s’amuser ! À la fin de l’entretien, je lui sers vigoureusement la main et je lui annonce, sans l’ombre d’un doute :

— Bienvenu dans l’équipage.

_____Et voilà, une bonne chose de faite. Après deux jours passés à recruter, il ne me reste plus qu’à me prélasser tranquillement en attendant la fin de la construction du bateau. Je me demande ce que je vais faire en premier… Tiens, un marchand de glaces !
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