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La traque la plus longue

Nul part, sur la route de tout les périls, 1628.

Quand on est perdu au milieu de la mer, la folie l’emporte rapidement, et elle peut prendre des formes bien diverses. Pour certains, c’est les visions d’une terre paradisiaque, pour d’autres la folie prend la forme d’un chant de sirène. Pour Klara Eilhart, la folie se manifesta d’une drôle de manière.

Le regard plongé dans la dernière édition du journal internationale officiel, un crayon cassé en deux à la main, qu’elle tapotait rapidement sur son menton, elle était en pleine réflexion. Elle avait passé en revue les primes récentes depuis un bon moment maintenant, et avait lu la plupart des articles au moins deux fois. Elle avait passé un bon moment à lire la transcription du discours du porte-parole du gouvernement pour la nouvelle année, et la chamboulement mondial qui se laissait deviner à sa lecture ne l’avait pas plus bousculé que ça ; Klara s’était toujours arrangée pour se tenir loin des complots, de la politique, et des évènements importants d’une manière générale. Elle avait accepté avec joie, depuis maintenant des années, de n’être qu’un minuscule petit point sans importance dans la fresque de l’Histoire. Elle qui était d’une incapacité folle à prendre des décisions, la neutralité lui sied à merveille.

Non, ce qui accaparait son attention depuis maintenant une bonne heure, c’était ce satané quiz en dernière page qui, supposément, pouvait vous attribuer un archétype de personnalité tout à fait réaliste. Il fallait y répondre sans réfléchir, afin de ne pas fausser le résultat, ce dont s’était avérée bien incapable la chasseuse. Certaines questions étaient faciles, comme par exemple « Êtes-vous capable d’ôter la vie d’autrui ». Bien sûr que oui, quelle question. Ou encore « Pour combien de berrys seriez vous prêt à découper un être humain » ; elle avait coché le montant le moins élevé. C’est la suite qui fut plus difficile. Comment diable pouvait-elle savoir sa « couleur préférée »?! Ou même son « chiffre porte-bonheur » ? La suite lui donna une migraine. Il fallait choisir. Prendre des décisions.

Question 175 : Le train aquatique de Water Seven s’apprête à écraser cinq enfants bloqués sur les rails. Un homme de forte corpulence se tient sur un navire à proximité. Le pousser sur les rails permettrait d’arrêter le train à temps pour sauver les enfants.

A : Vous partez dans rien faire, l’air de rien.
B : Vous regardez les enfants mourir.
C : Vous utilisez une arme expérimentale pour exploser le train ainsi que ses passagers.
C : Vous poussez le gros.

Question 176 : Un enfant maladif est sur le point de succomber. Seule votre mère est compatible pour une greffe de cœur qui pourrait à coup sûr le sauver.

A : Vous effectuez la transplantation.
B : Vous laissez l’enfant mourir.
C : Vous poussez le gros.

C’était tout bonnement impossible. Klara n’avait absolument aucune idée de comment répondre à ces questions. Alors elle avait commencé à s’interroger. A réfléchir, sur elle même. Qui était-elle ? Qu’est-ce qui pouvait bien la définir ? Le crayon était presque neuf, il y a encore quelques heures, mais elle avait fini par le ronger.

Elle sortit son petit carnet, qui ne la quittait plus, pour y gribouiller quelques inscriptions et pistes. Elle en oublia la faim et la soif. Grâce à un petit morceau de miroir brisé qu’elle retrouva dans la minuscule cale de son navire, Klara se risqua à un croquis d’autoportrait. Une seule question occupait son esprit fatigué :

Qui suis-je ?

* * *

Je vous le dis comme je l’ai vu… J’ai tout de suite senti un truc qu’allait pas, comme un changement dans l’air, vous voyez ? C’est là que je l’ai vu. Tout droit sorti d’un mauvais rêve. Toute squelettique, elle flottait dans les airs ! On voyait à peine son visage, mais moi, j’ai vu ses yeux. Elle m’a regardé. J’ai jamais eu aussi peur de ma vie ! Les rivages sont hantés, moi je vous le dis.

Témoignage anonyme, édition n°542 du journal matinal de l’Archipel.


On raconte que le navire avait accosté sur l’une des plages vierges de l’archipel, s’échouant à moitié, un peu avant l’aube. Ses voiles étaient déchirés, sa coque fissurée. Il était de petite taille, et son arrivée à bon port tenait déjà du miracle.

On raconte que par la suite, une étrange silhouette mit pied à terre. Une longue cape noir la recouvrait entièrement, et seule une partie de son visage se découvrait sous sa fine capuche. La lumière tout à fait unique des nuits de l’archipel lui donnait un air de mort. Elle marchait lentement, donnant l’illusion de glisser, sous son long manteau, ne prêtant attention à rien d’autre que sa destination. La suite, l’histoire ne nous le dit pas. Probablement car le seul témoin, l’un des poivrots du coin qui s’était un peu trop éloigné du village pour pisser, tourna de l’œil lorsqu’il vit la silhouette s’allonger pour faiblement prendre la forme d’une créature à quatre pattes. Par la suite, plus personne ne l’avait revu.

* * *

« Bon, faisons le point. » se lança finalement Cannelle, d’un ton qu’elle voulait ferme.

Autour d’un léger feu de camp, à l’abri des intempéries dans une légère crevasse creusée dans la roche d’une falaise, plusieurs jeunes femmes s’étaient réunies. Elle étaient vêtues de tenues rupestre et taillées pour le voyage. Deux des filles venaient de débarquer, et se réchauffaient près du feu.

« Amelia, Marie. Vous avez vu quelque chose ? 
– Un navire. Petit, commença la seconde. Il s’est échoué.
– Un naufrage ?
– Oui ! S’exclama Amelia. On s’est pas approchée, comme t’as dit.
– Hm… Vous n’avez vu personne en sortir ?
– Non. Personne à l’horizon. Pas de trace, rien. Pas de traces humaines, en tout cas. » précisa Marie.

Cannelle, qui semblait être la cheffe du petit groupe, déplia une petite carte qu’elle gardait dans l’une de ses poches. Une croix rouge indiquait une plage, sans doute non loin d’ici.

« Vous n’avez rien vu d’autre ?
– Non m’dame ! » s’amusa Amelia.

Bizarre.

« C’est peut-être ça, que la vieille folle voulait qu’on trouve ? Demanda Sarah, la quatrième membre de la petite troupe.
– Y’avait rien, hier. Ce navire vient d’arriver, je vois pas trop comment ça pourrait avoir un rapport avec nos pirates. Dans le doute, prenez vos précautions.
– Plus que d’habitude, tu veux dire ?
– Ouais. Sarah et Amora, vous avez la prochaine patrouille. Soyez prudente. Je vais faire part de vos découvertes au li- »

Un cri. Sans doute celui d’Amelia, qui s’est jeté en arrière d’un bond, pour se retrouver aux côtés de Cannelle. Face à elle, à quelques mètres à peine du feu, se trouvait un buisson éclairé par les lucioles qui poussaient dessus. Mais plus important encore, il s’y trouvait une gueule de loup qui dépassait des feuillages.

« Salut. » fit simplement l’animal.

* * *

« Vous êtes qui ? Demanda curieusement la jeune fille aux cheveux bleus.
– Klara.
– Vous faites quoi ici ? »

En voilà une bonne question. Klara dût réfléchir une bonne seconde avant de répondre. Les derniers évènements l’avaient laissé perplexe. Elle s’était perdue en mer. Enfin, perdue. Elle n’avait pas de trajet à suivre, en quittant les Jumeaux, difficile donc de se perdre. Disons plutôt qu’elle s’était retrouvée au milieu de nul part pendant plus longtemps que prévu. Mais elle était bel et bien vivante, et c’est la terre ferme que ses pieds foulaient à présent. Elle avait débarqué la veille, avec fracas. Son arrivée sur l’archipel, c’est bon, elle avait. Son arrivée ici précisément, maintenant. Elle avait suivi l’odeur, tout simplement. Bien que la petite troupe de jeune femme avait pris des précautions quant à leur présence ici, il était bien difficile de passer sous le radar olfactif de la chasseuse. D’instinct, après avoir posé pieds sur la plage, elle avait pris sa forme animale, simplement parce que c’était plus simple de voyager ainsi, et de chasser. Elle avait déambulé un moment, avant de finalement parvenir jusqu’au campement de fortune. Et d’effrayer sans le vouloir une partie de ses habitantes.

Amélia était la plus enclin à faire connaissance, les autres étant bien plus réservées. Et elles avaient raisons, se dit Klara. Elle avait repris forme humaine, par preuve de bonne foi, et avait simplement demandé à pouvoir se réchauffer près du feu, et pourquoi pas partager un peu de leur pitance.

« Je me suis échouée ici, répondit-elle simplement.
– Comment on peut savoir qu’on peut vous faire confiance ? » Demanda Cannelle avec méfiance.

Pour toute réponse, Klara se contenta de sortir de sa poche sa vieille carte de chasseuse de prime.

« Oh ! »

Les yeux d’Amelia et d’Amora s’illuminèrent.

« Une consœur ! Sacrée coïncidence. 
– Du coup… Je peux savoir où je suis exactement, et ce qu’il se passe ici ? »

Cannelle jaugea la chasseuse du regard, avant de légèrement hocher la tête de haut en bas. Elle sortit de son sac un petit escargophone à qui elle donna quelques feuilles à mâcher.

« Bienvenue sur l’archipel aux éveillés, Klara Eilhart. Tu débarques à un moment étrange, mais c’est peut-être pas plus mal pour nous. »

Elle rapprocha l’escargophone de son visage, ses yeux illuminées par les lucioles et les flammes dansantes.

« Mieux vaut prévenir le vieux. »
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C’est bizarre. Parce que d’habitude je me méfie pas du tout, j’aurais plutôt tendance à faire confiance aux gens mais là, j’sais pas pourquoi, mais je doute. Peut-être qu’il me faut voir la personne en face pour me décider, et pas simplement avoir les infos rapportées par escargophone. Mais pour le moment, je vais finir d’explorer mon petit coin, ce serait perdre un temps fou que de rentrer au campement maintenant.

Et du temps, nous n’en avons pas.

La plage sur laquelle nous avons accosté la veille au soir, finalement trop peu de temps après qu’on ait pu quitter le port, était le premier point indiqué par la Folle sur la possible présence des pirates. Et on n’y serait pas restés si longtemps si cette foutue tempête s’était pas déclarée, nous bloquant encore une fois dans nos recherches. J’crois que j’ai décidément pas d’bol. Ou bien les Pirates que j’poursuis sont bénis des Dieux ou d’une quelconque entité supérieure. Vache, que j’aime pas ce genre d’expédition. Partir à la poursuite d’un navire sans les moyens de la Marine, avec pour seules partenaires des chasseuses de prime et des civiles un brin aventurières, c’est pas franchement ce que j’pourrais appeler un cadre sécurisé. Mais j’ai pas l’choix, faut que j’retrouve mon nain, c’est à cause de moi qu’il est fourré dans ce pétrin.

C’matin, quand j’ai vu que l’ciel était dégagé, j’ai dit aux filles qui montaient la garde pendant que les autres finissaient de se reposer que j’partais en repérage sur un autre des points indicatifs de la Folle. J’suis en train de tourner taré. C’est la première fois que je me fie à des indications qui tiennent de la magie. Et d’habitude, j’suis vraiment le dernier à croire à ces conneries. Mais comme c’est la seule piste que j’ai… Bon, selon toute vraisemblance, je devrais pas tarder à arriver. J’vais faire plus gaffe, je tiens pas à me faire repérer tout seul si mes pirates sont vraiment là, je ralentis le rythme de mon embarcation et je m’approche de ma destination sans bruit.

***

« Tofu ?
-Oui Cap’taine ?
-Les gars sont prêts à décamper dès que la Carpe nous donnera le feu vert ?
-Pas tout à fait capitaine, mais ils sont en train de ranger. D’ici quelques heures il ne restera plus nulle trace de notre passage. Et comme on pourra pas dégager avant ce soir.
-Très bien. J’ai une dernière petite requête à t’adresse Tofu. Et je pense que tu es l’homme de la situation.
-Je suis toujours l’homme de la situation. »

Toute la cruauté dont est capable cet homme, Guillaume Speed, alias Tofu se lit à tout moment dans ses yeux, petites billes noires dépourvues de pitié, et à ce moment en particulier où il sait bien que son capitaine va le lancer sur son terrain de jeu. Attendant les ordres, Tofu se caresse machinalement le haut de son crâne, comme pour en vérifier la texture. Depuis qu’ils sont à l’arrêt, bloqués dans cette crique de l’archipel, l’action lui manque. Alors c’est un bonheur de se voir confier enfin quelque chose.

Depuis que Jones s’est fait prendre et qu’Eléa est revenue l’annoncer à son frère, celui-ci se veut beaucoup plus prudent. Il fait monter la garde par des hommes en plus grand nombre et la politique est très simple, au moindre mouvement suspect, un signal pour que le gros de l’équipage puisse s’organiser. Ce qui a fait vraiment plaisir à Tofu, c’est de voir Eléa se faire houspiller par son frère. Elle est vraiment détestable, il avait dit à Rooney qu’une femme à bord, c’était jamais une bonne chose. Peut-être qu’il s’en rend compte maintenant.

« C’est simple, nous allons partir cette nuit, mais je ne voudrais pas qu’on s’enfuie sans retarder un minimum nos poursuivants. J’aimerais que tu installes dans le coin de quoi accueillir d’éventuels visiteurs. Et que ça leur envoie un message suffisamment clair pour qu’ils réfléchissent à deux fois avant de s’attaquer à nous.
-Compris. J’ai carte blanche ?
-Tant que tu es prêt à partir quand je l’ordonnerai.
-Ce sera le cas. »

***

« Je viens d’avoir le lieutenant les filles, il est arrivé au second point indiqué par la Folle, celui qui était le plus excentré par rapport à la trajectoire que nous nous sommes fixés. Rien à signaler par là-bas, il nous propose qu’on se rejoigne au point suivant »

Tout le monde approuve, au rythme où va le bateau, elles en ont bien pour deux heures à naviguer jusqu’à destination. Amelia se relève, à peu près dans le même temps, l’ensemble du groupe se décide à bouger. Elles n’ont que trop tardé. La grande différence entre le lieutenant et elles, c’est la pression qu’il a à retrouver son partenaire. La jeune chasseuse de prime sait très bien qu’elles ne sont là que par esprit de vengeance et pour empocher de l’argent, la perte de ces pirates ne ferait que repousser leur prochain gain. C’est pour ça qu’il se montre bien plus efficace dans ses recherches. Elle se tourne vers la nouvelle. Pas bien méchante, elle a décidé de les accompagner, son navire est foutu de toute façon, et traquer des pirates fait partie de ses activités.

« Je me demandais, ce fruit du démon, c’est pas trop embêtant ?
-Comment ça ?
-Je veux dire, le lieutenant aussi en a mangé un, et quand on l’a rencontré, il a failli se noyer... »

La conversation continue tranquillement jusqu’à ce que la navire soit prêt à repartir. Amelia a toujours eu un bon contact avec les nouvelles personnes. Et décidément, elle aime bien Klara. Peut-être acceptera-t-elle de rejoindre leur équipage une fois cette petite aventure terminée, elle aussi a un prénom en A, c’est peut-être un signe ?

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« Et du coup, tu viens faire quoi ici toi ? »

En quelques heures, Klara avait pu faire un peu mieux la connaissance de la petite troupe sur laquelle elle était tombé. Elle ne s’était jamais senti très à l’aise, entourée comme ça, mais il lui fallait bien avouer qu’elle avait connu pire, comme compagnie. Le fine équipe était vraisemblablement composée de deux groupes distincts, les chasseuses de primes, des moulins à paroles enfantines à ne pas sous-estimer, et les autres, un peu plus froides et mâtures, sans doute car elles en avaient vu d’autres. La chasseuse ne pouvait nier avoir une préférence pour le calme de ces dernières, mais si elle était venu sur Grand Line, c’était pour l’aventure, et l’aventure c’était parfois des interactions sociales nouvelles.

« J’en avais marre de passer mon temps à chasser la prime, alors je suis venu pour prendre des vacances.
– Et ça se passe comment ? Demanda l’une de ses consœurs.
– Ben super, je viens à peine d’arriver que je cours après les primes.
– Rien ne t’oblige à venir avec nous. » fit Cannelle, le regard concentré sur la côte qu’elles étaient entrain de suivre.

Elle avait raison ; rien ne l’obligeait à les suivre, si ce n’était l’agréable sensation de routine qui en découlait. Sortir de sa zone de confort, ce n’était décidément pas évident. Encore que, Klara avait une excuse de taille : elle était à sec, et elle ne comptait tout de même pas laisser son navire dans un tel état, pas après le mal qu’elle s’était donné pour le chopper.

« J’ai besoin d’argent, répondit-elle simplement en haussant les épaules.
– On s’est déjà arrangée entre nous, fit Amora.
– Les gains seront partagés équitablement ! Précisa Amelia, entre nous toutes. Je suppose que ça fait une part en plus, pour toi.
– Une part en moins pour nous, donc.
– Si tu te bats vraiment à nos côtés, évidemment. » conclu Cannelle.

Le lieutenant a raison, se disait-elle. Après tout, les chasseurs de primes étaient aussi nombreux que différents les uns des autres. Si les jeunes chasseuses s’étaient avérées être plutôt digne de confiance, bien qu’elles n’aient pas vraiment hésité à agir dans le dos du marine, rien ne pouvait assurer que la nouvelle venue le serait également. Une solitaire, dont elles ne savaient finalement quasiment rien. Depuis qu’elles avaient embarqués, ce fut surtout Amelia qui avait occupé le temps de parole. Manquerait plus qu’elle la joue solo et nous la mette à l’envers.

« J’ai pas vraiment envie de me battre contre vous toutes. Pas toutes en même temps, en tout cas. » plaisanta Klara.

L’effet ne fut pas vraiment celui escompté.

* * *

Tout commençait à s’agiter, à quelques kilomètres de là, dans un recoin de l’île que la nature avait judicieusement agencé pour être parfaitement dissimulé par le relief de l’île. Rooney ordonnait à ses hommes d’accélérer la cadence ; d’une minute à l’autre, cette fichu boussole serait stabilisée, et tous pourrait quitter cette île et, espérait-il, mettre le plus de distance possible entre lui et ces fichus insectes à sa poursuite. Son heure n’était pas venue. Il en était persuadé : ses hommes étaient forts, lui encore plus, et puis, il n’avait toujours pas accéder à la gloire à laquelle il tenait tant. Non, ce lieutenant de pacotille et sa troupe de bonnes femmes n’étaient décidément rien, un moucheron voletant en travers de sa glorieuse route, tout au plus. La perte de Jones avait été un coup dur, mais il fallait bien avouer qu’il n’était pas le pion le plus efficace en sa possession, ni même le plus fiable d’ailleurs.

Il fixa ses hommes, qui s’activaient à remplir les cales, à débarrasser le campement, et à se préparer à mettre les voiles au moindre signal de leur capitaine.

« Aller, on s’active bande de minables ! Eléa, je peux savoir ce que tu fous ? »

La jeune sœur du capitaine pirate se tournait tranquillement les pouces, faisant simplement mine de déplacer quelques trucs, ici et là.

« Ben, je participe.
– Vraiment ?
– Je supporte moralement les troupes !
– Putain. C’est pas le moment de lambiner. Et Tofu qui revient pas…
– Tu fais vraiment confiance à ce taré ? Demanda sa sœur, qui n’avait pas vraiment écouter ses réprimandes.
– Plus qu’à toi, ces derniers temps. Bouge ton cul et aide les autres.
– Je reçois d’ordres de personne. Si tu veux emmerder quelqu’un, va engueuler l’autre porc, il fait rien non plus.
– L’autre… quoi ? » Fit une voix un peu éloignée.

Pourtant à plusieurs mètres des deux frère et sœur, Victor avait entendu quelques bribes de leur conversation. Rooney, qui savait pertinemment que ce n’était pas le moment pour ces enfantillages, prit place entre les deux autres.

« Rien, rien, Victor. Elle a rien dit.
– J’ai dit : l’autre porc. » répéta Eléa, joueuse.

Victor serra le poing, hésita une seconde à lui en coller une aussi sec, puis se ravisa en voyant le regard réprobateur de son capitaine.

« Je vais prendre l’air.
– C’est pas le moment, répliqua Rooney.
– Je vais prendre l’air, et je vais voir si je peux pas trouver l’autre taré, alors.
– Hm…
– C’est ça, on ira plus vite ici sans poids mort !
– Ferme-là, Eléa. Victor, prend ça. »

Le capitaine fouilla rapidement dans une des caisses encore à terre, et en sortit une arme à feu au canon rondelet.

« En cas de soucis, balance le signal. »

* * *

Le seul véritable bruit que l’on pouvait entendre était le bruit des branches qui s’écrasaient sous leurs pieds. La troupe avait accosté non loin d’ici, sur une plage accueillante et déserte. Ils s’étaient volontairement arrêtés à bonne distance du troisième point indiqué sur la carte, afin de rester le plus discret possible. Suuna, Amora et Olga étaient restée sur le navire, afin de ne pas le laisser sous surveillance. De plus, cela donnait une excuse aux autres pour forcer Suuna à se reposer encore un peu. Cannelle marchait en tête de file, avec à ses côtés une Klara sur quatre pattes, qui préférait profiter du flair sous cette forme pour prévenir les autres du moindre danger. Et puis aussi pour montrer un peu les crocs aux autres. Derrière elles suivait le reste de la troupe, séparés de quelques mètres, toutes aussi à l’affût.

Du bruit.
Une odeur.

Elles n’étaient pourtant pas encore arrivées.

« Klara ? Chuchota Cannelle, tout en ordonnant aux autres de s’arrêter.
– Je sais pas. Ça sent la clope.
– Pff. »

La civile sortit son escargophone de son sac, puis composa rapidement un numéro.

« Lieutenant, on arrive vers vous. »

*

« Lieutenant voilà la personne dont je vous parlez, Klara Eilhart.
– Lieutenant d’élite Alexandre Kosma, dit l’intéressé. Je vous serrerai bien la main, mais…
– Salut. Désolée. »

Il était assez difficile de décrire le procédé exact de transformation et de retour à la normal d’un utilisateur de zoan. Klara elle-même n’avait toujours pas totalement compris comment cela se dérouler. Il faut dire que ça ne l’intéressait pas tant que ça. En tout cas, c’était visiblement un spectacle étrange, selon le regard des autres. De nouveau sous forme humaine, elle serra la poigne assurée du lieutenant.  

« Je me demande bien comment vous avez pu vous retrouver ici, dans notre pétrin.
– Moi aussi. »

Ce n’était pas plus mal. L’action, c’est toujours ce qui lui avait empêcher de trop penser. Au milieu de l’action, elle s’en sortait toujours. Face à elle-même, c’était tout de suite plus délicat.

« Les autres vous ont briefé un peu sur notre mission ?
– On lui a bien tout expliqué, s’exclama Amelia.
– Ouais. Pirate, trouver, battre, expliqua Klara.
– C’est un bon résumé. Juste au cas où, et parce que je vous connais pas ; la situation est délicate, et j’ai un ami bloqué avec ces pirates. Je sais pas comment vous procédez d’habitude, mais j’aimerai qu’on règle cette histoire sans trop de fioritures. J’aime pas trop être comme ça, mais je vous aurez à l’oeil, Klara Eilhart.
– Diiites, ça vous ressemble pas de jouer les soldats trop sérieux ! S’amusa Sarah.
– Je suis pas juste un plaisantin… Et arrêtez de me vouvoyer… 
– Ok » répondit simplement Klara Eilhart.

Elle haussa les épaules. Pas de problème. Elle préférait largement se coltiner un soldat pas trop stupide qui connaissait son travail, plutôt que d’un boulot. Elle était arrivé par un heureux hasard, ce qu’il pouvait parfaitement interpréter comme étant bien trop gros pour être une coïncidence. Ou alors il pouvait se dire que la vieille Folle avait raison, finalement, et que ces points marqués sur leurs cartes étaient effectivement importants. Mais ça, il le déciderait quand ils seraient enfin face aux pirates.

A ce train là, pas sur que ça arrive avant un moment…

*

« Putain de… »

Ils avaient atteint un endroit un peu surélevé par rapport au reste de l’endroit, et pouvait maintenant voir au-delà des épais feuillages qu’ils avaient eu bien du mal à traverser. Face à eux, la mer, à perte de vue. Et puis, plus en contre-bas, à tout de même un bon kilomètre, dépassant la cime des arbres et la roche, se dressait le haut d’un mat.

« Bon. Nous y voilà, commença le lieutenant en charge. Je pense qu’on a pas trop de doute à avoir. »

Il crama une nouvelle cigarette, avant de continuer.

« Voilà ce que je propose…
– Attendez, le coupa la nouvelle venue. J’entends quelque chose. »

Tous se mirent en position, demi-cercle vers l’orée de la forêt qu’ils venaient de quitter. Les lucioles dansaient, et donnaient avec les fleurs lumineuses une ambiance particulièrement unique, en cette fin de soirée.

« Quoi donc ? Chuchota l’une des civiles.
– Des craquements de branches. Des pas, lourds. »

* * *


Victor ne s’était jamais senti à sa place, dans le monde, avant de rejoindre Rooney. La vie n’était pas des plus agréable, certains membres insupportait au plus haut point, mais c’était toujours bien plus enviable que d’être seul, face au reste du monde. Victor aimait sa situation. Il aimait son capitaine, l’un des seuls à avoir vu en lui son potentiel, il aimait l’aventure, et puis, et il ne fallait pas l’oublier, il aimait la violence. Vraiment, il ne regrettait rien. A bord du Swift Symbol, Victor pouvait se déchaîner autant qu’il le voulait : c’était littéralement son boulot. Alors il n’hésiterait plus.

Tofu était introuvable, pour le moment. Pas grave, se disait Victor. Il n’aurait qu’à faire encore un petit tour, le temps d’oublier l’affront d’Eléa, puis retournerait au navire avant le grand départ. Le pyromane aura sûrement rejoint la crique à ce moment-là. Il n’avait pas besoin de s’inquiéter. Il pouvait profiter tranquillement de l’air frais du soir, et de l’apparence si particulière de la nature de l’archipel. Car être un homme particulièrement violent n’empêchait pas Victor d’apprécier les bonnes choses, et il comptait bien profiter de ce petit moment de plénitude.

« Attendez. J’entends quelque chose. »

Hm ? Tofu ?

« Des craquements de branches. Des pas, lourds. »

Lourd.

Lourd.

Oh putain.

Rien ne pourrait empêcher Victor Gérard, AKA le Bulldozer, de foncer tête baissée vers la personne qui avait osé parler de ses pas de la sorte.

Il n’était pas lourd, il avait simplement les os très solides.
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Ça nous arrive en plein dans la gueule, à toute vitesse, c’est lourd et percutant, comme une grosse boule de puissance qui nous renverse tous. Enfin quasiment tous. Le loupiot fait un bond sur le côté, réflexe assez salvateur face à ce qui nous arrive dans la tronche. J’ai pas l’temps de m’écarter, j’suis balancé au sol, le souffle coupé, j’vois plus rien pendant quelques secondes. Mais j’entends à peu près ce qui se passe.

« Qui est lourd ? »

Petit silence circonspect. C’est une voix d’homme, forcément le type qui nous est arrivé dans la tronche qui parle. Je comprends pas ce qu’il attend. Déjà mes mirettes recommencent à distinguer quelques formes. Je tente d’orienter mon regard en direction du son, c’est flou. Et merde, j’espère que c’est pas ma cécité qui reprend, c’était déjà suffisamment pénible la première fois.

« Je répète, qui est lourd ? »

Pourquoi personne ne répond ? Pourquoi il ne se passe rien ? Va falloir en avoir le cœur net, j’glisse tranquillement dans ma version Lion, si la vue n’y est pas meilleure, l’odorat me permet de me guider facilement. Je vais pouvoir lui sauter dessus et l’immobiliser, ça sera vite fait.

« Couché minou, ou je lui brise les os à la demoiselle. Maintenant quelqu’un répond à ma question. QUI EST LOURD ? »

Ça y est, je crois que je comprends pourquoi personne ne réagit. Il a pris une des filles en otage. Merde. On n’est vraiment pas très doués. Et pour sa gouverne, c’est lui qui est lourd à répéter mille fois la même question. Ma forme féline me permet de me redresser à quatre pattes, puis de me changer de nouveau sous forme humaine en me mettant debout. J’ai un peu mal mais je pense que c’est dû au choc. Les formes deviennent de plus en plus nettes, ça me rassure. Je compte trois personnes à terre et deux debout en plus de celles du perturbateur et de sa captive.

« Qu’est-ce que vous voulez au juste ? Laissez-la partir et nous vous laissons tranquille…
-Bien entendu, et mon père c’est le roi des pigeons. J’sais bien que j’ai aucune chance contre vous tous, alors si je la relâche vous allez me sauter dessus et m’foutre les menottes. Je vous reconnais. Vous étiez à la course vous toutes, et toi t’es la mouette qui nous poursuit depuis Reverse.
-Et vous êtes ?
-Kosma, qu’est-ce que vous faites ? C’est pas le moment d’échanger des banalités, il tient Sarah dans ses pattes, je vous le rappelle ! Grince Cannelle.
-Oui, si ça ne vous dérange pas lieutenant, il a les mains suffisamment larges pour lui briser le cou d’un seul mouvement renchérit Cassandra.
-Je cherche une solution.
-La solution ducon, c’est que vous allez vous tenir bien tranquillement pendant que je vais m’en aller par là où je suis venu avec votre copine. Et l’idéal serait que je la ramène en un seul morceau, elle est mignonne, elle plaira au capitaine.
-Et qui vous dit qu’il me plaira ?
-J’crois pas qu’il te demandera ton avis…
-Je voulais dire, si je choisissais un guerrier plus de mon goût, plus fort, plus beau, un type comme vous quoi. Le genre charmant. »

Mais qu’est-ce qu’elle fout ? C’est vraiment la pire façon de se sortir d’une prise d’otage que j’ai jamais vue. D’ailleurs, en parlant de vue, je crois que j’ai récupéré totalement celle-ci. Et je peux désormais distinguer les trois formes à terre ; Amelia, Megara et Marie. Elles n’ont pas l’air d’être blessées, elles ne se sont juste pas relevées après l’irruption brutale du pirate. Cassandra et Cannelle, en meneuses de leurs groupe respectifs sont quant à elles debout, dans une position défensive. Klara a disparu. Merde, je savais qu’on ne pouvait pas lui faire confiance. À moins que… Faites que mon optimisme me trompe pas. Elle aura profité de sa dextérité pour se cacher dans les fourrés et attendre le bon moment.

***

« Mais qu’est-ce qu’ils foutent ?
-On n’a pas besoin d’eux, j’ai jamais aimé les gros, et ton chauve me fait peur.
-Tu me saoules Eléa. Fermes ta gueule s’il-te-plaît.
-Oh ça va, qu’est-ce que tu peux être susceptible. Tu veux envoyer quelqu’un les chercher ?
-Non, deux hommes en moins c’est déjà suffisant, et s’ils ne sont pas capables de revenir tous seuls, je doute que qui que ce soit d’autre puisse y parvenir. Ou alors faudrait envoyer du monde. Mais je peux pas risquer de retarder notre départ.
-Qu’est-ce qu’on fait alors ? On attend ?
-J’ai dit à Victor d’envoyer un signal s’il y avait un problème. Tant qu’il n’y a pas de signal, il n’y a pas de problème. Dès que la carpe nous le dit, on met les voiles. Et ils ont intérêt à nous retrouver avant. »

Rooney se ronge un peu les sangs. Jamais en arrivant sur Grandline il n’aurait pensé que ce serait aussi difficile. Que la navigation dans cet océan de misère serait aussi complexe et qu’il lui faudrait se cacher et attendre. Il avait l’habitude de fuir, de ne pas se faire remarquer. Alors se faire harponner par un Marine têtu dès l’entrée sur cette route de tous les périls… Qu’est-ce que ce gars-là pouvait bien avoir contre eux ? Il y en avait d’autres des pirates, et des plus dangereux, des plus connus, n’importe quel soldat lambda leur aurait laissé quelques jours d’avance en attendant les ordres de sa hiérarchie. Mais ce bonhomme, cet Alexandre Kosma avait réagi quasi immédiatement, abandonnant les trois quarts de ses hommes pour engager la poursuite. Pourquoi ?

« Frérot ?
-Mh ?
-Je crois que ton chauve est revenu.
-Ah, ça y est, Victor l’a trouvé ?
-Nan, pas de trace de l’obèse.
-Arrête de l’appeler comme ça, tu vas finir par gaffer devant lui.
-Et alors ? Je suis sûre que je le trucide quand je veux.
-Je compte garder mes hommes.
-Rabat-joie.
-Enquiquineuse.
-Rouquemoute.
-Traînée.
-Orchidoclaste. »

Rooney ne répond pas. C’est inutile. Elle finit toujours par gagner. Déclarer forfait maintenant équivaut à gagner un temps formidable.

***

Bon, être enfermé dans un endroit clos, même plein de nourriture, et ne pas pouvoir en sortir de crainte de se faire exterminer par une bande de pirates complètement cinglés, c’est pas vraiment le rêve de Kalem à la base. D’autant qu’on finit rapidement par s’ennuyer. Même pas un bouquin pour faire passer le temps. Et la seule chose qui le relie au monde extérieur est le petit hublot par lequel il peut voir s’il fait jour ou non. Et vu qu’il n’y a pas de nuit dans ce satané endroit, il fait toujours jour. Atroce. Il y a bien un deuxième élément qui pourrait le distraire un peu. Mais il en a un peu marre de recourir à la voix de Kosma pour savoir qu’il n’est pas seul. Puis il n’a rien à lui dire. Rien de nouveau en tout cas. Leur dernier appel remonte à seulement quelques heures. Tant pis. Trouver une ou deux insultes à lui adresser devrait être facile. Il décroche le combiné de son escargophone et compose le numéro du Marine.

« Kalem, c’est pas le moment, je te rappelle plus tard.
-Kosma, bouge ton gros cul à furoncles. J’en peux plus de cette cale moisie. J’vais pas tarder à m’chopper une escarre à ce rythme.
-C’est pas le moment…
-BEN POUR MOI C’EST LE MOMENT, C’EST PAS TOI QUI EST BLOQUE SUR LE NAVIRE DE CES FOUTUS PIRATES ! J’EN AI MARRE DE MANGER, JE VAIS DEVENIR OBÈSE EN PLUS D’ÊTRE NAIN!
-Vous parlez à qui, qui c’est qu’est sur notre navire?
-Nan, mais nan, mais c’est personne, c’est un ami qui fait une blague. Je peux vous montrer l’escarhophone si vous voulez. Regardez d’un peu plus près. Mais non y a pas de loup... »

C’est à n’y rien comprendre. Kalem raccrocha le combiné. Qu’est-ce qui venait de se passer au fait ? Kosma lui avait dit qu’il était le seul gars au milieu d’un groupe de filles, alors c’était qui cette voix masculine ?
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Les signaux, ce n’est pas toujours facile à distinguer. Une bonne partie d’entre eux sont volontairement discret, pour échapper aux regards indiscrets. Ou par jeu. Ce n’était absolument pas le cas des deux signaux qui suivirent. D’abord, il y eu celui du lieutenant, dont la conversation escargophonique avait laissé Klara perplexe. Mais il fallait bien avouer que la surprise de celui-ci et l’ouverture que cela produisit tombèrent à point nommé.

Klara prit appuie sur ses pattes arrières, puis bondit en direction du Bulldozer, et plus précisément de son bras dont était prisonnière Sarah. Sentant les crocs venir subitement s’enfoncer dans sa chair, l’homme lâcha prise, relâchant la jeune femme qui suffoqua un instant, avant de mettre de la distance entre elle et ce monstre. Klara aussi mit de la distance entre elle et lui, mais pas de la même manière. Le poing furieux de l’homme était venu s’écraser contre sa gueule, l’arrachant au bras qu’elle mordait avec rage. Elle se retrouva propulsée sur le côté, emportant avec elle un arbre, qui s’arracha sur son passage, puis elle rebondit avec fracas contre un rocher un peu plus loin. Le souffle coupée, elle vacilla un instant et se retrouva le visage contre la terre fraîche.

Malgré le sifflement qui lui perçait les tympans, elle pu distinguer le son particulier que fit la fusée tirée par Victor. Elle s’éleva dans les yeux, éclairant les lieux d’un voile rouge qui n’augurait rien de bon.

* * *

Difficile pour quiconque se trouvait dans la crique de rater le signal. Tout les hommes levèrent la tête d’un même mouvement synchrone, et suivirent la trajectoire de la fusée de détresse qui décroissait lentement, donnant une impression de flottement. Une seconde qui sembla durer une éternité plus tard, tous se mirent à s’activer. Rooney cria une série d’ordres suivie d’une série d’insultes destiné à motiver les troupes.

« Allez allez on se bouge le cul ! Putain, qu’est-ce qu’il a foutu… Eléa, va me chercher Tofu. Dit lui de nous faire gagner du temps, comme prévu.
– J’t’ai déjà dit que je recevais d’ordres de personne !
– C’est pas le moment. Grouille ! »

* * *

Dans la nature, un peu plus loin de la crique, Tofu vadrouille, Tofu s’amuse. Tofu est heureux, Tofu rit à pleine dents, même. Tofu est sur le point d’offrir un joli spectacle à tout le monde. Qu’est-ce qu’il est sympa ce Tofu, tout de même. Il ne fait jamais nuit sur cet archipel, parce que les sources de lumières sont trop nombreuses. Et bien Tofu est sur le point de rajouter sa propre pâte à cette situation si particulière. Transformer l’archipel en beau soleil, ça c’est une idée !

* * *

« Tout va bien, Sarah ?! Demanda avec agitation Cannelle, qui avait un peu perdu de son calme habituel.
– Oui… Ouais, je crois.
– Ouf. Et vous les filles ? »

Celles qui s’étaient retrouvées projeté contre le sol se relevaient petit à petit, certaines avec plus de difficultés que les autres.

« Moi, ça va, si jamais ça vous intéresse, lança le lieutenant d’élite. Bon sang, ils savent qu’on est là, maintenant. Plus le temps de réfléchir. Cannelle ?
– Je préviens le navire, oui. Où est passée la louve ? Et l’autre tas ?
– Aucune idée. Vous autres, vous vous sentez prête ?
– Oui, tout va b- Oh.
– Hm ? »

Un peu plus bas de leur position, entre la crique, eux, et le reste de la forêt, s’élevait maintenant une douce colonne de fumée, qui vira rapidement du gris au noir, tout en s’épaississant à vue d’œil.

« Eh merde... »

* * *

Un peu plus loin, quelques secondes plus tôt.

Ses sens lui revinrent petit à petit. Elle n’avait pas réussi à conserver sa forme animal, avec les dégâts du choc. Redevenue humaine, elle avait réussi à se traîner jusqu’à un tronc d’arbre, contre lequel elle s’adossa en respirant du mieux qu’elle pût. Victor était entrain de s’éloigner, de retourner vers les autres. Le coup reçu lui avait foutu un léger coup à l’égo.

« Hey, gros tas,  réussit-elle à lâcher, la voix sifflante.
– Pardon ? »

Il s’était retourné en une fraction de seconde. Cette fois-ci, il lui briserait le crâne une bonne fois pour toute. Il plaça son bras endolorie par la morsure devant lui, comme un bouclier, puis se mit à courir tout droit sur la chasseuse. Aucun obstacle ne pourrait se mettre sur sa route. Pour toute réponse, Klara fit pousser sa longue chevelure cendrée, qui s’étala sur le sol et se divisa en de multiples serpents, prêts à frapper.

* * *

Tofu est fier de son œuvre. Ce n’est encore qu’un tout petit feu, mais il sait bien que ça n’est qu’une question de minute. Il sourit toujours, Tofu. Il regarde son œuvre comme s’il admirait un beau tableau. Et puis, il recommence à réfléchir. Il a peut-être visé un peu grand, finalement. En repensant à la fusée de détresse, une question lui vient à l’esprit : va-t-il réussir à retourner à la crique à temps ?  
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« Faut qu’on retrouve la louve avant de rejoindre le navire.
-Kosma, je voudrais pas vous alarmer, mais ça semble être un départ de feu ce truc là-bas.
-J’abandonne jamais quelqu’un sur place.
-Je croyais que vous lui faisiez pas confiance ?
-Cannelle, parfois, je vous comprends mal. Si vous ne voulez pas m’accompagner, retournez au navire, je m’occupe de retrouver miss Klara.
-Je ne disais pas ça pour ça. Je vous suis. Sarah, Marie, vous rentrez au bateau. Ne discutez pas, c’est un ordre.
-Moi, je vais rentrer, prévient Cassandra, Amelia, Megara, l’une d’entre vous accompagne le lieutenant et Cannelle ?
-Je m’en charge, répond Amelia.
-Très bien, je vous propose un tour à dos de félin les filles, ça vous tente ? »

À peine j’ai prononcé ces paroles que je me change en lion. J’suis toujours étonné par ma propre transformation. Ça me procure une détente dans le corps, c’est incroyable. Visiblement, mes deux partenaires ne semblent pas enchantées de cette chevauchée que je leur propose. Elles finissent par m’enfourcher quand même, Amelia à l’avant, agrippant ses deux mains dans ma crinière, Cannelle s’accrochant à la taille de celle-ci.

Je hume l’air ambiant. Atroce, ça sent le souffre et la fumée, ça me pique les yeux et pour l’instant ce ne sont que des effluves lointaines. J’espère retrouver la demoiselle avant que ce qui semble être un incendie n’envahisse totalement la petite île sur laquelle nous marchons. Enfin, courrons en ce moment. Mais sans trop mesurer la direction. J’suis paumé, j’arrive pas à m’orienter. J’essaie d’établir un périmètre pas trop large autour de l’endroit où nous étions, mais c’est pas évident. J’glisse un mot à l’adresse de mes deux cavalières, leur dire de me mentionner tout mouvement suspect ou truc qui ne ressemblerait pas à un arbre.

***

Ça y est, ça crame, et c’est du beau boulot. Tofu ricane intérieurement. Il lui manque plus qu’à allumer une ou deux mèches et il pourra rentrer au navire. Il a dit à Rooney de pas s’inquiéter, qu’il mettrait un peu de temps à revenir, mais le capitaine sera-t-il assez patient pour l’attendre ? On verra plus tard, dans le pire des cas, il avait pris un escargophone pour pouvoir être contacté et prévenir de sa position, si le navire doit quitter les lieux, il pourra toujours rejoindre une rive et atteindre l’embarcation à la nage. Un petit crawl bien poussé, si le Swift l’attend pas trop loin, ça devrait le faire.

Cet incendie, les empêcheurs de tourner en rond vont le sentir passer. Quand les quelques tonneaux de poudre empoisonnée vont être rattrapés par les flammes, ça va faire boum et répandre une charmante substance toxique un peu partout. Tofu adore ce produit, il se l’est procuré chez un expert en poisons en passant par Las Camp. Le truc, en plus d’être extrêmement inflammable et volatile a de fortes capacités biocides ; sans antidote, les êtres vivants infectés meurent en soixante-douze heures maxi. Suffit que le produit crame à quelques mètres d’eux et ils devraient pas s’en sortir.

Tiens, tiens, mais qu’est-ce qui se passe par là ? Y a du boucan à quelques dizaines de mètres. Le pyromane se décide à y jeter un coup d’œil. De toute façon son système est en place. Il ne risque pas grand-chose à faire un petit détour avant de rentrer au navire, si ?

Le pyromane avance doucement à travers les arbres, pas la peine de se faire repérer s’il y a trop de monde, il vaut mieux foutre le camp. Mais s’il s’agit d’une personne isolée, il n’y a pas de mal à s’amuser un peu.

Ce qu’il découvre a de quoi l’étonner. Une jeune femme, mal en point, en train de faire virevolter ses cheveux pour repousser les charges de Victor, qui semble lui aussi blessé. Tofu ricane, de façon à ce que ça soit un peu audible.

« Qu’est-ce que tu fais mon Victor ? Tu t’amuses avec la miss ?
-Elle m’a traité de gros tas…
-Peut-être qu’elle a raison.
-Fais attention à ce que tu dis Tofu. Je suis pas d’humeur.
-Tu ne me fais pas peur mon petit Victor. Quant à vous miss, ne croyez pas que je n’aie pas vu vos délicats cheveux venir dans ma direction. Vous savez que ça brûle très bien les cheveux, n’est-ce pas ? Victor, viens ici, on s’en va.
-Je l’achève et j’arrive.
-Tu n’y arriveras pas. Si tu ne l’as pas déjà tuée c’est que tu en es incapable. Viens je te dis, de toute façon elle mourra, je te le garantis. »

La scène est comme figée dans le temps. Tofu regarde le Bulldozer d’un œil sévère, glacial et celui-ci hésite. La rage qu’il avait contre la jeune femme ne s’est pas totalement évaporée, mais il craint le second du Swift Symbol. Ce gars-là est capable de tout. Il serait même capable de zigouiller la jeune femme rapidement sans doute, mais il préfère la laisser cramer dans l’incendie qui se développe tout autour d’eux.

« Dépêche-toi, ça va faire boum et on aura du mal à rejoindre le navire. Tu préfères la voir mourir et partir avec elle ou survivre ? Fais ton choix Victor, je ne me mettrai pas en danger pour sauver ta graisse.
-…
-Alors ?
-Connard.
-Je n’ai pas bien compris.
-Il vous a dit de ne pas bouger et de nous suivre bien tranquillement, retentit la voix de Cannelle.
-Il n’a rien à m’ordonner. Je vois que les renforts sont arrivés pour la jeunette aux cheveux longs. Ça ne fera que quelques cadavres supplémentaires. Victor, en position devant moi, il va falloir les forcer à nous laisser partir. »

Le gros pirate oublie les injures de son supérieur pour se concentrer sur les nouveaux venus. Ils sont trois, deux femmes, un lion. Le même minou auquel il a eu affaire un peu plus tôt sans doute. Mais, grosse différence avec la situation précédente, il a un malade incendiaire à ses côtés, et les opposants sont moins nombreux. Le lion se rend jusqu’à la femme-louve, celle dont les cheveux sont un brin agressifs. Il a raison le Tofu, gagner va être très compliqué, mais fuir en créant des diversions est encore une option envisageable.
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Tout se passait un peu trop vite au goût de Klara. Elle avait passé des semaines qui lui avait semblé être des mois au Port des Jumeaux, avant de se décider à prendre la mer d’elle-même. Et puis, à peine avait-elle posé le pied sur la toute première île de Grand Line, qu’elle avait déjà échoué son navire, s’était retrouvé au milieu d’une traque qui n’en finissait plus, et semblait maintenant se retrouver dans une situation particulièrement dangereuse. Elle savait, pour avoir déjà tenté l’expérience, que revenir sur la mer la plus dangereuse du monde ne serait pas forcément une partie de plaisir. Mais là, tout de même…

Et son projet de vacances et d’aventures qui semblait être tombé à l’eau pour le moment, en prime. Elle jeta un coup d’œil à la nature qui l’entourait, tentant de ne pas se laisser distraire par l’épaisse fumée qui commençait à envahir la région. L’archipel était particulièrement atypique. Et elle n’en profitait absolument pas. Est-ce que tout cela valait le coup ? La douleur qui lui parcourait le dos lui indiquait que non. La sensation de plénitude qui découlait du fait de ne pas avoir le temps de penser, à quoi que ce soit, lui indiquait que oui.

Le lion s’approcha d’elle. La flamme qui commençaient à transparaître derrière les feuillages, au loin, ainsi que les lucioles donnaient aux renforts un superbe contre-jour. Si Klara savait peindre, elle aurait pu s’inspirer de cette majestueuse composition.

« Rien de cassé ? Demanda le lieutenant.
– Ça va. Vous auriez dû partir et coincer vos pirates, répondit Klara en se relevant douloureusement.
– J’laisse personne derrière. »

Les ennemis étaient maintenant deux. Un blessé, un fou furieux. Ils n’avaient pas l’air de vouloir combattre frontalement bien longtemps.

« J’ai un mauvais pressentiment, » soupira le lion. 

Le feu commençait à dangereusement se propager. Même blessé, Victor restait une menace ; le dos de la chasseuse pouvait en témoigner. Et puis, le nouveau venu avait l’air sacrément sûr de lui. Elle rabat ses cheveux vers elle, consciente que ce serait stupide de s’attaquer au pyromane de cette manière.

Ne perdant plus de temps, Tofu leva le bras et ouvrit la paume de sa main droite. Un coquillage couvrait celle-ci. Le lieutenant et Klara comprirent rapidement ce que ça voulait dire et plongèrent sur les côtés pour évider la langue de feu qui venait de s’élancer vers eux. Les filles s’inquiétèrent une seconde du sort qu’une telle attaque réservait à la flore, avant de se souvenir que c’était déjà plus ou moins foutu pour l’endroit. Un nouveau jet de feu vint s’écraser contre un rocher à proximité de la chasseuse. Son corps endolori l’empêcha d’esquiver parfaitement, et elle du éteindre les quelques flammes qui étaient venues lécher ses mèches et sa chemise.

Tofu en avait profité pour s’éloigner, Victor sur ses talons. Le lieutenant d’élite avait déposé les filles à terre, avant de tenter d’intercepter les deux cibles. Rejoindre le navire au plus tôt aurait été une bonne idée, mais laisser partir deux pirates aussi important, et ainsi laisser passer une chance d’affaiblir considérablement l’équipage du Swift, ce serait possiblement regrettable. Il leur restait bien quelques minutes avant que la situation ne devienne ingérable, se disait-il.

« Amélia, fit Cannelle en regardant le feu ronger la forêt. Tu peux faire quelque chose ?
– Je vais essayer. »

Tofu était loin d’être le seul utilisateur de ces mystérieux coquillages.

« Les gars, il va falloir se dépêcher si on veut partir de là, s’exclama Cannelle.
– Je peux nous frayer un chemin sûr, au cas où ! » Fit fièrement Amélia.

Si Tofu maîtrisait le feu, son domaine à elle était plutôt l’eau. Elle serait bien incapable de stopper à elle seule l’incendie, mais elle pourrait au moins les mener en lieu sûr. Klara suivit le lieutenant, reprenant une forme animal pour pouvoir le suivre efficacement. La transformation avait été douloureuse cette fois, et l’instinct animal qui en surgissait ne suffisait plus à faire taire ses nerfs à vif. Tout deux parvinrent à esquiver les flammes qui s’étaient jetées sur eux, et ils arrivèrent bientôt au niveau du pyromane.

Encore quelques secondes, et pouf !

Klara bondit en avant pour se jeter sur lui, les crocs en dehors. Elle fut bousculer au dernier moment par le lieutenant, l’empêchant d’atteindre sa cible. Elle entendit au même moment un énorme fracas. Victor avait foncé vers elle, le poing serré. Son coup avait littéralement pulvérisé les arbres derrière-elle. Sa force était simplement monstrueuse. Elle n’en était sorti indemne que grâce à l’intervention de Kosma. Celui-là, faudra pas oublier de le remercier une fois sorti de cet endroit. Tofu ricana, puis  continua sa course.

Quelle sens de la camaraderie, Victor ! Si gentil de te sacrifier pour moi. Mais je dois filer… Bonne chance, mon pote.

Les flammes s’avançaient, plus menaçantes que jamais. Si ce n’était que ça, Amélia pourrait comme prévu leur créer un petit chemin qui les mèneraient tout droit jusqu’à bon port, où plutôt jusqu’à bon navire. Le problème, c’est que Tofu était décidément plein de surprise.

* * *

Pas si loin des combats, des barils attendaient sagement leur heure de gloire. Ils étaient disposés un peu partout, sur une surface suffisamment large pour que leur contenu, bouillant d’impatience, puisse couvrir une large partie de l’îlot. Les flammes vinrent lécher le bois, d’abord d’un baril, puis d’un second. En quelques secondes, une jolie succession d’explosions retentit, ravageant encore plus un paysage qui, à peine une heure plus tôt, était encore magnifique. La fumée, grisâtre, vira vers un violet qui n’augurait rien de bon.

* * *

Victor ne voyait presque plus rien. Il avait raté sa cible, mais avait réussi à sortir le second de son équipage du pétrin. Où était-il passé, d’ailleurs ? Plus aucune trace de lui. Victor essaya de l’appeler, en vain. Et il n’y avait plus moyen d’y voir plus loin qu’à dix mètres, même pas. L’incendie avait redoublé d’intensité, et ils seraient bientôt pris au piège. Il fallait rejoindre les autres, et vite.
Il balaya d’un revers du bras la roche qui lui barrait la route, comme si ce n’était rien. Il fini par se retrouver face à face avec les deux filles. Amélia repoussait les flammes grâce à ses aqua-dials, tandis que Cannelle dégainait son petit pistolet et mit le Bulldozer en joue. Il n’y prêta même pas attention. Il fonça tête baissée, ce qui surprit la jeune femme.

Victor n’était pas si différent d’un zoan, finalement : son instinct semblait souvent prendre le dessus. Un instinct sauvage, et particulièrement violent. Un instinct qui ressortait sous la colère provoquée par les insultes, sous la rage du combat, ou sous la peur. A ce moment, c’était un peu tout ça à la fois. Plus proche du monstre que de l’homme, Victor s’apprêta à briser le crâne de toutes celles et ceux qui se dressaient sur son chemin.

* * *

Elle n’avait jamais fait ça, auparavant. Elle n’était même pas certaines que c’était possible. Après tout, le lieutenant Kosma était l’un des premiers zoans qu’elle voyait de ses propres yeux, en dehors d’elle-même. Et si elle avait expérimenter avec ses pouvoirs pendant un petit moment, elle n’avait jamais rien tenté en dehors des transformations basiques. Mais là, sa forme de louve n’aurait été d’aucune utilité : son adversaire l’aurait envoyé valser, ou pire. Elle en était sûre et certaine. Alors, son instinct à elle lui intima de tester autre chose. Quelque chose de pas forcément joli, mais de possiblement efficace. Et terriblement amusant.

* * *

Le poing de Victor rencontra un obstacle inattendu. Sous la fumée, il distingua nettement des poils, gris et emmêlés. Un filet de sang coula le long de sa main, puis de son bras. L’obstacle avait pris la forme d’une main hideuse, couverte de poils, avec des griffes acérées. Un long bras la rattachait à un corps tout aussi hideux, entre l’homme et le loup.

La traque la plus longue Female10

Klara avait prit une forme inédite, probablement inspirés des contes qu’elle lisait à ses heures perdues. Tenant fermement le poing de Victor d’une main, elle utilisa l’autre pour lui envoyer un coup directement dans la mâchoire. L’impact fut lourd, et il fut envoyé quelques mètres en arrière. La chasseuse ne perdit pas une seconde et bondit dans sa direction, avant de lui asséner un nouveau coup dans les côtes. Il bloqua un troisième de justesse, le souffle coupé. Klara approcha sa gueule de son visage, prête à le dévorer.

« Ta tête va payer les réparations de mon navire, » le provoqua Klara.

Son élan fut interrompu en même temps que sa transformation. Elle était soudainement redevenue humaine, et la surprise l’empêcha d’esquiver le coup de boule que lui envoya Victor. Elle retomba lourdement en arrière. Il tenta de se relever, tout le corps endoloris, prêt à en finir avec elle une bonne fois pour toute. C’est ce moment là que choisit le lieutenant pour entrer en scène, en lui déchirant le dos d’un coup puissant coup de patte.

Le Bulldozer eût une dernière pensée pour son équipage, avant de s’écrouler sur le sol.

« On se barre ! » s’exclama le lieutenant entre deux quintes de toux.
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J’attrape le pirate au sol et je le hisse sur mon dos, je fais signe à Cannelle à proximité de m’grimper dessus pour stabiliser le machin. À côté, je vois Amelia qui se fraie un chemin entre les flammes jusqu’à Klara. J’espère que la louve peut l’embarquer sur son dos, sans ça je devrais m’en charger. Et j’ai plus de places sur le porte-bagages. Bien sûr le choix serait vite fait, le gros ferait les frais de mon manque de forces. Enfin, mon manque de forces. Je sens que ça commence à gonfler sous l’effort, crapahuter sous forme de lion accélère un brin l’augmentation de mon système musculaire, pas bon ça. Mais pas l’choix. Je peine déjà à respirer avec la fumée environnante, faut qu’on se tire.

« Cannelle, si t’arrives à me diriger, je veux bien les endroits les moins touchés par les flammes.
-Je vois très mal Kosma… Mais Klara a l’air de plutôt bien se débrouiller. »

En effet, je vois la louve bondir au-dessus d’un nid de flammes au moment où celui-ci est au plus bas. L’instant d’après, les flammes sont remontées, créant un mur brûlant dans la direction que je souhaite emprunter. Je me sens piégé, avec deux vies sur le dos à protéger absolument. Je me décide à choisir un chemin, un peu différent de celui emprunté par les deux jeunes femmes. J’ai chaud, je m’étouffe petit à petit, j’avoue j’ai peur. L’objectif, rejoindre le rivage au plus vite pour sortir de cette fournaise.

« À GAUCHE KOSMA ! Y A UN TRONC QUI NOUS TOMBE DESSUS ! »

Blam, esquivé de peu, j’ai eu chaud. Dans le feu de l’action je sens à peine les braises brûlantes se déposer sur mes cuisses. La douleur est tellement omniprésente que seule la lutte pour atteindre un endroit sûr compte. Je ressens à peine la fatigue et plus ça va, moins j’ai de peine à porter mes deux passagers. Sacrée maladie bizarre, bien pratique dans l’urgence, mais pour quelles conséquences si on se sort vivants de ces flammiches ?

***

Non loin de là, agrippée comme elle le peut au dos de la louve, qui fait ce qu’elle peut pour se frayer un chemin à travers les flammes, Amelia se demande également si elles vont s’en sortir. Certes, Klara est moins chargée que le lieutenant, mais un peu amochée par les affrontements récents. Elle le sent, elle a du mal à bondir. Heureusement qu’elle a son dial, lui permettant de leur frayer un léger passage de temps à autres. Elle se sent mal d’avoir abandonné Cannelle et Kosma alors qu’eux ne semblaient pas posséder des moyens qu’elle a pour défier les flammes.

« Klara, ça va, tu tiens le coup ? Demande-t-elle juste après avoir arrosé un mur de flammes un peu trop virulent qui avait failli leur rôtir la tronche.
-Difficile à dire, j’ai de plus en plus de mal à respirer et je sens plus mes membres. Si on n’atteint pas rapidement un rivage, je ne donne pas cher de notre peau. »

La conversation est difficile. Entrecoupée de craquements de branches qui cèdent à la violence du feu et de quintes de toux de la part des deux chasseuses de primes. Le silence est plutôt de mise tant parler s’avère douloureux. Les deux femmes franchissent de nouveau quelques troncs d’arbres en flammes, désormais couchés au sol, quelques nuages de fumée, dont certains sont étrangement teintés de violet. Puis Amelia sent Klara accélérer légèrement, elle relève la tête, oui, c’est la plage, elles vont pouvoir déboucher hors du cœur de l’incendie.

Dans un ultime effort, la chasseuse au fruit du canidé, bondit pour atteindre le bord de mer et sortir des flammes. Elle s’écroule sur le sable et la voilà qui reprend forme humaine, évanouie, la respiration sifflantes. Amelia se redresse avec peine. Elle non plus ne va pas fort. Elle se retourne sur le dos et regarde le ciel bleu, libre de tout nuage. Encore un petit geste, elle dirige sa main vers son bâton de pluie et parvient à faire quelques mouvements avec. Un petit nuage se forme au-dessus d’elles et commence une pluie fine et rafraîchissante. Plus qu’à espérer que les filles repèrent son signal.

***

C’est beau. Qu’est-ce que c’est beau. Tofu jette un dernier coup d’œil en arrière, à son œuvre qui se déchaîne, qui brûle et empoisonne l’atmosphère. Dommage pour Victor, trop gros pour fuir assez rapidement les flammes, il ne survivrait pas. De toute façon, le capitaine Rooney méprise les faibles, il avait surestimé le bulldozer en l’embauchant. Une ultime inspiration pour humer l’odeur cendrée qui se dégage du brasier et Tofu parcourt en courant les dernières centaines de mètres qui le séparent de la plage où était amarré le navire.

Tout juste, songe Tofu. Quelques minutes de plus et le navire aurait été trop loin. Ni une ni deux il plonge, et nage, avec une régularité sans failles. Il a toujours été bon nageur. En moins de cinq minutes le voilà qui grimpe à l’échelle de corde qu’on lui a lancée en le voyant arriver. D’un geste il se hisse sur le pont.

« Eh bien, j’ai failli croire qu’on te reverrait pas…
-Je profitais du spectacle. Va me falloir un antidote.
-Et Victor ?
-Tombé pour la cause.
-Avec Jones, ça fait deux hommes de talent qu’on perd.
-Il nous reste les plus talentueux capitaine… La carpe a parlé ?
-Toujours pas, mais selon lui on a un cap.
-Bien, on devrait avoir un peu d’avance, j’ai laissé une partie de nos poursuivants au milieu du brasier.
-Parfait. »

***

Bordel de merde à cul de chouette. Le navire s’est remis à bouger et ce p’tit cornichon avarié de Kosma ne répond pas. Qu’est-ce qui se passe ? Kalem fait les cents pas dans le petit espace de cale où il est toujours enfermé. C’est connu, il râle pour absolument tout ce qui lui arrive, mais là, ça va plus loin. Il flippe. Parce qu’il se sent encore plus isolé qu’avant. Incapable de savoir s’il y a toujours quelqu’un qui lui court après. Qui en a quelque-chose à carrer de son cul. Il ne pourrait pas éternellement passer inaperçu aux yeux des pirates, il fallait tenter un truc pour se sortir de ce merdier tout seul. Sinon il finirait avec certitude au fond de l’océan ou dans l’estomac d’un de ces malades. S’il n’a pas de nouvelles d’ici deux heures, il creuse un passage dans ce tas de bouffe pour se sortir de là.
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Elle rêva de choses étranges, cette nuit-là. Comme si toutes ses pensées les plus bizarres, réfrénées par le feu de l’action, s’étaient soudainement retrouvées parfaitement libres de se balader dans son esprit. Tout d’abord, ce fut les derniers événements qui lui vinrent sous forme de songe, remaniées par la fièvre et son inconscient, qui transformèrent les récents affrontements en théâtre d’ombres cauchemardesques. Ensuite, elle rêva d’une conclusion alternative, dans laquelle elle mourrait d’une bien atroce manière. Puis elle se réveilla en sursaut.

La fièvre s’était aggravée. Elle suait à pleines gouttes, et pas seulement à cause du climat de l’archipel. Ses yeux, qui avait virés au rouge, avait du mal à supporter la lumière du soleil. Plus insupportable encore : ses poumons ne s’étaient toujours pas dégagé, et chaque respiration était lente et douloureuse. Elle se sentait stupide d’avoir été si téméraire. Elle avait survécu à bon nombre de danger jusqu’ici, tout ça pour crever comme une merde dans un lit, se disait-elle. Elle se promit à elle-même que si elle s’en sortait, elle cesserai d’agir aussi impunément. Elle tourna légèrement la tête, et vit Cannelle qui s’activait à ses côtés.

« On est où ? Parvint à articuler Klara.
– Dans la merde » répondit simplement la jeune civile.

Elle jeta un coup d’œil à la pièce qui l’entourait. Elle était dans la cabine du navire des chasseuses, alitée comme il faut. On avait même placé une serviette froide sur son front.

« Le lieutenant ?
– Il décrépit, comme nous. Mais il refuse de se reposer convenablement. » sourit timidement Cannelle.

Elle aussi était pâle, mais semblait mieux se porter que Klara, qui souffrait, en plus du poison ingéré, de ses blessures. Venant de la pièce voisine, Klara pouvait entendre une conversation houleuse, ponctuées de toussotements gras.

* * *

« Mais putain ! S’écria la voix à l’autre bout du combiné, déformant les traits du pauvre escargophone. C’est moi qu’il faut sauver, j’te rappelle !
– J’peux pas te sauver si je crève maintenant, Kalem.
– Pas foutu d’faire ton boulot, t’es vraiment l’pire soldat que j’ai connu.
– Je sais, je sais. »

Le lieutenant n’était vraiment pas au top de sa forme, mais ça ne l’empêchait pas de sourire en entendant la voix de son nain. Il se dégagea les poumons un coup, pendant que Kalem continuait de pester.

« Ces connards sont en mouvement Kosmerde, j’suis entrain de m’enfoncer sur cet océan de chiasse sans rien pouvoir faire, et tu m’demande quoi ? De vous soigner à distance ? J’suis pas marabout, putain.
– Non, mais me semble que t’es plutôt calé dans le domaine médical…
– Et alors, j’ai beau être compétent, contrairement à toi d’ailleurs, tu veux que je foutes quoi depuis ma planque de merde ? … Kosmoche, t’es là ? OH !
– Désolé, c’est la fièvre… Je me sens partir, Kalem…
– Te fous pas de ma gueule, le chantage affectif ça marchera pas avec moi.
– …
– … Bon, c’est quoi vos symptômes, déjà.
– Fièvre, fatigue, toux pour ma part. Attends, je vais demander aux filles.
– Grouille ton cul.
– …
– … Alors ?
– …
– Arrête de faire ça, merde, j’en ai ras-le-cul qu’on me laisse seul.
– Même chose, plus des difficultés respiratoires pour Klara.
– C’est qui celle-là encore ?
– Je t’expliquerai plus tard. Alors ?
– Alors ça m’avance à rien, en fait. Il m’faudrait un échantillon du machin que vous avez inhalé.
– Le taré qui nous a empoisonné doit bien avoir des réserves, Kalem.
– Tu veux que je parte à l’aventure sur ce bateau de mort ?
– … Je vois une lumière blanche…
– Putain… C’est bon, je vais voir si j’peux me faufiler quelque part. Si je rappelle pas, c’est que j’me suis fait choppé et bouffé vivant. »

* * *

Quelle merde. Quelle merde, quelle merde.

Voilà à peu près ce que pensait Cannelle actuellement. Des jours à traîner, et pour quoi ? Récupérer un sous-fifre, et se retrouver empoisonnés par une substance inconnue. Toute cette opération relevait du fiasco pour la cheffe des, officiellement, civiles. Ils allaient continuer comme ça pendant encore combien de temps ? A ce train-là, c’est tout Grand Line qu’ils auraient à traverser avant de mettre la main sur ces pirates. Si ils s’en sortent vivant, évidemment.

Des quatre qui avaient dû affronter les flammes, elle était celle qui s’en était sortie le mieux. Peu de blessure, et des symptômes qui ne l’empêchaient pour le moment pas de s’activer sur le navire. Elle vérifia rapidement l’état d’Amélia et de Klara, avant de faire venir à elle ses comparses sur le pont du navire.

Sarah, Olga, Marie. Toutes affichaient une mine inquiète.

« Qu’est-ce qu’on fait ? Demanda la première.
– Honnêtement ? Je sais pas, répondit Cannelle d’un air triste. Le lieutenant dit qu’il s’occupe de nous trouver un antidote.
– Et tu lui fais confiance ?
– Difficile à dire. Il avait l’air sûr de lui, avec son grand sourire. Mais vu les cernes qu’il se tape et le fait qu’il a failli s’étouffer juste après…
– Et toi, tu tiens le coup ? Demanda Olga, soucieuse.
– Je m’accroche. J’ai de la chance, je crois. T’as trouvé quelque chose, de ton côté ?
– Rien, répondit Olga. Sans l’agent de base, je peux pas faire grand-chose. Mais je pense pouvoir vous concocter de quoi ralentir le processus.
– Enfin une bonne nouvelle.
– Sauf qu’il faudra accoster quelque part, parce qu’on a pas de matériel ici. Ni plantes, ni rien.
– C’est peut-être pas le moment…
– Tu préfères que ta survie ne tienne qu’au lieutenant ?
– … Je vais demander à nos hôtes si on peut se poser quelque part. »

Ils perdraient encore du terrain face aux pirates, mais peut-être fallait-il mieux perdre un peu de temps que de perdre quatre personnes.

*

Quelqu’un entra dans la cabine. Klara tourna la tête sur le côté, et reconnu l’une des civiles. Elle peina cependant à se souvenir de son nom.

« Dites… fit-elle d’une voix faible.
– Tu ferais mieux de te reposer.
– Je vous ai entendu parler d’accoster…
– Et ?
– Y’a mon bateau, pas loin.
– T’as la tête à penser à ton navire ?
– Ben, c’est que je me suis fait chier pour l’avoir. »
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« Capitaine, capitaine !
-Je vois que vous ne m’avez pas apporté ce que je vous ai demandé.
-C’est que…
-C’est que quoi ? Je vous donne la clé de ma cale personnelle pour que vous me rapportiez un petit en-cas, il me semble normal d’attendre de votre part que vous me le rapportiez, non ?
-Oui Capitaine, mais on a trouvé votre cale fracturée et…
-QUI A OSE ?
-Et on a trouvé ça à l’intérieur. »

La rage provoquée par l’effraction de la cale de nourriture lui étant réservée est vite atténuée par ce que lui présentent les deux nigauds bredouillants. L’un porte des vêtements usés et sales bien trop petits pour être portés par un adulte de taille normale, l’autre une fiole vide. Intéressant. C’est donc là que se cachait jusqu’alors le nain qu’ils avaient embarqué en partant de Reverse Mountain. Il avait dû se glisser dedans par une des fenêtres qui y menaient et s’était certainement planqué derrière les réserves de nourriture. Un sourire se dessine sur le visage d’Edouard Bottom à mesure qu’il comprend cela. Un sourire qui ne présage rien de bon pour le nain barbu.

« Fouillez moi ce navire de fond en comble, je veux qu’on retrouve ce type. Et regardez en bas, il risquerait de vous filer sous le nez sinon. Prévenez Tofu pour la fiole, il se pourrait que cette petite bouteille appartienne à sa collection personnelle, peut-être pourra-t-il nous dire ce qu’elle contenait…
-Bien capitaine.
-Et ramenez-moi ce foutu en-cas, j’ai faim.
-Bien entendu capitaine. »

Qu’est-ce qui pousse un nain à sortir de sa grotte ? La peur ? L’attente ? La solitude ? Rooney tourne ces questions dans sa tête. Car si les deux abrutis qu’il a envoyés chercher reviennent bredouille, trouver le « pourquoi » de l’escapade pourrait peut-être le mener au « où ? ». Et pourquoi a-il quitté ses vêtements ? Sans doute le plus bizarre de toute l’affaire.

***

J’ai mal. J’dois le dire, j’ai sacrément mal. Ça s’est aggravé. J’ai du mal à bouger sans que ça me traverse tout le corps. Sans que ça m’écrase le cerveau, les muscles et sans doute les cheveux aussi. J’ai rarement eu autant mal. Même mon dernier accident musculaire n’était pas aussi douloureux. On me rapporte par différents biais ce qui se passe. J’entends à peine les paroles de Sarah qui m’glisse les informations dans l’oreille. Même sa beauté sauvage qui m’avait transpercé en la rencontrant me fait plus aucun effet. Je capte seulement quelques uns des mots qu’elle me jette.

On a accosté. Où je sais pas. Près d’un bateau. Ça doit avoir quelque chose à voir avec Klara, mais j’en suis pas sûr. L’état de Klara, qu’était déjà pas mal à bout quand je pouvais encore bouger a empiré, Cannelle et Amelia sont dans le même état que moi. Le pirate aussi je pense, mais on m’a pas parlé de lui. Ou alors j’ai pas capté. Olga est partie chercher de la verdure pour soulager nos douleurs. Je sais pas combien de temps ça fait, et je sais pas si elle est revenue. Et pas de nouvelles de Kalem. Malheureusement je sais qu’on peut pas l’appeler. Faire sonner son escargophone pourrait le condamner. Déjà que l’opération qu’il mène a plutôt un niveau de risque très élevé…

Je sais même pas s’il pourra nous faire concocter un antidote à distance, même s’il parvient à récupérer le poison sans se faire chopper. J’espère, je compte pas mourir avant quelques années.

***

Y a quand même plus agréable que de se balader à poil dans les recoins d’un bateau dont on ne connaît rien et au bord duquel tout le monde est susceptible de te trucider à vue. Mais Kalem le sait, sur cette escapade nudiste repose la survie de ce bousier à pucerons de Kosma, et de la survie de ce type repose la survie du nain. Alors il se trimballe tout l’attirail à l’air pour sauver sa peau.

La fiole qu’il avait ingurgité juste avant de sortir de la cale contenait un savant breuvage concocté par lui-même à base de cellules de caméléon et lui permettant de se fondre dans le décor et ainsi passer inaperçu. Mais il s’était rapidement rendu compte que ses vêtements n’avaient pas conscience qu’il fallait également qu’ils disparaissent. Il avait dû s’en séparer. Puis il était sorti, en prenant bien soin de cacher ses affaires. S’était faufilé dans quelques recoins où son camouflage l’aiderait à ne pas se faire repérer. Mais il fallait se rendre à l’évidence. Le temps qu’il fouille tout le navire de fond en comble, Kosma et sa clique seraient décédés. Alors il était retourné à son point de départ et avait opté pour une tactique risquée : dévoiler sa présence.

Il avait laissé ses vêtements en évidence pour que lorsqu’on les trouverait, on soit aussitôt informé qu’il était toujours à bord. Et il avait laissé la fiole de potion avec en espérant que ça puisse remonter jusqu’à l’utilisateur de poisons. Et que celui-ci le guide jusqu’à sa réserve. Puis il avait attendu. Attendu les deux abrutis venus chercher à manger pour leur capitaine. Attendu que ceux-ci comprennent qu’il fallait le prévenir. Il les avait suivi en catimini, toujours camouflé par sa potion, avait surpris leur conversation avec Edouard Bottom et avait constaté que sa stratégie pouvait s’avérer payante.

Et maintenant qu’il sait comment faire, il ne lui manque plus qu’à suivre ce pirate au crâne chauve et au regard méchant. Ce Tofu. Il doit le mener jusqu’à l’endroit où il entrepose ses poisons. De là, le nabot n’aura plus qu’à attendre que celui-ci le laisse seul pour en subtiliser un peu et voir s’il peut en faire quelque-chose.

***

PULUPULUPULUPULUP

« Kalem, c’est vous ? Sursaute Olga en répondant à l’escargophone.
-C’est qui encore la morue qui m’cause ? J’veux discuter avec l’autre abruti, au moins je sais m’adresser à ses neurones.
-Le Lieutenant est dans un état plutôt alarmant, il n’est pas en mesure de prendre votre appel.
-Pas la peine de lui lécher le cul en usant du Lieutenant, le bouffon suffit bien.
-Comment vous pouvez penser à l’insulter dans une telle situation ? Vous êtes pas en danger de mort?
-Elle a quelque-chose à redire à ma façon de m’exprimer Cunégonde ? J’insulte si je veux, ça me détend. Bon, miss proutprout, à qui j’dois expliquer ce qu’il faut faire pour sauver la vie de ces glorieux abrutis qui sont pas foutus de retenir leur respiration deux secondes pour pas inhaler de poison ?
-Je pense que je suis la plus à même de…
-C’est ça, blablabla, tu peux pas te décoincer le cul et parler normalement, sans tous ces ambages de merde ? Alors ouvre bien tes esgourdes mimi-cracra, parce que j’vais pas me répéter, j’suis pas certain d’avoir beaucoup de temps. »


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