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Retourner sa veste

Le Port est sans doute l’un des endroits portant ce nom les plus calmes du monde. Au milieu de ces maisons construites en hauteur, faute de place, sinue un chemin escarpé, en bas, et l’absence de régularité au sol empêche la foule de s’y installer. La plupart des locaux transitent entre les maisons par des cordes tyroliennes, dans un réseau de fils spécialement conçu pour qu’il soit aisé de s’y retrouver. Ce sont majoritairement les touristes qui utilisent le sol. Ils arrivent par la mer, parquent leurs navires en contrebas, avant d’entamer l’ascension jusqu’ici, jusqu’au seul endroit de l’île qui soit totalement praticable par des nouveaux venus.

En parlant de nouveaux venus, un navire glisse sur les flots et s’approche peu à peu du débarcadère. À travers la longue vue de son observatoire, Joseph Roulin, natif de l’île et chargé de l’accueil des flux touristiques, guette ses occupants. C’est toujours ainsi qu’il procède ; une première approche de loin, à la lunette, afin de séparer le bon grain de l’ivraie. Le grossissement des lentilles lui permet de bien distinguer les énergumènes qui donnent les ordres et ceux qui les exécutent, ça permet d’avoir un coup d’avance en terme de diplomatie quand il faut procéder à l’accueil de cas un peu plus compliqués.

Il est très clair que ceux-ci ne sont pas tout roses. Il allait falloir les mater, très certainement. Parce qu’on ne plaisante pas avec les règles sur les Pythons Rocheux. Joseph a été éduqué à la dure et c’est durement qu’il accueille les malfrats. Ceux-ci ont intérêt à ne pas faire les malins. Il a déjà repéré trois personnes qui sortent du lot, en plus de celui qui tient la barre et opère quasiment seul tous les changements de voilures à l’aide d’un réseau de cordages plutôt sophistiqué. Il y a un chauve qui semble envoyer les ordres, mais qui vient également les prendre auprès d’un blond au cheveux en-dessous des épaules, qui – quand il ne semble pas donner de directives à voix basse – se dispute avec une jeune femme au sourire rieur. Ce sont eux qui dirigent, Joseph le sent, ils n’en foutent pas une.

Quittant un instant son outil d’observation, le trentenaire brun attrape ses propres lunettes de vue pour se les glisser sur le nez. Il se retourne vers Mathias, son collègue à la peau noire ébène, racle légèrement sa gorge pour lui signifier qu’il souhaite lui parler. Ce dernier, en train de retranscrire un registre à une table voisine se retourne, un air sérieux semble imprimé sur son visage.

« Le navire arrive, souffle Joseph d’une voix juste assez forte pour transmettre l’information.
-Prends de l’avance, je dois terminer d’annoter une page, je te rejoins tout de suite. »

Hochement de tête. Joseph agrippe son blouson accroché à une patère, l’enfile et ouvre la petite trappe située au centre de la salle. D’un mouvement fluide et mécanique, qui transpire l’habitude, il glisse le long de l’échelle, se tourne face au vide et sans attendre  se jette en avant, agrippant au passage le bout de tyrolienne lui permettant de filer à vive allure en direction du bas.

***

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En voyant arriver à sa rencontre les deux hommes, Rooney se demande ce qu’il a bien pu faire de mal. Kosma a-t-il réussi à prévenir aussi vite les autorités des lieux ? Se pourrait-il qu’on tente déjà de l’arrêter ? Impossible à savoir tout de suite. Mais cela dit, il en doutait. On lui aurait préparé un accueil plus fourni en soldats de la Marine. Le premier à arriver à sa hauteur semble assez sérieux, cheveux coupés courts, lunettes rectangulaires, sourcils froncés et sourire inexistant. Le second a une cinquantaine de mètres de retard. Au moindre problème, il pourrait certainement se débarrasser de l’un avant que l’autre puisse bouger le petite doigt.

« Bonjour, Joseph Roulin, relations avec l’extérieur.
-Edouard Bottom.
-Je sais qui vous êtes monsieur Bottom. Ce cher Gouvernement Mondial nous envoie tous ses avis de recherche et le votre est arrivé hier matin. Vos récentes exactions nous sont connues.
-Je vois, je ne savais même pas que ma tête était mise à prix, vous me l’apprenez.
-Mon collègue Mathias qui arrive et moi-même avons pour charge de vous exposer les lois qui régissent les Pythons Rocheux.
-Vous n’êtes pas dépendants des Marines ?
-Nous accueillons gracieusement trois divisions de la Marine sur l’île. Mais ceux-ci n’ont en aucun cas le droit d’intervenir sans notre accord. Ils ne font que surveiller les côtes et éviter les attaques éventuelles. Pour le reste, nous avons nos propres méthodes, et nos propres règles.
-Je sens que nous allons nous entendre monsieur Roulin. Ah, et voilà qu’arrive monsieur… Monsieur ?
-Griboche. Ne perdez pas de temps à tenter de jouer au mielleux avec moi. Je n’ai pas de temps à perdre. Joseph et moi, nous vous présentons les règles, et ensuite, soit vous décidez de rester et vous les respectez – sans quoi il vous en coûterait – soit vous partez.
-Pour les chargés de relations avec l’extérieur, vous usez bien rapidement de la menace.
-Je ne menace pas. Je préviens. »

Roulin et Griboche, les deux énergumènes intriguent fortement le capitaine pirate. Ils ne semblent pas purement hostile, le premier semble très procédurier, le second très à cheval sur le respect des lois. Autant se les mettre dans la poche, d’une manière comme d’une autre. Après un temps de latence, Rooney les enjoint à les suivre et les emmène dans sa cabine, cela semble le meilleur endroit pour une discussion qui pourrait prendre un peu de temps.

***

À encore quelques jours de navigation des Pythons Rocheux, en pleine mer, le voyage à bord du Moonstar est long. Klara, Kosma, Cannelle et Amelia sont toujours convalescents, mais leurs jours ne sont plus en danger. Olga et Sarah veillent à ce qu’ils reprennent des force progressivement. Elles ont aussi soigné Victor, le pirate, enfermé et solidement attaché dans l’une des geôles du navire. Le traitement concocté à l’aide des conseils du nain a été efficace. Le seul problème étant qu’elles n’avaient plus aucune nouvelle de lui depuis cet appel où il leur avait transmis ses résultats d’analyse.

Marie n’est pas facilement impressionnable, elle laisse assez difficilement transparaître ses émotions, mais il faut avouer que le petit pharmacien lui en avait bouché un coin. Dans un moment comme celui-là, réussir à trouver le courage de quitter sa petite cachette pour s’aventurer dans un endroit hostile et inconnu, pour mettre la main sur un poison et en concocter un antidote. C’est fort. Elle se demande comment il a fait.

Comme elle n’a pas grand-chose d’autre à faire, elle s’occupe en faisant des menus travaux sur la voilure du navire de Klara. Trop abîmé pour naviguer tout seul, celui-ci a été attaché au Moonstar qui le tracte tranquillement, au gré du vent. Marie se demande un peu comment va s’opérer la suite de cette traque. Elle n’a qu’une envie, planter son couteau dans la gorge de ce malade qui a foutu le feu à la forêt.

En contrebas de sa position, sur le pont du navire principal de leur petite procession, elle voit le groupe des chasseuses Sailor s’activer toujours autant pour maintenir une bonne allure. Il faut avouer que Marie les avait mal jugées. Au premier coup d’œil, elle les avait trouvées superficielles et idiotes, mais elle voit bien qu’il n’en est rien. Elles se démènent depuis le début pour leurs convictions, sont fortes face aux différents événements qui leur arrivent, et malgré tout ça elles parviennent toujours à afficher une bonne humeur quasi constante. Quelque-part, elle aimerait leur ressembler.

D’un bond, elle descend de son perchoir et se réceptionne en souplesse sur le pont du navire. Elle a bientôt fini son patchwork sur la voilure, elle pourra aller dire à Klara très prochainement que son navire est en état de naviguer seul. Elle espère toutefois que la chasseuse de prime n’en profitera pas pour leur fausser compagnie directement. Elle avait déjà sauvé la vie de Sarah et d’Amelia, tout en risquant très largement sa peau. Marie craint juste que ressorte son tempérament de louve solitaire.

***

« Bon, eh bien, messieurs, si vous n’avez plus rien à m’apprendre, je crois que je vais m’entretenir avec mon équipage pour savoir si nous restons ou pas. Mais les termes du contrat me semble plutôt clairs. Tant que la Marine ne viendra pas nous chercher querelle, nous respecterons consciencieusement les lois.
-Capitaine, fit Tofu en faisant irruption dans la cabine. On a retrouvé le nain.
-Le nain ?
-Oui, le nain, celui qu’on cherche depuis quelque jours ! La mémoire vous fait défaut capitaine ? Je voulais vous demander si je m’en occupais moi-même ou si vous préfériez lui réserver un sort plus à votre sauce…
-Monsieur Bottom, intervint Griboche, j’ose espérer que nous aurons le plaisir de nous entretenir prochainement avec ce nain. Et il serait préférable pour vous que celui-ci ait la tête bien fixée sur ses épaules à ce moment-là.
-Mais bien sûr. Le nain en question est un ami farceur à nous que…
-Je vous ai déjà dit que ce n’était pas la peine d’être mielleux avec moi. »

Griboche et Roulin sortent. Aussi calmes qu’ils sont rentrés. Rooney en profite pour jeter un regard incendiaire à son second puis raccompagne les deux messieurs. Tant pis pour l’exécution immédiate du nabot. Il servira d’otage convaincant en cas d’arrivée perturbante du Marine qui leur collait aux basques. Et il pourrait très bien offrir en spectacle à ses hommes la mort du petit barbu dès qu’ils quitteraient les Pythons...
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« Alors ? » demanda Matthias, le regard toujours plongé dans ce qui semblait être un livre de compte.

Joseph réajusta à nouveau les lentilles de la longue-vue, se frotta l’œil droit, puis reprit son observation.

« Alors j’en sais trop rien, commença-t-il. Il y en a bien un qui a l’air plus mûr que les autres, mais là il est entrain de s’embrouiller avec une des jeunes femmes. Je vois une des plus jeunes qui essaient de les séparer, je crois. Une autre qui rigole. Et encore une autre qui s’est emmitouflée dans une couverture, sur le pont. Honnêtement, je saurai pas te dire qui commande, et encore moins qui ils sont. Quant à ce qu’ils viennent faire là…
– Tu ne sais pas non plus, c’est ça ?
– C’est ça. »

Joseph soupira une seconde, avant de s’éloigner de son observatoire, et de se diriger vers les tyroliennes, sans oublier de prendre avec lui un petit calepin dans lequel il notait les allers et venus au port.

« C’est reparti, » dit-il avec une certaine monotonie dans la voix.

* * *

Parfaitement enroulée dans son lainage, Klara profitait de l’air marin et du calme avant la tempête qu’elle redoutait. La discussion houleuse entre Kosma et Cannelle lui procurait un fond sonore pendant sa lecture, fond dont elle s’accommoda facilement. C’en était même un peu rassurant : tout le monde, semblait-il, avait repris du poil de la bête. Le lieutenant, surtout. L’absence de nouvelles de la part de son compagnon l’empêchait de tenir en place, et il débattait environ cinq fois par jour avec Cannelle quant à la direction à prendre, à la lenteur du navire, et de tout un tas d’autres choses. Seul l’apparition, loin à travers l’horizon bleu de la mer, des premiers pythons réussit à l’apaiser un instant. Ils avaient du retard. Trop de retard. Mais maintenant, les hautes et mystérieuses formations de roche s’élevaient devant eux, et ils savaient que parmi ces piliers quasi-célestes se trouvait, quelque part, leur cible.

« Bon. »

Le craquètement d’une allumette brisa le silence qui s’était installé sur le pont du navire. Portant l’étincelle jusqu’à la cigarette qu’il tenait au bec, Kosma en brûla le bout, souffla la fumée par le nez, puis reprit.

« Ben finissez ce que vous avez à faire, parce qu’on a pas intérêt à perdre de temps une fois sur la terre ferme. C’est ici que ça se termine, faire la course ça commence à bien faire.
– Vous me semblez bien déterminé, pour quelqu’un qui y’a pas si longtemps se plaignait qu’à cette allure, « tout est fini, c’est foutu », ironisa Cannelle.
– C’est du passé, j’étais jeune.
– C’était il y a cinq minutes, lieutenant. »

Klara referma son livre, en prenant soin de placer la fine lamelle de soie au passage où elle était rendue. Derrière elle, les chasseuses de prime s’activaient déjà. Les Sailors bouillonnaient d’impatience d’accoster -si tant est qu’il était possible d’accoster une telle île, et s’occupaient à préparer l’arrivée à bon port. Après tout, et ils l’oubliaient parfois, mais tous se trouvaient sur leur navire à elles. Et elles se révélèrent être de parfaites navigatrices, en plus de mettre la bonne humeur . Klara s’échappa de son lainage pour se diriger vers l’avant du navire, accordant au passage un sourire timide à l’encontre de Marie, ce qui pour la chasseuse équivalait à une accolade franche et sincère. S’agrippant à un solide cordage pour garder l’équilibre, elle observa les mystérieuses formations rocheuses s’approcher lentement.

Pendant une bonne partie du trajet, accablée par le mal et incapable de sortir du lit, elle s’était demandée si elle avait bien fait de s’embarquer là-dedans. Elle avait laissé derrière-elle, une partie en proie aux flammes, un archipel unique dont elle n’avait vu qu’une infime partie. En l’espace de quelque jours, elle s’était retrouvée blessée, empoisonnée, et de nouveau tirée vers un lieu inconnu. A force de retourner la question dans tout les sens, et d’y réfléchir au moyen de son esprit enfumée et fiévreux, elle avait fini par conclure que finalement, c’était ça, l’aventure. Et puis, ça aurait pu être pire. Elle aurait pu être morte.

Pire encore, elle aurait pu s’ennuyer.

* * *

« Bonjour. Joseph Roulin, relation avec l’extérieur.
– Je suis le Lieutenant d’élite Kosma.
– Tiens donc. »

Le lieutenant leva un sourcil, mi-intrigué mi-flatté par le fait qu’on puisse le connaître. On les avait cueilli directement à leur arrivée, au port monté sur piloris. Un accueil surprise et particulièrement protocolaire, au contenu qui ne plu pas vraiment aux nouveaux arrivants compte tenu de la situation.

« Vous me connaissez ? Demanda le lieutenant en serrant la main de son interlocuteur.
– On nous a prévenu qu’un certain « Kosmerde » allait sûrement débarquer sous peu. Et vous voilà. Ils ont dû écorcher un peu votre nom.
– Qui ça ? »

Des gens qui l’appelaient ainsi, il n’y en avait pas beaucoup. Il comprit rapidement. Voilà pourquoi Kalem ne donnait plus de nouvelles. Ils l’avaient eu, et il avait sans doute cracher un peu de son venin verbale, lâchant au passage le nom du lieutenant.

« Kosmerde va pas tarder à vous empaler le cul sur un pic en granit marin, bande d’en- ». Ou quelque chose comme ça. Au moins, il devait être encore en vie, si il était capable de l’ouvrir.

Il s’assit sur l’une des caisses se trouvant sur le ponton, tandis que les chasseuses et les civils s’attelaient à attacher le navire et ses voiles. Matthias, un peu en arrière, leva les yeux de son bouquin pour observer les Sailors et les autres, puis prit quelques notes. Ses yeux se posèrent finalement sur le lieutenant.

« On sait ce qui vous amène ici, Lieutenant. Je me dois de vous prévenir qu’aucun crime ne sera toléré ici.
– Je comprends. Heureusement pour moi, foutre en taule des pirates qui ont un ami en otage, ce n’est pas un crime.
– On s’est mal compris, lieutenant. Les Pythons ne seront en aucun cas le théâtre de querelles qui ne nous concernent pas.
– Je dois laisser mon nain crever ?
– Personne ne « crèvera » ici, vous pouvez en être assuré.
– Super, plus qu’à attendre qu’ils reprennent gentiment la mer pour le nourrir aux requins, alors. Merci, Roulin. Les relations avec l’extérieur n’ont jamais été aussi chaleureuses. Bon boulot.
– Ironisez tant que vous voulez, je ne fais que vous prévenir de nos us et coutumes. Nos lois sont strictes pour une raison. Pas de chahut, et tout se passera bien.
– Super. »

Cannelle, qui avait écouté la conversation depuis le pont du navire, était tiraillée entre ses convictions, qui lui firent apprécier Joseph et les lois d’une île qui ne se laissait en aucun cas marcher dessus par le Gouvernement, et son envie de faire payer aux pirates, qui lui donna une légère envie de le gifler. Ils allaient devoir soit la jouer fine, soit ne pas jouer du tout, ce qui était probablement hors-de-question. Ces pirates étaient décidément les plus chanceux qu’elle avait croisé. Ou bien c’était eux qui jouaient de malchance. Klara l’avait rejointe, après avoir prit soin d’ancrer son navire non loin d’ici, et écoutait nonchalamment la discussion.

« Bien, s’exclama Joseph en joignant ses deux mains. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter la bienvenue, alors. »
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On a beau aimer les voyages en mer, le roulis, l’aventure et le vent salé, rien n’est plus agréable que de se reposer dans un bon lit. C’est en tout cas l’avis de Cannelle, qui semble partagé par ses camarades de chambre. L’installation dans l’hôtel se fait avec un certain soulagement, après toutes ces péripéties, un peu de repos n’est pas de refus. Quand bien même ce repos serait forcé par la trêve imposée par les lois régissant les Pythons. Afin de diminuer au maximum les frais, la troupe avait tenu à partager le plus possible les chambres et l’ex-capitaine du Maroufle s’était retrouvée avec Marie et Klara. Pas plus mal. Les deux filles les plus calmes de la troupe, y a pire comme colocataires.

Finissant une douche réconfortante, la demoiselle Garnier attrape une serviette, se l’enroule autour du corps et se sèche les cheveux avec une autre. Elle entrouvre la porte et voit Marie en train de regarder par la fenêtre. Un sourire se glisse sur le visage de la trentenaire. Elle ne change pas. D’aussi loin que se souvienne la trentenaire, elle a toujours vu Marie scotchée aux fenêtres. Klara, quant à elle est allongée sur son lit et regarde le plafond. Les deux jeunes femmes sont à l’aise dans leurs silences et Cannelle trouve leur amitié très naturelle.

« Qu’est-ce que tu regardes ? Finit-elle par lancer à sa camarade en brisant le silence.
-Les gens.
-Tu comptes leur faire peur quand ils verront une jeune femme un peu pâle les fixer depuis sa fenêtre ?
-Pas du tout. C’est juste qu’ils se comportent étrangement.
-Étrangement ? »

Elle finit d’enfiler des vêtements en vitesse avant de rejoindre son amie aux cheveux de jais. Un coup d’œil en contrebas pour comprendre assez rapidement ce que veux dire son amie. Ce n’est pas tout à fait définissable, mais c’est l’ambiance générale qui a quelque chose de bizarre. Comme elles avaient pu l’observer en arrivant quelques heures plus tôt, la plupart ne prenaient pas la peine de passer par le sol pour transiter entre les maisons. Mais alors que Cannelle aurait parié que ce mode de déplacements engendrerait une ambiance festive, notamment chez les enfants, la rue était d’un calme angoissant.

« Effectivement, approuve Klara, tout juste arrivée auprès d’elles dans un silence étonnant. Ce doit être dû à la culture des gens d’ici. Dites, on ne devrait pas déjà être descendues ? On devait se rejoindre dans l’entrée à dix-neuf heures, non ? »

***

« Ils sont arrivés capitaine, commence le pyromane en entrant dans la chambre de Rooney, ils ont été accueillis par les deux zigotos du port. Je suis tout de même très déçu qu’ils ne soient pas morts dans l’incendie.
-Ils n’ont subi aucune victime ? S’étonne le pirate au carré blond.
-Difficile à dire, mais vu le nombre… Ce Marine de malheur sait parfaitement comment s’entourer. Une bonne dizaine de gonzesses lui tourne autour.
-C’est pas à toi que ça arriverait, ironise Eléa.
-Très drôle. Toujours à la pointe de l’humour. Ah, j’allais oublier un détail. Victor est avec eux, il a commis l’erreur de se faire capturer. Il aurait du crever.
-Que diriez-vous de leur rendre une petite visite ?
-J’adore quand t’es comme ça, frérot. On laisse le nain ici ?
-Oui, je veux pouvoir être libre de mes mouvements. De toute façon La Carpe s’en occupe, non ? »

***

C’est drôle, j’me sens complètement démuni. C’est moi qui ai demandé cette petite réunion, qu’on s’organise un peu, mais ce sont elles qui gèrent. Ça se dispute un peu sur la façon de voir les choses ; quand les Chasseuses Sailors souhaitent planifier une arrestation dès que les Pirates auront quitté les Pythons – ils ne peuvent pas rester éternellement quand même – le groupe de jeunes femmes dirigé par Cannelle prône un guet-apens, quitte à détourner la surveillance des locaux. C’est marrant, j’aurais cru de la part de civiles un peu moins de témérité. Enfin bon, on va pas en faire un fromage, d’autant que j’suis plutôt d’accord avec elles. Seulement pour ça, faut connaître un peu les lieux, pour pouvoir les tourner à son avantage.

« Les deux solutions demandent du temps, interrompt Klara. Sans vouloir décider pour tout le monde, il me semble que travailler en parallèle sur les deux méthodes proposées me paraît pas mal.
-Comment ça ? Que j’interviens, un peu désarçonné par cette proposition. On devrait éviter de s’éparpiller.
-Je ne vais pas faire une leçon de chasse à l’homme, si ?
-Kosma a raison Klara, me soutiens Cannelle, faut qu’on mette toutes nos forces dans un seul plan de bataille.
-J’aurais dit ça également si j’avais été toute seule. Il faut savoir faire des choix. Seulement, on est dix. Et il ne s’agit pas de ne pas s’éparpiller, mais de mettre toutes les chances de notre côté.
-J’veux bien que tu détailles un peu.
-Si on prend le plan des Sailors, les pirates vont se rendre compte qu’on les attend à la sortie et resteront sur l’île. Ils ont le temps pour eux, le Lieutenant finira par être rappelé ailleurs et nous-même on devra s’occuper d’autre-chose pour gagner nos vies.
-Oui, c’est pour ça qu’il faut forcer les choses, réagit Cannelle un peu vexée qu’on ait besoin d’expliquer pourquoi sa solution est la meilleure.
-Certes, reprend la chasseuse au cheveux argentés, mais si on ne fait que leur tendre un piège, on leur laisse la voie totalement libre pour qu’ils prennent la fuite. D’où la nécessité de faire les deux.
-Qu’est-ce que tu suggères ? Fais-je, assez conquis par la manière de raisonner de la dernière venue du groupe.
-Voilà comment je vois les choses ; Les Sailors, vous vous occupez de bloquer toute possibilité de fuite. Vous organisez ça comme vous voulez, et vous nous tenez au courant régulièrement de comment vous voulez qu’on intervienne en cas de mouvement suspect de leur part. Ça vous irait ?
-Je crois que oui, répond Cassandra en interrogeant du regard ses camarades.
-Bien, et les autres, on organise le piège. Faudrait des gens pour repérer les lieux, des gens pour surveiller à la fois les pirates et les locaux, surtout les deux types de l’accueil, et quelqu’un pour récolter toutes les informations sur la législation des Pythons.
-Je me charge de surveiller les Pirates, souffle Marie.
-Moi les deux affreux du port, je saurai les faire regarder ailleurs, plaisante Sarah, avec cet air malicieux qui m’serre à chaque fois le cœur.
-Je crois que je suis la personne idéale pour ce qui tient de la récolte d’informations, avance sobrement Olga en repoussant machinalement ses lunettes sur son nez.
-Super les filles, j’ai même plus besoin de vous assigner les tâches, vous savez parfaitement ce que je vais dire, à croire que vous lisez dans mes pensées, plaisante Cannelle avant de se retourner vers Klara, je crois qu’il est clair qu’on va faire du repérage toutes les deux. Bon, si tout le monde est d’accord, on peut s’y mettre tout de suite !
-Euh… Et moi?
-Ah, oui, vous, c’est vrai qu’il faut toujours dire aux hommes ce qu’ils doivent faire.
-Je ne…
-Eh bien, il y a une forteresse Marine sur l’île, non ?
-Ouais.
-Ils pourraient peut-être nous être utiles, vous ne croyez pas ? Quoique travailler avec un seul soldat du gouvernement soit déjà assez pénible... »

Je rêve ou j’suis complètement inutile au plan d’attaque pour récupérer MON nain de compagnie ? Bon, en vrai, me mettre en contact avec mes collègues du secteur n’est pas plus mal, mais j’aurais aimé avoir une part plus active dans la capture des ces types. C’est quand même moi le gradé de la Marine qui en connais un rayon en traque de criminels. J’finis par valider d’un mouvement de tête la proposition de la jeune femme et tout le monde se met en branle. La plupart des filles remontent dans leurs chambres afin de préparer quelques affaires. J’monte vite fait jeter un coup d’œil au gros Victor que j’ai laissé attaché solidement à son lit. J’crois que j’vais en profiter pour l’enfermer dans une des cellules que mes collègues de la mouette doivent avoir.

« KOSMAAAAA ! »

La voix de Cannelle qui hurle me parvient depuis l’extérieur. Je jette un œil à la fenêtre. Trois personnes font face à la trentenaire et à Klara, qui sont vite rejointes par deux des Sailors puis par Marie. Je reconnais la bobine du chauve pyromane, à ses côtés, un blond aux cheveux aux épaules et à la barbe de trois jours et une jeune femme tout aussi claire de cheveux et vêtue d’une longue écharpe rose, sans doute la femme que les chasseuses ont combattu sur la plage à l’archipel aux éveillés. Le blondinet ne peut être qu’Edouard Bottom, capitaine de ce navire de criminels. Je prends quelques secondes pour les détailler de loin, c’est la première fois que je les rencontre vraiment. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien vouloir en venant ici ? Nous narguer ?
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Si l’on pouvait voyager dans l’esprit des gens et en explorer les différentes facettes, l’esprit de Tofu serait incontestablement une destination de choix, à condition d’avoir l’estomac bien accroché. Chaque recoin de sa conscience était un placard plein à ras-bord de cruauté et de tout un tas d’envie et de souvenirs vicieux. La moindre impulsion électrique lui traversant le cerveau n’était finalement qu’une des innombrables et minuscules tentacules d’un immonde démon nommé « sadisme ». Depuis sa plus tendre enfance, jusqu’à notre présent actuel, la vie et les songes de Tofu n’avaient été rythmés que par une seule chose : l’atrocité. Il ne se sentait vivre que quand son cœur s’élançait à toute hâte sous l’impulsion d’une étincelle. Une étincelle particulière, celle du feu véritable, de la chaleur brûlante et mortelle ; l’odeur de la chair cramée et de la cendre, la mélodie des cris et des pleurs.

Bref. Tout ça pour dire que pour notre cher Tofu, voir ces insectes quasiment alignés à quelque mètre de lui tendait vers l’insupportable, tant il était difficile pour lui de réfréner son envie de tout cramer. Mais ce serait parfaitement irresponsable, et même lui le savait. Ça ne lui plaisait pas, de jouer les gentils toutous sur cette île de mort. D’autant plus que celle-ci était en grande partie en pierre, et que la pierre, ça brûle pas bien. Tofu avait donc toutes les raisons du monde de ne pas blairer cet endroit ; mais son capitaine avait été formel. Ils allaient se tenir à carreau, lécher la moindre botte appartenant à quelqu’un d’un minimum important, puis ils partiraient d’ici sans encombre. Le pyromane n’avait aucune envie de contrarier ni les plans, ni le capitaine. Il ne tenait pas vraiment à voir Rooney sortir véritablement de ses gongs. Car quoi de plus effrayant que la colère d’un type qui ne s’énerve jamais ?

« Alors c’est ça, la fine équipe ? » lança Eléa.

Son intervention venait de briser un silence religieux dans lequel les protagonistes baignaient paisiblement, tous se dévisageant sans même bouger le petit doigt. Son sourire narquois lui déformait un visage jusqu’ici angélique. Elle ricana, d’une manière bien trop clichée pour être naturelle. Elle rabat d’une main son écharpe qui flottait sous le vent frais, puis la caressa en s’élançant lentement sur les côtés. Elle croisa le regard émeraude de Klara. Celle-ci avait fait son choix. L’air supérieur d’Eléa était parfaitement insupportable : la chasseuse la butera la première, c’est sûr.

« Je suis déçu, se lamenta faussement Tofu, je pensais au moins me débarrasser d’une ou deux personnes. Toi, par exemple ! »

Amelia fronça les sourcils quand le chauve la pointa du doigt. Du regard, il la passa au peigne fin. Il finit par poser ses iris sur son visage enfantin, ses cheveux azur, ses yeux d’un bleu éclatant, baignant dans des cernes pas tout à fait effacée, qui tiraient vers le violâtre. Cette vision le réconforta : voir les effets, même atténués, de son petit poison était un régal. La jeune femme se contenta de lui tirer la langue.

« Rôtie, tu dois être savoureuse. Ah… Jones me manque, parfois ! 
– On peut toujours t’aider à le rejoindre, tu sais, répliqua Cannelle.
– Allons, allons. »

Le visage d’Edward Bottom, fier capitaine parfaitement silencieux jusqu’ici, s’alluma en voyant débarquer dans la scène un nouveau protagoniste. Le lieutenant Kosma venait enfin de répondre à l’appel de la civile, et tapota sa main sur l’épaule de la jeune femme. Cannelle grimaça en roulant l’épaule pour se dégager d’une étreinte qu’elle jugeait un peu trop paternaliste. Le soldat reconnut son erreur, et cessa de bouger l’espace d’un instant, craignant que la civile ne tente de le suriner. Mais elle n’en fit rien.

« Kosma, Kosma, Kosma. Quel plaisir de te rencontrer enfin !
– Enchanté. Tout le plaisir est pour toi.
– Tu sais, Alexandre -je peux t’appeler Alexandre ?-, on m’a beaucoup parlé de toi. J’étais vraiment pressé de faire ta connaissance. Tu nous invites à l’intérieur, qu’on discute autour d’un verre ?
– Non.
– Dommage. On va rester debout ici comme des cons, alors.
– Je peux savoir ce que tu viens faire là ?
– Faire connaissance.
– Je te conseille plutôt de profiter de ton petit sursis, parce qu’au moment où tu remonte l’ancre, ta petite aventure se termine.
– Ouh ! Tu aurais presque pu être effrayant. Dommage que jusqu’ici, tu n’ai pas vraiment fait tes preuves. Au départ, je m’attendais vraiment à ce que tu sois un danger, tu sais ? Maintenant, je commence à penser que tu n’es qu’un vague personnage secondaire qui ne sert qu’à empêcher mon ascension vers la gloire d’être trop simple.
– Tu parles trop, Bottom. Garde ta salive pour la taule, t’aura pas grand-chose à y faire à part causer.
– T’avances pas trop vite, soldat. T’oublie que j’ai un atout de choix de mon côté. Un atout pas très joli, plutôt petit, qui parle pas mal.
– T’es pas le seul. De mon côté, j’ai un atout assez grand, un peu rondelet. Pas vraiment cocasse, par contre.
– Victor a jamais été une pipelette. C’est pas un défaut, crois moi. J’en ai déjà assez autour de moi. Il me manque vachement, quand même.
– Alors échangeons. Ton balourd contre mon nabot.
– Échanger mon assurance-vie ? Victor ne me manque pas tant que ça.
– La vie de mon nain, c’est tout ce qui m’intéresse. Tu veux reprendre ta glorieuse route pénard ? Rends le moi, sain et sauf, et t’entendra plus parler de moi.
– C’est tentant. »

Rooney sourit, s’entretient une seconde avec ses deux comparses. Eléa n’avait pas l’air d’apprécier le calme relatif de la discussion. Le capitaine gratta sa tignasse blonde en se retournant vers le lieutenant.

« J’sais bien que ce serait pas intelligent de te garder sur le dos. Vous êtes vachement nombreux, quand même. Voilà ce que je propose. Tu vois le python, derrière-moi ? Le plus haut. Vierge. Ce soir, minuit. Tu ramène mon coéquipier, je ramène ton nain. On prend deux potes chacun. Pas plus. Ça te va ? »

Le capitaine du Swift Symbol lui tendit sa main ainsi que son plus beau sourire, à l’honnêteté toute relative. Le lieutenant ne prêta attention à aucun des deux et se contenta de hocher la tête.

« Alors à ce soir, l’ami ! »

Les trois pirates s’éloignèrent. Eléa lança un clin d’œil à Klara, qui lui offrit en échange le sourire le plus froid jamais vu.

« Vous savez que c’est un piège, lieutenant ? l’interrogea Cannelle.
– Je sais. C’est l’occasion de les forcer à commettre un faux-pas. Et de m’assurer que Kalem va bien. En attendant, on continue sur notre lancée. Klara, Cannelle, on se rejoint ici au coucher du soleil, ça vous va ? »
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J’glisse le long de la tyrolienne. Ca m’permet de réfléchir un brin. Drôlement pratique ce moyen de transport, même si j’aurais préféré voyager à pied. On m’a vite fait comprendre que c’était pas forcément faisable. Que la tyrolienne qui relie la forteresse de Vipère-au-Poing au port des Pythons Rocheux est l’unique voie d’accès rapide et sécurisée. J’adore le mot sécurisé quand il est utilisé pour décrire un filin fin comme le doigt qui se tend au-dessus du vide. J’suis étonné qu’on puisse utiliser une tyrolienne pour aller plus haut que son point de départ, mais on m’a dit qu’un système de dials active le mécanisme. Dans l’autre sens, le même système permet d’éviter de prendre trop de vitesse et de s’écraser en arrivant. Pratique.

Ça fout les pétoches, un peu. C’est plutôt beau cela dit. De part et d’autre de ce long fil qui n’en finit pas, de gros blocs de pierre qui montent depuis le sol, chacun tentant de surplomber les autres. Ça alterne entre des couleurs ocres et du marron glaiseux et, ça et là, on peut remarquer quelques maisons isolées, incrustées dans la roche. D’autres réseaux de cordages, plus petits que celui que j’emprunte relient les différents pitons et il m’arrive de saluer au passage quelque habitant faisant la jonction entre deux pitons voisins. Les réponses sont cordiales, sans plus. Décidément, c’est pas la joie de vivre qui fait marcher l’économie par ici.

J’pense à Kalem. À sa réaction face à des gens si peu expansifs. Qu’est-ce qu’il dirait ? « C’est pas sourire qui va vous faire crever avant l’heure » ou encore « j’ai jamais vu autant d’enthousiasme de la part d’un meuble de cuisine » ? Non, tenter d’imiter le nain râleur n’est pas chose aisée. Enfin, la perspective de le revoir enfin – même de nuit et dans des conditions pas favorables à la réjouissance – me rassure un peu. C’est que j’ai fini par m’y attacher à ce bestiau. J’suis prêt à lâcher le gros Victor pour récupérer la demi-portion pleine de fiel.

Mais d’abord, j’veux voir ce que peuvent me proposer les gradés de la mouette qui siègent ici. Dans cette forteresse qui grossit au fur et à mesure que j’me rapproche. Un monstre le machin, qui recouvre la quasi totalité de l’espace disponible sur le piton. J’ai déjà vu des bâtiments militaires de cette envergure, de nombreux même, mais la spécificité des lieux rend l’endroit complètement surréaliste. En regardant vers le bas, j’arrive à peine à distinguer où est la ligne de démarcation entre le pylône de pierre brute et la partie excavée par mes pairs pour en faire une place forte. Et bordel, en plus d’être gigantesque, ça grouille de monde. C’est une vaste fourmilière, où semblent s’activer plein de petits bonshommes en bleu. Je me demande bien ce que peut foutre ici autant de monde s’il est quasi impossible d’intervenir sur l’île en raison de ses lois à la con.

Finalement, j’arrive au bout de la tyrolienne, j’suis pas fâché d’être arrivé, c’était plutôt long comme traversée. Me manque plus qu’à trouver comment m’orienter à travers tout ça, puis à trouver qui dirige et je pourrai plaider ma cause. C’est pas gagné.

***

« C’est mort.
-Allez Eléa, je te demande jamais rien.
-Tu me demandes jamais rien parce que tu sais que je vais dire non. C’est non.
-Putain, mais c’est pas possible, quelle plaie. Comment je peux être un capitaine crédible si j’arrive même pas à obtenir un service de ma propre sœur ?
-Tu n’es pas un capitaine crédible, il faudra t’y faire.
-Allez… J’arrive à rien avec lui, il m’insulte toutes les deux secondes, j’ai pas réussi à lui grappiller la moindre info, et c’est pas faute d’avoir essayé.
-Je ne ferai pas de gringue à ce nain pour obtenir des informations sur ton Marine à la noix.
-Mais, je te demande pas de lui faire du gringue, juste d’être un peu… Gentille.
-MERDE.
-Tu peux me demander ce que tu veux en échange…
-C’est non.
-Grognasse.
-Laveur de carreau.
-C’est une insulte ?
-Je me suis dit que n’importe quoi irait bien pourvu que le ton soit mis. »

Rooney ne sait pas vraiment quoi répondre. Sa sœur le désespère de plus en plus. Un jour il la tuera, il le sait. Pour l’instant il n’est pas encore résolu à sacrifier quelqu’un de son sang, mais cela lui trotte dans la tête depuis un moment. Si cette satanée jeune femme l’ennuie, il en est un qui lui tape complètement sur le système. Celui-là va mourir, c’est certain. Le tout est de le faire selon les règles de l’art. D’abord, agiter son jouet devant son poursuivant, que celui-ci commette un impair. Ensuite utiliser cette erreur pour discréditer la mouette et sa petite bande de femelles. Enfin partir avec les honneurs en n’oubliant pas de trucider le nabot devant les yeux de tout le monde, en un magnifique bouquet final.

« Toctoctoc, c’est moi !
-Je me disais bien que j’avais pas encore été dérangé par un blaireau à tronche d’endive aujourd’hui. Il veut encore que j’lui fasse manger ses sels ou il va me foutre la paix ?
-Voyons… Messire nain, soignez votre vocabulaire.
-Ah, ça tape dans l’messire maintenant ? J’vais t’en foutre des messire, même le masque de fer était mieux traité !
-Le masque de ?
-Bouffon, il connaît même pas ses classiques, la grande ère de la piraterie, tes modèles, tout ça !
-Bon, je suis venu pour savoir si tu comptais coopérer et nous dire : Qu’est-ce que tu foutais à poil dans mon bateau !
-Je t’ai déjà dit fils de porc, je pratique le naturisme en amateur.
-Et tu fais ça en promenant ton escargophone ?
-T’as tout pigé, tronche à caca, celui-là a la fonction téléphone rose en plus, et c’est ta sœur à l’autre bout du fil.
-Petit merdeux.
-C’est un peu court jeune homme…
-Stop. Cesse tes jérémiades. Ce soir on sort, et ce sera plus agréable si tu causes avant.
-Tu vas recommencer avec ton truc là ? Le coup de la veste ?
-À moins que tu ne jures de ne pas faire l’andouille, j’y serais forcé.
-Craché ! »

Joignant le geste à la parole, le nabot crache un beau mollard sur le bas du pantalon de Rooney puis éclate d’un rire mesquin. Il en a connu des pires que celles-ci comme situations de danger, et le nabot a appris que se comporter comme à son habitude, comme si l’on n’a pas peur, fait souvent douter l’adversaire. Et le doute, c’est la mort.

***

Voilà bien quarante bonnes minutes que j’attends. Après avoir déambulé dans les couloirs, avoir descendu deux étages pour en remonter trois, avoir attendu au bureau des réclamations pour me faire envoyer aux renseignements, après avoir finalement appris que je pouvais demander une audience rapide auprès du Sous-Amiral Astarte, me voilà comme un con à patienter dans une légère antichambre que l’ancêtre daigne m’accueillir.

J’le connais bien Astarte, j’ai eu affaire à lui plus d’une fois depuis le début de ma carrière. Un vieux ronchon, mais pas un mauvais fond. S’il daigne m’écouter, je devrais peut-être réussir à obtenir quelque-chose de ce brigand.

« Lieutenant Kosma ? Le Sous-Amiral va vous recevoir. Vous avez cinq minutes. Le Sous-Amiral attend un appel important ensuite.
-Attendez, vous voulez dire que j’attends aussi longtemps pour qu’on me laisse que cinq pauvres minutes ? C’est quoi cet appel ?
-Je n’en sais pas plus. Allez-y maintenant, vous êtes en train de perdre du temps. »

Je déboule, furieux, pour voir un Astarte derrière son bureau qui fait assez peu cas de ma présence. Un vieil homme, qui a encore pris de l’âge depuis la dernière fois que je l’ai vu. Il a blanchi des cheveux et pris quelques rides, mais semble toujours plutôt en forme physiquement. Je commence à causer mais il m’arrête d’un geste avant de reporter son attention sur la feuille quadrillée présente juste devant lui. J’comprends pas vraiment ce qu’il fait, il encadre quelques cases par paquets de deux, trois, quatre ou cinq. Finalement, il semble satisfait et lève le regard dans ma direction.

« Tiens tiens, Kosma, il y a longtemps qu’on ne s’était pas vu. Toujours aussi pressé par les événements. La jeunesse…
-Je viens d’avoir cinquante ans, je ne suis plus si...
-Dites moi, qu’est-ce qui vous amène ici ? On vient demander conseil aux gens d’expérience ? La morgue de l’élite se serait affaiblie avec les années ?
-Je viens d’arriver dans le coin. Je poursuis un équipage pirate ayant capturé mon compagnon de route, et malheureusement, ma hiérarchie n’avait pas les effectifs pour m’épauler.
-Donc l’élite n’a pas les hommes, alors on vient quémander de l’aide auprès de la régulière ?
-Nous sommes bien sous votre juridiction sur cette île ?
-Pas exactement, jeune homme. J’ai bien évidemment les moyens militaires d’imposer ma loi ici, mais nous essayons d’établir des rapports cordiaux avec les locaux. Contrairement à vous et vos pairs, la régulière a vocation à échanger avec ses concitoyens, pas à foncer bêtement dans le tas, puis à partir avec les honneurs.
-Je… Ce n’est pas du tout ma volonté. Nous avons déjà travaillé ensemble et…
-Oui, c’est ça, vous êtes mieux que tout le monde. Par conséquent, ici, nous n’intervenons que sur demande dans la vie de l’île, et nous sommes surtout chargés de surveiller les côtes, le passage et nous avons grande facilité à envoyer de gros effectifs en renfort aux alentours.
-Il s’agit d’incarcérer un criminel !
-Si vous nous l’amenez ici, aucun problème, nous l’enregistrerons et en signifierons la capture auprès de nos supérieurs respectifs. Mais nous ne pouvons appuyer des actions qui vont à l’encontre de notre bonne entente avec les autochtones.
-Mais… Je…
-Maintenant, si vous le voulez bien, c’est l’heure de ma partie de bataille navale escargophonique avec notre très cher ex-amiral-en-chef. Sortez.
-Quoi ?
-J’ai dit sortez. Ce n’est pas clair ? »

J’en reviens pas. On m’envoie balader pour jouer à la bataille navale. Au diable cette îlot et ses lois à la mord moi le nœud. Va falloir la jouer fine, j’espère que les informations récoltées par les filles pourront nous être utiles pour ce soir.
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Assise sur le flanc d’un sommet, les jambes se balançant dans le vide, Klara jouait avec un escargot qu’elle tenait dans sa paume. Sa nouvelle acquisition, bien pratique pour garder contact avec n’importe qui à l’autre bout du monde, grignotait sagement le morceau de salade qu’elle venait de lui tendre. C’est un marchand du coin, près du port, qui en vendait. Au vu des circonstances, pouvoir joindre le reste de l’équipe ne serait pas du luxe, et elle n’avait donc pas eu à hésiter longuement. La journée n’avait pas été dédiée au lèche-vitrine, cependant. Prendre ses repères sur une île où l’on a fraîchement débarqué, ce n’est jamais simple. Surtout quand les Pythons Rocheux offrait une géographie particulièrement unique, dans laquelle il était bien difficile de s’y repérer convenablement. C’est là qu’intervinrent la chasseuse et Cannelle. Elles s’étaient débrouillées pour dresser un petit topo de l’île, évaluer l’endroit, ainsi que ses points d’intérêts. Bien sûr, elles n’avaient pas pris la peine de trop s’éloigner du port ; le pays était grand, et d’après les informations que leur avait communiquer Marie, les pirates séjournaient non loin de leur point d’ancrage. Faire le tour du périmètre, même réduit, ne fut pas une mince affaire. Se déplacer en tyrolienne et le long d’escalier pentus sculptés sur les flancs des formations rocheuses n’était pas la chose la plus engageante du monde, et rendait l’orientation un peu hasardeuse pour les touristes. Elles avaient cependant fini par dresser une carte, dessinée par la chasseuse, qui l’avait même enrichie de petits croquis de panoramas intéressants. Cannelle, assise non loin de la chasseuse, avait les yeux plongés dedans. Le port, l’observatoire judicieusement situé au dessus, et les premières habitations et commerces n’occupaient pas la place centrale du plan : l’immense piton vierge d’habitation qui constituait leur point de rendez-vous avec les pirates avait été le point de départ de leur petite exploration. A partir de là, elles s’étaient assurées de dresser un inventaire de tout les accès et endroits stratégiques qui entouraient l’endroit. Les deux femmes n’avaient aucun doute quant au fait que les pirates avaient aussi fait de même - après tout, c’est eux qui avaient choisi le lieu, et il fallait mieux partir en leur laissant le moins de coups d’avance possible.

« C’est quoi, la rature sur le piton ? Demanda Cannelle en pointant du doigt l’un des croquis du plan.
– C’est pas une rature, répondit la chasseuse en se penchant sur le côté pour jeter un œil. C’est l’ouverture qu’on a vu, tout à l’heure. Si ça te plaît pas, tu peux essayer de faire mieux.
– Ça ira, je vais juste mettre une flèche avec des indications. Tu penses que c’est profond ?
– Je sais pas. »

Ce n’était pas la seule ouverture qu’on pouvait trouver le pilonne ; pendant leurs observations, elles s’étaient rendues compte que la roche était creusée en de nombreux endroits, à tout les niveaux. En y regardant de plus près, le piton était relativement unique, et finalement peut-être pas si vierge que ça. Des traces d’anciennes constructions abandonnées pouvaient être aperçues par un œil avisé. Un vieux pont menait à un piton, plus petit, et à moitié écrasé contre son grand frère. Le sommet de celui-ci, plus large qu’une partie des autres aux alentours, avait la taille suffisante pour accueillir la grand place d’un petit village.

« Je crois qu’il est l’heure, commença Klara.
– Hm ?
– J’entends quelqu’un arriver. »

Cannelle leva un sourcil. Autour d’elles, seul le silence régnait. Jusqu’au moment ou, quelques secondes plus tard, quelqu’un en contrebas les interpella. Un vieille homme, qui se frottait les mains avec un torchon parfaitement sale.

« Votre pote est là. »

Sur l’une des façades du piton sur lequel elles s’étaient installées se trouvait l’une des pires auberges de ce côté du pays, branlante sous le poids des ivrognes qui la fréquentaient. Les deux jeunes femmes s’aidèrent d’une des cordes qui aidait la bâtisse à rester stable afin de descendre d’un niveau, puis de pousser les portes de l’établissement. L’intérieur n’était pas surprenant, la crasse et la poussière qui y régnaient ne dénotaient absolument pas avec le bois pourri de l’extérieur. Le « pote » en question semblait lui aussi dans son élément.

Si le tenancier qui les avait averti de son arrivée semblait vieux, ce n’était rien comparé à l’homme qui les attendait dans une table du fond. Les quelques cheveux qui lui restaient était d’un blanc sale, et particulièrement gras. Le grand sourire qu'il leur adressa, et l’ignoble odeur d’alcool qui s’en dégagea incita les filles à s’asseoir à une distance raisonnable. Il passa sa langue dans ses chicots  pourris, et renversa sa pinte en voulant agripper le saucisson qui lui restait.

« J’pas eu aussi bonne compagnie d’puis un moment ! »

Jacky, curieusement nommé la Pétoule, leur avait été décrit comme étant un guide de choix. Le meilleur, paraissait-il. Cannelle commença à penser qu’on s’était foutu d’elle. Cette île était décidément un cas un part. La chasseuse, pour sa part, se servit volontiers de la gnôle premier prix au goût probablement immonde, puis cogna avec entrain sa pinte contre celle de vieil homme. Sous ses airs de vieil ivrogne, et sous une bonne couche d’humour douteux et d’insupportabilité crue, il se trouve que l’on pouvait trouver un puits de connaissance particulièrement profond. Il avait vraisemblablement tout vu, et au fil des anecdotes et des informations concernant le pays, Cannelle finit par se détendre et accepter qu’il avait peut-être quelque chose d’intéressant à raconter. Si le payement était suffisant, bien sûr.

Jacky s’était visiblement associé au tenancier de la taverne afin de monter un business d’envergure aux allures d’arnaque : on disait du bien de lui, il proposait aux touristes et aux curieux de le rejoindre dans cet établissement précis, et ne sortait les bonnes informations que contre quelques bouteilles bien trop cher pour ce qu’elles étaient. Tout le monde était gagnant, ou presque.

« C’marrant, commença-t-il quand les jeunes femmes amenèrent sur la table le piton qui leur servait de point de rendez-vous, z’êtes les seconds à m’en parler ces temps-ci.
– C’est vrai que c’est marrant, ponctua Klara tout en se frottant le crâne de la main.
– Qui d’autre ? Demanda Cannelle.
– Hm ?
– Qui d’autre t’en a parlé ? Répéta-t-elle d’un ton plus ferme.
– Beeeh j’peux pas vous dire moi.
– Pourquoi pas ? Fit-elle en rapprochant sa chaise malgré les vapeurs d’alcool.
– Ça dépend pas d’moi.
– Ça dépend de ?
– Ça dépend d’la ‘teille que vous m’offrez gracieusement ! »

Il se mit à ricaner. Poings sur la table, Cannelle fit face au vieil homme. D’un peu trop près, selon les normes d’hygiène. Tant pis pour les gestes barrière.

« Écoute moi bien petit plaisantin, on a pas bien le temps pour ça. Qui d’autre a évoqué cet endroit ? Un grand blond, avec une tête de connard condescendant ?
– Teh, la vache ! S’exclama Jacky en écarquillant les yeux. J’l’aurai pas mieux décris ! Comment tu sais ?
– Ben tiens, fit Klara en se massant la tempe. Y’a trop de bruit, ici… »

En dehors du ronflement de quelques ivrognes, l’endroit bénéficiait d’un calme plat. Quand on lui fit la remarque, elle se contenta de hausser les épaules et de se servir un verre d’eau. Elle s’était toujours vantée de relativement bien tenir l’alcool. Peut-être s’était-elle fourvoyée.

« Ils vous ont demandé quoi ? Reprit Cannelle. Et qu’est-ce que vous leur avez dit, exactement ?
– Ben exactement j’sais pu, moi. En tout cas, z’ont été vachement sympa ! ‘pis généreux comme tout. Des bons gars, assurément. Même l’patron les a bien aimé ! Hein patron ?
– Des bons gars, vraiment ?
– Ouep. Toujours à s’occuper du prochain, c’vachement beau. Ils ont réussi à m’émouvoir, ces cons, avec leur association caritative.
– Pardon ?
– Ouais, même qu’y s’occupent des gamins malades, d’manière bénévole. Si j’étais croyant, j’dirai qu’y z’ont bien mérité leur place là-haut.
– Ben voyons. Et sinon ? 
– Sinon quoi ? »

Cannelle soupira, puis invita le patron a ramener la petite sœur de la bouteille vide qui traînait sur la table.

« Ah ! Fit Jacky dans un éclair de lucidité. Y m’ont d’mandé un topo de l’endroit, un peu comme vous. Pis quand j’ai parlé d’ce piton là, ils ont tout de suite été vachement intéressés ! Alors j’me suis mis à parler jusqu’à plus soif. Du fait que ça soit une vieille mine abandonnée, à la base. Les p’tits trous, c’est ça. Mais l’endroit était trop dangereux, ‘pis vachement instable. Trop de conflit interne, aussi. Rapport aux minerais. Mais ça r’monte à loin, tout ça. Tellement loin qu’les gens d’ici racontent un peu n’importe quoi dessus, et y foutent plus les pieds.
– C’est tout ?
– Qu’est-ce que vous voulez qu’j’vous dise, moi ? Le seul moyen d’y aller, c’est par l’ponton qui manque de se casser la gueule. Le reste, c’est que d’la ruine. Des vieux bâtiments abandonnés. Et les cavernes. Ca doit bien faire plusieurs kilomètres, là-dedans, comme des vieux intestins rouillés. Ca r’monte jusqu’à la surface. ‘Fin, le sommet, quoi. Parfait pour tendre un piège, par exemple. C’pour ça aussi, que plus personne n’y va. Ça craint. »

*

Au soir venu, elles étaient rentrées à l’auberge où la petite troupe devaient se réunir. C’est affalée dans l’un des lits que Klara profitait d’un moment de calme avant le rendez-vous du soir. Elle dessina de mémoire un rapide portrait du vieil ivrogne, dans son calepin, à côté d’un croquis pas trop raté de Cannelle, réalisé quand elle regardait ailleurs. La chasseuse s’améliorait. Comme quoi, l’ennui pouvait avoir quelques vertus. Son mal de crâne semblait passé, et elle était relativement en forme quand on l’informa du retour du lieutenant.

Il ne restait plus qu’à prendre des nouvelles de tout le monde, puis de se rendre au lieu de rendez-vous, avec ou sans plan.
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« Tu crois qu’ils vont tenter quelque-chose malgré nos précautions ?
-Ça m’en a tout l’air. Passe moi un sandwich.
-Thon crudités ?
-Très bien.
-Dépêche-toi, y en a une qui arrive.
-Comment il fait, le vieux marine, pour survivre entre toutes ces femmes ?
-Il fait comme moi, il est professionnel.
-Nan, mais toi, forcément, mon vieux Joseph, les femmes, ça t’attire pas des masses, tu peux pas comprendre.
-Ah je peux pas comprendre ? Ce que je comprends c’est que t’es juste un vieux cochon, incapable de voir une femme autrement que comme une potentielle conquête. Si c’était mon cas avec tous les hommes, y a longtemps que j’aurais tenté quelque-chose avec toi.
-Déconne pas.
-Je suis très sérieux, t’es pas mal dans ton genre.
-Ça m’amuse pas beaucoup tes allusions.
-Donc toi tu peux baver sur la belle jeunette qui arrive pour nous empêcher de voir leurs magouilles à deux balles, et moi, niet, nada, zéro, walou.
-C’est pas pareil.
-C’est ça ouais… Toujours privilégié. Bonjour mademoiselle, que nous vaut l’honneur ? »

L’air un brin sarcastique de Roulin n’échappe pas à Sarah. Elle vient d’entrer dans le poste d’observation des deux lascars et remarque déjà qu’elle n’aura aucune influence sur le binoclard. A contrario, son collègue a la peau d’ébène, en train de déguster un sandwich tout ce qu’il y a de plus banal ne la quitte pas des yeux : une cible facile. Elle n’a même pas encore commencé à minauder qu’il semble déjà influencé par ce talent inné de la demoiselle, la séduction. La jeune femme se concentre sur l’autre. Dans sa tête se joue le scénario qu’elle s’est préparé en fonction de la réaction des deux hommes. Tout à coup l’impassibilité de Joseph Roulin la fait douter.

« J’avais une grande envie d’observer l’île et ses alentours et votre point de vue semblait le meilleur endroit pour ça. Enfin, si on ne compte pas les plus hauts pitons de l’île, mais mes talents d’escalade étant encore à prouver… Enfin, vous me comprenez.
-Je comprends très bien, vraiment très bien. Malheureusement, cet endroit est un poste de travail, pas de tourisme. Je vais vous raccompagner jusqu’à la sortie.
-N’écoutez pas ce malotru mademoiselle, venez avec moi, se précipite Mathias Griboche en posant son casse-croûte dans un coin et en passant devant Roulin. Non mais après on se demande pourquoi on passe pour une île inhospitalière... Ce que veut dire mon ami Joseph ici présent, c’est que vous vous trompez lourdement sur le compte de cette petite bicoque. Ce n’est pas du tout l’endroit idéal dont vous rêvez pour observer les lieux. Je vais vous guider jusqu’à l’endroit qui vous ravira les yeux.
-Attends attends, Mathias, tu désertes ton poste ?
-Mais non, pas du tout, je ta rappelle qu’on est employés en relation avec l’extérieur.
-Ce qui ne signifie absolument pas, j’amène la première jolie fille en haut d’un rocher pour tenter de la culbuter grâce à une superbe vue sur les Pythons Rocheux. D’autant que tu sais parfaitement qu’elle est juste en train de faire diversion pour que ses petits camarades puissent transgresser nos règles sans qu’on soit sur leur dos.
-Vous dites messieurs ? Si je vous dérange, je ferais aussi bien de repasser plus tard. Monsieur… Griboche c’est bien ça ? Enfin, Mathias, si je peux me permettre de vous appeler Mathias, pourra tout à fait me faire visiter les plus beaux recoins de l’île plus tard.
-Mais non, j’arrive tout de suite mademoiselle, laissez-moi m’arranger un instant avec Joseph sinon il va ronchonner toute la journée, et je suis à vous. Ne gâche pas tout, c’est la première fois que j’vois une nana comme ça depuis un sacré bail ! Et puis, je peux toujours me faire embobiner par elle, tu es toujours là, toi, non?
-Donc tu me laisses gérer les deux groupes tout seul ? Je te préviens, je te sonne dès que je sens qu’un truc bizarre se trame.
-D’accord, merci, t’es un amour. Fais attention à toi. Me voilà mademoiselle ! »

Bien entendu, Joseph aurait dû s’en douter en voyant arriver ce groupe composé à quatre-vingt-dix pourcents de demoiselles. Il connaît bien son ami, et celui-ci n’a qu’un défaut ; il est incapable de penser avec sa tête quand il y a une jolie femme à côté. Chose bien plus dangereuse encore, il croit celles-ci incapables de coups fourrés et a tendance à oublier toute vigilance. Saleté d’hétérosexuel écervelé. En plus de ça la jeune femme qui vient d’embarquer son collègue a l’air de très bien s’y connaître en ce qui concerne la manipulation. Pas une seconde elle ne s’est attardée sur lui, à croire qu’elle a tout de suite perçu qu’elle ne l’aurait pas.

***

Viens par ici petite souris. C’est la pensée qui traverse l’esprit de Rooney alors qu’il observe Marie depuis un certain temps déjà. Si elle se croit discrète la gamine… Repérée très rapidement. En même temps, facile de remarquer les personnes peu habituées aux lieux. Tout le monde se déplace en grimpant, en agrippant des cordages, en évitant le plus possible de mettre les pieds au sol, alors forcément, aussi discrète que peut être cette gamine, elle ne peut bien longtemps se cacher à ses yeux. Tout se déroule – avec cette bande d’empêcheurs de tourner en rond – exactement comme le prévoyait Rooney. Même mieux. Il imaginait qu’on lui mettrait plus de monde sur le dos pour le surveiller, mais visiblement, la jeune fille au teint blafard et aux cheveux noirs coupés au carré semble être la seule pour tout son groupe de pirates. Ses matelots l’ont prévenu de la présence de cinq fillettes au port – ses poursuivants craignent plus qu’il s’enfuie et cela joue à son avantage. Le marine a été vu quittant les lieux pour la forteresse de la mouette, deux autres jeunes femmes sont parties crapahuter sur l’île, probablement en repérage du lieu de rendez-vous et l’une d’entre elles a été vue avec l`’une des deux commères rencontrées dès leur arrivée sur l’île. La dernière du groupe est entrée dans le bâtiment aux archives de la ville, probablement en train de farfouiller dans les différents textes de lois des Pythons.

Ainsi, le capitaine Pirate espère juste une dernière chose de cette journée. Que la jeune femme avec qui il joue à cache-cache s’approche un tout petit peu afin qu’il puisse s’en emparer. Déjà parce que ça lui fera une otage supplémentaire, en plus parce qu’il a très envie de prendre un peu de bon temps, et que la gamine fera bien l’affaire. Le seul problème, c’est qu’il n’a pas encore trouvé le moyen de la faire sienne sans attirer l’attention ni des locaux, ni des autres. Alors il attend que l’erreur vienne d’elle.

***

La nuit tombe. Assis sur la devanture de l’hôtel, j’me grille une petite clope. Ça me fait un bien fou, j’suis stressé. J’ai l’impression qu’absolument tout est contre moi et que je vais finir par me faire complètement avoir par ce monde de cinglés. Finalement, jouer les solitaires c’est peut-être pas la meilleure des solutions. Peut-être qu’obéir aux ordres, c’est finalement plus simple. J’aurais dû refuser mes promotions. Je l’ai fait pour pouvoir me départir d’ordres amoraux, mais ça m’force à réfléchir, et c’est pas le côté de la liberté le plus rassurant.

Au bout de quelques minutes, Klara et Cannelle finissent par pointer le bout de leur nez. La chasseuse aux cheveux blancs vient s’asseoir non loin et la blonde autoritaire se sort une tige qu’elle allume sans tarder. Elles disent rien pour le moment. On observe le coucher de soleil en silence. Y a un peu de lassitude dans notre façon d’attendre. Un peu de tension aussi. Comme si chacun attend de l’autre qu’il entame les hostilités en balançant ses mauvaises nouvelles. J’finis par ouvrir le bal.

« On n’aura aucun soutien côté Marine de l’île. En tout cas tant que les locaux se montreront rétifs à la capture de ces affreux.
-On a découvert que l’endroit où veut nous amener Bottom est une vieille mine désaffectée. Dangereux de s’y aventurer, l’avantage c’est que c’est plutôt à l’abri des regards des autochtones, expose Cannelle sur le même ton blasé que le mien.
-C’est donc plutôt une certitude qu’il s’agit d’un piège, ajoute Klara dans un souffle. Et ils ont probablement eu plus de temps que nous pour faire du repérage.
-On ne peut pas se rendre à ce rendez-vous Kosma.
-On ne peut pas ne pas s’y rendre. Si vous ne voulez pas, j’irai seul.
-Oh, arrêtez avec vos conneries de l’homme sacrifié, bordel. Pour un élément de la gent masculine, je vous aime bien, mais qu’est-ce que vous pouvez être lourd quand vous voulez.
-J’approuve Cannelle sur ce point lieutenant, vous n’allez pas y aller tout seul. Cela dit, je serais d’avis de foncer dans le piège quand même. De leur faire croire en tout cas qu’on s’y engouffre sans plus de précautions.
-C’est à dire ?
-Déjà, le seul à m’avoir vue sous ma forme de louve, c’est Victor. On ne sera pas trois à ce rendez-vous, mais quatre. Je pensais à Marie pour compléter votre petit duo. Ensuite, on fait en sorte que nos hôtes des Pythons puissent être témoins de tout ce qui va se passer là-bas.
-Mais s’ils nous piègent là-haut et qu’on y reste tous ?
-C’est un risque à prendre. On ne chasse pas sans risques.
-C’est le plan le plus foireux que j’ai jamais entendu, proteste Cannelle.
-Peur de risquer vos miches dans ce merdier, capitaine Garnier ? Fais-je, moqueur.
-Reparlez-moi encore sur ce ton Kosma, et je vous fais subir des choses que vous n’oseriez pas imaginer. »

On s’quitte pour aller nous préparer. J’retourne à ma chambre où Victor m’attend sagement. Les filles sont chargées de récolter les informations auprès des comparses de Cannelle, de prévenir Marie du changement de plan et d’attendre que onze heures soit passé pour se mettre en mouvement. La nuit s’annonce intense.
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Il fallait bien admettre que le capitaine Rooney possédait un certain sens de la mise en scène. Toute cette rencontre n’était que de la poudre aux yeux, une manière pour lui de montrer ses talents de dramaturge. La scène, minutieusement étudiée, avait été arrangée tel un plateau ou se tournerait l’un des films expérimentaux ( ces images multiples en mouvement que ressemblaient à de la magie pour Klara ) d’un Canard. Au centre, l’acteur principal, le héros, le Roi : le grand capitaine de cette bande. Assit nonchalamment, Rooney semblait naturel, mais il avait en fait travaillé sa pose pendant de longues minutes. Autour de lui, on pouvait trouver ses apôtres. D’abord, il y avait évidemment Tofu, dont ne se serait séparer le capitaine pour rien au monde. Il semblait avoir vieilli. Peut-être était-ce simplement la lumière, faible, ou bien il était véritablement tiraillé par les règles stupides de l’île qui l’empêchait de s’amuser. Priver un homme de sa seule passion, même si celle-ci consiste à tuer, torturer et brûler, c’est cruel. Derrière, affichant une moue aussi forcée qu’irritante, la sœur du capitaine observait ses ongles depuis maintenant une bonne dizaine de minutes. Son écharpe, plus longue qu’à l’accoutumée, s’était enroulée autour d’un petit personnage qui se tenait à ses côté, tel un paquet cadeau. Rouge vif, de la fumée lui sortant des oreilles, Kalem était encore plus impatient d’en finir avec ces conneries. Elle aussi. Elle aurait préféré tromper quelques badauds et les égorger dans leur lit avant de les dépouiller, plutôt que de se retrouver dans cet espèce de terrain vague plutôt flippant. D’autant plus que Rooney avait insisté pour débarquer à l’avance. Pour éviter les mauvaises surprises, déjà, et puis surtout pour se moquer du lieutenant quand il arriverait. Il avait déjà tout prévu. « Alors Lieutenant, on prends son temps ? Tu n’accordes donc si peu d’importance à la vie de ton petit camarade que tu ne daignes même pas arriver à l’heure ? ». Les traits de son visage étaient étirés à l’extrême par son sourire carnassier. Il avait absolument tout prévu. Au moins mille coups à l’avance.

Un peu plus loin, en retrait et surtout bien cachée dans l’une des cavités des anciennes mines, Klara se dit que cet homme avait l’air plutôt monstrueux, vu d’ici. Et puis, elle pensa à la tête qu’elle même devait avoir, à cet instant. Une gueule de loup, tapis dans l’ombre comme ça, la bave coulante, comme un prédateur nocturne qui n’attends qu’une simple ouverture, d’une faiblesse de la part de sa proie, pour bondir. En terme de monstruosité, il lui fallait bien admettre qu’elle n’était pas en reste. Mais celle du capitaine, c’était une monstruosité secrète, inavouée, bien cachée derrière ses airs de beau blond charismatique, ce qui le rendait somme toute bien pire. Elle attendait là depuis un petit moment déjà. Pour passer le temps, elle imaginait le meilleur moyen de bouffer les trois pirates qui se tenait au centre du sommet rocheux. La sœur en premier, ça, ça avait été décidé depuis un petit moment déjà. Ses crocs se planteraient dans les os et la chair tendre de sa gorge frêle. Après quoi, elle s’occuperait du chauve avant même que le capitaine n’ait le temps de réagir. La chasseuse secoua la gueule. C’était attirant, tout ça, mais malheureusement pas du tout au programme. Puis ça ne plairait pas au lieutenant, qui apparu en face, un peu plus loin, grimpant non sans mal sur les restes du piton rocheux renversé qui servait de passerelle pour accéder à ce sommet. Klara comprit que quelque chose n’allait pas quand elle vit à sa suite non pas Cannelle et Marie, comme initialement prévu, mais Cannelle et Amélia. Le problème ne venait pas vraiment de cette dernière, dont la présence était rassurante face aux tendances pyromanes de Tofu. Non, le soucis, c’est que l’absence de Marie n’était sûrement pas anodine. La chasseuse était partie en avance, et déjà avant son départ, le retard de Marie avait été noté. Quelque chose lui était arrivé. Si Klara n’était pas si éloignée, ses soupçons auraient pu être confirmés par l’expression sur le visage de Cannelle. Sans doute par un procédé similaire à Tofu, celle-ci semblait avoir perdu l’éclat de la jeunesse, probablement écrasé par le stress de savoir son amie en danger. Qu’a-t-il bien pu se passer ? Klara ne bougea pas. Inutile de prendre le moindre risque.

« Tiens donc ! Commença Rooney, triomphant. Alors Lieutenant, on prends son temps ? Tu n-
– Ferme là, le coupa sèchement Kosma. »

Il avait les yeux rivé sur Kalem. Celui-ci voulu lui lancer l’une des pires insultes jamais inventées, mais l’écharpe d’Eléa l’empêchait de sortir le moindre son de sa bouche. A la base, Rooney ne voulait pas forcément le bâillonner, en guise de bonne foi, mais le nain n’arrêtait pas de l’ouvrir sur le chemin. En le voyant, même ainsi à moitié à poil et ficelé comme du saucisson, Kosma ne put s’empêcher de sourire. C’est que ça faisait un moment qu’il l’avait pas vu.

« Comment ça va mon pote ? »

Pour toute réponse, Kalem se contenta de hausser les épaules. A la suite de cet émouvant échange, Kosma fit signe à Cannelle, qui tira lourdement sur une corde. Derrière-elle, essoufflé par la grimpette pour arriver jusqu’ici, Victor montra sa trogne. Les mesures de sécurités prises pour empêcher l’animal de se rebeller avaient été drastique. Des cordages, des chaînes, des menottes ; le pauvre ne pouvait que bouger les jambes, et encore. Et si il tentait quoi que ce soit, Cannelle avait tout en main pour le rappeler à l’ordre. L’amener jusqu’ici sans trop se faire remarquer avait été plutôt fatiguant.

« Raaah, vieux ! Ça fait plaisir de te revoir, mentit Rooney. J’espère qu’ils t’ont bien traité. »

Pour toute réponse, Victor voulu hausser les épaules, mais les entraves l’en empêchèrent.

« En tout cas, reprit le capitaine, je vois que tout le monde est là ! Super. En plus, tu as respecté le deal, t’es honnête, lieutenant. Même si j’suis un peu déçu… Je veux dire, je m’attendais pas à voir la petite. Pour tout dire, je m’attendais à voir une des autres là… Mais si, tu sais… J’ai plus son nom en tête. Un sacré bout de femme, si tu veux mon avis. Comment ça se fait qu’elle est pas là ? 
– Qu’est-ce que vous lui avait fait, bande de fils de…
– Eh, un peu de respect voyons ! Vous pensez vraiment qu’on s’en serait pris à l’une des vôtres ? Nous, on respecte les chouettes lois de cette île. On a été sage. En plus, kidnapper quelqu’un, comme ça, à découvert, en plein jour… Ça demanderai une sacrée dose de dextérité, d’intelligence, de ruse. Bref, de génie. »

Le pirate jubilait. Ce petit exercice l’amusait beaucoup. Pour une fois, il n’avait pas besoin de fuir. Il pouvait s’amuser autant qu’il le voulait. Tout se passait parfaitement bien. Le lieutenant posa sa main sur l’épaule de la jeune femme, qui était déjà prête à se jeter sur le capitaine pour le suriner jusqu’à ce que mort s’en suive. Il tenta de la rassurer, par des paroles que Klara ne pouvait pas vraiment entendre. Ils avaient très probablement envoyé les Sailors sur les traces de Marie. Si quelque chose lui était arrivé, elles le découvriraient. Il n’y avait rien d’autre à faire.

« Rooney, commença le lieutenant. Si quelque chose arrive à notre ami, je peux t’assurer qu’aucune loi d’aucun pays ne pourra te sauver. »

Les deux se fixaient sans sourciller. Parfaitement immobiles, comme si ils se jaugeaient l’un l’autre. Le reste n’existait pas. Le pirate se dit qu’il aimerait lui presser le visage du soldat pour en faire jaillir sa cervelle. Étrangement, le lieutenant pensa à quelque chose de très similaire. Une idée traversa l’esprit de Rooney. Celle de tout foutre en l’air de transformer son petit terrain de jeu en bain de sang. Ensuite, il pourrait s’occuper des deux connards en charge des relations avec l’extérieur, qui lui cassaient bien les couilles. Ce serait dangereux, très con, mais parfaitement jouissif sur le moment.

Cette fois, ce fut l’esprit de Cannelle qu’une idée similaire traversa. Rooney sourit de plus belle. Les secondes duraient une éternité.

Pulu, pulu, pulu.

Kosma fronça les sourcils. Rooney se gratta le menton. Eléa leva les yeux au ciel. Le capitaine pirate laissa son escargophone sonner une ou deux fois, puis se décida à décrocher, gêné. Il s’excusa de la tête envers de lieutenant.

« Ouais ? Commença-t-il. Ah ! Sourit-il. En voilà une bonne nouvelle, s’exclama-t-il en adressant un clin d’œil à Cannelle. Bien joué. Je sens qu’on va bien s’amuser. Une vraie soirée de folie ! Allez, tchao-tchao. »

Puis il raccrocha, et se frotta les mains.

« Bon, c’est pas tout ça, mais je suis pressé, moi ! On le fait cet échange ? Je veux pas paraître malpoli hein, j’adore discuter avec vous. Mais là, y’a une petite qui m’attends, et je veux pas la faire languir plus longtemps. Vous savez ce que c’est. On passe des mois en mer, entre bonhommes, alors à la moindre occasion de larguer un peu de lest, on fonce. Et puis là, je me suis dégoté une sacrée catin ! Je vous raconte pas le morceau. Une jolie brune, un peu coupe au carré, vous voyez le genre ? Un peu jeune, mais bon. »

D’instinct, Kosma se retourna vers Cannelle, prêt à faire barrage pour l’empêcher de faire une bêtise. Il fut surpris de voir que la jeune femme n’affichait aucune envie meurtrière. Elle se contenta de tirer sur la corde de Victor, l’invitant à la suivre jusqu’au centre de l’endroit. Eléa s’avança elle aussi. Malgré son air neutre et calme, la jeune civile mesurait mentalement la distance qui la séparerait du capitaine pirate. Suffisamment proche, estima-t-elle. Une fois arrivée au niveau de l’autre garce, elle lui planterai la lame qu’elle avait dans sa manche, puis se jetterait sur le chef de cette bande de dégénérés, en comptant sur l’aide de Klara, toujours dissimulée sur le côté, un peu plus loin. Tant pis pour leur sois-disant plan. Tant pis pour les lois du pays. Tant pis pour le reste.

Amélia serrait l’un de ses dials dans la paume de sa main, l’œil rivé sur le chauve qu’elle n’avait cessé de surveiller depuis le début de la rencontre. Elle était calme, et déterminée. Elle avait peut-être même moins peur que Kosma. Ce dernier alluma une cigarette, surveillant l’échange d’un œil avisé. Au moindre mouvement, ou au signal de Klara, il était prêt à agir. Et il savait qu’il n’était pas le seul. Quelque part, non loin d’ici, attirés par Sarah, plusieurs personnes observaient la scène avec attention, prêtes à agir dès que les traditions du pays seraient bafouées.

De son côté, Klara ressentait à peu près la même chose que Cannelle, et s’était elle aussi préparer à devoir sortir les crocs. La seule chose qui la retenait, c’était cette satanée migraine qui repointait le bout de son nez. Elle fluctuait, à peu près depuis son empoisonnement, des jours plus tôt. Au départ, elle pensait que c’était simplement dû à ça, et qu’elle mettait un peu de temps pour récupérer, plus que les autres. Seulement voilà, non seulement ça continuait, mais ça s’aggravait. Au point où, parfois, sa concentration se perdait, voir pire. Un soir, un peu avant le débarquement, elle en avait même eu des hallucinations. Et là, ce n’était vraiment pas le bon moment. Elle ferma les yeux, tâcha de regrouper ses idées, de ne pas perdre le fil. Ses oreilles sifflaient. L’espace d’un instant, elle cru distinguer des murmures. Puis les murmures mutèrent, se transformèrent en bruit de fond, se mélangèrent. Et puis, le silence étourdissant de la nuit revint, après que les chuchotements eurent formés une pensée unique et distinct : D A N G E R.

Aussitôt, d’instinct, Klara prit appuie sur ses pattes arrière, et se propulsa en avant, vers une autre cavité, dissimulée derrière quelques rochers et les ruines d’un vieux bâtiment. Bien à l’abri, un quatrième pirate qui était sûrement arrivé bien avant elle attendait patiemment son heure de gloire, qui venait de sonner. Il arma son fusil, et s’apprêta à faire feu.

En relevant la gueule, Klara comprit l’énormité de son erreur. Autour d’elle, tout s’était arrêté. Tous la regardait l’air ébahi. De ses crocs, le sang du tireur coulait jusqu’au sol froid, ou s’étendait maintenant une jolie marre de sang, presque noire dans la nuit. La gorge du pauvre homme était totalement ouverte, donnant en spectacle sa chair évincée. Il n’était pas mort. Du moins, pas encore. Sous l’impulsion et le choc, elle lui avait arraché une bonne partie du cou. Volontairement ? Klara n’en savait rien. Le problème, ce n’était pas ça. Le problème, c’était plutôt qu’elle s’était rendu compte que d’un regard extérieur, elle venait froidement de dévorer un homme. Pas en légitime défense, ni pour protéger quelqu’un. Non. Elle avait attaqué la première, et c’était justement ce qu’il fallait éviter à tout prix.



* * *



Quelques minutes plus tôt.

Pulu pulu, pulu pulu.

« Ouais ? »

La voix résonna dans toute la cale. L’homme, qui tenait l’escargophone dans le creux de sa main, tremblait. La scène qui se dévoilait devant ses yeux avait quelque chose d’horrifique, presque.

« Ca...ca...capitaine ? On… On a un soucis. Un gros soucis.
– Ah !
– Pour de vrai, capitaine. C’est la fille. Elle s’est échappée.
– En voilà, une bonne nouvelle !
– Quoi ? Vous comprenez pas… J’sais pas comment elle a fait capitaine, mais elle a suriné le garde, et…
– Bien joué !
– Mais qu’est-ce que vous racontez ? Il est mort capitaine ! Et c’est pas le seul en plus, John aussi,  c’est de sa faute… Il voulait juste s’amuser un peu avec elle le temps que vous rentriez…  Capitaine, y’a du sang partout ! C’est horrible, vraiment horrible.
– Je sens qu’on va bien s’amuser !
– Vous avez bu, capitaine ? On a perdu trois hommes en tout, et elle va sûrement alerter les autorités, et… On l’a vraiment sous-estimé capitaine, c’est la merde.
– Une vraie soirée de folie !
– Mais bordel capitaine, qu’est-ce vous racontez ? Et qu’est-ce qu’on fait ?!
– Allez, tchao-tchao ! »
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Épuisée par sa course poursuite avec les hommes de Rooney, Marie s’arrête un moment. Comment a-t-elle pu être aussi idiote ? Se laisser attirer dans un piège comme celui-ci. Heureusement qu’elle garde toujours une lame bien planquée contre sa cuisse, ça sauve des situations emmerdantes. Elle tremble, respire avec difficulté. Jetant un coup d’œil derrière-elle, la petite brunette au teint pâlot note avec soulagement qu’elle n’a pas été suivie. Ce n’est certes pas la première fois qu’elle se fait emmerder par de vulgaires porcs, mais cette fois-ci elle n’était pas loin d’y passer. Elle pense à Cannelle, à tout ce dont elle ne parle pas mais qui se lit parfois dans le fond de son œil. Cette violence subie pour satisfaire les instincts sauvages de ces chiens. Pouah. Elle qui se sent déjà très mal alors qu’elle a échappé au pire n’ose imaginer plus.

Il lui faut les prévenir, arriver avant que la rencontre au sommet ne dégénère. Rooney n’aura pas manqué d’appuyer sur la corde sensible en essayant de les faire sortir de leurs gonds, et connaissant Cannelle, il n’est pas impossible qu’elle ait surréagi. Prenant une large inspiration la jeune femme entame son ascension en direction du lieu de rendez-vous. Elle n’a pas fait dix mètres quand intervient une voix qui la fait bondir de côté, agrippant son arme en tremblant.

« Marie Callony ? »

Il faut quelques secondes à la jeune femme pour reconnaître son vis-à-vis dans l’obscurité. Celui-ci la regarde sans sourire, avec juste un air navré sur le visage qu’elle perçoit par intermittences quand les lueurs de l’astre nocturne éclairent ses traits. D’un geste lent il retire ses lunettes et sort un mouchoir d’une de ses poches, essuyant les deux verres un à un.

« Je sentais bien que votre groupe allait apporter des problèmes. Veuillez me suivre, sans résistance, déclare sur un ton neutre Joseph Roulin.
-Mais… Je… Il faut que…
-Ne venez-vous pas d’assassiner deux hommes mademoiselle Callony ?
-Je me suis défendue !
-Vous les avez tués. Il me semblait pourtant avoir été très clair…
-Il faut que j’aille prévenir mes amis, ils risquent de se faire avoir !
-Vous m’en voyez bien désolé. Absolument pas surpris. Mais bien désolé. Suivez-moi s’il-vous-plaît. Cela m’ennuierait d’employer la force.
-Je vous suivrai quand j’aurai pu discuter avec les autres.
-Non. »

Marie reprend d’un coup sa marche en direction du piton où étaient censés s’être rassemblés les autres, guidée par la seule lueur de la lune. Elle force légèrement l’allure, la main crispée sur son poignard. Contrairement à son habitude elle ne sent pas le poinçon coincé dans sa manche, probablement retiré par le pirate ou ses hommes. Si Roulin l’attaque, il faudra réagir vite, elle n’aura pas deux tentatives. Un coup d’œil en arrière pour vérifier où en est son poursuivant. Elle remarque que celui-ci marche sans se presser. Elle augmente encore un peu sa vitesse pour être bien certaine qu’il ne la rattrape pas mais cette attitude l’inquiète. Encore un regard dans sa direction, le trentenaire s’est allumé une cigarette et marche toujours d’un pas lent mais sûr. Le cœur de Marie se met à battre plus fort, la tête lui tourne, elle accélère encore, gagne quelques mètres sur son poursuivant. Soudain elle comprend l’attitude de l’homme, elle s’arrête au bord du précipice et contemple le vide. Elle est arrivée au bord d’un piton. Cul de sac. Droite. Gauche. Aucune possibilité de fuite par là. Il lui faut affronter le binoclard. Dans un élan rageur elle se précipite dans sa direction. Des pleurs ravagent son visage. Elle lance son bras armé. Vise la jugulaire. Stop. D’un simple geste, Joseph Roulin attrape son bras. Elle ne bouge plus, lâche sa lame qui résonne sur le sol. Elle plonge son regard dans celui de son adversaire, dont la supériorité physique ne fait pas de doute.

« Pourquoi faites vous ça ?
-Parce que c’est la loi. J’aurais préféré que vous me suiviez sans faire d’histoire, ça m’aurait évité d’avoir à faire ça.
-D’avoir à faire quoi ?
-Vous avez de la chance, si on peut appeler ça de la chance, il me semble qu’à cet endroit il y a des buissons pour amortir votre chute. Peut-être survivrez-vous. »

Sans paraître faire le moindre effort, Joseph attrape Marie et la hisse sur son dos. Comprenant alors ce qui va se passer, celle-ci commence à se débattre sans pour autant parvenir à freiner son bourreau. Doucement, une cigarette entre les dents, une jeune femme déchaînée sur le dos, il s’approche de l’à-pic puis place tranquillement sa coupable au-dessus du vide, patientant encore quelques secondes comme pour laisser le temps à la jeune femme d’exprimer ses dernières volontés. Puis c’est la chute.

***

Bordel. Qu’est-ce qui lui est passé par la tête ? Tout autour de nous se rapprochent des dizaines de personnes. J’aperçois Sarah aux côtés de Mathias. Je sens qu’elle s’en veut d’avoir rameuté tous ces types. Mais elle n’a fait que suivre le plan. Juste que le plan de Rooney s’est avéré meilleur que le notre. Il me fixe droit dans les yeux, un large sourire malicieux sur le visage. Le mien a franchement disparu. Il lève les mains en l’air, montrant l’absence d’armes. La femme et le tondu l’imitent, rapidement singés par le gros Victor. J’ai comme l’impression qu’on vient de se faire grandement avoir.

« Je crois qu’ils avaient l’intention de s’en prendre à nous mes amis ! Fait Rooney en rompant un silence plein de tension. Messieurs-dames, nous allons rentrer nous coucher avant que ces gens là fassent des bêtises. Et ça se dit émissaire de la justice… Non mais ce qu’il faut pas entendre.
-Je te préviens Bottom…
-Tu me préviens de quoi ? J’ai respecté les termes de notre échange, je t’ai rendu ton nain. Il est insupportable d’ailleurs, je suis content d’en être débarrassé. Par contre, ta bestiole a fait couler le sang, c’est à elle de s’arranger avec les Pythoniens je crois.
-Tu ne paies rien pour attendre.
-Encore des menaces ? Je vais m’en aller avant que tu fasses une bêtise. Vous l’avez bien entendu messieurs-dames, c’est lui qui menace ! S’exclame-t-il à l’intention des nouveaux arrivants. »

Je n’ose crier à Klara de fuir. Les locaux l’ont repérée et elle semble ne toujours pas bouger. Nous regardons tous les quatre pirates s’éloigner. La présence de Kalem à mes côtés ne suffit pas à me faire bondir de joie. Nous avons perdu Marie. Et cette nuit la petite subira je ne sais quel sort. Quel affreux personnage que celui-là. L’idéalisme de la piraterie ? Tu parles…

« Kosma ! Je viens d’avoir un appel des filles, vient me prévenir Amelia. Elles ont investi les chambres des pirates et ont trouvé des draps remplis de sang.
-QUOI ? Hurle Cannelle. Ils l’ont tuée ?
-Elles n’en savent rien Cannelle, il n’y avait personne à l’intérieur.
-Elles n’en savent rien mais elles le pensent. Laissez-moi passer. »

Amelia et moi retenons la blonde. Sa colère est froide mais à cet instant là, je sais que si je la lâche, elle ira droit jusqu’à Rooney et tentera par tous les moyens de lui percer le cœur. Sarah arrive quelques instants après, attirée par le cri de sa capitaine, demande ce qui s’est passé. Elle encaisse salement la nouvelle. Pas bon tout ça. Kalem n’a pas encore balancé une seule insulte, lui aussi se sent mal je crois. Et je vois arriver Mathias tout tranquillement, qui semble complètement en dehors de la réalité de l’instant. Je comprends à peine ce qu’il me baragouine, mais je fais tout mon possible pour rester solide. J’adresse un regard au nain qui secoue légèrement la tête pour me faire comprendre qu’il me répétera tout le discours qu’on m’adresse un peu plus tard, quand j’aurai récupéré du choc. Une jeune femme du groupe des Pythoniens vient glisser quelques mots à l’oreille du grand noir. Je comprends à peine quand il me dit de rentrer et qu’ils vont faire de même. Je regarde dans la direction de l’endroit où j’ai vu Klara pour la dernière fois. Celle-ci a probablement fui. Lourde défaite pour nous cette nuit ; probablement plus de Marie, et une Klara hors-la-loi, génial.
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Pulu pulu, pulu pulu, pulu pulu…

Comme les autres fois, l’escargophone continua à sonner dans le vide, jusqu’à ce que l’appelant fut découragé. Elle regarda l’animal modifié pendant un temps, avant de le fourrer dans le fond de son sac en toile. Elle vérifia rapidement les alentours, déserts, avant de reprendre son observation. Les yeux plongés dans une vieille paire de jumelles à moitié brisées, trouvées dans l’un des tunnels qu’elle a utilisé lors de sa fuite, Klara avait vue sur son petit navire. Si elle avait d’abord été soulagée de reconnaître la tenue d’une des Sailors à son bord, la chasseuse avait été bien vite découragée par la vision des autorités locales qui protégeaient le port, que ce soit les quais, en contre-bas, ou bien la ville, en hauteur. Peu de chance d’atteindre son navire sans encombre. Encore moins de chance de parvenir à larguer les amarres et à se tirer d’ici. Pourtant, se tirer d’ici, c’était devenu son plan. Depuis le début, cette histoire, ça puait. Et elle avait été quand même vachement sympa d’y participer pendant aussi longtemps. D’abord, l’empoisonnement, maintenant, la vie de hors-la-loi. Ça ne faisait que quelques heures, mais elle en avait déjà marre. Pendant une seconde, elle s’était dit qu’elle pourrait, peut-être, faire montre de plus d’empathie pour les primés, parce que quand même, c’était pas agréable de surveiller le moindre de ses pas. Étant donné la prépondérance qu’ont plupart des primés à être des enfoirés dénués de sens moral, elle changea vite d’avis.

Elle quitta ses jumelles, qu’elle enfouit aux côtés de son escargophone, vérifia qu’il ne lui manquait rien, et réajusta sa capuche. Elle se trouvait sur une petite formation rocheuse isolée du reste, ou se trouvait à peine trois cabanes en bois. Ses habitants, des fossiles à peine vivants, ne prêtaient nullement attention à ce qui pouvait bien se passer autours d’eux, ce qui en faisait une planque parfaite, en plus d’avoir une vue directe sur les quais. La géographie de l’endroit était propice aux cachettes en tout genre, ce qui était plutôt pratique dans son cas. Seulement voilà, elle était également peu propice à la fuite, ce qui était somme toute peu pratique. Klara griffonna rapidement dans son carnet, un nombre approximatifs des patrouilles qu’elle avait pu distinguer, l’agencement de l’endroit ainsi que les différents tyroliennes installées. Elle dût se rendre à l’évidence : elle n’avait que peu de chance de partir par ici.

*

Lorsqu’il passa l’entrée de son auberge préférée, Jacky poussa un long râle, suivit d’un rot grossier, lui-même suivit d’une injure. Il s’ébroua comme un chier, puis se dirigea vers l’une des tables du fond. « Auberge » est un mot que seul Jacky utilisait pour décrire cette endroit, qui tenait plus de la taverne paumée à moitié en ruine. Aussi le tabouret sur lequel il s’assit craqua sous son poids, et lorsqu’il posa sa main sur la table, un léger nuage de poussière se souleva. Une injure plus tard, et il salua sa partenaire de boisson du jour. Il n’était pas aisé de lui donner un âge : la femme qui se tenait devant lui avait mauvaise mine, et quelques rides semblaient tirer son visage boursouflé, mais ça ne pouvait être que la fatigue. Pas de cheveux gris pour aider non plus, car la femme était présentement chauve, ou du moins quasiment. Bref, pas belle à voir se dit Jacky. En plus de ça, elle arborait une mince cicatrice qui lui traversait une partie du visage, à moitié cachée, mais présente quand même.

« J’te préférai avant quand même ma p’tite ! »

Klara ne répondit pas. Elle se contenta de vider sa choppe en jetant des petits coups d’œil vers l’entrée du bâtiment. Elle était elle-même surprise du résultat auquel elle était parvenue : contrôler ses cheveux, c’était déjà plutôt extraordinaire pour elle, mais alors là… Elle espérait ne pas avoir à faire ça régulièrement, mais il fallait bien admettre que ça lui avait sauvé la mise, aujourd’hui. Les couillons des pythons cherchaient soit une louve, soit une jeune femme aux longs cheveux gris clairs. En tout cas, pas une grosse chauve. Mais visiblement, ça ne marcherait pas pour longtemps ; Jacky l’avait bien reconnu.

« Qu’est-ce que j’peux t’faire pour ton service que t’as b’soin? Continua-t-il, l’esprit déjà bien embrumé par l’alcool.
– Paraît que t’aime bien partir en expédition.
– Où ça? Dans les tavernes? Ouais, c’est pas faux.
– En bas.
– Dans les caves des tavernes? C’est d’jà un peu moins mon déli-
– En bas des pythons.
– Aaah ! Ouais, quand même. Y’a des trucs vachement sympa par là-bas. Tiens, l’autre coup, j’ai choppé un champignon tout bizarre. Comme j’savais pas ce que c’était, ce qui est bizarre d’ailleurs parce niveau flore j’suis pas le dernier des tocards, ben j’ai croqué dedans. J’ai vu des choses, ma petite, je te raconte pas. Quand j’suis redescendu, j’en ai choppé d’autres. T’en veux?
– Non merci, c’est gentil, répondit-elle calmement. J’aimerai plutôt savoir comment descendre, et ce qui m’attends là-dessous.
– Tu comptes y aller?
– Je te demanderai pas, sinon. Du coup?
– Beeeen… C’est que… J’suis pas descendu d’puis un moment, et ma mémoire hein… »

La chasseuse soupira, puis glissa sur la table poussiéreuse une liasse de billet. Il ne lui restait pas grand-chose, mais elle n’avait jamais été proche de ses sous. Jacky jeta un petit coup d’œil sur le côté, comme un animal protégeant sa proie, puis s’emparant de la liesse d’un coup de main agile qui surprit Klara.

« Ouais donc j’disais, j’suis descendu pas plus tard que la semaine dernière. Moi, je prends une des vieilles tyroliennes qui mènent à un des plus petits pythons du pays. De là, tu peux descendre facilement si t’es un minimum débrouillarde. J’ai connu un manchot qui a réussit, donc bon… Faut gaffe quand même, ces machines fonctionnent quasiment plus. Des ruines, pour la plupart. Moi, j’en retape une vite fait pour pas me casser la gueule.
– Y’a pas de moyen moins casse-gueule?
– Pas vraiment. Parce que le but, plus que de descendre, c’est d’empêcher les autres de remonter. Soit tu manques de te péter la gueule et de crever, soit tu risques de passer par des coins surveillés. C’toi qui vois ! Si ça peut t’aider, j’connais un type plutôt sympa qui s’rait prêt à t’aiguiller vers un endroit pas surveillé.
– Qui ça?
– Moi-même. Contre un p’tit pourboire forcément.
– Forcément. »

Une nouvelle liasse. Une nouvelle commande au tavernier de la part de Jacky. Il avait la pêche, aujourd’hui. L’argent coulait à flot, et l’hydromel aussi. Il gribouilla des indications dans le carnet que Klara lui avait tendu avec l’argent.

« Et pour ce qui m’attends en bas?
– Alors là… T’aime bien les serpents?
– Pas vraiment.
– Y’en a plein. Entre autre, hein. C’est un sacré merdier en bas. Fut un temps, c’était un chasseur sur deux qui revenait pas. Entre ça, les insectes, les plantes carnivores, et puis bon… Y’a aussi les gens que balancent les autorités. Des gens comme toi, tu vois? Ceux qui survivent sont souvent pas bien sympathique. Ça doit grouiller de clans et d’autres merdes. Quand on sait pas se repérer aussi bien que moi, y’a quand même moyen de bien se faire dérouiller et de jamais revenir. Enfin bref, voilà quoi. J’t’accompagnerai bien, sauf que j’ai pas envie.
– Je comprends. »

Elle repoussa sa choppe, et souffla un coup. Elle jeta un dernier coup d’œil à son carnet, histoire de retenir les indications par cœur. De ce qu’elle comprenait, ce n’était pas très loin. Elle rangea son journal dans le fond de son sac, en prenant soin de ne pas écraser son escargophone qui venait d’ailleurs de se mettre à sonner. Le lieutenant, à tout les coups. Elle fronça les sourcils. Elle n’était pas vraiment sûre de la raison derrière l’inquiétude qui la traversait soudainement. L’alcool qui passait mal? Non. Peut-être était-ce ce coup de fil. Ou bien les bruits de pas qui résonnaient, au loin, à l’extérieur. Ou alors c’était peut-être ces voix, qui résonnaient dans son crâne depuis maintenant un moment. Des voix inquiètes et menaçantes. Peut-être aussi était-ce l’insistance de Jacky de lui resservir un verre. Elle fixa son compagnon de table du regard. C’était sûrement un peu tout ça à la fois.

« Est-ce que, à tout hasard, tu m’aurais dénoncé?
– Bien sûr, pourquoi?
– Hm.
– C’est quand même pas une chasseuse de prime qui va m’en vouloir d’aider la Justice à retrouver un criminel.
– Tu as raison, je ne t’en veux pas. Profite bien de la récompense, si il y en a une.
– J’aurai aidé personne dans l’cas contraire. Fais gaffe en descendant, c’est galère.
– Je pensais que même un manchot pouvait y arriver.
– J’ai dis qu’il était arrivé en bas, pas qu’il avait survécu. »

*

La porte vola en éclat. Une silhouette, fine et élancée, s’élança d’un bond vers l’extérieur de la taverne, à l’arrière. Derrière-elle, en plus du tenancier en colère face à tant de destruction, se trouvait un bon petit paquet de type en uniforme de garde. Elle en compta cinq à l’intérieur. En plus de trois autres qu’elle sentait faire le tour du bâtiment pour la prendre à revers. L’un de ceux-là était un rapide, et se lança dans une tentative de plaquage, que Klara avorta d’un lancé de pierre bien placé. Le bruit fut désagréable, mais le type n’avait pas grand-chose.

Refus d’obtempérer.
Agression sur figure d’autorité.

Rien de très grave ; après tout, elle était déjà considérée comme meurtrière par les autorités du pays. Le piton était étroit, donc dangereux pour elle. Le pont de bois qui le reliait à une autre formation rocheuse bien plus grande était évidemment bloqué. Heureusement pour elle, une tyrolienne reliait la terrasse de la taverne à un petit plateau, en contre-bas. Elle frissonna à l’idée qu’on lui tire dans le dos durant sa descente, mais elle posa les pieds sur le sol de pierre sans trop d’encombre. A partir de là, elle pourrait sûrement rejoindre un autre piton plus éloigné et se cacher un temps, pour peu qu’elle soit un peu rapide. Déjà, quelques gardes descendaient derrière elle. Elle se précipita au travers d’un bâtiment en ruine. Pas possible de se cacher ici. Elle passa par une fenêtre déjà brisée pour se retrouver de l’autre côté du plateau, ou l’attendait une autre tyrolienne.

« Hop là ! »

Elle avait reconnu cette voix. Même avant d’apercevoir ce sourire de connard. Elle n’eût qu’une brève vision de l’homme qui venait de interpeller, car en une fraction de seconde, quelque chose l’entrava totalement. Une épaisse écharpe de coton s’enroula autour d’elle, lui passa sous les bras, bloquant tout mouvement, puis enserra son cou suffisamment fort pour lui faire prendre une teinte d’abord pâle, plus bleutée.

Capitaine Rooney et sa cruche de sœur, s’était dit Klara. Les petites voix qui la harcelaient dans sa tête ne l’avaient pas prévenu, de ça.

« Enfin ! S’exclama le pirate. Je vais pouvoir venger mon pauvre compagnon ! N’as-tu vraiment aucune honte? Assassiner un pauvre homme, innocent ! En plein pourparler ! Non mais vraiment…
– Petite peste ! »

Klara voulut rétorquer, mais la jeune pirate l’avait bâillonnée de son écharpe rouge sang. Elle se contenta de lui lancer un regard plein de haine. En langage des regards, ça voulait sûrement dire quelque chose du genre : « Qu’est-ce que tu fous là, t’es garde maintenant espèce de connard? », ou en tout cas à peu de chose près.

« Voilà qui devrait remonter notre côte auprès des bonnes gens de ce pays ! Dit fièrement Rooney. Tu sais, je crois qu’ils sont pas très content de nous après de ta pote se soit fait la malle. Soit disant on s’en serait pris à elle, avant qu’elle ne bute trois de mes hommes. C’est faux, évidemment, jamais j’aurai fait une chose pareil, mais ils ont douté de ma parole. Enfin bon… Maintenant que je leur apporte ta tête, tout ira bien. Tu sais quoi? D’ici demain, nous, on s’en va ! On repart à l’aventure. Qu’est-ce que j’ai hâte. Toi, pas si sûr. D’ici demain, tu seras sûrement morte. D’ailleurs, j’entends la compagnie qui arrive. »

Klara tenta de repousser ses cheveux vers la jeune femme, qui n’eût qu’à serrer un peu plus l’étreinte pour enterrer toute tentative d’évasion. L’air ne parvenait plus jusqu’aux poumons de la chasseuse, qui voyait de plus en plus flou. Bientôt, elle n’entendait plus que les pas se rapprocher, et les ordres qui se criaient d’un bout à l’autre du plateau. Ce serait tout bonnement ridicule de finir comme ça.

Pour un meurtre, la peine de mort l’attendait déjà plus ou moins. Alors un deuxième, ça changerai sûrement pas grand-chose…

Les bruits de pas s’était évanouis. Les voix s’étaient tuent, et même les monologues insupportables de Rooney ne semblait plus pouvoir l’atteindre. Les ricanements de sa sœur non plus, mais ça, c’était pour une raison totalement différente. Elle, elle était simplement incapable d’émettre le moindre son. Il faut dire qu’un poumon perforé, ça fait quelque chose.

Un mince filet de sang coulait de la bouche d’Eléa. Les yeux écarquillés, elle fixait ce qui se tenait devant elle. Touffu, tordu, l’hybride immonde qui se dressait face à elle n’avait rien à voir avec la fine silhouette de Klara qu’elle tenait, encore une seconde plus tôt, dans ses filets. Les yeux de la pirate se baissèrent pour apercevoir les griffes sales et acérées qui venait de lui transpercer l’abdomen. Son écharpe redevint inerte et retomba lentement au sol. Elle avait la même couleur que la flaque de sang qui prenait forme sur le sol de pierre. Eléa se dit que décidément, elle savait choisir ses accoutrements. Et puis, sa conscience s’envola comme un nuage de fumée.

Tout ceci s’était déroulé en une fraction de seconde. Fraction de seconde qui avait suffit au capitaine Rooney de se ressaisir et de tirer un coup de feu en direction du loup-garou. Marrant, se dit-il, Victor me l’avait décrit plus imposant. Fine et allongée, la forme qu’avait prise Klara ne bénéficiait pas seulement d’une force animale, mais d’une agilité plutôt avantageuse. Elle se retourna, Eléa toujours empalée par ses griffes. La balle perfora l’épaule de celle-ci avant de frapper la chasseuse. Pas le temps de réfléchir aux dégâts. La douleur réveilla ses sens, et son instinct embraya sur la vitesse supérieure. Les petites voix reprirent leur assaut sur sa boite crânienne.

Danger.

Klara poussa sur ses deux pattes et fonça vers le capitaine, se servant du corps de sa victime comme bouclier. Rooney roula sur le côté, ouvrant la voie vers la liberté à Klara. Une voie particulièrement dangereuse, puisque constituée en majorité de vide. Tant pis pour les indications de Jacky.

Tandis que les balles commençaient à siffler derrière elle, dont le bruit couvrait une voix que Klara identifia comme celle de Roulin, elle pensa un instant au manchot, avant de se jeter dans le vide.
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« Bulldozer, tu prends Eléa sur tes épaules, tu fais gaffe à elle, on va essayer de lui faire un garrot avec son écharpe. Tofu, tu prends fissa la direction de l’hôtel, je veux que tout soit clean pour notre arrivée et qu’on ait un médecin direct sur place. »

Le visage de Rooney s’était fermé. Quoi qu’il pense de sa sœur ; son caractère de diable, sa franche indépendance, son non-respect des consignes, son côté indomptable et ce talent inégalable pour lui taper sur le système, elle n’en reste pas moins sa sœur. Sa seule satisfaction dans l’affaire ; voir la louve plonger dans le précipice. Peu de chances qu’elle en réchappe. Et si par malheur elle arrive vivante en bas, les centaines de pythons qui ont fait la réputation de l’île se chargeront d’achever le travail.

« Monsieur Bottom ? Intervient la voix dépourvue d’émotions de Joseph Roulin.
-Je vous écoute monsieur Roulin. Désolé de n’avoir pas pu vous ramener cette meurtrière. Elle a failli emmener une deuxième victime dans sa chute, je pense toutefois que ma sœur est assez forte pour s’en sortir.
-Vous n’auriez pas dû vous trouver là. Je vais vous demander de rejoindre votre hôtel et de vous tenir à carreaux. Nous ne sommes pas dupes. Nous n’avons aucune preuve contre vous mais ne croyez pas que nous vous faisons confiance.
-Hinhin, pas la moindre trace d’empathie dans la voix alors que je risque de perdre ma chère sœur. Avez vous un coeur au moins ?
-Oui, et il est bien accroché. Arrêtez de jouer au malin, ça vaudra mieux pour vous. Si j’ai le moindre soupçon à votre encontre, je lance mes hommes sur vous et si ça ne suffit pas, le sous-amiral Astarte sera ravi de collaborer avec nous.
-J’ai peur. Je ne vais donc pas vous embêter plus longuement. Le temps de vérifier que les jours de ma sœur ne sont pas en danger et nous quittons votre charmante île.
-Bon débarras.
-Je me dois tout de même de vous remercier.
-Comment ça ?
-Sans vos lois rigoristes, il y a longtemps que ce cher lieutenant Kosma nous aurait arrêtés.
-Ne croyez pas que j’en sois ravi. Mais la loi, c’est la loi. »

***

D’un mouvement las, Olga referme le livre qu’elle vient de parcourir. La nuit a été longue comme en témoigne la pile d’ouvrages législatifs posés sur la table. Dans sa tête s’entrechoquent les différents articles de lois. Elle pourrait les citer un à un sans erreur, une mémoire quasi infaillible, mais là n’est pas la question : il faut trouver la faille qui permettra à son groupe de coincer ces malfrats sans être freinés par les deux âmes damnées des Pythons. Elle a bien une ou deux pistes mais est-ce vraiment suffisamment solide pour être tenté ? Le risque à prendre reste gros. Elle ne peut envisager cette décision toute seule, il faut en parler au reste du groupe. Elle veut également un compte-rendu de l’échange de cette nuit. Et puis la fatigue accumulée l’empêche de réfléchir convenablement. Elle attrape la bougie à côté d’elle, elle a bien diminué et vacille doucement. Elle reviendra ranger les livres, la bibliothécaire lui a bien laissé l’accès libre. D’un pas emprunt de fatigue, elle remonte les marches de l’établissement, passant du sous-sol au rez-de-chaussée, elle sort de la boutique, frissonne, le vent passe son petit pardessus, le silence du port est transpercé de bruits d’oiseaux, brrr.

À l’hôtel, la lumière du hall d’accueil est allumée. Au fur et à mesure qu’elle se rapproche, elle ne sait pourquoi, son cœur se met à battre la chamade. Les pressentiments, elle a toujours fait en sorte de ne pas trop les écouter, mais là, la fatigue l’empêche de raisonner. Son premier coup d’œil à l’intérieur pourtant la rassure un peu ; Kalem est là, dans un coin, en train de farfouiller ses affaires. Elle ne comprend pas trop ce qui l’agite. Enfin bon, ce n’est pas l’important. Parce qu’en regardant un peu autour, elle sait désormais que son intuition était étonnamment juste.

« Où est Marie ? Et Klara ?
-Marie a disparu avant la transaction, capturée par ces chiens, on ne sait pas ce qu’il est advenu d’elle, mais quand les chasseuses sont allées vérifier à l’endroit où les pirates logeaient, il y avait des traces de sang, répond Cannelle d’une voix blanche, dénuée d’émotions.
-C’est… Je…
-Quant à Klara, elle est poursuivie par Roulin et ses hommes.
-Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Ils nous ont piégées, on n’était pas assez prudentes. Klara a découpé la gorge d’un de leurs hommes en embuscade. Eux n’ont rien fait de mal aux yeux des locaux.
-Les chasseuses sont au courant ?
-Amelia était avec nous, elle est partie les prévenir. Si elle s’en tient à ce qu’on s’est dit, elles doivent rester sur place et nous signaler tout mouvement des pirates.
-J’étais venue avec une piste, ténue, mais ce n’est plus la peine d’y songer. Qu’est-ce qu’on peut faire ?
-Attendre des nouvelles dans un premier temps. Et voir comment les choses bougent. »

***

Edouard Bottom le sent, le vent tourne en sa faveur. Mais il ne faut pas crier victoire trop vite. Eléa est prise en charge, elle devrait réussir à se rétablir. Même si ça prendra du temps. À côté de lui, ça s’impatiente, ses lieutenants sont là, ils attendent qu’il prenne la parole, qu’il leur dise comment agir, qu’il leur montre la voie. Car c’est bien ça le rôle d’un capitaine. Un à un, il les dévisage ; la carpe ne sourcille pas, pas plus qu’à son habitude en tout cas, Bulldozer boude un peu dans son coin, il n’a pas digéré qu’on l’ait abandonné sur place sur l’archipel aux éveillés, quant à Tofu, la lueur qui brille dans ses yeux est toujours aussi brillante, son sourire toujours aussi carnassier, il veut du sang, il ne supportera pas longtemps de moisir sur les Pythons.

« Mes chers amis, je crois qu’une petite discussion s’impose.
-On n’est tes amis que quand ça t’arrange… grogne Victor.
-Pardon ? Tu râles mon ami Bulldozer ?
-Je râle parce que j’ai failli crever et que tu n’as pas levé le petit doigt Rooney.
-Je crois pourtant avoir échangé ta vie contre celle de mon otage nain… Tu penses que je devrais revenir sur cette décision ?
-Je…
-Je t’ai attendu avant de prendre le large quand l’incendie s’est déclaré, au même titre que Tofu qui lui a eu la décence de nous rejoindre. J’ai fini par penser qu’il s’agissait d’une trahison de ta part.
-Co… Comment ? Mais jamais je ne…
-Alors comment se fait-il qu’il ait fallu que le lieutenant Kosma te ramène avec lui ? Peut-être était tu tout simplement trop faible.
-Je t’avais dit qu’il n’avait pas la trempe d’être de tes amis Rooney, si tu veux je m’occupe de son cas, intervient Tofu, prêt à saigner son camarade.
-Non, j’ai racheté sa carcasse au prix de mon nain de compagnie, il va rester avec nous, il peut encore nous être utile. Mais je ne veux pas d’autres babillages plaintifs de ta part Bull’, ça pourrait te coûter cher.
-…
-Tu m’as bien compris ?
-Ouais Capitaine, désolé d’avoir été aussi ingrat, ça ne recommencera pas, recula piteusement le gros pirate.
-Bon, est-ce qu’on peut passer aux choses sérieuses ?
-On se casse et on dégomme tout sur notre passage ? Suggère Tofu.
-Je suis d’accord pour partir, mais je ne veux pas courir le moindre risque en attaquant ouvertement. Je propose qu’on prenne nos cliques et  nos claques en se préparant à une intervention de la troupe du lieutenant. S’il nous attaque, nous riposterons.
-T’es trop prudent Rooney. Je m’ennuie moi.
-Patience Tofu, tu pourras bientôt te défouler. La Carpe, tu es prêt à partir ? »

Simple acquiescement de la tête de la part du pirate silencieux. L’avantage d’avoir un type qui peut diriger un navire à lui tout seul dans son équipage, c’est qu’on n’a plus à se soucier que du reste. Secrètement, Edouard Bottom espère que le lieutenant va tenter quelque chose pour l’empêcher de partir. Quelle joie ce serait de le voir échouer encore une fois. Une dernière fois avant de lui échapper pour de bon.

***

D’un pas très régulier, ni trop empressé, ni trop lent, un pas affirmé, mais pas hâté, un pas rigoriste, fluide, bref, un pas tout ce qu’il y a de plus neutre, Joseph Roulin avance vers l’hôtel où notre petit groupe déprime, rumine, réfléchit, attend. Il n’éprouve aucune satisfaction aux nouvelles qu’il s’apprête à leur annoncer, il n’est pas là pour leur assener des « je vous avais prévenus », des « vous l’avez bien cherché » ou des « il fallait respecter la loi », non. Il est là pour leur dire sans ambages ce qui s’est passé, qu’ils soient au courant. Parce qu’il n’a pas un mauvais fond. Et que ce n’est pas de gaieté de cœur qu’il applique les sentences. Mais ils ne comprennent pas que la loi prime avant toute chose, avant toute pitié, avant toute morale. La loi c’est la loi et elle est faite pour être respectée.

Toujours avec cette même énergie déterminée, Roulin pose sa main sur la poignée de la porte d’entrée et ouvre celle-ci, vivement mais sans fracas. À l’intérieur, toujours les même têtes dépitées, qui se tournent presque machinalement vers le nouveau venu. Mais il voit bien que leur regard change en le voyant entrer, qu’un soupçon d’espoir mêlé de crainte se lit dans leurs yeux, qu’elles sont prêtes à se mettre à genoux pour avoir une bonne nouvelle de sa part. Le lieutenant fait également partie des curieux. Seul le nabot, affairé à on ne sait quoi dans son coin, se contente d’un rapide coup d’œil et d’un juron grommelé rapidement dans sa barbe. Pas besoin de ménager le suspense, Joseph Roulin a horreur de ça.

« La criminelle que nous pourchassions est tombée.
-Klara ?
-Mademoiselle Eilhart, oui, c’est bien ça.
-Est-il possible qu’elle ait survécu à sa chute ? Demande aussitôt Cannelle, tentant de cacher tout tremblement dans sa voix.
-C’est fort peu probable, mais c’est possible. Je dirais qu’ordinairement il y aurait 10 pourcents de chance qu’elle arrive en bas vivante et moins d’un pourcent qu’elle survive au bout du compte, deux pourcents si elle bénéficiait d’une aide extérieure.
-Ordinairement ? Répète Olga qui n’a pas manqué de remarquer la nuance.
-Pour être franc, c’est la première fois à ma connaissance qu’une personne tombe sous la forme d’un animal, a fortiori un loup, je n’en ai aucune certitude, mais je dirais que cela augmente ses chances de survie.
-Vous nous dites ça comme si vous espériez qu’elle ne soit pas morte, rebondit Cannelle, je ne comprends pas pourquoi vous l’avez pourchassée dans ce cas.
-Je n’espère rien. Son sort ne me concerne plus désormais. Elle avait tué, il fallait qu’elle soit punie, la chute est toujours la sentence dans ces cas-là. Ensuite tant mieux pour elle si elle survit.
-Donc nous pourrions descendre la chercher, la remonter et vous ne la pourchasseriez plus ? S’étonne la capitaine du petit groupe de civiles.
-Tant qu’elle se tient à carreaux. Mais ne vous faites pas de faux espoirs, elle est certainement morte.
-Vous pourriez nous aider à descendre en bas des Pythons ? Insiste-t-elle.
-Je pense que ce serait en mon pouvoir.
-Génial !
-Mais en aucun cas je ne pourrai vous être d’une quelconque aide pour remonter. »

Sur ces paroles, Roulin, d’un signe de la tête, indique qu’il va s’en aller. Il a terminé son rapport d’informations auprès du petit groupe. Il se retourne, rouvre la porte qu’il avait refermée derrière lui quelques minutes auparavant, et s’apprête à en franchir le seuil. Il s’arrête un instant. Il avait presque oublié ce détail mais cela lui revient désormais en mémoire. Sans une émotion visible sur le visage et juste avant de se fondre dans la nuit, il lâche quelques mots supplémentaires.

« Marie Callony aussi est tombée. »

***

J’me cale une cigarette dans l’coin de la bouche, l’allume et par longues et lentes bouffées je sens la fumée m’envahir et me calmer progressivement. J’fais l’piquet au milieu du ponton, attendant avec détente que Rooney et ses hommes viennent reprendre la route. Je ne bougerai pas d’là, tu peux m’croire. Ils nous ont fait assez de tort comme ça. Alors peu importe les lois de l’île, la surveillance de Roulin et Griboche, les risques que j’prends, l’alignement des planètes et tout le toutim, je me les fais.

Désaccord avec Cannelle sur la marche à suivre. Elles ont décidé de descendre, de partir à la recherche de Marie et Klara. À la recherche de leurs cadavres. Parce qu’elles n’ont pas pu survivre. Pour moi Roulin avait été clair, les chances étaient quasi nulles. Dans ces cas là, garder espoir plutôt que d’avancer, c’est juste repousser la chute. Et ensuite tomber d’encore plus haut. Olga et Sarah ont bien entendu suivi leur Capitaine, Kalem a décidé de m’accompagner mais de rester en retrait des combats. Il doit être calé sur le navire des Chasseuses à un endroit où il pourra observer la scène. Ce gars-là m’épate. Il est petit, fragile, incapable de se défendre face à la moindre démonstration de force, mais il fait preuve d’un courage assez incroyable ; d’un sang-froid impressionnant dans tous les cas. Imaginez bien, à peine libéré de ce groupe de cochons des mers qu’il se met à farfouiller dans ses affaires pour concocter je ne sais quelle manigance dans son coin. Je me demande s’il est possible de l’ébranler.

Enfin, ne pensons plus à ce petit être grossier. Il est désormais dans un état de sécurité relative. Et il faut garantir cette sécurité. En arrêtant ces pirates. En haut des escaliers remontant les premiers Pythons jusqu’au port, je peux voir un petit groupe arriver. D’instinct, je le sais, ce sont eux.

J’attends. Dans ma bouche, la cigarette se consume sans que je pense véritablement à tirer dessus. Je suis tendu. Je le sais, je vais devoir me battre et je n’en ai pas vraiment l’habitude. Je me remémore ma formation, au BAN, ça me rappelle de bons souvenirs. Les camarades, les rires, les bêtises, les pauses et les envolées verbales. Mais cette fois-ci ce sont les chocs, l’appréhension du mouvement, l’adaptation à ce que fait l’adversaire dont on ne connaît pas encore le style de combat.  J’ai toujours en tête la règle de mon instructeur en chef – « les trois P, fourrez vous bien ça dans l’crâne bande de moules ! Puissance, Précision, Vitesse ! » – toujours  le mot pour rire celui-là, mais je crains que cette fois-ci il me faille utiliser autre chose que mes muscles.

Quand ils arrivent enfin face à moi, je me sens prêt. Sur mon visage, plus une trace de ce sourire qui me caractérise tant. Rooney ne s’y trompe pas, il ne se permet aucun commentaire. D’un geste, il fait signe à ses gars de ne pas intervenir. J’ai de la chance que mes adversaires fassent toujours preuve de cette fierté mal placée qui voudrait qu’on défasse une personne seule. S’ils s’étaient lancés conjointement sur moi j’étais mort, là ça se jouerait au plus fort ou au plus malin de nous deux.

« Ne sois pas vexé lieutenant, je souhaite juste évaluer mon niveau.
-Tu parles comme un personnage de fiction. La vie et la mort des gens ça n’est pas un jeu, je ne peux pas te laisser continuer comme ça.
-Désolé lieutenant, j’ai un avenir dans la piraterie, c’est pas un p’tit gars de la Marine comme toi qui va m’empêcher de le vivre.
-Fais le malin. »

D’un geste, je bondis, franchis la distance qui nous sépare pour décocher un bon crochet pile dans la mâchoire du vantard. Celui-ci valdingue en arrière, visiblement surpris. Il se redresse, me regarde avancer de nouveau à sa rencontre. J’ai décidé de ne pas faire dans le subtil. Je cogne encore, par salves. Il esquive une partie des coups, encaisse les autres, mais n’en renvoie pas. Pas le temps. Aucun répit. Je le pousse dans ses retranchements, je n’ai pas le choix. Il faut qu’il suffoque. Du sang commence à gicler, je le sens moins rapide, moins à l’aise, je suis en train de prendre encore plus l’ascendant, de remporter le combat. Je ne pensais pas que ce serait aussi facile. Un autre de mes coups le touche à l’abdomen, le faisant reculer de quelques mètres.

Je le dévisage un moment, il fait tout frêle comme ça, à ma merci. Son regard reste pourtant déterminé, il me défie encore. Changement de stratégie de son côté, il me fonce dessus, balance ses poings dans ma direction, il a décidé de cesser de subir. À sentir l’impact des coups que j’esquive en partie, je peux estimer à quel point il est fort. Seulement, je le suis plus. Il frappe vite, précisément et avec puissance, mais j’ai quand même le dessus. Il faut que j’en termine. Ça aura été un combat plus rapide que je ne pensais…

Tchac. Son poing vient d’être intercepté par le mien. D’un mouvement rapide du poignet je tords le bras de Rooney qui grimace mais tente un coup en traître en direction de mon ventre. Je pare. Je continue ma torsion, le pirate tombe à terre. Je l’immobilise au sol. C’est gagné.

« Désolé pour toi, mais je ne pouvais pas te laisser continuer tes conneries. »

Mais à peine ai-je le temps de prononcer ces mots qu’une longue corde de chanvre vient s’enrouler autour de mon bras droit, puis une deuxième autour du bras gauche. Je lève les yeux. Un petit gars pas bien costaud aux cheveux courts noirs se tient seul à l’autre bout des deux cordes et il les manipule comme si elles étaient vivantes. Je le sens qui tire mais la force qu’il y met n’est rien en comparaison de la mienne, d’autant que mes muscles ont pris de l’épaisseur depuis le début de la confrontation. Saleté de maladie, je vais sûrement subir le contrecoup. Tant pis, pas le choix. Rooney profite tout de même de l’intervention de son petit partenaire pour se dégager. Je zyeute un coup alentours, les autres hommes du pirate ne semblent pas intervenir, bizarre.

Petit à petit, je sens les cordages s’enrouler autour de mes avant bras. Il cherche à m’entraver. Mais il n’a pas la force nécessaire pour me retenir. Le capitaine pirate ne fuit pas, au contraire, il sourit. Une petite voix dans ma tête me dit de bouger, vite, de me libérer de l’emprise du larbin et d’assommer son chef une bonne fois pour toutes.

« Lieutenant, tenez bon, on vient vous aider ! Me crient soudain des voix féminines derrière moi. »

Je me retourne. Les chasseuses Sailor, au grand complet. Je les avais oubliées celles-là. Cassandra, Amora, Suuna, Megara et Amelia en position de combat, prêtes à en découdre. À nous six, nous devrions pouvoir mettre un terme aux agissements de ces pirates.

« Ça n’est pas très conseillé lieutenant, de tourner le dos au possesseur du fruit de la veste. »

Un frisson me parcourt l’échine alors que je sens se coller à ma peau une texture semblable à du cuir. Les cordes semblent enfiler sur mon dos une sorte de grand manteau. Pris d’un mouvement de panique, je tente d’arracher ce qu’on me glisse sur le corps. Mais mon bras ne répond pas. J’essaie de me retourner. Mes jambes refusent de m’obéir. Et soudain je sens le vêtement qu’on vient de me forcer à mettre tressaillir. Une voix ricanante s’en dégage. La voix d’Edouard Bottom.

« C’est terminé lieutenant. »

Je sens mes jambes bouger toutes seules. Mes bras suivre le mouvement. Je n’ai plus aucun contrôle sur mon corps. Celui-ci se met à avancer, à marcher puis à courir. Contre ma volonté. Je ne comprends pas ce qui se passe. Mon cerveau s’agite à cent à l’heure pour trouver une solution à un problème trop grand pour moi.

Devant, les filles ont cessé d’approcher. Elles semblent se demander pourquoi je file à vive allure vers elles. Je suis tétanisé. Quelques mètres à parcourir avant l’impact. Je n’arrive pas à comprendre ce qui m’arrive. Je regarde une à une les cinq filles. Leurs regards passent de l’étonnement à l’effroi. Je n’arrive pas à retenir mon bras. Il s’abat sur la première. Le sang gicle. Elle tombe. Les autres hurlent. Sur la défensive elles tentent tant bien que mal de se protéger. Mais une à une je les vois succomber aux coups. À mes coups. Ceux que je n’arrive pas à retenir.

Bientôt, une mare de sang imbibe le pont et me voilà seul, debout, plein de sang au milieu de cinq cadavres. J’ai envie de vomir. Je vais m’évanouir. La dernière chose que je vois avant que ma vision ne devienne floue et que je tombe dans les pommes, c’est le visage de marbre de Joseph Roulin qui arrive dans ma direction. Rooney a glissé de mes épaules ; ni vu, ni connu, il va échapper à la justice des Pythons.

J’ai perdu.

***

Caché sur le pont du Moonstar, navire désormais sans propriétaire officiel, Kalem regarde la scène qui se déroule devant ses yeux. Il vient de regagner le bord du bâtiment et peine à comprendre pourquoi c’est Kosma que les deux couillons des Pythons embarquent. Ils n’ont pas vu que ce sont les filles qui sont crevées, là, au milieu du ponton ? Ils sont cons ou quoi ? Ce sont les pirates qu’il faut arrêter ! Mais non, Rooney est toujours là, au milieu de ses hommes, à regarder partir le lieutenant et avec lui la quasi totalité de ses soucis du moment.

Le nain voudrait lui crever les yeux. Il veut foncer sur sa vieille tronche de calamar moisi, lui arracher les poils de nez et lui faire bouffer. Mais il sait bien qu’il va rester ici. Il sait bien qu’il ne peut rien faire. Rien faire de plus que ce qu’il a déjà mis en place en tout cas. Dans quelques secondes, les explosifs qu’il a préparés vont envoyer le Swift Symbol, navire du capitaine Rooney au fond de l’océan. Bien sûr, Kalem sait que le pirate va tenter de s’emparer d’un autre navire afin de prendre le large. Mais le nabot a pris soin de prévenir les locaux que des vols de navire étaient envisagés. Ils ont du prendre leurs précautions.

BRAOUM.

Et voilà. Les pirates seront retenus quelques jours sur les Pythons. Encore faut-il que cette poignée de jours profite à Kalem. Qu’il puisse faire quelque chose contre ces types.
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