Le saxophoniste se démène comme un beau diable et ça paye. L'ambiance groovy qui se dégage de son instrument offre à la fois entrain, et une note de solennité à la salle. Un parfait mélange qui laisse libre chaque client de se mettre à l'aise sans scrupule, tout en lui conférant l'impression flatteuse d'être un individu à part.
L'établissement affiche complet. Sa renommée lui garantit d'ailleurs un tel statut à chaque service, et il faut parfois réserver un mois à l'avance pour s'assurer une table les soirs de gala. Pourtant, j'ai réussi la prouesse d'obtenir une table, sans préavis, ce midi même.
Le hors d'œuvre : Gravlax de monstre marin en une bouchée, émulsion d'algues, fleur de fenouil et zeste de mandarine de Cocoyashi. Bonne dégustation Monsieur.
Le serveur dépose la cuillère à mise en bouche devant moi. Je dis merci. Sourire poli. Sourcils légèrement froncés, comme concentré. J'ai déjà oublié la composition du zakouski mais je donne le change. Le petit bazar comestible donne envie. C'est graphique, coquet. Couleurs fraîches, arômes marqués. On a presque peur de croquer dedans tellement c'est mignon. En résumé, ça change des faillots. La belle idée de se faire passer pour un critique gastronomique! Je savais pas que c'était aussi simple de bouffer à l'œil. Plus c'est gros, mieux ça passe. Phrase à ne pas sortir de son contexte.
J'essaye d'avoir l'air le plus professionnel possible en portant le hors d'œuvre à ma bouche. Je me sais épié. Le contrecoup de ma ruse est là, l'ensemble du personnel de l'établissement va guetter mes réactions, jusqu'à mes moindres gestes, mes moindres mimiques pour déceler un indice quant à mon degré d'appréciation du menu. Je représente une puissance suprême dans le monde culinaire à l'heure actuelle. Je crois que si je recrache aussi sec le morceau de poiscaille, le chef se suicide derrière ses fourneaux.
J'hésite. Dois-je gober le tout en une bouchée ? Ou plutôt, m'apesentir sur chaque microfibre d'aliment ? Comment font donc les véritables critiques ? Mais... Il est peut-être là le secret! Ces cérémoniaux ne sont peut-être que pure forfanterie! Et s'il ne s'agissait ni plus ni moins que d'autres rusés goupils dans mon genre qui donnent à paraître. Et la supercherie perdurant, ils auraient été bombardés maîtres du monde de par la toute puissance de l'estomac !
J'opte pour une stratégie offensive. Principalement parce que j'ai très faim. Si j'ai estourbi le propriétaire de ces habits gracieux il y a une heure à peine, c'est que l'appel du ventre fait pousser des ailes. Et également – je le confesse – car l'abus de Porto travestit le moindre embryon de plan moisi jusqu'à le maquiller en idée du siècle.
Glouc. Vache, ça se laisse manger ce machin !
Reste calme, Rik. Poker face.
J'esquisse une petite moue satisfaite. Je saupoudre d'un voile d'étonnement, l'air de dire " Je vois que j'ai affaire à un bon ". L'information remonte par divers petits hochements de tête du serveur à son chef de rang, jusqu'au maître d'hôtel qui disparait en cuisine. Ils y ont cru. C'est la base d'une bon bluff. Ne pas en faire des caisses. Donner aux gens ce qu'ils attendent. Ici, des compliments. On est moins scrupuleux devant quelqu'un qui vous caresse dans le sens du poil. Au jeu, tout dépend de ce que l'autre voit en vous. Une grande gueule ? Il faut prétendre être flambeur. Un néophyte ? Je bafouille une mise ou deux. Et ainsi de suite. Et une fois la personne dupée convaincue qu'elle est en contrôle de la situation, qu'elle avait vu juste, elle ne cherchera pas à chasser cette sensation. L'être humain aime avoir raison.
J'ai fait le job, maintenant je me mets à l'aise. J'ai soif. Je lève une main pour faire signe au garçon.
Dites-moi, qu'en est-il de votre apéritif maison ?
L'établissement affiche complet. Sa renommée lui garantit d'ailleurs un tel statut à chaque service, et il faut parfois réserver un mois à l'avance pour s'assurer une table les soirs de gala. Pourtant, j'ai réussi la prouesse d'obtenir une table, sans préavis, ce midi même.
Le hors d'œuvre : Gravlax de monstre marin en une bouchée, émulsion d'algues, fleur de fenouil et zeste de mandarine de Cocoyashi. Bonne dégustation Monsieur.
Le serveur dépose la cuillère à mise en bouche devant moi. Je dis merci. Sourire poli. Sourcils légèrement froncés, comme concentré. J'ai déjà oublié la composition du zakouski mais je donne le change. Le petit bazar comestible donne envie. C'est graphique, coquet. Couleurs fraîches, arômes marqués. On a presque peur de croquer dedans tellement c'est mignon. En résumé, ça change des faillots. La belle idée de se faire passer pour un critique gastronomique! Je savais pas que c'était aussi simple de bouffer à l'œil. Plus c'est gros, mieux ça passe. Phrase à ne pas sortir de son contexte.
J'essaye d'avoir l'air le plus professionnel possible en portant le hors d'œuvre à ma bouche. Je me sais épié. Le contrecoup de ma ruse est là, l'ensemble du personnel de l'établissement va guetter mes réactions, jusqu'à mes moindres gestes, mes moindres mimiques pour déceler un indice quant à mon degré d'appréciation du menu. Je représente une puissance suprême dans le monde culinaire à l'heure actuelle. Je crois que si je recrache aussi sec le morceau de poiscaille, le chef se suicide derrière ses fourneaux.
J'hésite. Dois-je gober le tout en une bouchée ? Ou plutôt, m'apesentir sur chaque microfibre d'aliment ? Comment font donc les véritables critiques ? Mais... Il est peut-être là le secret! Ces cérémoniaux ne sont peut-être que pure forfanterie! Et s'il ne s'agissait ni plus ni moins que d'autres rusés goupils dans mon genre qui donnent à paraître. Et la supercherie perdurant, ils auraient été bombardés maîtres du monde de par la toute puissance de l'estomac !
J'opte pour une stratégie offensive. Principalement parce que j'ai très faim. Si j'ai estourbi le propriétaire de ces habits gracieux il y a une heure à peine, c'est que l'appel du ventre fait pousser des ailes. Et également – je le confesse – car l'abus de Porto travestit le moindre embryon de plan moisi jusqu'à le maquiller en idée du siècle.
Glouc. Vache, ça se laisse manger ce machin !
Reste calme, Rik. Poker face.
J'esquisse une petite moue satisfaite. Je saupoudre d'un voile d'étonnement, l'air de dire " Je vois que j'ai affaire à un bon ". L'information remonte par divers petits hochements de tête du serveur à son chef de rang, jusqu'au maître d'hôtel qui disparait en cuisine. Ils y ont cru. C'est la base d'une bon bluff. Ne pas en faire des caisses. Donner aux gens ce qu'ils attendent. Ici, des compliments. On est moins scrupuleux devant quelqu'un qui vous caresse dans le sens du poil. Au jeu, tout dépend de ce que l'autre voit en vous. Une grande gueule ? Il faut prétendre être flambeur. Un néophyte ? Je bafouille une mise ou deux. Et ainsi de suite. Et une fois la personne dupée convaincue qu'elle est en contrôle de la situation, qu'elle avait vu juste, elle ne cherchera pas à chasser cette sensation. L'être humain aime avoir raison.
J'ai fait le job, maintenant je me mets à l'aise. J'ai soif. Je lève une main pour faire signe au garçon.
Dites-moi, qu'en est-il de votre apéritif maison ?