Prisonnier d'une lame glacée, un jeune bouc plus surpris qu'effrayé laissait aller son corps au delà du bastingage. Lorsque la tête piqua et les pieds s'envolèrent, il poussa un cri noyé. Une houle rugissante l'attendait plus bas, la monstruosité sans faim et sans repus le goberait comme des légions de marins blanchissants avant lui. Une vie misérable défilait devant ses yeux résignés lorsque la Mort lui tendit les bras. Elle le saisit d'une main squelettique par la cheville avant de le balancer sans ménagement sur le pont. Le matelot de beau temps valdingua sur les planches avant de se freiner dans de l'accastillage à trainer. A peine extirpé, il cracha tasses et poumons entre ses genoux tremblants. Son heure viendrait vite, mais pas aujourd'hui. Du moins le Cavalier le pressentait ainsi.
L'éclat rougeoyant du matin tardait à dépasser la cyme du massif, plongeant dans l'ombre le bâtiment bravant les courants. Avant le point de jonction des quatre mers, les eaux se cassaient dans une lutte de territoire. Elles étaient vouées à se confondre en un puissant courant ascendant qui les amènerait à frôler les cieux. Les perdantes de l'affrontement se contenteraient de lécher les contreforts glacés avant de plonger dans les profondeurs abyssales. Les coques de noix qui misaient sur le mauvais cheval en partageaient la fin. Au cœur de la tourmente, le navire gardait le cap vers la mauvaise passe. A la poupe aux côtés du barreur et de son ami à groin, le Cavalier percevait l'étroit passage approcher. Une simple fissure dans la roche à cette distance. A chaque creux, la vision se perdait dans l'écume puis réapparaissait de nouveau. De moins en moins lointaine à mesure que le danger augmentait.
Les sommets se perdaient maintenant à l'intérieur du plafond nuageux, où que se porte le regard les parois sanglantes barraient l'horizon. Combien de fois le forban s'était confronté à sa dureté implacable ? Le décompte lui échappait, bien trop à son gout. Trente années s'étaient écoulées depuis sa première tentative, le souvenir de cette nuit l'habitait encore. Il se revoyait la tête juvénile emplisse de rêves se confronter à la rudesse du seuil de Grand Line. Ses mentors périrent ce jour là, le monde les oublia. Aussi sévère que fut la leçon, il n'oublia rien. L'histoire s'était répétée encore et encore au cours des décennies, endurcissant le morveux. Puis le gamin devint homme. Et l'homme devint vieux. Les années passèrent, le monde avança sans lui. Prisonnier d'une mare qu'il exécrait. Une rancune germa face à ce bloc qui se bornait à lui barrer la voie. Si son langage fleurissait immanquablement lorsqu'il évoquait la dame rouge, à son approche, la haine se tintait d'une forme de respect devant la grandeur écrasante qui avait su l'envoyer si souvent aux portes des limbes. Une histoire les liait que rien ne pourrait jamais effacer. Sous la surveillance implacable de la gardienne des œuvres du destin, les traits du Cavalier s'étaient peu à peu creusés. Sa peau autrefois si friable s'était cuirassée avec l'air salin. La volonté borné s'était chargée d'endurcir son esprit. A mesure qu'ils avançaient sous l'ombre du mastodonte, son assurance grandissait. Il savait son heure aujourd'hui venue.
Red Line allait plier le genou.