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Premiers contacts

La sonnerie retentissait dans toute l'établissement. La mélodie stridente annonçait la fin de la pause du midi, et la reprise des cours. La salle de classe du professeur Mountbatten se remplit progressivement, avec un léger retard tout de même. C'était en partie excusable par le fait que la salle se trouve au deuxième étage du bâtiment central ; mais cela n'empêcha pas le lieutenant-général de fixer ses étudiants d'un air presque mauvais. Il attendit que tous soient installés pour commencer les présentations.

"- Bien. Bonjour à tous, je me présente : lieutenant-général Mountbatten. Je serais votre professeur de Stratégie du Gouvernement Mondial."

L'unique œil visible du Fantôme parcourut la salle. Devant lui, il y avait plus de soixante-dix cadets de l'École militaire de Terra. Aujourd'hui, il allait s'occuper des premières années. Ces dernières semaines, il avait travaillé d'arrache-pied à la bibliothèque et à son bureau pour mettre en forme son cours, afin qu'il suive une cohérence pédagogique et une structure organisée. L'enseignement n'est pas une science de l'approximation : chaque cours doit avoir un objectif, une série de buts à achever avant la fin de la formation.

Les élèves étaient attentifs, rigueur militaire oblige. Ils étaient dans leur uniforme de terrain : un treillis de couleur kaki, qui s'accordait parfaitement avec l'environnement sauvage de l'île, principalement composée de forêts et de prairies. Ces hommes et ces femmes avaient choisi la voie des armes pour servir leur pays. Contrairement aux écoles de l'enseignement primaire et secondaire, ceux qui se tenaient devant lui étaient déterminés et avaient choisi d'être là. Leur regard, perçant à souhait, dénotait la soif d'apprendre des décideurs de demain.

"- Ce cours sera dédié à l'étude de la stratégie de l'organisation qui régit une grande partie du monde depuis la ville de la Marie-Joie, au sommet de Red Line. Mais avant toute chose : il est important de savoir de quoi va-t-on traiter précisément. Est-ce que quelqu'un peut nous dire ce qu'est la stratégie ?"

Petit à petit, quelques mains se levèrent. Certaines tremblantes, d'autres, bien au contraire, s'élevaient fièrement au-dessus de l'épaule de certains élèves-officiers. Son choix s'attarda sur une jeune fille, assise au fond de l'amphithéâtre, dont les cheveux blonds avait attiré son œil.

"- Oui, la cadette du fond !"

La personne en question se leva immédiatement, tandis que les autres baissèrent leur main, déçus de ne pas avoir été interrogé sur une question aussi facile.

"- Elève-officier Johnson, mon lieutenant. La stratégie, au sens militaire, consiste à la planification et l'organisation des opérations, qu'il s'agisse de gérer une bataille, une guerre ou la défense d'un pays. Cela va passer par des prévisions politiques, logistiques, ou bien économiques.

- Très bien. Mais vous avez dit que c'était la définition militaire du terme... Pouvez-vous me donner son sens plus global ?

- Oui mon lieutenant. Dans un contexte plus général, la stratégie est l'ensemble des actions coordonnées, que ce soit des opérations, la gestion des ressources ou bien des manœuvres diplomatiques ou politiques, dans la but d'atteindre des objectifs fondamentaux à plus ou moins long terme.

- Exactement ! Vous pouvez vous rasseoir. Comme l'a remarqué votre camarade, la stratégie a deux significations, et dans ce cours, nous allons voir les deux facettes. Nous allons étudier la manière dont le Gouvernement Mondial, à travers ses différents organes - notamment la Marine et le Cipher Pol - mène ses conflits, que ce soit contre des États organisés, des groupes révolutionnaires, des pirates ou d'autres superpuissances, typiquement les Quatre Empereurs. Ça, ce sera la partie purement militaire. Dans un cadre plus global, nous parlerons des stratégies que mettent en œuvre le Conseil des Cinq Étoiles pour affirmer sa domination sur toutes les mers."

Un main se leva dès qu'il eut fini sa phrase. L'étudiant en question fronçait les sourcils : signe que quelque chose devait être explicité.

"- Oui ?

- Elève-officier Alveran, mon lieutenant. Qu'est-ce que le Conseil des Cinq Étoiles ?

- Ah ! Oui, nous y reviendrons. Comprenez pour l'instant que c'est l'instance dirigeante du Gouvernement Mondial ; un petit peu comme le Conseil de Terra, bien qu'il existe plusieurs nuances. Enfin bref. Le Gouvernement Mondial est complexe et puissant : si Terra se lance véritablement dans une guerre ouverte avec lui, nul ne doute que vous, futurs officiers de la nation, devrez connaître par cœur ses rouages pour utiliser ses faiblesses contre lui. Ce cours sera très théorique, j'en conviens. Mais je vous donne de véritables connaissances que vous devrez potentiellement mobiliser, et même peut-être dans un futur proche.
"

La mine du professeur se fit plus grave. Son histoire n'était pas connue, ici, à Terra. Par contre, le fait qu'il fut mis en poste à l’École militaire prouvait déjà quelque chose quant à son expertise sur le sujet. Et son cache-oeil sur le flanc droit de son visage avait inspiré dès les premières minutes du cours à la fois de l'admiration et de la curiosité de la part de ses élèves. Il se tenait fièrement sur l'estrade, en tenue militaire également. Ses épaulettes étaient faites du laurier, symbole des officiers, et des deux étoiles du grade de lieutenant-général. Lorsqu'il parlait, il utilisait beaucoup ses bras pour rendre le cours plus vivant. Mais il conservait en toute circonstance cette attitude sérieuse et grave ; comme si ce cours théorique de seconde importance avait une signification beaucoup plus personnelle et intime pour l'intervenant.


Dernière édition par Mountbatten le Mer 17 Juin 2020 - 14:01, édité 1 fois
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- Qui est cette femme, en bas, celle qui nous attend ?

- Lushina. Répondit Myosotis à sa fidèle équipière, Scarlett. Elle est la première conseillère de l’Imperiosa Sekiza. D’après le Porte-parole Nakamura, c’est elle qui a convaincu Sekiza de nous laisser venir aujourd’hui.

- J’en conclus donc que c’est une alliée ?

- De circonstances, possible. Une joueuse comme nous, assurément.

- A quel jeu joue-t-on ? Intervint Milan, le frère de Myosotis, accoudé contre le bastingage.

- Un jeu vieux comme le monde, celui du chat et de la souris.

Myosotis attendait que la passerelle entre le navire et le débarcadère soit installée afin qu’il puisse enfin mettre pied pour la première fois sur cette île du Nouveau Monde. Le jeune homme avait été envoyé sur ce royaume pour, sur le papier, contracter une alliance avec sa souveraine et installer une ambassade du Gouvernement Mondial. Mais, si les déclarations de missions officielles possédaient un caractère assez reluisant, la vérité de quant à sa venue était toute autre. En effet, les rouages de la géopolitique étaient huilés de telle sorte à ce que les intérêts du Gouvernement Mondial soient, sur Terra, satisfaits quelqu’en soit l’issue. Myosotis était conscient qu’il récolterait les honneurs s’il arrivait à rallier Terra à sa cause, mais il en récolterait deux fois plus s’il accomplissait l'impensable : déclencher des hostilités entre deux grands Empereurs.

Oui, Terra était un véritable champ fertile qui ne demandait qu’à être cultivé. Et il allait très bientôt devenir un champ de bataille. Une bataille politique allait se dresser, une jeu de trônes dans lequel tous les coups étaient permis et où le vainqueur n’est pas forcément le plus fort mais le plus stratégique. Et une fois n’est pas coutume, Myosotis avait déjà une longueur d’avance… Il avait déjà commencé à agir sur Terra avant même d’en avoir foulé le sol, et son petit cercle le savait. Sans l’aval du Gouvernement Mondial, ni du Porte-parole Nakamura, Myosotis avait fait jouer de ses contacts. Il avait juste eu à contacter Belladonna, sa grande sœur, pour lui demander de déployer son réseau d’espions félin. En effet, cette dernière est dotée de l’étrange capacité d’interagir avec les chats et s’en sert pour espionner et revendre des informations. Ainsi, telle une araignée qui tisse sa toile, l’ambassadeur avait déjà réussi à glaner plusieurs informations cruciales pour son entreprise, notamment sur le cercle de l’Imperiosa…

Autour de lui se tenait sa troupe : Lady Scarlett, sa meilleure équipière et fidèle garde du corps. C’était une amoureuse du luxe, une femme fatale comme on en faisait plus. Scarlett suivait Myosotis depuis bien longtemps. Et si une personne pouvait l’aider à accomplir sa mission, c’était elle : une femme incroyablement intelligente. Aux côtés de Scarlett se tenait un grand blond ébouriffé, une rapière ouvragée accroché à sa ceinture. Ce beau jeune homme musclé n’était autre que Milan De Ville, le frère de Myosotis. Si pendant de longues années, Milan et Myosotis eurent de très mauvaises relations, ces derniers se réconcilièrent et voguent désormais ensemble sur les flots. Milan est un escrimeur émérite mais il possède surtout une connaissance encyclopédique sur l’Histoire des mers, mais aussi sur les légendes et les mythes. Si une personne était capable d’apporter son savoir sur les us et coutumes d’un royaume, c’est bien lui ! La troisième et dernière personne de la suite de Myosotis était un bel éphèbe possédant lui aussi une chevelure d’or. Ce dernier se tenait bien près de Myosotis dans une tenue cintrée et immaculée. Il fixait l’ambassadeur avec une profonde admiration, des paillettes plein les yeux. Il s’appelait Made Sama, frère d’une grande cuisinière de Shishoku, Made est sûrement l’un des meilleurs pâtissiers du monde. Mais il était surtout très amoureux de Myosotis et lui était dévoué corps et âme. En plus de ça, il possédait une étonnante dextérité au couteau, et aux ustensiles de cuisine en général, pouvant les transformer en armes mortelles, faisant de lui quelqu’un à ne pas sous-estimer. Sur l’épaule de Made était perché Ramsès, le poulpe mascotte de la petite équipe.

Myosotis était prêt à débarquer enfin sur Terra. Ils avaient quitté le sous-marin dernier cri qu’ils avaient utilisé pour le voyage pour arriver vers l’île sur un croiseur de la Marine. Le submersible était caché, au large, pullulant d’agents du Cipher Pol en son sein s’occupant des communications. La passerelle était en déploiement. Sur le débarcadère, en contrebas, attendait la conseillère Lushina. Elle avait l’air bien sinistre, toute de noir vêtue. Elle avait cette allure que possèdent toutes les sorcières des grandes épopées épiques, ces enchanteresses maléfiques qui complotent et jettent des sorts. Autour d’elle se tenaient plusieurs cohortes de soldats en armure lourde, tous armées d’immenses armes. Des espadons gigantesques, des marteaux et haches géantes rayonnaient de toutes parts, chatoyantes et rutilantes. Terra avait manifestement envie de déployer sa puissance, quoi de plus normal.

Très vite, la passerelle fut mise en place et Myosotis put enfin descendre, escorté par son cercle d’amis. Ils avaient entamés seuls leur descente, les soldats Marine avaient été intimés de rester en arrière, ce que Lushina remarqua immédiatement. Elle s’avança avec un pelotons de soldat, ordonnant au plus gros nombre de rester à son tour en arrière, rendant la courtoisie aux visiteurs. Myosotis arriva en bas de la passerelle tandis que la sombre conseillère l’attendait en bas :

- Je vous souhaite la bienvenue sur Terra, dans la grande ville de Delta, fit-elle. Je suis la Première Conseillère Lushina et vous escorterai jusqu’au palais de l’Imperiosa.

- Je vous remercie de votre accueil, ma dame. Répondit Myosotis d’une simple révérence. Je suis l’ambassadeur Myosotis De Ville, je suis honoré.

- Ces gens font partie de votre délégation ? Enchaîna Lushina sans relever la politesse.

- Assurément, ce sont mes gardes du corps. Conformément à vos demandes, aucun soldat de la Marine ne descendra sur Terra.

Lushina répondit d’un simple signe de tête avant de reposer son œil rubis vers le jeune homme :

- Votre navire peut rester au port mais restera sous surveillance permanente de la légion de gardes présente autour de nous présentement. Si cela ne vous convient pas, il vous attendra au large.

- La surveillance me convient amplement, aucun soldat ne sera amené à descendre à quai.

- Excellent. Nous pouvons nous diriger jusqu’au palais, suivez-moi je vous pris.

- À votre aise, ma dame, nous vous suivons. Nous vous suivons
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DANG DANG !

    Les portes massives de l'Ecole militaire étaient fermées. Le heurtoir faisait résonner le métal à chaque fois que je frappais. Après avoir laissé Matt au complexe industriel, il m'a fallu quelques temps pour me repérer et rejoindre cet endroit. Le problème maintenant étant de pouvoir entrer...
   Un trappe s'ouvre, au niveau de mon visage, et deux yeux plissés m'inspectent :

- C'est pour quoi ?
- Bonjour ! Je viens voir quelqu'un. Une connaissance à m...
- Vous êtes élève ?
- Euh... Non.
- Professeur ?
- Non plus.
- Au revoir.

    Et la trappe se referme.
    Je reste coi un moment, totalement pris au dépourvu. Vexé, je retente ma chance et frappe à nouveau. Les mêmes yeux réapparaissent :

- C'est pour quoi ?
- Bonjour ! Je viens voir l'un des professeurs. Il s'appelle...
- Vous êtes élève ?
- Toujours pas.
- ... Si vous n'êtes pas affilié à cet établissement, veuillez vous éloigner. C'est une école, pas un lieu de meeting !
- J'entends bien, mais c'est important voyez-vous et...
- Le palais vous envoie ?
- Non...
- Vous avez rendez-vous ?
- Non !
- Dans ce cas, au revoir.

    Et le gardien me referme la trappe au nez. Encore. J'enrage et met un coup dans la porte, laquelle tangue légèrement. S'il a réussi à me faire perdre mon sang-froid, je n'oublie que je reste une personne recherchée et la moindre bévue pourrait me faire repérer. Mieux vaut ne pas faire de vagues.
    Je sors une cigarette et, en l'allumant, je remarque deux billes jaunes brillant dans un coin d'ombre de l'autre côté de la rue. Au moment où je lève la tête, elles disparaissent derrière un mur. J'ai le temps de remarquer une petite queue touffue :

- Un chat ?

    Bizarrement, j'ai l'impression qu'il m'observait... Mais je dois délirer. Après tout, ce n'était qu'un chat. Quand bien même, il fait bien ce qu'il veut.
    Dans tous les cas, me voilà à attendre devant l'entrée, clope au bec et une main dans les cheveux. La journée était déjà bien avancée : bientôt sonnerait la fin des cours pour le futur corps armé de Terra. Du moins je l'espère ! Après avoir autant réfléchi sur la façon idéale de revenir vers l'ex-soldat du Gouvernement, je souhaite battre le fer tant qu'il est chaud. Et ce n'est pas comme si j'avais d'autre solution, étant coincé sur le Nouveau Monde sans aucun repère.

    Une heure plus tard, le soleil n'est même pas couché que la lune se dévoile peu à peu dans le ciel. Une sonnerie retentit et les instrumentistes de l'armée signalent la fin de la journée. Enfin, les portes s'ouvrent et quelques gens en uniforme quittent les lieux. Le dernier d'entre eux est Alexander, que je reconnais surtout à son cache-oeil. Il a pris soin de se coiffer à peu près convenablement, par souci de discipline je suppose. Je le vois lâcher un soupir libérateur :

- Hey !

    Mountbatten se tourne vers moi et son oeil unique s'ouvre en grand en me reconnaissant :

- Arhye... Qu'est-ce que tu fais là ? Je croyais que vous étiez partis, Matt et toi.
- C'était l'idée au départ. Après tout, nous sommes "libres" comme tu l'as dit. Mais... Vois-tu... Il se trouve que je me suis toujours considéré libre de mes choix. Et n'ai-je pas affirmé haut et fort que je te suivrai jusqu'à ce que l'on retrouve mes parents ?
- Mais tu n'as pas besoin de moi pour...
- Laisse-moi finir ! Nous avons un but commun, Alexander Mountbatten. Et j'estime avoir une dette envers toi. Alors que cela te plaise ou non, je vais te coller aux basques jusqu'à pouvoir me rendre utile d'une quelconque manière !
- Et si j'ai justement besoin d'espace ?
- ... Dans ce cas j'agirai de loin, sans te gêner.
- Pourquoi ? On ne se connait pas tant, toi et moi.
- Je ne pense pas que tu sois du genre à juger une relation sur la durée de celle-ci. Je me trompe ?

    Le borgne ne répond pas. Nous nous toisons pendant un moment. Ce n'est pas le premier cyclope que je fréquente, et il faut avouer qu'à l'instar de Daemon Wall, il a le même côté sinistre montrant son expérience des trahisons, coups bas et autres tourments. Mais celui-là est plus posé, plus réfléchi : il a une bonne intuition des choses - j'ai pu le constater - et ne manque pas de coeur. Il a conservé son idéal de représentant de la justice. C'est pourquoi j'ai décidé de jouer franc-jeu. Il est le genre d'homme avec lequel je peux être honnête sans avoir peur des conséquences. Il a mon respect.
    Il s'apprête à répondre, mais un type en tenue officielle nous rejoint en trottinant, tenant d'une main son veston, de peur de le froisser. Dans son autre main : un courrier.

- Excusez-moi, êtes-vous le lieutenant-général Mountbatten ?
- En effet.
- L'Imperiosa vous demande. La convocation que voici explique en détail de quoi il retourne... Je vous invite à la lire en me suivant.
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Et le voici à nouveau au cœur du palais impérial. Cette fois-ci, tout le personnel s'était affairé pour préparer chaque salle. Le faste du régime royal était en œuvre : il fallait impressionner, démontrer par l'apparence la puissance du pays, et par là-même, la puissance de l'Imperiosa. Un émissaire du Gouvernement Mondial avait été dépêché sur l'île, d'après ce qu'avait cru comprendre le Fantôme. Il affichait un air grave, peut-être même plus que d'ordinaire. Si on lui avait dit qu'il allait devoir affronter ses démons aussi tôt, il n'y aurait pas cru.

On l'avait demandé à la hâte. La convocation était vague, et il ne possédait pas assez d'informations pour juger de la nature de cette visite. Était-ce un ultimatum ? Un avertissement ? Ou bien Marie-Joie avait jugé utile de s'allier avec ce royaume indépendant qui prospérait au milieu des Empereurs ? Aucune idée. D'ailleurs, la souveraine n'en avait pas plus, et c'est précisément pour cela qu'elle avait demandé la seule personne qu'elle connaissait qui était affiliée de près ou de loin au Gouvernement Mondial.

Partout, les domestiques frottaient, astiquaient, lustraient ; les gardes du palais portaient leur tenue d'apparat, armés des fusils les plus modernes, issus directement du complexe militaro-industriel dont l'ancien marin était à présent le directeur. Il marchait rapidement en suivant un conseiller de la reine, en direction de la salle du trône. Ce dernier ne disait pas un mot, que ce fut par manque d'information à partager lui-aussi, ou par dédain. Impossible de savoir.

Avant de partir, Mountbatten avait donné ses directives à Matt et Arhye. Ils devaient attendre à Delta, à l'affut des prochaines indications du vétéran. Inutile qu'ils se fassent repérer pour quelque chose d'inutile. Il ne connaissait pas assez les détails des dernières nouvelles. Toutefois, il était sûr d'une chose : l'arrivée soudaine du diplomate et de sa délégation changeait complètement l'utilité de ses deux camarades. Ils allaient pouvoir effectuer des tâches qu'il n'allait pas pouvoir faire par lui-même, car il risquait fort d'être immobilisé au palais ou dans un autre bâtiment officiel, pour démêler toute cette affaire.

Le Marijoan atterrit dans la salle du trône. Celle-ci était immense : à l'image d'une cathédrale, le haut des murs étaient faits en verre, de sorte que la lumière passe et se répande dans la pièce. Le plafond était constitué de multiples voutes, qui s'entrecroisaient dans un plan ingénieux. De part et d'autre, plusieurs objets se succédaient aux murs. Il y avait les blasons de chacune des Cent Familles, mais aussi des statues à l'effigie de certains souverains illustres, ou de personnages qui ont marqué l'histoire de Terra. Enfin, au fond siégeait Sekiza, confortablement assise sur un trône aux ornements démesurés. Sur chaque côté se trouvaient les places des six membres du Conseil, qui scrutaient le nouveau venu. La plupart le connaissaient déjà : en particulier le maréchal Flika, chef de la Garde Impériale. Seule une chaise était vide : celle de Lushina, qui avait tenu à accueillir l'envoyé de Marie-Joie en personne.

Après avoir effectué la révérence protocolaire, le militaire s'avança vers son audience, tandis que les serviteurs partirent sur-le-champ pour ne pas déranger la conversation.

"- Mes hommages, mon Imperiosa.

- Salutations, Mountbatten. Pour faire court, nous avons besoin de savoir ce qui se trame. Depuis longtemps, nous avons affiché une posture ouvertement hostile au Gouvernement Mondial, et notre flotte a même déjà affronté les bâtiments de la Marine dans le passé. Quelle est la signification de cette mission diplomatique d'après vous ?

- Je vais vous faire part de la réflexion que j'ai mené en chemin... D'abord, les vues impérialistes du Gouvernement Mondial pourraient nous laisser penser qu'il souhaite nous envoyer un ultimatum : rejoindre ses rangs, ou périr. C'est un cas classique, déjà observé maintes fois sur les Blues et, dans une moindre mesure, sur Grand Line. Toutefois, ce serait étrange qu'il fasse cela avec Terra.

- Cessez de dire "nous", vous n'êtes qu'un étranger !!

- Du calme, Satori. Pourquoi donc ?"

Mount lança un regard mauvais au conseiller. C'était un des six qu'il n'avait pas encore rencontré. D'après ses sources, c'était le plus hautain : il ne jurait que par l'appartenance à une des Cent Familles, et était réputé pour sa haine des roturiers. C'était le plus conservateur de tous : xénophobe primaire, nationaliste de la première heure, il avait été un soutien crucial lors de l'ascension de l'Imperiosa. Mais maintenant, sa conduite lui portait plus préjudice qu'autre chose.

"- Parce que Marie-Joie n'est pas en position d'intervenir militairement ici, aussi loin dans le Nouveau Monde. La Marine ne pourrait tout simplement pas envoyer suffisamment de navires pour espérer nous battre. Ce qui me laisse à penser que la deuxième option est plus probable : l'alliance."

Il marqua un temps d'arrêt, afin d'observer les réactions. L'Imperiosa était intriguée, mais son air ne révélait aucun enthousiasme à cette idée. Le maréchal haussait naturellement son sourcil droit : il était sceptique. Evidemment, Satori ne put contenir son énervement à l'idée que la nation terranne puisse s'associer avec une puissance étrangère, ce qui risquerait de faire perdre une partie de la souveraineté du royaume. Les deux autres conseillers, Markus Antonov et James Enfield, avaient une mine neutre. Après tout, ils ne connaissaient pas beaucoup le Gouvernement Mondial, si ce n'est à travers ce qu'avait raconté le Fantôme lors d'un dîner où ils étaient présents.

"- Pourquoi une alliance ? C'est peut-être là que se trouve l'interrogation majeure. Géographiquement, Terra, est trop loin du cercle d'Or pour en faire partie entièrement. On peut également imaginer que le Gouvernement Mondial veuille se servir de l'île comme base avancée dans le Nouveau Monde, pour mener une offensive contre les territoires proches détenus par les Empereurs, comme les îles de Treize ou l'Asile, toutes deux contrôlées par le Malvouant. Mais j'émets quelques doutes sur cette hypothèse... Après tout, je me rappelle que le porte-parole du Gouvernement s'était adressé aux peuples de toutes les mers en personne, au début de cette année. Et il était ressorti que l'ennemi premier de Marie-Joie était dorénavant l'Armée Révolutionnaire. Enfin, c'est ce qu'ils disent.

- Mais quel rapport avec Terra ?

- C'est vrai, après tout nous n'avons aucun lien avec la Révolution.

- Oui, je sais bien. Donc le Gouvernement Mondial, s'il souhaite une alliance, ne le fait pas pour l'aspect militaire. Ça n'aurait pas de sens vis-à-vis des enjeux sécuritaires auquel il fait face actuellement.

- Et économiquement ? Et si le Gouvernement Mondial ne voudrait tout simplement pas accroître les échanges commerciaux ?

- Effectivement, c'est une possibilité. Mais il faut dire que ce serait beaucoup d'efforts pour pas grand-chose. En apparence, Terra y gagnerait en augmentant ses débouchés. Mais pour eux, je ne veux pas d'intérêt... Nous n'avons pas de biens locaux qui pourraient susciter un intérêt particulier auprès des Dragons Célestes. Concrètement, tout ce que nous produisons à Alpha, ou même à Delta, ils le produisent aussi, en quantité bien plus importante. Alors que cherchent-ils à faire ? Pour l'instant, j'ai trop peu d'éléments pour vous apporter un jugement définitif. Je vous prie de m'excuser, mon Imperiosa.

- Vous nous avez apporté quelques éclaircissements, ce n'est pas inutile, loin de là. J'aimerais que vous restiez pour récolter les informations dont vous avez besoin. Vous êtes probablement celui qui y verra le plus clair dans l'intention des gouvernementaux. Je veux votre expertise là-dessus."

Satori bondit de sa chaise et se retourna en direction de sa suzeraine. Il était offusqué par ses dernières paroles.

"- Comment osez-vous lui donner le droit d'assister à une réunion des plus...

- Assez ! J'ai décidé ainsi, Satori. Que ça vous plaise, ou non. Cet étranger est à notre disposition ; nous serions stupides de refuser de l'aide face à une telle situation de crise. Je vous croyais plus perspicace.
"

Il abaissa sa tête, en signe d'acceptation des paroles royales. Il se rassit, mais dévisageait méchamment Mountbatten. C'était un homme de petite taille, plus âgé que les autres membres du Conseil. Un membre de la vieille aristocratie, une caste qui était profondément ancrée dans les traditions. Lui avait suivi Sekiza plus par ambition que par conviction, et avait mobilisé les énormes ressources de sa famille pour soutenir les réformes de l'Imperiosa. Néanmoins, il semblait tomber de plus en plus en disgrâce auprès de la souveraine.

Après ces quelques échanges, le reste des conseillers et des ministres rentrèrent dans la salle pour assister à l'arrivée de la mission diplomatique. Ils se mirent en place de part et d'autre de l'allée ; Mount fut placé juste devant l'Imperiosa, debout et à côté des sièges des membres du Conseil. Il était toujours dans son uniforme de commandeur : il portait une chemise blanc cassé, avec une cravate de couleur verte sombre. Dessus, il avait sa veste d'officier de couleur kaki, sur laquelle se trouvait une étoiles dorée et la couronne de laurier, distinctive de son rang.

L'émissaire venait de pénétrer dans le domaine du palais, et les derniers préparatifs se finissaient. Les politiciens respiraient bruyamment, et les domestiques s'effaçaient progressivement. Alors que tout était prêt, Mount eut comme une impression... bizarre. Comme s'il n'était pas à sa place. Il était là, dans une île qui lui était encore inconnue il y a quelques mois, entouré de personnes dont il ne connaissait pratiquement rien. Il se sentait... seul, isolé. Comme si ce qu'il faisait n'avait aucun sens. Il allait, en quelque sorte, affronter son ancien camp. Il aurait tellement voulu que ce moment vienne plus tard. Ou peut-être jamais. Comment ne pas perdre la face ? Il essayait de se tenir droit, les épaules en arrière, fier. Solide comme un roc. Mais derrière le masque, l'homme tremblait. Pour la première fois depuis sa nouvelle vie, il allait devoir regarder dans les yeux l'institution qui l'avait trahi. Pourtant, il n'était plus Alexander Mountbatten ; il était dans la peau d'un autre. Au fond, il n'avait toujours pas accepté cette traîtrise de la part d'une institution qu'il avait jusqu'alors toujours servi. Elle l'avait jeté de l'autre côté de la ligne, sans qu'il ne le veuille. Elle avait brisé sa vie et ses rêves ; elle s'était servie de lui comme s'il était un objet dont on pouvait se débarrasser comme si de rien n'était.

Étrangement, il n'avait pas peur. Il était résigné, face à un passé et à un présent qu'il aurait voulu changer, faire différemment. Son âme, ses joies et ses peines étaient aspirées lorsqu'il y pensait. Petit à petit, son regard se vidait. Revoir des agents du Gouvernement Mondial, c'était comme se remémorer tous ces évènements douloureux ; c'était aussi tomber dans le désespoir face à une situation qu'il n'avait pas demandé.

Faire face à l'envoyé de Marie-Joie, c'était comme affronter sa haine et ses regrets en même temps.


Dernière édition par Mountbatten le Jeu 17 Déc 2020 - 15:09, édité 1 fois
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L’Imperiosa Sekiza possédait bien évidemment un palais dans chacune des villes de Terra, ainsi que plusieurs demeures dispersées un peu partout sur son royaume. Mais de toutes ces propriétés, le palais impérial de la ville de Delta était sans aucun doute le plus impressionnant. Il avait l’allure d’un immense donjon s’élevant d’un seul bloc vers le ciel, les flèches de ses tours semblant percer les nuages. Plusieurs allées de statues de marbre décoraient les jardins et les couloirs, et tout à l’intérieur avait l’air d’avoir été taillé dans la roche, maculé d’or ou de pierreries. L’aspect imposant de ce château en disait long sur son occupante et sur ce qu’elle voulait laisser transparaître. Tout exultait d’une volonté ostentatoire d’impressionner, tout devait à la fois brutal mais raffiné. Ce contraste esthétique paradoxal venait de conférer, sans que personne ne le remarque, une nouvelle clé à Myosotis pour comprendre les motivations de Sekiza et une nouvelle façon d’arriver à ses fins.

À l’intérieur, il n’y avait pas un seul couloir dans lequel ne se trouvait pas une dizaine de gardes. Lushina les faisait marcher au milieu d’un dédale qui n’en finissait pas, tout avait l’air de se ressembler. Si l’extérieur possédait une décoration pompeuse, les corridors et les pièces du palais avaient un aspect bien plus sobre. L’Imperiosa ne devait même pas mettre les pieds dans les trois quart des chambres de son propre palais, alors à quoi bon les décorer ? La conseillère ne les traitait pas comme de vulgaires touristes étrangers et voulait aller droit au but, Myosotis comprenait à nouveau le message. Ils sortirent brièvement à l’extérieur pour traverser un cloître dans lequel s’entraînaient deux hoplites en armure légère. Dès qu’ils virent Lushina, les militaires tressaillèrent d’effroi avant de se mettre instantanément au garde à vous.

- Je vous pris d’excuser cette attitude inadmissible, monsieur l’ambassadeur. Dit solennellement Lushina sans accorder un seul regard aux soldats, continuant d’avancer.

- Ce n’est rien. Je suis fort étonné par votre connaissance de ces lieux, ce palais est un vrai labyrinthe.

- On s’y fait bien vite, la plupart de ces pièces ne servent à rien. Son Imperiosa déteste le superflu.

Au détour d’un couloir, Mysosotis aperçu un chat au pelage calico, tacheté de noir et de roux. Le chat les fixait intensément de son regard malicieux, il disparut avant même que Lushina ne le remarque. Le bel androgyne sourit en voyant le félin, il comprit à qui il appartenait, et ce qu’il voulait dire. Il n’aurait aucun mal à se repérer dans ces couloirs, ni à manquer ce qui pouvait bien se passer… ou se dire. Derrière Myosotis, Made le talonnait de près, refusant de le laisser seul au beau milieu de cet excès de militaires et cette sinistre ministre. Scarlett marchait derrière lui aux côtés de Milan qui scrutait chaque mur à la recherche d’un petit morceau d’histoire. Les statues qu’ils avaient vues dehors l’avaient émerveillé, mais il se languissait de tableaux ou mobiliers ornementaux à analyser.

Ils étaient presque arrivés à la salle de conseil dans laquelle la délégation devait rencontrer Sekiza. Une flopée de bureaucrates en robe émergea de derrière la porte, les bras chargés de parchemins. Ils chuchotaient bruyamment mais se turent en un battement de cils quand ils virent Lushina. Le groupe de scribes jeta un regard réprobateur en direction de Myosotis. Visiblement, ils n’avaient pas l’air d’apprécier la venue de l’émissaire gouvernemental. Ça ne le dérangeait pas le moins du monde, il ne craignait pas les gratteurs de papier. Leur plume s’userait avant même qu’ils n’aient le temps d’accomplir quoi que ce soit contre lui.

Il n’y avait plus que quelques mètres qui les séparait de la porte et du premier duel sur ce nouveau monde. Myosotis n’avait pas la moindre idée qui il allait retrouver une fois à l’intérieur. La surprise serait de taille, mais pas forcément désagréable… Il s’attendait à mener une grande bataille sur Terra, une bataille d’esprit qu’il savait déjà rude pour grignoter petit à petit ce que ses adversaires prenaient pour acquis. Il savait que malgré tout les atouts qu’il possédait dans sa manche, il ne devait pas sous-estimer ses ennemis. Ils étaient puissants, ils étaient belliqueux, ils étaient imprévisibles. Sekiza était pressée par deux Empereurs pirates, deux puissances légendaires capables de fédérer des îles entières. C’était une personne dont il fallait cruellement se méfier.

Ce qu’il pensait être une grande bataille allait se transformer en guerre des plus intenses…

Enfin, ils passèrent la porte.
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La grande porte de la salle du trône s'ouvrit sur les quatre membres de la délégation du Gouvernement Mondial. En tête, un jeune homme à la silhouette élancée s'avançait, aux côtés de Lushina. Derrière lui se trouvait un cuisinier, à en juger par ses habits. Deux autres personnes fermaient la marche. Les gardes qui les avaient escorté quittèrent la pièce aussitôt, et se postèrent à l'extérieur.

"- Mon Imperiosa, Messires du Conseil, la délégation de Marie-Joie est arrivée. Voici Myosotis De Ville, le chef de la mission diplomatique ; accompagné du dénommé Made, de Milan De Ville et de Lady Scarlett." clama haut et fort le héraut impérial.

Les ministres et conseillers toisèrent les arrivants. À vrai dire, ils n'étaient pas très impressionnés. Ils s'attendaient à une démonstration de force de la part du Gouvernement Mondial, en envoyant des guerriers, des nobles richement décorés, ou autre. À la place, ils accueillaient ces quatre hurluberlus, vêtus correctement mais simplement, sans décoration ostentatoire.

Après une légère révérence, Myosotis se détacha du groupe pour faire sa première proposition à l'Imperiosa Sekiza et, par là-même, au royaume de Terra.

"- Imperiosa Sekiza, votre Majesté, membres du Conseil... Mountbatten..."

L'intéressé eut instinctivement un haussement de sourcil. L'émissaire connaissait donc son identité. Probablement par l'avis de recherche ; sa tête ne lui disait rien. Impossible qu'ils ne se soient rencontrés avant. Aussi, les membres du Conseil et Sekiza firent attention à ce détail. L'étranger n'était donc pas un parfait inconnu aux yeux du monde.

"- Je me présente : Myosotis De Ville, diplomate au service de Marie-Joie. Au nom du Gouvernement Mondial, je vous présente mes respects, et je suis profondément honoré de me trouver en votre présence. Sans trop de cérémonie, je vais me permettre d'être plus direct et annoncer le but de ma venue, à savoir vous proposer d'allier votre royaume prospère au Gouvernement Mondial. J'en conviens, mon Imperiosa, qu'il existe des différends qui peuvent nous opposer. Mais face à la menace pirate et révolutionnaire, dont je suis certains que vous avez conscience, le Conseil des Cinq Étoiles m'a envoyé ici pour négocier un pacte d'alliance, laissant bien évidemment à Terra son statut de royaume indépendant."

Les prédictions du conseiller Mountbatten s'étaient donc révélées justes : le Gouvernement Mondial cherche à faire une alliance avec le royaume. Maintenant, les raisons invoquées étaient floues. Quelques murmures s'élevèrent : les membres du Conseil s'échangeaient leurs premières impressions. Sekiza fixait son interlocuteur froidement. Elle ne comptait pas s'embourber dans une situation qui deviendrait rapidement incontrôlable : la prudence était de mise sur ce grand jeu d'échec qu'était le monde.

"- Cher Myosotis... Vous savez autant que moi qu'une alliance est faite avant tout dans le but de contrer une menace ; ou de renforcer ses capacités d'agression. Vous évoquez la menace pirate et révolutionnaire, mais ce sont des menaces dirigées contre vous, et non pas contre Terra.

- Ce serait inexact d'écarter ces menaces... Surtout l'Armée Révolutionnaire. Nos services de renseignement ont noté une recrudescence de ses activités dans des îles proches de Terra, et tout porte à croire qu'ils seraient intéressés par Terra. Et le Gouvernement Mondial ne peut plus se permettre de laisser les révolutionnaires se renforcer dans le Nouveau Monde.

- Alors pourquoi nous aider ? Vous savez parfaitement que Terra n'a jamais été proche de Marie-Joie, et bien au contraire. Dois-je vous rappeler qu'il y a deux ans, des navires de la Marine avaient tiré sur notre flotte en les prenant pour des pirates ?"

L'émissaire eut une expression gênée. Il était au courant pour cet incident. Une triste histoire qui s'était soldée par la perte de deux navires de chaque côté, et qui avait eu pour conséquence de dégrader encore plus les relations bilatérales. Terra avait toujours eu une attitude hostile envers le Gouvernement Mondial : c'est pourquoi la tâche de Myosotis était si difficile.

"- Je sais. Mais le risque de la Révolution grandit chaque jour, et s'il frappe avant tout les îles sous le contrôle du Gouvernement, il pourrait bien vous toucher tôt ou tard. Faisons table rase du passé. Soyons pragmatiques : garderiez-vous de vieilles rancunes au risque de vous priver d'un allié puissant, dont vous auriez peut-être besoin dans un futur proche ?

- Ne pensez-vous pas qu'en s'associant à vous, notre royaume a plus à perdre qu'à y gagner ? En nous alliant à vous, nous serions une cible de choix pour l'Armée révolutionnaire, ainsi qu'aux yeux des Empereurs pirates. D'autant plus que nous sommes éloignés des bases de la Marine dans le Nouveau Monde. En cas d'attaque, vos bâtiments mettraient des semaines avant d'arriver.

- Dans ce cas, nous pouvons mettre des troupes à proximité de Terra, ou même sur Terra, pour honorer notre alliance. Les pirates n'en auraient que faire : que vous soyez nos alliés ou non, s'ils vous ont pris pour cible, ils vous attaqueront. Mais pour la Révolution, c'est vrai. Sauf que si nous partageons les renseignements que nous avons obtenus grâce à nos Cipher Pol concernant leurs derniers mouvements, vous seriez bien plus préparés face à une insurrection montée par leurs agents. D'un côté, vous augmentez légèrement le risque d'être une cible... De l'autre, vous serez assurés de pouvoir les écraser militairement parlant."

L'argument fit mouche, et Sekiza semblait prendre la proposition plus au sérieux. Les conseillers étaient partagés, mais ils attendaient la fin de la séance pour en discuter à haute voix avec leur souveraine. Mountbatten, quant à lui, n'extériorisait rien : il écoutait religieusement les paroles de l'envoyé, pour être sûr que rien ne lui échappait. Pourtant, au plus profond de son âme, il était déchiré : il haïssait toujours le Gouvernement Mondial à cause de ce qu'il lui avait fait ; mais dans le même temps, il s'efforçait à rester impartial. L'affaire n'était pas simple.

"- Sachez que le Gouvernement Mondial a déjà agi de manière similaire au Sultanat des Pétales. J'y étais personnellement. C'était un pays indépendant d'East Blue, qui était, comme Terra, relativement hostile au pouvoir de Marie-Joie. Et pourtant, avec l'aide des autorités, nous avons pu détruire une poche révolutionnaire qui fomentait un coup d'État contre le sultan.

- Je vois... Écoutez Myosotis, j'ai bien pris note de votre demande. Je vous demande un peu de temps afin d'y réfléchir. Jusque-là, je ferais en sorte que vous soyez à votre aise durant votre séjour dans le Royaume.

- Merci à vous, Imperiosa. Mais ne tardez pas trop non plus ; il se peut que des révolutionnaires se soient déjà infiltrés... Sur ce, nous vous laissons."

La délégation fit une dernière révérence, puis tourna les talons en direction de la grande porte de la salle du trône. Les gardes l'ouvrirent promptement, et les quatre étrangers quittèrent la salle. Les dernières paroles du jeune De Ville suscitèrent des réactions variées. Satori y voyait une provocation insultante de la part du diplomate. Lushina arborait un léger sourire, presque énigmatique. Le maréchal Flika pestait : si ses propos étaient vérifiés, comment se faisait-il que la Garde Impériale ne soit pas au courant de la menace révolutionnaire ? Dash, lui, portait son armure intégrale et, par conséquent, il était quasiment impossible de déduire son opinion sur la proposition d'alliance. Antonov tentait maladroitement de calmer Satori ; tandis qu'Enfield se questionnait sur les conséquences d'un tel pacte.

Confortablement installée sur son trône, l'Imperiosa tentait elle aussi de tout démêler. Son attitude était troublée : c'était la première fois que Mount la voyait ainsi. Il faut dire que la situation était particulière. Nul ne doute que l'impact de sa décision allait être gigantesque.


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Le personnel non-nécessaire partit également de la salle du trône, laissant le Conseil, l'Imperiosa et Mountbatten débattre. L'atmosphère était pesante, et les réactions à chaud n'étaient pas forcément les meilleures ; l'émotion l'emportant sur la raison, la passion enveloppant les discours. Un point particulièrement sensible était l'offense qu'avait lâché le diplomate dans ses dernières paroles. Les conseillers étaient unanimement choqués par ces propos : implicitement, cela voulait dire Terra ne pouvait pas se défendre seule. À travers ses mots, Myosotis faisait en réalité un chantage ; voire pire : un ultimatum.

"- Le Gouvernement Mondial nous menace ! Avez-vous entendu les dernières paroles de ce serpent ? Ils sont prêts à laisser la Révolution nous attaquer pour que nous demandions leur aide ! C'est du chantage… Nous ne devons pas céder !" martela Satori, qui croyait dur comme fer à la puissance terranne.

"- Toutefois, ce n'est pas vérifié. Ils nous mettent la pression, c'est certain ; mais n'allons pas jusqu'à avancer qu'il s'agit d'un racket. C'est une intimidation, rien de plus. Ils mettent en avant leur puissance et l'efficacité de leurs services de renseignement pour nous pousser à coopérer." Scanda Lushina, bien plus modérée.

Rapidement, deux camps se formèrent au sein du Conseil. D'un côté, les partisans d'un bluff, qui préféraient se concentrer sur les implications économiques et diplomatiques ; et de l'autre, les hardliners, qui y voyaient une insulte, et qui s'opposaient à toute coopération avec Marie-Joie. Sekiza écoutait ses conseillers, sans rien dire. Elle analysait la situation, tentait de démêler le vrai du faux en écartant les arguments fallacieux ou passionnés. En marge du débat, Mount ne pouvait pas s'empêcher d'avoir une mine sceptique. Quand on lui demanda son avis, il s'avança au milieu des conseillers, et attendit d'avoir un silence total avant de s'élancer.

"- Le problème est que la menace révolutionnaire pourrait bien être sérieuse. Ils s'attaquent aux régimes qu'ils jugent autoritaires, non-démocratiques. Et Terra pourrait bien constituer une cible. Je pense qu'il faudrait dans un premier temps enquêter sur ces allégations."

Mount se tourna directement vers Flika, connaissant son avis sur la question.

"- Cela ne veut pas forcément dire que nos services de sécurité sont incompétents… Mais il est impératif de s'assurer que nous n'avons subi aucune infiltration ennemie. Si tel est le cas, il faudrait écraser dans l'œuf toute action hostile, auquel cas nous serions dans une situation extrêmement périlleuse. J'ai vu, sur Vindex, les conséquences de la prise de pouvoir d'une île par le mouvement révolutionnaire. La Marine, et le Gouvernement Mondial de manière général, pourrait alors juger d'intervenir sur Terra, si cela sert leurs intérêts stratégiques.

- Il a raison. Si nous voulons garder la tête froide pour continuer les négociations, nous devons nous assurer que nous n'avons subi aucune infiltration de la Révolution." dit Enfield, probablement un des esprits les plus analytiques de la pièce.

"- Bien. Je vous ai tous écouté. Maintenant… Mountbatten. Vous connaissez la Révolution mieux que n'importe qui ici, alors je vous charge d'enquêter dessus. Le maréchal vous appuiera dans votre mission. Enfield et Satori, je vous charge d'évaluer l'intérêt d'un accord commercial. Antonov et Lushina, assurez-vous qu'aucun problème n'arrive à la délégation. Je ne veux pas d'un incident diplomatique supplémentaire. Et Dash, surveille-les. Je n'ai pas confiance en eux. Ils ont sûrement emporté quelques agents du Cipher Pol avec eux. Suis-les, et rends-nous compte de leurs agissements."

Comme à son habitude, Sekiza était concise, précise, et d'une volonté d'acier. Ce n'était pas par hasard qu'elle avait accédé au pouvoir. Elle dirigeait son royaume d'une main de fer, et après une période de troubles politiques, elle avait su s'imposer et faire taire les voix dissidentes. Après une dernière révérence, les conseillers se retirèrent, maintenant au fait de leurs missions. Il ne fallait pas tarder : les prochains jours allaient probablement être denses. Les sept partirent de la salle du trône, laissant l'Imperiosa seule dans ses pérégrinations. Ils marchèrent à bonne distance les uns des autres, dans un silence glacial. La gravité de la situation pesait désormais sur leurs épaules.

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Après l'audience de la délégation gouvernementale, Mountbatten partit vers la gare, nonchalant. Le soleil commençait à disparaître à l'horizon, derrière une nappe de nuages dorés. La fraicheur nocturne commençait à s'installer. Il allait rentrer à Alpha ce soir, afin de visiter son usine et s'assurer qu'aucun problème n'est survenu en son absence. Il portait encore son uniforme en dessous de son large manteau avec un col en fourrure blanche. De couleur noire, d'apparence sobre, il lui donnait toutefois une stature presque froide. Au milieu du quai, il se démarquait par son air austère, préoccupé par sa toute nouvelle mission, sans pour autant se mettre trop à l'écart du reste des voyageurs.

Au loin, on entendait le bruit strident d'une locomotive à vapeur, qui sillonnait la ville portuaire de Delta jusqu'à la grande gare, à partir de laquelle on pouvait accéder au reste du pays. Le réseau ferroviaire était fort développé, et avait participé à la réussite économique de l'île. Les trains étaient de véritables prouesses technologiques. Souvent, des enfants venaient sur les quais simplement pour les admirer, écarquillant les yeux devant ces monstres d'acier. Travailler pour les chemins de fer était prestigieux à Terra.

Il se posa confortablement en première classe, seul contre la vitre. Dehors, l'obscurité gagnait du terrain. La lune et les étoiles étaient de plus en plus distinguables. Dans le wagon, seules quatre autres personnes avaient pris place. C'était enfin un moment de répit pour l'officier. Un de ces rares instants où il pouvait relâcher la pression, observer le paysage magnifique des plaines verdoyantes de l'arrière-pays, ou bien des bourgs fourmillants de la périphérie. Terra était une contrée calme, prospère et civilisée. Mountbatten ne put s'empêcher d'esquisser un léger sourire. Peut-être avait-il enfin trouvé un endroit où passer le reste de sa vie. Un pays qu'il pourrait enfin qualifier de "maison", de "chez lui". Mais il se crispa aussitôt. Après tout, il avait bien cru pouvoir avoir confiance en Marie-Joie, lui qui y avait grandi et qui avait servi ses maîtres avec loyauté jusqu'au bout. Était-il naïf ? Était-il condamné à ne faire confiance à personne ? Il voulut oublier ces pensées. Mais tôt ou tard, il savait qu'elles allaient refaire surface.

Il descendit à Alpha, et arpenta les rues jusqu'à son usine. Les passants se faisaient plus rare à cette heure du soir. Le Fantôme ouvrit la porte principale, et alluma les lumières de l'entrée. Les ouvriers étaient rentrés chez eux à cette heure-là ; mais il se doutait que Hobart Gabras, le superviseur, devait encore travailler. Il monta jusqu'à l'étage, où se trouvaient les bureaux administratifs, dont le sien. Encore une fois, il ne s'était pas trompé : il commençait à bien connaître ses collaborateurs.

"- Alors Gabras, quoi de neuf aujourd'hui ?

- Ah ! Mountbatten, ça fait du bien de vous revoir. Asseyez-vous donc." Dit-il, en se levant de sa chaise, par respect.

"- A vrai dire, on a eu un… léger problème, aujourd'hui.

- Quoi donc ?

- Rien de grave, heureusement. Mais certains de nos employés ont vu des étrangers rôder autour de l'entrepôt. Ils les ont chassés, et j'espère que ce n'était qu'une bande de curieux. Mais tout de même… Je pense que c'est utile de vous en informer."

Le visage du militaire s'obscurcit. Entre la menace révolutionnaire et l'arrivée de la délégation du Gouvernement Mondial, cet évènement n'était absolument pas anodin. Le Complexe Militaro-Industriel de Terra, du nom de l'entreprise, était effectivement une cible de choix, il faillit l'oublier. Si la Révolution fomente une insurrection, il leur faudrait des armes. Quoi de mieux que de piocher dans l'usine qui fournit la Garde Impériale ?

"- Hobart… Je crains que nous puissions devenir une cible… Renforce la sécurité du site. Je vais de ce pas contacter le chef de la garnison locale. Soyez vigilant.

- … Bien reçu. Vous pensez qu'on sera attaqué ?

- Probable… Peut-être dans quelques jours, peut-être cette nuit… Je n'en ai aucune idée. En tout cas, on ne peut pas laisser l'usine sans défense. Sur ce, je file."

Mountbatten pesta. Pourquoi n'avait-il pas pensé plus tôt à ça ? C'était évident. Il se pressa pour atteindre le quartier général de la Garde Impériale, et informa tout le secteur. L'officier de garde dépêcha des hommes aux abords du CMIT, en alerte maximale. Après s'être assurer de l'efficacité du périmètre de garde, le Marijoan partit se reposer dans l'appartement qu'il louait à quelques centaines de mètres de son lieu de travail. Il était éreinté, et il retrouva son lit avec hâte.

Les prochains jours allaient être mouvementés à Terra, il le sentait.


Dernière édition par Mountbatten le Jeu 17 Déc 2020 - 15:22, édité 2 fois
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Dès le lendemain, Mount se dépêcha de retourner au palais royal, afin de planifier les opérations avec le maréchal Flika. Ils ne pouvaient pas attendre sans rien faire ; il fallait accroître la sécurité et l'ordre à l'intérieur de l'île, et de s'assurer qu'aucun complot révolutionnaire ne puisse voir le jour sur l'île. Le Conseil avait toujours un doute : est-ce que l'ombre de la Révolution n'était qu'un mensonge utilisé pour orienter la décision de l'Imperiosa, ou est-ce que cette information était vérifiée ? Pour l'heure, les autorités terrannes n'en avaient aucune idée.

Déambulant dans les immenses couloirs du palais, le militaire se hâta pour rejoindre l'aile est, où se trouvait le quartier-général de la Garde impériale. Flika avait réuni les principaux responsables militaires en garnison dans la salle principale, tapissée d'impressionnantes cartes de l'île et du monde. Des bibliothèques remplies jusqu'au bout ornaient le reste de la salle, alors qu'une grande table prenait le reste de l'espace au centre, bordée de chaises en bois précieux.

Le Fantôme arriva dans la pièce et salua les personnes conviées d'un garde-à-vous rapidement expédié. Il se mit au bout de la table, laissant le centre aux plus hauts gradés de Terra. Lui, simple commandeur, n'était là que grâce à sa qualité d'expert du sujet, et non en accord avec ses fonctions et ses responsabilités. Avant de commencer la réunion, Flika attendit que tous les invités avaient pris place ; puis ordonna aux gardes de quitter la pièce et de fermer la porte. La réunion d'état-major pouvait commencer.

Pendant plus de deux heures, les différents intervenants débattaient pour décider de la stratégie à adopter. Fallait-il augmenter sensiblement la présence militaire dans les rues, au risque de faire paniquer la population et de faire augmenter la discrétion des potentiels agitateurs, ou bien mener une enquête à l'écart, sans impliquer de présence militaire supplémentaire dans l'espace public ? Quels moyens allouer à une menace qui n'existe peut-être pas ? Certains officiers étaient sceptiques sur ces allégations, et ne voyaient pas l'intérêt de fatiguer leurs hommes sur une chimère.

Quels sites devaient être protégés ? Quel bâtiment pourrait constituer une cible ? Tout ce qui avait un rapport avec l'autorité de Sekiza ; tout ce qui constituait un symbole de l'empire et de l'ordre pourrait être attaqué par la Révolution. Le Complexe Militaro-Industriel de Terra allait bien évidemment avoir une attention spéciale, en tant qu'unique usine d'armement sur l'île. Serait-il pertinent d'établir des patrouilles dans toutes les villes de Terra, ou seulement dans les grandes agglomérations ? Peut-être même uniquement dans Alpha et Delta, les deux plus grandes aires urbaines, et les plus propices à un soulèvement révolutionnaire. Après tout, Delta est l'interface entre Terra et le reste du monde, là où les révolutionnaires pourraient importer illégalement des armes, voire même des agents. De l'autre côté, Alpha est une ville industrielle, avec une classe ouvrière grandissante qui a de plus en plus d'aspirations à des droits.

L'expérience en combat anti-insurrectionnel de Mountbatten s'avérait hautement utile, puisqu'il pouvait ainsi faire des propositions qui avaient déjà prouvé leur efficacité à Vindex. Contrairement à une guerre conventionnelle, les conflits asymétriques n'étaient pas centrés sur les territoires contrôlés, mais plutôt sur les populations acquises à la cause. Il fallait donc s'assurer de la loyauté du peuple, pour que les pensées révolutionnaires ne trouvent pas d'écho à Terra, par le biais de moyen d'actions psychologiques – autrement dit, de la propagande.

Pour l'instant, il était trop tôt pour faire plus. Tant qu'aucune preuve ne démontre une quelconque présence révolutionnaire, il était préférable de ne pas changer de posture. Mais déjà, l'état-major devait préparer ses forces. À partir du moment où ils seront convaincus que la Révolution fomente quelque chose sur Terra, la Garde Impériale sera déployée dans les rues, avec la mise en place d'un couvre-feu et de la loi martiale. Il fallait écraser toute rébellion dans l'œuf. Il fut donc décidé de mettre sur le qui-vive toutes les forces armées de l’île, de rappeler les réservistes et les militaires en congé. Le nombre de policiers en civil allait être multiplié par quatre, et les gardes côtes allaient tripler les patrouilles en mer.

Quelques jours passèrent, sans plus de rebondissement. Au point où certains généraux commençaient à douter de ces allégations. Il y avait, au sein de l’état-major, une envie malsaine que quelque chose se produise, et qu’ils agissent en retour. Peut-être une envie de prouver leur loyauté à Sekiza ; montrer à l’Imperiosa que la Garde Impériale était efficace, voire plus utile que les Élus. Et pourtant, malgré les mesures prises, tous les rapports reçus ne mentionnaient rien d’anormal. Soit les révolutionnaires présents sur l’île étaient extrêmement prudents, soit la menace n’existait tout simplement pas. C’était une éventualité, certes, mais peu enviable. Cela voulait aussi dire que la délégation du Gouvernement Mondial avait menti en toute conscience, et qu’en réalité leur proposition ne reposait sur rien de concret et d’intéressant pour le Royaume.

Mountbatten, de son côté, s’assurait de la sécurité de l’usine. Il avait renforcé la garde, et tenait à rester personnellement dans les locaux, de l’aube jusqu’à tard le soir, de sorte que le risque soit minime. Le Marijoan consacrait son temps à lire différents documents comptables, afin d’augmenter le rendement des chaînes de production. Il travaillait de concert avec Hobart. Son objectif inavoué était de faire de l’entreprise un leader mondial. Le marché de l’armement était terriblement intéressant : les conflits pullulaient partout sur le globe, et la demande grandissait de manière exponentielle ces temps-ci. L’opportunité était évidente, d’autant plus que la majorité des armes sur le Nouveau Monde venaient de petits producteurs locaux, et donc par définition peu productifs et chers, étant donné les difficultés de transport entre les îles dans cette partie du monde.

Les jours s’accumulaient, sans rien. À croire que tout ceci était une vaste blague. Les diplomates du Gouvernement Mondial avaient eu le temps de découvrir un petit peu certains endroits de l’île, sous étroite surveillance bien entendu. Mais il n’y avait pas eu d’autre entretien avec le Conseil et l’Imperiosa. D’ailleurs, dix jours après l’arrivée des émissaires, Sekiza décida de convier les membres du Conseil et l’officier Mount pour établir une réponse. Tous se retrouvèrent au palais, dans la grande salle du trône.


Dernière édition par Mountbatten le Jeu 17 Déc 2020 - 15:24, édité 1 fois
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"- Messieurs, nous devons préparer notre réponse à la délégation du Gouvernement Mondial. Vous avez eu le temps de remplir les différentes missions que je vous ai données, et j'attends vos rapports. Satori, Enfield ?

- Mon Imperiosa, nous avons étudié l'intérêt d'un accord commercial de libre-échange avec le Gouvernement Mondial. En prenant en compte nos besoins intérieurs et les principaux produits terrans à l'export, nous avons conclu que, d'un point de vue strictement commercial, le volume d'échange serait très faible. En effet, Terra est autosuffisant en termes de produits de première nécessité ; et seuls les produits de luxe présents sur certaines îles du Cercle d'Or pourraient faire l'objet d'échanges réguliers. En sens inverse, tout ce que nous produisons est produit à un endroit ou à un autre du Cercle d'Or. Pour gagner des parts de marché, nous devrions nous investir dans une politique agressive à l'export… Pas sûr que cela plaise beaucoup au Gouvernement Mondial à long terme. Mais le principal problème reste la distance entre nous et leurs îles. Comme vous le savez, nous sommes vers la fin du Nouveau Monde, entourés d'îles sous le contrôle des Empereurs Pirates. La base du G11 est située au milieu du Nouveau Monde, et Arcadia, l'île la plus proche qui fait partie du Cercle d'Or, est à plus d'un mois de traversée pour un navire marchand quelconque. Autrement dit, le jeu n'en vaudrait pas la chandelle pour nos marchands. En nous associant au Gouvernement Mondial, nos navires seraient des cibles de choix, et nul ne doute que ce voyage serait trop dangereux à terme. Pour résumer succinctement notre rapport : le rapport entre les coûts et les avantages est défavorable à un accord avec Marie-Joie." Conclu Satori, fier de sa démonstration.

"- Je vois. Antonov, Lushina, rien de particulier à signaler à propos de la délégation ?

- Négatif, rien d'anormal mon Imperiosa.

- On leur a montré les plus beaux quartiers de la capitale, et les paysages sublimes de l'arrière-pays. Ils étaient ravis, mais sans plus. Ils restent souvent sur leur navire." Expliqua Lushina, un peu vexée que sa mission fut d'être la guide touristique.

"- Mm. Dash ? As-tu remarqué des absences non-expliquées, des balades suspectes de leurs membres ?

- Oui, quelques-unes. Par sept fois, j'ai dû organiser une filature de certains diplomates, peut-être trop curieux. Plusieurs fois, ils sont allés dans des bars, où la clientèle est réputée pour ne pas être… Comment dire… Très… complaisante avec notre régime. Sûrement une tentative de prendre la température du peuple terran. Mais tout de même, c'est assez notable pour que je soulève ce point. Il y a aussi le fait qu'on ait perdu deux fois la trace de certains de leurs membres. Ils ont refait surface dans la capitale quelques heures après, mais il n'empêche que pendant un certain temps nos services n'avaient aucune idée de leurs activités. Encore une fois, peut-être qu'il n'y a pas de raison de s'inquiéter… Mais je suis sceptique. Après tout, nos relations avec le Gouvernement Mondial ont toujours été houleuses, et ça ne m'étonnerait pas que leur délégation ne soit qu'un cheval de Troie.

- … C'est un point de vue intéressant. Il est vrai que notre passif avec les autorités de Marie-Joie est assez lourd, et cette venue était surprenante. Passons au dernier point. Flika, Mountbatten ? Des traces d'agitation révolutionnaire ?

- Aucune, mon Imperiosa. Nous avons accru la présence de nos forces de sécurité dans les principales villes du pays, sans qu'elles ne soient trop visibles par la population. Nous avons mené plusieurs enquêtes dans les bas-fonds, dans les milieux militants et syndicalistes, et rien n'indique une agitation particulière. Et encore moins une infiltration de la Révolution. Nous en avons conclu que c'était du bluff."

Avec ces derniers mots, la réponse de Sekiza était déjà connue de tous. Les apports d'un tel traité étaient faibles, et les risques relativement élevés. Le jeu n'en valait pas la chandelle, c'était désormais certain. Mais déjà les interrogations se portaient ailleurs : pourquoi le Gouvernement Mondial avait donc dépêché une délégation ici ? Les bureaucrates du Gouvernement Mondial étaient sûrement arrivés aux mêmes constatations.

"- Vous serez d'accord avec moi pour dire que tout ceci n'est qu'un écran de fumée… Que cette proposition n'a pas vraiment de valeur pour nous. Pourtant… Ils ont dépêché des diplomates jusqu'ici. Dans quel but ?

- Permettez-moi de livrer une analyse…

- Allez-y, Mountbatten.

- Sans vouloir m'immiscer dans vos affaires…

- Comme si vous ne l'étiez pas suffisamment…" lâcha sèchement Satori, l'air méprisant pour cet étranger qui prenait de plus en plus de place dans la maison impériale.

"- J'aimerais savoir si vous n'avez pas l'intention de vous rallier à un Empereur pirate… Et si, dans le cas où je vise juste, cette information ait pu arriver aux oreilles des dirigeants de Marie-Joie." Continua le Fantôme, confiant dans le fait que son intervention puisse faire avancer la compréhension générale de la situation.

"- Hum… Ça se pourrait. Et donc ?

- Comme vous le savez, dans son annonce annuelle, Genji Nakamura a voulu présenter un Gouvernement Mondial fort, répondant aux récents succès de la Révolution et de la piraterie. Certes, son discours était orienté contre la Révolution, mais du temps où je servais dans la Marine d'élite, on savait tous que cette lutte sans pitié se déroulait également contre les pirates… et notamment les Empereurs. Les Vénérables Étoiles souhaitent étendre leur influence dans toutes les mers, évidemment, mais depuis un siècle maintenant ils essayent de briser l'hégémonie des Empereurs dans cette partie du monde. Et force est de constater qu'ils ont échoué admirablement jusque-là. Cependant, ils ont opéré une montée en puissance récemment, traduite par la mise en place du Cercle d'Or et par de nombreuses initiatives, comme la reconstruction impressionnante d'Arcadia. Je pense donc qu'ils souhaitent séduire les royaumes encore indépendants du Nouveau Monde pour affronter les Empereurs. Encore une fois, ce ne sont que mes suppositions… Et donc Terra répond à ses critères, dans un premier temps.

- Toutefois, vous n'expliquez pas pourquoi ont-ils tenté l'aventure malgré tout, sachant que cela se solderait par un refus.

- J'y viens. Si vous vous faites courtiser par plusieurs empereurs, peut-être que le but était l'effet d'annonce : que Terra cherche à conclure une alliance avec les gouvernementaux, ce qui fâcherait les Empereurs. Sinon, il peut s'agir d'une ultime tentative d'allier les Terrans, avec qu'ils ne soient définitivement catégorisés comme ennemis. M'enfin, je crois peu à cette hypothèse. Enfin, et c'est là peut-être le danger qui nous guette, ils peuvent penser que vous êtes sur le point de rallier un Empereur. Et cette délégation aurait pour but de mener des activités subversives, pour éviter qu'une autre île ne bascule dans le camp ennemi… Par ailleurs, le rapport de Dash m'invite à penser dans ce sens. Ce ne sont que des idées que j'ai eues ; je n'ai pas toutes les clés en main, je ne connais pas vos intentions, ni les leurs.

- Si vous deviez favoriser une hypothèse sur une autre, quelle serait-elle ?

- La dernière. Je suis sceptique quant au Gouvernement Mondial. Quand on voit ce qu'ils sont capables de faire…"

La gorge de Mount se noua à ces mots. Son poing droit se crispa légèrement ; si légèrement que les autres membres du Conseil ne purent s'en rendre compte. Même s'il essayait de repartir sur de nouvelles bases, la colère, l'incompréhension et la rancœur étaient toujours là, plusieurs mois après le couteau dans le dos que le Cipher Pol lui avait fait.

"- Bref. Ça ne m'étonnerait pas qu'ils tentent de déstabiliser Terra pour vous renverser, et faire en sorte que le régime qui suivrait leur soit sympathique ; ou du moins, qu'il ne pactise pas avec les Empereurs."
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A Delta, les badauds se délectaient du spectacle admirable qu'offrait le coucher de soleil, qui venait s'éteindre dans la mer à l'horizon. La baie de la ville était parfaitement alignée avec la course de l'astre majestueux, et cela offrait un paysage tout à fait remarquable, que les peintres avaient tenté de retranscrire sur leurs toiles depuis plusieurs générations déjà. Quelques navires à voile fendaient les flots, soit pour rejoindre le port, soit pour partir pour de nouvelles aventures par-delà les mers. Parfois, Mountbatten prenait plaisir à contempler le crépuscule, pensif, et de temps en temps mélancolique. C'était un moment d'introspection privilégié, qu'il n'avait plus eu le temps d'observer depuis plusieurs jours à cause des récents évènements.

Le soir, la délégation avait été convoquée au palais impérial. Ce face à face allait plus avoir des allures de confrontation qu'autre chose, et l'attention des conseillers allaient être portée sur les réactions des diplomates. La garde d'honneur se plaçait, tandis que les domestiques terminaient de nettoyer tous les moindres recoins du bâtiment. Il fallait, encore une fois, paraître puissant aux yeux de leur futur adversaire. Vers six heures du soir enfin, les émissaires de Marie-Joie étaient annoncés dans la salle du trône, où siégeait les principaux ministres et le Conseil de l'Imperiosa, ainsi que la souveraine elle-même.

"- Mon Imperiosa, Messires du Conseil, la délégation de Marie-Joie est arrivée. Voici Myosotis De Ville, le chef de la délégation ; accompagné due Made, Milan De Ville et de Lady Scarlett." clama le héraut impérial, comme lors de la première entrevue.

Myosotis De Ville s'avança et effectua une légère révérence, par respect pour la maîtresse de l'île. Il balaya du regard l'assemblée, composée des mêmes personnalités qu'auparavant, puis se décida à engager la discussion, constatant que les Terrans attendaient d'abord qu'il prenne la parole.

"- Imperiosa Sekiza, membres du Conseil, je vous présente mes plus sincères salutations. J'imagine que vous nous avez invité pour nous communiquer votre réponse."

Sekiza se leva de son trône, sans se précipiter et en toute grâce. Elle fit quelques pas, de sorte qu'être plus proche de la délégation, et abaissa son visage afin de ne pas paraître hautaine et dédaigneuse. Visiblement, elle avait l'habitude de côtoyer le monde politique et mondain, où le moindre faux pas pouvait avoir des répercussions aberrantes.

"- Cher Myosotis De Ville, vous voyez juste. Nous avons pris ces dix jours pour bien prendre en compte tous les éléments qu'impliqueraient un accord avec le Gouvernement Mondial. Le Conseil, Mountbatten, et moi-même avons passé en revue divers facteurs afin d'établir une réponse éclairée."

L'Imperiosa insista sur le caractère rationnel de la réponse qui allait suivre. Elle ne voulait pas que le diplomate prenne sa décision comme arbitraire, qui ne résulterait que de sa mauvaise volonté. Au contraire, elle tenait à montrer que ce choix avait été pris délibérément par plusieurs personnes compétentes et qualifiées. Le but était d'éviter de trop aliéner les gouvernementaux. Même si les relations qui allaient en résulter n'allaient de toute manière pas être bonne, elle espérait au fond qu'elle soit au minimum cordiale, respectueuse de l'intégrité de l'autre partie.

"- Nous en avons conclu qu'un traité économique et commercial n'aurait pas d'intérêt pour Terra, de par la nature des biens que nous produisons sur l'île, et par le risque de la traversée de nos navires marchands. Vous conviendrez, monsieur De Ville, que le Nouveau Monde n'est pas exactement l'endroit le plus sûr pour voguer avec de la marchandise de valeur à destination d'îles sous le contrôle de Marie-Joie."

Sekiza attendit une réaction quelconque de l'émissaire, mais rien ne s'ensuit. Il garda les mêmes traits de visage : indifférents, presque blasés. Comme s'il avait été entraîné à dissimuler ses émotions… Ou bien, cela était dû au fait qu'il connaissait déjà l'issue de cette audience. Ses compagnons paraissaient également résignés, et n'avaient que peu réagi aux derniers propos de l'Imperiosa. Devant un tel état de fait, elle continua.

"- Et concernant une alliance politique et militaire, nous pensons que cela n'a pas non plus d'intérêt pour notre royaume. En s'alliant à vous, nous risquons de nous attirer les foudres des Empereurs pirates, qui sont ont des possessions proches de nous. La Marine, elle, est très éloignée, et en cas de difficultés, ses navires mettraient plusieurs semaines pour venir jusqu'ici. Par conséquent, nous refusons votre offre de pacte d'alliance. Toutefois, nous espérons que nos relations avec le Gouvernement Mondial resteront cordiales ; ne prenez pas ce refus comme un antagonisme, mais plus comme le résultat d'une considération stratégique.

- … C'est entendu. J'imagine que ce sera tout... au revoir, Imperiosa."

Sur ces mots, Myosotis conclu l'entretien et se retira après une révérence avec sa délégation. Les autres émissaires n'avaient pas parlé, et le chef de la mission diplomatique n'avait pas été très bavard. Leur manque d'insistance sur par ailleurs relevé par les conseillers… Tout ceci ne présageait rien de bon.

Les diplomates devaient partir le lendemain, sur ordre de l'Imperiosa. La surveillance des membres de la délégation avait été grandement renforcée. Le ton était aussi moins amical, plus martial. Aucun autre incident n'avait été à déplorer jusqu'à leur départ, à la grande satisfaction des conseillers, qui redoutaient du grabuge après le refus de l'alliance. Mais le comportement des gouvernementaux avait été correct, et aucune autre escapade malvenue n'avait été recensée. Déjà, certains membres du Conseil voyaient tout ceci comme une histoire passée, une crise qui avait été résolue en seulement dix jours.

Ils avaient bon espoir que tout revienne à la normale pour Terra. Peut-être un peu trop naïvement.
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