Adossée contre le bastingage, les genoux remontant au visage, NAKAMURA D. Akane, surnommée aussi la Samouraï Silencieuse, est en réalité réveillée depuis un moment par le brouhaha. D'ordinaire, elle est atteinte de narcolepsie, ce qui l'empêche parfois de rester consciente tout le long de la journée. Heureusement, cela n'arrive pas systématiquement. Ne levant pas la tête pour autant, elle se limite de rester dans sa position à essayer de faire passer le temps. Dans d'autres circonstances, elle aurait réalisé un entraînement ou pratiqué une méditation. N'ayant pas le pied marin, elle est la seule à bord à se sentir mal à cause de la houle et souhaite plutôt s'isoler en se reposant du mieux qu'elle peut. Elle trouve que c'est encore pire quand elle est dans la cabine. De toute manière, elle préfère rester dehors à ressentir l'embrun et se laisser caresser par le vent. À défaut d'être véritablement dans la nature, c'est l'endroit qui s'en rapproche le plus. Cela dit, le gaillard avant ne constitue pas les mêmes qualités qu'un lieu reculé. Il existe quelques inconvénients, notamment l'imposant corps du balafré qui se tient face à elle. Ce dernier lui donne un coup de pied pour attirer l'attention.
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« Debout, feignasse! » Injure le reître.
Brusquée, Akane lève doucement la tête pour voir qui vient la déranger. N'étant pas vraiment surprise, elle se contente de fixer les yeux de son agresseur en ne prenant même pas en compte la frappe. Témoin du petit geste dédaigneux, Roza ZAÏTSEV, l'accompagnatrice de la narcoleptique, ne peut pas garder son calme en oubliant le respect des grades.
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« Hé! Qu'est-ce que vous lui voulez? » S'indigne t-elle.
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« T'occupe pas d'ça, toi. C'est entre elle et moi. » Réplique t-il, sèchement.
Armand se montre impatient et se met à reculer. L'équipage lui laisse de la place en se doutant de ce qu'il va suivre.
— « Qu'est-ce qu'il se passe, Monsieur GARNERAY? » Demande un matelot.
— « Oui, c'est quoi cette histoire, Monsieur? » Interroge un autre.
— « Vous allez la provoquer en duel?! » Questionne un dernier.
Ce n'est pas la première fois que les marins observent leur Second réclamer un
combat à outrance après avoir subi un affront. Habitués à son caractère, les hommes ne cherchent même plus à savoir si c'est justifié ou non. Après tout, ils connaissent à l'avance le résultat. En tant que soudard, il faut dire qu'il sait manier le sabre et tenir ses ennemis à distance. Il s'imagine déjà vainqueur. Pour lui, que son adversaire vienne de la rue, d'une école militaire ou d'un dojo, ça n'a aucune importance. Seul l'expérience compte. Sûr de lui, il désir absolument humilier Akane pour faire valoir ses croyances à défaut de pouvoir les imposer de force.
Se relevant, la samouraï s'étire les bras et pousse un bâillement, ce qui est mal perçu par l'individu aux cheveux poivres et sels. Il rouspète, mais la jeune femme ne rentre pas dans sa provocation. Elle fait craquer son dos, puis, la nuque. Sa chevelure flamboyant se mouve au gré des gestes. Bien que son mal de ventre se fasse toujours ressentir, elle se sent prête pour quoi que ce soit. Ce n'est qu'une question d'être à l'aise ou non. Elle n'y voit pas vraiment une contrainte, mais plutôt comme un malus. Une épreuve à surmonter, en somme. Évaluant la situation, elle constate que l'équipage autour forme un cercle. Comprenant sans un mot supplémentaire, elle prend aussitôt au sérieux le duel judiciaire de Monsieur GARNERAY. Quant il s'agit de défendre un honneur ou un intérêt contre un épéiste expérimenté, l'hypersomniaque ne dit jamais non, et ce, quelque soit la faction de l'adversaire.
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« Quelles sont les modalités? » Demande t-elle de sa voix rauque, légèrement dépitée et les bras croisés.
Avant qu'il ne puisse répondre, Ambroise survient de derrière-lui et lui annonce quelque chose.
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« Ce n'est pas la première fois que tu pars sur un coup de tête, Armand. » Dit l'individu âgé d'un ton calme et posé.
« Je viens juste te mettre en garde que ton insubordination risque de te coûter bien plus que tu ne le penses, cette fois. Je te rappelle qu'elle est originaire de l'Île du Crabe et qu'elle est engagée en tant que mercenaire. Son savoir-faire doit sûrement être irréprochable... »Appelé l'Île de Mû par sa population, le pays natal de la rousse n'est pas particulièrement réputé et n'attire pas beaucoup de touristes. À vrai dire, très peu de gens connaissent l'emplacement exact. Cela dit, il existe quelques écoles de sport de combat qui peuvent intéresser des baroudeurs de passage. Pour y être passé trois fois en dix ans, le balafré connaît le niveau de maîtrise des maîtres d'arme de cette contrée reculée, mais il estime que les élèves sont largement inférieurs à eux et qu'il n'a donc rien à craindre.
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« C'est une femme, ça devrait pas être un problème. » Dit-il sans même le considérer.
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« Slukh! Vous venez de faire une erreur monumentale, Monsieur GARNERAY. » Intervient Roza.
S'il y a bien un sujet sensible à ne pas toucher pour la samouraï, c'est l'égalité entre les sexes. D'ordinaire, elle n'apprécie pas le genre masculin à cause de ce genre de gens. Elle sait que tout le monde n'est pas comme lui, il suffit de regarder son Capitaine, mais elle ne supporte pas d'être rabaissée sous prétexte d'avoir de la poitrine. Le visage de la sabreuse s'assombrit alors.
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« Quelles sont vos modalités? » Répète t-elle plus sèchement, le regard plus perçant.
À ces mots, tout le monde s'écarte encore plus par précaution. L'équipage sent une tension s'installer et souhaite être le témoin d'un duel mémorable en étant en sécurité. Aussitôt, le reître fait un rictus et répond.
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« Si tu perds, vous partez d'ici, toi et ta copine insupportable. » Fait-il tout en dégainant son arme.
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« Hé! » S'offusque cette dernière.
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« Au premier sang ou à mort? » Ajoute la sabreuse.
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« Qu'importe! » S'impatiente le Second.
Évidemment, il ne précise pas le cas contraire tellement il est sûr de lui. Akane fait alors un signe de tête pour dire qu'elle accepte et se prépare. Elle le rejoint au centre du pont en se mettant à bonne distance.