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C'est pas l'homme qui prend la mer...

Quelques temps maintenant que ma silhouette voutée hantait les quartiers ombragés de Dead End. Vagabond à la nuit tombée, les errances m'offraient le loisir d'en humer la fange à plaisir. Délicat fumet de pernicieux coupé au vice.. De salin et de pourriture.. Tout ce qu'il fallait pour raviver son homme. L'acre mélange souillait la narine sitôt le nez mis dehors à fureter. En descendant dans des ruelles toujours plus étroites au fil des promenades, l'odeur de la rade des forbans s'était révélée que plus entêtante. Maintenant le crâne férocement écrasé sous une botte crottée à l'abri des regards, je n'en gouttais qu'encore un peu plus l’âpreté. Les arrêtes du pavé disjoint s'enfonçaient sans douceur dans la chaire jusqu'à en entailler le cuir, tant la brute forçait à m'y faire entrer. Le sol s'en était creusé sous la pression. Englué dans mon propre sang, l'écho du rire gras de ses sbires me parvenait assourdi par la chausse. Les soulards prenaient plaisir à tabasser, j'en aurais versé une larme si des vagues douloureuses ne me traversaient pas le corps. Tressautant sous les coups sans pouvoir répondre, il ne me restait qu'à serrer les dents en attendant la fin de l'orage. A bien des égards cette atmosphère de violence remontait des souvenirs du bercail. De cette époque lointaine, où encore qu'un gamin, chaque carrefour imprimait de nouveaux bleus. Pourtant bien des mers me séparaient maintenant de la Blue.

Red Line dans le dos, j’embarquais dans un nouveau bâtiment de noir barré avec l'idée de mettre de la distance. Pas de regard en arrière, je savais la ligne rocheuse dorénavant devant moi. Le barrage avait enfin sauté, laissant la voie libre à l'émergence d'une nouvelle menace. Une vie à méditer ce moment. La route restait encore longue cependant. La nouvelle aventure débutait sur la coque de noix de petits bras bons à se faire oublier. Claquant des jambes en ma compagnie, les fiers pirates de la nouvelle vague se révélèrent de bien piètres camarades. De la bleusaille plus aventuriers que pirates, dont la grande gueule se fermait aussi vite qu'elle s'ouvrait. Quelques jours suffirent à les voir se flétrir la haute mer atteinte. De la mauvaise herbe qui fane... Le désespoir les brisa comme du bois sec. A se demander comment ils étaient arrivés aussi loin. On appelait Grand Line "Le Cimetière des pirates", l'expression fit sens au regard du public l'empruntant. Telle une vilaine tic, les équipages s'usèrent jusqu'à la moelle sous mon ombre. Chaque escale nécessita de changer de bord, je les laissais alors hagard sur leur ponton la soif d'aventure tarie. Les rêves englués de néant. La nécessité de trouver une botte à mon pied devint pressante. Des hommes que la Mort n'entrainerait pas dans les abysses. De ceux qui l'avaient déjà côtoyée suffisamment pour ne plus se décomposer en sa présence. Des pirates prêt à conquérir les mers au lieu de simples transporteurs. Petit à petit la troisième voie se remonta sans que l'idée me quitte. L'ancre se jeta enfin à destination et Dead End m'ouvrit ses portes. Mais de fil en aiguille, une botte trônait maintenant au-dessus de ma tête. Les coups avaient au moins cessé.

- Ouerf ouerf.. Ramassez moi ça !

La voix grave venait d'en haut, d'où je savais goutte tant le ciel restait couvert. Ce n'est qu'une fois l'enclume retirée de ma face que l'image revint. La pénombre à peine brisée par une lampe à huile dévoilait les traits d'une bidoche me surplombant. Une bien belle se frayant un passage hors d'une fringante redingote. Toujours misérablement étalé dans la crasse du cul de sac, mes pensées se frayaient un passage difficile hors du flot de souvenirs. L'instant de répit m’éveilla dans le même temps les contrecoups du traitement. Les côtes avaient tintinnabulé en concert et en gardaient l'écho. Mais bien qu'elles encouragent la grimace, la douleur restait soutenable. Le problème récurant des petites frappes aux intentions creuses s'en prenant à une vieille carne au cuir épais. Des bras s'affairèrent à me redresser sans douceur, l'occasion donnée aux gravillons coincés dans la peau de se détacher. Alors que le regard toujours perdu au sol je contemplais leurs rebonds à mesure qu'on me hissait sur mes deux fers, une goutte écarlate s'écrasa à mes pieds. Un filet frais semblait s'écouler depuis le front. En passant machinalement la langue, le sang se confirma. Je gratifiai la face à chier du maitre d'œuvre de mes tourments d'un sourire méprisant. Le salaud avait du me laisser l'empreinte de sa semelle en souvenir à forcer comme un âne. L'idée de rendre la politesse au barbu transpirant de suffisance était tentante, mais un regard au tatouage de croix ailée à son cou suffit à me rappeler à mes moutons. Le temps viendrait où les comptes seraient soldés mais pas ce soir. Non je n'aspirais qu'à une soirée paisible à cette heure.

Les batailles attendraient au matin...
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A l’heure froide de la nuit, j’avais patiemment attendu que le forban bedonnant finisse de remonter ses manches, avant de le laisser donner libre cours à sa férocité. Depuis l’orée d’une taverne encore animée, l’écho des poings avait martelé la leçon prodiguée. « Tu ne me volera point. » Tels étaient les mots inscrits en lettre de sang sur mon visage tuméfié. Tels étaient les mots que l’oreille trainante des témoins de l’altercation se rappellerait. Une simple histoire de bourse volée au mauvais pigeon dans un instant de flottement. Les périodes de disette appelées parfois à prendre des risques malvenus… Par cette entreprise hasardeuse, je venais négligemment de chier dans les basques d’un pirate bien entouré. Au cœur de son abreuvoir, à la vue de ses camarades et compagnons de boisson pour ne rien arranger. En ce monde de perdition, où le crime faisait légion, l’image revêtait une importance capitale. C’est elle qui gardait à distance les convoitises et tentations. Le corniaud avait beau chercher à m’arracher la tête à chacune de ses frappes, je le respectais pour cela. Il devait laver son linge s’il ne voulait pas laisser de tâches. J’étais un exemple pour le prochain qui penserait à le dépouiller.

Toujours solidement encadré de ses gars, qui peinaient à me maintenir en raison de la violence des assauts, ma mine ankylosée s’égayait d’un sourire détaché malgré la dérouillée. L’aura froide n’étant pas encore perçue, ne restait qu’un air niais qui persistait frappe après frappe. Sous le halo tremblotant d’une flamme, il se remarquait et appelait ricanements et quolibets amusés.. Une bonne humeur enivrée nappait la soirée. J’avais maintenant suffisamment décuvé pour apprécier les efforts fournis. Pendant que le crâne tambourinait, la douleur commençait à faire son bonhomme de chemin. Les anciennes blessures s’éveillaient et de nouveaux souvenirs oubliés germaient. Mais si mon corps peinait, mon esprit restait affuté. L’âge m’avait appris à encaisser depuis le jour où la destinée m’avait chié dans un trou à truands. Le gaillard avait beau taper fort, il ne restait qu’un troisième couteau. Je sentais mon dédain monter à mesure qu’il s’échinait à me briser. Peut être le sentit-il aussi, car gagné d’une nouvelle force, il écrasa ses phalanges et m’arracha des bras chaleureux de ses sbires. Je sentis les doigts me maintenant debout glisser avant d’être envoyé m’étaler au fin fond de la ruelle. Deux fois mon corps ricocha dans le pavé avant de s’écraser comme un pantin désarticulé au milieu de cagettes aux légumes moisissant. Sonné, je ne bougeais plus et préféras laisser le sang s’écouler paisiblement. Les bras en croix, un vieux chou sur mon front. Un ton goguenard fit le chemin jusqu’à moi. Légèrement essoufflé, il n’avait rien perdu de sa suffisance.

- Mon pauvre petit vieux.. Ouerf ouef ! Je me devais de marquer le coup t’comprends bien. Sans plaisir tu te doutes, juste comme ça que ça marche par ici. Passe bien le mot à qui voudra bien t’entendre Vieillard, pour que le prochain que tu croises se le tienne pour dit. Et dis bien que si tu pars sur tes deux jambes ce n’est que par la bienveillance du Saint Père !
- M. Gruman, s’êtes sûr qu’il vous entend ?
- Vous l’avez pas raté quand même Haha !


Ainsi étalé dans l’ombre, je devais offrir que mes chausses à voir. Le reste perdu dans la nuit ne délimitait rien de plus qu’une masse. Sans prendre la peine de me redresser, je lâchais deux simples mots pour leur passer l’envie de venir inspecter. Un simple murmure laconique.

- J’entends…
- ...

La récréation était terminée, je souhaitais me reposer. Il me restait encore à faire dans les heures à venir… Un bref répit voilà ce que je souhaitais. Peut être le comprirent-ils, car après en silence gêné j’entendis des pas s’éloigner. Quelques moqueries fusèrent de la bouche des vainqueurs  mais le ton avait changé. Un doute les avait tiraillés... Les contours de la masse de tissu semblaient bien sombres au cœur de l’obscurité. L’aura mortuaire n’était alors jamais aussi intense. Ils ne débutaient pas dans le métier, ils savaient sentir le danger. L'air semblait s'être tendu. J’avais beau être dénué d’ailes, sans équipage ou navire pour me tirer du guêpier en cas de confrontation sur l’île. J’en restais pas moins bien conscient de pouvoir enfoncer leurs petites têtes dans leur derrière en un tour de bras si je le décidais. Peut être l’avait il enfin perçu…

Pendant un temps je restai ainsi sur le dos à contempler le ciel étoilé. Seul dans mes pensées, au milieu des ordures. Une jambe trempant dans du jus d’égout… L’odeur pestilentielle du coin ne m’affectait nullement. Un sentiment de tranquillité m’habitait comme un hamac qu’il me devenait difficile de quitter. La fraicheur de la nuit caressait avec douceur la chaleur de mes plaies. Il ne fallait pas se battre quand on craignait de prendre des coups. Jamais je les avais craints, ils animaient mon cœur et enflammaient mon âme. J’inspirai longuement une dernière bouffée de liberté insouciante, avant de douloureusement me remettre d’aplomb. Il était temps de remettre un pied dans l’étrier à présent..

Tirant la capuche de ma soutane pour dissimuler mon visage abimé, je me relevai et m’enfonçai plus profondément dans les ruelles. Une simple ombre aux traits imperceptibles glissant toujours plus bas. Le monde de la nuit restait animé sur Dead End, mais à mesure les passants se raréfièrent. Ici on plongeait dans l’humidité du bord de côte. Les masures couvertes de mousses souffraient des coups de tabac fréquents. Le rendez-vous se tenait dans l’auberge la plus miteuse de l’île. La moins chère aussi. L’entrée ne payait pas de mine, une simple porte branlante dont s’échappait un silence pesant. Quand j’ouvris la porte, la petite salle était comble. Une odeur de tabac et de vieux rhum m’assaillit alors que le lent grincement m'annonçait. Des regards meurtriers se tournèrent à mon entrée… Le danger était palpable. Un sourire perça l'ombre dissimulant mon visage.

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Des raclures de premier ordre... J'avançais au milieu de ces visages patibulaires en trainant la patte, la douleur toujours palpable fit grimacer mon sourire. Le badaud de carrures hétéroclites m'encadrait menaçant, se poussant à peine au passage du vieillard les ayant conviés. Les corps tendus cherchaient à s’imposer. Des enfants de salaud pour la plupart. Du gibier de potence à n'en pas douter. Les rognures ne descendaient pas si bas dans les dessous de Dead End sans raison. Chacun portait à sa manière une pancarte couverte d'opprobre. Il y avait des bandes de mutins notoires interdits de pont sur la plupart des navires du port, coincées à quai aux basses tâches et aux bagarres de rues. Des fratricides ou grandes gueules, abandonnés par leur Capitaine qu'aucun n'avait voulu reprendre. Des têtes grisonnantes qu'on remplaçait par de plus jeunes. Des estropiés, des cuves à vins, des culs à savatter, des malchanceux aussi.. Une bien belle assemblée de bon à rien à la triste réputaion. Suffisamment miséreux pour répondre à l'invitation d'un inconnu décrépi et rester malgré la mélasse coupée à l'eau servie. Le bon point était qu'ils étaient encore suffisamment sobres pour me porter attention. La mauvaise humeur palpable cochait le mauvais point.

Alors que je finissais de traverser sans un mot la masse hostile, un gaillard se leva lourdement à mon devant, bien décidé à  me bloquer l’accès de la table qui m’était réservée. Le torse-poil fièrement découvert offrait la vue sur une affreuse brûlure le barrant de moitié. Avant qu’il n’ait le temps de souffler mot, ma main vint négligemment s’étaler sur son visage fripon. Mais à peine éveilla t-il mon attention. Je m’intéressai davantage au plus petit dans son dos qui lui avait soufflé ses ordres à l’oreille l’instant d’avant. Une face à faire pleurer un mort me fixa en retour. Le groin écrasé et le visage labouré témoignaient d’un passif laborieux. Il ne cherchait pas à dissimuler son implication, bien au contraire… Il ne cillait pas de son œil poché, ni de l’autre.. Autour de lui son groupuscule ramené à sa suite ne bougeait non plus. Tous observaient patiemment la réaction. Des longs couteaux, connus sur le volcan comme les investigateurs de basses œuvres à la nuit tombée. Une dizaine de pirates tout au plus parmi la cinquantaine présente. La roublardise du briscard à leur tête avait conduit quelques chefs de bord à gesticuler au bout d’une corde. Mais une fois le navire et les biens entre les mains, ses entreprises en mer l’avaient immanquablement ramené à terre plus endetté qu’à son départ. Grand Line n’était pas si aisée à dompter, même pour les plus méritants. Je souris à cet élément de premier choix sans relâcher l’étau du visage de son homme. L’haleine chaude cherchant à se soustraire de la poigne embrumait fiévreusement ma paume. Mais rien n’y fit... Personne ne pipa mot quand je fis raisonner le crâne du scélérat contre le sol. Balançant dans un coin la carcasse sonnée qui trainait, je clôturai le chapitre et me laissai choir sur le siège qui m’était dédié. Encore il y a peu à sa place, un changement de ton était nécessaire si je voulais qu’ils me suivent vers leur mort. Il ne s’agissait plus de laisser couler pour ne pas faire de vague, mais bien de marquer le coup.

- Commençons sauf si quelqu’un trouve à en redire… ?

Les regards me faisant face ne flanchèrent pas au passage de mes yeux blanchis. Les rides ne se flétrissaient pas en ma présence. Ils ne me craignaient pas encore… Je m’en réjouis. Je n’avais pas parcouru de long en large ce trou paumé en quête d’histoires et de mauvaises adresses, pour au final inviter des marins d’eau douce, noircissant leurs bas en la présence de la première mort venue. Recueillir les contes et légendes du port avait été chose aisée. De vraies pies commères sitôt un coup dans le nez. Voilà ce qu’était le monde de la mer. Ils vivaient pour ces légendes et se plaisaient à les raconter. Le plus dur avait été de retrouver leurs traces de malvenus dans les tréfonds des dédales de la cité portuaire.  Une fois fait, une pièce d’or et la promesse d’une seconde s’ils venaient m’écouter en cette soirée avait suffi à rameuter mes ouailles. N’ayant aucun retour, je déglutis laborieusement le début d’un pichet amer et continua ma manœuvre.

- Je vais pas y aller par quatre chemins. Vous l’aurez compris aussi demeurés qu’vous soyez, je ne suis pas venu vous jouer un petit air héhé ! Nan, je viens pour vous sortir du caniveau à merde qui vous a retrouvés… De la déchéance qui vous habite…  Je vais reprendre la mer d’ici demain et j’ai besoin des raclures de votre genre pour mon bord. Il ne s’agira pas de bronzer au large mais de trimer jusqu’en crever ! Mais pour les vrais qui s’briseront pas à la première vague, je promets une part généreuse de tout ce qu’on prendra.  Une part et demie pour les officiers du bord et deux parts pour le quartier-maitre. Ca commencera sur un abordage qu’on m’a soufflé à l’oreille. Qu’un début.. Gardez-le pour vous mais j’ai une carte en ma possession… Une bien belle.. Savez où conduisent les belles cartes ?!
- Un trésor ??!
- L’est où le trésor ?
- Autant aller le chercher directement !!

- Hé hé ! Doucement sacrebleu  ! Pas une simple carte, elle amène à un trésor digne du One Piece qui se dit. Des cascades d’or nous attendent bien au chaud. Mais chaque chose en son temps. Il y a un ordre à respecter pour l’atteindre. Faudra me rejoindre si vous voulez en connaitre davantage. Héhé !!!
- Et c’est quoi le nom de la Providence qui nous parle ce soir ? Pas souvenir d’avoir entendu parler d’une au senteur de mort…
- On m’a appelé par bien des noms mon bonhomme.. Gardez en tête celui du « Cavalier ». « Le Cavalier » pour être exact. Voilà qui je suis. De l’aventure et de la richesse. Voilà ce que j’offre.  Le choix est à qui veut le prendre. Prenez la pièce que je vous ai promis ce soir, ou bien marchez à mes côtés et soyez couverts d’or demain. Mais comprenez bien… Signer un contrat avec la Mort n'est pas sans conséquence. Seule la Mort peut le défaire ! Fuyez moi et je vous rattraperai, parlez trop et je vous la bouclerai, trahissez moi.. et vous prierez sa venue… Hé hé hé !! Alors avec moi ?! Signez votre nom et votre profession sur le parchemin de la façon qui vous convient le mieux ou prenez votre fichu pièce. Dans tous les cas restez tous encore un peu, j’offre les festivités sitôt après !


L’unisson des acclamations fit trembler la salle. La simple énoncée d’un trésor avait conquis les rêveurs présents. Sacrant la nouvelle d’une tournée, les choppes se remplirent et les chants sonnèrent. Une euphorie enivrante s’était emparée des cœurs glacés. Tour à tour, la plupart s’empressa de signer leur entrée dans l’équipage. L’épais cuire du vieux Code sous le bras, chacun jura son allégeance au nouveau Capitaine. Une dizaine seulement choisie la pièce d'or promise. L’œil poché de Bart l’Affreux ne manqua pas de me dévisager, mais il signa aussi avec sa suite. L’opération était un succès. Il ne restait plus qu’à régler une dernière affaire. Montant difficilement sur une table, j’ouvris les bras et imposa le silence. Les chants se turent, le silence se fit.

- Au sein de cet équipage nous sommes frères entendez le bien, mais en dehors il n’y a que brebis à tondre ! Navire à éperonner !! Village à brûler !!!
- WOUH !!
- Ce qui est à moi est à toi, ce qui est à eux est à nous !! Ne vous y fiez pas, bientôt le monde va ramper à nos portes pour nous soutirer nos secrets et nos richesses. Les oreilles trainent aux côtés du trésor qui nous attend. Gardez la bouche close ou l’or nous passera sous le nez. Fiez vous à moi, et bientôt nous seront refaits !!
- WOUH !!
-  Nous sommes frères de sang ! J’inaugure ainsi notre baptême ! L’aubergiste est notre hôte… Saignez moi tous les autres !! Tous les traitres dans cette salle ayant eu vent de nos projets ! Ils ont fait leur choix, qu’aucun n’en réchappe. Leurs biens et leur or est maintenant votre ! Hé Hé Hé !!


L'humeur devint fureur. D’un sursaut l’ensemble des invités sortirent leurs armes et se jetèrent dans un corps à corps brouillon. Les mousquets crépitèrent, les lames s’abattirent avec acharnement. Le nouvel équipage écrasa de son surnombre les brebis galeuses. Laissant parler leur sauvagerie, ils s’unirent pour la première fois et marquèrent dans leurs esprits cette soirée. Nous étions désormais un nous. Quiconque en dehors de nos rangs, ou se mettant au travers de nos projets, deviendrait une proie à abattre. Une dure vérité qui les tiendrait dans les rangs. Alors qu’un bras m’atterrissait aux pieds, une pensée délicieuse me vint. Il ne restait plus qu’à aller chercher le navire maintenant…
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Aux premières lueurs de l'aube, nos ombres perçaient sans un bruit la brume du petit matin. Une vingtaine de paires de bottes suivait ma trace sur le terrain accidenté. Je les entendais dans le dos tenter d'étouffer leurs jurons lorsqu’une glissade survenait sur la roche traite. La marée venait de se retirer laissant un champ verdoyant de mousses humides, désireuses d'envoyer notre fière expédition dans des poches de marée. Sitôt les festivités closent et le sang joyeusement étalé, une partie du nouvel équipage s’en était allé rameuter de nouvelles recrues pour boucher les trous. Le reste était descendu à mes côtés longer les pieds dentelés du volcan éteint. Une halte avait été nécessaire pour récupérer quelques affaires et le cuisinier du bord saucissonné sous ma couche. Peut être était ce d’avoir été séquestré de longues semaines dans une chambrée décrépie, mais le bougre fit sa tête de cochon tout le long du trajet. Bougonnant plus que nécessaire et envoyant chier quiconque s’étonnait des vilaines cicatrices lui barrant le visage. Quelques-uns reconnurent son groin mais personne ne pipa mot. Les pensées étaient ailleurs.

Aux milieux des squelettes d’épaves venus années après années s’éperonner sur les écueils du bord de côte, nous remontâmes vers une ligne de rivage moins sujette aux marées. Là où le fracas des vagues venait marteler les boiseries échouées jusqu’en briser les contours, on atteignait un coin uniquement léché par les embrumes salées. Les bâtiments mis en cale sèche se retrouvaient à l’abri des forces mécaniques de la mer mais souffraient de l’humidité omniprésente. La pourriture n’épargnait aucune des embarcations, rongeant aussi efficacement les coques et les cordes qu’un troupeau de rat avide de bois mort. Pourtant au cœur de cette décrépitude ambiante, un les surplombait tous.

Sur le détour d’une vieille goélette en partie éventrée, le navire se révéla à son nouveau maître. A l’ombre du mât de beaupré, la figure de proue aux traits creusés tenait fermement sa faux dressée. Un avertissement affiché pour tous se présentant à son regard. Gréé en deux mâts, les troncs supportaient les restes d’une voilure imposante. Une construction de voiles carrées et auriques, capable de naviguer à merveille au vent ou par vent de grand largue. Le faible tirant d’eau affiché n’enlèverait rien à la vitesse et permettrait sans mal une mise à l’abri dans les criques. Un navire de forban comme il se fallait, taillé pour la vitesse. La patte du chantier naval de Dead End en avait affuté les capacités de chasse. Pourtant si tout semblait indiquer qu’il venait du coin, personne ne savait l’histoire derrière sa venue. Seulement des légendes maudites circulaient sur son propos, passant de marins en marins. Ne sachant d’où il venait, il avait été laissé là. A mesure que le temps était passé, de nouveaux contes s’étaient construits sur les fantômes l’habitant. Il n’en demeurait pas moins toujours dressé aussi fièrement, comme préservé de la putréfaction ambiante. Un bel abri qu’une troupe de bandits sous de faux airs de mendiants s’était accaparée sans qu’on ne cherche à discuter la place. Du moins jusqu’à ce matin.

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En haut du pont, des lumières et musiques suggéraient qu’une fête s’était éternisée. Sans désigner la passerelle permettant de monter à bord, les hommes avait déjà pris position sans bruit tout autour. Personne ne montait la garde et chacun savait ce qu’il y avait à faire. Une haie d’honneur se referma derrière moi et suivie mon ascension. La froideur de mon aura sembla se faire sentir, car je libérai de ses épaules une tête méfiante penchée à l’entrée. Quelques pas plus loin, un nouvel être interloqué s’écroula. La place libérée, le nouvel équipage jaillit sur mes talons et sema la mort à son tour. Un acte de clémence aurait pu être consenti sur les précédents propriétaires mais à quoi bon ? Il fallait dératiser dans tous les cas, les faucheurs prenaient le bord ! Une fois le calme revenu, il faudrait encore changer les voiles et les cordages pour galoper sans attendre en direction d’un convoi marine passant non loin. Nous allions chercher notre armement à moindre frais. Une première étape. La première d’une longue liste...

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